Andrew Green
Perspectives de l’emploi de l’OCDE 2023
Intelligence artificielle et marché du travail
3. Intelligence artificielle et emploi : aucun signe de fléchissement de la demande de main-d’œuvre (pour l’instant)
Abstract
L’intelligence artificielle (IA) est la dernière technologie en date qui attise les craintes d’automatisation rapide et de destruction d’emplois. Le présent chapitre passe en revue les travaux empiriques consacrés jusqu’ici à l’incidence de l’IA sur l’emploi. Il s’ouvre par un examen des progrès accomplis au regard des capacités de l’IA et de ce que cela implique pour les tâches, les professions et les emplois les plus exposés à ces avancées. Il propose ensuite un tour d’horizon des conclusions d’études récentes dédiées aux effets de l’IA sur l’emploi, parmi lesquelles des études économétriques, des enquêtes et des études de cas portant sur des entreprises et des travailleurs. Enfin, le chapitre se conclut par une analyse des politiques qui pourraient à la fois atténuer les éventuels effets de déplacement de l’IA et favoriser la croissance économique.
En Bref
L’intelligence artificielle (IA) est l’innovation technologique qui suscite aujourd’hui des espoirs de gains de productivité rapides mais aussi des craintes de suppressions d’emplois. Faisant fond sur une suite en constante évolution d’algorithmes et de modèles statistiques, et en particulier sur l’apprentissage automatique, ainsi que sur des données massives toujours plus nombreuses et la baisse du coût de la capacité de calcul, l’IA a rapidement amélioré son aptitude à apporter des réponses à des problèmes pour lesquels il est impossible de codifier des règles formelles et pour lesquels les humains avaient, jusque récemment, l’avantage de pouvoir prendre des décisions en s’appuyant sur leur formation ou leur expérience.
La facilité croissante avec laquelle l’IA réalise ces tâches non répétitives suscite de nouvelles inquiétudes quant à la possibilité de suppressions d’emplois dans des professions auparavant considérées comme inaccessibles à l’automatisation. Des professions des secteurs de la finance, de la médecine ou du droit, qui exigent souvent de nombreuses années d’études et dont les fonctions essentielles supposent des prises de décisions étayées par l’expérience, pourraient ainsi se trouver soudainement menacées par l’automatisation induite par l’IA.
Le présent chapitre s’emploie à déterminer si les données concrètes recueillies à ce jour justifient ces craintes. Pour ce faire, il analyse les nouveaux travaux empiriques portant sur les retombées de l’IA sur la demande de main-d’œuvre en général et sur les professions les plus menacées par ses progrès. La prudence est cependant de mise avant de tirer des conclusions de ces faits stylisés car les données ne tiennent pas compte de l’incidence des avancées récentes dans le domaine des grands modèles de langage et, plus généralement, de l’IA générative, dont les effets potentiels sont difficiles à évaluer. Les principaux résultats sont les suivants :
En théorie, l’IA a une incidence nette ambivalente sur l’emploi. Elle supprimera en effet le travail humain dans certains cas (effet de déplacement), mais elle peut aussi accroître la demande de main-d’œuvre en raison des gains de productivité qu’elle génère (effet de productivité). L’IA peut aussi créer de nouvelles tâches, qui créeront de nouveaux emplois (effet de réintégration), en particulier pour les travailleurs dotés de compétences complémentaires à l’IA.
Les indicateurs de l’exposition à l’IA, utilisés dans ce chapitre pour évaluer le degré de recoupement entre les tâches effectuées dans le cadre d’un emploi et celles que l’IA est théoriquement capable de réaliser, montrent que c’est dans le domaine des tâches cognitives non répétitives, comme l’ordonnancement de l’information, la mémorisation et la vitesse de perception, que celle‑ci a le plus notablement progressé. Il s’agit souvent de compétences essentielles exigées dans des professions qui requièrent généralement de nombreuses années de formation structurée et/ou d’études supérieures. Ces indicateurs sont antérieurs aux progrès récents des applications de l’IA générative (ChatGPT, par exemple) ; il convient donc de les interpréter avec prudence : l’éventail des professions concernées et l’exposition à l’IA pourraient rapidement augmenter sous l’effet de l’intégration croissante des outils d’IA générative dans les processus de production et de la mise au point de nouveaux systèmes d’IA, plus puissants.
Les professions très qualifiées sont les plus susceptibles de faire intervenir des tâches cognitives non répétitives, et elles sont par conséquent les plus exposées aux progrès de l’IA. Il s’agit par exemple des spécialistes en administration d’entreprises, des directeurs, cadres de direction et gérants, des directeurs généraux d’entreprise et de spécialistes des sciences techniques.
À ce stade, peu d’éléments attestent d’un effet négatif de l’IA sur l’emploi. Ni les études empiriques fondées sur les disparités entre pays en termes d’exposition à l’IA, ni les études qui s’appuient sur les écarts observés à l’échelon national sur les marchés du travail locaux ne constatent de recul statistiquement significatif de l’emploi. De même, des enquêtes menées récemment auprès de salariés et d’entreprises et des études portant sur des entreprises ayant adopté l’IA observent peu de changements à cet égard. Cela dit, l’IA évolue rapidement et les progrès en matière d’IA générative pourraient infirmer en partie les données recueillies à ce jour.
Bien que plus exposés à l’IA, les travailleurs très qualifiés ont vu leur taux d’emploi progresser par rapport à celui des travailleurs peu qualifiés ces dix dernières années. Cette évolution tient peut-être à ce que l’IA crée de nouvelles tâches et de nouveaux emplois pour les travailleurs dotés des compétences appropriées ; ce chapitre présente des éléments qui témoignent d’un effet de réintégration important durant cette phase initiale d’adoption de l’IA dans les activités de production.
D’autres raisons expliquent l’incidence à ce stade limitée de l’IA sur l’emploi, notamment des taux d’adoption encore relativement faibles et le fait que les entreprises sont réticentes à procéder à des licenciements immédiats et préfèrent compter sur la réduction naturelle des effectifs (départs à la retraite et départs volontaires) pour faire diminuer l’emploi. Elles ont peut‑être aussi besoin de temps pour mettre en œuvre les nouvelles technologies qu’elles adoptent. Les éventuelles retombées négatives de l’IA sur l’emploi pourraient donc tarder à se concrétiser. Quoi qu’il en soit, la dernière vague d’IA générative risque d’élargir encore l’éventail des tâches et des emplois automatisables.
Du point de vue de l’action publique, les éléments dont on dispose montrent qu’il est nécessaire d’éduquer et de former les travailleurs pour les doter des compétences qui leur permettront d’une part de tirer parti de cette nouvelle technologie (chapitre 5), d’autre part d’instaurer un dialogue social pour gérer les transitions de manière constructive et assurer une répartition équitable des gains de productivité (chapitre 7). Par ailleurs, pour limiter les éventuelles retombées défavorables sur l’emploi, les pays pourraient renforcer la concurrence sur le marché des produits et sur celui du travail et passer en revue leur fiscalité du travail et du capital pour vérifier qu’elle n’encourage pas l’adoption de technologies qui remplacent la main-d’œuvre. Les progrès récents des grands modèles de langage et de l’IA générative appellent en outre la mise en place de mesures en vue de faire face à d’éventuelles perturbations de l’économie et du marché du travail (chapitre 6).
Introduction
Les progrès de l’intelligence artificielle (IA) pourraient remettre en question le discours établi sur le risque de pertes d’emplois résultant de l’automatisation. La dernière vague d’IA a débuté en 2011 environ, lorsque les avancées de l’apprentissage automatique, un domaine de la statistique computationnelle servant à établir des prévisions à partir de données non structurées, ont permis de créer des applications dans différents secteurs et contextes (Agrawal, Gans et Goldfarb, 2019[1] ; OCDE, 2019[2]). À l’instar de l’électricité ou de la machine à vapeur en leur temps, l’IA peut être considérée comme une technologie générique car elle peut être utilisée à de multiples fins dans de nombreux secteurs et favoriser des gains de productivité généralisés (Bresnahan et Trajtenberg, 1995[3] ; Lane et Saint-Martin, 2021[4]). Néanmoins, le consensus qui se dégage parmi les économistes et les responsables publics au vu des innovations antérieures en matière d’automatisation est que la demande de main-d’œuvre devrait rester forte. Le travail humain complète les nouvelles technologies, ce qui crée de nouveaux emplois et des gains de productivité et accroît la demande globale de main-d’œuvre. (Autor, 2015[5] ; OCDE, 2019[6])
Cela dit, l’IA diffère des technologies d’automatisation précédentes, qui portaient principalement sur les tâches répétitives et n’ont pas entraîné de recul de la demande globale de main-d’œuvre (OCDE, 2019[7]). L’IA est un système automatisé qui, pour un ensemble donné d’objectifs définis par l’homme, est en mesure d’établir des prévisions, de formuler des recommandations, ou de prendre des décisions influant sur des environnements réels ou virtuels (OCDE, 2019[8]). En d’autres termes, elle s’appuie sur des données et utilise (généralement) un modèle statistique pour produire des prévisions, des décisions ou des recommandations. Point important, elle peut tirer des leçons de ses actions et, partant, améliorer ses prévisions et ses recommandations au fil du temps. La notation de crédit et le prêt, l’aide juridique et les diagnostics médicaux en sont des applications notables. L’idée prévalait auparavant que les humains avaient un avantage comparatif sur les machines pour effectuer ce type de tâches complexes. Or, avec l’IA, ces dernières pourraient mieux se prêter à l’automatisation (Agrawal, Gans et Goldfarb, 2019[9]). Certains sont même allés jusqu’à formuler des théories selon lesquelles l’IA sera en mesure « d’accroître [sa] productivité et [sa] portée au point de rendre superflus le travail humain et l’intelligence humaine » – voir Nordhaus (2021[10]).
