Ce chapitre propose une analyse de l’insertion des immigrants sur le marché du travail ainsi que de leur maintien dans l’économie du Québec. Par l’analyse descriptive d’indicateurs détaillés d’intégration professionnelle (résultats sur le marché du travail, qualité de l’emploi, salaires), il compare la situation des immigrants par rapport à celle de leurs homologues natifs. Cette comparaison se fait tout d’abord dans une perspective internationale (en comparant le Québec avec d’autres régions ou pays de l’OCDE) puis dans un second temps dans une perspective interne québécoise (en comparant les régions entre elles). Ce chapitre traite ensuite de la rétention des immigrants dans les régions du Québec, en analysant les trois composantes de la migration nette : la migration interprovinciale (avec le reste du Canada), la migration interrégionale (à l’intérieur du Québec) et la migration internationale avec les pays étrangers. Les conclusions des analyses précédentes mènent enfin à s’interroger sur l’attractivité du Québec et ses régions, et sur comment l’immigration peut aider à améliorer cette attractivité.
Intégrer les immigrants pour stimuler l’innovation au Québec, Canada
Chapitre 3. Insertion et rétention des immigrants sur le marché du travail : analyse empirique
Abstract
Situation des immigrants sur le marché du travail au Québec
Le Québec est une des provinces du Canada historiquement touchées par un chômage structurel élevé. Le taux de chômage de la population, supérieur à 9 % à partir du début des années 1980, était un des plus hauts du Canada, dépassé seulement par celui des provinces maritimes (Terre-Neuve-et-Labrador, Nouveau-Brunswick, Île-du-Prince-Édouard, Nouvelle-Écosse), et entre septembre 1983 et avril 1989, par la Colombie-Britannique. Pendant la majorité des années 1990, le taux de chômage au Québec est supérieur à 10 %, atteignant un sommet, à 14.3 % en novembre 1992. Il est alors supérieur de 3 à 5 points de pourcentage à plusieurs provinces des Prairies (Alberta, Saskatchewan, Manitoba). Si la situation du marché du travail s’améliore à l’orée des années 2000 (avec un taux de chômage autour de 8 %), le taux de chômage du Québec reste un des plus élevés du Canada, toujours dépassé par les provinces maritimes uniquement, et, pendant de courtes périodes, par la Colombie-Britannique ou l’Ontario. Mais après des années de chômage endémique, le Québec connaît depuis quelques années une embellie de son marché du travail, et atteint désormais le niveau de chômage le plus faible depuis que de telles données existent, soit un taux de 5.4 %. De fait, depuis le début d’année 2016, le taux de chômage a diminué de deux points de pourcentage, et est désormais le deuxième taux le plus faible du Canada, juste au-dessus de la Colombie-Britannique.
Cette évolution à contre-courant des trente dernières années s’explique en grande partie par un phénomène démographique. Le Québec subit en effet d’un vieillissement de la population important similaire à celui observé dans les pays d’Europe du Sud ou dans certains pays d’Europe orientale (Institut de la Statistique du Québec, 2018[1]). Ce vieillissement, s’il touche toutes les provinces du Canada, est plus élevé au Québec, en raison de la baisse du nombre d’enfants par femme depuis le début des années 1970. Alors que l’indice synthétique de fécondité (ISF) au Québec était de 2.1 enfants par femme en 1970, soit le chiffre moyen du Canada, il n’était déjà plus que de 1.36 en 1981, soit le plus faible du pays. Si l’ISF a remonté au cours des années suivantes, passant légèrement au-dessus de la moyenne canadienne (1.54 enfant par femme contre 1.49 pour le Canada en 2017), il n’en reste pas moins que les catégories d’âge actif sont à l’heure actuelle bien moins nombreuses que par le passé. D’après l’Institut de la Statistique du Québec, alors qu’en 1985, les 65 ans et plus ne représentaient que 10 % de la population du Québec, ils en représentent désormais 19 %. Et le phénomène va s’accentuer. Les 55-64 ans sont ainsi 17 % plus nombreux que les 40-49 ans, une des catégories d’âge les plus creuses du Québec.
Comme le Québec connaît une croissance économique tous les ans depuis le début des années 2000 (hors crise de 2008), le nombre d’emplois est en progression constante et est passé de 3.7 millions en 2004 à 4.1 millions en 2016 (OECD, 2016[2]). Les prévisions d’Emploi-Québec pour la période 2015-2024 estiment que 1 372 200 postes seront à pourvoir, dans 82.5 % des cas pour combler les départs à la retraite, et dans 17.5 % pour répondre à la création nette d’emploi (Emploi-Québec, 2016[3]). Ces emplois devraient être comblés à 52 % par les jeunes rentrant sur le marché du travail, à 28 % par des politiques actives d’emploi à destination des personnes en dehors du marché du travail (inactifs, chômeurs, retraités), et à 20 % par l’apport de l’immigration. Une tendance déjà visible depuis plusieurs années, les immigrants occupant en 2018 17 % des emplois au Québec, contre 11 % environ en 2006.
Au-delà du processus de sélection discuté plus tôt, l’appel à l’immigration pour combler les besoins de main-d’œuvre est un défi en soi. Si a priori l’existence de métiers en difficulté de recrutement devrait permettre par définition aux immigrants une bonne insertion sur le marché du travail, l’expérience de d’autres pays de l’OCDE démontre bien que l’abondance d’emplois n’est pas suffisante pour assurer cette intégration. Les conditions d’emploi, le maintien en emploi, mais aussi l’insertion professionnelle des catégories non soumises à la sélection (réfugiés, migrants familiaux, mais aussi migrants accompagnant les immigrants sélectionnés) ne vont pas nécessairement de soi, même quand le marché du travail est en bonne santé. Dans la majorité des pays de l’OCDE, les immigrants ont ainsi des résultats sur le marché du travail moins positifs que les natifs. Ainsi au Québec, le taux de chômage des immigrants de 25-64 ans ayant un statut permanent, bien que passé de 9 % en 2016 à 6.7 % en 2018, reste bien au-dessus de celui des natifs (4 % en 2018). Comment les immigrants au Québec se positionnent sur le marché du travail par rapport aux autres régions et pays de l’OCDE ?
Quelle est la position du Québec par rapport à d’autres régions et pays de l’OCDE ?
Afin de placer les résultats du Québec dans une optique internationale, cette section propose de comparer les différents indicateurs du marché du travail qu’on y observe avec i) ceux d’autres provinces les plus peuplées du Canada (Ontario, Colombie-Britannique, Alberta) des provinces frontalières (Nouveau-Brunswick) ou toute autre province d’intérêt ; ii) ceux des États les plus peuplés des États-Unis (Californie, Texas, New York), ayant une population et un bassin technologique comparable à celui du Québec (état de Washington) ou proches géographiquement (Maine, Michigan) ; iii) ceux des pays les plus peuplés d’Europe (Allemagne, France, Royaume-Uni, Italie), de la Suède et de l’Autriche, à la population et situation géographique relativement comparable à celle du Québec ; iv) ceux des autres pays d’installation de l’OCDE (Australie et Nouvelle-Zélande) ; ou tout autre pays d’intérêt.
Le taux d’emploi des immigrants1 au Québec, s’il est légèrement plus faible que dans la grande majorité des autres provinces du Canada, est plus élevé que dans la plupart des États des États-Unis et des pays d’Europe pris en considération, où la part d’immigration économique est généralement plus faible. Au Québec, 70 % des immigrants sont en emploi, contre 74 % en Alberta et en Nouvelle-Zélande, 72 % au Royaume-Uni, mais 67 % en Californie et en Suède et 57 % en France (OCDE/UE, 2019[4]). Néanmoins, au-delà des taux, le Québec est une des régions d’Amérique du Nord où l’écart du taux d’emploi entre les immigrants et les natifs est le plus élevé. L’écart est de 4 points de pourcentage au Québec, alors qu’il n’est pas significatif dans la plupart des autres provinces ou territoires du reste du Canada, et que le taux d’emploi des immigrants est même supérieur à celui des natifs dans les États des États-Unis. En ce sens, le Québec se rapproche ici plus de l’Australie (pays ayant une part d’immigration économique très proche), avec un écart est de trois points de pourcentage. Les écarts d’accès à l’emploi entre immigrants et natifs au Québec restent toutefois loin de ce qui est observé dans les pays européens, où les écarts au détriment des immigrants sont de près de 10 points de pourcentage, voire 14 points en Suède. En Europe occidentale, la population née à l’étranger est plutôt constituée de personnes au niveau d’éducation faible, issue soit de flux migratoires anciens d’après-guerre (Allemagne, France), soit de flux récents de réfugiés (Suède).
La position moins favorable des immigrants au Québec vis-à-vis de l’emploi s’explique par le fait que les immigrants sont plus souvent au chômage que les natifs. Le taux de chômage des immigrants en 2015 était plus élevé que celui des natifs (10.4 % contre 6.9 %), soit un taux et un écart de taux les plus élevés lorsque l'on les compare à ceux des pays et régions de l’OCDE (graphique 2.3), seulement dominés par la Suède, la France et l’Autriche. Par contre, contrairement aux pays d’Europe et aux États-Unis, l’inactivité des immigrants joue globalement moins sur les écarts de taux d’emploi entre personnes nées à l’étranger et personnes nées au Canada. Le taux d’activité de l’ensemble des immigrants de 15-64 ans au Québec (78 %) et quasi similaire à celui des natifs, et s’avère un des plus élevés des pays et régions de l’OCDE observés ici. La situation est toutefois à nuancer du côté des femmes. Le taux d’activité des femmes immigrantes de 15-64 ans, s’il reste élevé en comparaison internationale (71 %), est en effet de 6 points de pourcentage inférieur à celui des femmes natives, ce qui rapproche ici encore le Québec des écarts observés en Europe, mais aussi au Texas ou au Michigan.
Bien entendu, la situation des immigrants, au même titre que celle des natifs, s’est améliorée au cours des deux dernières années, ce que nos données détaillées pour les autres régions et pays de l’OCDE ne peuvent pas encore montrer. Les dernières données de Statistique Canada sur les immigrants permanents (ne recouvrant donc pas les immigrants temporaires qui sont inclus dans les comparaisons internationales de cette section) montrent que les résultats sur le marché du travail des immigrants se sont rapprochés de ceux des natifs au Québec, mais que les écarts restent significatifs (2.7 points de pourcentage de taux de chômage en plus pour les immigrants).
Les freins d’accès à l’emploi touchant les immigrants
Si les problématiques d’accès à l’emploi sont moindres au Québec que dans la plupart des pays d’Europe, il n’en reste pas moins que les immigrants ont plus de mal à intégrer le marché du travail que leurs homologues nés au Canada, alors même que l’immigration au Québec est une des plus qualifiées des régions de l’OCDE. Plusieurs critères peuvent expliquer ce constat.
À l’image d’un grand nombre d’employeurs dans le reste de l’OCDE, les employeurs au Québec, bien qu’ils aient recours dans une grande proportion à une main d’œuvre immigrante, n’ont souvent aucune expérience de l’interculturalité et de la communication avec un public immigrant. Les différences de codes culturels entre immigrants et natifs soulèvent de nombreuses craintes de la part des employeurs concernant l’intégration des immigrants au sein de l’entreprise, et dans la compréhension des immigrants des codes régissant la vie en entreprise et le marché du travail au Québec. Les employeurs sont d’autant plus réticents qu’ils jugent que leurs collaborateurs ne sont pas prêts à accueillir des collègues immigrants (peur de sous-qualification des natifs). Certains témoignages décrivent ainsi certains problèmes entre employeurs et travailleurs immigrants dans la compréhension des consignes et dans le rapport à la hiérarchie (Blain, 2018[5]). Pour plusieurs acteurs des politiques d’intégration au Québec, mieux sensibiliser les employeurs aux politiques contre le racisme et la discrimination, à la diversité culturelle, mais aussi mieux aider les immigrants à s’approprier les codes du milieu du travail et à mieux comprendre les attentes des employeurs est une nécessité afin de diminuer leurs craintes à recruter des immigrants. Cela passe par un accompagnement des employeurs dans leur politique de diversité, mais également un travail sur les « biais inconscients » qui touchent même les entreprises championnes de la diversité.
Une autre barrière fondamentale à l’intégration sur le marché du travail des immigrants au Québec est la maîtrise de la langue française. Bien que le processus de sélection au Québec prenne en compte la maîtrise du français, certains immigrants ne maîtrisent pas cette langue, et pour ceux qui le sont, les niveaux demandés peuvent ne pas convenir aux employeurs, qui craignent d’être mal compris. Les nombreuses solutions proposées de cours de français, qui servent à l’amélioration du niveau de langue des immigrants, ne sont pourtant pas toujours faciles d’accès. Le manque de cours dans certaines zones, et le manque de transport pour y accéder sont pointés du doigt par de nombreux acteurs associatifs, notamment en région, mais même à Montréal. Ces cours peuvent aussi parfois vus comme un frein par les employeurs, qui craignent un manque de disponibilité de leurs employés. À cela se rajoute parfois la crainte d’un manque de maîtrise de l’anglais, notamment dans les entreprises de la région de Montréal, mais pas uniquement là.
La question d’une certaine inadéquation du niveau de français des immigrants pose la question plus large du processus de sélection de l’immigration économique au Québec. Par le choix d’une immigration ayant un haut niveau de diplôme, le Québec sélectionne beaucoup de candidats qui ne peuvent se voir reconnaître leurs qualifications. Tout d’abord, la procédure d’évaluation des compétences du MIFI, d’après certains acteurs locaux, n’a plus la confiance des employeurs, ce qui bloque l’accès à l’emploi d’un certain nombre d’immigrants qualifiés. Face à ce problème, les employeurs organisent souvent leurs propres tests, qui sont autant de freins systémiques, les tests pouvant là encore se heurter aux différences culturelles entre le Québec et le pays d’origine du travailleur immigrant. De plus, le processus de reconnaissance dans les professions encadrées par les 46 ordres professionnels du Québec peut être complexe et fastidieux, d’après la plupart des acteurs rencontrés confrontés aux problèmes. Au final, la moitié des immigrants n’obtient qu’une reconnaissance partielle, et doit ensuite suivre une formation ou un stage complémentaire avant d’accéder à leur métier (Comité Interministériel sur la reconnaissance des compétences des personnes immigrantes, 2017[6]). L’accès à ces formations peut prendre un an voire plus rarement deux ans selon les cas. En conséquence, d’après les données de l’Office des professions du Québec (OPQ), 55 % des personnes ayant obtenu une reconnaissance complète ou partielle de leur diplôme étranger au cours de la période 2012-2015 ne complètent pas la procédure d’admission vis-à-vis des ordres professionnels.
Devant ce manque de confiance face aux diplômes étrangers, plusieurs acteurs, notamment les organismes d’employabilité, notent que la recherche d’une première expérience au Québec est devenue fondamentale pour un grand nombre d’employeurs, beaucoup plus que dans le reste du Canada. Ceci limite encore l’accès à l’emploi des nouveaux arrivants, quel que soit leur niveau de qualification, et est un facteur important des écarts de résultats sur le marché du travail entre immigrants et natifs. Pour pallier à l’incertitude du recrutement des immigrants, les institutions doivent développer les incitations qui permettent de limiter les supposés « risques » pris par l’employeur. Cela peut se faire par le développement de programmes de stages, moyen moins coûteux de « tester » les compétences des travailleurs immigrants. Établir un programme de partenariats labélisés avec des entreprises qui s’engagent sérieusement à donner leur chance aux immigrants dans leur politique de recrutement pourra également inciter d’autres entreprises à les suivre. Les incitations peuvent être aussi financières, comme le programme PRIIME, qui accorde une subvention salariale jusqu’à 52 semaines pour encourager les entreprises à recruter des employés de la diversité – en comblant financièrement une improductivité temporaire de ces travailleurs. Cela peut également se faire via des programmes d’aide au recrutement, à l’image du programme interconnexion de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain (CCMM), qui propose aux employeurs les meilleurs candidats, ce qui rassure les entreprises, qui voient la CCMM comme le « garant » du choix de l’immigrant recruté. Le programme intégration-travail-formation de la ville de Montréal cherche également les meilleurs candidats pour certaines entreprises volontaires et les accompagne dans leurs décisions finales. Dans le cas d’Hydro-Québec, les candidats sélectionnés avaient finalement échoué aux tests psychométriques de l’entreprise. Après avoir trouvé un accord avec la ville pour malgré tout prendre à l’essai ces candidats, les immigrants sélectionnés se sont avérés répondre tellement bien aux attentes de l’entreprise que cette dernière a décidé finalement de supprimer ses tests psychométriques. Des programmes de ce type seraient particulièrement structurants dans les Petites et moyennes entreprises (PME), qui représentent 92 % de l’emploi au Québec.
