Ce chapitre présente les étapes et les éléments de réflexion principaux permettant à une autorité de la concurrence d'appliquer une perspective de genre dans son travail quotidien. Il explique l'importance de recueillir des données ventilées par sexe pour comprendre quand et comment divers groupes de personnes sont lésés, et de quelle manière l'utilisation d'enquêtes permet de mieux cerner le comportement des consommateurs. Il montre comment un prisme de genre peut être appliqué à la définition du marché et à l'analyse des effets sur la concurrence, aux enquêtes portant sur les ententes, la conformité et la promotion de la culture de la concurrence, à l’établissement des priorités en matière de décisions et à l'évaluation ex post. Enfin, ce chapitre traite de la nécessité d'adapter les mesures correctives afin de corriger ou de compenser les dommages concurrentiels subis par un groupe défavorisé précis. Il souligne que l'engagement ciblé de la société civile est essentiel pour garantir l'inclusion. La diversité et l'inclusion devraient être davantage prises en compte au niveau institutionnel afin d'améliorer le processus décisionnel. Il se termine par une liste de référence pour l’intégration de la dimension de genre dans le droit et la politique de la concurrence (Annexe A).
Manuel pour un traitement inclusif du genre dans les politiques de concurrence
3. Principaux éléments de réflexion
Abstract
Le fruit des travaux de recherche de l’OCDE sur l’intégration de la dimension de genre dans la concurrence peut se résumer aux principaux éléments de réflexion suivants qui seront développés plus loin.
Le genre est une caractéristique pertinente supplémentaire qu’il convient de prendre en compte dans le cadre d’une analyse de la concurrence.
Une analyse de genre1 procure aux autorités de la concurrence des renseignements leur permettant de prendre des décisions plus éclairées et mieux adaptées.
Une analyse de genre est plus pertinente sur les marchés où les produits sont proposés aux consommateurs finaux.
Des données ventilées par sexe sont indispensables à une analyse de genre. À défaut, il n’y a aucun moyen de savoir s’il existe des effets sur le genre ou non. Les données doivent être ventilées par sexe à condition de mettre en évidence le genre tout en protégeant les autres éléments d’identification.
Selon le principe de double dividende2, les mesures correctives qui tiennent compte du facteur genre améliorent non seulement les résultats en matière de concurrence, mais peuvent aussi contribuer à lutter contre les inégalités liées au genre sur les marchés.
Les différents effets sur le genre ne se manifestent pas toujours immédiatement. Une analyse plus poussée comportant une définition du marché, de sa dynamique et des entreprises qui y sont présentes peut être nécessaire.
Une analyse de genre dans le contexte des fusions pourrait mettre en évidence de moins bons résultats pour les consommatrices ou les entreprises dirigées par des femmes.
La diversité de genre peut être une variable importante de la collusion, dans la mesure où des ententes sont plus susceptibles de se former au sein de groupes homogènes qui entretiennent des relations professionnelles ou privées régulières.
En ce qui concerne les ententes, les efforts en matière d’application du droit et de promotion de la concurrence devraient englober des discussions sur les raisons pour lesquelles des interactions répétées entre des groupes homogènes présentent un risque accru de comportement collusoire pour les entreprises.
La diversité peut donner plus de poids aux autorités de la concurrence.
Lorsqu’elles ont accès à des considérations d’intérêt public, le genre devrait en faire partie.
Données
Une analyse fiable repose sur la qualité et l’exhaustivité des données recueillies. Les données ventilées par sexe permettent aux autorités de déterminer si le genre est effectivement un facteur dont il faut tenir compte ou si, au contraire, on peut l’écarter.
Types de données et sources de données
Les autorités de la concurrence ont besoin de données ventilées par sexe pour comprendre si différents groupes de personnes, dont les femmes, pourraient être atteints de manière disproportionnée, et le cas échéant, à quel moment et comment ils le sont. Les données sur le genre constituent un bon point de départ. Il est toutefois préférable de disposer d’un ensemble de données plus vaste, car des données démographiques supplémentaires peuvent être utilisées pour contrôler d’autres caractéristiques.