Ce chapitre examine les nouvelles données empiriques concernant l’influence de l’IA sur la demande de main-d’œuvre. Ces dix dernières années, les économistes ont changé de point de vue quant à l’influence exercée par la technologie sur la demande de main-d’œuvre. Les nouvelles théories prennent nettement plus au sérieux les effets de déplacement de l’automatisation et la possibilité que les nouvelles technologies se traduisent par une diminution de la demande de main-d’œuvre (Susskind, 2022[11]). En parallèle, les progrès réalisés dans les applications de l’apprentissage automatique ont accentué le recoupement avec les aptitudes utilisées au travail. On peut faire appel aux indicateurs de l’exposition à l’IA pour mesurer ce recoupement entre les tâches effectuées à un poste et celles que l’IA est en théorie capable d’exécuter et ainsi établir des prévisions pour les métiers et les emplois les plus fragilisés. Les théories relatives à la façon dont l’IA va automatiser et compléter le travail humain, conjuguées aux indicateurs d’exposition, forment le socle des données empiriques concernant l’effet de l’IA sur l’emploi (section 3.1).
S’appuyant principalement sur les indicateurs d’exposition à l’IA, le chapitre analyse les nouvelles estimations de l’incidence de cette technologie sur l’emploi. Il avait précédemment été démontré que l’automatisation des tâches répétitives diminuait la proportion d’emplois dans les professions moyennement qualifiées (Autor, Levy et Murnane, 2003[12] ; OCDE, 2017[13]). On estime aujourd’hui que l’IA touchera un éventail beaucoup plus large de métiers. Le chapitre évalue donc également en quoi certains groupes peuvent être particulièrement menacés par l’IA. L’analyse porte sur des estimations empiriques à différents niveaux, notamment les entreprises, les professions et les pays, mais s’appuie également sur de nouvelles études de l’OCDE, dont des enquêtes menées auprès de salariés et d’employeurs et des études de cas fondées sur des entretiens avec les responsables de la mise en œuvre ou de la gestion de l’IA dans des entreprises (section 3.2).
L’action des pouvoirs publics doit chercher à atténuer les effets de déplacement dommageables provoqués par l’IA. Celle‑ci remplacera la main-d’œuvre dans certains emplois mais en créera aussi de nouveaux pour lesquels le travail humain possède un avantage comparatif. Le chapitre examine les politiques qui visent à encourager la complémentarité entre l’IA et la main d’œuvre humaine et, dans les cas où l’IA doit remplacer l’humain, à veiller à ce que les dispositions en vigueur amplifient dans toute la mesure du possible les effets de productivité et créent une nouvelle demande de main-d’œuvre dans les emplois que l’IA n’aura pas remplacés (section 3.3).
3.1. L’intelligence artificielle élargit l’éventail des emplois menacés par l’automatisation
Au cours de la décennie écoulée, l’IA a connu des progrès considérables dans de nombreux domaines, notamment la vision par ordinateur, les jeux, la compréhension de l’écrit et l’apprentissage, domaines que l’on peut globalement considérer comme regroupant un grand nombre de tâches cognitives non répétitives qui constituent le fondement de nombreuses professions fortement rémunérées et requièrent généralement une formation post-secondaire. Plus étonnante encore est la rapidité avec laquelle ces progrès ont été accomplis. En novembre 2022, OpenAI a donné le coup d’envoi de ChatGPT, un grand modèle de langage entraîné sur de vastes quantités de données dont les applications professionnelles sont manifestes : il est notamment capable de rédiger du texte, de réussir des examens de droit ou de gestion et de faciliter la prise de décision clinique (chapitre 2). L’éventail des métiers touchés pourrait rapidement s’élargir à mesure que l’IA générative trouvera des applications dans un nombre grandissant de processus de production et que de nouveaux systèmes, plus puissants, seront mis au point.
D’un point de vue théorique, l’IA va automatiser les tâches de production, mais également compléter la main d’œuvre et créer de nouvelles tâches. Son incidence sur le volume de main d’œuvre demandé est donc ambivalente. Elle supprimera le travail humain dans certains cas (effet de déplacement), mais pourra aussi accroître la demande de main-d’œuvre dans les emplois qui ne lui sont pas exposés du fait qu’elle engendre des gains de productivité (effet de productivité) et crée des emplois entièrement nouveaux (effet de réintégration). Il est impossible de déterminer a priori lequel de ces effets dominera et, partant, si la demande globale de main-d’œuvre va augmenter. Il n’en demeure pas moins que tous les emplois ne sont pas menacés dans la même mesure par l’IA, et certaines catégories de travailleurs risquent d’être plus durement frappées que d’autres. Les salariés qui effectuent une part importante de tâches cognitives non répétitives, comme les cols blancs, sont les plus exposés aux progrès de l’IA.
3.1.1. L’intelligence artificielle va automatiser certaines tâches, mais son incidence nette sur l’emploi est ambivalente
Les tâches sont la composante la plus fondamentale pour comprendre les retombées de l’IA sur la demande de main-d’œuvre. La production d’un bien ou d’un service final suppose l’accomplissement d’une série de tâches, dont le regroupement est ce qui définit la production dans une entreprise, un emploi ou une profession1. Prenons l’exemple d’un employé d’un entrepôt où les commandes sont reçues, traitées et préparées. Il devra accomplir une série de tâches - lire la commande, marcher jusqu’au rayonnage pertinent et y collecter les articles. L’entreprise exploitante emploiera différentes catégories de travailleurs et couvrira de ce fait un éventail plus large de tâches de production. Si l’on poursuit l’exemple, le préparateur peut transmettre la commande terminée à un emballeur qui est chargé de préparer une boîte pour l’expédition, d’y emballer soigneusement les articles, puis de la sceller en y apposant une étiquette d’expédition.
L’IA risque d’automatiser des séries de tâches actuellement exécutées par une main d’œuvre humaine2. Les travailleurs accomplissent les tâches qui n’ont pas encore été automatisées3, mais les entreprises cherchent toujours à diminuer les coûts et remplaceront le travail humain par l’IA si celle‑ci est technologiquement réalisable et moins coûteuse4. Dans notre exemple, si l’entreprise propriétaire de l’entrepôt peut mettre au point ou acheter un système d’IA permettant d’organiser et de déplacer automatiquement les rayonnages et éviter ainsi à l’employé de se déplacer, ce mécanisme remplacera la tâche effectuée par l’employé, ce qui pourrait engendrer des économies et des gains de productivité.
L’IA peut influer sur la demande de main-d’œuvre en automatisant certaines tâches, en complétant les humains dans l’accomplissement des tâches existantes, mais aussi en en créant de nouvelles. D’abord, comme dans l’exemple ci-dessus, les progrès en matière d’IA permettent d’automatiser des tâches auparavant effectuées par la main-d’œuvre humaine, l’IA remplaçant ainsi l’humain dans ces fonctions. Ensuite, l’IA peut créer de nouvelles tâches qui nécessiteront une main-d’œuvre humaine. Dans l’exemple de l’entrepôt, si l’entreprise parvient à utiliser l’IA pour installer des rayonnages mobiles, il lui faudra assurer le suivi, l’entretien, voire le perfectionnement de cette nouvelle technologie, ce qui créera de nouvelles fonctions pour les salariés. Enfin, l’IA peut compléter les travailleurs ; autrement dit, elle améliorera uniformément leur productivité dans toutes les tâches auxquelles ils sont affectés. Dans ce dernier cas, l’IA ne remplace pas les travailleurs et ne crée pas de nouvelles tâches ; elle permet aux employés d’exécuter les mêmes tâches de manière plus efficace5. Ces différentes possibilités ne s’excluent pas les unes les autres, et peuvent toutes coexister.
Les conséquences pour la demande de main-d’œuvre sont fonction des effets qui prévalent. La création de nouvelles tâches devrait faire augmenter cette demande. Elle suscite en particulier un effet de réintégration qui crée de nouveaux emplois et entraîne une hausse de l’emploi. Ces emplois peuvent apparaître dans tous les domaines, mais il ressort de situations concrètes qu’ils sont généralement associés à l’exploitation des nouvelles technologies elles-mêmes (Acemoglu et Restrepo, 2018[14] ; Autor et al., 2022[15]). Dans le cas de l’IA, ces nouveaux emplois seront probablement occupés par des travailleurs possédant les compétences nécessaires pour développer ou entretenir les systèmes d’IA (chapitre 5), mais ils comportent aussi de nouveaux postes destinés au groupe plus large de travailleurs qui ne feront qu’en utiliser les applications.
S’agissant de l’automatisation, c’est-à-dire le remplacement de tâches précédemment effectuées par des humains, il est difficile de déterminer si elle augmente ou diminue la demande de main-d’œuvre. Elle crée un effet de déplacement, lequel diminue la demande de main-d’œuvre puisque le travail humain est remplacé par l’IA. Pour reprendre l’exemple de l’entrepôt, si les employés n’ont plus besoin de se déplacer jusqu’à chaque rayonnage, l’entrepôt aura probablement besoin d’un moins grand nombre de ces travailleurs, ce qui fera baisser la demande de main-d’œuvre. Enfin, outre l’effet de déplacement, l’automatisation peut donner lieu à un effet de productivité, lequel peut entraîner un accroissement de la demande de main-d’œuvre pour les tâches ou les emplois non automatisés par l’IA, comme les emballeurs et les opérateurs de chariots élévateurs. L’effet de productivité ne découle pas (directement) de l’automatisation des tâches ni de la capacité à effectuer celles-ci de manière plus efficace. Il est le fruit de la demande induite de tâches ou d’emplois créés par les économies résultant de l’automatisation.