Enfin, face au blocage de la reconnaissance de certaines qualifications soumises à la validation des ordres professionnels, ces derniers pourraient s’inspirer des efforts entrepris par l’Ordre des administrateurs agréés (AdmA), l’Ordre des ingénieurs du Québec ou l’Ordre des comptables professionnels agréés du Québec. L’AdmA, l’ordre responsable des gestionnaires professionnels, a mis en place une trousse à outils pour faciliter l’intégration des gestionnaires immigrants, comprenant un référentiel de compétences des gestionnaires en contexte québécois, une auto-évaluation desdites compétences, ainsi que différentes aides (conseil, formation, documentation) pour se familiariser avec les codes culturels et les styles de gestion du Québec. Pour faciliter la reconnaissance des qualifications des immigrants, les ordres professionnels auraient tout intérêt à mettre en place un système d’examen professionnel adapté aux immigrants, en collaboration avec le Commissaire à l’admission aux professions de l’OPQ, qui fait beaucoup de travail pour faciliter l’intégration des travailleurs immigrants dont la profession est réglementée. La CCMM a proposé de donner un an aux ordres professionnels pour prouver que leur procédure de reconnaissance des qualifications étrangères fonctionne. Sans évolution, elle propose que ce processus soit mis directement sous la tutelle du MIFI.
Les difficultés d’accès à l’emploi touchent une grande partie des catégories d’immigration
Les différentes données disponibles montrent que la plupart des catégories d’immigrants, y compris celles qui sont supposées s’intégrer plus facilement sur le marché du travail, ont des résultats moins favorables que leurs homologues natifs. Les immigrants de 15-64 ans ayant un haut niveau d’éducation, s’ils ont un taux d’emploi nettement supérieur à ceux ayant un niveau d’éducation faible (80 % contre 55 %), n’en ont pas moins un taux de cinq points de pourcentage inférieur à celui des natifs de même niveau d’éducation. Paradoxalement, le taux d’emploi des immigrants au niveau d’éducation faible est similaire à celui de leurs homologues natifs. Le fait que l’écart de taux d’emploi soit plus prononcé chez les immigrants au niveau d’éducation élevée que chez ceux ayant un niveau faible se retrouve dans l’ensemble des pays et des régions de l’OCDE. Aux États-Unis et en Italie, les taux d’emploi des immigrants ayant un faible niveau d’éducation sont même nettement supérieurs à celui des natifs de même niveau d’éducation. En contrepartie, il n’y a que dans les États des États-Unis observés ici et au Royaume-Uni que les immigrants et les natifs diplômés du supérieur ont des taux d’emploi similaires. Le fait que les immigrants ayant un haut niveau d’éducation accèdent moins à l’emploi au Québec et dans le reste du Canada que leurs homologues natifs est d’autant plus problématique que la majorité des immigrants dans le pays ont un niveau élevé.
Au-delà du niveau d’éducation, le motif légal de l’immigration joue un impact important sur les résultats sur le marché du travail des immigrants. Comme dans l’ensemble de l’OCDE, les motifs non économiques, qui ne sont pas sélectionnés par des critères d’emploi ni par des critères de niveau d’éducation, ont plus de mal à trouver un travail. Les immigrants familiaux (parrainés par un résident permanent déjà sur place) et les réfugiés (qu’ils aient obtenu leur statut au Canada ou qu’ils aient été réinstallés) sont plus souvent au chômage que les autres catégories : leur taux de chômage tourne autour de 11 %. Les catégories d’immigrants touchés le plus par le chômage sont les familles de réfugiés et les résidents non permanents, avec des taux autour de 15 % environ. Si les familles de réfugiés sont une catégorie souvent plus en difficulté sur le marché du travail, quel que soit le pays de l’OCDE, le fort taux de chômage des résidents non permanents pose question.
Cette catégorie comprend en effet les travailleurs étrangers temporaires, qui ne peuvent obtenir le droit de résidence au Canada que s’ils ont une offre d’emploi validé. Mais cette catégorie comprend également les étudiants, les demandeurs d’asile en cours de procédure2 et les membres de famille accompagnants, qui eux ne sont pas sélectionnés via l’existence d’un poste à pourvoir. Tous les faisceaux indiquent que cette dernière catégorie a plus de difficultés à accéder au marché du travail. De par son profil d’abord, qui est souvent moins qualifié (au même titre que les travailleurs temporaires). Mais aussi parce que les résidents non permanents ne disposaient jusqu’à récemment que d’un accès limité à l’offre de services d’intégration du Québec. Avant 2019, seule la francisation en autoformation était ainsi possible, et les services d’accompagnement d’Emploi Québec n’étaient pas ouverts aux non-permanents. De plus, le fait que le séjour des travailleurs temporaires soit limité dans le temps n’incite pas foncièrement leur famille à participer à des programmes d’intégration. Les mêmes blocages institutionnels touchent les demandeurs d’asile en cours de procédure, qui sont en plus dans l’incertitude sur la décision finale les concernant, ce qui n’incite pas les employeurs à les recruter. Si un meilleur accès aux programmes d’intégration pour ce groupe est plus difficile à mettre en place, elle est néanmoins possible pour les groupes ayant les plus fortes probabilités d’accord au statut de réfugié (OCDE, 2016[7]).
Mais le problème que rencontre le Québec est que même les immigrants économiques de 15-64 ans, pourtant sélectionnés pour leur potentiel élevé d’insertion sur le marché du travail, ont un taux d’emploi de trois points de pourcentage inférieur à celui des natifs de même âge. Que ceux soient les immigrants admis via le programme des travailleurs, ou les gens d’affaires (entrepreneurs, investisseurs, travailleurs autonomes), le taux de chômage est supérieur à 9 %. Ceci confirme les difficultés d’insertion des immigrants, même venus au motif du travail, ainsi que ceux de leur famille, les personnes accompagnantes étant incluses dans cette catégorie. Les seules catégories ayant un taux de chômage inférieur à celui des natifs sont les travailleurs admis au séjour permanent après avoir eu une expérience professionnelle au Canada3 (4.8 %, ce qui confirme l’importante d’une expérience au Canada dans le recrutement des employeurs au Québec), et les aides familiaux ou personnes soignantes (6.3 %), qui sont recrutés en rapport avec les besoins réels des ménages les employant. Les indicateurs du marché du travail des autres immigrants économiques montrent que le programme de sélection des immigrants au Québec a besoin d’être adapté, ce que le nouveau système de déclaration d’intérêt, mis en place en 2018, pourrait réussir à faire. Au moment de la réalisation de l’étude, il n’y a pas de correspondance entre le profil des immigrants sélectionnés et les besoins du marché du travail. De plus, le processus de sélection n’intègre pas la famille et ses besoins d’intégration.
Le problème de la surqualification au Québec
Les différentes barrières d’accès à l’emploi discutées dans la section précédente ont une autre conséquence, particulièrement prégnante au Québec. Devant les difficultés à trouver un emploi en accord avec leurs qualifications, de nombreux immigrants choisissent de prendre un emploi moins qualifié. Au Québec, plus d’un immigrant sur deux ayant un haut niveau d’éducation (54 %) est surqualifié (ou déclassé), soit près de 20 points de pourcentage de plus que leurs homologues natifs de même niveau d’éducation. Le taux observé au Québec est similaire à celui de l’Espagne (un des plus hauts taux des pays de l’OCDE), et n’est dépassé que par celui de la Grèce (61 %) et du Manitoba (72 %). Par comparaison, le taux de déclassement des immigrants au Texas est de 13 %. Ce niveau est inférieur à celui des natifs, comme dans tous les États des États-Unis observés ici.
Au final, l’écart de taux de déclassement entre immigrants et natifs au Québec est légèrement supérieur à celui observé dans les autres provinces du Canada et n’est seulement dépassé que par l’écart au Manitoba. Cet écart est au final proche de celui d’un grand nombre de pays européens observés ici. Il est de niveau similaire à celui de Suède, mais reste inférieur aux écarts des pays d’Europe du Sud où le taux de surqualification des immigrants dépasse de plus de 28 points de pourcentage celui des natifs touche surtout les immigrants, comme en Italie ou en Grèce. Dans les pays d’Europe du Sud, la majorité de l’immigration est accueillie pour combler les besoins de main-d’œuvre peu qualifiés. Beaucoup d’immigrants diplômés du supérieur s’installant dans ces pays sont conscients que les chances d’obtenir un emploi en rapport avec leurs qualifications sont faibles.
Ça n’est pas du tout le cas au Québec et au Canada de manière générale, où l’immigration est sélectionnée pour son haut niveau de compétences potentiel. Le haut niveau de surqualification des immigrants détenant un diplôme d’études supérieures au Québec montre encore une fois que la sélection de l’immigration économique ne correspond pas aux besoins du marché du travail, qui, pour certains acteurs institutionnels, sont plus souvent peu ou moyennement qualifiés. Faire un meilleur lien entre les domaines de formation et les besoins du marché du travail dans le processus de sélection devrait permettre de faire baisser le niveau de surqualification des immigrants. Outre lutter en parallèle contre les barrières déjà décrites qui poussent les immigrants à accepter un emploi sous-qualifié (problème de reconnaissances des qualifications, maîtrise de la langue française, méconnaissance du milieu d’affaires), certains acteurs associatifs décrivent également d’autres critères qui jouent négativement sur la qualité de l’emploi des immigrants diplômés du supérieur et qui demandent une réflexion. Le « communautarisme » peut être à la fois un symptôme et une conséquence du déclassement. L’absence d’opportunités réelles sur le marché de l’emploi peut ainsi pousser les personnes immigrées à se tourner vers leur communauté, qui souvent ne leur propose que des métiers moins qualifiés où leurs concitoyens sont déjà bien représentés. Mais la communauté peut aussi dès le départ pousser au déclassement, notamment chez les femmes et dans les communautés africaines. Les immigrants s’approprient alors les mauvaises expériences professionnelles de leur communauté. Certaines expériences montrent également que, si certains organismes en employabilité poussent les personnes immigrées à ne pas accepter d’emploi en-dessous de leurs compétences, certains autres ont une pratique inverse, partant du principe que l’intégration prend du temps et qu’il faut mieux commencer par un métier moins qualifié avant de progresser. Ces deux pratiques peuvent faire perdre plusieurs années à des immigrants à fort potentiel, sachant que plus la personne reste déclassée longtemps, plus elle aura du mal à trouver à terme un métier en accord avec ses compétences. Pour éviter qu’une situation de surqualification temporaire devienne permanente, certains programmes comme le programme interconnexion de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain se proposent de rapprocher les immigrants surqualifiés avec des employeurs potentiels à la recherche de candidats qualifiés (voir chapitre 4).
Si le problème de la surqualification est un élément fondamental des problèmes d’intégration au Québec, certains acteurs pensent que ça n’est qu’un problème de court terme. Avec les difficultés de recrutement qui s’annoncent à tous les niveaux de qualification, peut-on imaginer que plus aucun immigrant n’aura de difficultés à trouver un métier en accord avec ses qualifications ? La question ne se posera que si toutes les autres barrières d’accès à l’emploi disparaissent face à l’augmentation des difficultés de recrutement. Mais elle ne se posera pas si les diplômes supérieurs étrangers s’avèrent réellement ne pas correspondre au niveau de qualification demandé au Québec, ce que plusieurs acteurs de l’intégration des immigrants questionnent. Le programme « Intégration en emploi de personnes formées à l’étranger référées par un ordre professionnel (IPOP) » vise dorénavant à fournir un soutien à la transition professionnelle des personnes formées à l’étranger qui sont en processus pour obtenir de la part de l’ordre professionnel leur permis d’exercice et intégrer un emploi de transition dans leur domaine de compétences (ex. un emploi de technicien en santé animale pour une personne en démarche d’obtention d’un permis d’exercice de vétérinaire).
Encadré 3.1. Le programme d’Intégration en emploi de personnes formées à l’étranger référées par un ordre professionnel (IPOP)
IPOP est une adaptation au programme PRIIME (voir chapitre 2). Depuis sa création, il offre une subvention salariale à l’employeur recrutant un travailleur immigrant détenant un permis d’exercice délivré par un ordre professionnel, à la suite d’une reconnaissance de ses qualifications. Depuis une révision récente, IPOP fournit désormais également un soutien à la transition professionnelle des personnes formées à l’étranger pour qui la reconnaissance des qualifications est en cours. Concrètement, IPOP apporte une subvention aux employeurs ayant recruté un immigrant sur un emploi en rapport avec la profession réglementée pour laquelle la personne a entamé des démarches de reconnaissance. L’initiative permet à l’immigrant d’obtenir une première expérience au Québec et ainsi de prouver et de mettre à jour ses compétences professionnelles. Cette expérience, si elle est réussie, joue positivement dans son dossier de reconnaissance des qualifications et lui permet d’acquérir un premier réseau professionnel. IPOP offre par ailleurs les mêmes paramètres que PRIIME en termes de montant et de durée des subventions. Pour plus d’informations, voire (Emploi-Québec, 2019[8]).
Le Québec est-il concurrentiel pour les immigrants en termes de salaire ?
Corollaire de la qualité de l’emploi, le salaire est un élément primordial pour satisfaire les besoins essentiels de la population, et influence donc l’ensemble de l’intégration d’un immigrant dans sa société d’accueil (accès au logement, accès aux soins de santé, participation aux activités payantes de la société locale…). Le montant du salaire est donc en conséquence un indicateur important de l’intégration des immigrants dans l’économie d’un pays ou d’une région.
Le salaire médian de 2016 d’un immigrant4 admis en 2015 au Québec est de 19 800 CAD. Il atteint 27 400 CAD pour les immigrants économiques (demandeurs principaux), mais n’est que de 16 600 CAD pour les membres de leurs familles accompagnantes, 15 100 CAD pour les immigrants familiaux parrainés par un résident et de 13 200 CAD pour les réfugiés. La situation salariale s’est améliorée au cours des 10 dernières années pour toutes ces catégories d’immigration, notamment pour les immigrants économiques. Alors que le salaire médian d’un réfugié ou d’un immigrant familial admis en 2015 est supérieur de 11 % au salaire de ceux admis en 2006, cette augmentation est de respectivement 34 % pour les immigrants économiques et de 57 % pour leur famille. Cette augmentation a touché autant les hommes que les femmes, mais les hommes immigrants continuent de toucher un salaire médian de 60 % supérieur à celui à de leurs homologues féminines, comme c’était déjà le cas il y a dix ans. Si les nouveaux immigrants admis en 2015 ont un salaire plus élevé que ceux admis en 2006, le montant des salaires des immigrants au Québec reste problématique à deux titres.
Tout d’abord, comme ce fut le cas au cours des dix dernières années, le salaire médian des immigrants arrivés depuis moins d’un an au Québec reste le salaire le plus faible de l’ensemble des provinces et territoires du Canada. En 2016, le salaire de ceux admis en 2015 est inférieur d’un cinquième à celui de l’Ontario ou des provinces maritimes, d’un tiers à celui de l’Alberta, et est près de deux fois moindre que le salaire des immigrants dans les territoires. Contrairement à l’idée reçue, le montant médian des prestations sociales versées est également plus faible que dans la plupart des provinces (presque deux fois plus faibles que dans les provinces maritimes). En conséquence, les écarts de revenus entre provinces sont similaires aux écarts de salaires. Toutefois, ces différences de salaire sont moins importantes qu’il n’y paraît, compte tenu du coût de la vie plus faible au Québec. En prenant en compte le montant moyen des dépenses des ménages (de 15 % inférieur à l’ensemble du Canada) estimé par Statistique Canada (2017), le salaire d’un immigrant au Québec équivaudrait au final à ceux vivant en Ontario, et serait juste légèrement inférieur à ceux de Colombie-Britannique. Par contre, ce salaire reste toujours inférieur d’au moins 5 % à celui des immigrants résidant dans les autres provinces du pays, après pris en compte du coût de la vie. À l’exception des réfugiés, toutes les catégories d’immigrants au Québec ont le plus bas niveau de salaire des provinces du Canada. Les immigrants économiques (demandeurs principaux), qu’ils soient hommes ou femmes, ont eux aussi des salaires inférieurs d’un cinquième à ceux de l’Ontario, des provinces maritimes, ou de la Colombie-Britannique ; et de près d’un tiers avec l’Alberta. Toutefois, après pris en compte du coût de la vie, les immigrants au Québec auraient un salaire réel plus élevé qu’au Manitoba ou qu’en Colombie-Britannique, mais pas ailleurs.
Le salaire de la population générale du Québec est également un des plus faibles des provinces du Canada. C’est en grande partie du fait de la structure de l’économie dans la province. Le Québec est reconnu pour son secteur manufacturier plus important qu’ailleurs, mais moins rémunérateur, alors qu’en contrepartie il dispose d’un secteur énergétique et minier relativement faible, alors que les salaires y sont nettement plus élevés. Toutefois, comme le coût de la vie y est plus faible, au final la population du Québec a un salaire réel plus élevé que dans toutes les autres provinces du Canada. Le problème n’est donc pas que le Québec n’est pas compétitif avec les autres provinces en termes de salaires réels. C’est le salaire réel des immigrants qui est moins attractif que dans la plupart du Canada, y compris pour l’immigration la plus qualifiée. Ce plus faible montant des salaires rend plus difficile le maintien des immigrants les plus talentueux sur le territoire, chaque immigrant permanent étant libre de s’installer où il le souhaite au Canada.