Au moment de se pencher sur la question des données, dans le cadre de l’examen d’une fusion ou de pratiques monopolistiques, par exemple, quatre sources d’information principales se présentent : les données par opération, les autres renseignements des parties, les données accessibles au public recueillies par l’intermédiaire de sites Web et les données d’enquête. Ces données seraient pertinentes en ce qui a trait à une analyse de la concurrence visant les marchés de consommateurs. Ces sources, résumées dans le Graphique 1 ci-dessous, peuvent être utilisées pour comprendre les caractéristiques des produits, l’identité et le comportement des consommateurs.
Les autres organismes chargés de faire appliquer la loi peuvent également disposer de précieuses données sur le genre. Il se peut que les autorités de la concurrence souhaitent consulter d’autres organismes pour vérifier s’ils utilisent des données ventilées par sexe ou s’ils tiennent compte des aspects liés au genre dans le cadre de leurs travaux.
Dans certains cas, lorsqu’elles ne disposent pas de données sur le genre des consommateurs, les autorités peuvent procéder par déduction. Cette méthode n’est pas aussi précise que la collecte de données précises sur le genre, mais, faute de mieux, elle peut être une méthode appropriée à une analyse initiale. Les autorités de la concurrence peuvent demander des renseignements sur les caractéristiques, la commercialisation et les circuits de vente des produits en ayant recours à leurs outils de collecte de renseignements obligatoires. Ces renseignements peuvent aussi être librement accessibles. Les autorités peuvent également examiner des renseignements supplémentaires en ligne, notamment le profil des évaluateurs, afin de vérifier s’ils sont généralement du même sexe. Enfin, lorsqu’elles en disposent, elles peuvent avoir recours à des outils prédictifs3 qui les aident à déduire le genre à partir du nom, lorsque ce n’est pas possible autrement.
Les autorités de la concurrence peuvent également contribuer à générer des données pour de futures recherches portant sur le lien entre le genre et la concurrence. Chaque fois que cela est possible, les autorités pourraient tenir compte du genre dans les décisions publiées, en plus d’expliquer les relations interpersonnelles (professionnelles et privées) entre les personnes qui ont pris part à des ententes.
Enquêtes
Les enquêtes peuvent être utilisées pour mieux comprendre le comportement des consommateurs, notamment les facteurs suivants :
les caractéristiques des produits les plus appréciées
l’existence d’écarts dans la fréquence et dans les volumes d’achat
la sensibilité et la sensibilisation aux prix
les niveaux généraux de changement de fournisseur.
Les enquêtes permettent également de collecter efficacement des données sur le genre en y incluant des questions qui portent en particulier sur le genre. Le fait de recueillir une diversité de données permet en effet à une autorité de se concentrer sur certaines caractéristiques, de tenir compte des facteurs liés à l’identité et de décider ainsi si un effet observé sur le marché est imputable au genre ou à un autre facteur lié à l’identité. En outre, l’adaptation des enquêtes aux besoins de l’analyse ou de l’étude garantit aux autorités de recueillir les données qui conviennent. Si les données relatives au genre sont recueillies au début de l’enquête, les résultats peuvent alors êtes analysés par genre et être comparés afin de mettre en évidence les différences éventuelles.
Un écart peut exister entre les préférences déclarées et les préférences révélées. Cela peut avoir une influence sur les réponses ; il est donc important d’intégrer des questions qui révèlent les deux, comme des questions sur des pratiques antérieures et sur des situations hypothétiques.
Définition du marché et comportement anticoncurrentiel
Définition du marché et analyse des effets sur la concurrence
Appliquer un prisme de genre à une réflexion sur la définition du marché et à l’analyse des effets sur la concurrence aide les autorités de la concurrence à comprendre qui est touché par un comportement anticoncurrentiel et dans quelle mesure. Il est ensuite possible d’évaluer si un groupe de consommateurs est en meilleure position qu’un autre, et s’il faut corriger ou prévenir cette situation. Le genre peut influer sur :
les préférences des consommateurs, en déterminant par exemple si un consommateur considère un produit comme complémentaire ou substituable ;
la sensibilité au prix ;
le comportement en matière de changement de fournisseur.
