Les études de cas et les entretiens réalisés pour cette publication témoignent des nombreuses réformes juridiques, politiques et institutionnelles en cours en Égypte, en Jordanie, au Maroc et en Tunisie pour soutenir l’autonomisation économique des femmes. Toutefois, ils soulignent également la complexité de la matrice des facteurs qui interviennent dans la mise en œuvre des réformes et dans leur capacité à produire un changement social. Ce chapitre revient sur les chapitres précédents du rapport pour mettre en évidence dix facteurs qui ont contribué au succès des initiatives décrites.
Changer les lois et éliminer les obstacles à l’autonomisation économique des femmes : Égypte, Jordanie, Maroc et Tunisie
6. Dix facteurs de réussite des réformes
Abstract
6.1. Introduction
Le rapport montre que les pays ont adopté des approches différentes pour aboutir à des réformes et s’assurer de leur mise en œuvre concrète. Dans certains cas, une stratégie claire était à l’origine de l’effort de réforme, tandis que dans d’autres cas, il s’agissait plutôt d’une approche par tâtonnements. Si les quatre pays ont procédé à des évaluations de leurs politiques publiques et/ou initiatives en matière d’autonomisation économique des femmes, une analyse détaillée de ces évaluations dépasse la portée du présent rapport.
Ce chapitre cherche à identifier certains des facteurs communs ayant contribué au succès des initiatives mentionnées dans les études de cas, les encadrés et l’analyse de ce rapport. La liste n’est pas exhaustive, et toutes les études de cas n’ont pas déployé l’ensemble des stratégies et mécanismes mentionnés ci-dessous. La liste fournit cependant des indications intéressantes aux décideurs politiques sur les « facteurs de succès » qu’ils peuvent choisir de privilégier pour garantir que les réformes se traduisent réellement par une plus grande égalité entre les hommes et les femmes et par des opportunités accrues pour les femmes. Le rapport présente les dix facteurs de succès suivants pour les réformes :
1. L’alignement sur les normes et les mécanismes de suivi internationaux
2. La création d’une base de données solide
3. L’échelonnement des politiques en vue d’une réforme juridique progressive
4. L’engagement politique au plus haut niveau
5. La ténacité dans le plaidoyer et le lobbying
6. Le soutien à la participation et au leadership des femmes
7. L’adoption d’approches multipartites et multisectorielles
8. Le renforcement des capacités et l’apprentissage par les pairs
9. La lutte contre les normes sociales restrictives et les stéréotypes
10. La garantie de mise en œuvre et du respect des règles
6.2. L’adhésion aux normes et aux mécanismes de suivi internationaux/régionaux
Il existe toute une série de normes internationales en matière d’égalité hommes-femmes et de droits des femmes appuyées par des mécanismes de suivi. Parmi les plus pertinentes pour la présente publication figurent la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW) et les normes internationales du travail de l’Organisation internationale du travail, qui sont toutes juridiquement contraignantes (Encadré 6.1). Un certain nombre d’instruments internationaux non contraignants juridiquement et de processus de dialogue favorisent également l’autonomisation économique des femmes, tels que les Recommandations de l’OCDE sur l’égalité hommes-femmes, l’Agenda 2030 pour le développement durable et les Objectifs de développement durable, ainsi que la Déclaration et le Programme d’action de Beijing qui ont été examinés dans le cadre de la Commission de la condition de la femme des Nations Unies.
CEDAW et conventions de l’OIT
Les études de cas confirment toutes l’importance de l’adhésion des pays aux principales normes et instruments internationaux, et ce pour plusieurs raisons :
Ces normes fournissent des points de référence ambitieux permettant de mesurer les progrès des pays en matière d’égalité hommes-femmes et d’autonomisation des femmes.
L’adhésion à ces normes ou leur ratification envoie un signal important de volonté politique en soutien à l’autonomisation économique des femmes et crée une dynamique de changement. Elle s’accompagne par ailleurs d’une obligation de mettre en œuvre les normes internationales au niveau national, ce qui implique aussi de procéder aux réformes juridiques nécessaires pour aligner les cadres juridiques nationaux sur ces normes.
Les États parties à ces normes doivent rendre compte des progrès réalisés dans leur application, ce qui permet de constituer une base de données sur l’état de l’égalité hommes-femmes dans le pays et de faire pression sur les gouvernements pour qu’ils améliorent leurs performances dans ce domaine. De plus, les organes qui examinent ces rapports sont une source de conseil pour les États parties sur la manière de réaliser de nouveaux progrès.
Les rapports d’avancement constituent également un outil de plaidoyer important pour de nouvelles réformes ; l’adhésion à une norme peut faciliter un soutien supplémentaire des Nations Unies pour mettre en œuvre cette norme.
Les études de cas indiquent que dans les quatre pays étudiés, la ratification de la CEDAW s’est avérée être une étape cruciale vers l’autonomisation économique des femmes. Les défenseurs des droits des femmes peuvent se référer à la CEDAW comme à une norme universelle des droits de l’homme qui a été acceptée par le pays et doit être mise en œuvre dans le contexte spécifique du pays. Cela permet de contrer les arguments concernant les valeurs et les normes « imposées par l’Occident ». Les dispositions de la CEDAW étant très complètes, les défenseurs des droits des femmes peuvent s’y référer lorsqu’ils font pression pour différents types de réformes en faveur de l’autonomisation économique des femmes. Les rapports réguliers des États parties sur l’état d’avancement de la CEDAW constituent également un moyen pour les défenseurs des droits des femmes de pousser les gouvernements à alimenter la base de données sur l’autonomisation économique des femmes, en rassemblant tous les types de données et d’informations disponibles. Les ONG des différents pays ont également publié des « rapports alternatifs sur la CEDAW », qui sont des rapports sur l’avancement de la mise en œuvre de la CEDAW du point de vue de la société civile. En outre, les entretiens menés pour les besoins de cette publication ont indiqué que les défenseurs des droits des femmes des quatre pays ont utilisé les observations finales de la CEDAW pour renforcer leurs campagnes en faveur de nouvelles réformes juridiques dans différents domaines liés à l’autonomisation économique des femmes. Par exemple, le comité de la CEDAW a exprimé son inquiétude quant aux niveaux élevés de violence envers les femmes dans tous les pays étudiés dans le cadre de cette publication1, ce qui a exercé une pression supplémentaire sur les pays pour les inciter à réformer leur législation (Encadré 4.4 et études de cas 4.5 et 4.6).
De même, les études de cas et les entretiens effectués pour cette publication ont montré que la ratification des conventions de l’OIT constitue une étape importante du processus menant à des réformes en faveur de l’autonomisation économique des femmes :
La ratification d’une convention est un signal important d’engagement envers le thème spécifique de la convention. Par exemple, la Jordanie est le seul pays couvert par la publication à avoir ratifié certaines parties de la Convention fondamentale de l’OIT sur la sécurité sociale (n° 102). La Jordanie a élaboré des politiques nationales de sécurité sociale cohérentes et s’est fermement engagée à étendre la sécurité sociale à tous, ce qui est visible dans les récentes réformes de sa législation en matière de sécurité sociale (Étude de cas 2.3).
Une fois qu’une convention est ratifiée, l’obligation pour les pays de transmettre régulièrement un rapport sur sa mise en œuvre permet de disposer d’une base de données sur les progrès réalisés et sur les éventuels goulots d’étranglement. L’obligation de transmettre un rapport d’avancement met également la pression sur les gouvernements pour qu’ils fassent des progrès.
Les commentaires de la Commission d’experts donnent des indications à un pays sur la manière de procéder. Ces commentaires constituent par ailleurs un outil de plaidoyer important pour faire pression en faveur de nouvelles avancées.
Une fois qu’une convention est ratifiée, les équipes de l’OIT dans les pays peuvent apporter un soutien important à sa mise en œuvre, ce qui peut impliquer des réformes juridiques ou autres initiatives en faveur de l’autonomisation économique des femmes. Par exemple, l’OIT a aidé la Tunisie et l’Égypte à mettre en place des institutions dédiées à l’égalité hommes-femmes au sein des organisations patronales afin d’améliorer les résultats des processus de négociation collective en matière d’égalité hommes-femmes (Études de cas 2.5 et 2.6).
Outre la ratification des conventions internationales, d’autres types d’engagements et de mécanismes internationaux se sont également avérés essentiels pour pousser à des réformes en faveur de l’autonomisation économique des femmes dans les quatre pays. Les Recommandations de l’OCDE sur l’égalité hommes-femmes, l’Agenda 2030 pour le développement durable ainsi que la Commission de la condition de la femme sont particulièrement pertinents.
Encadré 6.1. Les principales normes internationales en matière d’égalité hommes-femmes : la CEDAW et les conventions de l’OIT
Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW)
Les quatre pays ont ratifié la CEDAW1, qui est considérée comme la principale norme internationale consacrée exclusivement aux droits des femmes. La CEDAW est juridiquement contraignante, ce qui signifie que les États doivent refléter les garanties de la CEDAW dans leur cadre juridique national. Les pays qui ont ratifié la CEDAW doivent rendre compte régulièrement des progrès réalisés en vue de sa mise en œuvre. Les rapports d’avancement des pays sont ensuite examinés par le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes, qui émet des observations finales sur les rapports des pays. Ces observations notent les mesures prises par l’État partie pour mettre en œuvre la CEDAW et fournissent des conseils sur la manière de progresser davantage. Les observations fournissent des « conseils officiels » sur la manière dont la CEDAW devrait être mise en œuvre dans le contexte de chaque pays. Elles constituent également des outils de plaidoyer importants pour les militants de l’égalité hommes-femmes, qui peuvent ainsi faire pression en faveur de nouvelles réformes juridiques et d’autres mesures nécessaires dans leur pays.
La CEDAW s’accompagne d’un protocole facultatif. Ce protocole met en place une procédure d’enquête et une procédure de plainte. La procédure d’enquête permet au Comité de la CEDAW de mener des enquêtes sur les violations graves et systématiques des droits des femmes par les États parties. La procédure de plainte permet à des individus et à des groupes de femmes de déposer une pétition ou une plainte concernant les violations des droits des femmes auprès du Comité de la CEDAW. Sur les quatre pays étudiés pour les besoins de ce rapport, seuls le Maroc et la Tunisie ont ratifié ce protocole. Cependant, dans la pratique, les procédures d’enquête et de plainte n’ont jamais été utilisées dans ces deux pays.
