Le Sénégal ambitionne d’être émergent en 2035. Pour atteindre cet objectif, le pays a mis en place une stratégie de développement décennale sur la période 2014-23, le Plan Sénégal émergent (PSE). Ce plan s’articule autour de trois orientations ou axes stratégiques : la transformation structurelle de l’économie, les conditions de vie des populations, et la gouvernance. L’Examen multidimensionnel du Sénégal vient en appui à l’élaboration du second volet du PSE qui débutera en 2019 pour cinq ans.
L’Examen multidimensionnel du Sénégal a débuté par une évaluation initiale qui a identifié trois contraintes au développement : les dysfonctionnements du système éducatif, du système fiscal et de l’administration. Puis l’analyse approfondie a débouché sur une série de recommandations de politiques publiques. Ce rapport synthétise les travaux (Chapitre 1), transforme les 33 recommandations proposées par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) en un plan d’action élaboré et validé par le gouvernement sénégalais (Chapitre 2), et propose un tableau de bord de suivi des réformes avec 31 indicateurs et leurs objectifs à atteindre pour l’émergence en 2035 (et intermédiaires en 2023) (Chapitre 3).
Au cours du premier volet du PSE, la trajectoire économique, modérée par le passé, est repartie à la hausse. La croissance a bondi à 6.6 % en 2016, et des taux compris entre 6.3 % et 7.1 % sont attendus sur la période 2017-22, faisant du Sénégal un des pays à croissance rapide d’Afrique subsaharienne. Le redressement du secteur agricole explique une bonne partie de l’accélération de la croissance, même si la vulnérabilité du secteur primaire aux chocs climatiques et à la volatilité des cours internationaux des produits de base persiste. De plus, l’accélération de la croissance ne reflète pas un processus dynamique de transformation durable de l’économie : le niveau de productivité est faible et stagne, et une très faible part de l’augmentation de la production est due à l’amélioration de l’efficacité des activités économiques ou à la réallocation des travailleurs et investissements vers les activités à fort rendements. À moyen terme, la découverte de pétrole et de gaz apporterait une nouvelle dimension à la croissance sénégalaise, sous réserve d’une gestion transparente et équitable des fonds qui en émaneront.
En matière de bien-être des populations, des progrès sont à noter en termes de santé, égalité femme-homme et réduction des inégalités mais la pauvreté persiste. De nombreux indicateurs de santé se sont améliorés, même si le rythme de progression est inférieur à celui d’autres pays. Il s’agit notamment de l’espérance de vie à la naissance, de la mortalité infantile, de l’état nutritionnel de la population, des taux de prévalence du virus de l’immunodéficience humaine (VIH) et du paludisme, de la vaccination des jeunes enfants ou encore du nombre de naissances dans des établissements de santé. Toutefois, l’appréciation subjective de la qualité des soins ne progresse pas, et certaines maladies, comme la tuberculose, restent encore répandues. Le Sénégal a progressé dans l’égalité entre les genres : les femmes sont plus impliquées dans le marché du travail que dans de nombreux autres pays, la participation des filles dans le système éducatif rattrape celle des garçons, et les objectifs de parité dans l’enseignement primaire et moyen sont atteints depuis 2006 et 2013 respectivement. En revanche, la parité n’est pas atteinte dans l’enseignement secondaire, entravée par des facteurs sociaux et économiques, et des inégalités sont observées dans l’accès au marché du travail. Les inégalités économiques sont contenues et quasiment stables au cours de la dernière décennie, et le Sénégal est un pays plus égalitaire que le reste de l’Afrique subsaharienne. Toutefois les inégalités économiques restent très prononcées entre les régions et les milieux de résidence urbaine et rurale. De plus, le niveau de consommation des ménages est faible, avec une pauvreté importante, notamment en zone rurale et dans les régions du Sud.
L’État de droit est bien installé même si l’action publique est parfois captée par des intérêts particuliers. Le poids de la corruption s’est sensiblement amoindri au cours des dernières années, le Sénégal renforçant les institutions anti-corruption, comme l’Office national de la lutte contre la fraude et la corruption (Ofnac), créé en 2012. Toutefois, malgré les efforts entrepris, des comportements de rente destinés à influencer les actions de l’État dans le but de générer des bénéfices privés subsistent : influences pour l’adoption et l’application de normes et réglementations, pressions pour l’octroi de subventions à des intrants qui profitent de manière disproportionnée à de petits nombres d’acteurs, création d’agences aux mandats limités mais aux effectifs importants ou créant un doublon avec les responsabilités des ministères, etc. Si cela reflète les inévitables compromis de l’économie politique, ces situations réduisent la compétitivité de l’économie et fragilisent la légitimité et l’efficacité des institutions publiques.