Facteurs du côté de l’offre et facteurs du côté de la demande
Les facteurs du côté de l’offre et les facteurs du côté de la demande peuvent s’appliquer à l’analyse par genre des effets sur la concurrence. Ils sont pertinents pour la définition du marché et l’analyse des effets sur la concurrence. Les autorités de la concurrence peuvent examiner à la fois les facteurs du côté de l’offre et ceux du côté de la demande lorsqu’elles appliquent un prisme de genre.
Du côté de l’offre, les facteurs doivent englober les caractéristiques, la commercialisation et les circuits de ventes du produit afin de déterminer si les entreprises ciblent un genre précis.
Les facteurs liés à la demande doivent être également pris en compte, notamment l’identité des consommateurs et les différences de comportement de ces derniers.
Cadre pour évaluer la capacité des entreprises à établir une distinction en fonction du genre
Les autorités de la concurrence peuvent également évaluer la capacité des entreprises à différentier les groupes de consommateurs, leur taille relative et l’importance du changement de fournisseur après une augmentation des prix. Le cadre ci-après indique si les entreprises ont la capacité d’établir une distinction en fonction du genre.
Le graphique ci-dessus explique les effets potentiels observés si une entreprise est en mesure d’établir une distinction selon le genre. Dans l’affirmative, les autorités de la concurrence doivent examiner si l’entreprise est capable d’établir une distinction fondée sur le produit ou sur le prix. Si tel est le cas, il existe vraisemblablement des marchés pertinents distincts ou des effets pertinents distincts. Le genre peut alors faire partie des variables à prendre en compte au moment d’évaluer les effets sur la concurrence.
Si une entreprise n’est pas en mesure d’établir une distinction en fonction du genre, les autorités de la concurrence devraient alors examiner si elle est peut tirer profit d’une augmentation des prix visant l’ensemble des consommateurs. Cela dépendra de la taille des groupes (à savoir, du nombre de consommateurs par rapport au nombre de consommatrices) et de leur sensibilité respective au prix. Si le groupe le plus sensible au prix est suffisamment important, il peut protéger les autres contre les effets préjudiciables sur la concurrence. En pratique, les autorités doivent évaluer des facteurs comme la substituabilité par des sous-groupes de consommateurs, puis les comparer aux consommateurs dans leur ensemble.
Il est ainsi possible d'avoir recours au test SSNIP4 et à une analyse de la perte critique pour chaque groupe précis afin de définir le marché et de déterminer les effets d’une fusion sur les différents groupes de consommateurs. Comme indiqué plus haut, une analyse de genre peut être effectuée chaque fois que des données sont disponibles. En pratique, cela signifie que les hommes et les femmes devraient être pris en compte séparément, puis de manière agrégée afin de déterminer si les entreprises peuvent accroître la rentabilité des prix après la fusion. Ces données peuvent être ensuite pondérées afin de tenir compte de la taille des groupes ; mais l’analyse devrait refléter la diversité de l’échantillon, plutôt que celle de la population. Les résultats devraient permettre de déterminer si une entreprise est en mesure d’augmenter les prix pour une partie des consommateurs ou pour la totalité d’entre eux.
Les ratios de diversion représentent un autre outil permettant d’évaluer la disposition à changer de fournisseur en fonction du genre. Si des ratios de diversion différents sont présents, les autorités de la concurrence pourraient mener une enquête pour déterminer si l’entreprise est en mesure de différencier ses offres en se fondant sur le genre. Si les entreprises peuvent appliquer des prix différents à des groupes différents, le genre devrait entrer en ligne de compte dans l’appréciation des conséquences d’une fusion. Dans le cas contraire, la taille des groupes et leur sensibilité respective aux prix détermineront si un groupe est en mesure de protéger l’autre. Si tel est le cas, il n’est pas nécessaire que les autorités examinent séparément les effets sur la concurrence ou les mesures correctives.