Les conventions de l’OIT sur le travail
Les conventions de l’Organisation internationale du travail sont des traités internationaux juridiquement contraignants qui peuvent être ratifiés par les États membres ; leurs Recommandations ne sont, quant à elles, pas juridiquement contraignantes, mais elles fixent des normes visant à guider l’action des États membres. Les quatre pays étudiés ont tous ratifié les normes internationales du travail de l’OIT relatives à différents aspects de l’autonomisation économique des femmes. Ils ont tous ratifié la Convention sur l’égalité de rémunération (C100) et la Convention concernant la discrimination (emploi et profession) (C111), qui sont des conventions fondamentales de l’OIT. Les conventions fondamentales couvrent des sujets qui sont considérés comme relevant des principes et des droits fondamentaux au travail. Parmi les autres normes clés de l’OIT en matière d’égalité hommes-femmes figurent la Convention sur les travailleurs ayant des responsabilités familiales (C156) et la Convention sur la protection de la maternité (C183). La convention C156 n’a été ratifiée par aucun des quatre pays et le Maroc est le seul pays étudié dans ce rapport à avoir ratifié la convention C183.
Les pays ayant ratifié des conventions de l’OIT doivent régulièrement produire un rapport sur les progrès de leur mise en œuvre. Les rapports des gouvernements doivent être communiqués aux organisations syndicales et patronales qui peuvent alors également y apporter leurs contributions. La Commission d’experts de l’OIT examine ensuite ces rapports et formule des commentaires. Cette commission publie également un rapport annuel donnant un aperçu des progrès réalisés dans la mise en œuvre des normes internationales du travail.
1. Malgré les réserves émises par l’Égypte, la Jordanie et le Maroc sur certains articles de la CEDAW. Années de ratification de la CEDAW : Égypte 1981, Jordanie 1992, Maroc 1993, Tunisie 1985
Source : Protocole facultatif à la CEDAW (2015[1]), « Inquiry into access to contraception in Manila: CEDAW Committee finds that the Philippines violated CEDAW », https://opcedaw.wordpress.com ; OIT (2020[2]), Conventions et recommandations, https://www.ilo.org/global/standards/introduction-to-international-labour-standards/conventions-and-recommendations/lang--fr/index.htm.
Recommandations de l’OCDE sur l’égalité hommes-femmes
L’OCDE dispose de deux instruments juridiques sur l’égalité hommes-femmes : la Recommandation de l’OCDE sur l’égalité hommes-femmes dans la vie publique (2015) et la Recommandation de l’OCDE sur l’égalité hommes-femmes en matière d’éducation, d’emploi et d’entrepreneuriat (2013).
Cette dernière recommande d’adopter des pratiques qui favorisent l’égalité entre hommes et femmes en matière d’éducation, encouragent les politiques et les conditions de travail favorables à la vie de famille pour permettre aux pères et aux mères de concilier leurs horaires de travail et leurs responsabilités familiales, et aident les femmes à participer davantage au marché du travail dans les secteurs privé et public. Cette recommandation préconise également d’améliorer la représentation des femmes aux postes décisionnels, en supprimant les discriminations liées aux écarts de salaire entre hommes et femmes, en encourageant toutes les mesures nécessaires pour mettre fin au harcèlement sexuel au travail, en réduisant l’écart entre hommes et femmes dans l’activité entrepreneuriale, et en tenant compte des besoins particuliers des femmes issues de groupes minoritaires défavorisés et de l’immigration.
Bien que les recommandations ne soient pas juridiquement contraignantes pour leurs adhérents, elles possèdent une grande autorité morale. En d’autres termes, les adhérents sont censés s’efforcer de les mettre pleinement en œuvre. Les adhérents présentent régulièrement au Conseil de l’OCDE des rapports sur l’état d’avancement de leur mise en œuvre.
Les membres de l’OCDE et les pays partenaires peuvent adhérer aux recommandations de l’OCDE. Le Maroc est le seul pays de la région MENA à avoir adhéré à la Recommandation de l’OCDE sur l’égalité hommes-femmes en matière d’éducation, d’emploi et d’entrepreneuriat. L’OCDE soutiendra le Maroc dans la mise en œuvre concrète de cette recommandation dans le cadre de la deuxième phase du programme-pays Maroc de l’OCDE.
Agenda 2030 pour le développement durable
Adopté en 2015, l’Agenda 2030 pour le développement durable, qui comprend les Objectifs de développement durable (ODD), fournit un cadre pour aider les pays à mettre fin à toutes les formes de pauvreté, lutter contre les inégalités et s’attaquer au changement climatique, sans faire de laissés-pour-compte (ONU, 2015). Les ODD ont placé très haut la barre de l’égalité hommes-femmes et de l’autonomisation des femmes, l’ODD 5 visant à « parvenir à l’égalité des sexes et autonomiser toutes les femmes et les filles ». L’objectif de l’égalité entre les hommes et les femmes est par ailleurs intégré à l’ensemble de l’Agenda 2030 et considéré comme une condition préalable à la réalisation de l’Agenda 2030. Bien que les ODD ne soient pas juridiquement contraignants, les pays sont censés s’approprier l’objectif de réalisation des ODD. L’Égypte, la Jordanie, le Maroc et la Tunisie ont également accepté d’entreprendre des Examens nationaux volontaires (ENV)2. Bien que les ENV des quatre pays ne contiennent que des informations limitées sur l’égalité hommes-femmes et l’autonomisation des femmes, ils restent un outil utile pour suivre les progrès de chaque pays dans la mise en œuvre des ODD.
Les études de cas et les entretiens réalisés pour les besoins de cette publication indiquent que les processus d’élaboration des ODD, ainsi que les ODD eux-mêmes, ont été un levier important pour attirer davantage l’attention sur le programme d’autonomisation économique des femmes. Par exemple, en Tunisie, l’ODD 5.2 axé sur l’élimination de toutes les formes de violence à l’égard des femmes et des filles a donné l’impulsion nécessaire pour continuer à travailler sur le projet de loi global sur la violence à l’égard des femmes et des filles (Étude de cas 4.4).
La Commission de la condition de la femme et la Déclaration de Beijing
La Commission de la condition de la femme (CSW) est le principal organe intergouvernemental mondial exclusivement consacré à l’égalité hommes-femmes et à l’autonomisation des femmes. C’est une commission du Conseil économique et social des Nations Unies (ECOSOC). La CSW constitue une plateforme importante pour la promotion des droits des femmes et le suivi des engagements des ODD en matière d’égalité hommes-femmes et d’autonomisation des femmes. La CSW dirige également le suivi de la mise en œuvre de la Déclaration et du Programme d’action de Beijing, qui célébrera son 25e anniversaire en 20203. Les quatre pays couverts par la publication ont déjà soumis leur rapport d’avancement Beijing +25 (ONU Femmes, 2019[3]).
Les sessions annuelles de deux semaines de la CSW rassemblent différents types de parties prenantes autour d’une thématique qui change chaque année. Ces dernières années, les thèmes de la CSW ont porté sur différents aspects de l’autonomisation économique des femmes, tels que l’autonomisation économique des femmes dans un monde du travail en pleine évolution (CSW61) ; l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes et des filles en milieu rural (CSW62) ; et les systèmes de protection sociale, l’accès aux services publics et les infrastructures durables au service de l’égalité des sexes et de l’autonomisation des femmes et des filles (CSW63). Les quatre pays ont participé activement à la CSW en organisant différents événements parallèles. En 2019, l’OCDE a organisé un événement en marge de la 63e session de la CSW sur le thème « Changer les lois, changer les mentalités. L’autonomisation économique des femmes dans la région MENA », en collaboration avec SIDA, ONU Femmes, Oxfam Jordanie, CAWTAR et le ministère tunisien de la Femme, de la Famille, de l’Enfance et des Seniors, dans le cadre des travaux entourant cette publication4.
La participation des quatre pays à la CSW a été utile pour les réformes à différents niveaux. La CSW offre une plateforme unique de dialogue entre différents types d’acteurs, y compris la société civile, ce qui n’est pas toujours possible dans certains pays. La CSW donne également une visibilité aux réformes des pays au niveau international et montre l’engagement politique des pays participants à réaliser certaines réformes. Par exemple, les quatre pays ont organisé des évènements parallèles en marge de la CSW62 sur le thème « L’autonomisation des femmes et des filles en milieu rural ». Cette participation a pu contribuer à accroître l’intérêt porté à cette question dans la région MENA (voir la section sur les femmes des zones rurales au chapitre 3).
Normes régionales : du Protocole de Maputo à la Déclaration du Caire
Outre les normes internationales et les mécanismes de suivi, il existe également des normes régionales pour les droits des femmes. Le Protocole à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples relatif aux droits de la femme en Afrique, plus connu sous le nom de Protocole de Maputo, est un instrument juridique axé sur les droits des femmes africaines5. Le protocole a une approche très progressiste et oblige les États qui le ratifient à mettre en œuvre ses garanties. À ce jour, Tunisie est le seul pays d’Afrique du Nord couvert par le présent rapport qui a ratifié le protocole.
La Déclaration du Caire pour la promotion des femmes et la Stratégie arabe 2030 pour le développement des femmes, adoptées par la Ligue des États arabes (LEA), fournissent également des garanties importantes sur l’autonomisation économique des femmes. Ces documents ne sont pas juridiquement contraignants, mais la LEA doit rendre régulièrement compte des progrès accomplis dans leur mise en œuvre. Ceux-ci font également régulièrement l’objet d’examens et de discussions au niveau régional, principalement sous la direction de la Commission économique et sociale des Nations Unies pour l’Asie occidentale (CESAO) et/ou de la LEA.
6.3. La constitution d’une base de données solide
Les pays étudiés dans ce rapport n’ont cessé de connaître des changements politiques, économiques et sociaux depuis le Printemps arabe. La situation des femmes dans ces pays a également connu de profonds changements au cours de la dernière décennie. La réforme juridique peut être utilisée soit pour refléter les changements dans la société (ex post), soit pour produire des changements souhaités dans la société (ex ante). Dans les deux cas, il est important de documenter l’état actuel de la société qui nécessite une réforme juridique. Cela peut être fait en collectant des données quantitatives et qualitatives.