La question de savoir si l’effet de productivité l’emporte sur l’effet de déplacement, et donc si l’automatisation augmente ou diminue la demande de main-d’œuvre, est la question fondamentale pour l’avenir du travail et de l’IA. L’automatisation résultant de l’IA peut avoir pour effet d’accroître la demande de main-d’œuvre si les économies réalisées grâce à elle rehaussent la demande pour les biens ou services finaux produits par une entreprise, ou la demande de biens produits dans d’autres entreprises. Dans l’exemple de l’entrepôt, si la baisse de la demande de préparateurs de commandes diminue les coûts jusqu’à permettre à l’entreprise de réduire suffisamment ses prix et d’augmenter ainsi la demande pour ses services, celle‑ci pourra embaucher davantage d’emballeurs et d’opérateurs de chariots élévateurs. Sa demande de biens et services produits en externe pourrait aussi augmenter, et favoriser de ce fait l’accroissement de la demande de main-d’œuvre6. Cet effet de productivité doit être suffisamment important pour que la progression de l’emploi des travailleurs non exposés à l’IA fasse plus que compenser le départ des travailleurs qu’elle remplace (Acemoglu et al., 2022[16]). Enfin, l’effet de productivité dépend de la proportion des économies dérivant de l’IA qui est répercutée sur les clients sous la forme d’une baisse des prix et de l’élasticité de la demande pour le produit final7.
En résumé, l’incidence de l’IA sur l’emploi global soulève deux questions essentielles. De manière générale, l’IA augmente‑t-elle ou diminue‑t-elle la demande globale de main-d’œuvre, tous mécanismes confondus (productivité, déplacement et réintégration)8 ? Plus spécifiquement, lorsque l’IA automatise les tâches, quel est l’effet qui l’emporte : l’effet de productivité ou l’effet de déplacement9 ? Bien que la première question soit souvent leur principale source de préoccupation, les responsables politiques doivent prêter une attention particulière à la seconde. Les effets dominants permettent d’une part d’identifier les groupes dont les perspectives d’emploi risquent d’être les plus compromises par l’IA, d’autre part de recenser les points spécifiques sur lesquels les autorités souhaiteront éventuellement intervenir pour que les économies réalisées grâce à l’IA ne se traduisent pas par un recul de la demande de main-d’œuvre (voir la section 3.3 pour une analyse des différentes mesures).
3.1.2. C’est dans l’exécution de tâches cognitives non répétitives que l’IA a le plus progressé
Les avancées les plus notables de l’IA sont intervenues dans l’automatisation des tâches cognitives non répétitives. Le Graphique 3.1 présente les aptitudes dans lesquelles l’IA avait le plus progressé pour reproduire le fonctionnement humain en 2015. Il s’agit de l’« ordonnancement de l’information », de la « mémorisation » et de la « vitesse de perception ». Le recoupement de ces aptitudes avec l’IA est évident. La « vitesse de structuration », par exemple, est la capacité à rapidement comprendre, associer et organiser l’information sous forme de schémas qui ont un sens, par exemple être capable de déchiffrer une écriture brouillonne ou de reconnaître une chanson dès les premières notes (O*NET, 2023[17]). Ces capacités cognitives sont souvent importantes pour les professions très qualifiées - contrôleurs aériens, ingénieurs et dirigeants par exemple. À l’inverse, c’est dans le domaine des aptitudes liées à la force que l’IA a le moins progressé. Celles-ci sont plutôt liées à des professions non cognitives et non répétitives comme la danse, l’athlétisme, la maçonnerie et le travail agricole10.
Le présent chapitre utilise la comparaison entre les progrès des capacités de l’IA et les tâches effectuées dans le cadre d’un emploi comme indicateur de l’exposition à l’IA. Cette approche consiste à mettre les capacités évaluées de l’IA (Brynjolfsson, Mitchell et Rock, 2018[18] ; Webb, 2020[19] ; Tolan et al., 2021[20] ; Felten, Raj et Seamans, 2021[21] ; Lassébie et Quintini, 2022[22]) en correspondance avec les tâches actuellement exécutées par la main-d’œuvre humaine décrites sur le réseau Occupational Information (O*NET, voir Encadré 3.1). Par exemple, l’indicateur d’exposition à l’IA utilisé ici provient de Felten, Raj et Seamans (2021[21]), qui mesurent les progrès des applications d’IA à partir du projet AI Progress Measurement de l’Electronic Frontier Foundation et les mettent en relation avec les aptitudes figurant dans O*NET au moyen d’évaluations participatives du lien entre applications et aptitudes11. La mesure de l’exposition de chaque tâche à l’IA est ensuite agrégée au niveau de la profession (secteur d’activité ou marché du travail local, respectivement) pour obtenir des indicateurs d’exposition. L’indicateur est théoriquement ambigu et ne permet pas de déterminer si le recoupement entre les progrès de l’IA et les aptitudes requises pour un emploi représente un « risque de déplacement » ou bien si l’IA sera complémentaire. Enfin, on peut aussi voir dans ces indicateurs un instrument pour mesurer l’adoption concrète de l’IA, qui peut coïncider avec celle d’autres technologies, et dont les travailleurs sont sans doute conscients12. Cette démarche permet d’établir des stratégies empiriques plus crédibles pour mesurer l’incidence de l’IA sur l’emploi que les études d’observation des entreprises qui l’adoptent13
Encadré 3.1. La base de données d’O*NET
L’Occupational Information Network (O*NET - Réseau d’information sur les professions) contient des informations sur les professions, notamment les compétences et aptitudes qu’elles exigent. Créé en 1998 par le ministère du Travail des États-Unis et régulièrement mis à jour, il couvre près de mille professions1. La plupart de ces renseignements sont recueillis auprès des titulaires des postes et d’experts dans le cadre d’enquêtes (Tsacoumis, Willison et Wasko, 2010[25]). Les compétences et aptitudes exigées sont mesurées selon deux critères : l’importance et le niveau. Le premier indique si une compétence ou aptitude est importante pour l’exercice de la profession. Le second précise le niveau de maîtrise requis pour chacune. Les évaluations de ces deux critères se fondent également sur les réponses des personnes exerçant ces métiers (ou des experts) à d’autres questions du questionnaire de l’enquête O*NET. D’autres renseignements concernant la base de données O*NET, ainsi que ses versions actuelles et archivées, sont disponibles en ligne2.
Le réseau ayant été établi par l’Administration de l’emploi et de la formation aux États-Unis, il est axé sur le contenu des emplois présents sur le marché du travail américain. Il n’en a pas moins été régulièrement utilisé pour l’analyse d’autres pays. L’hypothèse selon laquelle les indicateurs de compétences d’un pays sont généralisables à d’autres a été testée et se vérifie largement (Handel, 2012[26] ; Cedefop, 2013[27]). Handel (2012[26]), par exemple, constate que les intitulés des professions se rapportent à des activités et des demandes de compétences très similaires dans différents pays. Des corrélations élevées sont notamment observées entre les évaluations d’O*NET et des mesures parallèles provenant de l’Enquête sociale européenne, de l’Enquête de l’Union européenne sur les forces de travail, des niveaux de compétence canadiens, du Programme international d’enquêtes sociales et de l’enquête Skill Survey du Royaume‑Uni, la corrélation moyenne étant de 0.80. On peut donc généraliser la plupart des indicateurs de compétences à d’autres pays avec un niveau de confiance raisonnable. En conséquence, les études sur le marché du travail ont largement fait appel aux informations du système O*NET sur les exigences en matière de compétences et d’aptitudes, notamment pour examiner les questions relatives à l’automatisation (Deming, 2017[28] ; Webb, 2020[19]).
1. Voir la taxonomie O*NET sur le site : https://www.onetcenter.org/taxonomy.html#latest.
D’autres méthodes employées dans les ouvrages spécialisés pour mesurer l’exposition à l’IA ne prennent pas en compte les travailleurs dépourvus de compétences dans ce domaine ou sont moins adaptées à l’analyse comparative entre pays. Une approche courante consiste à examiner les annonces d’emploi et les compétences qu’elles requièrent pour en déduire le degré d’adoption de l’IA par l’entreprise, la profession ou le secteur d’activité (Alekseeva et al., 2021[29] ; Squicciarini et Nachtigall, 2021[30] ; Calvino et al., 2022[31] ; Manca, 2023[32] ; Green et Lamby, 2023[33])14. Elle ne prend cependant pas en compte les entreprises qui adoptent l’IA mais ne la développent ou ne la gèrent pas en interne, ni les employés dont les aptitudes recoupent les avancées de l’IA mais qui n’ont pas besoin de compétences en la matière15. Une autre méthode utilisée dans les travaux publiés repose sur les enquêtes gouvernementales portant sur l’adoption de l’IA par les entreprises. Ces enquêtes ont l’avantage d’être représentatives du marché du travail et existent déjà dans certains pays, mais elles y sont rarement appliquées de manière uniforme16 et sont trop récentes pour suivre les variations de l’emploi à plus long terme.