Les autorités de la concurrence peuvent analyser les données ventilées par sexe pour déterminer si le genre est un facteur déterminant les différences de préférence et d’élasticité-prix de la demande, qui induisent un comportement différent en matière de changement de fournisseur. Des variations peuvent être observées en fonction du produit ou du service faisant l’objet de l’enquête ou de l’examen, mais, dans certains cas, l’analyse aboutira à une segmentation des marchés en fonction du sexe. Lorsqu’elles disposent de données ventilées par sexe, les autorités de la concurrence peuvent procéder à leur analyse habituelle, mais en l’appliquant séparément aux femmes et aux hommes, puis à l’ensemble des consommateurs.
Marchés différenciés selon le genre et études de cas
Les effets de la différenciation selon le genre s’observent dans de nombreux secteurs, tels que les jouets, les vêtements, les produits de beauté et de soin, les produits de santé, le nettoyage à sec, les services de coiffure, les assurances et les produits financiers. Dans ces secteurs, les marchés sont plus susceptibles d’être segmentés en fonction du genre et les effets sur la concurrence qui y sont associés sont différents. Si les autorités de la concurrence ne disposent pas des capacités ni des ressources nécessaires pour tenir compte systématiquement du genre lorsqu’elles procèdent à la définition du marché et analysent les effets sur la concurrence, les marchés cités plus haut sont ceux qu’il faut privilégier dans le cadre d’une analyse intégrant le genre, car leurs effets liés au genre sont connus.
Si, au contraire, elles en disposent, il est préférable de procéder à une analyse tenant compte du genre lorsque cela est pertinent et lorsque des données sont disponibles. L’analyse des enquêtes antérieures sur les fusions et des études de marché démontre qu’il peut exister des écarts importants liés au genre en termes de substitution, de préférences des consommateurs et de comportement en matière de changement de fournisseur. Les marchés concernés par cette analyse ne présentaient aucun écart manifeste lié au genre jusqu’à ce que le comportement des consommateurs soit examiné. Ces études de cas antérieures portaient sur trois aspects du comportement des consommateurs qui entrent en ligne de compte dans une analyse du marché, à savoir la sensibilité au prix, les préférences pour des produits de substitution et la disposition à changer de fournisseur.
Mesures correctives
Lorsque les outils décrits plus haut mettent en évidence des différences de comportement sur les marchés, les autorités de la concurrence peuvent en tenir compte pour déterminer le niveau du dommage concurrentiel subi par certains groupes et adapter les mesures correctives afin de le corriger ou de compenser. Elles peuvent également apprécier les résultats qui ciblent et améliorent le bien-être des consommateurs appartenant aux groupes subissant le plus d’effets dommageables. Les mesures correctives qui intègrent le facteur genre améliorent non seulement les résultats en matière de concurrence, mais peuvent aussi contribuer à lutter contre les inégalités liées au genre sur les marchés. Les mesures correctives élaborées devraient tenir compte des points de vue de la société civile, en particulier ceux des groupes concernés. Les autorités pourraient également se demander s’il est approprié de soumettre les mesures correctives proposées à un « test de marché » auprès des groupes de la société civile concernés.
Ententes et collusion
Formation des ententes et enquêtes
Comprendre le contexte social associé à la formation d’une entente et la dynamique de groupe permet une appréciation plus précise des facteurs incitant à participer à une entente et à y rester. L’homogénéité des caractéristiques présentées par les membres d’une entente peut en faciliter la création. Le biais en faveur de l’identité commune fait naître un sentiment de confiance et de prévisibilité dans le groupe ce qui favorise la création d’une entente5. Au sein d’un tel groupe, on est davantage porté à croire qu’une personne agira d’une manière cohérente et loyale à l’égard du groupe. Les hommes et les femmes sont semblables en ce qui a trait aux facteurs permettant de prédire la participation à la criminalité en col blanc, mais diffèrent sur le plan de leurs motivations et de leurs possibilités, en raison de l’exclusion des femmes des réseaux informels à prédominance masculine. À ce jour, aucune preuve convaincante ne permet toutefois de penser que les femmes n’agiraient pas de la même manière si les réseaux existants dans le contexte professionnel étaient des réseaux de femmes plutôt que des réseaux d’hommes.