Les nombreuses études de cas réalisées dans les quatre pays indiquent que la constitution d’une base de données solide est essentielle pour défendre et garantir les réformes juridiques, politiques et institutionnelles. Par exemple, les rapports des OSC et d’organisations internationales documentant la situation difficile des travailleurs domestiques au Maroc ont constitué un point de départ important pour plaider en faveur d’une loi sur les travailleurs domestiques qui a fini par être adoptée (Étude de cas 3.1). Dans les quatre pays, des études sur les femmes dans les médias ont fourni des données probantes pour des réformes et/ou des initiatives en faveur d’un meilleur équilibre entre les sexes dans le secteur des médias (Section 5.3 du chapitre 5 et étude de cas 5.2). Si les quatre pays ont procédé à des évaluations de leurs politiques et/ou initiatives en faveur de l’autonomisation économique des femmes, une évaluation détaillée de ces évaluations dépasse le cadre du présent rapport.
Les pays ont beaucoup investi dans la collecte, l’analyse et la diffusion de différents types de données sur la situation des femmes. Les pays ont également amélioré leurs systèmes de données, recueillent de plus en plus de nouveaux types de données et impliquent une plus grande variété d’acteurs dans leur collecte et leur analyse. L’obligation faite aux pays de mesurer les progrès réalisés par rapport aux ODD a donné une forte impulsion à l’amélioration de la collecte et de l’analyse des données sur l’égalité hommes-femmes et l’autonomisation des femmes. Les données sont collectées par une variété de parties prenantes, y compris les gouvernements (Bureaux nationaux de statistique), les organisations internationales, les universités, les OSC (nationales et internationales) ainsi que le secteur privé.
Poussés par les demandes de la société civile et des partenaires internationaux, les gouvernements de la région MENA ont, ces dernières années, mis en œuvre un large éventail d’initiatives pour généraliser la collecte de données sur l’égalité hommes-femmes. Ainsi :
La Loi tunisienne sur le Conseil national de la statistique oblige tous les organismes statistiques du pays à ventiler leurs données par sexe.
L’Égypte, la Jordanie et le Maroc ont commencé à produire des rapports statistiques ventilés par sexe sur les questions socio-économiques.
Les bureaux nationaux de statistique (BNS) des quatre pays produisent une série de statistiques sur le travail et l’emploi, ventilées par sexe, qui sont fournies à ILOSTAT et disponibles auprès de cet organisme, à des fins de comparaison internationale.
Les études de cas montrent que les pays ont également commencé à collecter de nouveaux types de données pour plaider en faveur d’une réforme juridique visant à soutenir l’autonomisation économique des femmes. Un modèle d’évaluation du coût de la violence conjugale dans la région MENA (ONU Femmes/CESAO, 2017[4]) ainsi que des méthodologies de calcul du coût économique des inégalités entre les sexes de manière plus générale (OCDE, 2019[5]) ont ainsi été élaborés. Le fait de chiffrer les bénéfices en termes économiques qui pourraient découler de l’autonomisation des femmes est un outil de plaidoyer très puissant à l’appui de la réforme (Encadré 4.3 au chapitre 4). Récemment, des enquêtes ont été menées en Égypte, au Maroc (ONU Femmes/Promundo, 2017[6]) et en Jordanie (Banque mondiale, 2018[7]) sur les attitudes des hommes et des femmes à l’égard de l’égalité des sexes. C’est la première fois que ce type de données a été collecté dans ces pays, ce qui permet d’apporter des indications importantes sur la manière dont les normes et les attitudes sociales continuent de freiner l’autonomisation économique des femmes. Au cours de la dernière décennie, l’Égypte, la Tunisie et le Maroc ont également constitué une base de données sur la représentation des femmes dans les médias (Chapitre 5 et étude de cas 5.2). Les entretiens réalisés pour les besoins de ce rapport ont montré que la mise à disposition de ce type de données permettait de discuter de sujets sensibles et de briser les tabous autour de la violence envers les femmes.
L’amélioration des données sur l’égalité hommes-femmes dans les pays de la région MENA est également une priorité importante pour le Forum MENA-OCDE pour l’autonomisation économique des femmes (FAEF). Les recherches menées par l’OCDE en Égypte, au Maroc et en Tunisie dans le cadre de ce forum (FAEF ; encadré 6.4) indiquent que, malgré ces progrès, il existe encore des lacunes dans les données nécessaires pour mesurer les indicateurs des ODD liés à l’autonomisation économique des femmes. En effet, des données sont disponibles pour seulement la moitié des indicateurs des ODD sélectionnés6. Par exemple, les statistiques sur l’emploi informel sont quasi inexistantes, les données ventilées par sexe sur le nombre moyen d’heures consacrées au travail domestique rémunéré et non rémunéré sont limitées et sporadiques, et la part respective des hommes et des femmes employés à temps partiel n’est pas disponible pour tous les pays. La production par les services nationaux de statistique de données ventilées par sexe dans le domaine de la propriété des entreprises et du pourcentage d’entreprises détenues par des femmes, classées par taille, est également faible.
Alors que les gouvernements collectent régulièrement des données standard, il est nécessaire de collecter de manière plus régulière des données complémentaires prenant en compte le sexe par le biais d’enquêtes supplémentaires permettant une comparaison entre les pays et dans le temps. Les organisations internationales, dont la Banque mondiale et l’OCDE, soutiennent les pays dans ces efforts de collecte et d’analyse des données. Elles fournissent également des données et des analyses extrêmement utiles pour alimenter les bases de données des pays (Encadrés 6.2 et 6.3). Les OSC jouent un rôle unique dans la collecte de données au niveau local et complètent les données officielles du gouvernement. Le secteur privé partage également de plus en plus de données ventilées par sexe. Les gouvernements devraient davantage étudier les possibilités d‘exploiter les données du secteur privé. Par exemple, les gouvernements pourraient utiliser certaines des données produites par les entreprises sur le nombre d’employés féminins et masculins dans une entreprise donnée.
Les entretiens réalisés pour les besoins de cette publication ont clairement montré qu’il était crucial de diffuser cette base de données. Des informations erronées ont parfois été délibérément rendues publiques afin d’influencer négativement l’opinion publique sur la nécessité de nouvelles réformes en matière d’égalité hommes-femmes. Il a été rapporté que lors des débats parlementaires sur les réformes juridiques, une base de données solide pouvait contribuer à influencer les discussions afin de faire pression sur les parlementaires pour voter en faveur d’une réforme. Par exemple, l’organisation de la société civile jordanienne SADAQA a travaillé à l’élaboration d’une base de données solide en vue de modifier le Code du travail pour améliorer les options de garde des enfants. Ces propositions ont été traduites en loi grâce aux amendements au Code du travail adoptés en 2019 (Étude de cas 2.4).
Encadré 6.2. Initiatives internationales pour suivre les réformes et mesurer la discrimination
L’ensemble de données « Les femmes, l’entreprise et le droit » de la Banque mondiale suit les écarts entre les sexes et les réformes juridiques dans 190 pays, dont l’Égypte, la Jordanie, le Maroc et la Tunisie. Il contient des données comparables permettant de comprendre les obstacles juridiques auxquels les femmes sont confrontées dans l’accès à l’ emploi et l’entrepreneuriat. Il comprend également des données historiques sur les réformes juridiques remontant à 50 ans.
L’Indice Institutions sociales et égalité homme-femme (SIGI) de l’OCDE mesure la discrimination fondée sur le sexe en fournissant une vision plus claire de la manière dont les institutions sociales façonnent la vie des femmes. Le SIGI étudie les écarts que la législation, les normes et les pratiques sociales créent entre les femmes et les hommes en termes de droits et d’opportunités. Cet outil innovant permet aux décideurs politiques et aux praticiens du développement de mieux comprendre les obstacles à l’égalité hommes-femmes et d’identifier les facteurs à l’origine de formes persistantes de discrimination. Lancé pour la première fois en 2009, et renouvelé en 2012, 2014 et 2019, le SIGI a servi de base à une série de rapports analysant le niveau de discrimination dans les institutions sociales et les progrès réalisés en matière d’égalité hommes-femmes.
Source : Banque mondiale (2020[8]), Les femmes, l’entreprise et le droit, https://wbl.worldbank.org ; OCDE (2019[5]), SIGI 2019 Global Report: Transforming Challenges into Opportunities, Social Institutions and Gender Index, https://doi.org/10.1787/bc56d212-en.
6.4. L’échelonnement des politiques en vue d’une réforme juridique progressive
La réforme juridique est un processus lent et progressif. Ce processus n’est pas isolé mais s’inscrit dans le cadre des priorités politiques générales des pays en matière d’égalité hommes-femmes. Une perspective d’égalité des sexes doit également être intégrée aux stratégies économiques globales des pays.
Les efforts politiques à l’appui de l’autonomisation économique des femmes revêtent de nombreuses formes. Premièrement, les pays ont des stratégies spécifiques en matière d’égalité hommes-femmes. L’Égypte, la Jordanie et le Maroc disposent chacun d’une stratégie nationale dans ce domaine. La Stratégie nationale pour l’autonomisation des femmes égyptiennes 2030, la Stratégie nationale jordanienne pour les femmes 2020-2025 (en cours d’élaboration) et le Plan du gouvernement marocain pour l’égalité (PGE II) donnent des orientations générales sur les défis et les prochaines étapes à franchir pour garantir une meilleure égalité hommes-femmes et l’autonomisation des femmes dans le pays. La Tunisie ne possède pas de stratégie globale en matière d’égalité hommes-femmes. Les pays ont également adopté des stratégies d’autonomisation pour des groupes de femmes spécifiques, comme la stratégie et le plan d’action de la Tunisie sur les femmes de zones rurales.
Dans certains cas, le fait d’avoir d’abord mis en place une politique publique a fourni le levier nécessaire pour faire pression en faveur d’une réforme juridique. La mise en œuvre de la politique peut en effet fournir les preuves et les arguments nécessaires pour mener à bien la réforme juridique. Dans certains cas, la politique elle-même recommande explicitement une réforme juridique spécifique. Par exemple, la Stratégie nationale pour l’autonomisation des femmes égyptiennes 2030 (Encadré 4.1, chapitre 4) a servi de levier pour négocier la révision du droit de l’héritage égyptien (Étude de cas 4.2). Dans d’autres cas, la législation et la politique se complètent. Par exemple, le Cadre national jordanien de protection de la famille contre la violence (2016) et la Stratégie égyptienne sur la violence envers les femmes (2015) existent parallèlement aux cadres juridiques des deux pays sur la violence envers les femmes (Études de cas 4.5 et 4.6). Parfois, un certain type de cadre juridique est en place avant qu’un cadre plus contraignant ne soit publié. Ainsi, au Maroc, des circulaires ont été publiées pour recommander l’égalité d’accès à la terre des femmes et des hommes soulaliyates dans certaines communautés. Cette garantie a ensuite été inscrite dans une loi s’appliquant à l’ensemble du pays (Étude de cas 3.3).