L’indicateur d’exposition à l’IA utilisé dans ce chapitre a pour inconvénient d’être rétrospectif. Les indicateurs élaborés par Felten, Raj et Seamans (2021[21]) et utilisés comme données d’entrée aux Graphique 3.1 et Graphique 3.2 datent de 2010‑15. Ce délai est nécessaire car il faut d’abord que les avancées scientifiques soient confirmées et développées sous forme d’applications commerciales, puis que les entreprises les adoptent et les mettent en œuvre avant que l’on puisse raisonnablement s’attendre à observer une évolution de l’emploi. Il soulève cependant la question de savoir si les indicateurs demeurent pertinents étant donné les progrès récemment accomplis dans le domaine des grands modèles de langage (LLM), comme l’illustre le cas de ChatGPT, par exemple. Cela dit, plusieurs chercheurs ont établi des estimations actualisées de l’exposition à l’IA en tenant compte de ces avancées ; les résultats des premières utilisations des LLM ne font pas apparaître de différences qualitatives par rapport aux indicateurs utilisés ici (voir Encadré 3.2).
Encadré 3.2. Les progrès des grands modèles de langage (LLM) et les difficultés à prévoir l’incidence d’une IA en plein essor
Fin novembre 2022, OpenAI a donné le coup d’envoi à ChatGPT, qui a stupéfié les chercheurs en IA, les responsables politiques et le public par sa capacité à produire des réponses semblables à celles d’un être humain et sa maîtrise d’une multitude de sujets. ChatGPT est essentiellement un chatbot qui répond aux questions des utilisateurs et propose un éventail d’applications potentielles qui vont de la facilitation de la vie quotidienne à l’automatisation des tâches au travail. Il peut rédiger des contrats juridiques, synthétiser les publications et les connaissances accumulées sur un thème donné, écrire et déverminer des codes informatiques, traduire différentes langues et même effectuer des opérations arithmétiques. Microsoft et Google, entre autres grandes entreprises technologiques, mettent actuellement au point leurs propres chatbots fondés sur l’IA. Les nombreuses possibilités d’utilisation des LLM et la vitesse phénoménale à laquelle ils se perfectionnent pourraient modifier le concept d’« exposition » à l’IA et soulèvent des questions quant à la pertinence des estimations actuelles des retombées de l’IA sur l’emploi.
Les estimations récentes de la façon dont les LLM pourraient modifier les indicateurs d’exposition à l’IA ne révèlent pas d’écarts importants par rapport à des estimations antérieures. Felten, Raj et Seamans (2023[34]) actualisent leurs indicateurs originaux de l’exposition à l’IA à la lumière de ChatGPT et procèdent pour cela à une nouvelle pondération de leurs estimations initiales de manière à tenir uniquement compte de la modélisation du langage. Leurs résultats correspondent en grande part à ceux de leurs études précédentes, les professions les plus exposées étant désormais celles de l’enseignement. Les chercheurs affiliés à OpenAI, l’entreprise qui a créé ChatGPT, ont établi leurs propres indicateurs en évaluant si ChatGPT ou des applications similaires permettraient de réduire de 50 % au moins le temps nécessaire à l’accomplissement de tâches professionnelles (Eloundou et al., 2023[35]). Ils constatent que l’exposition augmente avec le salaire moyen (sur la base de données provenant des États-Unis) ainsi qu’avec le niveau d’études et de formation demandé. La banque d’investissement Goldman Sachs a également publié des estimations de l’exposition à l’IA, établies à partir des études existantes et de ses propres évaluations des utilisations probables des grands modèles de langage. Elle constate que les secteurs les plus exposés sont ceux des services spécialisés très qualifiés (Briggs et Kodnani, 2023[36]).
Ces premières estimations de l’exposition des professions à l’IA tenant compte des capacités de modèles de LLM comme ChatGPT aboutissent à des conclusions similaires à celles d’estimations antérieures. Les professions les plus exposées sont principalement les professions fortement rémunérées exigeant un niveau d’études ou de formation supérieur à la moyenne. Ces estimations reposent toutefois sur des évaluations liminaires des chercheurs et n’ont pas encore été validées par des données externes. De plus, exposition n’est pas synonyme d’automatisation, et les retombées de l’IA sur l’emploi appelleront un suivi permanent.
3.1.3. Les professions non manuelles très qualifiées sont les plus menacées par les récents progrès de l’IA
Les professions les plus menacées par les progrès récents de l’IA sont les professions non manuelles très qualifiées. Georgieff et Hyee (2021[24]) utilisent les données du Programme pour l’évaluation des compétences des adultes (PIAAC) pour évaluer les progrès de l’IA dans chaque pays17. Ils constatent qu’en moyenne, dans les pays de l’OCDE figurant dans leur échantillon, les « spécialistes en administration d’entreprises », les « directeurs, cadres de direction et gérants », les « directeurs généraux d’entreprise » et les « spécialistes des sciences techniques » sont les professions les plus exposées à l’IA (Graphique 3.2), ce qui découle intuitivement des aptitudes dans lesquelles l’IA a le plus progressé. À l’inverse, les professions les moins exposées sont celles « d’assistants de fabrication de l’alimentation », de « manœuvres de l’agriculture, de la pêche et de la sylviculture » et les « aides de ménage ».
3.2. Il est trop tôt pour déceler des évolutions significatives de l’emploi dues à l’intelligence artificielle
Cette section examine les nouvelles données d’observation concernant l’incidence de l’IA sur l’emploi. Elle établit une distinction entre les études d’ensemble qui ne peuvent isoler les effets spécifiques de l’IA sur l’emploi (déplacement, productivité et réintégration) et les études microéconomiques plus fines qui essaient de séparer les effets concurrents de déplacement et de productivité. Elle analyse ensuite les catégories de travailleurs considérées comme étant les plus touchées par l’IA et s’efforce pour finir de concilier les résultats de différentes études.
3.2.1. Dans l’ensemble, les effets négatifs de l’intelligence artificielle sur l’emploi sont (pour l’instant) peu visibles
Les études qui examinent l’incidence de l’IA sur l’emploi global l’estiment pour l’instant inexistante ou faible. S’appuyant sur leur indicateur de l’exposition des professions aux retombées de l’IA (AI Occupational Impact – AIOI, voir ci-dessus) et sur les écarts observés à cet égard dans les États fédérés des États‑Unis, Felten, Raj et Seamans (2019[23]) ne constatent aucune retombée de l’exposition à l’IA sur la croissance de l’emploi entre 2010 et 2016. Georgieff et Hyee (2021[24]) font appel aux données du PIAAC pour élargir cet indicateur de manière à faire la part des écarts observés à l’échelon national dans les mesures de l’exposition à l’IA de Felten, Raj et Seamans (2019[23]). Utilisant les écarts d’exposition à l’IA entre les professions dans un échantillon de pays de l’OCDE, ils constatent des effets positifs mais non significatifs de cette exposition sur l’emploi global.
Même à des niveaux d’agrégation inférieurs, il n’existe actuellement aucun effet visible de l’IA sur l’emploi global. Acemoglu et al. (2022[16]) examinent les évolutions de l’emploi induites par l’IA à partir des écarts d’exposition à cette technologie par zone de migration alternante aux États-Unis pour chaque secteur d’activité et, séparément, les écarts par profession. Quelles que soient les spécifications, ils ne constatent aucun effet statistiquement significatif de cette exposition sur l’emploi entre 2010 et 2017 (secteur d’activité) et 2018 (profession). Fossen et Sorgner (2022[37]) estiment l’incidence de l’exposition à l’IA sur la probabilité de quitter l’emploi à partir d’échantillons restreints de salariés aux États-Unis entre 2011 et 2018. Ils observent que l’exposition à l’IA diminue la probabilité qu’ils sortent de l’emploi.
Les études relatives à l’adoption de l’IA par les entreprises et aux évolutions de l’emploi qui en découlent ne révèlent pas non plus de recul détectable de l’emploi. Dans une enquête menée auprès de 759 dirigeants d’entreprises au Royaume‑Uni, Hunt, Sarkar et Warhurst (2022[38]) constatent que l’IA accroît la rotation du personnel mais, lorsque les chercheurs examinent les variations nettes de l’emploi, les résultats ne sont pas concluants car les entreprises ayant adopté l’IA présentent la même probabilité que les autres de signaler des gains et des pertes nettes d’emploi. De même, une enquête de l’OCDE menée auprès d’entreprises manufacturières et financières dans sept pays membres révèle que la plupart des entreprises adoptantes déclarent que l’IA n’a rien modifié sur ce plan (Lane, Williams et Broecke, 2023[39]). Le nombre d’entreprises déclarant une baisse de l’emploi est légèrement supérieur à celui des entreprises signalant une hausse, mais ces différences ne sont pas statistiquement significatives. Ces résultats concordent avec ceux des enquêtes nationales sur les entreprises qui adoptent l’IA. Une étude du Census Bureau des États-Unis menée sur un échantillon aléatoire de plus de 300 000 entreprises employant des salariés aux États-Unis a recueilli des informations sur leur adoption des technologies avancées entre 2016 et 2018. La majorité d’entre elles n’a signalé aucune variation des niveaux d’emploi due aux technologies avancées, mais 26 % de celles ayant adopté l’IA ont déclaré qu’elles avaient dû renforcer leurs effectifs, alors que moins de 10 % d’entre elles ont vu leur niveau d’emploi diminuer (Acemoglu et al., 2022[40]).
