Andrew Green
Angelica Salvi del Pero
Annelore Verhagen
Intelligence artificielle et marché du travail
Andrew Green
Angelica Salvi del Pero
Annelore Verhagen
Pour beaucoup de travailleurs, le déploiement des systèmes d’intelligence artificielle (IA) se traduira non par la perte de leur emploi, mais par une redéfinition des tâches à accomplir dans le cadre professionnel et par une modification de la qualité de l’emploi. Dans le présent chapitre, nous passerons en revue les éléments empiriques qui attestent l’incidence de l’IA sur la qualité de l’emploi et l’inclusivité. L’évolution de l’activité professionnelle devrait s’accompagner de hausses de salaire dans le cas des travailleurs nantis de compétences complémentaires aux capacités de l’IA, tandis qu’elle pourrait avoir l’effet opposé chez ceux dont l’automatisation réduit le rôle à la portion congrue. L’IA peut également avoir une incidence sur la qualité de l’emploi par d’autres mécanismes. Par exemple, elle peut réduire les tâches fastidieuses ou dangereuses, mais aussi induire une accélération des cadences de travail. Ce chapitre montre en outre que l’utilisation de l’IA pour aider les cadres dirigeants dans leurs tâches n’est pas sans conséquence sur la qualité de l’emploi de leurs subordonnés. Il met pour finir en lumière que la mise en œuvre de l’IA a une incidence sur l’inclusivité et l’équité sur le lieu de travail, avec des répercussions sur la qualité de l’emploi.
Comme d’autres technologies d’automatisation avant elle, l’intelligence artificielle (IA) rendra probablement certains emplois superflus et contraindra ainsi des travailleurs à trouver une nouvelle situation ou à actualiser leurs compétences (chapitre 3). Cependant, au dire des travailleurs eux‑mêmes, les effets de l’IA se sont jusqu’à présent principalement fait sentir par une redéfinition des tâches qu’ils ont à accomplir au poste qu’ils occupent actuellement, ainsi que par une transformation de leur environnement professionnel. Ces évolutions peuvent avoir une incidence directe sur la qualité des emplois et donc sur le bien-être des individus. À titre d’exemple, l’IA peut entraîner l’automatisation de tâches dangereuses, ce qui devrait améliorer la satisfaction professionnelle et la sécurité de certains travailleurs qui exercent une activité dangereuse. D’autre part, les travailleurs pourraient ne plus avoir à exécuter que des tâches relativement simples et de moins en moins nombreuses, avec à la clé des tensions baissières sur leur rémunération.
L’IA pourrait par ailleurs faire peser d’autres menaces, mais aussi ouvrir de nouvelles perspectives en matière de qualité de l’emploi et d’inclusivité. Par exemple, s’ils sont utilisés pour faciliter ou pour automatiser les tâches d’encadrement – comme superviser les travailleurs, répartir les tâches, ou décider qui devrait bénéficier d’une formation ou d’une promotion (« gestion algorithmique ») – les systèmes d’IA peuvent permettre d’assurer une gestion et une évaluation des effectifs plus cohérentes et davantage guidées par les données. Cependant, s’ils ne sont pas bien conçus et mis en œuvre, ces mêmes systèmes risquent de renforcer les biais préexistants, de porter atteinte à la vie privée, d’accroître l’intensité du travail et de réduire l’autonomie dans l’exécution des tâches.
Dans le présent chapitre, nous passerons en revue les éléments empiriques qui attestent l’incidence de l’IA sur la qualité de l’emploi et l’inclusivité, en nous appuyant également sur de récents travaux de l’OCDE, à savoir en l’occurrence sur ses enquêtes sur l’IA auprès des employeurs et des travailleurs ainsi que sur ses études de cas sur l’utilisation de l’IA sur les lieux de travail. Ces études fournissent des informations sans précédent sur la manière dont les entreprises mettent actuellement en œuvre l’IA et dont les travailleurs perçoivent cette technologie, mais il importe de souligner qu’elles ne portent que sur le secteur manufacturier et celui de la finance et que seuls sont pris en considération les avis exprimés par les travailleurs en poste après l’adoption de l’IA. Quelques constatations clés se dégagent :
Les travailleurs qui possèdent des compétences propres à l’IA – c’est-à-dire ceux qui développent, entraînent ou entretiennent les systèmes d’IA – reçoivent un salaire élevé et jouissent même, en fait de rémunération, d’un avantage sensible, y compris sur d’autres travailleurs au profil apparemment identique et pourvu d’autres compétences poussées (en informatique, sur le plan cognitif, etc.). Les avantages salariaux les plus nets associés à l’IA sont relevés au niveau des fonctions d’encadrement, signe probable d’une forte demande de professionnels sachant comment l’IA peut s’intégrer au processus de production considéré dans son ensemble.
Pour le gros des travailleurs exposés à l’IA – ceux qui l’utilisent ou interagissent avec elle sans nécessairement posséder ou avoir besoin de compétences particulières – la mise en œuvre de cette technologie n’a eu pour l’heure qu’une incidence marginale sur le plan salarial.
Ces répercussions minimes sur les salaires cadrent avec les constatations empiriques qui suggèrent que, jusqu’à présent, l’IA n’a eu qu’une incidence modeste sur la productivité. L’IA a pour l’heure une plus grande probabilité d’être adoptée par les plus grandes entreprises et par les plus capitalistiques (qui figurent généralement parmi les plus productives), mais les gains de productivité demeurent limités si l’on tient compte des différences observables entre les entreprises. Toutefois, les données issues d’études de cas plus récentes portant sur certaines applications de l’IA générative font apparaître des effets sur la productivité plus marqués.
Les enquêtes de l’OCDE sur l’IA ont révélé que la majorité des travailleurs déclarent être plus épanouis, professionnellement parlant, et mieux de corps et d’esprit du fait de l’IA. Dans les études de cas sur l’utilisation de l’IA, les travailleurs citent souvent la diminution, grâce à l’IA, des risques liés à l’emploi d’équipements parmi les facteurs concourant à améliorer la sécurité physique.
L’une des raisons susceptibles d’expliquer l’incidence sur la qualité de l’emploi peut se trouver dans la modification des tâches à effectuer. Il semble que, pour l’heure, l’IA automatise davantage de tâches ingrates ou répétitives qu’elle n’en crée, tout en élargissant l’éventail des activités confiées aux travailleurs et en secondant ceux-ci dans la prise de décisions.
La plupart des travailleurs qui ont répondu aux enquêtes de l’OCDE sur l’IA ont déclaré que celle-ci renforce en outre l’autonomie, entendue comme le pouvoir de choisir l’ordre d’exécution des tâches demandées. Cela dépend toutefois de la manière dont elle est mise en œuvre et utilisée. Un répondant sur cinq estimait que l’IA avait restreint leur autonomie, cette proportion étant par ailleurs plus élevée au sein du groupe, relativement peu nombreux, qui s’est dit soumis à une gestion algorithmique.
Les formes avancées de contrôle et de rétroaction rendues possibles par le recours à l’IA dans les tâches d’encadrement peuvent être plus intrusives que celles assurées par un être humain. Dans les enquêtes de l’OCDE sur l’IA, les travailleurs jugent en effet que l’activité est devenue plus soutenue après l’introduction de systèmes d’IA, et certains d’entre eux considèrent par ailleurs que les interactions humaines sont désormais moins fréquentes. Les enquêtes montrent également que, lorsque l’utilisation de l’IA par les employeurs donne lieu au recueil de données sur les travailleurs ou sur la manière dont ils s’acquittent de leur travail, la plupart de ces mêmes travailleurs s’inquiètent pour leur vie privée.
L’incidence de l’IA sur la satisfaction professionnelle et la santé au travail est variable selon les catégories de travailleurs, et elle a des répercussions sur l’inclusivité au travail. Ainsi, les cadres, ceux qui possèdent les compétences nécessaires au développement ou à la conception et à la maintenance des systèmes d’IA, ainsi que les diplômés de l’enseignement supérieur sont généralement les plus enclins à déclarer que l’adoption de l’IA a été bénéfique de ces deux points de vue. Les travailleurs qui sont soumis à une gestion algorithmique ou qui travaillent avec une IA sont, à l’inverse, ceux qui trouvent à son utilisation le moins de retombées positives sur la qualité de l’emploi. Si elle est mise en œuvre comme il convient, l’IA peut par ailleurs offrir une plus grande accessibilité et une plus grande satisfaction professionnelle aux travailleurs traditionnellement défavorisés sur le marché du travail, tels que ceux porteurs de handicap.
D’après les enquêtes de l’OCDE sur l’IA, près de la moitié des salariés qui utilisent cette technologie estiment que leurs supérieurs les traitent de manière plus juste depuis son adoption. Cependant, les systèmes d’IA peinent à s’affranchir des biais, ceux qui affectent les données comme ceux qui les affectent eux-mêmes. Si les décisions humaines sont rarement impartiales elles non plus, l’utilisation de systèmes d’IA mal pondérés fait courir le risque de multiplier et de systématiser les biais.
Les capacités de l’IA progressent plus vite que les études censées en apprécier les effets. De nouveaux travaux devront être entrepris pour déterminer si les résultats présentés dans ce chapitre sont également valables pour les applications les plus récentes de l’IA, telles que les grands modèles de langage, ainsi que pour un plus large éventail de secteurs.
Pour la plupart des travailleurs, le déploiement des systèmes d’intelligence artificielle (IA) se traduira vraisemblablement par une redéfinition des tâches à accomplir dans le cadre de leur profession actuelle et, de manière plus générale, par une transformation de leur environnement de travail plutôt que par la suppression de leur emploi. L’IA peut en effet modifier la nature des tâches qui leur sont confiées – une ouvrière du secteur manufacturier peut, par exemple, être dépossédée de son rôle d’inspection visuelle et de contrôle de la qualité des produits et se trouver cantonnée à un ensemble plus réduit de tâches élémentaires. L’IA peut aussi modifier les emplois sans changer radicalement la nature des tâches à accomplir. Ainsi, le travail demandé à un livreur de repas demeure, pour l’essentiel, le même qu’il y a quelques décennies. Pour autant, là où, il y a une trentaine d’années, ce livreur prenait ses instructions auprès d’un responsable, c’est désormais un algorithme qui lui indique où aller et par où passer, voire qui décide si la plateforme de livraison continuera de faire appel à lui en fonction des avis de clients anonymes. La manière dont l’IA fait évoluer le travail demandé et modèle, de manière plus générale, l’environnement même dans lequel ce travail est effectué a d’importantes conséquences sur la qualité de l’emploi et, en dernière analyse, sur le bien-être des individus.
Avec son Cadre d’analyse de la qualité de l’emploi, l’OCDE a fourni une grille de mesure et d’évaluation complète, dans laquelle elle met en relief les aspects dont l’influence particulière sur le bien-être des travailleurs est avérée (OCDE, 2014[1]), à savoir le niveau et la distribution des revenus, la sécurité du marché du travail et la qualité de l’environnement de travail. Ce dernier aspect recouvre l’effet cumulé des exigences professionnelles, telles que l’intensité du travail et l’exécution d’un travail physique éprouvant. Il s’étend aussi aux ressources à la disposition des travailleurs pour répondre à des exigences particulièrement contraignantes, comme la possibilité de modifier l’ordre des tâches ou d’adapter la méthode de travail.
La question centrale à laquelle le présent chapitre vise à répondre est celle de savoir dans quelle mesure l’IA agit sur les salaires (section 4.1). L’IA peut modifier le profil des emplois, à travers l’automatisation de certaines tâches, son rôle d’auxiliaire dans l’exécution de certaines autres et l’apparition de nouvelles activités (voir le chapitre 3). Ces évolutions devraient se traduire par des économies pour les entreprises et par des gains de productivité (Acemoglu et Restrepo, 2018[2]). Quant à savoir toutefois si les gains de productivité attendus de l’IA amèneront des hausses ou des baisses de salaire pour les travailleurs, la réponse à cette question est ambiguë, du point de vue de la théorie.