Une autre approche consiste à tirer parti d’une réforme politique dans un certain domaine afin d’y intégrer les questions de genre. Par exemple, au Maroc, les réformes foncières générales ont permis de traiter simultanément des questions d’inégalité entre les sexes dans l’accès aux terres collectives (Étude de cas 3.3). En Jordanie, la réforme du système global de protection sociale a conduit à des réformes qui ont bénéficié particulièrement aux femmes (Étude de cas 2.3). Enfin, les stratégies globales pour les réfugiés en Jordanie en sont venues à inclure une composante de genre (Étude de cas 3.4).
6.5. L’engagement politique au plus haut niveau
Pour que les réformes se concrétisent, un engagement politique au plus haut niveau est nécessaire. Les chefs de gouvernement ou les chefs d’État peuvent soit créer une dynamique politique en faveur d’une réforme, soit profiter d‘une dynamique existante pour exprimer leur soutien à une réforme donnée sur l’autonomisation économique des femmes. Les pays couverts par la publication ont mis en place différents régimes politiques. Le Maroc et la Jordanie sont des monarchies constitutionnelles, dans lesquelles le roi, en tant que chef d’État, jouit de larges prérogatives politiques. Or, les rois des deux pays ont fortement soutenu l’autonomisation des femmes. L’engagement historique de la Tunisie en faveur des droits de la femme – illustré au moment de l’indépendance par les initiatives pionnières de feu le président Bourguiba – a été une caractéristique nationale permanente pleinement reconnue et prônée par la démocratie tunisienne dynamique aujourd’hui. Le régime présidentiel fort défini par la Constitution égyptienne a également permis des initiatives cruciales du gouvernement en faveur de l’égalité hommes-femmes et de l’autonomisation des femmes. Les études de cas montrent le rôle crucial joué par les chefs d’État des quatre pays pour faire avancer les réformes juridiques à l’appui de l’autonomisation économique des femmes. Ce type de « féminisme d’État » a souvent constitué un facteur très important pour faire aboutir les réformes, en particulier dans des contextes où les autorités religieuses et les mouvements politiques d’inspiration religieuse n’étaient pas nécessairement favorables à une telle orientation.
Ainsi, en Jordanie, le roi Abdullah II bin Al-Hussein a soutenu les récentes réformes du Code du travail en faveur de l’autonomisation économique des femmes, notamment en ce qui concerne l’aménagement du temps de travail (Encadré 2.2). De même, c’est sous la direction de feu le président tunisien Beji Caid Essebsi que le rapport de la Commission des libertés individuelles et de l’égalité (COLIBE) a été commandé et le président aujourd’hui décédé a apporté son soutien à la recommandation de la Commission sur l’égalité en matière d’héritage (Étude de cas 4.1). Le président égyptien Abdel Fattah El Sisi a, quant à lui, proclamé 2017 Année de la femme égyptienne, au cours de laquelle a été publiée la Stratégie nationale pour l’autonomisation des femmes égyptiennes 2030 (Encadré 4.1). Le président El Sisi a également soutenu la réforme juridique visant à protéger les droits des femmes en matière d’héritage (étude de cas 4.2). Enfin, le roi du Maroc Mohammed VI a soutenu les réformes juridiques sur l’égalité d’accès à la terre pour les femmes soulaliyates (Étude de cas 3.3). Un soutien de haut niveau a également été nécessaire pour l’adoption des récentes réformes sur la violence envers les femmes dans les quatre pays étudiés (Chapitre 4).
Les chefs d’État ont le pouvoir de faire adopter certaines réformes juridiques sans passer par le Parlement. Par exemple, feu le président tunisien Caid Essebsi a demandé au gouvernement d’annuler une circulaire et tout autre texte juridique similaire interdisant aux femmes tunisiennes d’épouser des non-musulmans (Encadré 4.2). Le soutien d’autres types de personnalités de haut niveau pour la mise en œuvre de réformes juridiques en faveur de l’autonomisation économique des femmes produit également de bons résultats. En Égypte, les déclarations d’Al-Azhar (la plus haute autorité religieuse du pays) et de Dar Al-Ifta (institut de recherche islamique) contre le harcèlement et les mutilations génitales féminines ont été prises en compte par la société (Études de cas 4.4 à 4.7).
Les quatre pays disposent de ministères et/ou de structures semi-gouvernementales (structures faisant partie du gouvernement mais disposant d’une certaine autonomie) chargés de renforcer l’égalité hommes-femmes et l’autonomisation des femmes (Tableau 6.1). Dans la plupart des cas, ces organes ne sont pas très puissants au sein du gouvernement et ne disposent pas de budgets importants. Le soutien au plus haut niveau politique en est donc d’autant plus important.
La Tunisie et le Maroc ont mis en place des ministères chargés des affaires féminines. Le ministère tunisien de la Femme, de la Famille, de l’Enfance et des Seniors ainsi que le ministère marocain de la Solidarité, du Développement social, de l’Égalité et de la Famille travaillent sur l’autonomisation économique des femmes, en plus d’autres questions sociales. L’Égypte et la Jordanie possèdent une structure double. D’une part, il y existe des ministères à vocation sociale, qui traitent également des affaires relatives aux femmes. D’autre part, on trouve des institutions semi-gouvernementales qui ne travaillent que sur l’égalité hommes-femmes et l’autonomisation des femmes. L’Égypte possède à la fois un ministère de la Solidarité Sociale et un ministère de la Famille et de la Population. En Jordanie, le ministère du Développement social couvre également les questions liées à l’autonomisation économique des femmes. Outre ces ministères, le Conseil national des femmes égyptiennes (NCW) et la Commission nationale jordanienne pour les femmes (JNCW) définissent les priorités de réforme du pays et dirigent le programme national d’égalité hommes-femmes et d’autonomisation des femmes. Le Conseil national des femmes égyptiennes a été créé par décret présidentiel en 2000 et se compose de 30 membres issus du gouvernement, du milieu académique et de la société civile. La composition du conseil reflète sa relation étroite avec l’État : son premier président était Suzanne Mubarak, épouse du président Hosni Mubarak. De même, en Jordanie, la Commission nationale pour les femmes, initiée et dirigée par S.A.R. la princesse Basma Bint Talal, est un organisme semi-gouvernemental qui défend et promeut l’égalité hommes-femmes et l’autonomisation des femmes. Elle a été créée par décision du Cabinet en 1992 et a depuis été reconnue comme l’autorité en matière de questions féminines dans le secteur public jordanien, tout en représentant le royaume aux niveaux régional et international pour les questions relatives aux femmes.
Tableau 6.1. Institutions nationales dédiées à l’égalité hommes-femmes et à l’autonomisation des femmes
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Institution nationale dédiée à l’égalité hommes-femmes |
Ministère des affaires féminines |
Autres ministères ayant un mandat social |
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Égypte |
Conseil national égyptien des femmes (NCW) |
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Ministère de la Solidarité sociale Ministère de la Famille et de la Population |
Jordanie |
Commission nationale jordanienne pour les femmes (JNCW) |
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Ministère du Développement social |
Maroc |
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Ministère de la Solidarité, du Développement social, de l’Égalité et de la Famille |
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Tunisie |
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Ministère de la Femme, de la Famille, de l’Enfance et des Seniors |
Ministère des Affaires sociales |
6.6. La ténacité dans le plaidoyer et le lobbying
Presque toutes les études de cas indiquent que le plaidoyer7 et le lobbying8 ont été essentiels pour parvenir aux réformes juridiques en faveur de l’autonomisation économique des femmes. Dans certains cas, ces efforts ont dû être maintenus pendant des décennies pour produire des résultats.
Comme illustré dans les études de cas, diverses activités de plaidoyer et de lobbying sont menées pour faire pression en faveur de certaines réformes tout au long du cycle législatif. Il s’agit notamment de constituer une base de données pour appuyer une certaine réforme, puis d’utiliser ces informations pour faire campagne en faveur du changement. Une fois qu’un projet de loi est en cours d’élaboration, les parlementaires peuvent faire l’objet de pressions pour voter en faveur de la réforme. Lorsque la loi est approuvée, une action de plaidoyer peut s’avérer nécessaire pour sa mise en œuvre (Chapitre 5).
Le plaidoyer et le lobbying doivent transmettre les bons messages aux différents publics, ce qui implique que les arguments et les données probantes en faveur de la réforme soient reformulés en conséquence. Les OSC des quatre pays ont utilisé toute une série d’approches et de techniques de plaidoyer et de lobbying. Par exemple, en Tunisie, la Journée nationale de la femme représente une occasion importante lors de laquelle le président prononce toujours un discours dans lequel il discute ou annonce des réformes en faveur de l’égalité hommes-femmes et de l’autonomisation des femmes. Récemment, la Tunisie a également créé une Semaine de la femme de zone rurale (Étude de cas 3.2). Dans toute la région MENA, les campagnes des réseaux sociaux faisant suite au mouvement #MeToo ont influencé les dernières réformes sur la violence envers les femmes. La région investit également de plus en plus dans la mise en avant de champions masculins de l’égalité hommes-femmes qui peuvent plaider en faveur de nouvelles réformes. Les parties prenantes interrogées pour cette publication ont mentionné que les ODD avaient donné un élan important aux militants des droits des femmes pour faire avancer certaines réformes. De plus, des approches plus traditionnelles, telles que la pression exercée par les organes en charge des traités des Nations Unies ou les appels de Human Rights Watch à réformer la législation nationale, ont également bien fonctionné.