Bien que l’IA n’ait pas (encore) fait reculer l’emploi, les entreprises qui lui sont plus exposées tendent à diminuer les recrutements pour des postes n’exigeant pas de compétences en la matière. Acemoglu et al. (2022[16]) utilisent les offres d’emploi en ligne et l’exposition des entreprises à l’IA en 2010 (avant l’expansion de cette technologie) pour montrer que les plus exposées ont réduit les offres d’emploi pour des postes ne nécessitant pas de compétences dans ce domaine. Ce résultat se vérifie même à l’intérieur des entreprises lorsque l’on prend en compte les écarts d’exposition à l’IA sur les marchés du travail locaux où les entreprises opèrent. À la différence des études d’ensemble, le modèle empirique essaie de distinguer les effets concurrents de productivité et de déplacement de l’IA sur l’emploi de l’effet de réintégration18. Selon les auteurs, leurs résultats démontrent qu’à l’heure actuelle, l’IA n’a pas d’effet de productivité important permettant de compenser la baisse des recrutements due à l’effet de déplacement. Cela dit, ils observent aussi une forte incidence de l’IA sur la croissance du nombre de postes vacants qui lui sont associés, ce qui peut être interprété comme le signe d’un effet de réintégration important. C’est peut-être la raison pour laquelle les auteurs ne constatent pas de retombées globales de l’IA sur l’emploi (voir ci-dessus)19.
L’examen de certains secteurs permet de penser que l’IA fait diminuer l’emploi. Grennan et Michaely (2020[41]) observent que les analystes boursiers côté vente - des employés hautement qualifiés qui prédisent les rendements boursiers pour leurs clients - sont d’autant plus susceptibles de quitter la profession qu’on leur demande de gérer des actions pour lesquelles de nombreuses données sont publiquement accessibles, ce qui sert aux auteurs d’indicateur de la facilité avec laquelle l’IA pourrait effectuer la même tâche. Par ailleurs, les analystes plus exposés à des actions que l’IA peut plus facilement modéliser sont plus susceptibles d’abandonner complètement la recherche, ce qui laisse entendre que l’IA a un effet de déplacement puissant sur cette profession. En bref, il ressort des deux seules études qui tentent d’isoler l’effet de productivité de l’effet de déplacement que l’effet de déplacement l’emporte. À l’évidence, des travaux supplémentaires s’imposent sur ce thème.
3.2.2. L’emploi des travailleurs très qualifiés a progressé
Quoique plus exposés à l’IA, les travailleurs très qualifiés ont, selon de nombreuses études, vu leurs perspectives d’emploi s’améliorer après l’introduction de cette technologie. Les salariés qui ont suivi des études supérieures sont ceux pour lesquels l’incidence de l’exposition à l’IA sur la probabilité de transition vers le non-emploi diminue le plus (Fossen et Sorgner, 2022[37]). Se fondant sur le revenu annuel médian d’une profession et sur les écarts entre les États fédérés des États-Unis, Felten, Raj et Seamans (2019[23]) observent une corrélation positive entre la croissance de l’emploi et l’exposition à l’IA pour les professions hautement qualifiées (à revenu élevé), mais pas pour les professions peu ou moyennement qualifiées. Sur la base des écarts d’exposition à l’IA à l’échelon national et international, Georgieff et Hyee (2021[24]) constatent que celle‑ci n’est associée à une croissance supérieure de l’emploi que dans les professions qui font le plus appel à l’informatique, laquelle est considérée comme représentative de compétences plus élevées. Ces professions sont fortement corrélées avec les indicateurs de compétences, notamment le niveau de formation et le revenu annuel médian. Tous ces travaux semblent détecter un signal similaire, mais la nature exacte de ce signal et son interprétation causale sont des questions ouvertes qui appellent de nouvelles études. Par ailleurs, étant donné l’accroissement rapide des capacités de l’IA, en particulier des modèles d’IA générative, ces corrélations vont sans doute évoluer (voir Encadré 3.2).
Il apparaît également que les perspectives d’emploi des travailleurs peu qualifiés risquent de se détériorer sous l’effet de l’IA. Dans leur enquête auprès des entreprises productrices d’IA, Bessen et al. (2018[42]) relèvent que, dans les entreprises clientes qui achètent leurs produits, les métiers les plus qualifiés sont ceux où l’adoption de l’IA va le plus probablement amener une hausse de l’emploi, mais que des catégories professionnelles comme les employés des services de première ligne et les travailleurs manuels sont les plus susceptibles de voir l’emploi reculer. Les études de cas de l’OCDE sur les entreprises manufacturières et financières qui adoptent l’IA montrent également que les travailleurs peu qualifiés sont souvent les plus désavantagés parce que quand leurs tâches (et, par extension, leurs emplois) sont automatisées, à la différence des autres salariés, il est souvent plus difficile de les reconvertir ou de les transférer à un autre poste au sein de l’entreprise (Milanez, 2023[43]).
3.2.3. Pourquoi l’incidence de l’IA sur l’emploi est-elle faible (pour l’instant...) ?
Les résultats de la section précédente montrent que, jusqu’ici, l’IA n’a guère eu d’effet sur l’emploi global. De plus, bien que les travailleurs très qualifiés soient tout particulièrement menacés par ses récentes avancées, ils ne semblent pas en avoir (encore) subi de conséquences défavorables. La suite de cette section décrit les raisons pour lesquelles les répercussions de l’IA sur l’emploi sont à ce jour modérées, notamment : la faiblesse générale du taux d’adoption de l’IA et des gains de productivité ; la préférence des entreprises pour un ajustement de la demande de main-d’œuvre par non-remplacement des départs plutôt que par des licenciements ; le fait que les progrès de l’IA et l’exposition à celle‑ci ne sont pas forcément synonymes d’automatisation ; la création de nouvelles tâches et de nouveaux emplois20.
Actuellement, le taux d’adoption de l’IA est bas et les économies qu’elle procure aux entreprises sont faibles
L’adoption de l’IA en entreprise en est à ses prémisses, et les taux de pénétration de cette technologie demeurent généralement faibles. Selon un module récent de l’enquête annuelle auprès des entreprises (Annual Business Survey - ABS) du Census Bureau des États-Unis portant sur un échantillon de 300 000 entreprises, 3.2 % d’entre elles seulement auraient fait appel à l’IA entre 2016 et 2018. Ce chiffre concorde avec les données d’Eurostat, qui constate que, dans les pays de l’Union européenne membres de l’OCDE, le taux d’adoption de l’IA dans les entreprises s’inscrit dans une fourchette allant de 23 % en Irlande, 12 % en Finlande et 11 % au Danemark à 3 % en Hongrie et en Slovénie, et 2 % en Lettonie (Eurostat, 2021[44]). Des évaluations de sources non officielles fournissent généralement des chiffres plus élevés, mais leurs conclusions qualitatives correspondent dans l’ensemble aux estimations officielles - voir Lane, Williams et Broecke (2023[39]) pour une analyse des différentes sources21.
La faiblesse des taux d’adoption devrait se traduire par des variations marginales de l’emploi, sans doute trop modérées pour que les études d’ensemble puissent les détecter. Ces faibles taux, conjugués aux rares données indiquant des gains de productivité substantiels (chapitre 4) dérivant de l’IA, permettent de penser que ni l’effet de déplacement, ni l’effet de productivité ne seront suffisamment importants par rapport au marché global de l’emploi. C’est l’interprétation privilégiée par Acemoglu et al. (2022[16]) qui observent, au niveau des entreprises, une baisse des recrutements due à l’exposition à l’IA mais estiment que ces changements sont trop mineurs pour que les études globales de l’effet de l’IA sur l’emploi les décèlent.
Les entreprises misent sur l’érosion naturelle des effectifs plutôt que sur les licenciements pour ajuster la demande de main-d’œuvre
La suppression de tâches ou d’emplois n’entraîne pas forcément des pertes d’emploi immédiates. Les études (section 3.2.1) qui mettent en évidence un effet de déplacement s’appuient sur des données concernant les recrutements ou des catégories professionnelles restreintes. Si elles montrent que le taux de recrutement des entreprises et établissements ou certaines catégories d’emploi au sein d’une entreprise pourraient diminuer, elles ne font pas apparaître de recul de l’emploi au sein de l’entreprise.
Les entreprises peuvent maintenir en poste les salariés concernés et compter sur l’érosion naturelle des effectifs pour diminuer l’emploi à la longue, ce qui aurait pour effet d’amortir ou d’atténuer toute incidence immédiate de l’IA sur l’emploi. Les études de cas de l’OCDE sur les entreprises financières et manufacturières qui introduisent l’IA constatent que c’est ce qui se produit le plus souvent. Un fabricant canadien de pièces automobiles a ainsi mis en place un logiciel d’IA qui permet de découper des moules métalliques sur mesure. Selon l’entreprise, ce système a amené des gains de productivité importants et les réductions d’emploi nécessaires sont intervenues progressivement, par le biais des départs à la retraite prévus et non de licenciements immédiats (Milanez, 2023[43]).
La lenteur des entreprises à ajuster leurs effectifs après avoir adopté l’IA peut aussi tenir aux incertitudes concernant l’efficacité des applications elles-mêmes. Elles ont sans doute besoin de temps pour cerner les capacités de l’IA et définir comment optimiser son déploiement de manière à obtenir un effet maximal (voir ci-dessous). Cependant, rien ne garantit que les applications d’IA augmentent la productivité dans la mesure espérée au moment de leur adoption. Le maintien de l’emploi après mise en œuvre de l’IA et, par extension, du capital humain accumulé par l’entreprise offre une garantie pour le cas où les applications d’IA ne produiraient pas les avantages escomptés (Milanez, 2023[43]).