Au-delà de la variation des revenus d’activité, le présent chapitre porte aussi sur les changements induits par l’IA au niveau des exigences professionnelles et des ressources à la disposition des travailleurs, ainsi que sur les conséquences qui s’ensuivent pour la satisfaction vis-à-vis de l’emploi (section 4.2). Un robot conversationnel à intelligence artificielle, par exemple, permettra à un service client d’automatiser le traitement des appels, pour les cas les plus simples et les plus courants, l’opérateur humain n’ayant plus à s’occuper que des réclamations les plus complexes. La qualité de l’emploi pourrait y gagner puisque l’opérateur consacrera une part plus importante de son temps à des cas relativement difficiles, qui nécessitent davantage d’interactions avec des tiers et rendent par là même le travail plus gratifiant. D’un autre point de vue, la disparition des appels ordinaires le privera sans doute du répit que ces appels pouvaient lui procurer et rendra dès lors ses journées de travail plus éprouvantes sur le plan psychique. Savoir si les nouvelles exigences et les nouvelles ressources qui font leur apparition dans le sillage de l’IA améliorent ou non la satisfaction professionnelle, tel est l’autre aspect de la qualité de l’emploi que nous allons étudier dans le présent chapitre.
L’IA soulève d’autre part un ensemble de problèmes nouveaux s’agissant de la qualité de l’emploi. Elle peut par exemple faciliter ou automatiser des fonctions de supervision remplies jusque-là par des êtres humains, et notamment celles de direction, de contrôle et d’évaluation (« gestion algorithmique »). Il se pourrait donc que certains travailleurs ne voient guère de changement dans les tâches qu’ils ont à accomplir, mais que leurs supérieurs hiérarchiques soient secondés ou remplacés par un algorithme, ce qui pourrait porter atteinte à leur vie privée et à leur autonomie, tout en entraînant une intensification de leur travail et un stress accru (section 4.3).
Ce chapitre examine également la possibilité que l’IA accroisse l’inclusivité du marché du travail. Les lieux de travail inclusifs ne donnent pas seulement aux travailleurs défavorisés la possibilité d’avoir accès à des emplois de plus grande qualité : ils peuvent également être bénéfiques pour les autres, car les travailleurs apprécient les lieux de travail qu’ils jugent équitables envers leurs collègues comme envers eux-mêmes (Dube, Giuliano et Leonard, 2019[3] ; Heinz et al., 2020[4]). Grâce, par exemple, à une évaluation plus objective des performances, l’IA peut assurer un traitement plus équitable des travailleurs qui ont traditionnellement été victimes de discriminations sur le marché du travail, avec pour avantage additionnel d’améliorer la qualité de l’emploi de leurs pairs en rehaussant l’équité qu’ils perçoivent de la part de leur employeur. Néanmoins, s’ils ne sont pas conçus et mis en place correctement, ces systèmes peuvent être préjudiciables à l’inclusivité et à l’équité sur le lieu de travail. Du fait de son entraînement à partir de données tirées d’activités humaines antérieures, par exemple, l’IA risque d’introduire ou de renforcer des biais systématiques dans un ensemble de décisions relatives au marché du travail si elle n’est pas mise en œuvre avec soin (section 4.4).
Dans le présent chapitre, nous allons passer en revue les travaux empiriques consacrés à l’incidence de l’IA sur la qualité de l’emploi et l’inclusivité. Il s’agit-là d’un domaine dans lequel la recherche, pour n’en être qu’à ses débuts, n’en est pas moins déjà active, et où il y aura lieu de réaliser des études complémentaires afin de voir si les conclusions présentées ici demeurent valables avec l’adoption de nouvelles applications, telles que les grands modèles de langage (ainsi ChatGPT). Nous ferons tout d’abord un tour d’horizon des publications étayées par des données concrètes qui mettent en relief les effets de l’IA sur les salaires et la productivité (section 4.1). Nous nous attarderons ensuite sur les effets de l’IA sur la qualité de l’emploi de manière plus générale, et notamment sur les exigences et ressources professionnelles (section 4.2). La section 4.3 traitera des conséquences de la gestion algorithmique sur la qualité de l’emploi, et la section 4.4 donnera à voir comment l’IA peut faire grandir l’équité, mais aussi quels biais elle est susceptible d’introduire sur le marché du travail. En conclusion de ce chapitre figureront quelques pistes d’action que les pouvoirs publics pourront envisager de suivre afin de favoriser une incidence positive de l’IA sur la qualité de l’emploi (section 4.5).
Le volume croissant de données disponibles sur les rémunérations des travailleurs qui possèdent des compétences en IA fait apparaître qu’ils bénéficient d’avantages salariaux non négligeables. Cependant, pour le gros des travailleurs exposés à l’IA, la technologie semble n’avoir eu pour l’heure que des effets minimes sur les salaires. Ce sont aujourd’hui les entreprises les plus grandes et à la plus forte intensité capitalistique qui sont les plus enclines à recourir à l’IA, cependant, après prise en compte des différences observables entre les entreprises, les études sur le sujet ne mettent en évidence que de modestes gains de productivité.
La redéfinition des tâches comme suite à l’adoption de l’IA donne lieu à des prévisions ambiguës d’un point de vue théorique quant à savoir dans quel sens évolueront les salaires. L’IA modifie les tâches de deux grandes manières. Tout d’abord, l’IA peut créer des tâches totalement nouvelles pour les travailleurs (voir le chapitre 3). Il s’agit souvent, quoique pas toujours, de nouveaux emplois destinés aux travailleurs disposant de compétences en IA (voir également le chapitre 5)1. Lorsque l’IA impose de nouvelles tâches à certains travailleurs, ceux-ci devraient bénéficier de hausses de salaire.
Par ailleurs, l’IA peut automatiser certaines des tâches à accomplir au sein d’une entreprise ou dans le cadre d’un emploi, ce qui exerce sur les salaires deux effets antagonistes dont le résultat global est incertain. En premier lieu, les réductions de coûts rendues possibles par l’IA entraînent un effet de productivité. Si ces réductions de coûts sont suffisamment importantes, cet effet de productivité provoque une augmentation de la demande pour les activités non encore automatisées et exerce une pression à la hausse des salaires des travailleurs dont les tâches n’ont pas été touchées par l’automatisation. Cependant, l’automatisation crée également un effet de déplacement à l’origine de baisses de salaire. Intuitivement, l’automatisation a pour conséquence de cantonner les travailleurs concernés à un petit nombre de tâches, ce qui exerce des pressions à la baisse sur les salaires2.
Les travailleurs qui possèdent des compétences en IA représentent une part réduite, mais en rapide progression, de la population active occupée de la zone OCDE et ils bénéficient de salaires relativement élevés. Green et Lamby (2023[5]) s’appuient sur les données sur les offres d’emploi fournies par Lightcast, qu’ils croisent avec les résultats des enquêtes sur la population active pour déterminer la taille et les caractéristiques de la main-d’œuvre du secteur de l’IA – définie comme l’ensemble des travailleurs possédant diverses compétences en statistiques, en informatique et en apprentissage automatique3. Ils constatent que le pourcentage de la population active occupée disposant de compétences en IA est modeste – il ne dépasse pas 0.3 % en moyenne dans les pays de l’OCDE – mais en rapide augmentation. En ce qui concerne les pays de l’UE, ils montrent que près de la moitié de la main-d’œuvre du secteur de l’IA bénéficie de revenus d’activité situés dans les deux déciles supérieurs, soit une proportion plus élevée que dans le cas de la population active occupée de ces pays titulaire d’un diplôme de l’enseignement supérieur.
Les données disponibles sur les travailleurs dotés de compétences en IA aux États-Unis portent à croire que ces travailleurs bénéficient d’un avantage salarial non négligeable. Pour mesurer les avantages salariaux associés aux compétences en IA, Alekseeva et al. (2021[6]) se servent des données de Lightcast sur les offres d’emploi en ligne qui indiquent les salaires proposés et les compétences demandées. Après prise en compte des compétences requises et du marché du travail local, ils constatent que les offres d’emploi qui exigent des compétences en IA font apparaître un avantage salarial de 11 % par rapport au niveau des rémunérations au sein de la même entreprise, et de 5 % par rapport au niveau des rémunérations pour les postes à l’intitulé identique au sein de la même entreprise. Cet avantage salarial est supérieur à celui associé aux autres compétences habituellement exigées dans les postes bien rémunérés (tels que les compétences logicielles, cognitives et de gestion). Les avantages salariaux les plus nets associés aux compétences en IA sont relevés au niveau des fonctions d’encadrement, signe probable que les employeurs accordent de la valeur aux qualifications qui révèlent une connaissance de la manière dont l’IA peut être déployée dans le processus de production de manière plus générale (voir le chapitre 3).
D’importants avantages salariaux au profit des compétences en IA sont également observés dans un éventail plus large de pays anglophones. Manca (2023[7]) se sert également des données de Lightcast, mais provenant cette fois-ci d’un vaste ensemble de pays, dont le Royaume-Uni, le Canada, l’Australie et la Nouvelle-Zélande, en plus des États-Unis. Il constate dans son analyse que les offres d’emploi demandant des compétences dans des domaines étroitement liés à l’IA (en apprentissage automatique, par exemple) proposent en moyenne des salaires sensiblement plus élevés dans ces cinq pays anglophones. Il montre en outre que les emplois exigeant un éventail de compétences très proches de celles relatives à l’IA offrent un avantage salarial allant de 4 % en Australie et en Nouvelle-Zélande à plus de 10 % aux États-Unis.
Les enquêtes auprès des travailleurs ayant des compétences en IA mettent également en évidence que ceux-ci considèrent avec optimisme leurs perspectives d’évolution salariale. Les enquêtes sur l’IA menées par l’OCDE auprès des employeurs et des travailleurs (ou « enquêtes de l’OCDE sur l’IA », voir l’Encadré 4.1) font apparaître que 47 % des travailleurs qui participent activement à la conception ou à la maintenance de systèmes d’IA dans les industries manufacturières s’attendaient à une augmentation de leur salaire après le déploiement de l’IA, cette proportion atteignant même 50 % dans le secteur de la finance. À l’inverse, ils étaient respectivement 18 % et 29 % dans le secteur de la finance et celui des activités manufacturières à anticiper une baisse de leurs salaires (Lane, Williams et Broecke, 2023[8]).
Malgré un nombre croissant d’études sur l’incidence de l’IA sur la qualité de l’emploi, peu d’analyses ont à ce jour examiné quelles étaient les conséquences du déploiement de l’IA pour les entreprises et pour les travailleurs. Pour combler cette lacune, l’OCDE a procédé à des enquêtes ainsi qu’à des entretiens dans le cadre d’études de cas auprès de travailleurs et d’entreprises ayant adopté l’IA sur le lieu de travail. Tant les études de cas que les enquêtes auprès des entreprises se sont concentrées sur deux secteurs afin de mieux comprendre quelles sont les technologies d’IA spécifiquement utilisées dans les secteurs en question. Les deux secteurs retenus, finance/assurance et industries manufacturières, se distinguent des autres par une plus grande fréquence d’utilisation de l’IA et présentent chacun des profils de travailleurs différents.
Désireuse de décrire comment les travailleurs et les employeurs eux-mêmes voyaient l’incidence présente et à venir de l’IA sur leurs lieux de travail, l’OCDE a procédé à deux enquêtes couvrant au total 5 334 travailleurs et 2 053 entreprises du secteur manufacturier et de celui de la finance en Allemagne, en Autriche, au Canada, aux États-Unis, en France, en Irlande et au Royaume-Uni. Ces enquêtes examinent comment l’IA est mise en œuvre sur le lieu de travail et les raisons de son déploiement ; ses répercussions en termes de gestion, de conditions de travail et de besoins de compétences ; ses effets sur la productivité, les salaires et l’emploi ; les mesures prises pour gérer les transitions ; ainsi que les préoccupations et attitudes relatives à l’IA. Les domaines d’utilisation de l’IA les plus souvent mentionnés ont été l’analyse des données et la détection des fraudes dans le secteur financier, et les processus de production et les activités de maintenance dans celui des activités manufacturières.
