Ce chapitre se concentre sur les moteurs du moral fiscal des particuliers. Utilisant une analyse économétrique des enquêtes d'opinion publique aux niveaux mondial et régional, il identifie un certain nombre de facteurs socio-économiques et institutionnels qui influencent le moral fiscal. Le chapitre examine également un certain nombre de réponses politiques visant à renforcer le moral fiscal, notamment les programmes d'éducation des contribuables, les approches d'économie comportementale et les impôts hypothéqués. Bien qu'une analyse plus détaillée au niveau national soit nécessaire avant de s'engager dans des changements politiques concrets, l'aperçu fourni dans ce chapitre constitue un point de départ pour la discussion et la recherche sur le rôle du moral fiscal dans les pays en développement.
Civisme fiscal
1. Le civisme fiscal des particuliers
Abstract
De plus en plus d'études démontrent l'existence d'une corrélation significative et positive entre le civisme fiscal et la discipline fiscale dans les pays développés comme dans les économies en développement (Ali, Fjeldstad et Sjursen, 2014[1] ; Cummings et al., 2009[2]). Le recours croissant à l'économie comportementale pour favoriser la discipline fiscale observée depuis peu montre que les administrations fiscales cherchent à exploiter les connaissances sur le civisme fiscal pour inciter les contribuables à mieux respecter leurs obligations (OCDE, 2017[3]).
Ce chapitre fait appel à de récentes enquêtes d'opinion pour réexaminer les conclusions d'études antérieures (OCDE, 2013[4]) et approfondir la compréhension des facteurs qui influent sur le civisme fiscal, en particulier en Afrique, en Asie et en Amérique latine. Au niveau mondial, les questions posées aux sondés étaient axées sur le caractère justifié ou non des pratiques d'évasion et de fraude fiscales, ce qui limite nécessairement la définition du civisme fiscal, mais davantage d'indicateurs indirects ont été employés au niveau régional. L'analyse porte sur les facteurs socioéconomiques et institutionnels, qui sont examinés à la fois à l'échelon mondial et au niveau régional. En outre, à partir de ces éléments, elle vise à déterminer la solidité de l'hypothèse selon laquelle le contrat fiscal constitue un aspect déterminant du civisme fiscal (OCDE/ SAD/CEPALC, 2018[5]).
Conjugués aux enseignements tirés d'autres études, les résultats obtenus montrent qu'il pourrait être intéressant d’accorder davantage d’attention et de mieux utiliser les travaux sur le civisme fiscal pour l'élaboration et la mise en œuvre des politiques fiscales, par exemple pour améliorer le profilage des contribuables et les programmes éducatifs qui leur sont destinés. Ils révèlent aussi que des travaux complémentaires sont nécessaires, notamment sur les différences entre hommes et femmes en matière de civisme fiscal..
L’accent mis sur le civisme fiscal devrait venir en complément et non pas remplacer les efforts entrepris pour améliorer la discipline fiscale. Le civisme fiscal représente une partie des décisions de discipline fiscale prises par les particuliers et doit donc être pris en considération parmi d’autres facteurs (comme par exemple sa mise en application). Si ces travaux constituent un bon point de départ de discussion du civisme fiscal et de sa prise en considération, d’autres recherches approfondies au niveau des pays seront nécessaires pour déceler en pratique la meilleure manière d’intégrer les considérations de civisme fiscal au sein d’une stratégie fiscale plus large des pouvoirs publics dans les pays.
1.1. Le civisme fiscal aujourd'hui : analyse mondiale
Le présent rapport confirme les constatations effectuées il y a une dizaine d'années quant aux facteurs socioéconomiques et institutionnels associés au civisme fiscal. Les travaux antérieurs (OCDE, 2013[4]) identifiaient ces facteurs à partir de l'enquête mondiale sur les valeurs (WVS, World Values Survey). Cette analyse a été répétée à partir des nouvelles données recueillies dans le cadre d'une vague plus récente de cette enquête (la méthodologie est présentée dans l'Annexe A et le Tableau A.A.3), et les résultats obtenus confirment les constatations antérieures. Il est ainsi possible d'identifier des tendances sur une longue période et de formuler des recommandations à l'intention des pouvoirs publics avec une certaine confiance.
C'est dans les pays membres de l'OCDE et en Amérique latine que le civisme fiscal est le plus élevé, et en Afrique et en Europe de l'Est qu'il est le plus faible. La comparaison des attitudes individuelles à l'égard de l'évasion et de la fraude fiscales1 permet de mesurer et de comparer le civisme fiscal dans différentes régions. Les résultats sont présentés dans le Graphique 1.1. Selon cette méthode de mesure, la zone OCDE2 et les pays d'Amérique latine sont les régions qui affichent le civisme fiscal le plus élevé (voir la section 1.3, sur l'évolution récente observée en Amérique latine), plus de 70 % de la population affirmant qu'il ne peut jamais être justifié de tricher concernant les impôts. Ce pourcentage dépasse tout juste 50 % en Afrique et en Europe de l'Est. Il existe cependant des disparités au sein de chaque région, en particulier en Afrique, où la proportion de sondés estimant qu'il ne peut jamais être justifié de tricher concernant les impôts est comprise entre 82 % dans le pays au civisme fiscal le plus élevé et 32 % dans le pays où il est le plus faible.
Les pays où la fiscalité est plus lourde en pourcentage du PIB se caractérisent par un civisme fiscal plus élevé. Le Graphique 1.2 met en évidence une corrélation positive entre le civisme fiscal observé dans un pays et son coefficient de pression fiscale (ratio impôts/PIB), chaque point représentant un des pays couverts par l'enquête mondiale sur les valeurs (WVS, World Values Survey). Cette corrélation pourrait être un élément d'explication des différences entre régions, les pays membres de l'OCDE et l'Amérique latine ayant globalement un coefficient de pression fiscale plus élevé que d'autres régions. La causalité de cette corrélation n'est pas claire, mais il est possible qu'elle traduise l'existence d'un cercle vertueux entre prestations de services publics, discipline fiscale spontanée et stabilité fiscale, qui sont trois questions auxquelles beaucoup de pays en développement ont des difficultés à apporter des réponses. D’autres corrélations pourraient être intéressantes, comme l’incidence du caractère informel sur le civisme fiscal par exemple, mais le manque de données entrave pour le moment ce type d’exercice (tout au moins dans le contexte d’une analyse multi-pays. Certaines de ces dynamiques sont explorées de manière plus approfondie dans la suite du chapitre, notamment dans l'analyse régionale.
