Mieux comprendre les motivations qui amènent les contribuables à participer au fonctionnement du système d'imposition, et à respecter les obligations qui en découlent, relève de l'intérêt de tous les pays et de toutes les parties prenantes. Les administrations fiscales peuvent tirer parti d'une amélioration de la discipline fiscale et d'une augmentation des recettes, les contribuables (tant les entreprises que les particuliers) bénéficient d'un meilleur service de la part d'administrations fiscales qui comprennent leurs besoins et s'y adaptent, tandis que l'enrichissement des données disponibles et des échanges de vues peut aider les chercheurs à approfondir encore leur compréhension. En outre, cette compréhension peut aider des organisations telles que des groupes représentatifs de la société civile à améliorer leur communication sur la fiscalité, et les partenaires au développement à maximiser l'impact de l'aide au développement.
Ce rapport est axé sur les pays en développement, pour lesquels les Objectifs de développement durable (ODD) et le Programme d'action d'Addis-Abeba sur le financement du développement ont souligné l'importance des recettes fiscales dans le financement du développement. Les recettes fiscales constituent en effet la principale source de financement du développement, fournissant aux États les fonds dont ils ont besoin pour investir, faire reculer la pauvreté, fournir des services publics et créer les infrastructures matérielles et sociales indispensables au développement à long terme. L'augmentation de ces recettes constitue donc un objectif primordial pour les pays en développement, à l'heure où ils cherchent à réunir les fonds supplémentaires dont ils ont besoin pour réaliser les ODD.
Or, bon nombre de ces pays se heurtent à diverses difficultés lorsqu'ils cherchent à accroître ces recettes au niveau national. Parmi ces obstacles peuvent figurer l'étroitesse de l'assiette fiscale, l'ampleur du secteur informel, un déficit de gouvernance et des capacités administratives insuffisantes, la faiblesse du revenu par habitant, de bas niveaux d'épargne et d'investissement intérieurs, ainsi que l'évasion et la fraude fiscales auxquelles se livrent les entreprises et les élites. Il s'ensuit que deux tiers des pays les moins avancés éprouvent encore des difficultés à collecter des recettes fiscales représentant plus de 15 % de leur PIB, seuil communément considéré comme le minimum nécessaire au fonctionnement efficace de l'État. À titre de comparaison, les recettes fiscales recouvrées par les pays membres de l'OCDE représentent en moyenne près de 35 % de leur PIB.
Des avancées non négligeables ont été accomplies ces dernières années, en particulier en matière de fiscalité internationale. Les pays en développement comme les partenaires au développement ont déployé davantage d'efforts pour favoriser la mobilisation des ressources intérieures. Ainsi, les signataires de l'Initiative fiscale d'Addis-Abeba se sont en particulier engagés à favoriser les ressources intérieures grâce à un degré plus élevé de transparence, d'équité, d'efficacité et d'efficience de leur système fiscal, tandis que les donneurs se sont engagés à doubler le montant de l'aide consacrée au renforcement des capacités en matière de mobilisation des ressources intérieures. Par ailleurs, de nouveaux outils, normes et approches adoptés au niveau international offrent des possibilités supplémentaires à tous les pays. Les actions BEPS mises en œuvre dans le cadre du projet (15 mesures visant à lutter contre l’évasion fiscale, à améliorer la cohérence de la réglementation fiscale internationale, et à veiller à ce que le contexte fiscal soit plus transparent1), offrent aux pays davantage de moyens pour imposer les entreprises multinationales, et les progrès réalisés en matière d'échange de renseignements ont eux aussi divers effets bénéfiques, notamment en termes d'imposition des particuliers fortunés.
Il reste cependant un long chemin à parcourir avant qu'une culture durable du civisme fiscal ne s'impose. Dans les pays en développement, la majorité de la population paie des impôts indirects, voire des impôts informels, mais dans la plupart d'entre eux, les contribuables qui sont officiellement enregistrés, déclarent leur revenu et acquittent des impôts sont très peu nombreux. En outre, la multiplication des avantages fiscaux destinés aux entreprises, conjuguée aux possibilités de planification fiscale agressive, a rendu plus difficile encore le recouvrement des impôts auprès des entreprises.
S'intéresser davantage au civisme fiscal est un moyen de renforcer la discipline fiscale spontanée. Les travaux de recherche montrent que, tant dans les pays développés que dans le monde en développement, il existe une corrélation significative entre le civisme fiscal, défini généralement comme la motivation intrinsèque du paiement de l'impôt2, et la discipline fiscale (Cummings et al., 2009[1] ; Ali, Fjeldstad et Sjursen, 2014[2]). Il est donc important de mieux appréhender les facteurs qui expliquent les différences de civisme fiscal entre pays pour pouvoir expliquer les variations observées en matière de discipline fiscale. Cette démarche est en outre un moyen d'analyser les systèmes fiscaux en partant du terrain et en les abordant sous un autre angle que celui offert par des indicateurs administratifs et quantitatifs plus classiques, tels que le coefficient de pression fiscale (ratio impôts/PIB).
Le civisme fiscal se compose de plusieurs éléments étroitement liés. Une approche envisageable pour comprendre ces liens d'interdépendance est proposée par la Banque mondiale. Sa théorie du changement en faveur de la discipline fiscale (voir le Graphique 1) (Banque mondiale, à paraître) souligne la relation dynamique existant entre confiance, facilitation et application de la législation fiscale, et leur rôle dans le renforcement du civisme fiscal. Cette théorie repose sur le postulat que la confiance est déterminée par la mesure dans laquelle le système fiscal, notamment l'approche adoptée en matière de facilitation et d'application de la législation fiscale, présente des caractéristiques de justice, d'équité, de réciprocité et de responsabilité. En conséquence, renforcer la discipline fiscale ne passe pas seulement par une amélioration de l'application de la législation fiscale et le « respect imposé des obligations fiscales », mais aussi par la promotion d'un « respect quasi spontané des obligations fiscales », qui suppose d'établir une relation de confiance et de faciliter le paiement des impôts – tout ceci reposant sur un système d'application de la législation fiscale crédible, juste et équitable. Ainsi, l'adoption d'une approche davantage axée sur le service aux contribuables, plutôt que sur la mise en application du droit fiscal, a aidé l'administration suédoise des impôts à renforcer la confiance des citoyens à l'égard des pouvoirs publics, le civisme fiscal et, partant, la discipline fiscale.