L’OCDE a commandé deux enquêtes entre la mi-janvier et la mi-février 2022. L’institut de sondage a mené une enquête téléphonique auprès des employeurs en contactant les représentants de la direction d’entreprises comptant au moins 20 salariés. Les cadres d’échantillonnage utilisés pour l’enquête auprès des employeurs ont été principalement fournis par Dun & Bradstreet, qui s’enorgueillit d’avoir la plus grande banque de données sur les entreprises au monde. L’enquête auprès des employeurs était pondérée par pays et par taille d’entreprise. L’enquête auprès des travailleurs a pris la forme d’une enquête en ligne reposant sur des panels élargis – bases de données de personnes ayant préalablement donné leur accord pour participer à de futures enquêtes en ligne contre rémunération. L’enquête auprès des travailleurs était pondérée par âge, niveau d’études, genre et pays. Ces panels présentent toutefois un inconvénient qui peut compromettre leur représentativité : ils excluent les personnes qui ne disposent pas d’un accès à internet.
Les études de cas de l’OCDE examinent l’incidence perçue des technologies d’IA sur le volume d’emplois, les besoins en compétences et la qualité des emplois au sein des entreprises dans les deux mêmes secteurs que dans les enquêtes – à savoir la finance/assurance et le secteur manufacturier – et dans huit pays : Allemagne, Autriche, Canada, États-Unis, France, Irlande, Japon et Royaume-Uni. Dans chacun de ces pays, l’OCDE a engagé une équipe de chercheurs chargée de sélectionner les entreprises ayant mis en œuvre des technologies d’IA et de conduire des entretiens semi-structurés avec différentes parties prenantes à même de parler des répercussions de ces technologies sur les travailleurs.
Ces équipes de chercheurs se sont attachées à mener les entretiens avec toute une palette de parties prenantes de manière à rendre en compte de la diversité des points de vue. Ces parties prenantes étaient composées de travailleurs affectés par l’IA, de cadres, de membres des équipes des ressources humaines, de développeurs ou de fournisseurs de systèmes d’IA, de responsables de leur mise en œuvre, ainsi que de représentants des travailleurs. Au total, 90 entreprises ont pris part au projet. Lors de la sélection des entreprises, les chercheurs pouvaient choisir en toute liberté les entreprises qui leur paraissaient réunir les conditions requises, notamment en mobilisant leurs contacts/réseaux personnels ou professionnels existants et/ou en en créant de nouveaux. L’OCDE a épaulé les équipes de recherche en faisant la publicité du projet et en mettant à contribution son propre réseau. Avec ces 90 entreprises, 325 entretiens ont été conduits dans le cadre des études de cas : 147 dans le secteur de la finance, 154 dans celui des activités manufacturières, et 24 dans celui de l’énergie et de la logistique1.
1. En raison des difficultés rencontrées lors de la sélection des entreprises, les chercheurs qui ont contribué aux études de cas sur l’IA ont été encouragés à retenir un nombre limité d’entreprises du secteur de l’énergie et de la logistique.
Source : Lane, Williams et Broecke (2023[8]), « The impact of AI on the workplace: Main findings from the OECD AI surveys of employers and workers », https://doi.org/10.1787/ea0a0fe1-en ; Milanez (2023[9]), “The impact of AI on the workplace: Evidence from OECD case studies of AI implementation”, https://doi.org/10.1787/2247ce58-en.
Certains chercheurs constatent que l’ensemble plus large des travailleurs exposés aux formes d’IA les plus avancées sans en avoir nécessairement une connaissance approfondie a bénéficié de hausses de salaire. Felten, Raj et Seamans (2021[10]) prennent pour indicateur de l’exposition à l’IA les avancées enregistrées par les applications de cette technologie d’après le projet de mesure des progrès de l’IA mis en œuvre par l’Electronic Frontier Foundation, puis ils rapprochent cette variable des capacités professionnelles décrites dans la base de donnés Occupational Information Network (O*NET)4 à l’aide d’évaluations participatives du lien entre les applications et les compétences5. Ils constatent qu’une augmentation d’un écart-type de l’exposition à l’IA ajoute 0.4 point de pourcentage à la hausse des salaires. Ce surcroît est dû en grande partie aux métiers qui nécessitent de solides connaissances logicielles, mais la conception de l’étude ne permet pas de distinguer les travailleurs dotés de compétences en IA (Felten, Raj et Seamans, 2019[11]).6
Une étude qui utilise le même indicateur de l’exposition à l’IA, mais des jeux de données différents en provenance des États-Unis constate pareillement que les travailleurs exposés à l’IA tendent à être mieux rémunérés. Sur la base de données en provenance des États-Unis couvrant la période 2011‑18 et de l’exploitation de panels courts permettant de suivre les travailleurs sur la durée, Fossen et Sorgner (2019[12]) constatent que les salaires de ces derniers sont d’autant plus élevés que leur exposition à l’IA est importante. Dans leur spécification préférée (qui utilise le même indicateur de l’exposition que ci‑dessus), une augmentation d’un écart-type de l’exposition à l’IA entraîne une hausse des salaires de plus de 4 %. L’utilisation d’autres indicateurs de l’exposition à l’IA donne des résultats positifs similaires, mais l’effet est atténué par la reconversion professionnelle d’une partie des travailleurs7.
À l’inverse, les études de cas de l’OCDE sur la mise en œuvre de l’IA (ou « études de cas de l’OCDE sur l’IA », voir l’Encadré 4.1) constatent que, jusqu’à présent, l’IA n’a entraîné que de modestes variations des salaires (Milanez, 2023[9]). Dans le cadre de ces études, les personnes interrogées ont indiqué, dans la majorité des cas, que les salaires des travailleurs les plus touchés par les technologies d’IA n’ont subi aucune modification (84 % des études de cas). En de plus rares occasions, les personnes interrogées ont fait état de hausses de salaire (15 % des études de cas). Ces hausses de salaire étaient généralement dues à la plus grande complexité des tâches ou à l’acquisition de nouvelles compétences après une formation, ou encore à une amélioration des indicateurs de performances ayant une incidence sur les rémunérations. Elles étaient le plus souvent justifiées par une plus grande complexité des tâches ou par l’acquisition de nouvelles compétences après une formation. En particulier, les exemples de hausses de salaire tendaient à être issus des études de cas autrichiennes, où la négociation collective sur ces questions peut occuper une grande place (voir le chapitre 7 pour le rôle des partenaires sociaux dans la mise en œuvre de l’IA).
Bien que l’IA ne paraisse pas exercer pour l’heure de pressions à la baisse sur les salaires, les enquêtes auprès des travailleurs qui l’utilisent mettent en évidence qu’ils s’inquiètent de l’évolution future des rémunérations. Les enquêtes de l’OCDE sur l’IA montrent que lorsqu’il leur est demandé quelle sera, d’après eux, l’incidence probable de l’IA sur les rémunérations dans les 10 prochaines années, 42 % des travailleurs du secteur de la finance interrogés déclarent s’attendre à ce qu’elle entraîne des baisses de salaire. Par ailleurs, 23 % pensent que les salaires resteront stables et 16 % les voient augmenter. Dans le secteur manufacturier, 41 % des travailleurs estiment que l’IA fera baisser les salaires, tandis que 25 % sont d’avis qu’elle les laissera inchangés et 13 % qu’elle les tirera vers le haut (Lane, Williams et Broecke, 2023[8]). Les diplômés de l’université et les cadres sont de ceux qui misent le plus volontiers sur une hausse de leurs salaires, observation concordante avec une bonne part des autres constatations empiriques présentées dans ce chapitre. En outre, les hommes – en particulier dans le secteur de la finance – sont plus enclins que les femmes à escompter une hausse de salaire et, partant, moins portés à redouter une baisse de leur rémunération du fait de l’IA. Ces résultats révèlent que l’IA pourrait aggraver les inégalités salariales préexistantes.
Les variations des salaires induites par l’adoption de l’IA découlent en dernière analyse des gains de productivité tirés par les entreprises après la mise en œuvre de cette technologie. L’effet limité de l’IA sur les salaires – en particulier pour les travailleurs exposés à cette technologie – pourrait être un reflet de son incidence à ce jour limitée sur la productivité. Cette section décrit brièvement les données empiriques aujourd’hui disponibles concernant l’effet de l’IA sur la productivité du travail.
Les entreprises les plus grandes et les plus productives ont une plus forte probabilité d’adopter l’IA. L’étude d’un échantillon représentatif d’entreprises des États-Unis, en 2018, a mis en évidence que la fréquence d’adoption de l’IA est d’autant plus forte que la taille de l’entreprise et le niveau moyen des salaires en son sein sont élevés (Acemoglu et al., 2022[13]). De même, l’OCDE a constaté, dans une étude sur le Royaume-Uni réalisée en 2019, que les entreprises qui adoptent l’IA sont généralement proches du sommet de la distribution de la productivité dans leur secteur. S’appuyant sur des informations issues de sites web, des brevets et des offres d’emploi pour identifier les entreprises qui adoptent l’IA, elle parvient à la conclusion que l’adoption de l’IA est fonction croissante de la taille de l’entreprise (Calvino et al., 2022[14]).
Des données d’enquêtes harmonisées couvrant plusieurs pays montrent également que les entreprises de plus grande taille ont une plus forte probabilité d’adopter l’IA. Calvino et Fontanelli (2023[15]) analysent les enquêtes officielles sur l’utilisation de l’IA au niveau de l’entreprise dans 11 pays de l’OCDE appliquant une même méthodologie statistique, et ils en concluent que l’adoption de l’IA entretient une corrélation avec la taille des entreprises. Les auteurs posent l’hypothèse que cela puisse être dû au fait que les plus grandes entreprises peuvent consacrer davantage de ressources à la mise en œuvre d’actifs complémentaires pour tirer pleinement parti de l’IA (voir également le chapitre 3).
La relation positive entre la taille de l’entreprise et l’adoption de l’IA est également confirmée par les études reposant sur les offres d’emploi aux États-Unis. Alekseeva et al. (2021[6]) se servent des données de Lightcast sur les offres d’emploi pour mesurer le recrutement de travailleurs possédant des compétences en IA au niveau des entreprises, qu’ils utilisent en guise d’indicateur de l’adoption de l’IA. Ils observent qu’il existe une corrélation positive entre l’adoption de l’IA et le chiffre d’affaires, l’évolution de l’emploi et la capitalisation boursière d’une entreprise. Cette constatation a été confirmée une première fois, aux États-Unis, à partir d’une autre base de données d’offres d’emploi et de CV, et une autre fois encore en déterminant la taille des entreprises en fonction de leur chiffre d’affaires (Babina et al., 2020[16]).
Les entreprises les plus grandes et les plus productives ont certes une plus forte probabilité d’adopter l’IA, mais les éléments attestant une relation causale positive entre l’IA et la productivité demeurent ténus. S’appuyant sur la même enquête auprès des employeurs du Bureau du recensement (Census Bureau) des États-Unis, Acemoglu et al. (2022[13]) constatent que l’IA et l’équipement spécialisé ne sont aucunement corrélés avec la productivité du travail. Ils utilisent un modèle de régression pour tenir compte des différences observables entre les entreprises qui adoptent l’IA et celles qui ne le font pas et ils constatent que l’adoption de l’IA a un modeste effet positif sur la productivité qui n’est toutefois pas statistiquement significatif. Les auteurs avancent quelques explications à cette constatation, dont le fait que les effets de l’IA sur la productivité du travail ne s’étaient pas encore pleinement manifestés au moment de l’étude (les données datent de 2018), et/ou que les diverses technologies d’automatisation sont souvent adoptées conjointement, empêchant toute interprétation claire des effets de l’IA sur la productivité.