Au-delà du niveau plus faible de salaire, le fait marquant est que les immigrants ont donc des salaires plus bas que leurs homologues nés dans le pays. Un nouvel arrivant admis en 2015 aura en 2016 un salaire médian de trois quarts inférieurs à la médiane de l’ensemble des résidents du Québec de 25-34 ans (groupe d’âge de début d’activité). Bien entendu, de nombreuses études montrent que l’intégration demande du temps et qu’il faut plusieurs années pour rattraper le niveau de salaire des natifs. La Base de données longitudinales sur l’immigration de Statistique Canada permet de suivre l’évolution dans le temps de nombreux renseignements sur les immigrants permanents, selon la catégorie légale d’immigration et leur année d’admission. Elle confirme le temps nécessaire pour atteindre le niveau de salaire de l’ensemble de la population. Au Québec, les immigrants économiques (demandeurs principaux) admis en 2006 ont dû attendre quatre ans pour rejoindre le niveau de salaire médian des 25-34 ans, et six ans pour rejoindre celui des 25-54 ans (population en plein âge actif). Dix ans après leur admission, les immigrants économiques touchent un salaire médian supérieur de 13 % à celui de l’ensemble de la population de 25-54. Le Québec fait ici mieux que certaines provinces du Canada : en Ontario, il faut sept ans à un immigrant économique pour atteindre le niveau de salaire médian de l’ensemble de la population de 25-54 ans, et huit ans en Colombie-Britannique. Toutefois, il ne faut pour se faire que respectivement deux ans dans les provinces maritimes et trois ans en Alberta.
Toutefois, il s’avère que seuls les immigrants économiques (demandeurs principaux) réussissent à rattraper puis dépasser le niveau de salaire de l’ensemble de la population. Au Québec, comme dans l’ensemble des provinces du Canada par ailleurs, les immigrants non sélectionnés (famille, réfugiés…) ont toujours dix ans après leur entrée des salaires inférieurs à la médiane de l’ensemble de la population de 25-54 ans. De manière générale, le salaire des autres catégories d’immigration est, dix ans après, au minimum toujours deux fois moindre que celui de l’ensemble des 25-54 ans. Les réfugiés ont les salaires plus faibles, et même les familles d’immigrants économiques font moins bien que les autres immigrants familiaux parrainés.
Le niveau de salaire étant corrélé à la qualité de l’emploi (niveau de qualification de l’emploi, temps de travail, type de contrat, etc.), ces données renseignent sur le fait que seuls les immigrants économiques (demandeurs principaux) réussissent à rattraper le niveau des natifs. Après dix ans passés au Québec, un immigrant admis en 2006 gagne deux fois plus de salaires qu’un an après son arrivée, soit 30 700 CAD. Cette augmentation permet aux immigrants du Québec de toucher un salaire similaire à ceux vivant en Colombie-Britannique ou en Saskatchewan, pour un coût de la vie bien moindre. Cependant, la situation des immigrants économiques arrivés plus récemment ne semble pas s’améliorer. Alors que ceux admis en 2006 rattrapaient le salaire médian des 25-34 ans au bout de quatre ans, ça n’est plus le cas de la cohorte admise en 2011, qui n’a toujours pas atteint le niveau des 25-34 ans en 2016, soit cinq ans après. En prolongeant les tendances, il se pourrait que les immigrants économiques admis en 2011 ne rattrapent le niveau de salaire de l’ensemble de la population de 25-54 ans qu’au bout de neuf ans.
Les écarts de salaires entre immigrants arrivés il y a moins d’un an au Québec et natifs se confirment pour l’ensemble de la population immigrante (quelle que soit leur année d’arrivée). Ainsi, en 2016, le salaire médian de l’ensemble des immigrants de 25-54 ans ayant la résidence permanente est inférieur de 26 % à celui des natifs de même âge (31 000 CAD contre 41 800 CAD). Ce ratio est le plus élevé de tous les territoires et les provinces du Canada, où dans la plupart des cas le ratio est de 20 %, voire inférieur à 15 % dans la plupart des provinces maritimes.
Le Québec se doit d’offrir une qualité d’emploi et des conditions salariales similaires à celles des natifs s’il veut pouvoir rester attractif vis-à-vis des autres provinces du Canada, voire des États-Unis. La situation actuelle montre que les efforts du Québec, en relation avec la volonté des entreprises de ne recruter que des personnes ayant déjà eu une expérience au Canada, se tournent plutôt vers les résidents non permanents (étudiants et travailleurs temporaires sur place). Une expérience professionnelle réussie au Canada pour ces catégories (via un emploi ou un stage) est jugée par les acteurs institutionnels et les milieux d’affaires comme un premier test d’intégration. D’après plusieurs acteurs rencontrés, ce dernier serait plus susceptible de démontrer le potentiel d’intégration des immigrants que le niveau d’éducation, qui pesait près d’un tiers des points du système de sélection précédant celui de la déclaration d’intérêt. Les données salariales semblent confirmer ce changement d’attitude récent. Les immigrants économiques (non-étudiants) admis à la résidence permanente en 2006 après un permis de travail temporaire préalable ne disposaient en effet que d’un salaire médian de 34 700 CAD, soit un des plus faibles des provinces du Canada pour cette catégorie (seulement supérieur à celui de l’Ontario). Ça n’est plus le cas près de 10 ans plus tard. Car les immigrants économiques admis en 2015 dans ces conditions disposent désormais d’un salaire de 42 300 CAD, soit le salaire le plus élevé de toutes les provinces du Canada pour cette catégorie, alors même que le coût de la vie au Québec est toujours de 15 % inférieur à celui de l’ensemble du pays. Si le programme de l’expérience québécoise peut en effet permettre de conserver les talents potentiels nécessaires au marché du travail québécois, il ne peut devenir le seul moyen d’entrée permanent au Québec, sous peine de miner son propre système de sélection qualifiée. D’où les efforts nécessaires pour conserver un Québec attractif pour les immigrants.
Situation des immigrants sur le marché du travail dans les régions à l’intérieur du Québec
Les différents indicateurs présentés dans la section précédente pour le Québec cachent en fait des réalités très diverses selon la région de résidence. Les problématiques d’intégration des immigrants5 dans la région de Montréal sont ainsi bien différentes de ceux observés dans les régions de l’axe Montréal-Québec, dans celles de l’axe Montréal-Ottawa, ou encore dans les régions du Nord et de l’est les moins densément peuplés. Les données du recensement du Canada permettent d’obtenir des informations sur la population du pays à un niveau de détail très fin, permettant ainsi de mieux connaître l’insertion professionnelle à un niveau plus local6.
Résultats du marché du travail des immigrants dans les régions
Le taux d’emploi des immigrants de 25-64 ans varie grandement d’une région du Québec à l’autre. Moins de sept immigrants sur dix sont ainsi en emploi en Estrie, en Mauricie ou à Montréal, alors que cette part dépasse quatre sur cinq en Chaudière-Appalaches, au nord du Québec et en Lanaudière.
Mais au-delà du taux en lui-même, les écarts de taux entre immigrants et natifs sont également très variables. Le taux d’emploi des immigrants est ainsi inférieur à celui des natifs dans sept régions. Il s’agit des régions où la population immigrante est relativement moins sélectionnée que dans le reste du Québec (Estrie, Centre-du-Québec), mais aussi là où elle est la plus concentrée et sélectionnée : agglomération de Montréal, Montérégie, Capitale-Nationale. Au final, ces régions représentent près de 90 % des lieux de résidence des immigrants ! Le fait que les régions ayant l’immigration la plus sélectionnée soient celles pour qui l’insertion professionnelle des immigrants est la plus éloignée de celle des natifs confirme de nouveau que le processus de sélection est insuffisant pour apporter des garanties d’emploi aux nouveaux arrivants. C’est donc paradoxalement dans les régions où l’immigration est la moins importante (mais où réside tout de même un tiers de la population) que les immigrants sont le plus souvent en emploi, comparativement aux natifs. Dans les régions du nord et de l’est du Québec, par exemple, le taux d’emploi est supérieur d’au moins 5 points de pourcentage à celui des natifs.
Les taux d’emploi plus élevés des immigrants démontrent les opportunités d’emploi actuelles dans les régions vieillissantes, mais elles ne doivent pas occulter les difficultés d’intégration de cette population. Dans la plupart des régions, le taux d’emploi des natifs de 25-64 ans est plus faible, car une part non négligeable des 60-64 ans est déjà en retraite après 60 ans. De fait, les taux de chômage montrent que l’insertion professionnelle des immigrants est plus difficile dans la quasi-totalité des régions, à l’exception des trois régions les moins peuplées où le taux de chômage est globalement plus élevé (Nord-du-Québec, Côte-Nord et Gaspésie--Iles-de-la-Madeleine). En 2016, le taux de chômage des immigrants actifs de 15 ans et plus est supérieur de 30 % à celui des natifs dans huit régions du Québec. Ce taux est supérieur de 50 % à Montréal (11.1 % contre 7.4 % chez les natifs) et de 75 % supérieurs en Estrie (10.5 % contre 6 %). Même dans les régions où le chômage est déjà inférieur à 5 % en 2016 (Chaudière-Appalaches, Capitale-Nationale), l’accès à l’emploi des immigrants reste toujours plus difficile, ce qui confirme certaines réticences des employeurs à recruter ceux qui sont déjà sur place, pour toutes les raisons invoquées dans la section précédente.
Les femmes immigrantes sont par ailleurs encore plus touchées par le chômage, leurs taux étant même deux fois supérieurs à ceux de leurs homologues natives dans neuf régions, une fois encore les plus peuplées. À l’exception du Nord-du-Québec, ce taux est supérieur à celui des femmes natives partout au Québec. En parallèle de ce surchômage, s’ajoute une inactivité des femmes immigrantes particulièrement forte dans l’agglomération de Montréal et dans les régions où l’immigration est relativement moins sélectionnée (Estrie, Centre-du-Québec). En conséquence, le taux d’emploi des femmes immigrantes de 25-64 ans est inférieur d’au moins 9 points de pourcentage par rapport à celui des femmes natives. Un plus grand accompagnement ciblé sur les femmes immigrantes est nécessaire, notamment celles qui n’ont pas été sélectionnées par le système d’immigration (réfugiées, femmes rejoignant un résident du Québec, mais aussi épouses accompagnant les immigrants économiques).
Les différentes catégories d’immigrants ne font pas face aux mêmes difficultés dans toutes les régions
Les immigrants familiaux (parrainés par un résident du Canada) et les réfugiés font face, dans l’ensemble des régions, à des difficultés d’insertion professionnelle plus importantes que les immigrants économiques. En établissant un classement des régions par catégorie d’immigration selon différents indicateurs d’intégration sur le marché du travail, il s’avère que certaines régions font mieux que les autres pour certains groupes en termes de résultats d’intégration, mais pas pour d’autres.
Certaines régions (Nord-du-Québec, Centre-du-Québec, Bas-Saint-Laurent) affichent des taux de chômage des immigrants économiques plus faibles que la moyenne des régions7, alors que dans le même temps les autres catégories d’immigration se classent très mal par rapport à leurs homologues dans les autres régions. Ces régions moins densément peuplées semblent n’attirer que les immigrants économiques assurés d’avoir un emploi sur place, mais n’offrent pas les mêmes perspectives aux immigrants qui ne sont pas sélectionnés. Ces derniers n’ont pas nécessairement choisi leurs régions de résidence : les réfugiés réinstallés y ont été placés là dans l’optique de la répartition, et les immigrants familiaux ont rejoint leur conjoint déjà en emploi. Des solutions doivent être trouvées pour améliorer l’accès et l’efficacité des programmes d’aide à l’insertion professionnelle pour ces groupes dans ces régions, afin d’éviter de se retrouver dans des situations d’inégalités importantes entre catégories d’immigrants. C’est le cas dans le Nord-du-Québec, où le taux de chômage des immigrants économiques est nul, alors que celui des immigrants familiaux est le plus élevé des régions du Québec. C’est également le cas en Chaudière-Appalaches, où les difficultés d’accès à l’emploi ne concernent que les immigrants parrainés par la famille. La région affiche en effet un des plus faibles taux de chômage pour les catégories économiques et réfugiés (5 % au plus), mais un taux de 9 % pour les immigrants familiaux.
À l’inverse du constat précédent, dans cinq régions du Québec (Outaouais, Côte-Nord, Laval, Montréal et Gaspésie--Îles-de-la-Madeleine), le taux de chômage des immigrants économiques de 15 ans et plus est, par exemple, bien supérieur à la moyenne des régions, alors même que les taux des autres catégories d’immigration sont dans la moyenne de leur catégorie. À l’exception de Montréal, le taux de chômage des immigrants parrainés par la famille dans ces régions est similaire, voire légèrement supérieur à celui des immigrants économiques, alors que l’écart de taux entre ces deux catégories est de trois points de pourcentage en moyenne. La situation de la région de Montréal est à ce titre particulièrement problématique. Le taux de chômage des immigrants économiques dans la région est le plus élevé du Québec, alors que celui des autres catégories, bien qu’élevés, est néanmoins inférieur à celui observé dans des régions comme l’Estrie ou le Bas-Saint-Laurent. Ce constat confirme qu’une certaine partie des immigrants sélectionnés restent à Montréal dans une situation de chômage, alors que la situation de l’emploi semble meilleure dans les autres régions. Il est donc primordial, d’une part, de créer des opportunités et des incitations pour permettre à ces immigrants de quitter Montréal ; d’autre part, d’inciter les employeurs en région de faire appel à cette population sans emploi.
Quel que soit leur potentiel d’employabilité, les immigrants ont donc toujours plus de difficultés à trouver un emploi que les natifs du Canada. Le niveau d’éducation améliore les perspectives d’emploi des immigrés, mais dans une moindre mesure que chez les natifs, que ce soit pour l’ensemble de la province ou au niveau régional. Les immigrants ayant un haut niveau d’éducation sont ainsi moins en emploi que les natifs de même niveau dans les trois quarts des régions du Québec. Les écarts de taux d’emploi des 25-64 ans atteignent au moins 6 points de pourcentage en 2016 à Montréal, dans le Centre-du-Québec et en Estrie. Ces taux sont plus élevés pour les immigrants diplômés du supérieur dans quatre régions seulement : le Nord-du-Québec, Chaudière-Appalaches, Lanaudière et Bas-Saint-Laurent. Toutefois, les taux d’emploi des immigrants ayant un haut niveau d’éducation sont plus élevés dans ces régions, car très peu d’immigrants sont inactifs. Si l’on ne prend en considération que la population active, on observe que les taux de chômage des immigrants de 15 ans et plus ayant un haut niveau d’éducation sont supérieurs à ceux de leurs homologues natifs dans l’ensemble des régions du Québec (exception faite de la Gaspésie--Îles-de-la-Madeleine).
Ça n’est pas foncièrement vrai pour le groupe des immigrants ayant un faible niveau d’éducation, comme dans près de la moitié des pays de l’OCDE. Ces derniers sont plus souvent en emploi que les natifs de faible niveau d’éducation dans les trois quarts des régions, et sont même moins souvent au chômage dans deux tiers des régions (allant jusqu’à 2 points de taux de chômage de moins que les natifs en Mauricie, Chaudière-Appalaches et Laval). Les immigrants ayant un faible niveau d’éducation font moins bien que leurs homologues natifs dans quatre régions seulement : Estrie, Centre-du-Québec, Capitale-Nationale et Abitibi-Témiscamingue. Les immigrants et les natifs de faible niveau d’éducation n’en restent pas moins bien moins souvent en emploi que leurs homologues ayant un haut niveau d’éducation. Des politiques actives de réinsertion professionnelle sont nécessaires pour éviter une exclusion à long terme du marché du travail de ces populations, qui représentent moins de 15 % de la population du Québec de 25-64 ans.
Les difficultés d’insertion professionnelle des immigrants, comme mentionné dans la section précédente, s’expliquent en partie par les difficultés à faire reconnaître un diplôme étranger au Québec, autant par les institutions que par les employeurs. Un diplôme canadien est aux yeux des entreprises le garant de la qualité des compétences déclarées par un immigrant. Il n’est dès lors pas surprenant de constater que le taux d’emploi des immigrants ayant effectué des études supérieures au Canada est de 81 % pour le Québec, contre 73 % de ceux ayant étudié à l’étranger. Parmi la population immigrante ayant un diplôme du postsecondaire, avoir un diplôme canadien fait gagner en 2016 entre 1 point de pourcentage de taux d’emploi supplémentaire dans le Saguenay--Lac-Saint-Jean, jusqu’à 28 points de pourcentage en Gaspésie--Îles-de-la-Madeleine. Le taux d’emploi des immigrants de 25-64 ans ayant un diplôme du postsecondaire canadien dépasse même celui des natifs de même niveau d’éducation dans six régions : celles ayant le plus faible nombre d’immigrés, ainsi qu’en Chaudière-Appalaches et en Lanaudière. Les trois cinquièmes des immigrants du Québec étant diplômés de l’étranger, il est fondamental de faciliter la reconnaissance des diplômes pour ces derniers, afin de permettre aux immigrants sélectionnés de l’étranger pour leur potentiel d’accéder plus efficacement au marché du travail. Sans cette action, le Québec risque de créer un système à deux vitesses, entre des immigrants disposant de l’expérience québécoise déjà insérés et les autres.