Il existe un lien fort entre les facteurs institutionnels et socioéconomiques et le civisme fiscal, ce qui confirme les résultats d'études antérieures. Le Graphique 1.4 présente les effets marginaux (les résultats complets sont présentés dans le Tableau A.A.2) de chacune des variables considérées sur la probabilité de faire état d'un civisme fiscal élevé. En d'autres termes, il indique l'effet qu'a sur le civisme fiscal une augmentation d'une unité de la variable considérée – comme un renforcement de la confiance dans l'administration, le fait d'être âgé d'un an de plus ou d'avoir achevé un cycle d'études supplémentaire (consistant par exemple à être titulaire d'un diplôme universitaire, plutôt que d'un diplôme de fin d'études secondaires). Le Graphique 1.4 présente également, lorsqu'ils sont disponibles, les résultats de travaux antérieurs de l'OCDE (reposant sur les données de l'enquête mondiale sur les valeurs de 2005) aux fins de comparaison (OCDE, 2013[4]). L’analyse s’est livrée à des tests destinés à établir le rôle des différents niveaux de salaire et de statut professionnel (emploi ou chômage) tels qu’ils sont perçus, mais aucune corrélation significative n’a été établie (voir Annexe A, tableau A.3). Les réponses reçues lors de la consultation ont mis en évidence qu’il serait utile de poursuivre les recherches en faisant appel à d’autres sources de données, pour mieux comprendre le civisme fiscal des particuliers fortunés. De telles recherches pourraient explorer à la fois la manière dont les particuliers fortunés réagissent aux mesures d’amnistie fiscale, pour lesquelles les réponses reçues lors de la consultation ont décelé aussi bien des bénéfices que des risques potentiels, que la manière dntle comportement fiscal des plus fortunés affecte le civisme fiscal des autres contribuables (OECD, 2019[6])
L'analyse des résultats mondiaux souligne que les facteurs socioéconomiques sont des déterminants du civisme fiscal des particuliers :
Les personnes qui ont un niveau d'études relativement élevé sont plus disposées à payer des impôts.
Les femmes ont un civisme fiscal plus élevé que les hommes.
Les personnes plus âgées sont moins susceptibles d'estimer qu'il est justifié de tricher concernant les impôts que les personnes plus jeunes.
Les personnes qui vivent dans le pays dont elles sont ressortissantes ont un civisme fiscal plus élevé que les non-ressortissants.
Les personnes qui revendiquent une croyance ou une identité religieuse sont plus disposées à payer des impôts.
Certains de ces résultats n'ont sans doute rien d'étonnant – par exemple, les personnes qui ont suivi des études supérieures sont plus susceptibles que les autres de comprendre le rôle de la fiscalité dans l'économie. La confirmation de l'existence de ces liens présente néanmoins un intérêt pratique, puisqu'elle permet de valider l'idée que les facteurs considérés peuvent être utilisés pour établir des profils de contribuables et mieux cibler les efforts déployés pour améliorer la discipline fiscale. Il est cependant nécessaire de réaliser ce type d'analyse à l'échelon national (voire infranational) pour s'assurer de sa validité dans un contexte local particulier. L'analyse régionale indique en effet (voir les sections 1.2 à 1.4 ci-après) que ces facteurs peuvent être plus ou moins significatifs.
S'agissant des facteurs institutionnels, les politiques publiques et le fonctionnement de l'État aussi sont susceptibles d'avoir un effet significatif sur le civisme fiscal :
Les personnes qui estiment vivre dans une société méritocratique font preuve d'un civisme fiscal nettement plus élevé.
Celles qui ont confiance dans l'administration de leur pays ont également un civisme fiscal plus élevé que celles qui n'ont pas confiance.
Les personnes pour qui la redistribution par l'impôt est fondamentale (autrement dit pour qui les pouvoirs publics doivent imposer les riches pour pouvoir aider les pauvres) manifestent également un civisme fiscal plus élevé.
Celles qui considèrent la démocratie comme le meilleur régime politique pour leur pays pensent aussi généralement que rien ne justifie de tricher concernant les impôts.
Toutes ces variables ont pour dénominateur commun l'influence décisive exercée sur le civisme fiscal par le fonctionnement de l'État et sa capacité à pourvoir aux besoins des citoyens. La confiance dans l'administration, par exemple, est influencée par la capacité de l'État de tenir ses promesses ; de même, la méritocratie perçue dépend de l'aptitude de l'État à contribuer à créer une société où travail assidu rime avec réussite et où chacun a ses chances. Ainsi qu’il est indiqué dans les réponses reçues à la consultation de ce rapport, il serait intéressant également de voir de quelle manière la perception qu’ont les contribuables de l’équité du système fiscal affecte le civisme fiscal, mais ces données ne sont pas disponibles pour le moment (OECD, 2019[7])
L'analyse des données mondiales est utile jusqu'à un certain point seulement, car seules des données régionales ou nationales peuvent permettre d'étudier les aspects spécifiques du fonctionnement de l'État qui influent sur le civisme fiscal. Les sections suivantes présentent les résultats obtenus à cet égard en Afrique, en Asie et en Amérique latine.
1.2. Analyse régionale du civisme fiscal – Afrique
Le civisme fiscal semble s'améliorer en Afrique. Le Graphique 1.5 ci-après montre que la proportion d'Africains convaincus qu'il est légitime que les autorités fiscales contraignent la population à payer des impôts est passée de 22 % en 2005 à 30 % en 2015. De surcroît, davantage d'Africains estimaient que le fait de ne pas payer ses impôts était un acte répréhensible qui devait être sanctionné en 2015 que lors des précédentes enquêtes (Afrobaromètre, 2011-2013). Il existe cependant d'amples variations d'un pays à l'autre, et bien que le civisme fiscal ait augmenté dans la plupart des pays, il a diminué dans d'autres (Afrobaromètre, 2011-2015).