Les meilleurs résultats en matière de plaidoyer et de lobbying ont été obtenus lorsque différents types d’acteurs ont travaillé ensemble pour faire pression sur les gouvernements. Le mouvement débute souvent au niveau national avec des organisations de la société civile qui prennent la tête de la mobilisation, puis il s’étend avec le soutien d’organisations internationales telles que les agences des Nations Unies, Human Rights Watch ou d’autres types de partenaires du développement. Par exemple, en Tunisie, une coalition d’OSC nationales a été créée pour plaider en faveur d’une loi globale sur la violence envers les femmes. En parallèle, un comité de plaidoyer composé d’organisations internationales s’est mobilisé pour s’assurer que cette loi était conforme aux normes internationales en la matière (Étude de cas 4.4). En Jordanie, une convention collective et une réglementation pour les enseignants des écoles privées ont été obtenues grâce à une campagne menée par le ministère du Travail, la Commission nationale jordanienne pour les femmes, le syndicat des enseignants de Jordanie, la Caisse nationale de sécurité sociale et des OSC, avec le soutien de la Coalition nationale pour l’équité salariale et l’OIT (Étude de cas 2.7). En Jordanie également, le soutien apporté par la communauté internationale à la campagne pour l’égalité des droits des enfants des femmes jordaniennes mariées à des non-Jordaniens a conduit à une modification du Code du travail pour ne plus obliger les enfants non citoyens de femmes jordaniennes à obtenir un permis de travail (Étude de cas 4.3).
Dans certains cas, le plaidoyer commence au niveau local avant de se transformer en un effort national. Par exemple, au Maroc, les femmes soulaliyates ont lancé un mouvement pour sensibiliser les autres communautés à la nécessité d’un accès égal à la terre. Ce mouvement a pris de l’ampleur au point de recevoir le soutien du roi, ce qui a finalement conduit à une réforme juridique garantissant l’égalité d’accès à la terre pour les femmes et les hommes soulaliyates (Étude de cas 3.3). En Jordanie, un groupe de parents qui travaillent ont créé l’ONG SADAQA pour plaider en faveur de meilleures options de garde des enfants pour les familles comme les leurs. Ce mouvement a donné lieu à une large coalition de différents acteurs qui ont fait pression pour une modification du Code du travail en faveur de l’autonomisation économique des femmes (Étude de cas 2.4). Ces processus de plaidoyer et de lobbying offrent également la possibilité de renforcer les capacités et la confiance des militants nationaux.
6.7. Le soutien à la participation et au leadership des femmes
Les études de cas ont montré que le fait d’avoir davantage de femmes à des postes de direction dans différents types d’institutions constitue un autre facteur important pour la réussite d’une réforme juridique en faveur de l’autonomisation économique des femmes. Une meilleure représentation des femmes au Parlement et aux postes gouvernementaux de haut niveau peut aider à fixer les priorités d‘une réforme et à la faire aboutir. La présence d’un plus grand nombre de femmes dans la magistrature peut également soutenir la mise en œuvre de ces réformes. L’état de la participation politique des femmes dans la région MENA, notamment les obstacles et les opportunités qu’elles rencontrent dans ce domaine, est bien documentée dans une série de publications produites dans le cadre du programme MENA-OCDE pour la gouvernance9.
Les études de cas montrent également que les initiatives réussies en matière d’égalité hommes-femmes dans le secteur privé sont souvent lancées et défendues par des femmes dirigeantes. Un meilleur équilibre entre les sexes dans les organisations syndicales et patronales peut conduire à une législation du travail plus sensible à la dimension de genre. Il est également important de donner plus de visibilité aux femmes dirigeantes afin d’influencer l’opinion publique en faveur de l’autonomisation économique des femmes. La présence d’un plus grand nombre de femmes dans les médias, y compris en tant que modèles dans les réseaux sociaux, augmente leur visibilité et amplifie leur voix (Section 5.3, chapitre 5)10.
Les femmes au Parlement. La littérature met en évidence l’importance des femmes parlementaires pour influencer l’adoption de lois sur l’égalité hommes-femmes (Palmieri, 2011[9]). Les femmes parlementaires sont souvent plus sensibles aux questions liées au genre que leurs homologues masculins. Il est donc important d’avoir une représentation adéquate des femmes au sein du Parlement. Au Maroc, le GTPPE a fait pression avec succès pour l’intégration du genre dans le règlement intérieur du Parlement. Ce règlement mentionne désormais qu’au moins un tiers des membres des organes de décision de la Chambre des représentants doivent être des femmes (Étude de cas 5.1).
Les femmes dans le gouvernement. Lorsque les femmes occupent des postes de haut niveau au sein du gouvernement, tant au niveau national que local, elles sont plus susceptibles que les hommes de faire pression en faveur de lois sur l’égalité hommes-femmes. Si la participation des femmes aux gouvernements de la région MENA a augmenté au fil du temps, elle reste faible. Les femmes ministres des quatre pays occupent généralement des postes liés aux affaires sociales et féminines. Toutefois, depuis peu, des femmes commencent à occuper des postes ministériels clés au sein du gouvernement. Cela peut conduire à l’inclusion d’une dimension de genre dans une législation traditionnellement indifférente à cette question. L’inclusion de cellules sur l’égalité hommes-femmes au sein des différents ministères ayant un mandat relatif à la vie économique ou à l’emploi peut également être un bon moyen de promouvoir l’autonomisation économique des femmes. Le ministère égyptien de la Main-d’œuvre a ainsi mis en place une cellule chargée de l’égalité hommes-femmes et de la non-discrimination (Étude de cas 2.6) et le ministère jordanien du Travail a créé une Direction du travail des femmes pour traiter les questions d’égalité hommes-femmes et contribuer aux politiques de promotion de l’inclusion des femmes dans la vie économique. Il est également important d’inclure davantage de femmes à des postes de gouvernement dans les collectivités locales. Elles peuvent ainsi jouer un rôle clé pour mettre en œuvre la législation en faveur de l’autonomisation économique des femmes, ainsi que pour faire pression en faveur de nouvelles réformes. Bien que les femmes des quatre pays ne soient traditionnellement pas incluses dans les instances dirigeantes locales, la situation a récemment commencé à évoluer. L’étude de cas 3.3 sur les femmes soulaliyates au Maroc montre qu’une participation accrue des femmes dans les collectivités locales peut avoir une influence positive sur la situation de nombreuses femmes dans les régions isolées du pays.
Les femmes dans la magistrature. Selon les entretiens réalisés pour ce rapport, la présence d’un nombre accru de femmes dans la magistrature peut conduire à un plus grand nombre d’affaires faisant jurisprudence pour l’autonomisation économique des femmes. Les femmes juges sont généralement plus conscientes des aspects et conséquences sexospécifiques des décisions de justice.
Les femmes dans le secteur privé. C’est principalement sous la direction de femmes que les initiatives du secteur privé en faveur de l’autonomisation économique des femmes ont été lancées dans la région. Par exemple, la Charte pour la diversité hommes-femmes de l’Union mondiale des banques arabes (Encadré 2.3) et les approches sensibles au genre de la banque jordanienne El Etihad ont toutes deux été lancées par des femmes dirigeantes de ces institutions (Étude de cas 2.8).
Les femmes dans les organisations syndicales et patronales. La création de comités de femmes au sein de ces organisations peut aider les femmes à faire entendre leur voix et encourager davantage de femmes à y adhérer. La présence d’un plus grand nombre de femmes dans les organisations syndicales et patronales peut aboutir à des conventions collectives plus sensibles à la dimension de genre. En Tunisie, la principale centrale syndicale (UGTT) a mis en place un quota de deux femmes dans chacun de ses organes décisionnels et la principale organisation patronale (UTICA) a quant à elle créé une Chambre nationale des femmes chefs d’entreprise (CNFCE) au sein de sa structure (Étude de cas 2.5). La Loi égyptienne sur les syndicats de 2017 stipule que la formation des conseils d’administration des organisations syndicales doit assurer une représentation adéquate des femmes et des jeunes, dans la mesure du possible. La Fédération des industries égyptiennes (FEI) a récemment créé une cellule « Femmes dans le milieu des affaires » (Étude de cas 2.6).
Les femmes dans les médias. Permettre aux types de femmes dirigeantes énumérés ci-dessus de gagner en visibilité dans les médias peut créer une image plus diversifiée des fonctions de direction et transformer ces femmes en modèles. Les débats dans les médias qui prennent en compte les points de vue des femmes expertes dans leur domaine peuvent influencer l’opinion publique sur la nécessité de réformes sensibles au genre. Les études de cas révèlent que les quatre pays ont investi dans l’amélioration de la diversité hommes-femmes dans les médias (Chapitre 5 et étude de cas 5.2).
Comment les femmes parviennent-elles à ces postes de direction ? Cette publication contient de nombreux exemples de femmes qui ont commencé leur carrière comme militantes des droits des femmes au sein d’OSC et qui ont ensuite accédé à des postes de direction au sein du gouvernement ou d’organisations internationales, où elles sont parvenues à mener d’importantes réformes juridiques. De plus, les mesures qui garantissent l’égalité au travail peuvent aider les femmes à progresser dans leur carrière et augmentent leurs chances d’atteindre des postes décisionnels dans la carrière qu’elles ont choisie. Ces mesures incluent l’aménagement du temps de travail, l’amélioration des services de garde des enfants, le renforcement du congé parental, l’instauration de quotas de femmes dans les conseils d’administration du secteur privé ou encore les mesures de soutien aux femmes entrepreneurs (Chapitre 2).
6.8. L’adoption d’approches multipartites et multisectorielles
Les réformes sur l’autonomisation économique des femmes touchent une telle variété d’aspects de la vie des femmes, de leurs familles et de la communauté dans son ensemble que leur mise en œuvre est souvent complexe. Les études de cas montrent qu’il est nécessaire d’entreprendre des réformes dans différents domaines du droit et d’impliquer différents types d’acteurs dans ces processus de réforme, ainsi que dans leur mise en œuvre.
L’autonomisation économique des femmes est couverte par de nombreux types de législation, tant au niveau international que national. Parmi les types de lois nationales mentionnées dans le présent rapport figurent le droit du travail, le droit de la protection sociale, le droit pénal, le droit de la famille et une série de lois spécifiques (par exemple, les lois sur l’héritage). Le droit du travail couvre la participation des femmes à la vie économique et le droit de la protection sociale garantit aux femmes ayant des responsabilités familiales l’égalité des chances sur le marché du travail. Le Code pénal et une législation spécifique permettent de lutter contre la violence envers les femmes et les filles. Le droit de la famille est transversal en ce sens qu’il influence tous les aspects de la vie familiale des femmes qui, à leur tour, ont un impact sur la participation des femmes à la vie économique.
