Depuis la dernière édition du Panorama des pensions, parue en 2021, les débats d’orientation sur les retraites dans les pays de l’OCDE, sont passés des réponses à apporter face à la pandémie aux thématiques dictées par des problèmes structurels de plus long terme. C’est ainsi que la question de savoir comment gérer les effets du vieillissement démographique sur les systèmes de retraite est revenue sur le devant de la scène.
La part des 65 ans et plus parmi la population était de 18 % en 2022 et devrait atteindre 27 % d’ici 2050, en moyenne dans la zone OCDE. Si le vieillissement démographique figure depuis longtemps au nombre des préoccupations des décideurs, le débat le concernant a changé de perspective ces dernières années. Par le passé en effet, le souci premier de ces décideurs était celui d’appréhender les conséquences budgétaires du vieillissement et d’assurer le financement de l’assurance‑vieillesse. Les réformes mises en œuvre visaient de ce fait à garantir la viabilité des systèmes de retraites, autant financièrement que socialement. Différents pays ont ainsi introduit des régimes de retraite complémentaire privés et encouragé les actifs à s’y affilier. L’allongement effectif de la vie active était aussi un aspect important de ces réformes, mais avant tout pour générer des économies grâce à l’augmentation du nombre de cotisants et la diminution corollaire de celui des prestations versées.
Au cours de la dernière décennie, il est devenu évident que l’on ne saurait être à la hauteur des enjeux soulevés par le vieillissement rapide de la population sans promouvoir l’emploi et l’employabilité des travailleurs âgés. Une telle mesure se révèle encore plus nécessaire depuis la fin de crise du COVID‑19, la plupart des pays de l’OCDE se trouvant aujourd’hui aux prises avec des pénuries de main-d’œuvre dans quantité de secteurs d’activité et de professions. Après avoir battu des records en 2022, le nombre d’offres d’emplois non pourvues demeure très élevé en 2023, malgré un net ralentissement de l’activité économique. Le départ à la retraite de forts contingents de baby-boomers qui se profile pour les prochaines années vient souligner, s’il en était encore besoin, l’importance de favoriser la participation au marché du travail des catégories de population qui y sont sous-représentées en général, et celle des travailleurs âgés en particulier.
Comme nous l’avions déjà montré dans des éditions antérieures du Panorama des pensions, bien des pays de l’OCDE ont pris des dispositions pour reculer l’âge légal de départ à la retraite, dissuader les individus de prendre une retraite anticipée et les encourager, à l’inverse, à travailler plus longtemps par des mesures destinées à favoriser l’employabilité, la mobilité professionnelle et l’offre d’emplois pour les travailleurs âgés. L’âge normal de départ doit être repoussé dans 23 pays de l’OCDE sur 38, et atteindra ainsi, en moyenne, 66.4 ans pour ceux dont la carrière débute aujourd’hui. Au Danemark, en Estonie, en Italie, aux Pays-Bas et en Suède, il s’établira alors à 70 ans ou plus si les gains d’espérance de vie escomptés se matérialisent et si son arrimage à ces mêmes gains est appliqué comme prévu par le législateur. L’allongement de la vie active se justifie par celui de l’espérance de vie, qui, à l’âge de 65 ans, a progressé de 4.8 ans entre 1970 et 2021, dans la zone OCDE, et de quelque 1.6 ans à partir de l’an 2000. Quoique les gains d’espérance de vie ont été plus faibles depuis une décennie, les projections laissent entrevoir une poursuite de l’accroissement de la longévité dans l’avenir.
On se réjouira des progrès considérables de la participation des travailleurs âgés à la vie active dans les pays de l’OCDE. Le taux d’emploi des 55‑64 ans y atteignait un niveau record de 64 % au deuxième trimestre 2023, soit pratiquement 8 points de pourcentage de plus qu’il y a une dizaine d’années.
Il reste toutefois beaucoup à faire. Bon nombre de travailleurs âgés peinent encore à tenir leurs compétences à jour, accèdent difficilement aux emplois de qualité et risquent de percevoir une pension insuffisante en raison d’une carrière professionnelle trop courte et en dents de scie. À titre d’exemple, les doutes quant à leur productivité tendent à alimenter une discrimination à leur égard et les réticences des employeurs à l’idée d’embaucher l’un d’eux. La discrimination au motif de l’âge est illégale dans pratiquement tous les pays de l’OCDE. Elle n’en reste moins couramment ressentie. Qui plus est, les travailleurs âgés peuvent être concernés par l’obsolescence des compétences sur un marché du travail en mutation rapide. Il faut donc, pour qu’ils conservent leur employabilité, fournir un effort particulier sur l’aide à l’adaptation des compétences. Or, en ce qui concerne la formation, un vaste fossé les sépare des jeunes travailleurs dans tous les pays de l’OCDE. En moyenne, leur participation aux activités de formation, formelles ou informelles, n’atteint pas la moitié de celle des travailleurs d’âge très actif. D’autre part, si l’on considère les motifs de départ, il apparaît qu’environ un travailleur de 50 à 64 ans sur cinq, dans les pays de l’OCDE, quitte son emploi en raison d’une santé défaillante.