Cette hausse peut avoir plusieurs causes, parmi lesquelles l'augmentation du coefficient de pression fiscale (ratio impôts/PIB) et l'amélioration de l'administration de l'impôt. Le Graphique 1.2 met en lumière l'existence d'une corrélation entre le civisme fiscal et le coefficient de pression fiscale, lequel augmente progressivement en Afrique depuis quelque temps. Ainsi, le ratio moyen calculé pour les 21 pays pris en compte dans la publication Statistiques des recettes fiscales en Afrique 2018 (OCDE/ATAF/CUA, 2018[8]) a franchi en 2004 le seuil de 15 %, niveau communément considéré comme le minimum nécessaire au fonctionnement efficace de l'État. Le fait que ce seuil minimum de capacité de l'État ait été atteint pourrait donc s'expliquer par l'apparition du cercle vertueux décrit précédemment entre impôts et prestation de services publics. Par ailleurs, Moore et al. soulignent que les autorités fiscales africaines progressent régulièrement (Moore, Prichard et Fjeldstad, 2018[9]). Les données d'enquête plus précises disponibles pour l'Afrique permettent d'évaluer l'influence exercée sur le civisme fiscal par des facteurs tels que les prestations de services publics et l'administration de l'impôt.
L'amélioration perçue de la qualité de l'administration fiscale a une incidence significative sur le civisme fiscal. Afrobaromètre est la plus détaillée des enquêtes régionales et comporte un volet sur l'administration fiscale. Le Graphique 1.6 ci-après décrit l'importance que revêtent l'image et la qualité des autorités fiscales pour les contribuables. Ce sont les gains de légitimité perçue de ces autorités fiscales qui font le plus progresser le civisme fiscal, et l'établissement de liens entre impôts et dépenses publiques, en particulier dépenses de santé, pourrait renforcer le consentement à payer davantage d'impôts. Les récentes améliorations au sein desadministrations fiscales ont de ce fait joué un rôle décisif dans la progression du civisme fiscal en Afrique.
Simplifier le paiement des impôts semble renforcer le consentement à payer. L'effet négatif sur le civisme fiscal du sentiment qu'il est difficile de savoir comment payer ses impôts est une autre constante observée. Plusieurs solutions peuvent être envisagées par les pouvoirs publics pour remédier à ce problème. D'abord, les programmes éducatifs qui sensibilisent les contribuables aux raisons justifiant de payer des impôts et leur expliquant comment les acquitter constituent un moyen de rendre le système fiscal plus accessible aux contribuables. Ensuite, un recours accru aux technologies pourrait permettre d'améliorer le recouvrement de l'impôt : bien utilisées, les technologies peuvent à la fois simplifier le processus de paiement des impôts et renforcer l'intégrité du système fiscal, en réduisant les possibilités de corruption (Bird et Zolt, 2008[10]). Beaucoup de pays en développement ont réalisé d'importants progrès s'agissant de la corruption (ce qui est probablement un des facteurs à l'origine de l'amélioration de la légitimité perçue des autorités fiscales africaines), mais il subsiste un potentiel considérable. Le Forum de l'OCDE sur l'administration fiscale (FAF) s'est saisi de cette question et s'emploie à cerner les meilleures pratiques pour l'utilisation des technologies dans le domaine de l'administration fiscale. Enfin, s'attaquer au phénomène des « petits impôts », qui sont certes négligeables en termes statistiques mais constituent l'essentiel des impôts acquittés par une grande partie de la population africaine (notamment les femmes), pourrait constituer un moyen d'améliorer le civisme fiscal en Afrique (Moore, Prichard et Fjeldstad, 2018[9])3.
En Afrique, l'amélioration des prestations de services publics semble être un déterminant du civisme fiscal. L'efficacité des services publics permet de démontrer la capacité des pouvoirs publics à transformer les impôts en dépenses bénéfiques, de manière à obtenir un double dividende, puisqu'à l'avantage inhérent au service fourni s'ajoutent les retombées positives liées à la satisfaction qui en découle. Les résultats obtenus pour l'Afrique (Graphique 1.5) laissent à penser que ce lien existe, la satisfaction à l'égard de la voirie, du système éducatif et du système de santé ayant un effet positif sur le civisme fiscal.
Les impôts affectés (réservés à un usage déterminé) visent à utiliser le lien existant entre prestations de services publics et civisme fiscal pour créer l'espace politique nécessaire aux réformes fiscales, mais ils peuvent se révéler problématiques. En établissant un lien entre des prélèvements et des dépenses consacrées à des services spécifiques, les impôts affectés sont parfois vus comme un moyen de bâtir le contrat fiscal, notamment lorsque la confiance dans les pouvoirs publics est particulièrement faible (Prichard, 2015[11]). Or, bien qu'ils puissent présenter des avantages à court terme, les impôts affectés soulèvent également divers problèmes, en particulier des difficultés inhérentes à la manière dont ils sont conçus (McCleary, McCleary et William, 1991[12]) 4 et liées aux répercussions qu'ils peuvent avoir à long terme – voir l'Encadré 1.1.
Encadré 1.1. Les impôts affectés au Ghana
Le Ghana a eu recours de manière répétée à des impôts affectés pour mobiliser des fonds dans plusieurs domaines clés. Trois des 14 structures à financement réservé dont est doté le pays sont :
Le Fonds d'affectation spéciale pour l'éducation au Ghana (GETFund, Ghana Education Trust Fund) a été créé en 2000 pour financer l'enseignement, et il est aujourd'hui financé par une taxe sur la valeur ajoutée (TVA) additionnelle appliquée au taux uniforme de 2.5 %.
Le régime national d'assurance maladie (NHIS, National Health Insurance Scheme) a été mis en place en 2005 pour étayer le système de santé, et il est aujourd'hui financé à la fois par une TVA additionnelle appliquée au taux uniforme de 2.5 % et par des cotisations prélevées au taux de 2.5 % destinées au Fonds d'affectation spéciale pour la sécurité sociale et l'assurance nationale (SSNIT, Social Security and National Insurance Trust).
Le Fonds d'investissement dans les infrastructures du Ghana (GIIF, Ghana Infrastructure Investment Fund) a été créé en 2014 et est financé par une TVA prélevée au taux de 2.5 %.