Les difficultés d’insertion professionnelle s’expliquent également par un manque de maîtrise de la langue française. Les conséquences de l’impossibilité de communiquer avec la société d’accueil (et donc dans le monde du travail) sont particulièrement parlantes au sein du groupe des nouveaux arrivants. En 2016, moins d’un immigrant sur cinq arrivé depuis moins de cinq ans est en emploi lorsqu’il ne parle aucune des langues officielles du Canada (français et anglais). Dans les régions hors Montréal et sa couronne, l’accès à des cours de francisation est plus difficile, car ces cours ne sont financés que lorsqu’un certain nombre d’élèves est disponible (notamment celles sur le lieu de travail). Or, le nombre d’immigrants est parfois trop faible pour avoir ne serait-ce que cinq élèves du même niveau de langue. Les différents acteurs associatifs qui gèrent la francisation s’accordent sur le besoin d’une plus grande flexibilité dans les ententes entre les OBNL et le MIFI. Autoriser des formations pour des groupes en dessous du seuil nécessaire demandé par le MIFI pourrait s’avérer un investissement dont les résultats positifs sur l’économie locale dépasseraient les surcoûts préalables. Mieux former les professeurs à enseigner à plusieurs niveaux de langue différents, ou permettre un jumelage des moyens pourrait aussi limiter les coûts tout en maximisant l’investissement.
À l’inverse du taux d’emploi des nouveaux arrivants locuteurs de langues étrangères uniquement, le taux d’emploi parmi les locuteurs du français est de 59%. Les immigrants récents parlant uniquement le français ont le même taux d’emploi que ceux parlant exclusivement l’anglais (52 %) mais les données du recensement montrent surtout que le bilinguisme individuel constitue un net avantage dans l’économie du Québec. En effet, les immigrants récents parlant les deux langues sont 64 % à être en emploi au Québec. Si de manière générale, parler le français et l’anglais offre un avantage sur le marché du travail québécois, y compris chez les natifs, l’avantage pour les immigrants récents est plus important que pour les non-immigrants dans la majorité des régions.
Si différents acteurs locaux associatifs consultés parlaient de l’importance de la maîtrise de l’anglais pour s’insérer sur le marché du travail à Montréal, ces données montrent que la maîtrise du français et de l’anglais est fondamentale dans la quasi-totalité des régions. Dans les trois quarts des régions, parler les deux langues officielles donne un avantage d’au moins dix points de pourcentage de taux d’emploi par rapport aux locuteurs francophones uniquement. Ceci confirme que si l’offre de formation en francisation est nécessaire au Québec, l’apprentissage de l’anglais contribue à une insertion professionnelle maximale
L’apprentissage de la langue, la connaissance du fonctionnement du marché du travail, tous ces processus prennent du temps. Comme analysé dans la section précédente sur les salaires, il faut un certain nombre d’années pour qu’une personne immigrante soit susceptible de rattraper le niveau observé pour une personne native du Canada. Le taux d’emploi des immigrants récents (arrivés depuis 5 ans ou moins) dans l’ensemble du Québec est de 61 % en 2016 quand celui des immigrants installés (résidant au Québec depuis plus de 10 ans) est de 74 % et celui des natifs de 76 %. L’écart de taux d’emploi entre immigrants et natifs est donc significativement influencé par le plus faible accès à l’emploi des immigrants les plus récents. Par exemple, le taux d’emploi des immigrants récents est inférieur à celui des natifs de 25-64 ans dans la grande majorité des régions, à l’exception de certaines régions les moins peuplées (Côte-Nord, Gaspésie--Iles-de-la-Madeleine, Bas-Saint-Laurent et Saguenay--Lac-Saint-Jean). L’écart de taux d’emploi atteint plus de 20 points de pourcentage dans le Centre-du-Québec, l’Estrie et Laval. En contrepartie, les immigrants installés sont plus souvent en emploi que les natifs de même âge dans 11 régions. Dix ans de séjour sont néanmoins toujours insuffisants pour au moins arriver au même niveau d’emploi que les natifs en Estrie, en Mauricie, et dans l’agglomération de Montréal. À Montréal même, le taux d’emploi des immigrants installés est ainsi toujours inférieur de 6 points de pourcentage à celui des natifs.
La situation vis-à-vis du chômage reste par ailleurs problématique, quelle que soit la durée de séjour des immigrés. Les immigrés récents ont ainsi des taux de chômage supérieurs aux natifs dans presque toutes les régions, avec des écarts d’au moins 7 points de pourcentage dans les trois quarts d’entre elles. Même après 10 ans de résidence, les immigrants sont toujours plus souvent au chômage que les natifs dans les deux tiers des régions du Québec, concentrant 93 % de la population immigrante. Le taux de chômage des immigrants installés est toujours supérieur d’environ 2 points de pourcentage dans quatre régions : Estrie, Saguenay--Lac-Saint-Jean, Montréal et Centre-du-Québec.
L’offre de service de formation linguistique est proposée durant les cinq premières années de résidence au Québec, ce qui est une durée allant au-delà de la plupart des pays de l’OCDE. Ces différents résultats posent toutefois la question de leur efficacité et de savoir si cela est suffisant, notamment auprès des catégories de migration les plus vulnérables. Accroître le nombre de services d’aide à l’insertion professionnelle des immigrants de longue date pourrait donner à tous les immigrants de meilleures chances de pouvoir « rattraper » les résultats sur le marché du travail de leurs homologues natifs.
Le déclassement des immigrants est-il un problème dans toutes les régions ?
Les immigrants bénéficiant de programmes d’intégration sont bien conscients que leur intégration prendra du temps, car c’est un discours tenu par la plupart des acteurs impliqués, autant institutionnels qu’associatifs. Toutefois, comme mentionné dans la section précédente, certaines associations pensent que ce discours est parfois contre-productif, et pousserait les immigrants diplômés notamment à accepter des métiers ne correspondant pas à leurs qualifications, en attendant de trouver mieux. Or, plus la surqualification est longue, plus le retour à un emploi en rapport avec ses qualifications sera difficile.
Les données du recensement 2016 montrent que le problème du déclassement est tout aussi prégnant en régions que dans l’agglomération de Montréal. Parmi les personnes diplômées d’études postsecondaires, le taux de surqualification des immigrants est estimé entre 40 et 50 % dans les deux tiers des régions, alors que le taux des natifs est entre 26 et 32 %. L’écart de taux entre les deux groupes atteint au moins 17 points de pourcentage dans six régions : Lanaudière, Montérégie, Laurentides, Laval, Centre-du-Québec et Montréal. Seules les régions les moins peuplées affichent des taux de surqualification plus faibles pour les immigrants et des écarts plus faibles. Leur niveau de déclassement est similaire à celui des natifs en Gaspésie--Îles-de-la-Madeleine, et inférieur dans le Nord-du-Québec. Hormis dans ces deux régions, des programmes sont nécessaires pour aider les immigrants à atteindre des postes qui valorisent mieux leur potentiel. C’est notamment le cas pour les femmes immigrantes, dont le taux de surqualification est supérieur de 6.5 points de pourcentage à celui de leurs homologues masculins dans l’ensemble du Québec, voire de plus de 8 points de pourcentage dans la moitié des régions. L’accès à de tels programmes est plus difficile à justifier pour les résidents non permanents, bien que leurs taux de surqualification soient aussi extrêmement élevés, supérieur à 40 % dans cinq régions sur six, et à 50 % dans la moitié des régions. Ces taux sont suffisamment élevés pour que le déclassement ne concerne pas que les familles ou les demandeurs d’asile. Une partie des travailleurs temporaires recrutés de l’étranger avec un diplôme postsecondaire semble également occuper des métiers sous-qualifiés. D’après diverses consultations réalisées auprès d’acteurs locaux impliqués dans l’intégration, les immigrants sont surtout surqualifiés dans le secteur manufacturier, les services de santé ou sociaux, l’hébergement-restauration, ainsi que dans une moindre mesure dans le commerce et les services domestiques au particulier.
Face aux difficultés à accéder à un emploi correspondant à son potentiel, ou accéder à un emploi tout court, la création d’entreprise peut être une solution efficace. Le travail autonome (ou indépendant) donne un accès au marché du travail aux personnes sans emploi ou à un emploi de meilleure qualité aux travailleurs surqualifiés. Elle peut également, en cas de réussite de l’entreprise, créer des emplois pour d’autres, notamment au sein des mêmes communautés (OCDE/UE, 2015[9]). De plus, dans le contexte québécois de vieillissement du patronat, la reprise de ces entreprises par les immigrants peut s’avérer d’autant plus vitale pour l’économie québécoise.
La création d’entreprises reste un moyen relativement utilisé par les immigrants pour s’insérer sur le marché du travail au Québec. Parmi les personnes en emploi, 14 % des immigrants dans au Québec sont travailleurs autonomes, contre 12 % des natifs. Cette part atteint 19 % dans les Laurentides et en Gaspésie--Îles-de-la-Madeleine. Au final, la part de travailleurs autonomes est supérieure à celle des natifs dans toutes les régions, à l’exception des deux régions du nord du Québec. Les immigrants sont particulièrement plus souvent travailleurs autonomes que les natifs (part supérieure d’au moins 5 points de pourcentage) dans les Laurentides, à Laval, en Abitibi-Témiscamingue et en Gaspésie--Îles-de-la-Madeleine. Encourager les immigrants ayant des idées d’entreprises intéressantes via des programmes ciblés pourrait permettre de combattre et les difficultés d’accès à l’emploi, et le déclassement. Pour ce faire, il faut lutter contre les barrières inhérentes à leur situation, comme le manque de connaissance du monde de l’entreprise, les difficultés d’accès aux formations, les difficultés à avoir un prêt bancaire, absence de fonds propres ou de garants, les difficultés à accéder à des locaux (Lavison and Halabisky, 2019[10]). Face à la difficulté d’accéder à des locaux, un espace de travail partagé disposant de tous les outils digitaux de création et d’innovation pourrait être mis en place, à l’image du FabLab de l’association Terre des Hommes à destination des jeunes réfugiés en Grèce. Face aux difficultés financières, le Québec se doit de faciliter les prêts auprès des institutions financières compétentes, notamment dans les secteurs d’activité où les immigrés moins qualifiés disposent d’une expérience dans le pays d’origine (commerce, agriculture, artisanat). À ce titre, l’exemple italien du projet Dedalo est une bonne pratique dont le Québec pourrait s’inspirer. Faciliter la reprise d’entreprises déjà actives et rentables par des immigrants dans les régions, suite à la retraite du gérant, serait autant bénéfique à l’immigrant qu’à l’économie des régions en question, car souvent les gérants qui partent à la retraite ne pensent pas qu’un successeur soit disponible.
Encadré 3.2. Le projet d’aide à l’entrepreneuriat Dedalo en Italie
Créée par la confédération nationale des artisans et des petites et moyennes entreprises (CNA) en Italie, cette initiative permet aux entrepreneurs migrants d’accéder plus facilement aux crédits et microcrédits, à partir d’un consortium de garantie de crédits (Consorzio Fidi) qui se porte donc garant des prêts auprès des institutions bancaires. En parallèle de cette mission, le projet italien Dedalo offre un guichet permanent d’aide aux entreprises avec des services individualisés de support et d’accompagnement dans l’élaboration du projet, mais aussi après la création effective. Il continue ainsi à suivre les porteurs de projet pendant les débuts de l’entreprise pour éviter qu’elle prenne une mauvaise direction. Après deux ans d’existence, 85 % des startups soutenues par le projet sont toujours en activité.
Toutefois, le travail autonome, en fonction de l’espérance de vie de l’entreprise, n’est pas toujours synonyme d’une insertion professionnelle réussie. Le taux de survie des entreprises dépend de nombreuses caractéristiques du gérant comme le niveau d’éducation, les contraintes de crédit, la durée de séjour, la maîtrise de la langue, le type de clientèle, le statut légal, la connaissance des règlements ou encore la région d’origine (Breem, 2009[11]), (OECD, 2010[12]). Or les immigrants ont plus souvent des caractéristiques ayant des incidences négatives sur la survie des entreprises. De plus, une recherche d’Innovation, Sciences et Développement économique Canada montre également que les entreprises de petite taille survivent moins que les autres à moyen et long terme : après 10 ans d’existence, seuls 43 % des entreprises de 1 à 4 employés ont survécu, contre 57 % des entreprises de plus de 50 employés (Archambault and Song, 2018[13]). Or les immigrants sont également plus souvent gérants de petites entreprises (Green et al., 2016[14]). Les formations d’accès à l’entrepreneuriat au Québec sont de plus en plus suivies par des immigrants, mais les formateurs ne sont pas formés aux spécificités des problématiques de ce public, d’après de nombreux acteurs, ce qui influence négativement leurs chances de réussite. Il ne suffit donc pas d’encourager les immigrants à créer leur entreprise, il faut mieux les accompagner dans l’élaboration du projet, et continuer ensuite à les suivre. C’est ce que fait CNA au sein du projet italien Dedalo (Encadré 3.2). Un programme de ce type serait bénéfique aux immigrants ainsi qu’à l’ensemble de l’économie du Québec.
Différences salariales entre les régions
Les difficultés d’insertion des immigrants dans l’économie se confirment dans l’analyse des salaires. Alors que le salaire médian au Québec est un des plus faibles des provinces du Canada (voir section précédente), il est même inférieur à la médiane du Québec en 2016 dans 7 régions : Gaspésie--Îles-de-la-Madeleine, Saguenay--Lac-Saint-Jean, Centre-du-Québec, Mauricie, Estrie, Montréal et Bas-Saint-Laurent. Le salaire médian des immigrants est inférieur de plus de 10 % à celui des natifs dans 9 régions. Celui des résidents non permanents est encore plus faible : il est inférieur de 40 % dans les trois quarts des régions. Le salaire des immigrants ne dépasse celui des natifs que dans les deux régions du nord et en Lanaudière8. Seules ces trois régions sont particulièrement attractives pour les immigrants, car elles leur offrent un salaire médian supérieur à celui des natifs de l’ensemble du Québec.
Le problème d’attractivité du Québec du point de vue des salaires est donc un problème général dans presque toutes les régions. Ce souci est pire pour les nouveaux arrivants, qui commencent tout juste leur expérience professionnelle au Canada. Les immigrants arrivés depuis 5 ans ou moins ont un salaire médian de 40 % à celui des natifs dans la province. Ce ratio va de 50 % de salaire en moins chez les immigrants dans l’Outaouais et à Laval, à 15 à 20 % de moins en Abitibi-Témiscamingue et dans le Centre-du-Québec. Les régions du nord sont les seules à afficher des salaires médians supérieurs ou au moins égaux à ceux des natifs. Au même titre que pour l’accès à l’emploi, la maîtrise des langues officielles du Canada influence fortement le salaire des immigrants récents. Comme vu précédemment, la maîtrise du français exclusivement est insuffisante pour combler les écarts de salaires avec les natifs. Par contre, maîtriser l’anglais et le français réduit cet écart significativement, même si le salaire médian des immigrants récents reste au mieux inférieur de 15 % dans la majorité des régions. À ce titre, seuls le Centre-du-Québec, le Bas-Saint-Laurent et les Laurentides affichent des salaires relativement proches entre natifs et nouveaux arrivants francophones et anglophones.
Les niveaux de salaire plus faibles chez les immigrants sont au final d’autant plus problématiques que les perspectives de rattraper ceux des natifs, comme démontré au cours de la section précédente, sont lointaines. Après plus de 10 ans de résidence au Canada, les immigrants gardent des salaires médians inférieurs à ceux des natifs dans les deux tiers des régions, et de plus 10 % inférieurs dans 6 régions, dont Montréal et la Capitale-Nationale. En plus des trois régions pour lesquels les niveaux de salaire médian sont déjà supérieurs pour l’ensemble des immigrants, une durée de résidence de 10 ans permet aux immigrants de rattraper les salaires des natifs dans trois autres régions : Chaudière-Appalaches, Abitibi-Témiscamingue et Gaspésie--Îles-de-la-Madeleine, des régions une fois encore où la population immigrante est en nombre limité.
La faible part de l’immigration dans la population des régions où les salaires sont les plus élevés et les plus comparables à ceux des natifs semble concéder que le niveau de salaire n’est pas suffisant pour attirer cette population. D’après les différents acteurs impliqués, les immigrants ne sont pas conscients que les salaires sont souvent moins élevés, car le coût de la vie est moins élevé, une information qui n’est pas suffisamment bien diffusée. Les immigrants sont également plus en demande d’un cadre de vie agréable pour leur famille, incluant des infrastructures (notamment de transports) et des services qui sont plus difficilement disponibles dans les régions du Québec hors agglomération de Montréal. Les régions doivent donc améliorer la communication sur leurs avantages comparatifs vis-à-vis des plus grandes agglomérations, tout en investissant dans ce qui lui manque (les transports en particulier).