Lorsqu’elles enquêtent sur les participants présumés à une entente et les interrogent, les autorités de la concurrence peuvent chercher à en savoir plus sur l’étendue des interactions et des relations antérieures entre les personnes soupçonnées. Avec le temps, les « boy’s clubs » (ou « clubs de vieux copains ») peuvent favoriser un comportement collusoire, car ils renforcent et facilitent les relations entre les membres. Des relations de ce type se nouent au travail ainsi qu’à l’extérieur6. Lorsqu’elles mènent des enquêtes, les autorités de la concurrence devraient dépasser le cadre strict du contexte professionnel.
Les autorités de la concurrence pourraient se pencher sur les réseaux plus informels, comme les associations d’anciens élèves, les groupes d’entreprises locaux, les associations sportives et culturelles ou les organismes de bienfaisance, qui peuvent favoriser la création de « clubs de vieux copains ». Les profils sur les réseaux sociaux et les autres sources en libre accès (comme les associations d’anciens élèves ou événements de bienfaisance) peuvent communiquer certains de ces renseignements. Les autorités de la concurrence devraient tenir compte de la diversité de genre lorsqu’elles enquêtent sur des groupes de personnes suspectés de se livrer à un comportement collusoire. Elles peuvent également aborder la diversité de genre au sein des équipes dans les entreprises dans le cadre des efforts déployés pour faire respecter le droit (voir la section suivante).
Conformité et promotion de la culture de la concurrence
Des facteurs tels que les normes sociales, les relations personnelles et les pressions exercées par les pairs contribuent à la création et au maintien des ententes. Ces facteurs sont liés à la culture d’entreprise, mais aussi à celle du secteur d’activités au sens large. Les industries qui courent le plus grand risque de comportement collusoire présentent généralement les mêmes caractéristiques : importance des rencontres organisées en marge des réunions d’affaires, plus grande homogénéité des participants ayant une participation répétée et régulière au fil du temps.
Les autorités de la concurrence pourraient orienter leurs efforts de sensibilisation sur les groupements d’entreprises concernés appartenant à ces secteurs à risque en expliquant les risques de non-respect des règles associés aux réseaux extra-professionnels et à l’absence de diversité de genre. Les entreprises qui décident de changer de représentants et qui apportent de la diversité en respectant l’équilibre entre les hommes et les femmes peuvent réduire le risque de comportement collusoire.
Selon une étude, les hommes et les femmes peuvent adopter une approche différente en ce qui concerne la clémence et le lancement d’alertes (Tilton, 2018[8]). Les femmes sont plus susceptibles de lancer des alertes à l’extérieur, notamment auprès des organismes chargés de faire appliquer la loi, alors que les hommes le font plus souvent à l’intérieur de l’entreprise. Des échanges réguliers avec des réseaux de dirigeantes d’entreprises peuvent donner des indications sur les secteurs présentant des obstacles à la concurrence fondés sur le genre et offrir des possibilités de promouvoir les programmes d’immunité et de clémence.
Considérations institutionnelles
Représentation
La diversité peut être un atout pour les autorités de la concurrence au même titre que pour les conseils d’administration. Les processus décisionnels tirent avantage d’une diversité de points de vue qui, à leur tour, permettent d’améliorer la gouvernance. La représentation des hommes et des femmes à différents niveaux peut être profitable pour une autorité, notamment parmi les hauts responsables de l’autorité ; les responsables des principales unités de travail ; les comités ou les équipes qui établissent les priorités et sélectionnent les projets ; et les équipes de gestion des dossiers.
Les autorités de la concurrence peuvent également examiner leur représentation à l’extérieur ainsi que les personnes auxquelles des possibilités d’évolution de carrière sont offertes. S’interroger sur les personnes qui en bénéficient contribue à garantir un vivier de talents diversifié. Le Graphique 6 présente quelques moyens possibles pour suivre la représentation hommes-femmes dans le temps et l’améliorer.