Des travaux antérieurs ont noté que cette méthode - ajustement progressif par érosion naturelle des effectifs plutôt que licenciements immédiats - a été la plus utilisée par les entreprises des marchés du travail de l’OCDE pour moduler l’emploi en fonction des gains de productivité dérivant des nouvelles technologies (OCDE, 2020[45])22. Si les entreprises recourent à cette méthode pour ajuster leur demande de main d’œuvre, une diminution (ou une croissance beaucoup plus lente) de l’emploi intervient effectivement, mais ce résultat est préférable à des licenciements massifs. Les salariés qui perdent leur emploi à la suite d’un licenciement ou pour d’autres raisons économiques subissent souvent des pertes de revenu durables (Jacobson, LaLonde et Sullivan, 1993[46] ; Farber, 2017[47] ; OCDE, 2019[48]).
L’IA pourrait favoriser un appariement plus efficace de l’offre et de la demande sur le marché du travail
L’utilisation croissante de l’IA pourrait entraîner une hausse de l’emploi sous l’effet d’un meilleur appariement entre l’offre et la demande de main-d’œuvre. L’efficacité et la qualité de cet appariement - c’est-à-dire le processus de mise en correspondance des travailleurs et des emplois - est l’un des facteurs de performance du marché du travail. Il comporte plusieurs étapes - depuis la rédaction des descriptions de poste et l’ouverture des postes vacants jusqu’à la formulation des offres d’emploi et aux négociations salariales. Il intervient dans le recrutement externe des entreprises mais aussi dans les activités des services publics (voir Encadré 3.3) et privés de l’emploi et dans celles des sites d’emploi et des plateformes électroniques, et même à l’intérieur d’une entreprise.
L’amélioration de l’appariement sur le marché du travail devrait entraîner une baisse du chômage. La mise en correspondance des demandeurs d’emploi et des postes vacants est un exercice long, et donc coûteux. Plus il est long, plus le taux de chômage d’équilibre sera élevé (Blanchard et al., 1989[49] ; Mortensen et Pissarides, 1999[50]). L’IA a multiplié les possibilités de gagner du temps et de réaliser des économies lors du tri et de la présélection des candidatures. Par exemple, grâce à l’« expansion sémantique », elle peut analyser les CV et, à partir d’un seul mot, comme « comptable », élargir les informations liées au candidat pour y inclure des synonymes connus, comme « spécialiste des comptes ». Cette démarche renforce l’efficacité de l’appariement et garantit que des candidats ne sont pas écartés en raison d’une formulation étroite ou légèrement différente du texte de l’annonce, ce que font de nombreuses applications de présélection actuellement utilisées (Broecke, 2023[51]).
Encadré 3.3. Le recours à l’IA dans les services publics de l’emploi (SPE) gagne du terrain dans les pays de l’OCDE
Ces dernières années, les SPE de l’OCDE ont multiplié les efforts en vue de moderniser et d’assurer la transition au numérique de leurs services, la pandémie de COVID‑19 ayant sans nul doute accéléré cette tendance. Dans ce cadre, ils examinent comment ils pourraient utiliser l’IA et l’analyse avancée pour améliorer leurs outils, leurs services et leurs processus et, au bout du compte, aider les demandeurs d’emploi à trouver plus rapidement un emploi, ou un emploi de meilleure qualité (OCDE, 2022[52]). En associant les données administratives des SPE et des données plus générales, l’IA peut contribuer à la prestation de nombreux services des SPE (Graphique 3.3).
L’adoption de l’IA offre de nombreuses possibilités aux SPE, mais s’accompagne également de défis. Les SPE doivent donc prendre des mesures pour assurer le bon fonctionnement de ces outils et la réalisation des avantages escomptés. En premier lieu, le suivi et l’évaluation des outils alimentés par l’IA doivent être intégrés à leur conception et à leur mise en œuvre. Il s’agira par exemple d’expérimentations, de tests et d’essais durant la phase de développement, d’un suivi étroit (notamment par retour d’information des utilisateurs) et d’un réglage de précision continu au cours de la mise en service, ainsi que d’études d’impact contrefactuelles (ou d’évaluations des processus, le cas échéant) pour déterminer leur incidence réelle. Le personnel des SPE doit également être accompagné tout au long du processus, moyennant des stages de formation, la mise à disposition de lignes directrices et de supports d’information, ou par du personnel ou des unités d’appui spécialisés. Les responsables politiques doivent également veiller à ce que le développement et l’utilisation de l’IA dans les SPE respectent les normes éthiques. Le SPE français s’est ainsi récemment doté d’une charte pour une utilisation éthique de l’intelligence artificielle. L’OCDE a engagé de nouveaux travaux dans ce domaine afin de mieux appréhender les niveaux d’adoption de l’IA dans ces services, ainsi que les pratiques de développement et les approches de gouvernance qui lui sont associées.
Source : OCDE (2022[52]), Harnessing digitalisation in Public Employment Services to connect people with jobs, https://www.oecd.org/els/emp/Harnessing_digitalisation_in_Public_Employment_Services_to_connect_people_with_jobs.pdfhttps://oe.cd/digitalPES ; Pôle Emploi (2022[53]), Pôle emploi se dote d’une charte pour une utilisation éthique de l’intelligence artificielle, https://www.pole-emploi.org/accueil/communiques/pole-emploi-se-dote-dune-charte-pour-une-utilisation-ethique-de-lintelligence-artificielle.html?type=article.
Les progrès de l’intelligence artificielle ne contribuent que faiblement à l’automatisation
Les indicateurs d’exposition à l’IA analysés dans ce chapitre et utilisés par de nombreux auteurs pour estimer l’incidence de l’IA sur l’emploi mesurent les progrès des capacités de l’IA au regard des aptitudes nécessaires pour exercer une profession. Ces progrès ne correspondent cependant pas à la probabilité d’automatisation. Les récentes percées de l’IA vont sans doute davantage compléter le travail humain que l’automatiser. Plus important, l’IA n’est que l’une des nombreuses technologies de pointe (TIC, robotique, etc.) qui peuvent conduire à l’automatisation de tâches précédemment effectuées par la main d’œuvre humaine. L’évolution globale de l’emploi dépendra à terme de l’ensemble des sources d’automatisation, et l’effet prévu de l’IA sur certaines catégories de travailleurs pourrait être très différent si l’on ne prend pas soigneusement en compte toutes ces sources.
Afin de tenir compte des derniers progrès des technologies d’automatisation, une nouvelle étude de l’OCDE réalisée en 2021 réévalue l’exposition des professions à l’automatisation en exploitant des données inédites recueillies dans le cadre d’une enquête originale sur le degré d’automatisation possible d’une centaine de compétences et d’aptitudes (Lassébie et Quintini, 2022[22]). L’enquête a été élaborée avec l’aide d’experts issus de différents domaines de recherche en IA, qui y ont également répondu. L’étude ne se concentre pas uniquement sur les technologies d’IA, mais s’étend à d’autres technologies d’automatisation - comme la robotique - désormais enrichies par l’IA23. Différentes technologies peuvent ainsi se compléter les unes les autres.
L’étude conclut que les métiers très qualifiés sont les moins exposés au risque d’automatisation. Bien que l’IA ait désormais rendu possible l’automatisation de plusieurs des compétences requises dans ces emplois, nombreuses sont celles qui lui demeurent inaccessibles. Il en résulte que les professions très qualifiées, bien que plus exposées aux progrès récents de l’IA, sont encore parmi les moins menacées par l’automatisation. Les emplois peu ou moyennement qualifiés sont les plus menacés, notamment dans les secteurs de la construction et de l’extraction minière, de l’agriculture, de la pêche et de la sylviculture et, dans une moindre mesure, de la production et du transport. Les emplois les moins menacés sont ceux des professions administratives et des services sociaux et à la collectivité (Graphique 3.4).
En moyenne, dans les pays de l’OCDE faisant partie de l’échantillon, les professions les plus exposées au risque d’automatisation représentent 27 % de l’emploi (Graphique 3.5)24. Le Luxembourg, le Royaume‑Uni et la Suède ont les parts de l’emploi dans les professions les plus exposées au risque d’automatisation les plus faibles, tandis que la Hongrie, la République slovaque et la République tchèque ont les parts les plus élevées.
Les études portant uniquement sur l’exposition à l’IA ne rendent pas correctement compte de la création de nouvelles tâches et de nouveaux emplois
Les études qui examinent l’incidence de l’exposition à l’IA sur l’emploi et s’efforcent d’isoler les effets de déplacement et de productivité ne rendront pas compte de la création de nouvelles tâches et de nouveaux emplois. L’exposition à l’IA mesure le recoupement entre les tâches effectuées à un poste et celles que l’IA est en théorie capable d’exécuter. Il est beaucoup plus difficile de prédire les nouvelles tâches qu’elle créera. De nouveaux travaux de Autor et al. (2022[15]) constatent que la majorité des emplois actuels aux États-Unis relèvent de nouvelles professions spécialisées apparues après 1940. Les auteurs établissent un lien entre ces nouveaux métiers et l’arrivée de nouveaux procédés, produits et secteurs d’activité.