La rétention des immigrants dans les régions du Québec
Dans un monde globalisé où les pays sont en compétition régulière pour faire venir les travailleurs ayant un grand potentiel de compétences, la capacité à attirer, mais aussi retenir les populations immigrées et natives actives dans un pays ou une région montre son niveau d’attractivité. Dans ce contexte, alors que le Québec attire un grand nombre d’immigrants qualifiés annuellement, les faire rester est une mission plus délicate.
Toutes les régions du Québec sont moins attractives que la plupart du Canada, notamment pour la population immigrante
La liberté de circulation est garantie par la Charte canadienne des droits et libertés. Ainsi selon l'article 6 de la loi constitutionnelle, tout citoyen canadien et toute personne ayant le statut de résident permanent au Canada ont le droit entre autres, de se déplacer dans tout le pays et d’établir leur résidence dans toute province. À l’intérieur du Canada, le Québec est une des provinces/territoires qui a le plus de mal à conserver sa population d’âge active (15-64 ans). La migration nette interprovinciale9 (nombre d’entrées venant d’autres provinces/territoires – nombre de sorties vers d’autres provinces/territoires) est négative, c’est-à-dire qu’il y a plus de personnes de 15-64 ans qui partent que de personnes qui arrivent. Entre 2011 et 2016, le Québec a connu ainsi 28 000 sorties nettes d’habitants d’âge actif, dont la moitié d’immigrants. Avec une migration nette interprovinciale de -14 000 immigrants, le Québec est la province qui a perdu sur cette période le plus grand nombre d’entre eux sur l’ensemble du Canada. L’Ontario, malgré une population de 14.3 millions d’habitants (contre 8.4 millions pour le Québec) n’a perdu sur la même période que près de 7 000 immigrants partis vers le reste du Canada. Bien entendu, la migration nette n’a de sens que si on compare son niveau avec celui de la population. Cette section présentera majoritairement des quotients de migration nette, c’est-à-dire le ratio entre la migration nette et la population en début de période.
Entre 2011 et 2016, le Québec a ainsi connu la sortie nette vers le reste du Canada d’environ 2 % de sa population immigrante d’âge actif, alors que l’évolution nette de sa population native est stable. Près des trois cinquièmes des sorties nettes d’immigrants vers le reste du Canada se font vers l’Ontario. Le quotient de migration nette interprovinciale du Québec est plus faible que la plupart des provinces/territoires situés à l’est de ses frontières. L’Alberta est la province la plus attractive du Canada sur la première moitié des années 2010, avec une population immigrante d’âge actif en augmentation de 6 % par la migration en provenance du reste du Canada et une population native en augmentation de 2 %. Le Nunavut, territoire à la population immigrante très faible (500 personnes de 15-64 ans sur 20 000 habitants en 2011) connaît également une migration nette très positive de +29 %. L’Ontario et la Colombie-Britannique ont en contrepartie un quotient de migration nette quasi nulle pour les immigrants d’âge actif. Par contre, le Québec fait mieux que le Manitoba et l’ensemble des provinces maritimes, dont les quotients de migration nette pour la population immigrante d’âge actif vont de -4 % en Nouvelle-Écosse à -20 % dans l’Île-du-Prince-Édouard. Quels que soient les provinces ou territoires, les réfugiés sont la catégorie d’immigrants la plus mobile : leur quotient de migration nette est toujours plus important (qu’il soit négatif ou positif) que celui des immigrants économiques. Au Québec, les sorties nettes de réfugiés entre 2011 et 2016 vers le reste du Canada représentent 0.4 % de la population de cette catégorie, soit deux fois plus que pour les immigrants économiques.
Comme pour l’ensemble des indicateurs, le niveau de l’ensemble du Québec est fortement influencé par la Communauté métropolitaine de Montréal, qui concentre plus de 85 % de la population immigrante du Québec et la moitié de la population native. Toutefois, les données détaillées montrent que la migration interprovinciale nette de la population immigrante est négative pour l’ensemble des régions du Québec, à l’exception de l’Outaouais, qui bénéficie de sa proximité avec Ottawa pour attirer des travailleurs de la capitale fédérale s’installant dans la région à la recherche de conditions de logement plus abordable financièrement. La migration interprovinciale nette des natifs est également négative, mais à des niveaux bien moindres que pour les immigrants.
De fait, les régions du Québec ont connu entre 2011 et 2016 la sortie nette vers le reste du Canada d’au pire 0.3 % de leur population native par la migration nette interprovinciale, Laval (-0.4 %) et Montréal (-0.9 %) étant les seules à avoir connu des niveaux légèrement supérieurs. Par contre, à l’exception de l’Outaouais, les sorties nettes d’immigrants d’âge actif vers d’autres provinces du Canada correspondent à minima à environ 1 % de cette population dans chaque région. Le quotient de migration nette atteint -9 % en Abitibi-Témiscamingue, -7.5 % en Côte-Nord et -6 % en Estrie, mais est inférieur à -3 % dans la couronne de Montréal et en Chaudière-Appalaches. En Abitibi-Témiscamingue, les sorties nettes d’immigrants d’âge actif sont particulièrement importantes, alors même que les natifs ont connu une migration interprovinciale nette positive (plus d’entrées venant d’autres provinces que de sorties). Les régions les plus éloignées de Montréal sont donc celles qui subissent le plus la concurrence des autres provinces du Canada. Ces régions, qui sont souvent les plus touchées par les difficultés de recrutement actuel (Latraverse, 2019[15]), ne peuvent pas compter que sur le plein emploi pour conserver leur population immigrante. Ils doivent continuer leurs efforts pour offrir les meilleures conditions de travail (salaires, qualité de l’emploi…) autant pour l’immigrant qui arrive que pour son conjoint. En effet, l’échec de l’insertion sur le marché du travail des épouses suivant leur conjoint est souvent mis en avant par les acteurs associatifs comme une des raisons principales aux problèmes de rétention de ces régions. Mais au-delà de l’emploi, ces régions doivent aussi améliorer les conditions de vie offertes aux immigrants et à leurs familles (infrastructures éducatives, de santé, transports…), au sein d’une communauté aussi ouverte à la diversité que les autres provinces du Canada.
Ces sorties nettes d’immigrants d’âge actif se font principalement vers l’Ontario en Capitale-Nationale et à Montréal et sa couronne. Elles se font par contre plus vers d’autres provinces du Canada que la province de la capitale fédérale dans les régions plus éloignées des deux plus grandes agglomérations du Québec. Trois sorties nettes d’immigrants d’âge actif sur cinq sont des personnes ayant un diplôme universitaire dans l’ensemble du Québec, mais cette composition varie par contre grandement d’une région à l’autre. Dans les régions de Montréal, du Bas-Saint-Laurent, d’Abitibi-Témiscamingue et du Saguenay--Lac-Saint-Jean, les immigrants diplômés du tertiaire sont majoritaires dans les sorties nettes. Dans les deux dernières régions citées, les sorties nettes d’immigrants d’âge actif sont uniquement des diplômés du tertiaire, alors que la migration nette interprovinciale est nulle, voire positive pour les immigrants de même âge ayant un diplôme de niveau inférieur. La situation est donc particulièrement problématique dans ces régions en déficit ou en équilibre à faible compétence. À l’inverse, les immigrants moins diplômés représentent la majorité des sorties nettes des immigrants d’âge actif vers le reste du Canada dans les régions où le niveau de compétences est globalement plus faible, notamment celles situées sur l’axe entre Montréal et la Capitale-Nationale, ainsi qu’en Côte-Nord, Lanaudière et en Gaspésie--Iles-de-la-Madeleine. Dans cette dernière région et dans le Centre-du-Québec, les sorties nettes d’immigrants d’âge actif sont quasi exclusivement des personnes n’ayant pas de diplôme universitaire. Les autres régions, dont la Capitale-Nationale, où le niveau de compétences globales est élevé, ont connu entre 2011 et 2016 autant de sorties nettes d’immigrants d’âge actif ayant un diplôme universitaire que de ceux n’en ayant pas. Comparativement aux natifs qui quittent le Québec pour le reste du Canada, les immigrants qui partent sont plus souvent diplômés en commerce-gestion-administration publique, en architecture-génie et en mathématiques-informatiques.
Bien entendu, migrer vers d’autres provinces/territoires du Canada nécessite un niveau de langue anglaise suffisant pour s’insérer sur le marché du travail local. Ainsi, le quotient de migration nette interprovinciale des immigrants parlant l’anglais et le français est supérieur à celui des immigrants ne parlant que le français dans l’ensemble des régions, à l’exception toujours de l’Outaouais, pour les raisons invoquées ci-dessus Le quotient des immigrants locuteurs des deux langues officielles du Canada est au moins quatre fois supérieur à celui de leurs homologues parlant uniquement le français dans huit régions sur dix. Cela conforte les données de taux de présence publiées par le MIFI en 2017. Ces dernières montrent que 86 % des personnes immigrantes qui parlaient exclusivement le français à leur admission entre 2006 et 2015 sont toujours au Québec en janvier 2017, contre 73 % de celles ayant déclaré connaître le français et l’anglais, et 64 % de celles ne parlant exclusivement que l’anglais (MIDI, 2017[16]).Alors que connaître l’anglais et le français joue positivement sur l’insertion professionnelle des immigrants au Québec (voir section précédente), elle joue également négativement sur le maintien sur le territoire desdits immigrants. Néanmoins, l’effet positif sur l’accès à l’emploi semble dépasser l’effet négatif sur la rétention. Si tous les immigrants arrivés entre 2011 et 2016 savaient parler les deux langues officielles du Canada, il y aurait théoriquement 20 000 immigrants de plus en emploi au Québec que s’ils ne parlaient tous exclusivement que le français10. En contrepartie, le nombre de sorties nettes d’immigrants entre 2011 et 2016 serait théoriquement autour de 13 500 s’ils parlaient tous l’anglais et le français11.
Proposer des cours d’anglais dans le cadre du programme d’intégration est toujours théoriquement valable à partir du moment où cela ne se fait pas au détriment de l’apprentissage du français. S’assurer que les immigrants connaissent à la fois le français et l’anglais à leur arrivée ou qu’ils puissent corriger leurs lacunes dans les deux langues le cas échéant après leur installation pourrait améliorer in fine la rétention des immigrants au Québec. Par ailleurs, s’il n’est pas surprenant que les immigrants anglophones soient ceux qui partent le plus vers les autres provinces/territoires du Canada, le fait que les immigrants parlant uniquement le français aient connu également plus de sorties vers le reste du Canada que d’entrées démontre encore une fois le problème de rétention du Québec. Les conditions d’emploi et/ou de vie dans les autres provinces/territoires du Canada sont donc suffisamment attractives pour attirer même les non-anglophones !
Au moment où les régions du Québec veulent attirer de plus en plus d’immigrants pour combler les futures pénuries de main-d’œuvre, ces difficultés à retenir la population immigrante déjà sur place posent la question fondamentale du droit à la mobilité. En dehors des travailleurs temporaires, qui ne peuvent pas facilement changer d’employeur, les immigrants bénéficiant de la résidence permanente ont le droit de circuler librement sur l’ensemble du territoire canadien. Les souhaits de régions de résidence souhaitées au Québec ne sont pas contraignants. En somme, l’immigrant peut décider de s’installer où il le souhaite au Québec, et peut très vite changer de résidence pour partir vers une autre province, quand bien même le système de sélection québécois est indépendant du système de sélection dans le reste du Canada. Si le Québec ne souhaite pas limiter la mobilité à l’intérieur du Canada, il doit impérativement évaluer les conditions qui rendent ses voisins à l’intérieur du pays plus attractif que lui afin de mieux conserver les immigrants d’âge actif. Cela permettra au Québec de trouver les meilleures incitations pour que les immigrants restent sur le territoire, et notamment en région. En Australie, l’immigrant sélectionné a l’obligation de rester deux ans dans le territoire qui l’a choisi. À défaut de méthode contraignante, les régions, en faisant jouer les synergies entre la communauté d’accueil et le monde de l’entreprise, pourraient développer une offre avantageuse aux nouveaux arrivants (logements gratuits, primes financières, accès privilégiés à certaines infrastructures, etc.), à l’image de ce que font déjà certains employeurs en difficultés de recrutement pour attirer des travailleurs temporaires.
Migrations interrégionales : quelles régions attirent le plus ?
Malgré une migration nette des 15-64 ans négative vers les autres provinces/territoires du Canada, certaines régions du Québec réussissent malgré tout à faire croître leur population via la migration interne, grâce à un plus grand nombre d’entrées venant d’autres régions du Québec que de sorties. Encore une fois, ces mouvements sont bien plus prononcés pour les immigrants (comparativement à la taille de leur population) que pour les natifs. Les entrées nettes d’immigrants d’âge actif entre 2011 et 2016 représentent 4 % de la population immigrante en Outaouais, et jusqu’à 33 % dans le Nord-du-Québec, alors que ces deux régions ont perdu de la population native d’âge actif par la migration interrégionale au cours de la même période. Ces entrées nettes d’immigrants représentent également 8 % de cette population en Chaudière-Appalaches, contre 1% de la population native12. Enfin, la Capitale-Nationale et le Centre-du-Québec ont connu une migration interrégionale nette quasi nulle de leur population immigrante. Le Centre-du-Québec a en parallèle connu une migration nette interrégionale de +2 % de sa population native, ce qui montre que la région (Drummondville en tête) est attractive, et aurait donc des arguments à faire valoir pour attirer la population immigrante également. Bien identifier ces arguments et réfléchir à comment les adapter aux besoins spécifiques des immigrants pourrait peut-être permettre de développer un exemple de modèle d’attractivité pour le Centre-du-Québec, mais aussi pour les autres régions.
Hormis ces régions, ce sont surtout les régions proches de Montréal (Laurentides, Lanaudière, Laval et Montérégie) qui ont bénéficié le plus de la migration interrégionale, notamment de celle des immigrants. Ce résultat est ceci étant un trompe-l’œil. Cette migration est majoritairement le fait d’anciens résidents de l’île de Montréal qui viennent s’installer dans la grande couronne de Montréal tout en continuant à travailler sur l’île. La migration nette positive de résidents d’âge actif dans les régions de la couronne de Montréal ne correspond donc pas à une migration effective de travailleurs. Pour éviter cet écueil, nous présentons dans cette section des données de migration nette interrégionale pour l’île de Montréal, mais aussi pour l’ensemble de Montréal et sa grande couronne (incluant donc les quatre régions proches suscitées). En observant uniquement la migration nette entre Montréal et sa couronne et les autres régions du Québec, la migration nette des personnes d’âge actif s’avère en fait quasi nulle. Elle est en fait très légèrement négative pour les immigrants (-0.2 %) et très légèrement positive pour les natifs (+0.2 %). Globalement, Montréal et sa grande couronne n’attirent pas les immigrants des autres régions. La migration interrégionale n’aggrave donc pas les inégalités de répartition de la population immigrante entre la plus grande métropole de la province et les autres régions.
Il n’en reste pas moins que sept régions connaissent des sorties d’immigrants d’âge actif vers d’autres régions significativement plus élevés que les entrées, alors que l’évolution de la population native par la migration interrégionale est stable. Ces régions sont principalement celles où la population immigrante est déjà faible. L’Abitibi-Témiscamingue, le Bas-Saint-Laurent et la Côte-Nord ont ainsi perdu 10 % de leur population immigrante d’âge active nette à cause de la migration interrégionale. L’Abitibi-Témiscamingue est une des régions que les immigrants quittent pour rejoindre la couronne de Montréal. À l’inverse, les sorties nettes d’immigrants d’âge actif du Bas-Saint-Laurent ne rejoignent pas cette région, mais plutôt la Capitale-Nationale ou la Chaudière-Appalaches. L’Estrie, où la population immigrante est plus élevée, a aussi perdu 5 % de sa population immigrante d’âge actif, principalement vers la Capitale-Nationale et l’Outaouais. Les stratégies de déplacement de la population immigrante sont donc variables d’une région à l’autre, mais dépendent beaucoup de la situation de l’emploi et des conditions d’accueil dans les régions de destination. La Capitale-Nationale, mais aussi l’Outaouais, frontalier de la capitale fédérale, sont perçus comme plus ouverts aux personnes immigrantes, autant du point de vue des institutions que de la société civile.