Du fait de la croissance des impôts affectés au Ghana, et de leur produit, près de 40 % des recettes fiscales sont aujourd'hui attribués à des fonds d'affectation spéciale. Cela a réduit les marges de manœuvre budgétaires du gouvernement, si bien qu'une loi de réajustement et de plafonnement des fonds d'affectation spéciale (Earmarked Funds Capping and Realignment Act) a été adoptée en 2017 pour limiter à 25 % des rentrées d'impôts totales les recettes fiscales attribuées aux fonds d'affectation spéciale, le reste étant reversé au budget général. Bien que cela ait accru les marges de manœuvre budgétaires du gouvernement, cela a aussi sensiblement amoindri les ressources des fonds d'affectation spéciale, réduisant leur capacité de prestation de services. Certains craignent qu'il puisse en résulter une dégradation du civisme fiscal, si les prestations de services se réduisent alors que les taux des impôts affectés restent inchangés.
Source : Cassiel Forson, député au Parlement ghanéen.
Les approches fondées sur l'économie comportementale constituent une autre façon, plus souple, d'utiliser le lien entre prestations de services publics et civisme fiscal. Un certain nombre de pays ont eu recours à des méthodes d'« incitation douce » (nudge) dans le cadre de l'application des lois (voir l'Encadré 1.2). Fondées sur les principes de l'économie comportementale, ces méthodes consistent généralement à introduire de nouveaux messages dans les communications des autorités fiscales destinées aux contribuables. Au Rwanda, cette approche a notamment consisté à mettre l'accent sur les prestations de services. Dans le cadre d'une expérimentation fondée sur l'envoi de courriers aux contribuables menée par l'administration fiscale rwandaise, les lettres mettant en lumière les liens entre impôts et services publics ont été plus efficaces que celles qui avaient une visée dissuasive (Mascagni, Nell et Monkam, 2017[13]). Les travaux publiés sur ces exercices soulignent leurs avantages, mais aussi leurs limites ; ainsi, si les approches fondées sur l'économie comportementale ne s'accompagnent pas d'améliorations sensibles de la gouvernance et des services publics, leurs effets positifs peuvent se dissiper au fil du temps (Castro et Scartascini, 2015[14]) ; (Coleman, 2007[15]) ; (Cummings et al., 2009[16])). Certaines des réponses reçues dans le cadre de la consultation ont également mis en lumière le rôle des autres disciplines académiques par-delà l’économie et la psychologie appliquées à la discipline fiscale, notamment la science politique, l’anthropologie et la sociologie (OECD, 2019[7])
Encadré 1.2. L'économie comportementale appliquée à la discipline fiscale
L'équipe de spécialistes de l'économie comportementale (BIT, Behavioural Insights Team)1, a appuyé l'exploitation des enseignements de cette discipline dans un certain nombre de pays, ainsi que l'illustrent les exemples suivants.
Royaume-Uni : Avec l'aide de la BIT, l'administration fiscale britannique a envoyé aux contribuables qui n'avaient pas payé leurs impôts en temps voulu des courriers mettant en avant des normes sociales, afin d'améliorer l'acquittement des impôts. À titre d'exemple, on trouvait dans ces lettres des formules telles que : « Neuf personnes sur dix ayant une dette telle que la vôtre, dans la zone où vous habitez, paient leurs impôts en temps voulu » ; « La grande majorité des habitants de la zone où vous habitez paient leurs impôts en temps voulu » ; et « La plupart des gens ayant une dette telle que la vôtre l'ont remboursée à l'heure qu'il est ». Cette dernière formule s'est traduite par une augmentation passant de 34 % à 39 % de la proportion acquittée des impôts dus par les destinataires des courriers où elle figurait.
Guatemala : En collaboration avec l'administration fiscale guatémaltèque, la BIT et la Banque mondiale ont réalisé un essai contrôlé randomisé au Guatemala. Cet essai a consisté à modifier des lettres de rappel adressées aux contribuables qui n'avaient pas fait leur déclaration d'impôt sur le revenu dans les délais impartis. Le courrier incluait ce qui suit : « D'après nos fichiers, 64.5 % des Guatémaltèques ont établi leur déclaration d'impôt sur le revenu en temps voulu pour l'année 2013. Vous faites partie de la minorité de Guatémaltèques qui n'ont pas encore fait cette déclaration d'impôt. » La proportion de destinataires de ce courrier ayant fait leur déclaration d'impôt a été supérieure de 5.5 points de pourcentage à celle des contribuables auxquels cette lettre n'avait pas été envoyée (The Behavioural Insights Team, 2014[14]). On estime que si cette lettre était envoyée à tous les contribuables, cela génèrerait 760 000 dollars US de recettes supplémentaires, ce qui représente 36 fois le coût de l’envoi des lettres (Kettle et al., 2016[19]).
Mexique : Les autorités mexicaines, avec le concours de la Banque interaméricaine de développement (BID) et de la BIT, se sont efforcées d'encourager les entreprises à déclarer leur chiffre d'affaires en leur adressant des rappels par SMS. Ces messages courts ont été envoyés à 748 499 entreprises contribuables qui n'avaient pas soumis leur déclaration en temps voulu. Le message de rappel le plus efficace, qui mettait en avant les amendes pouvant être infligées en cas de non-respect de la législation fiscale, a rehaussé le taux de déclaration, qui est passé de 24 % à 33 % (Kettle et al., à paraître).
Costa Rica : La BIT, en collaboration avec les autorités costariciennes, a envoyé des courriers électroniques à 12 515 entreprises pour les inciter à soumettre leurs déclarations d'impôt sur les sociétés au titre de l'année 2014. Sur la base d'un tirage au sort, trois groupes d'entreprises ont été constitués : le premier n'a reçu aucun courrier électronique, le second s'est vu adresser un courriel fondé sur les enseignements de l'économie comportementale (contenant un message à visée dissuasive), et le troisième a reçu le même courrier électronique contenant en sus des exemples de transactions réalisées par l'entreprise destinataire, soulignant que l'administration fiscale en avait connaissance. Les résultats montrent que pour les entreprises ayant reçu un courriel à visée comportementale, le taux de déclaration a augmenté pour passer de 11.5 % à 23.5 % dans le cas du message simple, et à 34.2 % dans le cas du courrier électronique mentionnant des transactions.
Il convient cependant de garder à l'esprit plusieurs enseignements concernant ces approches comportementales.
L'efficacité des interventions de communication est maximale lorsque les contribuables ont peu d'autres sources d'information, de sorte que la communication est plus susceptible de modifier les convictions antérieures des contribuables.
Il est important de cibler les interventions sur des sous-groupes de population, tels que les personnes caractérisées par un comportement antérieur spécifique, les contribuables les plus fortunés, etc.