Un effort sur la prévention, l’amélioration des conditions de travail, la reconversion et la remise à niveau des compétences contribueront à allonger la durée de vie en bonne santé et à maintenir en activité davantage de travailleurs âgés. Néanmoins, il convient de ne pas perdre de vue les importants écarts qui existent au regard de l’espérance de vie à la retraite, et plus particulièrement de l’espérance de vie en bonne santé, en fonction des catégories professionnelles et des pays. On estime ainsi qu’avec trois années d’espérance de vie en moins à l’âge de 65 ans par rapport à un travailleur aisé, un travailleur modeste dispose d’un capital retraite amputé de 13 % environ. Le report de l’âge de départ doit par conséquent être envisagé dans ce contexte d’inégalités socioéconomiques persistantes susceptibles d’attiser l’opposition aux réformes des retraites. C’est le cas des travailleurs âgés ayant exercé des emplois pénibles ou dangereux car certaines des conditions de travail de ces emplois peuvent avoir un impact durable sur leur état de santé, même après la retraite.
En théorie, le marché du travail devrait récompenser l’exercice d’une activité professionnelle pénible ou dangereuse par une meilleure rémunération, étant entendu que les individus ont une certaine latitude dans le choix de leur activité. En pratique toutefois, les conditions de travail difficiles et les risques professionnels relativement importants ne sont pas nécessairement compensés par un salaire plus élevé, et bien des travailleurs n’ont en réalité guère d’autre emploi à leur portée.
La reconnaissance des difficultés associées à l’exercice d’un emploi pénible ou dangereux consiste d’ordinaire à accorder aux individus qui les exercent le droit à une retraite anticipée, soit dans le cadre d’un régime spécifique à certaines professions, soit par des aménagements du régime général. Or ce choix est de plus en plus remis en cause par la réalité des faits. Une bonne part des métiers qui étaient jusque‑là considérés comme pénibles ont évolué grâce aux progrès technologiques, par exemple grâce aux robots de production qui exécutent désormais les tâches répétitives et, plus encore, les tâches dangereuses. Les pratiques professionnelles évoluent elles aussi et, dans la plupart des professions, les attributions des travailleurs comportent des tâches très différentes, qui ne sont pas toutes pénibles ou dangereuses.
Le propos n’est pas de nier qu’il existe aujourd’hui encore des activités pénibles ou dangereuses, mais simplement de montrer que les mesures trop générales ne sont plus adaptées. Il conviendrait plutôt de s’intéresser au cas de chaque actif, à son état de santé et à son aptitude à travailler, y compris en exerçant une autre profession. Cela signifie aussi qu’il faut consacrer davantage de moyens au traitement des problèmes de santé tout au long de la vie active afin d’éviter plus tard les maladies chroniques d’origine professionnelle.
Le premier axe d’intervention, avec le concours des partenaires sociaux, devrait être la prévention des problèmes de santé et la reconversion afin de soustraire les travailleurs à leur profession pénible avant que celle‑ci n’ait détérioré leur santé. Il conviendrait d’autre part de repenser les lieux de travail de manière à ménager la santé des employés, à avoir, autant que faire se peut, davantage recours aux technologies d’appoint, et à maintenir sur le marché du travail les individus qui ont des problèmes de santé. D’où la nécessité de mieux encadrer le temps de travail et la sécurité sur le lieu de travail et de renforcer le rôle des organismes chargés de l’inspection du travail ainsi que celui des services de médecine du travail.
Alors, pour ceux qui ont des problèmes de santé liés au travail, l'aide devrait être fournie principalement par le biais de l'assurance contre les accidents du travail, la maladie et l'invalidité plutôt que par les régimes de pension de vieillesse.
Dans certains cas, il peut être justifié de maintenir la possibilité de prendre une retraite anticipée, par exemple dans les secteurs qui assurent la sécurité publique et les services de secours (forces armées, forces de l’ordre, pompiers, etc.), dans la mesure où le déclin des capacités physiques et cognitives lié au vieillissement peut conduire à une mise en danger des travailleurs eux-mêmes ou de tiers. Là encore, il convient que les politiques de gestion en fonction de l’âge accompagnent une reconversion préventive. Un départ anticipé pourrait aussi s’envisager, après examen attentif, dans le cas de problèmes de santé résultant de conditions de travail difficiles, comme le travail de nuit, mais dont les effets ne se manifestent que bien plus tard.
Grâce à une approche inclusive de la santé, du travail, de la formation et des retraites, les pays peuvent améliorer les perspectives d’emploi et la qualité des emplois des personnes d’un certain âge de manière à ce que l’allongement de l’espérance de vie profite au plus grand nombre et que les systèmes de retraite demeurent viables financièrement et servent des pensions décentes aux bénéficiaires.
Stefano Scarpetta,
Directeur,
Direction de l’emploi, du travail et des affaires sociales, OCDE
Carmine di Noia,
Directeur,
Direction des affaires financières et des entreprises, OCDE