Le niveau d’éducation des immigrants d’âge actif ayant effectué une migration interne au Québec varie selon la nouvelle région d’installation. La majorité des entrées nettes d’immigrants dispose d’un diplôme universitaire en Outaouais ou en Montérégie. Mais d’autres régions de la couronne de Montréal attirent plutôt des immigrants moins diplômés, qui représentent entre 55 et 66 % des entrées nettes d’immigrants d’âge actif dans les Laurentides, à Laval et en Lanaudière. Les régions qui ont perdu de la population immigrante entre 2011 et 2016 par la migration interrégionale, comme le Bas-Saint-Laurent ou la Côte-Nord, ont perdu essentiellement de la population ayant moins qu’un diplôme universitaire. Par contre, à l’instar de la migration nette vers les autres provinces/territoires du Canada, les sorties nettes d’immigrants d’âge actif sont exclusivement des immigrants diplômés universitaires en Abitibi-Témiscamingue et dans le Saguenay--Lac-Saint-Jean, alors que les deux régions connaissent en parallèle des entrées nettes d’immigrants ayant des diplômes inférieurs. Ces deux régions perdent donc leur population immigrante la plus qualifiée, une tendance qui peut s’expliquer par la composition des métiers dans ces régions. En Abitibi-Témiscamingue, par exemple, quatre emplois sur cinq ont un niveau de qualification moyen ou faible, d’après l’Enquête sur la population active. Les opportunités pour les immigrants diplômés universitaires semblent donc plus faibles. C’est l’inverse dans le Nord-du-Québec, dont les entrées nettes d’immigrants ayant ce niveau élevé de diplôme ont permis à cette population d’augmenter de 43 %, alors même que la population immigrante moins diplômée a diminué de 9 % sous l’effet des sorties nettes vers les autres régions du Québec.
Sans la migration internationale, le Québec verrait sa population active diminuer
Au final, dix régions du Québec ont perdu de la population active entre 2011 et 2016 sous l’effet de la migration intra-Canada, majoritairement à cause d’une plus forte migration nette vers les autres provinces et territoires du Canada. Si l’on ne prend pas en compte les migrations entre Montréal et les quatre régions de sa couronne, seules les régions Nord-du-Québec, Chaudière-Appalaches et Outaouais ont gagné de la population immigrante d’âge actif. L’Estrie, la Capitale-Nationale, la Mauricie, le Centre-du-Québec et la Chaudière-Appalaches ont pour leur part connu plus d’entrées de natifs d’âge actif que de sorties, en plus des régions Montérégie, Lanaudière et Laurentides, dans la couronne de Montréal. Ces sept dernières régions, ainsi que l’Outaouais, ont connu une migration nette d’âge actif positive ces cinq dernières années, immigrants et natifs confondus.
Les données les plus récentes sur le solde migratoire de l’ensemble de la population (immigrants et natifs) entre 2016 et 2017 confirment ces conclusions. Au final, en incluant la migration nette d’enfants et de retraités, sept régions du Québec ont perdu de la population via la migration intra-Canada en 2017 : Côte-Nord, Saguenay--Lac-Saint-Jean, Nord-du-Québec, Abitibi-Témiscamingue, Bas-Saint-Laurent, Laval et Montréal. Le Québec a une migration nette intra-Canada de -25 000 personnes, mais la migration internationale compense largement cette perte de population.
La migration internationale est en effet le principal moteur de la croissance de la population québécoise. Le Québec a ainsi reçu entre 2016 et 2017 53 199 personnes venant de l’étranger, mais n’a connu que 7 623 sorties vers l’étranger. À cette migration internationale nette de +45 576 s’ajoute le solde migratoire des résidents non permanents, estimés à +17 269 étrangers. L’ensemble des régions du Québec reçoivent au final au minimum deux fois plus d’entrées venant de l’étranger qu’ils ne connaissent de sorties vers l’étranger. Dans la majorité des régions, on observe au minimum cinq fois plus de flux d’immigration internationale que de flux d’émigration, voire dix fois plus en Estrie, à Montréal, en Outaouais et à Laval. En Estrie, Outaouais, Capitale-Nationale et Laval, régions qui attirent de la population des autres régions du Québec, la migration internationale nette (d’immigrants et de résidents non permanents) est malgré tout au moins deux fois plus forte que la migration interrégionale. À Montréal, la migration internationale nette (+42 500 personnes) compense largement la migration intra-Canada, qui est de -25 500 personnes en 2017. Par contre, bien qu’elle soit positive, la migration internationale reste insuffisante pour compenser les départs de population vers le reste du Québec et du Canada dans cinq régions : Côte-Nord, Saguenay--Lac-Saint-Jean, Nord-du-Québec, Abitibi-Témiscamingue et Bas-Saint-Laurent.
Le solde migratoire internationale disponible ne permet pas de distinguer la migration de personnes nées au Canada de celles de personnes nées à l’étranger. Il n’est donc pas possible de connaître la part d’émigrants internationaux qui sont des anciens immigrants. Les différentes données nationales des pays de l’OCDE (données administratives, recensement, enquêtes ménages), telles que celles collectées dans la base de données sur les immigrés dans les pays de l’OCDE – DIOC (OCDE, 2019[17]), se réfèrent quasi exclusivement au pays de naissance. On peut donc les utiliser pour estimer les natifs du Canada qui sont partis à l’étranger, mais pas les personnes nées en dehors du Canada qui sont parties à l’étranger après avoir vécu au Canada. Les pays de l’OCDE collectent aussi dans leur majorité le lieu de résidence antérieur. Les pays disposant de registres de population enregistrent ainsi le pays de résidence antérieur dès l’arrivée. Les autres pays questionnent le plus souvent dans des enquêtes ou recensements le lieu de résidence un an ou cinq ans auparavant, le lieu n’étant pas toujours détaillé. Ces données permettent donc parfois d’estimer les flux d’immigration internationale, quel que soit le pays de naissance de la personne. Mais cette collecte se réfère ici encore au pays exclusivement. On pourrait donc estimer le nombre de natifs et d’immigrants ayant quitté le Canada pour un autre pays de l’OCDE, mais on ne peut estimer ceux qui sont partis du Québec spécifiquement.
Néanmoins, l’enquête mondiale Gallup peut être utilisée afin d’estimer les souhaits d’émigration internationale au Québec pour les natifs et les immigrants. Bien entendu, un souhait n’augure pas nécessairement d’un départ effectif à l’étranger, mais il donne une idée des comportements de mobilité internationale selon le pays de naissance. D’après cette source, moins d’une personne sur dix interrogée au Québec entre 2011 et 2017 et ayant au moins 15 ans souhaitait déménager à l’étranger de manière permanente, si cela lui était possible. Cette part est dans la moyenne de celle observée dans l’ensemble du Canada pour les natifs. Elle est par contre plus faible pour les immigrants13 qui sont 10 % au Québec à souhaiter partir à l’étranger, contre 12 % dans l’ensemble du Canada. La part de souhaits d’émigration internationale chez les immigrants est une des plus faibles du Canada, seulement supérieur aux provinces des prairies. En comparaison, 13 % des immigrants résidant en Ontario et 16 % de ceux résidant en Colombie-Britannique souhaitent partir à l’étranger. Les immigrants au Québec ont donc moins tendance à être attirés par l’étranger que dans le reste du Canada. Ce constat vaut autant pour Montréal que pour le reste du Québec, alors que les souhaits d’émigration internationale sont plus élevés chez les natifs de Montréal que chez ceux résidant ailleurs au Québec.
D’après l’enquête mondiale Gallup, le principal pays de destination souhaité des immigrants est les États-Unis (avec 16 % des souhaits), suivi d’un groupe de pays où les opportunités de métiers qualifiés de l’informatique et du jeu vidéo sont relativement nombreuses (Suisse, Royaume-Uni, Japon avec 6 % des souhaits environ). Ces souhaits diffèrent fortement des natifs, qui, s’ils sont également attirés plus souvent par les États-Unis (17%), souhaiteraient également dans l’idéal émigrer un jour en France (8%) ou en Espagne (6 %). Néanmoins, il est intéressant de noter qu’un tiers des natifs souhaitant émigrer à l’étranger n’ont pas d’idées précises sur le pays souhaité, alors que ça n’est le cas que de 7 % des immigrants. Enfin, la principale différence régionale visible est que les immigrants résidant à Montréal ont plus souvent tendance à vouloir vivre dans des pays anglophones (États-Unis, Royaume-Uni, Australie) que ceux vivant ailleurs au Québec.
Au final, la part d’immigrants souhaitant déménager à l’étranger est une des plus faibles au Québec par rapport aux principaux pays d’immigration de l’OCDE. Si le niveau du Québec est comparable à celui de l’Australie dans son ensemble, il est bien inférieur à celui observé en Allemagne (17 %), aux États-Unis (18 %), mais surtout à celui de la France (26 %), du Royaume-Uni (41 %) et d’Italie (45 %). De plus, le Québec est une des rares régions où les immigrants ne souhaitent pas plus déménager à l’étranger que les natifs. Ces données, à défaut d’exprimer des départs réels, montrent bien que si le Québec est moins attractif que les autres provinces/territoires du Canada, notamment pour les immigrants, il reste plus attractif que les autres pays de l’OCDE ayant une forte présence immigrée, y compris les pays francophones ou anglophones.
Le problème global d’attractivité du Québec et ses régions
Des conditions salariales légèrement moins intéressantes, une surqualification importante, les différents indicateurs analysés dans les sections précédentes montrent que le Québec est moins compétitif sur de nombreux aspects pour la population immigrante que le reste du Canada. Ces différents éléments expliquent en grande partie les départs du Québec des immigrants vers le reste du pays. Si les immigrants semblent à l’inverse préférer rester au Québec que partir à l’étranger, il n’en reste pas moins que certains souhaitent partir à l’étranger et que ce nombre d’émigrants pourrait grossir si le Québec n’améliore pas ses capacités de rétention. À l’heure où les besoins de main-d’œuvre se multiplient, elle ne peut en effet se permettre de perdre de la population active, même une petite partie. Ce dernier constat vaut bien sûr pour l’ensemble de la population résidente, et non uniquement les immigrants. Cette section se propose de regarder le problème plus global d’attractivité du Québec et ses régions, car l’appel à l’immigration pour combler les besoins de main-d’œuvre ne peut être une réussite que s’il s’accompagne de mesures visant à renforcer la compétitivité de l’économie provinciale dans son ensemble.
Comment l’offre et la demande de compétences se conjuguent-elles pour favoriser la création d’emplois de qualité dans les villes et régions
Si l’obtention de compétences est un élément clé au niveau individuel pour l’accès à l’emploi puis pour progresser dans sa carrière professionnelle, elle est plus globalement fondamentale pour l’avenir même des entreprises, car c’est par les compétences que passent l’innovation et la croissance économique. C’est d’autant plus le cas dans les pays de l’OCDE, où la part de l’économie de la connaissance est de plus en plus importante, ce qui a entraîné ces trente dernières années de forts investissements dans l’éducation, afin d’accroître la part de la population diplômée du supérieur. La plupart des pays de l’OCDE, le Canada, et le Québec en particulier, en tête ont également basé leur modèle migratoire sur l’économie de la connaissance, en sélectionnant largement l’immigration par le niveau d’éducation. Comme montré au chapitre 1, près des deux tiers des immigrants de 15-64 ans au Québec ont un niveau d’éducation élevé, contre 45 % des natifs.
Néanmoins, attirer les talents de l’étranger et permettre à des générations de jeunes d’atteindre un niveau d’éducation supérieur n’est pas toujours suffisant pour garantir la création d’emploi et une meilleure productivité. L’ampleur de la demande de compétences, et la manière avec laquelle les employeurs locaux utilisent ces compétences, doivent également être prises en compte. Pour de nombreuses raisons, les entreprises peuvent faire une utilisation sous-optimale des compétences disponibles (Froy, Giguère and Meghnagi, 2012[18]). Certaines économies basées sur des secteurs à moindre valeur ajoutée peuvent ainsi ne pas avoir besoin d’utiliser tout le potentiel de compétences de leur population. Ce type de modèle entraîne une faible productivité, et en corollaire des salaires plus faibles et des emplois en moyenne de moindre qualité, notamment un fort déclassement quand l’offre de compétences de la population est forte. Dans ce cas de figure, investir dans le développement des compétences peut alors ne pas donner les résultats escomptés (OCDE, 2017[19]). À l’inverse, certaines économies peuvent encourager l’innovation, la recherche ou l’entrepreneuriat. Mais cette demande forte de compétences peut ne pas trouver de réponse auprès de la population si celle-ci ne dispose pas des compétences adéquates. Dans ce cas de figure, le développement économique ne réussira pas à atteindre les objectifs fixés par l’investissement initial. La prospérité d’un territoire dépend donc pour une large part de la capacité des acteurs locaux à favoriser un équilibre entre un haut niveau d’offre et de demande de compétences. Cette capacité peut être résumée par outil de diagnostic statistique, développé par le Programme LEED de l’OCDE (Encadré 3.3).
Encadré 3.3. Explication de l'outil de diagnostic
Le Programme LEED de l’OCDE a développé un outil de diagnostic statistique permettant d’évaluer la mise en adéquation entre l’offre et la demande de compétences. L’estimation du niveau de l’offre de compétences correspond au pourcentage de la population détenant un diplôme d’études postsecondaires. La demande de compétences est évaluée à partir d’un indice composite comprenant le pourcentage de la population occupant des emplois exigeant des compétences moyennes ou élevées et le produit intérieur brut par travailleur (comme approximation de la productivité). Les indices sont normalisés à l’aide de la méthode inter décile et comparés à la médiane des territoires inclus dans l’analyse comparative.
En fonction du niveau relatif de l’offre et de la demande de compétences, l’économie locale peut entrer dans l’une des quatre catégories suivantes : équilibre à faible niveau de compétences (où le niveau de l’offre de compétences ainsi que la demande sont relativement bas), déficit de compétences (où l’offre de compétences est relativement basse alors que la demande est relativement élevée), excédent de compétences (où l’offre de compétences est élevée et la demande faible) et équilibre à niveau élevé de compétences (où l’offre ainsi que la demande sont relativement élevées).
De plus amples renseignements sur la méthodologie sont disponibles dans (Froy, Giguère and Meghnagi, 2012[18]).
Dans la plupart des pays de l’OCDE, les grands centres urbains concentrent une part grandissante de la population ayant un haut niveau d’éducation, car ils proposent des emplois plus nombreux et variés, ainsi que des rémunérations plus importantes, ce qui permet aux diplômés de trouver plus facilement des emplois en rapport avec leurs compétences (OCDE, 2015[20]). Le Québec ne déroge pas à ce modèle. Comparativement au reste de la province, les régions situées dans un équilibre à haut niveau de compétences (avec une forte offre et demande de compétences) sont toutes situées dans des aires métropolitaines : la Capitale-Nationale, la grande couronne de Montréal (Montréal, Laval, Montérégie et Laurentides dans une moindre mesure), et l’Outaouais, situé dans la grande couronne de la capitale fédérale Ottawa. Bien que l’offre de compétences soit moindre que dans toutes ses régions, l’Estrie et le Bas-Saint-Laurent disposent également d’une population relativement plus diplômée que dans le reste du Québec, alors que ces régions, où l’emploi manufacturier est encore important, ont une demande de compétences relativement faible. Ces deux régions sont donc en excédent de compétences.
Les autres régions du Québec disposent d’une offre de compétence moindre parmi leur population. La situation de l’Abitibi-Témiscamingue est à ce titre particulière. En effet, sa population est relativement moins diplômée que dans le reste du Québec alors que la demande en compétence (niveau de qualification moyenne en particulier) dans la région est du même niveau qu’à Laval, par exemple. L’Abitibi-Témiscamingue est donc en déficit de compétences, alors que la région est une des plus touchées par les difficultés de recrutement et qu’elle est celle qui a le plus de mal à conserver sa population immigrante, notamment la plus qualifiée, comme l’a montré la section précédente. Les autres régions du Québec sont quant à elles dans un équilibre à faible niveau de compétences (offre et demande de compétences relativement faibles). C’est particulièrement le cas de la Gaspésie--Îles-de-la-Madeleine et du Centre-du-Québec. En tant que principal moteur économique du Québec, Montréal se place donc comme la région étant dans l’équilibre à plus haut niveau de compétences. Toutefois, alors que dans la plupart des pays de l’OCDE, les grandes agglomérations se distinguent nettement des autres territoires tant du point de vue de l’offre que de la demande de compétences, ça n’est pas le cas pour Montréal. Si la ville se distingue par le niveau d’éducation élevé de sa population, comparativement aux autres régions, la demande en compétences n’est pas significativement plus élevée qu’en Outaouais ou dans la Capitale-Nationale. Différents travaux de l’OCDE ont déjà montré le « paradoxe urbain » qui caractérise les grandes villes, avec d’un côté une population au capital humain élevé, et de l’autre des poches de pauvreté provoquées par la présence de chômeurs et de travailleurs peu rémunérés (OECD/China Development Research Foundation, 2010[21]). Montréal semble être dans ce cas de figure. Si le salaire moyen en 2016 est en effet le plus élevé de toutes les régions du Québec (CAD 42 700 contre CAD 38 400 en moyenne par région), le salaire médian est nettement inférieur (CAD 29 000 contre CAD 31 100). Ces données témoignent d’écarts importants de salaire au sein de la population montréalaise.