Les approches comportementales ne se conçoivent pas isolément des autres démarches, et doivent fonctionner en conjonction avec celles-ci, notamment avec les mécanismes d'application des lois et des politiques qui visent à rebâtir la confiance et la légitimité, accroissant de ce fait le civisme fiscal.
Bien que les approches comportementales soient rentables à court terme, elles ne sauraient se substituer à un système d'imposition judicieusement conçu, mais elles peuvent contribuer efficacement à renforcer le civisme fiscal lorsque les paramètres fondamentaux du système sont en place
1. L'équipe de spécialistes de l'économie comportementale (Behavioural Insights Team), qui a vu le jour au sein du gouvernement britannique et qui est aujourd'hui une entreprise internationale, s'efforce de générer et d'appliquer des connaissances comportementales afin d'éclairer les politiques et d'améliorer les services publics – www.bi.team.
Source : OCDE et www.bi.team/blogs.
En général, les facteurs qui influent sur le civisme fiscal en Afrique sont les mêmes qu'à l'échelle mondiale. Il apparaît que l'attachement à la démocratie, la croyance religieuse, le niveau d'études et la confiance dans l'administration, dont il a été constaté qu'ils influaient sur le civisme fiscal à l'échelle mondiale, jouent également un rôle en Afrique, même si des différences sont observées. Parmi ces facteurs, « la confiance dans l'administration » est la principale constante, ce qui corrobore encore l'hypothèse selon laquelle il existe un lien entre civisme fiscal et fonctionnement de l'État.
Une des différences importantes avec les résultats de l'analyse réalisée à l'échelle mondiale réside dans le fait qu'en Afrique, le civisme fiscal semble être plus faible chez les femmes que chez les hommes. Les systèmes fiscaux peuvent avoir une incidence différente selon le sexe. Par exemple, de récentes recherches conduites au Nigéria ont établi l’existence de partis pris implicites en termes d’imposition, qui impactent les femmes de manière négative (Akpan et Sempere, 2019[17]) Cette différence résulte dans certains cas de dispositions du code des impôts s'appliquant explicitement aux femmes, mais elle est le plus souvent due à l'interaction entre le système fiscal et d'autres aspects du comportement économique, notamment des écarts en matière de taux d'activité, d'entrepreneuriat, de rémunération, de décisions relatives aux études, d'épargne, de patrimoine et de consommation. Lorsque les politiques fiscales ne tiennent pas compte des conséquences des rôles assignés aux hommes et aux femmes et des inégalités entre les sexes sur la manière dont les hommes et les femmes perçoivent, gèrent, épargnent et dépensent leur revenu et leur patrimoine, elles risquent d'enraciner les inégalités entre les sexes, ainsi que d'accroître la pauvreté féminine et/ou de peser sur le consentement des femmes à adhérer au contrat fiscal.
Il est nécessaire de mener des travaux complémentaires et de disposer de nouvelles données sur le genre et la fiscalité, en particulier en Afrique. Les conclusions de ce rapport relatives au civisme fiscal des femmes en Afrique soulignent la nécessité de consacrer des travaux de recherche au genre et à la fiscalité. Les études existant actuellement ne permettent en effet pas de cerner les causes spécifiques des différences de civisme fiscal entre hommes et femmes, ni les raisons pour lesquelles le civisme fiscal des femmes est plus faible en Afrique. Moore, Prichard et Fjeldstad (2018[9]) évoquent quelques explications possibles, en particulier les droits de place sur les marchés demandés aux petits commerçants, ainsi que l'existence de biais inhérents à l'administration de l'impôt, mais ne parviennent à aucune conclusion claire. Van Den Boogaard constate qu'en Sierra Leone, les ménages dont le chef est une femme paient moins d'impôts officiels mais plus d'impôts informels que ceux dirigés par un homme ; au total, la pression fiscale est cependant plus lourde pour les femmes que pour les hommes, en termes de fiscalité officielle comme de fiscalité informelle (Van Den Boogaard, 2018[18]). Un manque de données ventilées par sexe complique encore l'étude des inégalités entre hommes et femmes en matière d'impôt (et de politique budgétaire en général). Des travaux complémentaires devraient être consacrés à cette question, notamment aux aspects suivants : les différences de régime fiscal entre les secteurs à prédominance masculine et ceux à prédominance féminine, la prise en compte par le système fiscal des services à la personne non rémunérés, la manière dont le système fiscal traite les différentes structures familiales, les différences d'imposition entre milieu urbain et milieu rural et entre secteur informel et secteur formel. Les enquêtes sur le civisme fiscal pourraient elles-mêmes apporter une contribution intéressante à ces travaux, dans la mesure où d'importants écarts entre hommes et femmes en matière de civisme fiscal peuvent être révélateurs de préjugés sexistes inhérents au système fiscal.
1.3. Analyse régionale du civisme fiscal – Amérique latine
Le civisme fiscal semble diminuer en Amérique latine, alors qu'il y était relativement élevé. Le Graphique 1.7 ci-après présente l'évolution du civisme fiscal en Amérique latine. Il montre qu'il régresse depuis 2011, la part de la population de la région estimant injustifiable de se soustraire au paiement des impôts ayant reculé pour passer de 54 % en 2011 à 48 % en 20155. Au cours de la même période, le pourcentage de personnes considérant qu'il peut être justifié de ne pas payer ses impôts est en revanche passé de 17 % à 27 % (Graphique 1.7, partie A). Cet affaiblissement du civisme fiscal est observé dans toutes les économies de la région prises en compte dans l'enquête Latinobarómetro, quoique à des degrés divers (Graphique 1.7, partie B).
Le recul du civisme fiscal semble lié aux évolutions qu'a récemment connues l'économie en Amérique latine. La diminution du civisme fiscal observée en Amérique latine coïncide avec un ralentissement économique qui s'est lui aussi amorcé en 2011 et peut donc l'expliquer. D'après la publication de l'OCDE Latin American Economic Outlook 2018, ce ralentissement économique a mis fin à une période de progrès économique et social en Amérique latine, où la pauvreté avait fortement reculé et où avait émergé une classe moyenne aux exigences grandissantes. Les récentes inversions de tendance observées en matière de réduction de la pauvreté et d'inégalités se sont conjuguées à des évolutions mondiales, telles que les changements technologiques et le vieillissement démographique, et à un certain nombre de scandales de corruption ayant éclaté en Amérique latine. Ces facteurs ont alimenté un climat d'incertitude quant à la capacité des institutions publiques de satisfaire efficacement les besoins des citoyens dans cette région du monde (OCDE/CAF/UN CEPALC, 2018[2].