Babina et al. examinent les offres d’emploi, ainsi qu’une base de données de CV comportant des informations sur les antécédents professionnels, (2020[16]) et ils remarquent une tendance marquée et constante des entreprises des États-Unis qui investissent le plus dans l’IA à enregistrer une plus forte croissance : au cours d’une période de huit ans, une augmentation d’un écart-type de l’indicateur des investissements dans l’IA établi à partir des CV donne lieu à une augmentation de 20.3 % du chiffre d’affaires, de 21.7 % de l’emploi, et de 22.4 % de la valeur de marché. Cependant, les investissements dans l’IA ne s’accompagnent pas d’une évolution du chiffre d’affaires par travailleur (une mesure approximative de la productivité du travail), de la productivité totale des facteurs, ou des brevets de procédé (c’est-à-dire des brevets portant sur des innovations de procédé). Autrement dit, le chiffre d’affaires et l’emploi augmentent du fait de l’IA, mais ils s’accroissent dans les mêmes proportions, d’où l’absence de variation statistiquement significative de la productivité8.
Les données issues d’un ensemble plus large de pays de l’OCDE montrent de même les effets incertains de l’IA sur la productivité. Calvino et Fontanelli (2023[15]) constatent que les entreprises qui ont adopté l’IA obtiennent des gains de productivité, à condition toutefois d’avoir parallèlement mis en œuvre des actifs complémentaires. Calvino et al., dont l’étude porte exclusivement sur le Royaume-Uni (2022[14]), indiquent que, si l’on s’en tient aux plus grandes entreprises (celles de plus de 249 salariés), celles ayant adopté l’IA enregistrent des gains de productivité. Cependant, lorsque toutes les entreprises sont prises en compte dans l’échantillon, l’effet n’est plus statistiquement significatif. Par ailleurs, si l’on se concentre sur la « marge intensive » de l’adoption de l’IA eu égard à l’écart de taux de recrutement de travailleurs ayant des compétences en IA, les entreprises d’au moins 250 salariés continuent de bénéficier de gains de productivité. Les auteurs constatent également qu’une grande partie du gain de productivité obtenu par les entreprises qui embauchent des travailleurs dotés de compétences en IA provient des cadres et des professionnels hautement qualifiés, ce qui corrobore les données disponibles sur les salaires (ci-dessus) et la satisfaction professionnelle (voir la section 4.2), tout comme celles relatives à l’emploi et aux compétences, dont il est question dans d’autres chapitres de ce volume (chapitres 3 et 5, respectivement).
Cependant, lorsque la question leur est directement posée, les employeurs affirment que l’IA accroît la productivité. Les enquêtes de l’OCDE sur l’IA demandaient quel est l’effet exercé sur la productivité par l’adoption de l’IA. Cinquante-sept pour cent des employeurs du secteur de la finance et 63 % de ceux du secteur manufacturier déclaraient que l’IA a eu une incidence positive sur la productivité des travailleurs, alors qu’ils n’étaient que 8 % et 5 %, respectivement à indiquer un effet négatif (Lane, Williams et Broecke, 2023[8]). L’effet positif sur la productivité des travailleurs dont il est fait état cadre avec les résultats des nouvelles études sur le déploiement d’applications de l’IA générative sur le lieu de travail, bien que ces applications concernent généralement des domaines assez spécifiques et qu’il soit trop tôt pour savoir comment elles s’étendront à un ensemble plus large d’entreprises (voir l’Encadré 4.2).
Les travailleurs qui utilisent l’IA pensent également que celle-ci a un effet positif sur leurs performances. Les mêmes enquêtes de l’OCDE sur l’IA constatent que les travailleurs qui interagissent avec l’IA (que ce soit en mettant eux-mêmes en œuvre l’IA, ou en en dirigeant d’autres qui l’utilisent) déclarent dans leur majorité que leurs performances se sont améliorées après l’introduction de l’IA. Dans les deux secteurs examinés, plus de 80 % des travailleurs qui travaillent avec l’IA font état de meilleures performances professionnelles. Les diplômés de l’université et ceux exerçant des fonctions d’encadrement ou des professions intellectuelles et scientifiques déclarent une plus forte amélioration de leurs performances grâce à l’IA que ceux qui ne possèdent pas de diplôme universitaire ou qui occupent des postes de production et non de supervision9.
Des études récentes sur l’effet des applications de l’IA générative sur le lieu de travail ont permis de constater que ces applications accroissent la productivité, et souvent les performances, des travailleurs les moins expérimentés ou les moins qualifiés. Par exemple, Brynjolfsson, Li et Raymond (2023[17]) observent qu’une application de l’IA générative qui suggère en temps réel aux opérateurs des services client comment répondre aux appels augmente de 14 % la productivité, mesurée par le nombre d’appels résolus en une heure. Cette application a été déployée progressivement au fil du temps pour permettre aux chercheurs de comparer les travailleurs qui l’utilisent à ceux qui n’y avaient pas encore accès. Les chercheurs relèvent que les gains de productivité sont principalement enregistrés par les travailleurs les moins expérimentés, ce qui porte à croire que cette application de l’IA générative identifie et transfère implicitement les schémas comportementaux des opérateurs les plus productifs des services client en direction des moins qualifiés ou expérimentés.
Les applications de l’IA générative peuvent également renforcer les compétences rédactionnelles des travailleurs. Dans une expérience de Noy et Zhang (2023[18]), les spécialistes des fonctions administratives et commerciales ayant utilisé ChatGPT se sont acquittés de tâches de rédaction en un temps plus court, et pour un meilleur résultat, que ceux qui n’avaient pas bénéficié de cette assistance. Les chercheurs ont demandé à l’ensemble des participants de réaliser deux tâches de rédaction, et ils n’ont suggéré d’utiliser ChatGPT qu’entre la première et la seconde tâches et à un sous-ensemble de participants choisis aléatoirement. Ils ont constaté que ceux qui avaient obtenu les moins bons résultats au premier exercice de rédaction ont ensuite produit un travail de meilleure qualité et en moins de temps après leur exposition à ChatGPT. Par ailleurs, ceux qui avaient montré les qualités rédactionnelles les plus élevées lors de la première épreuve n’ont rien gagné sur le plan qualitatif à utiliser ChatGPT, mais se sont acquittés de leur tâche en un temps plus court.
Une expérience d’utilisation d’un outil d’IA pour aider les programmateurs à écrire des codes élémentaires a également permis de constater que les applications de l’IA générative améliorent spécifiquement la productivité des moins expérimentés. Peng et al. (2023[19]) ont mené une expérience où les programmateurs étaient incités à réaliser une tâche de codage aussi rapidement que possible. Un groupe sélectionné de manière aléatoire avait accès à CoPilot, un programme d’IA générative qui suggère des codes et des fonctions en temps réel en tenant compte du contexte. Cette étude parvient à la conclusion que les programmateurs qui faisaient partie de ce groupe ont accompli la tâche en un temps inférieur de plus de 50 % à celui nécessaire au groupe de contrôle, et que ce sont surtout les programmateurs les moins expérimentés qui ont tiré bénéfice de l’IA. Dans l’ensemble, ces résultats suggèrent là encore que l’IA générative peut réduire l’inégalité des performances sur le lieu de travail (voir également la section 4.4).
La présente section servira à passer en revue les études qui commencent à être consacrées à l’effet de l’IA sur la sécurité et la satisfaction au travail, analysées en tenant compte de l’évolution des exigences professionnelles et des ressources disponibles sur le lieu de travail. Elle s’appuie principalement sur les enquêtes et études de cas de l’OCDE sur l’IA, ainsi que sur d’autres sources plus larges. À l’instar de nombreuses études sur la qualité de l’emploi et l’adoption de nouvelles technologies, les résultats présentés ne valent souvent que pour les travailleurs encore en poste après l’introduction de l’IA dans leur entreprise et qui dès lors ne forment pas nécessairement un échantillon représentatif des travailleurs exposés à celle-ci.
Les travailleurs qui utilisent l’IA se déclarent plus épanouis dans leur travail. Les enquêtes de l’OCDE sur l’IA font apparaître que plus de la moitié (63 %) de tous les utilisateurs de l’IA des secteurs de la finance et des activités manufacturières ont déclaré que l’IA avait accru leur satisfaction soit légèrement, soit de beaucoup (Lane, Williams et Broecke, 2023[8]). Malgré un jugement positif concernant l’incidence de l’IA sur leurs propres performances, les résultats étaient variables selon la manière dont les travailleurs interagissent avec l’IA. Les travailleurs qui ont fait part de l’effet positif le plus marqué sur leur satisfaction sont ceux qui assurent la conception ou l’entretien de l’IA et ceux qui encadrent les travailleurs qui utilisent cette technologie. Les travailleurs qui utilisent l’IA ou qui sont soumis à une gestion algorithmique étaient proportionnellement les moins nombreux à faire état d’une satisfaction accrue après l’introduction de l’IA, mais la plupart des travailleurs des différentes catégories n’en ont pas moins déclaré qu’elle améliorait leur satisfaction professionnelle (voir également la section 4.3).
D’autres enquêtes auprès de travailleurs révèlent de même que l’adoption de l’IA est associée à une plus grande satisfaction des travailleurs. Ipsos (2018[20]) a sondé en juin 2018 plus de 6 000 travailleurs répartis dans six pays de l’OCDE (Allemagne, Canada, Espagne, États-Unis, France et Royaume-Uni) sur leurs sentiments à l’égard de l’IA et sur les effets exercés par celle-ci sur le lieu de travail après son déploiement. Au moins 59 % des travailleurs interrogés dans chacun des pays couverts par cette enquête ont déclaré que l’IA avait des effets positifs sur leur bien-être au travail. La plupart des travailleurs ont également déclaré que leur travail y gagnait en intérêt.
Des données d’enquête en provenance du Japon mettent de même en évidence une corrélation entre l’adoption de l’IA et l’augmentation de la satisfaction professionnelle. Sur la base d’une enquête auprès de plus de 10 000 travailleurs au Japon, Yamamoto (2019[21]) constate que l’adoption effective ou prévue de l’IA accroît la satisfaction professionnelle. Cette même enquête met toutefois en lumière que l’adoption de l’IA s’accompagne également d’un stress accru. Les auteurs observent également des résultats contradictoires tant en ce qui concerne les exigences professionnelles que les ressources dont disposent les travailleurs. Dans le sillage de l’adoption de l’IA, les travailleurs font état d’une diminution des tâches routinières à accomplir, mais aussi d’une augmentation de la complexité de leurs activités non routinières.
L’une des raisons pour lesquelles l’IA pourrait contribuer à accroître la satisfaction professionnelle tient au fait qu’elle a une plus grande probabilité d’automatiser les tâches répétitives que d’en augmenter le nombre. Dans ses enquêtes sur l’IA, l’OCDE a demandé aux travailleurs et aux entreprises quels types de tâches ont été créés ou automatisés par l’IA (voir également le chapitre 3). Dans l’un et l’autre secteurs examinés, environ deux fois plus de travailleurs ont déclaré que l’IA avait automatisé davantage de tâches répétitives (plus de 50 %) qu’elle n’en avait créé, et les écarts étaient statistiquement significatifs (Lane, Williams et Broecke, 2023[8]).
Dans ses études de cas sur l’IA, l’OCDE constate de même que l’adoption de l’IA aboutit souvent à une diminution des tâches fastidieuses et répétitives. Dans le secteur de la finance, cela a souvent pris la forme d’une réduction des tâches administratives simples. Une entreprise financière du Royaume-Uni a ainsi mis en œuvre un système d’IA pour aider à réaliser tout un éventail d’activités, dont la souscription de prêts hypothécaires, l’ajustement des taux d’intérêt, les opérations de banque commerciale et les fonctions de courtage. Les travailleurs considèrent que ces évolutions améliorent la qualité de leur emploi dans la mesure où leur activité est devenue moins administrative et où ils préfèrent vouer plus de temps à aider les clients et leurs collègues au sein de l’entreprise (Milanez, 2023[9]). Les travailleurs ont également insisté sur la réduction du temps passé à des tâches fastidieuses, qui leur donne plus de possibilités de se consacrer aux activités de recherche, de planification et de gestion de projets.