La position de Montréal en termes de compétences est au final moins positive que ce que sa position au sein du Québec laisse entrevoir, si on la compare avec les métropoles d’Amérique du Nord de population relativement comparable (entre 3.5 et 10 millions d’habitants). Relativement à ces métropoles, Montréal se trouve en effet dans un équilibre à faible niveau de compétences, à l’instar de Miami ou Détroit, aux États-Unis. La principale ville du Québec se caractérise par le niveau de demande de compétences le plus faible des agglomérations de taille similaire de la région. L’offre de compétences au sein de sa population, si elle est plus élevée que dans certaines métropoles des États-Unis, reste néanmoins également relativement plus faible que dans la plupart des métropoles nord-américaines. C’est notamment le cas face à Vancouver ou Toronto, au Canada, qui dispose d’une offre de compétences relativement élevée, alors que la demande de compétence y est relativement faible (ils sont donc en excédent de compétences).
Montréal étant le pôle économique du Québec, son positionnement relativement mauvais par rapport au diagnostic de compétences influence le niveau général de la province. En comparaison des autres provinces canadiennes et des états des États-Unis, le Québec n’est pas particulièrement attractif par sa productivité relativement basse et sa population relativement moins qualifiée. Le niveau général de compétitivité et de dynamisme économique du Québec dans son ensemble ne permet pas d’attirer les talents et les entreprises à forte valeur ajoutée autant qu’elle le souhaiterait. Elle produit en effet des compétences à un niveau très moyen ; et cette offre rejoint une demande en compétence de la part des entreprises qui est bien inférieure à la plupart des autres territoires d’Amérique du Nord. Au final, sa situation est plus enviable que la plupart des provinces maritimes voisines, qui sont dans un équilibre à faible niveau de compétences, au même titre que le Manitoba et les états du sud des États-Unis dont la Floride, la Louisiane ou le Mississippi. Elle fait également mieux que le Saskatchewan, Terre-Neuve-et-Labrador, l’Ohio ou même le Texas, qui sont en déficit de compétences. Mais le Québec est moins attractif que l’Ontario, la Colombie-Britannique et surtout l’Alberta. Par rapport aux moteurs de l’économie américaine comme New York, la Californie, le Massachusetts ou l’Illinois, qui sont dans un équilibre à haut niveau de compétences, le Québec se retrouve plutôt dans une situation comparable au Maine voisin.
Sortir du piège de l’équilibre à faible niveau de compétence
Le problème d’attractivité du Québec est en grande partie la conséquence d’un niveau de productivité structurellement faible. Une heure travaillée par une personne québécoise engrangera moins de richesse qu’une heure travaillée dans la majorité des pays de l’OCDE. Le Graphique 3.30 résume la valeur ajoutée brute (VAB) par travailleur au Québec et dans diverses régions et pays de l’OCDE. En 2015-16, avec une VAB par travailleur de USD 68 000 par an, le Québec s’avère être un des territoires sélectionnés les moins productifs, faisant mieux seulement que son voisin le Maine, aux États-Unis. La productivité du Québec est plus faible que dans n’importe quelle autre province du Canada, où la VAB peut atteindre près de USD 100 000 en Alberta, et est bien inférieure à la majorité des États des États-Unis (où elle atteint en moyenne USD 81 000 voire plus de 90 000 en Californie ou à New York). Si la productivité au Québec est plus forte que dans la majorité des pays d’Europe centrale et orientale (pays non représentés dans le graphique), elle est plus faible que partout ailleurs en Europe, avec une VAB par travailleur inférieure de USD 12 000 avec la France, par exemple. Si on compare le Québec avec des territoires de population relativement similaire en Europe, la productivité du Québec est toujours inférieure, la VAB par travailleur étant de USD 73 000 en Autriche, 77 000 dans la région française d’Auvergne-Rhône-Alpes, ou encore 81 000 en Suède.
Le Québec n’a toutefois pas toujours été en queue de peloton en termes de productivité. Au début des années 80, la productivité des travailleurs était supérieure à celle observée en Ontario ou au Royaume-Uni par exemple. Mais depuis lors, la croissance annuelle de la productivité est une des plus faibles de l’OCDE. Entre 1981 et 2017, la productivité du travail n’a ainsi augmenté que de 0.9 % par an, le niveau le plus faible avec celui de la Suisse et de la Colombie-Britannique (Deslauriers, Gagné and Paré, 2019[22]). Au cours de la même période, la productivité du travail a augmenté de 1.5 % tous les ans aux États-Unis, et de 1.7 % annuel dans plusieurs pays d’Europe, dont le Royaume-Uni, l’Allemagne, le Danemark et la France. La croissance annuelle de la productivité au Québec sur ces 37 dernières années est la plus faible de toutes les provinces du Canada, et s’avère être même deux fois moindre que celle observée en Terre-Neuve-et-Labrador, province ayant connu la plus forte croissance.
S’il est vrai que la structure de l’économie québécoise est plutôt basée sur des petites et moyennes entreprises (PME) dans des secteurs à faible technologie et valeur ajoutée, cet effet de composition n’explique qu’une petite partie de l’écart de productivité avec les autres provinces canadiennes. D’après le rapport 2018 du Centre sur la productivité et la prospérité de HEC Montréal (Deslauriers, Gagné and Paré, 2019[22]), la faible croissance de la productivité québécoise par rapport à l’Ontario entre 1997 et 2016 s’explique principalement par une moindre efficacité globale des entreprises québécoises (se traduisant par une plus faible productivité multifactorielle) et par une moins bonne qualité de la main d’œuvre. La troisième composante de la productivité, l’intensité capitalistique (le capital mis à disposition des travailleurs) a été au Québec supérieure à celle de l’Ontario pendant la période, sans cependant pouvoir compenser l’effet défavorable des deux autres facteurs. Elle a cependant été inférieure à la moyenne canadienne, tirée vers le haut en partie par l’investissement lié à l’exploitation de ressources naturelles en différents endroits du pays.
Cette faiblesse de l’apport technologique s’explique en partie par des investissements privés non résidentiels moins importants qu’ailleurs, et notamment en Ontario, et par des dépenses en Recherche-Développement faibles par rapport à la moyenne de l’OCDE (op. cit.). Elle pointe également vers une mauvaise utilisation des compétences des travailleurs dans le milieu de travail, avec un taux de déclassement élevé du Québec. La faible utilisation des compétences et son impact sur la productivité et la qualité des emplois ont été mis en exergue par d’autres études (OCDE, 2017[19]). Les dirigeants d’entreprises font relativement peu appel à la capacité de leurs employés de proposer des améliorations du processus de production ou de l’organisation du travail, qui pourraient se traduire par des gains d’efficacité et partant, à une plus haute valeur ajoutée, des salaires plus élevés et une plus grande satisfaction au travail. Comme les travaux de l’OCDE et d’autres l’ont montré, les politiques publiques peuvent jouer un rôle pour aider les entreprises à adopter une approche stratégique à long terme qui mise sur la contribution de la main-d’œuvre pour accroître l’innovation.
Mieux utiliser les compétences des travailleurs pourra jouer un rôle important pour favoriser une sortie du Québec et de ses régions de l’équilibre à faible niveau de compétences et en faire des territoires plus attractifs, pour les immigrants comme pour les natifs. Cela permettra en outre de démultiplier l’impact d’un rehaussement des compétences et des qualifications au Québec, qui représente un autre impératif. La jeunesse du Québec, comparée au reste du Canada et de l’OCDE, n’est pas assez qualifiée en sortie d’études et n’a donc pas les compétences nécessaires pour un rattrapage rapide des niveaux de productivité. Investir davantage dans l’éducation et dans la formation semble donc être primordial, et ceci autant pour les natifs que pour les immigrants.
Tout d’abord, il est important de relever le niveau des compétences transversales, qui sont de plus faible niveau au Québec. D’après l’enquête PIAAC, le score moyen de littératie des habitants y est de 275 points, contre 279 points pour l’ensemble du Canada. Seuls les Territoires-du-Nord-Ouest ont un niveau moyen de littératie plus faible que le Québec, alors que ce dernier dépasse 280 points en Ontario, en Nouvelle-Écosse, dans l’Île-du-Prince-Édouard et au Yukon. Les niveaux de numératie de la population québécoise sont également plus faibles que ceux du reste du Canada, mais dans une moindre mesure. De même, le niveau de résolution de problèmes en environnement technologique (RP-ET) n’est supérieur au niveau 2 que pour 34 % des natifs au Québec, contre 41 % pour le Canada, et 46 % en Ontario ou en Colombie-Britannique (Conseil des Ministres de l’Education (Canada), 2017[23]). Or un niveau élevé de RP-ET est nécessaire pour entrer de plain-pied dans l’économie de la connaissance.
Améliorer le niveau de compétences transversales de la population est nécessaire, mais ne sera pas suffisant pour résoudre le problème chronique de qualité des emplois au Québec. Car les compétences, déjà moindres, sont particulièrement sous-utilisées e. Avec 2.7 en moyenne sur 5 (voir la note du Graphique 3.34), le Québec est la province/territoire du Canada où les compétences à l’écrit sont les moins bien utilisées par la population d’âge actif sur leur lieu de travail. Le niveau d’utilisation est en moyenne de 2.9 au Canada, et peut atteindre autour de 3 en Colombie-Britannique, en Nouvelle-Écosse et en Alberta. Il atteint également ce niveau dans certains pays de l’OCDE comme l’Australie ou les États-Unis. Le Québec se situe dans le tiers inférieur des pays de l’OCDE en termes d’utilisation des compétences à l’écrit sur le lieu de travail. Par rapport aux principaux pays d’Europe représentés dans le Graphique 3.34, seule la population vivant en Italie et en France utilise encore moins bien leurs compétences dans leur emploi.
Le Québec risque de rencontrer une difficulté particulière pour accroître le niveau de compétence de sa population active. En raison du manque de main-d’œuvre, les employés ne se sentent pas menacés, donc l’appétence à acquérir des nouvelles compétences peut s’en ressentir et freiner la transformation technologique. Il est important de mettre en place une politique proactive visant à inciter les employés à se qualifier. Il est également important d’intégrer les politiques de développement des compétences à des mécanismes généraux de soutien aux entreprises (OCDE, 2015[24]). Pour se faire, les entreprises, notamment les plus petites, ont besoin d’assistance technique et de formations à la gestion afin qu’elles adoptent des méthodes de production et des services à plus forte intensité de connaissances (OCDE, 2017[19]). Une initiative comme celle de la ville de Montréal, PME MTL, mais à plus grande échelle, serait à ce titre un exemple sur lequel d’autres régions du Québec pourraient se baser. Les expériences de certains établissements d’enseignement (tels les Cégeps), qui ont développé pour les PME des diagnostics en matière de gestion des ressources humaines pour la promotion de l’utilisation des compétences, doivent également être renforcées. De manière générale par ailleurs, disposer de systèmes d’éducation et de formations professionnelles qui peuvent répondre de manière flexible aux besoins des employeurs est fondamental pour améliorer la productivité et la qualité des emplois. Dans le Michigan, aux États-Unis, le collège Delta, l’association de service de l’emploi Michigan Works et plusieurs employeurs de différents secteurs ont mis en place le programme de formation personnalisée « fast track ». Ce programme permet aux employeurs souhaitant développer un nouveau produit de disposer au plus vite d’une main-d’œuvre compétente pour le faire. La formation, qui peut aller de quatre à neuf mois, est élaborée en collaboration avec le collège Delta après établissement d’un diagnostic sur les critères de recrutement et les compétences visées.
D’autre part, trop peu de jeunes poursuivent leurs études après le niveau secondaire et celui du cégep, ce qui limite le potentiel d’innovation de l’économie québécoise. En 2016, la proportion de la population de 25 à 34 ans possédant un diplôme universitaire était de 35 %, et celle possédant un diplôme de second cycle universitaire minimum de 11 %, contre respectivement 44 % et 15 % en moyenne dans l’OCDE. Des moyens de relever ces niveaux de qualifications au Québec ont été identifiés précédemment (OCDE, 2014[25]). Il s’agit ici encore de flexibiliser les formations pour s’adapter aux besoins des jeunes en risque de départ prématuré du système scolaire. Il s’agit aussi de favoriser la coopération entre les Cégeps et les universités. Ces deux structures d’enseignement ont chacune leurs priorités et leurs objectifs pour attirer les étudiants. Les Cégeps n’ont pas seulement pour mission de favoriser la poursuite d’études supérieures auprès des jeunes pour lesquels un parcours universitaire serait utile. Le risque est dès lors de « bloquer » un certain nombre d’étudiants à un niveau d’éducation inférieur à leur potentiel. Le système d’enseignement québécois a besoin d’une plus grande continuité dans les parcours de formation, de meilleures informations sur les études universitaires et leurs débouchés, ce qui permettrait de préparer une plus large part de la population aux études supérieures (OCDE, 2017[19]).
Ainsi, de manière à favoriser non seulement l’attraction, mais aussi le maintien, des immigrants comme des natifs, dans les régions du Québec, il apparaît de mener une action ambitieuse qui permettra à la fois de relever les niveaux de productivité et de compétences, mais également de faire en sorte que ces compétences soient utilisées de manière plus optimale pour les entreprises. Dans le cadre d’une telle action, des synergies seront possibles avec les politiques d’intégration des immigrants, puisque ceux-ci possèdent des compétences particulières qui peuvent être mises à profit dans la poursuite de l’objectif d’améliorer l’efficacité des entreprises. Une telle action coordonnée pourra permettre d’accélérer l’innovation technologique, un défi majeur pour les entreprises du Québec à l’heure actuelle. Les sections suivantes se concentrent sur l’innovation technologique et sur ce que l’immigration pourrait lui apporter.
Le Québec est plus soumis aux risques amenés par les changements technologiques
La nature profonde du travail est en train de changer. Le progrès technologique et l’automatisation sont une chance pour les pays de l’OCDE qui pourrait permettre une amélioration profonde de la productivité du travail et pourrait créer de nouveaux modes de travail plus à même de convenir aux besoins des travailleurs, que ce soit en milieu rural ou urbain. Comme à chaque période de fort progrès technologique, des questions se posent toutefois sur l’impact que ce progrès pourrait avoir sur le marché du travail : combien d’emplois et quel type d’emploi seront disponibles à l’avenir (OECD, 2018[26]). Comme tous les autres territoires de l’OCDE, le Québec doit s’interroger sur les opportunités de transformation de son économie que l’innovation technologique va apporter, mais aussi sur les risques que cette innovation fait courir sur l’emploi.
En s’appuyant sur les travaux de (Frey and Osborne, 2013[27]), l’OCDE a analysé les risques d’automatisation par métier détaillé dans différents pays membres (Nedelkoska and Quintini, 2018[28]). À partir de cette méthode, l’OCDE est capable de définir la part des emplois ayant un risque significatif (50 à 70% de probabilité) et un risque élevé (plus de 70 %) d’automatisation. Mais toute évolution technologique a un impact différent sur les différents niveaux locaux, y compris à l’intérieur d’un même pays ou d’un même territoire. L’automatisation est en effet plus prégnante sur certains métiers ou dans certains secteurs. Or la distribution par métier et par secteur varie sensiblement à l’intérieur des frontières nationales (OECD, 2018[26]). En conséquence, un territoire concentrant une forte proportion d’emplois impliquant des tâches routinières sera plus soumis au risque d’automatisation de son économie, alors que ce risque sera plus faible dans un territoire avec une plus forte proportion d’emplois demandant des compétences particulières.
En 2016, 45 % des emplois au Québec risquent d’être automatisé à l’avenir, un niveau similaire à la moyenne de l’OCDE. Les emplois au Québec ont un risque d’automatisation significatif dans 30 % des cas, et un risque élevé dans 15 %. Le Québec est plus menacé par l’automatisation que le reste du Canada, le risque pour l’ensemble du pays étant de 42 %. Ce risque est également plus élevé qu’au Royaume-Uni (38 %), qu’aux États-Unis (37 %), et que dans les pays du nord de l’Europe (35 % en Suède par exemple). Comme expliqué dans le paragraphe précédent, le risque d’automatisation est très variable selon les régions du Québec. Les régions où le niveau de compétences est le plus élevé (Montréal, Capitale-Nationale et Outaouais) font mieux que les autres régions, mais conservent un risque d’automatisation des emplois (43 %) légèrement supérieur à celui du Canada en 2016. À l’autre bout du classement, un emploi sur deux environ est soumis au risque d’automatisation dans le Centre-du-Québec, en Côte-Nord et dans le Nord-du-Québec. Ce niveau est proche de celui de la France (49 %), mais reste inférieur à celui de l’Allemagne, où le niveau est le plus élevé d’Europe occidentale (54 %, dont 18 % de risque élevé).