Malgré le recul du civisme fiscal, il est possible de déceler divers facteurs qui influent sur lui positivement. Le Graphique 1.8 présente des facteurs dont l'influence sur le civisme fiscal des particuliers en Amérique latine a été mise en évidence. Il existe plusieurs similitudes entre les résultats de l'analyse régionale et ceux de l'analyse mondiale, à savoir que les individus plus âgés, ceux qui ont un niveau d'études plus élevé et ceux qui ont des convictions religieuses ont aussi un civisme fiscal plus élevé. Le moindre civisme fiscal observé parmi les personnes relativement jeunes souligne la nécessité d'adopter des stratégies différenciées. Ainsi, on pourrait envisager des programmes d'éducation des contribuables ciblant les cohortes nombreuses de jeunes contribuables latino-américains (ou de futurs contribuables), qui pourraient être intégrés dans le système scolaire (voir l'Encadré 1.3 par exemple) ; en 2017, 26 % de la population d'Amérique latine avaient entre 15 et 29 ans (ONU, 2017[19]). Par ailleurs, il est intéressant de noter que les personnes qui considèrent la démocratie comme le meilleur régime politique sont nettement plus susceptibles de juger que rien ne justifie de tricher concernant les impôts (Graphique 1.8 partie D), mais qu'elles sont aussi moins susceptibles d'être disposées à payer davantage d'impôts pour financer le développement de leur pays (Graphique 1.8, partie E). Cela attire l'attention sur le fait qu'un civisme fiscal élevé dans un domaine (estimer que rien ne justifie de tricher concernant les impôts) ne va pas automatiquement de pair avec un fort civisme fiscal dans un autre domaine (consentement à payer davantage d'impôts).
Encadré 1.3. Éduquer la prochaine génération : l'expérience EuroSocial
EuroSocial est un programme de coopération entre l'Amérique latine et l'Union européenne (UE) qui soutient des actions d'éducation des contribuables destinées à renforcer la cohésion sociale par le biais de son pôle d'assistance comptable et fiscale (NAF, Núcleo de Apoyo Contable y Fiscal).
Ce pôle forme des étudiants inscrits à l'université sur les avantages sociaux des impôts et sur des questions élémentaires liées aux impôts et aux douanes, les aidant à conseiller des entrepreneurs et des propriétaires de micro- et petites entreprises en matière fiscale. En 2017, le NAF a bénéficié à 571 universités de 10 pays d'Amérique latine, de sorte que 6 000 étudiants ont apporté leur soutien à plus de 80 000 contribuables.
Ce programme est bénéfique pour toutes les parties prenantes. Il permet aux étudiants de renforcer leur sens des responsabilités sociales, d'approfondir leurs connaissances générales en matière fiscale et de les appliquer en pratique. Quant aux administrations fiscales, elles bénéficient du fait que ce programme incite les comptables à adopter un comportement responsable, améliore le civisme fiscal (notamment en favorisant le respect spontané des obligations fiscales), et favorise de meilleures relations entre l'administration et les comptables et les citoyens. Le soutien apporté par les étudiants à la collectivité au niveau local permet aux contribuables ayant de faibles revenus de bénéficier d'une aide gratuite sur des questions élémentaires, tout en contribuant à la régularisation de la situation des petites entreprises et à leur mise en conformité avec la législation fiscale.
La réussite des programmes du NAF passe par un engagement commun de l'administration fiscale et du système éducatif. Cela permet de garantir que ces programmes reposent sur une approche pédagogique claire, et que les sujets fiscaux soient efficacement intégrés dans les enseignements dispensés. Pour être couronné de succès, un tel programme doit permettre à la fois d'appréhender le rôle et la fonction des impôts, ainsi que l'importance du contrat fiscal conclu entre l'État et les citoyens.
Source : EuroSocial.
Le lien entre civisme fiscal et services publics est moins clair en Amérique latine, l'analyse de données récentes ne confirmant pas toujours les résultats des études antérieures. Les travaux antérieurs exploitant les enquêtes Latinobarómetro de 2008-2009 mettent en évidence une corrélation positive entre le civisme fiscal et la satisfaction à l'égard des services d'éducation et de santé (Daude et Melguizo, 2010[20]). D'autres études ont également mis en évidence un lien positif entre civisme fiscal et services publics (Carrillo, Castro et Scartascini, 2018[21]). En revanche, l'analyse présentée ici aboutit à des résultats contrastés s'agissant du lien entre services publics et civisme fiscal : les personnes relativement satisfaites des services publics de santé se caractérisent en effet par un civisme fiscal plus faible, tandis qu'aucun lien n'est observé entre la satisfaction à l'égard du système éducatif et le civisme fiscal. Pour ce qui est du système de santé, ces résultats contradictoires s'expliquent peut-être par son mode de financement en Amérique latine. Beaucoup de pays se caractérisent en effet par un système mixte de financement des soins de santé, reposant à la fois sur les cotisations de sécurité sociale, la fiscalité générale et d'importants paiements directs des patients, si bien qu'une grande partie de la population d'Amérique latine doit assumer à titre individuel une part non négligeable de ses dépenses de santé, au lieu de voir ces dépenses financées par l'impôt (Izquierdo, Pessino et Vuletin, 2018[22]). Alors que le lien entre certains services et le civisme fiscal n'est pas clair, la confiance dans l'administration comme le degré de corruption perçue s'avèrent influer sur le civisme fiscal, ce qui souligne que le fonctionnement global de l'État paraît avoir une incidence sur le civisme fiscal en Amérique latine.