Dans le cas de l’IA, bon nombre de ces nouveaux emplois seront probablement créés pour des travailleurs dotés de compétences dans ce domaine, ou de compétences leur permettant d’exploiter ou d’utiliser cette technologie. Ce sont généralement des travailleurs très qualifiés, comme les statisticiens et les ingénieurs logiciels, qui possèdent les compétences nécessaires pour mettre au point, entretenir et améliorer les systèmes d’IA. La demande de travailleurs qualifiés en IA a fortement progressé au cours de la dernière décennie (chapitre 5). Il en va de même de la demande de travailleurs munis de compétences complémentaires, par exemple des travailleurs très qualifiés dotés de solides compétences en informatique25. Ce mécanisme sera perçu par les études d’ensemble, mais peut rarement être examiné par les études portant sur des secteurs d’activité particuliers.
La forte demande de professionnels qualifiés en IA, mais des évolutions globales de l’emploi par ailleurs négligeables, sont caractéristiques de la dynamique liée à l’adoption de nouvelles technologies d’automatisation. Évoquant les technologies génériques en général, et l’IA en particulier, Brynjolfsson, Rock et Syverson (2019[54] ; 2021[55]) font valoir que les entreprises doivent prendre le temps de se restructurer et de s’adapter aux nouvelles technologies avant de pouvoir en exploiter le plein potentiel. Elles consacreront notamment des dépenses considérables, dans les premiers temps, à des investissements complémentaires, notamment au recrutement de personnel qualifié en IA et d’autres salariés, des gestionnaires et ingénieurs en informatique par exemple. Ces premiers investissements immatériels ne susciteront sans doute pas de gains de productivité immédiats (chapitre 4) ni, partant, d’évolution de l’emploi, les entreprises continuant d’expérimenter de nouveaux processus de production et de chercher les meilleurs moyens de déployer l’IA. Avec le temps, toutefois, ils commenceront à porter leurs fruits, ce qui se traduira par une courbe de productivité « en J », à savoir une baisse initiale de la productivité pendant que les entreprises se procurent des capitaux et de la main d’œuvre complémentaires, suivie d’une croissance rapide une fois qu’elles auront compris comment utiliser la nouvelle technologie. Les données d’observation concernant l’incidence de l’IA sur l’emploi concordent avec cette théorie.
3.3. L’action publique peut favoriser une utilisation de l’IA qui complète le travail humain et des gains de productivité largement partagés
Diverses mesures permettraient d’optimiser les effets de l’IA sur la croissance économique tout en limitant les suppressions d’emploi. L’action publique devrait encourager les effets de productivité et de réintégration de l’IA sans perdre de vue que ceux-ci dépendent de la manière dont la technologie est utilisée. Dans de nombreux endroits, par exemple, les méthodes d’enseignement n’ont pas fondamentalement évolué au cours des deux derniers siècles, de sorte que l’on pourrait concevoir des systèmes d’IA capables d’assumer les tâches de certains enseignants. Une autre approche consisterait en revanche à utiliser l’IA pour comprendre les différents mécanismes d’apprentissage des élèves, puis à adapter l’enseignement à leurs besoins particuliers. Si cette seconde approche s’avérait efficace, elle améliorerait les résultats des élèves, mais pourrait aussi accroître la demande d’enseignants qui se spécialiseraient alors dans différentes formes d’apprentissage - voir également Acemoglu et Restrepo (2019[56]) et le chapitre 5.
Les responsables publics doivent revoir les politiques en matière de compétences afin que les travailleurs soient en mesure de compléter les systèmes d’IA naissants. Le chapitre a présenté des données attestant une augmentation de la demande de travailleurs qualifiés en informatique, en programmation et en données pour compléter l’IA. Le chapitre 5 analyse la hausse générale de la demande de travailleurs dotés de compétences en IA et des compétences qui offrent un complément optimal à cette technologie. Il examine les adaptations qui devraient en conséquence être apportées aux systèmes de formation des adultes.
Le régime fiscal peut également jouer contre les travailleurs et favoriser une adoption excessive de l’IA. Dans de nombreuses économies, le code des impôts subventionne le capital et taxe en parallèle le travail à des taux beaucoup plus élevés. À la marge, ce système incite les entreprises à s’automatiser mais, dans de tels cas, l’automatisation ne présenterait aucun intérêt sans la subvention fiscale implicite ; les économies de coûts et l’effet de productivité de ces investissements marginaux ne sont que modérés ce qui, au bout du compte, diminue la demande de main-d’œuvre. En bref, la réduction de l’emploi n’est pas due à une automatisation d’envergure et véritablement innovante, mais au remplacement d’un petit nombre de tâches à faible valeur ajoutée. Un rééquilibrage des impôts sur le capital et sur le travail de manière à décourager les investissements marginaux pourrait mettre un terme à l’automatisation excessive (Acemoglu, Manera et Restrepo, 2020[57]).
Des marchés du travail tendus peuvent par ailleurs optimiser les effets de productivité de l’automatisation. Les économies réalisées grâce à l’automatisation sont particulièrement importantes lorsque le chômage est faible et les salaires élevés (Acemoglu et Restrepo, 2019[58]). Un taux de chômage faible devrait également accroître la demande de nouvelles technologies et accélérer leur développement. Lorsque le chômage est bas et que les entreprises doivent rivaliser pour recruter les rares travailleurs disponibles, elles sont plus enclines à adopter de nouvelles technologies et à réclamer de nouvelles innovations (Dechezleprêtre et al., 2021[59]). Les politiques de plein emploi peuvent aussi avoir pour effet favorable d’aider les technologies d’automatisation à accroître les gains de productivité et la demande de main-d’œuvre, un tel objectif n’étant cependant pas sans risque (chapitre 1).
La réglementation antitrust peut renforcer les avantages de l’IA. Il serait souhaitable que l’automatisation résultant de l’IA donne lieu à d’importantes économies de coûts qui se répercuteraient ensuite sur l’ensemble de l’économie sous la forme d’un accroissement de la demande (Acemoglu et Restrepo, 2019[56] ; Acemoglu, 2021[60]). Les autorités de la concurrence peuvent veiller à ce que les marchés soient concurrentiels et à ce que les économies réalisées grâce à l’automatisation se traduisent par une baisse des prix et une augmentation de la production (OCDE, 2018[61]). La politique réglementaire en matière d’IA ne se limite cependant pas à la politique de la concurrence. Une combinaison bien coordonnée de normes non contraignantes et de mesures législatives est nécessaire pour véritablement assurer la fiabilité de l’IA sur le lieu de travail alors qu’elle continue d’évoluer (chapitre 6).
Enfin, l’entreprise conservera à terme une partie des économies réalisées grâce à l’IA. L’adoption de mesures visant à responsabiliser les partenaires sociaux et à renforcer le pouvoir de négociation des salariés permettrait d’assurer que les gains résultant de ces économies sont partagés avec les employés et ne profitent pas uniquement aux propriétaires. Les partenaires sociaux peuvent en outre favoriser le transfert des salariés dont les emplois sont menacés par l’automatisation à d’autres postes, et faciliter ainsi leur maintien au sein de l’entreprise - voir le chapitre 7 pour une analyse détaillée du rôle des partenaires sociaux dans le déploiement et l’utilisation de l’IA.
Références
[60] Acemoglu, D. (2021), Harms of AI, National Bureau of Economic Research, Cambridge, MA, https://doi.org/10.3386/w29247.
[40] Acemoglu, D. et al. (2022), Automation and the Workforce: A Firm-Level View from the 2019 Annual Business Survey, National Bureau of Economic Research, Cambridge, MA, https://doi.org/10.3386/w30659.
[66] Acemoglu, D. et D. Autor (2011), « Skills, Tasks and Technologies: Implications for Employment and Earnings », dans Handbook of Labor Economics, Elsevier, https://doi.org/10.1016/s0169-7218(11)02410-5.
[16] Acemoglu, D. et al. (2022), « Artificial Intelligence and Jobs: Evidence from Online Vacancies », Journal of Labor Economics, vol. 40/S1, pp. S293-S340, https://doi.org/10.1086/718327.
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[19] Webb, M. (2020), « The Impact of Artificial Intelligence on the Labor Market », Stanford University, https://www.michaelwebb.co/webb_ai.pdf.
Notes
← 1. Le cadre d’analyse fondé sur les tâches présenté dans cette section s’inspire de Acemoglu et Restrepo (2018[14]) Voir Acemoglu et Autor (2011[66]) pour une première esquisse de la théorie de l’automatisation et Acemoglu et Restrepo (2019[58]) pour une vue d’ensemble non technique.
← 2. À l’instar d’Acemoglu et Restrepo (2018[14]), cette analyse suppose une substitution totale entre intelligence artificielle et main-d’œuvre (l’élasticité de déplacement dans une fonction de production CES est infinie, ) ; tout ce qui suit est cependant valable si l’on suppose une substitution partielle des tâches dès lors que l’intelligence artificielle et la main-d’œuvre présentent un certain degré de substitution (.
← 3. On suppose que les travailleurs ont un avantage absolu et comparatif dans l’accomplissement de ces tâches par rapport aux technologies d’automatisation.
← 4. L’explication présentée dans ce chapitre se fonde sur l’argumentaire d’Acemoglu et Restrepo (2018[14]) selon lequel les entreprises sont soumises à des « contraintes technologiques » : étant donné le prix du travail et du capital, elles souhaiteraient automatiser un ensemble de tâches dans une certaine limite mais, compte tenu des technologies existantes, elles sont contraintes de n’en automatiser que .