Si le risque d’un changement structurel du marché du travail par l’innovation technologique dans les pays de l’OCDE est réel, les scénarios catastrophes parlant d’un futur proche avec un chômage massif d’origine technologique sont exagérés et restent lointains. Soit, des emplois vont être détruits, mais ils vont surtout être remplacés par d’autres types d’emploi, sur lesquels il faudra des compétences différentes. La réalité est que l’avenir de l’emploi dépendra largement des décisions politiques qui seront faites au niveau des pays (OCDE, 2019[29]). L’automatisation représente une opportunité pour le Québec, sa faible productivité et sa rareté de main-d’œuvre. Si le Québec ne prend pas des mesures pour automatiser les entreprises à faible valeur ajoutée, d’autres territoires de l’OCDE risquent de le faire, ce qui risque de jouer encore plus négativement sur son déficit de compétitivité. De bonnes politiques et de bonnes institutions en place permettront de saisir les opportunités que peut apporter le changement technologique, et de limiter les risques, afin que personne ne soit laissé de côté. Le Québec, comme tous les territoires de l’OCDE doivent agir maintenant en établissant un nouveau programme d’action qui permettra de remédier au déficit de compétences qui pourrait s’annoncer. Pour se faire, le développement d’un système efficace de formation tout au long de la vie qui ouvre de nouvelles perspectives aux moins qualifiés, ceux que l’automatisation menace en premier lieu, est une des pistes prioritaires à explorer afin d’améliorer la productivité et la compétitivité de l’économie. Il est plus que jamais important de disposer de ressources humaines possédant de bonnes compétences transversales ainsi que des qualifications de niveau élevé, au sein d’entreprises ouvertes à l’idée du changement et à celle de placer ses employés au cœur des processus d’innovation.
Comment l’immigration peut être un levier de l’innovation technologique à même d’améliorer la compétitivité des entreprises du Québec ?
Le changement technologique est donc inéluctable dans l’économie mondiale actuelle et est une nécessité dans le cas particulier du Québec, au vu de sa faible productivité. Si les risques inhérents à ce changement sont bien anticipés, l’innovation technologique pourrait être la clé d’un nouveau modèle de développement plus efficace pour le Québec. La province a une position privilégiée à de nombreux titres. Montréal est une ville qui attire les start-ups à fort potentiel et se place à la 35e place mondiale en investissement en capital-risque (Florida and Hathaway, 2018[30]). En parallèle, le Québec est susceptible d’attirer les talents de l’étranger et a tout intérêt à utiliser l’immigration comme levier de l’innovation, dans le but d’améliorer la compétitivité de ses entreprises.
Le Québec dispose en effet d’un système de sélection de l’immigration qui devrait lui permettre de faire venir les immigrants à même d’être les plus innovants. Les différentes sections de ce chapitre ont montré que ce système de sélection ne mène pas toujours aux gains économiques que l’on pourrait escompter d’une immigration aussi qualifiée. Les immigrants sélectionnés par le Québec ont encore trop souvent de difficultés à accéder à un emploi en rapport avec leurs compétences et leur potentiel n’est donc pas pleinement utilisé. Ce constat pose la question d’une mauvaise correspondance entre l’immigration sélectionnée et les besoins du marché du travail. Néanmoins, étant donné les changements technologiques dans lesquels les entreprises du Québec doivent investir pour améliorer significativement leur compétitivité vis-à-vis de l’étranger, une autre question fondamentale se pose. Est-ce vraiment le processus de sélection de l’immigration qui doit s’adapter aux besoins du marché du travail ou est-ce que le marché du travail (et donc l’économie québécoise) doit s’adapter au processus de sélection de l’immigration ? Ce processus a été développé afin de faire rentrer le Québec dans l’économie de la connaissance. Estimer que l’immigration ne correspond pas aux besoins du marché du travail revient à dire que le Québec n’est pas encore rentré pleinement dans l’économie de la connaissance. C’est notamment le cas dans de nombreuses régions, où le secteur manufacturier est encore important et relativement peu innovant. Tout en tentant de répondre au problème de rareté de main d’œuvre à court terme, pour lesquels des options sont possibles, le Québec doit choisir entre adapter ses besoins de main-d’œuvre étrangère à la réalité actuelle de l’économie ou utiliser l’immigration telle qu’elle est sélectionnée actuellement pour créer les besoins futurs de son économie. Cette deuxième solution passe nécessairement par la levée de l’ensemble des barrières discutées dans ce chapitre et qui empêche les immigrants, ainsi qu’une bonne partie des natifs, de faire jouer leur plein potentiel sur le marché du travail. Les immigrants peuvent être force de proposition au sein des entreprises et apporter l’innovation qui peut leur manquer pour accroître leur dynamisme, notamment dans les PME.
De nombreuses études montrent l’impact positif de l’immigration sur l’innovation. Dès le début du siècle, (Zachary, 2000[31]) considère que l’ouverture à l’immigration est la pierre d’achoppement de l’innovation et de la croissance économique. La diversité ethnique (comme composante de la diversité au sens beaucoup plus large) est un des facteurs clés de la croissance économique des États-Unis, car elle a un impact très positif sur l’innovation et le développement économique des villes et des aires métropolitaines (Florida, 2005[32]). (Hunt and Gauthier-Loiselle, 2010[33]) montrent également qu’aux États-Unis, une augmentation de 1 % de la part d’immigrants diplômés en STIM (science, technologie, ingénierie et mathématiques) entraîne un accroissement du nombre de brevets par habitant de 9 à 18 %. D’après une autre étude (Bahar, Choudhury and Rapoport, 2019[34]), doubler le nombre d’inventeurs étrangers peut apporter une augmentation du nombre de brevets comprise entre 25 à 50 pour les 200 pays étudiés. Une autre étude sur 200 régions européennes (Dohse and Gold, 2014[35]) montre de même un impact positif de la diversité migratoire sur l’innovation, jusqu’à un certain seuil optimal. Au-delà de la taille de l’immigration en elle-même, de nombreux travaux montrent en effet que la diversité en entreprise apporte ainsi de l’originalité et de la créativité, comme explicitée par l’hypothèse « de la force des liens faibles » (Granovetter, 2005[36]). Cette théorie démontre que les amis les plus proches (ceux qui nous ressemblent) appartiennent aux mêmes cercles, l’échange d’information se chevauchant dès lors en partie. À l’inverse, naviguer dans d’autres cercles permet d’accéder à d’autres connaissances. Si différentes personnes disposent de connaissances uniques, le partage de ces connaissances entraîne la mise en place d’une grappe de connaissance qui est un conducteur de nouvelles idées14. Corroborant cette idée, (Ozgen, Nijkamp and Poot, 2013[37]) montrent que dans les entreprises des Pays-Bas, la diversité d’origine des employés immigrés est corrélée positivement avec l’innovation. Au Danemark, la diversité influence aussi positivement la productivité des entreprises (Parrotta, Pozzoli and Pytlikova, 2014[38]). Le Québec devrait profiter de cet avantage à l’innovation étant donné le haut niveau de diversité de sa population immigrante (voir chapitre 2).
Bien entendu, certains travaux démontrent que l’impact de la diversité sur l’innovation est surtout prégnant dans les secteurs d’activité concentrant relativement plus d’immigrants qualifiés (Brunow and Stockinger, 2013[39]). (Bernstein et al., 2018[40]) démontrent ainsi que les immigrants très qualifiés aux États-Unis sont, d’une part, plus productifs que leurs homologues natifs, d’autre part, qu’ils créent des externalités positives influençant très positivement l’innovation des natifs. Une étude irlandaise démontre également que l’impact de la diversité migratoire sur l’innovation est bien positif sur l’innovation en termes de produits, mais serait négatif en termes de processus d’innovation (McGuirk and Jordan, 2012[41]).
Les différents travaux économétriques sur le sujet montrent dans leur majorité l’importance de la diversité sur l’innovation technologique et sur la productivité des entreprises, même si une étude canadienne sur le sujet serait utile pour valider ses arguments dans le contexte canadien. Selon toute vraisemblance, les entreprises du Québec, notamment les PME en région où la diversité migratoire est faible, voire inexistante, auraient donc tout intérêt à accueillir plus d’immigrants en leur sein. Il serait particulièrement utile pour les régions de mettre en place des stratégies régionales permettant d’identifier les déficits d’innovation, notamment dans le secteur manufacturier, et les compétences présentes à l’étranger qui permettrait de les résorber. Cela pourrait permettre la mise en place de partenariat entre régions ou groupement d’entreprises d’une région et d’autres pays du Monde afin de faciliter la mobilité internationale des individus ayant ces compétences.
Conclusion
Le Québec dispose d’une immigration sélectionnée ayant un des niveaux d’éducation les plus élevés de l’OCDE et une situation de l’emploi extrêmement positive, allant jusqu’à être proche du plein emploi dans certaines régions. Le Québec a des résultats d’intégration des immigrants souvent bien meilleurs lorsqu'on les compare à ceux d’autres régions et pays de l’OCDE. Pourtant, elle ne réussit pas à utiliser tout le potentiel de sa population immigrante. Presque toutes les catégories d’immigration ont des difficultés d’accès à l’emploi plus importantes que les natifs du Canada, y compris la catégorie des travailleurs, notamment leurs familles accompagnantes. Les immigrants les plus diplômés sont également moins en emploi que leurs homologues natifs de niveau d’éducation similaire, même si l’écart entre les deux groupes est bien moindre que celui observé dans les pays européens de l’OCDE, et relativement similaire à celui observé dans le reste du Canada. Ces difficultés interrogent sur le profil des immigrants dans : le processus de sélection du Québec correspond-il aux besoins réels du marché du travail ?
La question fait d’autant plus sens que même les immigrants qui accèdent à l’emploi ne peuvent utiliser leur plein potentiel. Le déclassement (surqualification) est en effet très important au Québec – un des plus élevés de l’OCDE – notamment chez les immigrants. Plus d’un immigrant ayant un niveau d’éducation élevé est ainsi surqualifié au Québec, contre un natif sur trois. Et si le phénomène est plus prégnant dans la couronne de Montréal, la surqualification touche les immigrants dans toutes les régions. Avoir un diplôme étranger est clairement une barrière à un emploi de qualité, notamment à cause d’une procédure de reconnaissance des diplômes trop longue et complexe, notamment pour certains métiers protégés. La reconnaissance n’est pas foncièrement prise au sérieux par les employeurs, qui ne prennent en considération que l’expérience professionnelle réalisée au Québec. Les entreprises, notamment les PME, ne sont pas bien formées à l’interculturalité et craignent en effet des difficultés d’insertion s’ils recrutent des immigrants. La maîtrise de la langue française est primordiale à une intégration réussie, mais celle-ci n’est pas toujours facile d’accès malgré une offre importante, notamment à cause des difficultés de transport, ce qui s’ajoute aux obstacles à l’emploi. Néanmoins, les données disponibles montrent que pour accéder à l’emploi, l’anglais augmente significativement le taux d’emploi, même dans les régions les plus francophones.
Ces problèmes d’insertion sur le marché du travail sont autant de problématiques à affronter qu’elles peuvent amener les immigrants à quitter le territoire québécois. Le Québec et ses régions ne sont pas compétitifs par rapport au reste de la région en termes de productivité et de qualité des emplois. Le Québec dans son ensemble dispose d’une offre et d’une demande de compétences plus faibles qu’un grand nombre de provinces du Canada et d’états des États-Unis. Le niveau d’éducation formel et de compétences transversales des résidents du Québec est encore trop faible par rapport au reste de l’Amérique du Nord, et les compétences sont en plus particulièrement sous-utilisées sur le lieu de travail. Le Québec n’est pas non plus compétitif en termes de salaire : les salaires des immigrants nouvellement arrivés sont les plus faibles de toutes les provinces du Canada, et ceci depuis plus de 10 ans. La productivité du travail est quant à elle une des plus faibles de l’OCDE, suite à des décennies de croissance très faible. Le Québec est en retard en termes d’innovation technologique ; or le changement technologique est un facteur de croissance économique jouant positivement sur l’attractivité. Résultat : les régions du Québec sont plus vulnérables au risque d’automatisation des emplois que le reste de l’Amérique du Nord.
Au moment de la réalisation de l’étude, les conséquences de ce déficit d’attractivité se ressentent déjà. Les régions du Québec, y compris la couronne de Montréal, ne réussissent pas à conserver leurs immigrants d’âge actif, qui préfèrent partir vers les autres provinces/territoires du Canada, plus compétitifs. C’est notamment le cas des immigrants les plus anglophones, mais l’effet positif du bilinguisme sur l’accès au marché du travail est plus fort que l’effet négatif sur la mobilité vers le reste du Canada. Les sorties du Québec vers le reste du pays sont également plus importantes que les entrées pour la population native d’âge actif, même si le phénomène est de moindre ampleur que pour les immigrants. Ce phénomène de migration nette négative est d’autant plus important dans les régions éloignées de l’axe Montréal – Capitale-Nationale, qui perdent de la population vis-à-vis de ces plus grandes agglomérations. Pour être elles-mêmes plus attractives, les régions du Québec doivent pouvoir diagnostiquer pourquoi les autres provinces du Canada sont plus compétitives. Toutefois, si la migration interprovinciale se fait au détriment du Québec, la situation face aux autres territoires d’Amérique du Nord, également plus compétitif, est loin d’être autant un souci. En effet, le Québec est un des territoires de l’OCDE que les immigrants souhaitent le moins quitter pour un autre pays : moins d’un immigrant sur dix souhaite aller s’installer à l’étranger, contre un sur six aux États-Unis et plus d’un sur cinq en France ou au Royaume-Uni.
De fait, le Québec a de nombreux attraits à faire valoir, et le nombre de candidats à l’immigration qu’il attire en est une preuve. Partant de ce constat, le Québec doit trouver des moyens pour utiliser l’immigration comme un levier de l’innovation technologique. L’immigration peut en effet permettre aux entreprises du Québec d’être plus compétitives à l’avenir, mais elle doit pour ça créer un écosystème permettant de mieux utiliser les compétences des immigrants et leur permettre un accès facilité à l’entrepreneuriat et à la reprise d’entreprises déjà existantes. Les déficits d’innovation dans certains secteurs sont là et doivent être identifiés à un niveau local afin de trouver les compétences à l’étranger qui permettraient de les résorber. Le Québec, qui devrait faire face dans les années à venir à certaines pénuries de main-d’œuvre, est à la croisée des chemins. Il peut adapter son système de sélection de l’immigration pour qu’il s’adapte mieux aux besoins actuels du marché du travail. Mais il peut aussi adapter son marché du travail à son système de sélection, qui se situe déjà au niveau de l’économie de la connaissance auquel il aspire.
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Notes
← 1. Dans cette section, le terme immigrant inclut toutes les personnes nées à l’étranger, quel que soit leur statut vis-à-vis du séjour (résidents permanents, temporaires).
← 2. Les demandeurs d’asile en cours de procédure ont accès au marché du travail au Canada.
← 3. La catégorie de l’expérience canadienne comprend majoritairement des immigrants ayant bénéficié du Programme de l’expérience québécoise, mais aussi certains ayant bénéficié du programme de l’expérience canadienne dans une autre province/territoire du Canada puis installé au Québec après-coup.
← 4. Dans cette section sur le salaire, seules les données sur les immigrants ayant un statut de résident permanent sont disponibles.
← 5. Dans cette section le terme immigrant inclut toute personne née à l’étranger qui a ou a déjà eu le statut de résident permanent (donc qu’il soit encore étranger ou qu’il ait été naturalisé citoyen canadien). Les résidents non permanents (travailleurs, étudiants, demandeurs d’asile, etc.) sont traités séparément de cette catégorie.
← 6. Les questions posées sur la situation professionnelle dans le recensement permettent d’approximer de manière assez proche les définitions des différents statuts d’emploi de l’Office international du travail. Les définitions qui s’appliquent aux données présentées dans cette section sont donc proches de celles de la section précédente, mais ne sont pas parfaitement comparables.
← 7. La moyenne présentée dans cette section n’est pas pondérée par la taille de la population immigrante. Chaque région a donc le même poids.
← 8. Environ un quart de la population de la Lanaudière réside dans la couronne de Montréal et travaille à Montréal (où les salaires sont en moyenne plus élevés). Les montants différenciés de salaire entre immigrants et natifs peuvent être le fait que la part d’immigrants résidant en Lanaudière et travaillant à Montréal est plus élevée que celle des natifs.
← 9. Les évolutions présentées ici ne prennent en compte que les évolutions de la population de 15 à 64 ans par la migration interne au Canada (migration nette interprovince). Elles ne prennent pas en compte l’évolution naturelle des populations (naissances et décès) ni la migration internationale. La migration nette à l’international est traitée en fin de section.
← 10. Estimation calculée en comparant le nombre d’immigrants récents en emploi s’ils bénéficiaient tous du taux d’emploi des immigrants parlant l’anglais et le français, avec celui s’ils avaient tous le taux d’emploi des immigrants parlant le français exclusivement.
← 11. Cette estimation est calculée en appliquant le quotient de migration nette interprovincial des immigrants parlant l’anglais et le français à l’ensemble de la population immigrante présente en 2011.
← 12. Cette mobilité nette positive peut être la conséquence d’un déplacement de population de la ville de Québec vers la ville de Lévis, proche géographiquement et moins coûteuse. Lévis fait partie de la Chaudière-Appalaches, mais une partie de sa population travaille dans la Capitale-Nationale.
← 13. Dans tous les résultats provenant de l’enquête mondiale Gallup, un immigré est une personne née à l’étranger, quelle que soit sa nationalité actuelle ou sa nationalité à la naissance.
← 14. Cette idée est d’autant plus valide pour l’intégration (Xue et al., 2008[45]). Plus le cercle de connaissances est diversifié, meilleure sera l’intégration des personnes immigrées.