La pression pour une réforme juridique en faveur de l’autonomisation économique des femmes devrait idéalement s’accompagner d’une réforme des différents types de lois qui y ont trait. Les études de cas montrent que la réforme des lois à l’appui de l’autonomisation économique des femmes a également une influence sur les familles de manière plus générale. Ces réformes ne peuvent donc pas être considérées de manière isolée mais doivent être liées à la situation des familles dans leur ensemble. Ainsi, la réforme de la législation visant à améliorer les options de garde des enfants pour les mères qui travaillent peut également avoir un impact positif sur leurs enfants. Un autre exemple intéressant est le cadre national jordanien pour la protection de la famille contre la violence domestique, qui s’attaque non seulement à la violence envers les femmes, mais englobe également la violence envers les enfants et les personnes âgées (Étude de cas 4.5).
En réalité, il est très difficile de réviser plusieurs types de législation en même temps, car cela implique différents types d’acteurs et nécessite un grand élan politique. Réformer le droit de la famille s’est avéré particulièrement difficile. Les consultations et les entretiens réalisés pour les besoins de ce rapport indiquent que presque aucune réforme juridique du droit de la famille n’a eu lieu dans les quatre pays depuis la révision des Constitutions à la suite du Printemps arabe. En Égypte et en Jordanie, le droit de la famille oblige toujours les femmes à obéir à leur mari. Cela signifie que la loi permet aux maris d’exercer un contrôle total sur leurs femmes, y compris sur leur participation à la vie économique. Les hommes sont toujours considérés comme financièrement responsables de leur famille, de sorte que les droits des femmes en matière de travail sont perçus comme secondaires par rapport à la participation des hommes à la vie économique. Toutefois, les études de cas montrent que les pays ont fait preuve de créativité pour promouvoir le partage des responsabilités familiales entre les femmes et les hommes en modifiant d’autres types de législation plutôt que le droit de la famille. Par exemple, les pays introduisent ou prolongent le congé de paternité dans le droit du travail (Encadré 2.6) et étudient les possibilités d’aménagement du temps de travail (Étude de cas 2.1).
Les études de cas indiquent qu’il est non seulement important de réformer différents domaines du droit, mais qu’il est également nécessaire d’impliquer différentes parties prenantes dans ces réformes. Les efforts impliquant de multiples acteurs se sont avérés fructueux pour plaider en faveur de réformes juridiques, ainsi que dans la mise en œuvre de réformes spécifiques. Par exemple, les récentes réformes du droit du travail en Jordanie et la Loi globale sur la violence envers les femmes en Tunisie ont été principalement le résultat d’efforts de plaidoyer conjoints de différents types d’acteurs. En Jordanie, le Comité national pour l’équité salariale (NCPE) a présenté une liste de propositions d’amendements au Code du travail, dont certaines ont abouti à une réforme juridique (Encadré 6.3). La NCPE est un comité multipartite, coprésidé par la Commission nationale jordanienne pour les femmes et le ministère du Travail. Elle comprend des représentants des syndicats, des associations professionnelles, de la société civile, des organismes gouvernementaux, de la Chambre de commerce, de la Chambre d’industrie, d’autres représentants du secteur privé et des médias (Étude de cas 2.3). En Tunisie, les efforts conjoints des organisations internationales et des OSC ont abouti à une Loi globale sur la violence envers les femmes (Étude de cas 4.4). Les études de cas montrent que le secteur privé – des banques à l’agroalimentaire – prend de plus en plus d’initiatives en matière d’égalité hommes-femmes pour encourager la participation des femmes à la vie économique. Cette approche revêt un grand potentiel pour l’économie en général. En Égypte, différentes initiatives du secteur privé ont été menées pour soutenir les femmes de zones rurales (Encadré 3.5). Les études de cas 2.8 et 2.9 montrent comment les secteurs bancaires en Égypte et en Jordanie soutiennent les femmes entrepreneurs.
Encadré 6.3. Plaidoyer multipartite pour la réforme du droit du travail en Jordanie
La Loi jordanienne sur le travail n° 8 de 1996 est le principal cadre législatif qui régit les questions relatives au travail en Jordanie. Bien que la loi comprenne certaines dispositions sur les femmes dans la vie économique, elle ne comporte pas de disposition spécifique sur l’interdiction de la discrimination à l’égard des femmes.
Afin de remédier aux inégalités entre les sexes qui subsistent dans le droit du travail, le Comité national jordanien pour l’équité salariale (NCPE) a présenté une liste de propositions d’amendements au Code du travail en faveur de l’autonomisation économique des femmes. En 2012, certaines de ces propositions d’amendements ont été approuvées par la Commission parlementaire du travail et du développement social et de la population. Cependant, les amendements au Code du travail n’ont jamais été soumis au vote du Parlement et ont été mis en attente jusqu’en 2018, date à laquelle la réforme du Code du travail a été ouverte de nouveau à la discussion.
2018 a vu la création de la Coalition Rights comprenant des groupes de défense des droits des femmes au travail, des organisations de femmes, des syndicats et autres entités syndicales. L’objectif de Coalition Rights était de faire pression sur les parlementaires et le gouvernement pour qu’ils acceptent les amendements aux articles du Code du travail ouverts à la discussion et directement liés aux droits économiques des femmes, dont la plupart étaient inclus dans la proposition de réforme du Code du travail de la NCPE.
C’est dans ce contexte qu’ont été apportés les amendements au Code du travail jordanien par la Loi n° 14 de 2019, qui incluent plusieurs réformes importantes en faveur de l’autonomisation économique des femmes.
Plusieurs facteurs contribuent à l’avancement de ces processus de réforme en Jordanie. Il existe dans ce pays une collaboration unique entre la Cour royale, certaines personnalités du gouvernement, la JNCW, la société civile, les partenaires sociaux, les représentants du secteur privé et les médias pour promouvoir l’égalité hommes-femmes dans la vie économique. Nombre de ces efforts sont coordonnés par la NCPE. Cette dernière a prouvé son efficacité pour mener à bien des processus complexes de réforme législative dans le pays et pour trouver des moyens créatifs de pousser à la réforme du Code du travail en incluant la société civile dans les discussions parlementaires.
Ces efforts nationaux sont soutenus par une série d’organisations internationales, l’OIT jouant un rôle de premier plan sur les questions liées à l’égalité hommes-femmes dans la vie économique. La communauté internationale au sens large, notamment le Comité de la CEDAW, la Commission d’experts de l’OIT et Human Rights Watch, a fait pression sur le pays pour qu’il prenne des mesures urgemment. Pour pousser à la réforme, ces acteurs ont consacré des efforts considérables à recueillir des données probantes à l’appui d’une meilleure participation des femmes dans la vie économique et ont publié des études sur une large gamme de sujets afin d’étayer solidement les arguments en faveur de certaines réformes. Une fois cette base de données constituée, des campagnes ont été organisées, là encore avec la participation d’un ensemble unique d’acteurs. En parallèle, les organisations internationales ont renforcé les capacités des différents acteurs nationaux en matière de plaidoyer et de stratégies de réforme.
Les initiatives conjointes produisent également de bons résultats dans la mise en œuvre des réformes juridiques. Par exemple, en Tunisie, différentes agences des Nations Unies, le gouvernement et des OSC travaillent ensemble pour mettre en œuvre les réformes récentes sur la violence envers les femmes et fournir des services aux femmes victimes de violence (Étude de cas 4.4). Comme les agences des Nations Unies disposent de mandats spécifiques, les efforts conjoints des Nations Unies pour promouvoir l’autonomisation économique des femmes sous différents angles par le biais des Programmes communs des Nations Unies peuvent avoir une réelle valeur ajoutée. Par exemple, en Tunisie, un Programme conjoint des Nations unies pour 2017-2018 (dirigé par le Fonds des Nations Unies pour la population) a été signé pour apporter des soins aux femmes victimes de violence (Étude de cas 4.4). En Égypte, ONU Femmes et le PAM unissent leurs forces dans le cadre d’un projet qui utilise la technologie blockchain pour des programmes de transfert d’argent en faveur des femmes réfugiées (Encadré 3.7). Comme mentionné au chapitre 2, dans les quatre pays étudiés, le secteur privé complète également les efforts du gouvernement dans la mise en œuvre des réformes juridiques. Par exemple, la récente Loi égyptienne régissant le microcrédit autorise désormais les institutions commerciales à proposer des services de microfinance, ce qui a conduit à une forte augmentation du nombre de bénéficiaires de microcrédits, dont la majorité sont des femmes (Étude de cas 2.9). Les codes de gouvernance d’entreprise de la Jordanie et du Maroc mentionnent la diversité des sexes dans les conseils d’administration et les codes de gouvernance d’entreprise de l’Égypte et de la Tunisie comportent, quant à eux, des dispositions relatives à la promotion de la diversité en entreprise. L’étude de cas 2.2 donne d’autres suggestions sur la manière dont les entreprises peuvent améliorer l’équilibre entre les sexes dans la direction des entreprises. L’Égypte prévoit que l’inclusion d’une perspective d’égalité hommes-femmes dans sa Loi sur les investissements conduira à des investissements plus sensibles au genre de la part des investisseurs nationaux et étrangers et facilitera les investissements des femmes entrepreneurs (Étude de cas 2.10).
6.9. Le renforcement des capacités et l’apprentissage par les pairs
Toute une série de compétences sont nécessaires pour faire aboutir les réformes juridiques sur l’autonomisation économique des femmes et pour s’assurer de leur mise en œuvre.
Renforcement des capacités
Les études de cas montrent que le renforcement des capacités est nécessaire pour les acteurs impliqués dans les différentes étapes du processus, du plaidoyer à la mise en œuvre en passant par la rédaction et l’adoption de la législation. L’apprentissage par les pairs entre les pays peut être un mécanisme utile pour échanger des expériences sur la manière de faire aboutir les réformes juridiques.
Si certaines OSC ont une grande expérience en matière de plaidoyer, il arrive qu’un mouvement de réforme démarre par le bas avec des femmes réclamant des changements dans leur vie quotidienne. Ces femmes ne sont pas toujours habituées à participer à des forums politiques et à des actions de plaidoyer. Par exemple, en Jordanie, la campagne « Stand up with teachers » a commencé au niveau local et s’est transformée en un processus de négociation collective qui a abouti à une convention collective réglementant les conditions de travail de tous les enseignants des écoles privées et, par la suite, à des garanties supplémentaires sur l’égalité salariale dans le Code du travail. L’OIT a renforcé les capacités des différents acteurs impliqués dans le processus de négociation collective (Étude de cas 2.7).