La capacité de l’IA à traiter et à modéliser de gros volumes de données peut aider à la prise de décisions et renforcer l’investissement professionnel des individus. Dans les enquêtes de l’OCDE sur l’IA, 70 % et 56 % des utilisateurs de l’IA dans les secteurs de la finance et des activités manufacturières, respectivement, ont déclaré que l’IA les a aidés dans la prise de décisions, avec des effets extrêmement positifs (Lane, Williams et Broecke, 2023[8]). Les résultats étaient de même positifs lorsqu’il était demandé aux mêmes travailleurs si l’IA les aidait à prendre de meilleures décisions ou à les prendre dans des délais plus courts. La même enquête constate que, par rapport aux autres travailleurs, les cadres – dont les fonctions consistent pour une large part à prendre des décisions – sont généralement ceux qui ont l’opinion la plus positive sur les effets de l’utilisation de l’IA sur la qualité de leur emploi. Une explication pourrait en être que l’automatisation partielle des tâches d’encadrement accroît potentiellement l’efficacité des activités de supervision comme de celles de nature administrative, ou encore la qualité des décisions prises par les cadres, ce qui leur permet de se concentrer sur des tâches plus complexes et interpersonnelles, avec potentiellement des effets positifs sur leur productivité et leur satisfaction au travail.
Les enquêtes de l’OCDE sur l’IA mettent également en lumière que l’adoption de cette technologie est associée à une plus grande autonomie des travailleurs dans l’accomplissement de leurs tâches. L’autonomie semble quant à elle présenter une corrélation positive avec les performances et les conditions de travail. La plupart des travailleurs des secteurs de la finance (58 %) et des activités manufacturières (59 %) ont déclaré que l’IA avait accru leur capacité de choisir l’ordre d’exécution des tâches demandées, alors que respectivement 20 % et 21 % des utilisateurs de cette technologie estimaient qu’elle avait réduit cette capacité.
Dans les études de cas de l’OCDE, les travailleurs ont indiqué que les tâches qu’ils ont à accomplir sont d’une plus grande diversité depuis l’introduction de l’IA (Milanez, 2023[9]). Au Royaume-Uni, un prestataire de services financiers a mis en œuvre un robot conversationnel dans le cadre de son service client. Ce robot conversationnel aide les clients à trouver eux-mêmes une solution à leur problème en les dirigeant vers les réponses aux questions les plus fréquentes. Le service client traite désormais un volume réduit de demandes élémentaires, ce qui a aidé à en diversifier l’éventail. Une opératrice interrogée dans le cadre de l’étude de cas a résumé ainsi l’évolution de son métier : « Le travail est assurément plus intéressant. Il est plus varié, car les clients ne demandent pas toujours la même chose. » Elle a également décrit comment cette technologie permet aux travailleurs d’établir des relations plus personnelles, ce qui rend leur travail plus gratifiant.
Une utilisation accrue de l’IA sur le lieu de travail peut entraîner un recul des contacts humains au détriment de la qualité de l’emploi. Cela pourrait être, par exemple, dû au fait que les robots conversationnels à IA répondent à des questions que les travailleurs auraient sinon posées à un collègue humain ou à un conseiller en RH, ou au fait que c’est un algorithme et non un responsable humain qui « dit » aux travailleurs quelles seront leurs prochaines périodes de travail. L’utilisation croissante de l’IA sur le lieu de travail peut, par conséquent, avoir des effets négatifs sur le bien-être et la productivité au travail, car la perte d’une partie de la dimension sociale du travail peut générer un sentiment d’isolement chez les travailleurs (Nguyen et Mateescu, 2019[22]). Certaines expériences montrent également que les interactions entre l’humain et la machine par le truchement des robots conversationnels à IA risquent d’accroître les comportements égocentriques (Christakis, 2019[23]), ce qui pourrait avoir une incidence négative sur le bien-être de personnes qui travaillent ensemble.
Cependant, d’autres expériences donnent des résultats opposés et suggèrent que les interactions entre l’humain et la machine peuvent améliorer les interactions d’humain à humain. Par exemple, Traeger et al. (2020[24]) ont constaté que les personnes qui dialoguent avec un robot social ou un robot conversationnel à IA pendant l’accomplissement d’une tâche se montrent plus détendues et ouvertes à la conversation, rient davantage et sont plus aptes à collaborer, bien que l’effet soit fonction du type de compétences sociales du robot. Ainsi, les robots qui s’en tiennent à des déclarations neutres et factuelles ont plus de mal à améliorer les interactions d’humain à humain que ceux qui reconnaissent leurs erreurs ou racontent des blagues. On se reportera au chapitre 6 pour un examen des réponses apportées par les pouvoirs publics au manque de décisions et d’interactions humaines résultant de l’utilisation de l’IA sur le lieu de travail.
Les systèmes d’IA peuvent être à même d’apporter une aide sur le plan de la sécurité et de la santé au travail. Les systèmes de contrôle peuvent par exemple alerter les travailleurs qui risquent de s’approcher trop près d’équipements dangereux, ou qui pourraient ne pas respecter les règles de sécurité (Wiggers, 2021[25]). Des systèmes d’IA en cours de conception visent par ailleurs à repérer les signes non verbaux, dont le langage corporel, les expressions faciales et le ton de la voix : ces systèmes peuvent être utilisés sur le lieu de travail pour repérer les travailleurs surchargés de travail et ceux dont le bien-être mental est menacé (Condie et Dayton, 2020[26]).10 À titre d’exemple, les conducteurs de train de la ligne à haute vitesse Beijing-Shanghai sont équipés de « dispositifs de surveillance du cerveau » insérés dans leurs casquettes. L’entreprise qui fabrique ces dispositifs affirme qu’ils décèlent différents types d’activité cérébrale, dont la fatigue et la perte d’attention, avec une précision supérieure à 90 %. Si le conducteur s’endort, la casquette déclenche une alarme (Chen, 2018[27]). Toutefois, ces systèmes de contrôle impliquent souvent la collecte de vastes volumes de données, avec les risques que cela comporte pour la protection des données.
Les enquêtes de l’OCDE sur l’IA observent une amélioration de la santé physique et mentale après l’introduction de l’IA, bien que ces effets positifs ne soient pas également répartis. Dans le secteur manufacturier, les travailleurs utilisant l’IA étaient 55 % à déclarer que celle-ci avait amélioré leur santé mentale, et dans celui de la finance 54 % se trouvaient dans le même cas. Dans le secteur manufacturier, plus de 60 % des travailleurs utilisant l’IA ont également fait état d’une amélioration de leur santé physique11. Les hommes et les diplômés de l’enseignement supérieur sont bien plus nombreux à se déclarer en meilleure santé physique et mentale que les femmes et les non diplômés de l’enseignement supérieur, dont moins de 40 % font état d’une amélioration sur ces mêmes plans dans le secteur de la finance (Lane, Williams et Broecke, 2023[8]).
Les études de cas de l’OCDE sur l’IA confirment la contribution de cette technologie à l’amélioration de la sécurité physique. Bon nombre des réponses fournies par les travailleurs montrent que la mise en œuvre de l’IA améliorait la sécurité physique en étendant les capacités des équipements dangereux, permettant aux travailleurs de rester à bonne distance de ces derniers. Un fabricant autrichien a par exemple mis en œuvre un logiciel d’IA qui commande une machine à dresser qui sert à corriger la concentricité des tiges d’acier. Avant l’introduction de l’IA, ce sont les travailleurs qui procédaient à cette opération, ce qui pouvait entraîner des accidents, mais à présent les travailleurs doivent simplement contrôler la machine en restant à l’abri derrière une barrière (Milanez, 2023[9]). Pour donner un autre exemple, l’essor de l’IA, et en particulier de la vision par ordinateur, a permis le déploiement de robots sophistiqués de tri des déchets dans les usines de recyclage – actuellement, les travailleurs du recyclage figurent parmi les plus exposés au risque d’accident du travail (Nelson, 2018[28])12. Les exemples ci-dessus montrent comment l’utilisation de robots dotés d’IA permet « d’éviter que les travailleurs se retrouvent dans des situations dangereuses » (EU-OSHA, 2021[29]).
L’introduction de l’IA peut également entraîner une accélération des cadences de travail. D’après les enquêtes de l’OCDE sur l’IA, 75 % des travailleurs interrogés dans le secteur de la finance qui utilisaient l’IA ont indiqué que cette technologie avait accéléré leurs cadences de travail, et il en est de même pour 77 % d’entre eux dans les industries manufacturières. Ils étaient, dans ces deux secteurs, cinq fois plus nombreux à juger que l’IA avait accéléré les cadences qu’à déclarer qu’elle les avait ralenties (Lane, Williams et Broecke, 2023[8]). Les auteurs soulignent toutefois que l’accélération des cadences de travail ne crée pas nécessairement plus de stress, car elle s’accompagne souvent d’un pouvoir de décision accru des travailleurs sur l’ordre d’exécution des tâches qu’ils ont à accomplir (voir ci-dessus)13.
Les études de cas de l’OCDE sur l’IA fournissent d’autres éléments indiquant que l’IA peut entraîner une intensification du travail. Les applications de l’IA peuvent automatiser l’ensemble des tâches « simples » incombant à un travailleur, lui laissant le même volume de travail, mais sans le répit que pouvaient lui procurer les missions faciles à accomplir. Un développeur d’IA d’une entreprise manufacturière canadienne, interrogé dans le cadre de ces études de cas, a ainsi déclaré qu’il omettait volontairement d’automatiser toutes les tâches simples afin que les travailleurs puissent bénéficier d’un répit mental lorsqu’ils exécutent un nombre plus réduit de tâches exigeantes (Milanez, 2023[9]). Cet exemple témoigne d’une conscience aigüe du stress imposé aux travailleurs par la réalisation d’un nombre accru de tâches de plus grande intensité à une cadence plus rapide. Il n’est toutefois pas assuré que toutes les entreprises fassent preuve du même souci lors de l’adoption de l’IA.
L’IA peut aider les cadres dans leur travail, par exemple en leur fournissant des recommandations de formation individualisées pour leurs subordonnés, ou en optimisant les plannings de travail en fonction des préférences et de la disponibilité des membres de l’équipe. L’IA peut également automatiser intégralement certaines des tâches d’encadrement ou la totalité d’entre-elles, et par exemple répartir automatiquement les travailleurs en équipes sans qu’aucune intervention humaine ne soit nécessaire. Ces diverses formes de « gestion algorithmique » (voir l’Encadré 4.3) peuvent avoir des répercussions sur la qualité de l’emploi des subordonnés, qu’ils aient ou non à interagir avec l’IA dans le cadre de leur travail. L’incidence de la gestion algorithmique sur la qualité des emplois des subordonnés pourrait dépendre du degré de participation de l’IA aux prises de décision des cadres, bien que l’on ne dispose guère d’éléments permettant de différencier les décisions d’encadrement ayant bénéficié du concours de cette technologie de celles totalement automatisées. À titre d’exemple, les cadres humains peuvent tirer parti de leur connaissance de l’esprit d’équipe d’un travailleur – variable qui ne peut être comptabilisée ni donc être prise en considération dans les décisions des systèmes d’IA.
La gestion algorithmique consiste à utiliser l’IA soit pour faciliter soit pour automatiser les décisions de gestion – comme celle de savoir qui doit bénéficier d’une prime, d’une formation ou d’une promotion – ou d’autres tâches d’encadrement telles que le contrôle des travailleurs1. À titre d’exemple, l’IA peut sélectionner les CV qui correspondent le mieux à une description de poste tout en respectant les critères de diversité, elle peut optimiser l’attribution des tâches ou de formations aux travailleurs compte tenu de leurs caractéristiques et de leurs préférences, et elle peut contrôler de grands nombres de travailleurs en tout lieu et à tout moment.