1.4. Analyse régionale du civisme fiscal – Asie
Les données disponibles sont plus limitées dans le cas de l'Asie, mais il est possible de cerner divers facteurs influant sur le civisme fiscal. L'enquête Asiabarometer n'a pas été actualisée depuis 2005-2007 et ne peut donc être utilisée pour effectuer un suivi du civisme fiscal dans le temps. Il est toutefois possible d'exploiter les données de l'enquête mondiale sur les valeurs (WVS, World Values Survey) relatives à l'Asie pour identifier les facteurs qui semblent déterminer le civisme fiscal, quoique à partir d'un nombre plus limité d'observations que celles offertes par les enquêtes régionales. Ces données montrent que les contribuables ayant une préférence pour les sociétés plus égalitaires et méritocratiques ont un civisme fiscal plus marqué (Graphique 1.9). Les personnes plus âgées, ayant un niveau d'études plus élevé et de sexe féminin se caractérisent également par un civisme fiscal plus fort – ce qui souligne une fois de plus les possibilités offertes par la mise en œuvre de programmes d'éducation des contribuables axés sur les citoyens les plus jeunes et les moins instruits. Compte tenu des limites des données tirées de l'enquête mondiale sur les valeurs, il n'est pas possible d'évaluer la force du contrat fiscal en Asie.
1.5. Conclusions et prochaines étapes
Les constatations présentées ici confirment l'existence d'un contrat fiscal, mais laissent à penser qu'il est plus ou moins fort selon les régions et les périodes. Les résultats positifs obtenus pour l'Afrique et l'Asie montrent clairement que l'existence du contrat fiscal influe sur le civisme fiscal, ce qui confirme les résultats d'études antérieures (Torgler, 2005[23]). Alors qu'il existe une corrélation forte entre civisme fiscal et services publics en Afrique, ce lien semble plus faible en Amérique latine (et plus ténu qu'il ne l'était par le passé), ce qui laisse à penser que la force du contrat fiscal varie d'une région à l'autre et dans le temps.
De nombreux outils et approches peuvent être mobilisés pour renforcer la confiance dans le contrat fiscal et vis-à-vis des pouvoirs publics en matière de fiscalité. Nombre d'entre eux consistent notamment à établir un lien plus explicite entre le côté recettes et le côté dépenses du cadre budgétaire : cela passe par une budgétisation transparente, et la possibilité pour les parlements, le pouvoir judiciaire, la société civile et les médias d'obliger les gouvernements à rendre des comptes concernant à la fois la lutte contre la corruption et la collecte des impôts pour une à utilisation efficace des recettes ainsi recouvrées. Bien qu'il s'agisse là de principes généraux de gouvernance bien connus, des progrès supplémentaires pourraient être réalisés dans certains domaines :
Les programmes d'éducation des contribuables peuvent être étayés par des données sur le civisme fiscal. Les conclusions du présent rapport montrent que le civisme fiscal diffère d'un pan à l'autre de la société, ce qui met en évidence une diversité des besoins en matière d'éducation des contribuables. Ainsi, le civisme fiscal plus limité des jeunes laisse à penser que les programmes d'éducation des contribuables pourraient être intégrés dans les programmes scolaires. La publication édifier une culture fiscale, du civisme et de citoyenneté (OCDE/FIIAPP, 2015[24]) parue en 2015 présente plusieurs initiatives mises en œuvre en matière d'éducation des contribuables, dont certaines (notamment au Kenya, en Malaisie et au Maroc) sont axées sur les enfants. D'autres (au Burundi, au Costa Rica et au Guatemala, par exemple) poursuivent simultanément plusieurs objectifs, puisqu'elles visent à améliorer la compréhension du contrat fiscal tout en renforçant la légitimité de l'administration fiscale et en facilitant le paiement des impôts. Et d’autres encore cherchent à distinguer et à récompenser les contribuables exemplaires (comme par exemple l’administration fiscale coréenne).
L'instauration d'impôts affectés ne doit se faire qu'après une étude minutieuse. Ce type de prélèvements peut certes constituer un instrument utile pour créer l'espace politique nécessaire aux réformes fiscales à court terme, mais il soulève des problèmes à long terme. Les avantages et les inconvénients doivent être soigneusement analysés et pris en compte dans la conception et la durée des impôts affectés, s'il est décidé de les mettre en place. La dynamique qui sous-tend le civisme fiscal doit être intégrée dans la conception des impôts affectés, étant donné que les contribuables peuvent être plus disposés à payer davantage d'impôts pour certains services publics que pour d'autres.
Des profils de contribuables peuvent être établis. En analysant les attitudes vis-à-vis de la fiscalité et la façon dont elle est perçue (y compris à partir de données d'enquête telles que celles présentées dans ce rapport), les administrations fiscales de tous les pays peuvent établir des profils précis de leurs contribuables. Ces profils permettraient de savoir quels groupes sont les plus réfractaires à l'impôt ou, au contraire, se laissent le plus facilement convaincre des bienfaits de la fiscalité. Ils faciliteraient aussi la mise au point d'approches visant à associer plus efficacement tous les contribuables au fonctionnement du système fiscal. Par exemple, une meilleure compréhension des déterminants du civisme fiscal pour les plus fortunés (comprenant des réponses à des programmes d’amnistie) et l’influence de ces déterminants sur les autres contribuables peuvent apporter des renseignements précieux.
Le développement des administrations fiscales peut être soutenu, notamment pour faciliter le paiement des impôts. Des travaux importants sont déjà en cours dans ce domaine. Ainsi, le Fonds monétaire international (FMI) et le Groupe de la Banque mondiale ont plusieurs décennies d'expérience en matière d'assistance technique liée à l'administration de l'impôt, tandis que le Forum sur l'administration fiscale africaine (ATAF), de création plus récente, a été le moteur de la coopération panafricaine en matière de développement des administrations fiscales. Il est cependant possible d'aller plus loin. Ainsi, les 50 administrations fiscales membres du Forum de l'OCDE sur l'administration fiscale (FAF) sont dotées d'une solide expérience à partager dans ce domaine. Le développement du Réseau du FAF pour le renforcement des capacités multiplie les possibilités de faire bénéficier les pays en développement de cette expérience. Un meilleur usage des technologies est probablement le principal moyen de faciliter le paiement des impôts (Bird et Zolt, 2008[10]) et de renforcer l'intégrité des administrations fiscales. Une partie importante du soutien offert aux pays en développement devrait donc consister à les aider à concevoir des technologies dans les administrations fiscales et à gérer leur utilisation. D’une manière plus générale, il se peut qu’il y ait d’autres applications technologiques permettant de faire progresser l’engagement citoyen quant à la manière dont les impôts sont à la fois collectés et dépensés, lesquelles pourraient influer sur le civisme fiscal.