Comme nous l’avons vu au chapitre 5, des compétences spécifiques sont également nécessaires pour rédiger une législation sur l’égalité hommes-femmes qui soit conforme aux normes internationales. Les personnes concernées peuvent s’inspirer des nombreux conseils qui ont été publiés sur la manière de rédiger une législation sur l’égalité hommes-femmes. Par exemple, le Manuel de législation relative à la violence à l’égard des femmes d’ONU Femmes propose des conseils, des modèles et des listes de contrôle pour la rédaction de législation sur la violence à l’égard des femmes (Encadré 4.4, chapitre 4). En Tunisie, les acteurs concernés ont utilisé ce manuel pour rédiger la Loi globale sur la violence envers les femmes et ont également bénéficié de conseils de la part d’organisations internationales pour aligner cette loi sur les normes internationales en la matière (Étude de cas 4.4).
Lorsqu’un projet de loi est discuté au Parlement, les députés doivent disposer des compétences nécessaires pour évaluer la loi dans une perspective de genre. Le Groupe thématique marocain de parlementaires pour la parité et l’égalité a ainsi bénéficié d’une formation d’ONU Femmes dans les différents domaines relevant de son mandat (Étude de cas 5.1).
Il existe également de nombreux exemples de la nécessité de former les personnes qui participent à la mise en œuvre des réformes juridiques. Par exemple, l’École nationale d’administration (ENA) de Tunisie en charge de la formation des fonctionnaires a développé un module sur le genre afin que les futurs décideurs politiques puissent être formés à ces questions. La faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de l’université de Carthage, basée à Tunis, organise une clinique juridique qui permet aux futurs professionnels du droit d’acquérir des compétences en matière de violence fondée sur le genre et de traitement des cas de VEF (Chapitre 4). La Fédération des industries égyptiennes a lancé l’Académie des ressources humaines et du genre pour former les professionnels égyptiens des ressources humaines à l’égalité hommes-femmes, au droit du travail et aux ressources humaines (Étude de cas 2.6).
Apprentissage par les pairs
Les pays peuvent apprendre beaucoup les uns des autres en matière de réforme juridique pour l’autonomisation économique des femmes. Les échanges régionaux et mondiaux sur les réformes juridiques sont utiles pour obtenir de l’inspiration et de l’expertise sur la manière de faire aboutir les réformes. Au niveau mondial, les réunions annuelles de la Commission de la condition de la femme sont un bon exemple de plateforme d’échange. Au niveau régional, le Forum MENA-OCDE pour l’autonomisation économique des femmes (FAEF) offre aux pays la possibilité d’échanger leurs expériences en matière de réforme juridique. La publication de l’OCDE L’autonomisation économique des femmes dans la région MENA) : l’impact des cadres juridiques algérien, égyptien, jordanien, libyen, marocain et tunisien (OCDE, 2017[10]) a été lancée lors du FAEF de 2017 au cours duquel les pays ont exprimé leur intérêt pour des recherches de suivi, dont le résultat est le présent rapport (Encadré 6.4).
Les réformes ou élans de réforme peuvent également avoir des effets d’entraînement dans les pays voisins. Cela a été particulièrement mis en évidence lors des réformes récentes sur la violence envers les femmes, dans la mesure où les quatre pays ont commencé à réformer leur cadre juridique sur la VEF à peu près au même moment. La Commission tunisienne des libertés individuelles et de l’égalité (COLIBE), en proposant l’égalité entre les femmes et les hommes en matière d’héritage, a également suscité un grand débat dans les pays de la région sur l’héritage, ainsi que sur l’égalité hommes-femmes de manière plus générale (Étude de cas 4.2).
Encadré 6.4. L’apprentissage par les pairs grâce au Forum pour l’autonomisation économique des femmes
Le Forum MENA-OCDE pour l’autonomisation économique des femmes (FAEF) a été lancé en 2017 au Caire sous la coprésidence du Dr Sahar Nasr, à l’époque ministre égyptienne de l’Investissement et de la Coopération internationale, et de S.E. Marie-Clarie Swärd Capra, ambassadrice de Suède en Algérie. Le FAEF est une plateforme multipartite qui se réunit chaque année pour discuter de sujets liés à l’autonomisation économique des femmes et met l’accent sur les réformes juridiques et leur mise en œuvre. Parmi les autres sujets abordés dans le cadre du FAEF figurent l’entrepreneuriat féminin, les données sur le genre et l’intégration de la dimension de genre dans les politiques publiques. Le FAEF a été reconnu par les acteurs de la région comme une plateforme unique permettant un dialogue ouvert sur l’autonomisation économique des femmes et offrant des possibilités d’apprentissage par les pairs entre les économies de la région MENA et les pays de l’OCDE.
Source : https://www.oecd.org/mena/competitiveness/women-empowerment.htm.
6.10. La lutte contre les normes sociales restrictives et les stéréotypes
Comme nous l’avons vu tout au long de ce rapport, les normes sociales restrictives et les stéréotypes sur les femmes et les hommes sont un facteur clé qui freine l’autonomisation économique des femmes. Le Groupe de haut niveau sur l’autonomisation économique des femmes du Secrétaire général des Nations Unies reconnaît que les normes sociales défavorables constituent le principal obstacle à l’autonomisation économique des femmes, et contribuent également aux trois autres principales contraintes : les lois discriminatoires, le travail domestique non rémunéré et l’accès limité aux biens (UNHLP, 2016[11]).
Les quatre pays sont en train de collecter des données probantes sur ce que signifie être un homme ou une femme dans la société actuelle et sur les types de normes sociales restrictives et de stéréotypes qui existent. Cela peut constituer une étape importante en vue de réformes juridiques. Dans un certain nombre de pays couverts par la publication, ces normes et stéréotypes sont inscrits dans le droit de la famille. Par exemple, en Égypte et en Jordanie, le droit de la famille prévoit le devoir d’obéissance de la femme en échange de l’entretien financier de son mari.
Afin de développer la base de données sur les normes sociales et stéréotypes dans les pays couverts par la publication, des enquêtes sur les attitudes des hommes et des femmes à l’égard de l’égalité hommes-femmes ont été menées en Égypte, au Maroc (ONU Femmes/Promundo, 2017[6]) et en Jordanie (Banque mondiale, 2018[7]). Cette première collecte de ce type de données dans ces pays fournit des indications importantes sur les domaines dans lesquels les normes et les attitudes sociales continuent de freiner l’autonomisation économique des femmes (voir Chapitre 1).
La lutte contre les normes sociales et stéréotypes discriminatoires est un défi car elle suppose d’agir à différents niveaux. Les changements doivent se produire à la fois au niveau des individus, de la famille, de la communauté, des organisations et des politiques publiques. Les études de cas montrent que les pays prennent des initiatives pour s’attaquer aux normes sociales. En Égypte et au Maroc, des projets concrets sont mis en œuvre pour transformer les perceptions traditionnelles de la masculinité et de la paternité, sur la base des résultats et des recommandations de l’enquête IMAGES (Encadré 1.3, chapitre 1). L’Égypte, le Maroc et la Tunisie ont également interdit les stéréotypes sexistes dans les médias et mènent actuellement des initiatives visant à diffuser une image plus diversifiée des femmes dans les médias (Chapitre 5). Dans le camp de réfugiés de Za’atari en Jordanie, les femmes réfugiées syriennes ont désormais accès à des activités génératrices de revenus qui remettent en cause les normes sociales restrictives sur l’autonomisation économique des femmes (Étude de cas 3.4).
La réforme juridique peut soit précéder l’évolution des normes sociales, soit la consacrer. L’introduction du congé de paternité dans le droit du travail des quatre pays est un exemple du premier cas. Cette réforme juridique vise à modifier les normes sociales qui prescrivent que les mères doivent s’occuper de la garde des enfants. En introduisant le congé de paternité, l’on espère que les pères prendront leur congé de paternité et partageront la responsabilité de la garde des enfants (Encadré 2.6). Un exemple de cas où la réforme juridique consacre un changement social est l’abolition d’une circulaire en Tunisie, ce qui permet désormais aux femmes tunisiennes d’épouser plus facilement des non-musulmans. Dans la pratique, les femmes tunisiennes épousaient déjà de plus en plus souvent des non-musulmans, mais la réforme juridique a allégé les formalités liées à ces mariages (Encadré 4.2). Toujours en Tunisie, le rapport de la COLIBE souligne que, la culture et l’identité évoluant avec le temps, les cadres juridiques doivent refléter ces changements. Le rapport utilise ce raisonnement pour justifier l’égalité des droits à l’héritage entre les femmes et les hommes (Étude de cas 4.1).
Pour parvenir à dépasser des normes sociales profondément ancrées, la société doit être convaincue de la nécessité du changement. Cela peut être facilité par les dirigeants communautaires qui plaident en faveur du changement. Par exemple, la plus haute autorité religieuse d’Égypte, Al-Azhar, a fermement condamné le harcèlement sexuel, conformément aux réformes juridiques adoptées récemment, en affirmant que toute justification du harcèlement par la tenue vestimentaire des femmes démontre une mauvaise interprétation de la question (Étude de cas 4.6).
6.11. La garantie de mise en œuvre et du respect des règles
Une réforme juridique n’a que peu de valeur si elle n’est pas mise en œuvre. Les études de cas ne peuvent donner qu’un aperçu limité de la manière dont les pays mettent en œuvre les réformes, car la plupart de ces dernières sont très récentes. Il est néanmoins clair que certains mécanismes en place peuvent faciliter la mise en œuvre et le respect de ces réformes.
Tout d’abord, les personnes concernées par une réforme doivent en être informées. Cette sensibilisation sera faible si les détails des réformes ne sont pas diffusés de manière adéquate. Les OSC des quatre pays ont déployé des efforts importants dans les campagnes de sensibilisation pour s’assurer que la législation soit connue et comprise par les personnes concernées. Par exemple, en Jordanie, le réseau Sham’a organise régulièrement des activités d’éducation et de sensibilisation des forces de l’ordre et du personnel du système judiciaire sur la législation relative à la violence envers les femmes (Étude de cas 4.5). Au Maroc, des campagnes de sensibilisation sont en cours pour permettre aux Marocains et aux expatriés d’enregistrer leurs travailleurs domestiques et de respecter les dispositions du nouveau cadre législatif relatif à ces derniers (Étude de cas 3.1). Les médias jouent également un rôle important pour faire connaître le contenu des réformes. Lors des recherches effectuées pour les besoins de cette publication, il est clairement apparu que les textes juridiques n‘étaient pas facilement accessibles en ligne dans les quatre pays. Ces textes sont également souvent complexes et peuvent être liés à d’autres cadres législatifs.