Certains systèmes d’IA peuvent certes être capables d’assurer chacune de ces tâches de manière autonome sans nécessiter aucune intervention humaine (c’est-à-dire une automatisation intégrale dans le cadre de la gestion algorithmique). Dans le scénario le plus probable, les cadres reçoivent des recommandations formulées par l’IA qu’ils pourront (sans y être pour autant contraints) reprendre dans leurs propres décisions. Par exemple, les cadres peuvent généralement revoir et rejeter les évaluations algorithmiques des travailleurs ou la répartition automatique de ces derniers en équipes (Wood, 2021[30]). Il importe de garantir qu’ils soient en mesure d’avoir un regard critique sur les recommandations de l’IA et restent libres de ne pas en tenir compte.
L’une des raisons de la rareté de l’automatisation intégrale dans le cadre de la gestion algorithmique tient au fait que la réglementation lui impose certaines limites dans divers pays. Par exemple, le Règlement général sur la protection des données (RGPD) européen interdit dans les faits toute gestion algorithmique impliquant une prise de décision totalement automatique, et de nombreux pays non européens disposent également d’une législation semblable au RGPD – voir le chapitre 6.
Bien que la gestion algorithmique soit de plus en plus utilisée dans les secteurs de l’entreposage, de la vente au détail, de l’hôtellerie et de la restauration, ainsi que dans les industries manufacturières (Briône, 2020[31] ; Wood, 2021[30] ; Jarrahi et al., 2021[32]), elle demeure surtout très répandue dans le travail de plateforme (par exemple pour assigner les courses aux livreurs). La proposition de directive de l’UE sur le travail de plateforme est un texte emblématique destiné à relever les défis lancés par la gestion algorithmique dans ce domaine. Afin d’assurer avant tout des conditions de travail équitables, cette directive s’attache à réglementer la manière dont les plateformes utilisent les algorithmes pour encadrer et contrôler les travailleurs. Elle accorde une grande importance à la transparence et à la responsabilité, et elle exige que les plateformes fournissent une information claire sur le fonctionnement et les répercussions des algorithmes sur les droits des travailleurs et sur l’évaluation de leurs performances. La directive favorise par ailleurs le droit à la représentation collective et autorise les travailleurs à négocier et à contester les pratiques de gestion algorithmique. En cherchant à remédier au biais algorithmique, en renforçant la transparence et en donnant leur mot à dire aux travailleurs, cette directive de l’UE vise à établir une approche plus équilibrée et centrée sur l’humain du travail de plateforme au sein de l’Union européenne (Commission européenne, 2021[33]).
1. Un terme connexe usuel est celui d’analytique des personnes, qui désigne l’utilisation d’outils statistiques, y compris de systèmes d’IA, pour mesurer, décrire et comprendre les performances des travailleurs sous différents aspects (Briône, 2020[31]).
L’OCDE constate, dans ses enquêtes sur l’IA, que quelque 7 % des travailleurs des industries manufacturières et 6 % de ceux du secteur de la finance déclarent être dirigés par une IA. Cela pourrait signifier soit qu’ils sont conscients que leur responsable reçoit des recommandations d’une IA, soit que certaines des tâches d’encadrement, voire la totalité d’entre-elles, sont automatisées. Dans l’un et l’autre secteurs, les hommes ont une plus grande probabilité d’être soumis à une gestion algorithmique que les femmes (8 % contre 5 %, respectivement). Il est également plus fréquent d’être soumis à la gestion algorithmique pour les répondants titulaires d’un diplôme universitaire (8 %, contre 5 % pour ceux sans diplôme universitaire) et pour ceux qui sont nés dans un autre pays que celui où ils travaillent (9 % contre 6 % pour les personnes nées dans le pays).
Bien qu’ils portent un jugement globalement positif sur l’incidence de l’IA sur leurs propres performances et conditions de travail, les répondants soumis à une gestion algorithmique se montrent moins positifs que ceux dont l’interaction avec cette technologie prend une autre forme (voir le Graphique 4.1). Par rapport aux autres formes d’interaction avec l’IA, se trouver soumis à une gestion algorithmique a des effets bien moins favorables sur les performances professionnelles des travailleurs.
Ces résultats pourraient cependant être faussés par le fait que la question de l’enquête relative à la gestion algorithmique ne permet d’identifier que les travailleurs ayant conscience d’y être soumis. Les travailleurs savent probablement s’ils sont soumis à des tâches d’encadrement totalement automatisées, mais ils pourraient ignorer si leur supérieur « se contente » d’être assisté par une IA dans ses prises de décision. Il s’ensuit que les résultats présentés dans cette section pourraient être déterminés par les travailleurs soumis à une totale automatisation de certaines tâches d’encadrement, mais l’on ne sait pas avec certitude en quoi, ni jusqu’à quel point, l’incidence sur la qualité de leur emploi pourrait différer de celle éprouvée par les travailleurs dont le supérieur est assisté par une IA.
Plusieurs raisons peuvent expliquer pourquoi les travailleurs soumis à une gestion algorithmique portent un jugement moins positif sur l’incidence de l’IA sur leur emploi : le risque d’une intensification du travail, celui d’une perte d’autonomie, et celui d’atteintes à la vie privée. La présente section examine ces trois risques plus en détail. Le recours à la gestion algorithmique soulève également une question plus fondamentale : celle de savoir si l’automatisation totale des prises de décision doit être autorisée sur les lieux de travail s’il s’agit de décisions ayant une incidence sur les perspectives et le bien-être des individus – cette question est abordée au chapitre 6.
La gestion algorithmique peut accroître l’intensité du travail. Le contrôle constant et généralisé et les évaluations des performances guidées par les données, rendus possibles par l’IA, peuvent créer un environnement extrêmement stressant, avec des répercussions négatives sur la santé mentale des salariés, ceux-ci pouvant se sentir surveillés en permanence et objet d’une pression au résultat. De plus, les travailleurs soumis à une surveillance excessive peuvent se sentir contraints de sacrifier leur temps personnel et l’équilibre entre leur vie professionnelle et leur vie privée. Par exemple, les systèmes télématiques guidés par l’IA qui sont utilisés pour contrôler et encadrer les chauffeurs-livreurs sont souvent mis en place dans l’intention déclarée d’accroître la sécurité des chauffeurs, mais ceux-ci se sentent tellement poussés à « battre leur record » que l’intensification du travail qui s’ensuit entraîne une dégradation de la sécurité au travail. Dans certains entrepôts, les objets personnels connectés et dotés d’IA, utilisés pour contrôler et gérer les travailleurs, attribuent une note aux salariés et leur communiquent sans cesse des objectifs de prélèvement. Associée à la menace de licenciement, cette pratique peut aboutir à une intensification du travail à l’origine d’un stress et d’un épuisement physique accrus, mais aussi créer des situations qui pourraient être physiquement dangereuses sur les lieux de travail (Moore, 2018[34]). Dans certains pays, le droit légal des travailleurs à la déconnexion devrait leur offrir une protection contre ce risque, comme en Belgique, en Espagne, en France et en Italie (Eurofound, 2021[35]).
Les résultats des enquêtes de l’OCDE sur l’IA confirment que la gestion algorithmique risque d’accroître l’intensité du travail, bien que cela semble dépendre du contexte dans lequel elle est mise en œuvre. Dans le secteur de la finance, 85 % des travailleurs qui déclarent être soumis à une gestion algorithmique ont subi une accélération de leurs cadences de travail du fait de l’IA, contre 74 % de ceux dont l’interaction avec l’IA prend une autre forme (Graphique 4.2). Cependant, dans les activités manufacturières, ce pourcentage est comparable pour les travailleurs soumis à une gestion algorithmique et pour ceux dont l’interaction avec l’IA prend une autre forme (76 % et 78 %, respectivement).
La gestion et le contrôle systématiques par l’IA risquent de réduire l’espace d’autonomie des travailleurs et leur sentiment d’avoir un pouvoir de décision sur le mode d’exécution des tâches à accomplir, surtout s’ils sont poussés à l’extrême et impliquent une automatisation totale des tâches d’encadrement. Par exemple, les données relatives aux travailleurs d’entrepôts où l’encadrement, totalement automatisé, est géré de façon algorithmique montrent que ces travailleurs se voient refuser la capacité de prendre des décisions marginales sur le mode d’exécution de leur travail, et même celle de bouger leurs propres membres (Briône, 2020[31]). Les dispositifs utilisés dans certains centres d’appel fournissent aux opérateurs des informations en retour sur l’intensité de leurs émotions en vue de les alerter de la nécessité de retrouver leur calme (Briône, 2020[31]). D’autres secteurs d’activité – dont ceux du conseil, de la banque, de l’hôtellerie et du travail de plateforme – procèdent également en ce moment à l’adoption de logiciels qui permettent une évaluation permanente des performances en temps réel par les supérieurs hiérarchiques ou par les clients (Wood, 2021[30]). Ces niveaux extrêmes de contrôle et de rétroaction sur les performances, rendus possibles par la gestion algorithmique, peuvent donner aux travailleurs l’impression d’être traités comme des marchandises, et susciter chez eux un sentiment d’aliénation (Fernández-Macias et al., 2018[36] ; Bucher, Fieseler et Lutz, 2019[37] ; Frischmann et Selinger, 2018[38] ; Maltseva, 2020[39] ; Jarrahi et al., 2021[32]). Il peut également en résulter une diminution de l’investissement des salariés dans leur travail, car beaucoup voient en celui-ci l’un des éléments qui doit donner un sens à l’existence (Saint-Martin, Inanc et Prinz, 2018[40] ; Hegel, 1807[41] ; OCDE, 2014[42] ; Bowie, 1998[43]).
Un manque de transparence et d’explicabilité des décisions basées sur les systèmes d’IA restreindrait également l’autonomie des travailleurs. Par exemple, en l’absence d’explication des décisions qui les concernent, les travailleurs ne peuvent adapter leur comportement de manière à améliorer leurs performances (Loi, 2020[44]). De plus, ce manque de transparence et d’explicabilité des systèmes d’IA peut donner le sentiment que les décisions algorithmiques sont arbitraires, sapant par là même la confiance dans ces systèmes tout en écartant la possibilité de contester ou de corriger les résultats erronés – voir le chapitre 6.
Bien que les enquêtes de l’OCDE sur l’IA fassent apparaître que l’adoption de l’IA est, dans l’ensemble, associée à une plus grande autonomie des travailleurs (voir la section 4.2.1), les répondants qui se déclarent soumis à une gestion algorithmique ont, sur la question, des opinions plus polarisées que l’ensemble de l’échantillon. Dans le secteur de la finance, la majorité de ceux qui sont dirigés par l’IA déclare que celle-ci a accru leur autonomie, alors que c’est l’inverse dans le secteur manufacturier – voir le Graphique 4.3. Ces résultats suggèrent que l’incidence de la gestion algorithmique sur le sentiment d’autonomie des travailleurs est fonction du contexte et du mode de mise en œuvre.
Quand bien même si la surveillance étroite des travailleurs rendue possible par les systèmes d’IA peut ne pas être légale dans bon nombre de pays de l’OCDE (voir le chapitre 6), certains logiciels de contrôle et de surveillance faisant appel à l’IA comportent des caractéristiques qui ne laissent qu’une intimité très limitée aux travailleurs. Le contrôle des travailleurs par leur hiérarchie n’est certes pas un fait nouveau, mais l’éventail des données susceptibles d’être exploitées à l’aide de l’IA dépasse de loin en complexité les capacités de traitement des humains ou des autres technologies (Ajunwa, Crawford et Schultz, 2017[45] ; Sánchez-Monedero et Dencik, 2019[46]). Il peut s’ensuivre des atteintes à la vie privée des travailleurs, ce qui constitue une violation de leurs droits fondamentaux (voir le chapitre 6), mais de plus ces atteintes à la vie privée et les violations de la cybersécurité (ou la crainte de celles-ci) peuvent également avoir des conséquences psychosociales et affecter plus généralement le bien-être des individus dans le cadre de leur travail.