← 5. C’est le cas lorsque l’IA accroît la productivité du facteur travail ; c’est généralement ce que l’on qualifie de technologie venant en complément de la main-d’œuvre. Longtemps, c’est sur ce mécanisme que les économistes se sont principalement fondés pour théoriser l’incidence de l’évolution technologique sur la demande de main-d’œuvre (parallèlement à l’élasticité de déplacement). Or, il manque de réalisme - le contenu des tâches constituant les emplois ne change jamais. Il implique en outre que, dans presque tous les cas, la demande de main d’œuvre ne devrait jamais diminuer et les salaires devraient toujours augmenter avec les innovations technologiques (Acemoglu et Restrepo, 2019[58]). C’est pourquoi ce mécanisme, bien qu’il intervienne à n’en pas douter dans certains cas, n’est pas le thème central de ce chapitre.
← 6. L’IA est une grande consommatrice d’électricité et de données. Des investissements massifs dans l’IA de la part de l’entreprise qui gère l’entrepôt pourraient entraîner une hausse de la demande d’emplois dans les services d’installation électrique et de stockage de données ; ceux-ci viendraient en complément de l’IA, mais seraient extérieurs à l’entreprise.
← 7. Bessen (2019[65]) affirme en outre que l’élasticité de la demande de produits n’est pas constante dans le temps et que les baisses initiales des prix dues à l’intelligence artificielle peuvent avoir un effet de productivité important, mais que les réductions de prix ultérieures ne font guère progresser la demande et entraîneront des pertes d’emploi à plus long terme.
← 8. Les effets de l’IA sur la demande de main-d’œuvre vont bien au-delà des questions de déplacement, de productivité et de réintégration, et englobent également des considérations culturelles, juridiques, organisationnelles et éthiques. La fonction de directeur, par exemple, est l’une des plus exposées à l’IA (voir la section 3.1.3). Néanmoins, pour des raisons juridiques et éthiques, les entreprises auront sans doute toujours besoin d’être dirigées par un humain, quel que soit le nombre de fonctions actuellement remplies par un PDG que l’IA pourrait automatiser.
← 9. On estime que l’effet de réintégration est faible par rapport aux effets de productivité et de déplacement, d’où l’accent mis sur les seconds, mais d’autres études s’imposent (Acemoglu et Restrepo, 2019[56]).
← 10. Dans la pratique, la différence entre tâches répétitives et non répétitives est rarement tranchée. Le travail des ouvriers agricoles et des maçons peut être considéré comme l’addition de très nombreuses tâches répétitives, dont l’ordre n’est pas répétitif (et légèrement cognitif). En fait, l’IA sera peut-être capable d’en automatiser un grand nombre.
← 11. Pour donner une idée d’indicateurs similaires, Brynjolfsson, Mitchell et Rock (2018[18]) appliquent une grille d’évaluation du potentiel d’apprentissage automatique aux tâches contenues dans O*NET. Webb (2020[19]) se fonde sur les brevets pour mesurer les progrès de l’IA et établit également le lien avec le système O*NET.
← 12. On craint que les salariés, informés du déploiement récent de l’IA, ne décident de quitter l’entreprise, qu’ils soient exposés au risque d’automatisation ou pas. Toute estimation de l’incidence de l’IA sur l’emploi, et notamment sur les catégories de travailleurs concernées, sera faussée par les perceptions que ceux-ci ont de l’IA, par exemple.
← 13. Plus précisément, les ouvrages spécialisés ont utilisé ces indicateurs d’exposition en tant qu’instruments « shift-share » (Borusyak, Hull et Jaravel, 2021[64]) qui supposent que les structures de tâches sous‑jacentes des professions ou des entreprises ne sont pas corrélées aux avancées récentes de l’IA et, par conséquent, fournissent des estimations plus crédibles de ses effets sur l’emploi que la simple régression des variations de l’emploi sur l’adoption de l’IA.
← 14. Calvino et al. (2022[31]) associent également les offres d’emploi avec d’autres sources de données qui permettent d’identifier différents types d’adoptants de l’IA, au Royaume‑Uni en particulier. ll s’agit notamment des droits de propriété intellectuelle en matière d’IA et des informations sur les activités liées à l’IA mentionnées sur les sites web des entreprises.
← 15. Voir Georgieff et Hyee (2021[24]) pour une analyse approfondie des mérites relatifs des différentes méthodes d’évaluation de l’exposition à l’IA, y compris les effets de cette dernière sur les tâches que chaque méthode peut couvrir.
← 16. Calvino et Fontanelli (2023[63]) constituent une exception récente. Ils utilisent un code harmonisé pour mesurer l’adoption de l’IA au travers d’enquêtes conduites au niveau des entreprises dans un sous-ensemble de pays européens.
← 17. Les auteurs associent manuellement les compétences contenues dans la base de données O*NET et les tâches du PIAAC selon qu’une aptitude donnée est indispensable à l’exécution d’une tâche précise. Une aptitude du système O*NET peut donc être associée à plusieurs tâches du PIAAC et, inversement, une tâche précise du PIAAC peut être associée à plusieurs aptitudes du système O*NET. Ce lien a été établi par les auteurs et, en cas de réponses divergentes, une méthode d’analyse et de consensus itérative similaire à la méthode de Delphes a permis de parvenir à un accord.
← 18. Pour ce faire, les chercheurs écartent les secteurs producteurs de produits d’IA (services informatiques, services spécialisés et services aux entreprises) ainsi que les vacances d’emploi dans les autres secteurs d’activité exigeant des compétences en IA. En supposant que l’effet de réintégration peut être représenté par des travailleurs dotés de compétences en IA, ils excluent donc de manière plausible l’effet de réintégration et se concentrent uniquement sur la question de savoir si une plus grande exposition à l’IA est dominée par l’effet de productivité ou l’effet de déplacement.
← 19. Cet effet peut être suffisamment important pour compenser la baisse nette des recrutements due aux effets de déplacement et de productivité, ce qui impliquerait une croissance positive ou nulle du nombre de vacances d’emploi. Cependant, les auteurs n’analysent jamais l’effet de l’exposition à l’IA sur l’ensemble des postes vacants (indépendamment des compétences en IA), de sorte que cette interprétation ne peut être confirmée.
← 20. L’IA peut également induire des effets d’équilibre général, par exemple sous la forme d’une augmentation de la demande de biens et de services intermédiaires dans des secteurs de l’économie qu’elle ne touche guère. Ces effets peuvent aussi accroître la demande globale de main-d’œuvre en raison de la forte demande de consommation de biens et de services finaux résultant de la hausse des revenus engendrée par l’IA dans l’économie. Ils sont cependant difficiles à isoler et dépassent le cadre de ce chapitre.
← 21. Réserve importante : la définition de l’IA varie d’une enquête à l’autre ; il convient donc d’interpréter avec prudence les estimations des différents pays, à moins que les définitions n’aient été explicitement harmonisées.
← 22. Bien que leur étude ne porte pas spécifiquement sur l’IA, Georgieff et Milanez (2021[62]) observent que les métiers les plus menacés par l’automatisation enregistrent une croissance plus lente, et non des pertes d’emploi, que les professions moins menacées, ce qui indique également que les entreprises, plutôt que de procéder à des licenciements brutaux, laissent l’emploi s’ajuster graduellement.
← 23. Diverses raisons expliquent ce choix. D’abord, il est la plupart du temps difficile d’établir une distinction empirique entre les différents types de technologies d’automatisation. Même dans les cas où cette distinction est possible, leurs retombées sur les marchés du travail sont beaucoup plus difficiles, voire impossibles, à isoler les unes des autres du fait que les procédés de production font généralement appel à plusieurs technologies différentes dont les effets tendent à se renforcer entre eux. En outre, selon les experts consultés pour l’étude, la plupart des innovations récentes en matière d’automatisation relèvent désormais du domaine de l’IA et plusieurs technologies moins nouvelles, en particulier dans le domaine de la robotique, sont perfectionnées grâce à l’IA. C’est par exemple le cas des robots pilotés par l’IA qui peuvent désormais ramasser des objets de formes et de tailles variables dans des configurations imprévisibles et avec une précision remarquable, alors que les générations précédentes ne pouvaient déplacer que des objets de taille fixe et ne pouvaient s’écarter de leur trajectoire programmée.
← 24. Lassébie et Quintini (2022[22]) indiquent que 28 % de l'emploi se trouve dans les professions présentant le risque d'automatisation le plus élevé dans les pays de l'OCDE. Les auteurs utilisent un ensemble de pays plus large, y compris des pays non-membres de l'OCDE, que ce qui apparaît dans la Graphique 3.5, ce qui explique la légère différence.
← 25. Ces postes ne doivent pas nécessairement être occupés par des employés possédant les compétences requises pour développer l’IA, mais ils sont généralement étroitement liés à cette nouvelle technologie. Le développement de l’Internet, par exemple, a favorisé l’émergence d’un nouveau type de journaliste, à savoir des internautes qui n’avaient pas suivi de formation formelle en journalisme mais qui rassemblaient les informations provenant de différents sites et les commentaient. Que ces compilations aient constitué des sites d’information d’un genre nouveau ou qu’elles aient revêtu la forme de blogs, ces journalistes ne menaient pas d’entretiens ni ne cultivaient de sources : ils exploitaient leur connaissance de l’Internet (et peut-être, au début, quelques compétences HTML de base) pour créer une nouvelle forme de journalisme, constituée d’un ensemble de tâches distinct qui aurait été impossible sans Internet.