La compréhension des facteurs qui influent sur la confiance envers l'administration peut être améliorée. La confiance envers l’adminisration est un vaste concept, qui couvre la confiance dans le système politique, dans les lois, etc ; la corrélation entre la confiance envers l’administration et le civisme fiscal se doit donc d’être explorée plus avant et désagrégée. Des travaux sont menés dans le cadre du projet TrustLab6 de l'OCDE, avec l’examen des composantes de la confiance (mais pas en lien avec le civisme fiscal) qui se sont traduits par des expériences comportementales réalisées dans les pays membres de l'OCDE. Les résultats obtenus montrent que les caractéristiques institutionnelles (compétences et valeurs, perception des prestations de services publics et intégrité) expliquent environ 40 % des écarts constatés en matière de confiance dans l'administration ; il existe cependant d'importantes disparités entre les pays (Murtin et al., 2018[25]). Élargir le champ des expériences réalisées dans le cadre de TrustLab aux pays en développement serait un moyen d'identifier les déterminants de la confiance dans les pays en développement, ce qui permettrait de formuler des politiques visant spécifiquement à renforcer la confiance.
Faire progresser les recherches et les données disponibles dans les pays en développement, plus spécialement sur la fiscalité et le genre. Alors que de nombreuses recherches ont été menées sur le civisme fiscal au cours des 40 dernières années, il y en a eu relativement peu sur les pays en développement. Combler cette lacune va exiger plus de coopération et de partage des données entre les pays en développement et les chercheurs dans différentes disciplines (incluant l’économie, la psychologie, les sciences politiques, l’anthropologie et la sociologie). L’OCDE est bien positionnée pour faciliter ces interactions (et l’a déjà fait dans certains cas à l’issue de la conférence sur le civisme fiscal qui s’est tenue en janvier 20197. Il est probable que les différents niveaux de civisme fiscal entre les hommes et les femmes soient un indicateur d’un problème plus profond de différence de traitement entre les hommes et les femmes dans ce domaine. La conférence mondiale de la Plateforme de collaboration sur les questions fiscales - Fiscalité et les Objectifs de développement durable de 2018 a mis en lumière la nécessité d’aborder les préjugés sexistes à la fois implicites et explicites en matière de fiscalité, en réitérant le fait que les données ventilées par sexe constituent un point de départ essentiel pour la poursuite des travaux (Platform for Collaboration on Tax, 2018[26]).
Une réflexion générale sur le fait qu’une analyse approfondie au niveau du pays (ou au niveau régional) est un prérequis essentiel pour informer des changements politiques. Ainsi qu’il est souligné dans l’approche de la Banque mondiale (voir schéma 1), le civisme fiscal se situe au cœur de relations complexes entre mise en application, médiation et confiance, des facteurs qui influent sur la discipline fiscale ; les pays (ou les collectivités territoriales) doivent donc adopter une approche holistique permettant de cerner le contexte dans lequel s’inscrit le civisme fiscal au niveau local. Des études approfondies au niveau des pays peuvent constituer une partie de ce processus, en permettant de cerner les facteurs de civisme fiscal au niveau local et le cas échéant, au niveau régional. Ces enquêtes nationales pourraient aussi porter sur la nature des impôts dont les particuliers s'acquittent effectivement (et sur la proportion dans laquelle ils les paient), et permettraient ainsi de mieux appréhender la façon dont les différents types d'impôts et autres paiements (y compris ceux destinés à des acteurs non étatiques) sont perçus par la population des pays en développement. Par ailleurs, dans certains pays (dont le Rwanda et plusieurs pays d'Amérique latine), des essais contrôlés randomisés (Castro and Scartascini, 2013[33] ; Kettle et al., 2016[19]; Mascagni et al., 2016[32]) ont été utilisés pour mesurer les effets de différentes méthodes d'application de la législation fiscale. Les résultats prometteurs qui ont été obtenus laissent à penser que d'autres pays pourraient tirer parti de telles études.
Références
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[19] ONU (2017), World Population Prospects 2017, https://population.un.org/wpp/ (consulté le 8 janvier 2019).
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[11] Prichard, W. (2015), Taxation, Responsiveness and Accountability in Sub-Saharan Africa, Cambridge University Press, Cambridge, http://www.cambridge.org.
[23] Torgler, B. (2005), « Tax morale and direct democracy », European Journal of Political Economy, vol. 21/2, pp. 525-531, https://doi.org/10.1016/j.ejpoleco.2004.08.002.
[18] Van Den Boogaard, V. (2018), « Gender and the Formal and Informal Systems of Local Public Finance in Sierra Leone », document de travail de l’ICTD, n° 87, Institute of Development Studies, https://opendocs.ids.ac.uk/opendocs/bitstream/handle/123456789/14127/ICTD_WP87.pdf?sequence=1&isAllowed=y (consulté le 5 décembre 2018).
Notes
← 1. à partir de la réponse à la question : « Justifiez-vous de tricher concernant les impôts si vous en avez la possibilité ? ». Pour de plus amples informations, voir l'Annexe A.
← 2. Hors Chili et Mexique, qui sont inclus dans la région Amérique latine.
← 3. Les « petits impôts » couvrent un éventail d’impôts, répartis en trois grandes catégories : les impôts et redevances formels au niveau infranational, les impôts et paiements formels sur les petites et micro-entreprises, les impôts informels - comprenant à la fois les impôts formels illicites et les recettes perçues par des agents et organisations non étatiques - et les impôts informels.
← 4. L'affectation des impôts peut avoir un effet négatif sur la flexibilité budgétaire (McCleary, McCleary et William, 1991[12]).
← 5. Les résultats diffèrent de la section 1.1 car ils proviennent de sources de données différentes (WVS), de différentes périodes d’analyse et couvrent différentes questions (voir tableau A.2).
← 7. Le Groupe d’action sur la fiscalité et le développement a organisé cette conférence sur le rôle du civisme fiscal dans le développement afin de discuter des premières constatations de ce rapport. Cette manifestation a réuni plus de 125 délégués, y compris des représentants gouvernementaux, des universitaires et des chercheurs, des organisations fiscales régionales, des entreprises et des représentants de la société civile, dans un contexte multi-partite permettant de partager des expériences et des réflexions sur le civisme fiscal. Pour de plus amples informations : http://www.oecd.org/tax/role-of-tax-morale-in-development-conference-january-2019.htm.