L’utilisation de logiciels de télésurveillance a connu une progression exponentielle lorsque les travailleurs sont massivement passés au télétravail au cours de la crise du COVID‑19. Par exemple, ActivTrak, un outil qui fait appel à l’IA pour contrôler en continu comment les travailleurs utilisent leurs ordinateurs, est passé de 50 entreprises clientes à 800 au cours du seul mois de mars 2020. Teramind, qui utilise l’IA pour signaler automatiquement en temps réel certains comportements des salariés sur leurs ordinateurs, tels que l’accès non autorisé à des fichiers sensibles, a par ailleurs annoncé que le nombre de ses nouveaux clients potentiels a enregistré une croissance à trois chiffres depuis le début de la pandémie (Morrison, 2020[47]).
Les objets personnels connectés qui recueillent des données physiologiques sensibles sur l’état de santé des travailleurs, sur leurs habitudes et, potentiellement, sur la nature de leurs interactions sociales avec d’autres personnes en offrent un autre exemple. Ces informations peuvent être collectées et exploitées pour améliorer la santé et la sécurité des salariés, mais elles peuvent également être utilisées par les employeurs pour étayer leurs décisions ultérieures (Maltseva, 2020[39]). Le chapitre 7 examine le risque que les employeurs s’appuient sur cette surveillance des travailleurs au moyen de l’IA pour détecter leur intention de s’organiser en syndicat.
Les enquêtes de l’OCDE sur l’IA montrent que, parmi les travailleurs qui déclarent que l’utilisation de l’IA par leurs employeurs implique la collecte de données sur eux-mêmes ou sur la manière dont ils accomplissent leur travail14, plus de la moitié ont fait part d’inquiétudes pour leur vie privée (Lane, Williams et Broecke, 2023[8]). Ils sont en outre respectivement 58 % et 54 % dans le secteur de la finance et dans les industries manufacturières à déclarer qu’ils s’inquiètent de la collecte d’un trop grand nombre de leurs données à caractère personnel.
L’adoption de l’IA améliore probablement la qualité de l’emploi de certains groupes de travailleurs, mais elle risque de la dégrader pour les autres, avec des répercussions sur l’inclusivité du marché du travail. Dans le même temps, les systèmes d’IA peuvent contribuer à réduire les biais sur le lieu de travail et à renforcer l’équité, mais uniquement si ces biais sont pris en compte dans la conception et la mise en œuvre de l’IA.
L’inclusivité et l’équité du marché du travail sont des éléments importants pour la qualité de l’emploi (Barak et Levin, 2002[48] ; Brimhall et al., 2022[49]). Les travailleurs défavorisés (tels que les porteurs de handicaps, les minorités ethniques, ou les allophones) tendent à bénéficier d’un meilleur accès à des emplois de qualité sur les marchés du travail inclusifs, ce qui a des effets positifs sur leur satisfaction professionnelle, leur niveau de stress et leur sentiment d’équité. Il peut en outre s’ensuivre des répercussions positives sur la qualité de l’emploi des autres travailleurs qui attachent de la valeur à l’équité sur leur lieu de travail.
En accroissant l’accessibilité du lieu de travail pour les travailleurs généralement défavorisés sur le marché du travail, l’IA peut renforcer l’inclusivité en entreprise. Les dispositifs d’assistance qui font appel à l’IA pour aider les travailleurs ayant des problèmes de vue, d’élocution ou d’audition, ou porteurs de prothèses de membres sont de plus en plus répandus, ce qui améliore l’accès au travail et la qualité de l’emploi pour les personnes handicapées (Smith et Smith, 2021[50] ; Touzet, à paraître[51]). Par exemple, les solutions de reconnaissance vocale pour les personnes dysarthriques ou les systèmes de sous-titrage en temps réel pour les sourds et les malentendants peuvent faciliter la communication avec les collègues et l’accès à des emplois où la communication interpersonnelle est indispensable.
L’IA peut également renforcer les capacités des travailleurs peu qualifiés, ce qui a potentiellement des effets positifs sur leurs salaires et leurs perspectives de carrière. Par exemple, la capacité de l’IA à traduire en temps réel l’écrit et la parole peut améliorer les performances des allophones sur leur lieu de travail. Qui plus est, les récentes évolutions des générateurs de texte fondés sur IA, tels que ChatGPT, peuvent instantanément améliorer les performances des personnes peu qualifiées dans des domaines tels que la rédaction, le codage ou les services client (voir l’Encadré 4.2).
Dans le même temps, certains des systèmes d’IA employés sur le lieu de travail sont plus difficiles, si ce n’est impossibles, à utiliser pour les personnes ayant un faible niveau de compétences numériques, tels que les travailleurs peu qualifiés, et plus généralement les plus âgés ou les femmes, avec des effets négatifs sur l’inclusivité. Des compétences numériques de base suffisent pour utiliser l’IA, mais dans les pays de l’OCDE, en moyenne plus d’un tiers des adultes ne possèdent pas les compétences les plus élémentaires dans ce domaine (Verhagen, 2021[52]). De plus, la disponibilité et la qualité des traductions et autres textes générés par l’IA dépendent du nombre d’utilisateurs qui parlent une langue donnée, ce qui crée des inégalités concernant ceux qui peuvent bénéficier de cette technologie (Blasi, Anastasopoulos et Neubig, 2022[53]).
Les employeurs et les travailleurs ont souvent des visions antagonistes des possibilités que l’IA accroisse l’inclusivité au bénéfice des groupes défavorisés. Près de la moitié des employeurs du secteur de la finance et de celui des activités manufacturières interrogés dans le cadre des enquêtes de l’OCDE sur l’IA sont d’avis que cette technologie peut aider les travailleurs porteurs de handicaps, alors qu’ils sont proportionnellement plus nombreux à considérer qu’elle porterait préjudice aux salariés les moins qualifiés et les plus âgés plutôt qu’elle ne leur serait bénéfique (Graphique 4.4). Si les employeurs pensent que l’IA a une plus grande probabilité d’aider les femmes que de leur nuire, les femmes qui utilisent cette technologie ont un regard moins positif que les hommes sur l’incidence qu’elle exerce sur la qualité de l’emploi, et une partie de cet écart demeure après la prise en compte du fait que les hommes et les femmes qui utilisent l’IA occupent généralement des emplois différents (Lane, Williams et Broecke, 2023[8]). Les résultats soulèvent donc la question de savoir si les actuelles utilisations de l’IA pourraient risquer de laisser pour compte certains travailleurs à mesure que cette technologie connaît une plus large diffusion. Le chapitre 5 examine en détail l’incidence de l’IA sur les compétences, ainsi que ses répercussions sur l’inclusivité.
Les systèmes d’IA utilisés sur le lieu de travail ne sont pour l’heure pas toujours conçus et mis en œuvre de manière non biaisée et peuvent donc avoir des effets variables sur la qualité de l’emploi selon les groupes de travailleurs considérés. Par exemple, étant donné qu’elle peut favoriser des évaluations plus objectives des performances (Broecke, 2023[54]), l’IA pourrait ouvrir de plus grandes perspectives de reconnaissance et de promotion aux travailleurs traditionnellement victimes de discriminations sur le marché du travail, comme les femmes ou les travailleurs âgés. Cependant, si elle reproduit les biais existants, l’IA aura l’effet inverse et aboutira à une systématisation des discriminations. L’IA n’accroîtra l’équité sur le lieu de travail et n’entraînera une amélioration de la qualité des emplois et un renforcement de l’inclusivité que si elle parvient à surmonter et à atténuer les biais implicites.
Dans ses enquêtes sur l’IA, l’OCDE constate que 45 % et 43 % des travailleurs qui utilisent l’IA dans le secteur financier et les industries manufacturières, respectivement, pensent que l’IA a amélioré le degré d’équité dont leur responsable ou leur superviseur fait preuve à leur égard (Graphique 4.5). Malgré ces résultats positifs, environ un utilisateur de l’IA sur dix pense que cette technologie a réduit l’équité de l’encadrement. Cela porte à croire que l’incidence de l’IA sur l’équité dépend de la manière dont elle est conçue et de son mode de mise en œuvre par les cadres.
Des biais dans les systèmes d’IA peuvent apparaître au niveau des données comme à celui du système (Accessnow, 2018[55] ; Executive Office of the President of the United States, 2016[56]). Au niveau du système, le choix des paramètres du système comme celui des données utilisées pour l’entraîner sont le fruit de décisions prises par des humains selon leurs propres critères. Le manque de diversité au sein du secteur des technologies fait planer des risques en ce domaine (West, Whittaker et Crawford, 2019[57]). Des biais peuvent également être introduits au niveau des données, qui peuvent être incomplètes, incorrectes ou obsolètes et être un reflet des discriminations du passé.
Des biais peuvent se produire à toutes les étapes de l’utilisation des systèmes d’IA sur le lieu de travail. Lors du recrutement – malgré de grandes promesses d’amélioration de l’adéquation entre l’offre et la demande de travail – il existe des preuves de l’existence de biais concernant les personnes susceptibles de consulter les offres d’emploi, comme pour ce qui est de la sélection et du classement des candidats lorsque les systèmes d’IA sont utilisés (voir le chapitre 3) (Broecke, 2023[54]). Des biais peuvent également se faire jour lorsque les systèmes d’IA sont utilisés pour évaluer les performances sur le lieu de travail. Si les données ayant servi à entraîner le système sont biaisées, les prédictions automatisées des performances, bien que neutres en apparence, seront elles-mêmes biaisées. En outre, lors de l’évaluation des performances, les systèmes d’IA ne seraient pas capables de tenir compte des informations contextuelles, telles que les circonstances personnelles, qui ne sont généralement pas codées dans les données utilisées par l’algorithme.
L’utilisation de systèmes de reconnaissance faciale faisant appel à l’IA pour identifier les travailleurs lors de leur accès au lieu de travail lance également, tout comme les outils qui y sont mis en œuvre, des défis liés aux biais. Il a été constaté que les systèmes de reconnaissance faciale fonctionnent moins bien sur les personnes de couleur (Harwell, 2021[58]), et plusieurs chercheurs mettent en doute la capacité de l’IA de détecter avec précision les émotions et les signes non verbaux propres à différentes cultures (Condie et Dayton, 2020[26]).
Il n’en reste pas moins que les biais sont aussi largement répandus dans les décisions humaines. Une méta-analyse portant sur 30 ans d’expériences menées aux États-Unis a révélé qu’à niveau de qualification égal, les postulants blancs avaient 36 % de chances en plus d’être rappelés que les afro‑américains, et 24 % de chances en plus que les latino-américains – les chiffres ayant très peu évolué entre 1989 et 2015 (Quillian et al., 2017[59]). Cependant, par rapport aux décisions biaisées des humains, l’utilisation systématique d’une IA biaisée risque de multiplier et de systématiser les biais (Institut Montaigne, 2020[60]) et de renforcer ce faisant les tendances discriminatoires du passé (Kim, 2017[61] ; Sánchez-Monedero et Dencik, 2019[46]). Qui plus est, la discrimination dans les systèmes d’IA est plus contre-intuitive et difficile à déceler, ce qui remet en cause la protection juridique assurée par les lois de lutte contre les discriminations (Wachter, Mittelstadt et Russell, 2021[62]). Pour les pouvoirs publics, le défi est d’encourager l’IA, et complémentairement les humains, à veiller à réduire collectivement les biais.