Relation avec la société civile et communication avec l’extérieur
Même avec une répartition équilibrée au sein des équipes, il demeure difficile de comprendre parfaitement de quelle manière les hommes et les femmes réagissent face aux différents résultats des travaux réalisés par les autorités de la concurrence. Les femmes se heurtent à des obstacles supplémentaires sur les marchés et peuvent bénéficier davantage des interventions des autorités de la concurrence. Le fait de miser sur les efforts d’association de représentants de la société civile pour garantir l’inclusion des femmes, notamment les groupes de dirigeantes d’entreprises, aidera également à faire circuler l’information dans les deux sens. Il pourrait en résulter des plaintes ou des conseils relatifs à des activités d’application de la loi ou de respect des règles afin de traiter les comportements touchant ces groupes de personnes. Les autorités peuvent avoir recours à diverses possibilités de mobilisation allant du ciblage de groupes précis à de vastes consultations publiques inclusives. Elles peuvent notamment :
Cibler les femmes sur les marchés concernés par le biais d’enquêtes ou de groupes de réflexion.
Rechercher des groupes de dirigeantes d’entreprises sur le marché concerné.
Proposer plusieurs calendriers possibles pour l’organisation d’événements publics, en ménageant la possibilité d’y participer en personne ou en ligne.
Offrir des possibilités de participation en ligne, comme une ligne téléphonique ou un site web réservé aux commentaires.
Mettre des ressources multilingues à la disposition des femmes qui peuvent appartenir à un groupe minoritaire.
Même si les autorités ne jouissent pas toutes des mêmes pouvoirs officiels, elles peuvent appliquer des processus similaires à l’étape de la collecte de renseignements d’un examen ou d’une enquête. La coopération internationale peut apporter un soutien supplémentaire à cette démarche.
Établissement des priorités
Les autorités de la concurrence peuvent tenir compte du genre des personnes touchées par une activité anticoncurrentielle à titre de facteur supplémentaire dans le processus d’établissement des priorités. Par exemple, les entreprises dirigées par des femmes éprouvent des difficultés d’accès aux financements. Les autorités de la concurrence peuvent donner la priorité aux études de marché portant sur les marchés financiers afin d’examiner les obstacles et de formuler des recommandations qui permettraient d’accroître la concurrence, tout en réduisant les barrières à l’entrée pour les entreprises dirigées par des femmes.
Les priorités en matière d’application de la loi peuvent également tenir compte de la structure de la représentation hommes-femmes dans les entreprises et cibler les secteurs caractérisés par une moindre diversité au niveau des postes de direction. Il est ainsi reconnu que des problèmes relatifs au respect des règles et aux ententes (soumissions concertées, par exemple) se posent dans le secteur de la construction7 et qu’il est dominé par les hommes8. Dans la prise en compte de la dimension de genre, les secteurs d’activité similaires devraient être traités en priorité dans le cadre des activités d’application de la loi et de respect des règles.
Les autorités de la concurrence pourraient également tenir compte du genre lorsqu’elles définissent les priorités accordées aux études de marché. Elles peuvent avoir recours à des études de marché pour déterminer si les marchés déterminants pour les femmes fonctionnent de manière satisfaisante9. Le fait de cibler des services traditionnellement fournis par une main-d'œuvre féminine non rémunérée ainsi que d’autres marchés déterminants pour les femmes permettrait de renforcer la concurrence tout en réduisant les obstacles qui empêchent les femmes de participer aux marchés. Une étude de l’OCDE a mis en évidence les principaux secteurs de participation des femmes aux marchés, notamment la garde d’enfants, les soins aux personnes âgées, les infrastructures et les marchés financiers.
Évaluation ex post
L’évaluation ex post est un outil important pour comprendre les effets de décisions antérieures et déterminer s’ils étaient alignés sur les résultats escomptés. Elle permet aux autorités de comprendre comment des facteurs tels que les prix, la qualité, la variété, l’innovation et l’entrée sur le marché ont évolué au fil du temps. L’évaluation ex post peut aider à améliorer le processus décisionnel, à évaluer l’efficacité des outils, à vérifier les hypothèses et favoriser une meilleure conception et mise en œuvre des mesures correctives
Les enseignements tirés du processus d’évaluation peuvent également servir à se faire une idée de l’intégration de la dimension de genre dans le passé. L'évaluation ex post peut mettre en lumière des approches et des méthodes d'analyse utiles à une analyse de genre et exploitables à l’avenir. Ce type d’évaluation n’est pas réservé aux affaires. Il peut également être appliqué à l’analyse des plaintes.