Si la croissance économique est au rendez-vous, les relations, interactions et engagements mutuels entre l’État et la société sénégalaise, ou contrat social, montrent des signes de fragilité. Bien que le contrat social sénégalais repose sur de nombreuses forces (stabilité politique, confiance dans les institutions publiques, solidité des liens sociaux), la persistance des difficultés pourrait, dans une certaine mesure, ralentir la bonne réalisation de l’émergence du pays. Parmi les fragilités, on note l’offre de services publics, qui reste faible et mal répartie sur le territoire, ou les politiques redistributives, qui ne parviennent pas à satisfaire les Sénégalais. Face à ces réalités, les populations se tournent vers des prestataires de services non étatiques, comme les autorités religieuses et coutumières, rendant moins perceptibles le discours et les actions de l’État. Ainsi dans l’optique de renforcer le contrat social pour faciliter l’atteinte de l’émergence en 2035, on analyse les dysfonctionnements de trois grandes composantes.
Tout d’abord, le système éducatif, service public de premier ordre, ne remplit toujours pas suffisamment son rôle. Au Sénégal, le poids de l’éducation dans les dépenses publiques est en adéquation avec les pratiques internationales, mais les performances du système éducatif restent insatisfaisantes en termes de scolarisation universelle, de décrochage ou de niveau des acquis des élèves. Si les marges de manœuvre du gouvernement sont limitées par une économie politique héritée de politiques publiques passées, il n’en reste pas moins que le contexte économique et politique actuel est favorable à la mise en œuvre de réformes de plus en plus nécessaires. Ainsi, pour assurer une meilleure offre de service d’éducation à sa population, le Sénégal devrait mener 15 réformes sur trois fronts :
améliorer l’efficacité de la dépense éducative,
améliorer la qualité de l’enseignement en agissant sur la formation,
renforcer l’équité et la diversification de l’offre éducative.
Ensuite, le système fiscal, lien social fort, symbole de l’engagement des citoyens auprès de la sphère publique, doit répondre à l’enjeu actuel de la compétitivité et futur du financement de l’action étatique. Les dépenses publiques vont être amenées à augmenter compte tenu des évolutions démographiques, ce qui nécessite d’apporter dès à présent de nouvelles réponses en matière de mobilisation des ressources intérieures. Or le système fiscal sénégalais, tel que conçu actuellement, constitue un frein à la compétitivité de l’économie sénégalaise (par exemple avec les exonérations de taxe sur la valeur ajoutée [TVA]), et au développement des activités des entreprises (complexité du système, lenteur des procédures administratives, difficultés de mise en conformité). En outre, le système est confronté à la prépondérance du secteur informel qui réduit la base fiscale, ainsi qu’à un faible civisme fiscal, signe de la relative défiance des citoyens vis-à-vis de l’action de l’État. Ainsi, trois axes, comprenant neuf réformes, peuvent être envisagés :
réformer le système fiscal pour améliorer le climat des affaires,
renforcer le rôle de l’administration fiscale,
inciter les acteurs du secteur informel à se formaliser.
Enfin, les capacités d’impulsion de l’administration publique, encore trop faibles, ne permettent pas de fournir des services publics de qualité auprès des usagers. Le besoin d’amélioration de l’accès et de la qualité du service public est tangible et le secteur public continue d’être perçu comme une bureaucratie peu performante. Ainsi, pour améliorer la qualité de l’action de l’État et mener à bien les réformes et projets dans le cadre de la transformation socio-économique désirée par le Sénégal, l’administration publique doit démontrer des capacités d’impulsion plus marquées. De ce fait, trois pistes comprenant neuf réformes devraient être engagées :
mettre en œuvre une approche intégrée de la modernisation de l’administration publique,
professionnaliser la gestion des ressources humaines (GRH),
tirer profit du gouvernement ouvert comme vecteur de promotion du contrat social.