Une étude récente sur l’utilisation des systèmes d’IA sur le lieu de travail révèle que l’IA est capable à la fois de surmonter les biais, d’accroître la productivité sur le lieu de travail et de renforcer l’inclusivité, mais aussi de perpétuer les inégalités existantes si elle n’est pas correctement mise en œuvre. Li, Raymond et Berman (2020[63]) ont conçu des algorithmes d’apprentissage automatique pour sélectionner les CV et décider s’il convient de faire passer aux postulants une première série d’entretiens pour des postes hautement qualifiés au sein de l’une des 500 plus grosses entreprises au regard du chiffre d’affaires selon le classement publié par la revue Fortune. Ils montrent qu’un algorithme tenant exclusivement compte des données antérieures de l’entreprise pour décider qui doit passer les entretiens accroît la qualité du processus (mesurée par le pourcentage de recrutements) par rapport aux résultats obtenus par des chargés de recrutement humains, mais au prix d’une moindre représentation des candidats issus des minorités. Ils mettent en outre en évidence qu’une adaptation de l’algorithme de telle sorte qu’il n’exploite pas seulement les données antérieures, mais examine également les candidats appartenant à des groupes sous-représentés dans les données antérieures permet d’améliorer simultanément la qualité et l’inclusivité. En réalité, l’algorithme n’est pas encouragé à tenir compte de l’inclusivité ; il y parvient en examinant occasionnellement les profils sous-représentés en raison d’une plus forte variance des données. Les résultats montrent que les applications de l’IA peuvent améliorer la productivité et l’inclusivité, mais uniquement si elles sont judicieusement conçues.
Dans le présent chapitre, nous avons passé en revue les travaux actuels consacrés à l’incidence de l’IA sur la qualité de l’emploi et l’inclusivité. Il y a lieu de penser que les travailleurs qui possèdent des compétences en IA bénéficient d’un avantage salarial non négligeable, même par rapport à d’autres travailleurs au profil analogue nantis de compétences recherchées (des compétences en informatique par exemple). Cependant, pour tous ceux, bien plus nombreux, qui sont exposés à l’IA sans avoir nécessairement de compétences en la matière, l’effet sur les salaires demeure pour l’heure incertain. Si l’on considère maintenant la qualité de l’emploi dans une perspective plus large tenant notamment compte de la somme des exigences auxquelles les travailleurs doivent satisfaire et les ressources à leur disposition, il apparaît que l’adoption de l’IA va de pair avec une plus grande satisfaction professionnelle. Il en est probablement ainsi parce que l’IA automatise davantage de tâches fastidieuses qu’elle n’en crée et qu’elle peut également contribuer à améliorer la santé mentale et la sécurité physique des travailleurs. Cette dernière profite du fait ce que les machines existantes atteignent aujourd’hui un tel niveau de perfectionnement qu’il n’est plus nécessaire désormais de travailler à leur proximité. Les données dont on dispose montrent que les cadres, les travailleurs dotés de compétences en matière d’IA et les diplômés du supérieur jouissent d’une meilleure qualité d’emploi.
Le champ de la réflexion sur la qualité de l’emploi n’est pas restreint aux salaires ni aux exigences professionnelles et ressources fournies aux travailleurs, mais s’étend également à l’action déterminante que l’IA exerce sur l’environnement de travail dans son ensemble. L’IA peut changer la manière de travailler des cadres, voire remplacer ceux-ci. Si son incidence sur le comportement professionnel et les conditions de travail est dans l’ensemble positive, dans les enquêtes de l’OCDE sur l’IA, les personnes soumises à une gestion algorithmique sont souvent moins optimistes que celles dont l’interaction avec cette technologie prend une autre forme. Certains ont une plus grande probabilité de déclarer que l’IA a réduit leur autonomie et accru l’intensité de leur travail. De plus, la plupart des travailleurs s’inquiètent pour leur vie privée lorsque leur employeur utilise l’IA pour collecter des données sur eux et en particulier sur la manière dont ils font leur travail.
L’incidence de l’IA sur la satisfaction professionnelle et la santé au travail est variable selon les catégories de travailleurs et a des répercussions sur l’inclusivité au travail. Ainsi, les cadres, ceux qui possèdent les compétences nécessaires au développement ou à la conception et à la maintenance des systèmes d’IA, ainsi que les diplômés de l’enseignement supérieur sont généralement les plus enclins à déclarer que l’adoption de l’IA a été bénéfique de ces deux points de vue. L’IA peut également avoir du mal à se débarrasser des biais, qu’ils affectent les données ou les systèmes eux-mêmes. Si les décisions humaines sont elles aussi rarement impartiales, l’utilisation de systèmes d’IA mal pondérés fait courir le risque de multiplier et de systématiser les biais, entraînant une diminution de l’inclusivité du lieu de travail, avec des effets négatifs sur la satisfaction au travail des groupes défavorisés comme de leurs collègues.
L’action des pouvoirs publics est à même d’encourager une mise en œuvre de l’IA sur le lieu de travail qui soit bénéfique à la qualité de l’emploi. Certains pays de l’OCDE, par exemple, autorisent les travailleurs à se soustraire à une automatisation complète de l’encadrement, appelée aussi gestion algorithmique, en reconnaissant aux individus le droit à une intervention humaine digne de ce nom dans les décisions importantes les concernant. Le chapitre 6 est dédié à un examen approfondi des dispositions politiques prises par les différents pays concernant la protection de la vie privée, la pleine automatisation de la gestion algorithmique, et les mesures visant à prévenir et corriger les biais liés à l’utilisation de systèmes d’IA en entreprise, entre autres. Le chapitre 7 présente un examen des problèmes et possibilités que l’adoption de l’IA apporte aux partenaires sociaux. Les politiques relatives aux compétences et la souplesse des systèmes de formation en milieu professionnel peuvent aussi aider les travailleurs à tirer parti de l’IA. Le chapitre 5 tire des leçons applicables aux compétences et à la formation, l’accent étant mis plus généralement sur la prolifération de l’IA sur les lieux de travail.
Le présent chapitre, enfin, a passé en revue les travaux de recherches publiés à ce jour au sujet de l’incidence de l’IA sur la qualité de l’emploi et l’inclusivité, mais il doit être considéré comme l’amorce de nouvelles études et non comme un point final. L’étude des effets de l’IA sur les salaires – l’une des questions les plus sérieuses en ce qui concerne tant cette technologie que le marché du travail – s’est focalisée, pour l’essentiel, sur le carré restreint des actifs dotés de compétences dans le domaine. Moins nombreux sont, en comparaison, les travaux empiriques ayant porté sur la masse autrement importante de ceux qui sont appelés à utiliser l’IA sans avoir de formation particulière en informatique ou en apprentissage automatique. Pour brosser un panorama complet de la qualité de l’emploi, tenant compte de l’ensemble des exigences et ressources professionnelles, nous nous sommes largement fondés ici sur les enquêtes et études de cas de l’OCDE sur l’IA. Ces études ont d’ores et déjà permis à la recherche d’accomplir de grands progrès, quoiqu’elles ne portent que sur deux secteurs d’activité et ne tiennent pas compte de la sélection non observée des travailleurs après l’adoption de l’IA. Ces questions méritent d’être approfondies, non seulement pour confirmer les observations rapportées dans le présent chapitre, mais encore parce que l’IA progresse rapidement et que les études dont il a été fait mention ici avaient un caractère essentiellement rétrospectif. L’évolution des capacités de l’IA pourra très bien démentir demain ce qui est tenu pour vrai aujourd’hui.
[55] Accessnow (2018), Human rights in the age of artificial intelligence, Accessnow, https://www.accessnow.org/cms/assets/uploads/2018/11/AI-and-Human-Rights.pdf.
[13] Acemoglu, D. et al. (2022), Automation and the Workforce: A Firm-Level View from the 2019 Annual Business Survey, National Bureau of Economic Research, Cambridge, MA, https://doi.org/10.3386/w30659.
[2] Acemoglu, D. et P. Restrepo (2018), « The Race between Man and Machine: Implications of Technology for Growth, Factor Shares, and Employment », American Economic Review, vol. 108/6, pp. 1488-1542, https://doi.org/10.1257/aer.20160696.
[45] Ajunwa, I., K. Crawford et J. Schultz (2017), « Limitless Worker Surveillance », California Law Review, vol. 105/3, pp. 735-776, https://doi.org/10.15779/Z38BR8MF94.
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← 1. Ces nouvelles tâches et ces nouveaux emplois ne sont pas réservés aux seuls travailleurs possédant des compétences en IA, mais concernent également l’ensemble plus large des travailleurs qui sont à même d’exploiter cette nouvelle technologie sans en avoir nécessairement une connaissance approfondie.
← 2. Voir le chapitre 3 pour une synthèse plus détaillée, et Acemoglu et Restrepo (2018[2]) pour un examen approfondi.
← 3. Voir Green et Lamby (2023[5]) pour un examen des diverses méthodes d’identification des compétences en IA. La plupart des études tiennent compte des compétences demandées dans les offres d’emploi et considèrent qu’une offre exige des compétences en IA si elle demande des compétences dans des sous‑domaines de l’IA tels que l’apprentissage automatique ou le traitement du langage naturel, ou encore celui des progiciels souvent utilisés par les professionnels de l’IA.
← 4. Voir l’encadré 3.1 au chapitre 3 pour plus d’informations.
← 5. D’autres exemples des progrès de l’IA et de l’exposition à cette technologie sont fournis par Brynjolfsson, Mitchell et Rock (2018[66]) qui construisent un indice de pertinence de l’apprentissage automatique, ainsi que par Webb (2020[64]), qui mesure les progrès de l’IA en s’appuyant sur les brevets enregistrés.
← 6. Cela porte à croire que les travailleurs qui possèdent des compétences en IA pourraient déterminer les résultats, ce qui jette un doute sur l’interprétation pour ce qui est des travailleurs exposés à l’IA sans avoir pour autant de connaissances approfondies en la matière – voir également le chapitre 5.
← 7. Alekseeva et al. (2021[6]) constatent de même que les travailleurs sans compétences en IA, mais qui travaillent dans des entreprises comportant une plus forte proportion de travailleurs dotés de compétences en IA – une mesure indirecte de l’adoption de l’IA – bénéficient de salaires plus élevés que les autres travailleurs exerçant des fonctions similaires.
← 8. S’appuyant sur une base de données des entreprises allemandes comportant des informations sur l’adoption de l’IA en 2018, Czarnitzki, Fernández et Rammer (2022[65]) trouvent des éléments tendant à montrer que l’IA accroît le chiffre d’affaires, qu’ils considèrent comme un indicateur de la productivité. Ils n’examinent pas l’incidence sur le chiffre d’affaires par salarié comme c’est habituellement le cas dans les autres études. Il est par conséquent difficile d’interpréter leurs résultats. Ils observent toutefois une corrélation positive entre l’emploi et le chiffre d’affaires qui pourrait suggérer que l’effet sur la productivité mesuré par eux se trouve atténué comme dans Babina et al. (2020[16]).
← 9. Comme dans toutes les études de ce type, les résultats ne prennent en considération que les travailleurs qui restent dans l’entreprise. Si les travailleurs qui estiment que leurs performances sont moins bonnes du fait de l’IA quittent l’entreprise, leur avis n’est pas pris en compte.
← 10. Plusieurs chercheurs mettent cependant en doute la capacité de l’IA à identifier avec précision les émotions et les signes non verbaux propres à différentes cultures (Condie et Dayton, 2020[26]).
← 11. L’IA semble avoir entraîné une bien moindre amélioration de la sécurité dans le secteur de la finance, mais ce n’est guère surprenant vu que celui-ci n’implique généralement pas d’activités physiquement éprouvantes, pas plus qu’il n’est réputé dangereux pour la santé physique. Il est également possible que les travailleurs dont l’état de santé s’est dégradé du fait de l’IA aient été proportionnellement plus nombreux à quitter l’entreprise.
← 12. En 2020, le secteur de la gestion des déchets et de l’assainissement a enregistré un taux d’accidents mortels de 15 pour 100 000 travailleurs en équivalent plein temps, ce qui constitue un niveau 5 fois supérieur à la moyenne observée aux États-Unis (BLS, 2021[67]).
← 13. Ces résultats doivent toutefois être interprétés avec prudence, car les travailleurs qui se sentent particulièrement stressés par l’accélération des cadences de travail pourraient avoir quitté l’entreprise dans le sillage de l’introduction de l’IA.
← 14. Quarante-neuf pour cent des travailleurs du secteur de la finance et 39 % de ceux des industries manufacturières déclaraient que l’utilisation de l’IA par leur entreprise donnait lieu à la collecte de données sur eux-mêmes considérés individuellement ou sur la manière dont ils accomplissent leur travail.