Si les informations disponibles sur des affaires, des plaintes et des demandes de ressources passées sont insuffisantes, il serait judicieux de trouver les moyens d’intégrer la collecte et le suivi des informations dans les processus existants. Cela permettrait d’accroître le volume d’informations disponibles aux fins d’une future évaluation ex post. Une solution possible consiste à intégrer une section sur les considérations liées au genre dans les modèles (dossiers et documents internes) et à ajouter le genre et d’autres facteurs d’identité aux formulaires afin d’assurer un suivi automatique des données. Une autre solution consiste à encourager la direction à s’informer des questions liées au genre dans le cadre des processus décisionnels (lorsqu’on décide d’enquêter sur une affaire ou d’effectuer une étude de marché, par exemple).
Coopération
D’autres recherches, réflexions et applications de ce Manuel sont nécessaires pour mieux comprendre l’intégration du genre dans la politique de la concurrence. Une coopération durable entre les autorités de la concurrence ainsi qu’avec les organisations internationales permet d’améliorer les connaissances et d’élaborer des pratiques exemplaires, comme ce fut le cas dans d’autres domaines de la concurrence tels que le contrôle des fusions.
Les autorités de la concurrence et les pouvoirs publics peuvent saisir les occasions de faire progresser l’intégration des engagements relatifs au genre dans les recommandations pertinentes, les protocoles d’entente et les accords en matière de concurrence, ainsi que dans les accords commerciaux. Cela peut servir de cadre à l’échange d’informations en continu sur les pratiques exemplaires en matière d’intégration du genre.
Notes
← 1. Pour une définition de l’expression « analyse de genre », voir : https://eige.europa.eu/gender-mainstreaming/methods-tools/gender-analysis.
← 2. L’OCDE (2018, p. 33[15]) explique « qu’en favorisant la concurrence sur certains marchés, les autorités de la concurrence peuvent réduire les distorsions du marché sur un marché donné (premier dividende) et contribuer à réduire les inégalités de genre (deuxième dividende) ».
← 3. Voir, par exemple, Malmasi, Shervin et Mark Dras (2014, pp. 145-149[17]).
← 4. Les tests SSNIP sont utilisés pour déterminer le plus petit marché à l’intérieur duquel un monopoleur hypothétique pourrait imposer une augmentation faible, mais significative et non transitoire des prix (SSNIP).
← 5. Abate et Brunelle (2021, p. 9[22]) expliquent que [traduction] « [l]e biais en faveur de l’identité commune renvoie au fait que des personnes appartenant à un groupe précis préfèrent généralement travailler et interagir avec d’autres personnes du même groupe ».
← 6. Abate et Brunelle (2021, p. 11[22]) expliquent que « [à] la base, un "boys’ club" (club de vieux copains) est une organisation qui recrute et sélectionne des hommes, qui créent par la suite un cercle d’entraide horizontale et verticale ainsi qu’entre pairs, par des relations de mentorat entre les nouveaux membres et les plus anciens ». Un élément essentiel de cette définition tient au fait que les clubs de vieux copains sont fondés sur des relations qui ne sont nullement cantonnées à l’entreprise. Les hommes qui appartiennent à ces réseaux se rencontrent dans divers contextes : à l’université, sur le lieu de travail, dans le cadre des relations d’affaires, dans les clubs sportifs, les organismes de bienfaisance, etc. Ils créent donc des liens et des loyautés personnelles qui peuvent se révéler plus solides que les obligations dues à leur employeur ».
← 8. Voir, par exemple : https://link.springer.com/article/10.1007/s12147-020-09257-0.
← 9. Le Manuel pour l’évaluation d’impact de la concurrence de l’OCDE donne des orientations sur la façon d’éliminer les obstacles à la concurrence sur les marchés. Il présente une méthode pour déterminer les restrictions inutiles des activités du marché et explique comment élaborer d’autres mesures moins restrictives qui permettent néanmoins d’atteindre les objectifs des politiques publiques. Voir https://oe.cd/cat.