Une fois que la société est au courant des réformes, les femmes devraient pouvoir faire valoir leurs droits. Si l’accès des femmes à la justice dans les quatre pays doit faire l’objet de recherches plus approfondies, les entretiens réalisés ont montré qu’il restait difficile pour diverses raisons. Premièrement, même si des réformes ont été adoptées récemment pour renforcer les droits des femmes, des lois coutumières et des traditions discriminatoires continuent d’exister en parallèle. Deuxièmement, de nombreuses femmes qui dépendent financièrement des hommes de leur famille n’ont pas toujours les moyens de porter une décision devant les tribunaux et préfèrent éviter les frictions au sein de la famille. Il a également été mentionné dans les entretiens que le secteur de la justice était toujours dominé par les hommes et que des attitudes conservatrices y prévalaient : ainsi, certains juges peuvent ne pas interpréter la loi en faveur d’une amélioration des droits des femmes. Cette situation est particulièrement prononcée dans les tribunaux supérieurs où les femmes juges sont encore moins nombreuses et les attitudes conservatrices plus courantes. Dans les quatre pays étudiés, différents acteurs aident les femmes à accéder à la justice et à naviguer dans le système judiciaire. Par exemple, en Égypte, un Département de lutte contre la violence envers les femmes a été créé au sein du ministère de l’Intérieur pour sensibiliser les femmes à leurs droits, les encourager à signaler les crimes violents et les informer sur le soutien offert par le Conseil national des femmes (NCW) et le ministère public (Étude de cas 4.6). Dans certains pays, les juges ont été formés à l’application des normes internationales sur les droits des femmes, ainsi qu’à l’application des récentes réformes.
Certaines décisions de justice sont encourageantes en ce qu’elles traduisent une réelle application des réformes récentes. Par exemple, des décisions de justice ont été rendues s’appuyant sur la récente Loi tunisienne sur la violence envers les femmes et les récentes réformes du cadre juridique égyptien pour lutter contre la violence envers les femmes (Chapitre 4). Cependant, dans d’autres domaines du droit, comme le droit du travail, il est beaucoup plus difficiles de trouver des décisions de justice fondées sur les récentes réformes. Parfois, les médias rendent compte de décisions judiciaires importantes, mais celles-ci ne sont pas disponibles en ligne et ne peuvent pas être facilement retrouvées. Cela pose problème car les décisions importantes appliquant les réformes récentes peuvent ne pas être connues du public et ne pas avoir d’impact réel sur la façon dont les autres juges statuent dans des affaires similaires. De plus, il a été signalé que même si certaines décisions de justice pouvaient être favorables aux femmes, ces décisions n’étaient pas toujours appliquées. Par exemple, en Égypte, bien que les juges aient statué en faveur des femmes dans des affaires d’héritage, les femmes n’ont aucun moyen de pression si la famille décide de ne pas appliquer la décision du tribunal.
Parmi les autres mécanismes susceptibles de faciliter l’application des réformes figurent l’élaboration de rapports, les inspections du travail, les mécanismes de plainte et le contrôle par les institutions nationales des droits de l’homme. Comme mentionné plus haut, les pays sont tenus d’élaborer des rapports réguliers sur leur mise en œuvre des normes internationales en matière d’égalité hommes-femmes. Il existe également des exigences nationales de comptes rendus sur la mise en œuvre de la législation. Par exemple, la Loi tunisienne sur la violence à l’égard des femmes oblige le ministère de la Femme, de la Famille et de l’Enfance à publier chaque année un rapport sur les progrès de sa mise en œuvre (Étude de cas 4.4). Dans le domaine des réformes du travail, les inspections du travail peuvent promouvoir le respect de la loi. Lorsque les inspecteurs du travail sont déployés efficacement, les violations peuvent être détectées, signalées et traitées (Étude de cas 3.1 et encadré 3.2). Les mécanismes de plainte constituent un autre moyen d’encourager le respect des règles. Au Maroc, par exemple, les particuliers peuvent signaler un contenu médiatique non conforme aux principes de l’égalité hommes-femmes (Étude de cas 5.2). Enfin, comme indiqué au chapitre 4, les institutions nationales des droits de l’homme peuvent également jouer un rôle important pour assurer le respect des réformes (Étude de cas 5.3).
Références
[8] Banque mondiale (2020), Les femmes, l’entreprise et le droit, Banque mondiale, Washington DC, https://wbl.worldbank.org.
[7] Banque mondiale (2018), Hashemite Kingdom of Jordan: Understanding How Gender Norms in MNA Impact Female Employment Outcomes, Banque mondiale, http://documents.worldbank.org/curated/en/859411541448063088/pdf/ACS25170-PUBLIC-FULL-REPORT-Jordan-Social-Norms-June-1-2018-with-titlepg.pdf.
[12] NCSL (2020), How States Define Lobbying and Lobbyist, National Conference of State Legislatures, https://www.ncsl.org/research/ethics/50-state-chart-lobby-definitions.aspx.
[5] OCDE (2019), SIGI 2019 Global Report: Transforming Challenges into Opportunities, Indice Institutions sociales et égalité homme-femme (SIGI), Éditions OCDE, Paris, https://dx.doi.org/10.1787/bc56d212-en.
[10] OCDE (2017), L’autonomisation économique des femmes dans la région MENA) : l’impact des cadres juridiques algérien, égyptien, jordanien, libyen, marocain et tunisien, Éditions OCDE, OCDE, https://doi.org/10.1787/9789264279322-en.
[2] OIT (2020), Conventions et recommandations, International Labour Organization, Geneva, https://www.ilo.org/global/standards/introduction-to-international-labour-standards/conventions-and-recommendations/lang--en/index.htm.
[3] ONU Femmes (2019), Travaux préparatoirs à la CSW64, https://www.unwomen.org/fr/csw/csw64-2020/preparations.
[4] ONU Femmes/CESAO (2017), Estimating Costs of Marital Violence in the Arab Region. Operational Model, https://www.unescwa.org/sites/www.unescwa.org/files/publications/files/estimating-costs-marital-violence-operational-model-english.pdf.
[6] ONU Femmes/Promundo (2017), Understanding Masculinities. Results From the International Men and Gender Equality Survey (IMAGES) - Middle East and North Africa., https://imagesmena.org/wp-content/uploads/sites/5/2017/05/IMAGES-MENA-Multi-Country-Report-EN-16May2017-web.pdf.
[9] Palmieri, S. (2011), Gender-Sensitive Parliaments: A Global Review of Good Practice, Union inter-parlementaire, http://archive.ipu.org/pdf/publications/gsp11-e.pdf.
[1] Protocole facultatif à la CEDAW (2015), Inquiry into access to contraception in Manila: CEDAW Committee finds that the Philippines violated CEDAW, Optional Protocol to CEDAW, https://opcedaw.wordpress.com.
[13] UN (2015), Transforming our World: The 2030 Agenda for Sustainable Development, https://sustainabledevelopment.un.org/post2015/transformingourworld/publication.
[11] UNHLP (2016), Leave No One Behind: A Call to Action for Gender Equality and Women’s Economic Empowerment, Groupe de haut niveau sur l’autonomisation économique des femmes du Secrétaire général des Nations Unies, https://www2.unwomen.org/-/media/hlp%20wee/attachments/reports-toolkits/hlp-wee-report-2016-09-call-to-action-en.pdf?la=en&vs=1028.
Notes
← 1. Ces inquiétudes ont été exprimées les années suivantes : 2010 en Égypte et en Tunisie, 2017 au Maroc, et 2008 en Jordanie.
← 3. La quatrième conférence mondiale sur les femmes de septembre 1995 a produit la Déclaration et le Programme d’action de Beijing, le plan le plus progressiste jamais élaboré pour faire avancer les droits des femmes. En tant que cadre essentiel pour le changement, le Programme d’action a pris des engagements complets dans douze domaines critiques. Vingt ans plus tard, il reste une puissante source d’orientation et d’inspiration. La déclaration est disponible à l’adresse suivante : https://www.un.org/en/events/pastevents/pdfs/Beijing_Declaration_and_Platform_for_Action.pdf.
← 4. Pour plus de détails sur cet événement en marge de la CSW, voir https://www.oecd.org/mena/competitiveness/UN-CSW-2019-Changing-Laws-Changing-Minds-Flyer.pdf.
← 5. Le protocole peut être consulté à l’adresse suivante : https://www.un.org/en/africa/osaa/pdf/au/protocol_rights_women_africa_2003.pdf.
← 6. Les indicateurs des ODD relatifs à l’autonomisation économique des femmes sont : ODD 5.1, 5.5, 5a, 5b, 5c, 8.3, 8.5, 8.10, 9.3 et 9c. Source : étude non publiée de l’OCDE de 2018 sur la collecte des données relatives à l’autonomisation économique des femmes en Égypte, au Maroc et en Tunisie.
← 7. Le plaidoyer, ou défense des intérêts, se définit comme « une activité d’un groupe ou d’un individu qui vise à influencer les décisions au sein des systèmes et institutions politiques, économiques et sociaux. Le plaidoyer, ou défense des intérêts, comprend les activités et les publications visant à influencer les politiques publiques, les lois et les budgets en utilisant les faits, leurs relations, les médias et la diffusion de messages pour éduquer les responsables gouvernementaux et l’opinion publique. » https://www.theadvocatesforhumanrights.org/uploads/ch_7_2.pdf.
← 8. Le lobbying a une définition plus étroite et désigne « toute tentative d’influencer la législation nouvelle ou existante, soit en contactant directement les législateurs, soit en demandant à d’autres de le faire. » (NCSL, 2020[12]).
← 9. Le programme MENA-OCDE pour la gouvernance est un partenariat stratégique entre les pays de la région MENA et de l’OCDE visant à partager les connaissances et l’expertise, en vue de diffuser les normes et les principes de bonne gouvernance à l’appui du processus de réforme en cours dans la région. Les travaux du programme sur l’égalité hommes-femmes sont disponibles à l’adresse suivante : https://www.oecd.org/mena/governance/gender-equality-in-public-life/.
← 10. Plus de renseignements sur les femmes dans la vie publique se trouvent sur la page web du Programme MENA-OCDE pour la gouvernance : https://www.oecd.org/mena/governance/gender-equality-in-public-life.