Ce chapitre décrit les dispositions en matière de retraite pour les emplois dangereux ou pénibles dans les pays de l'OCDE, examine les questions qu'elles soulèvent et fournit des orientations politiques dans ce domaine. La première section s'interroge sur les raisons pour lesquelles les emplois dangereux ou pénibles peuvent nécessiter des dispositions spéciales en matière de retraite. La deuxième section met en évidence les différences entre les professions en termes de santé et d'espérance de vie, ainsi que l'impact des conditions de travail sur la santé et la mortalité. La troisième section analyse les dispositions spéciales existantes en matière de retraite pour les travailleurs occupant des emplois dangereux ou pénibles dans les pays de l'OCDE. La section suivante présente les tendances des réformes des retraites pour les emplois dangereux ou pénibles. Le rôle des différentes politiques (autres que les pensions de vieillesse) dans la prise en compte de la dangerosité et de la pénibilité des emplois est ensuite analysé. La dernière section présente les implications politiques.
Panorama des pensions 2023 (version abrégée)
2. Dispositions en matière de retraite applicables aux travailleurs occupant des emplois dangereux ou pénibles
Abstract
Introduction
Le débat sur la pénibilité au travail est complexe du point de vue de la définition des critères à retenir, et il est aussi sujet à controverse, ce qui fait qu’il est difficile pour les partenaires sociaux de se mettre d’accord. Les enjeux ne se limitent pas à l’usure physique au travail ; ils s’étendent aux effets potentiels différés des conditions de travail sur la santé. La complexité de ce sujet a été amplifiée par l’attention accrue accordée aux problèmes psychologiques liés au stress professionnel, qui est encore plus difficile à évaluer.
Les pays de l’OCDE diffèrent fondamentalement dans leur façon d’aborder les emplois dangereux ou pénibles dans le cadre de la conception des pensions de retraite, allant de l’absence de dispositions spéciales à la couverture de nombreuses catégories professionnelles ou emplois. Il existe cependant des tendances communes. Parallèlement à des efforts plus larges visant à augmenter l’emploi des travailleurs âgés, de nombreux pays ont resserré l’accès ou totalement éliminé les dispositions spéciales en matière de pension pour les emplois dangereux ou pénibles. Certains pays ont amélioré leur ciblage en liant l’éligibilité aux caractéristiques réelles du travail considéré comme dangereux ou pénible au lieu de couvrir de vastes catégories professionnelles ou des secteurs d’activité.
Le présent chapitre vise à fournir des pistes de réflexion sur les questions que soulèvent les emplois dangereux et pénibles en matière de retraite. Ces problématiques complexes devraient-elles être traitées dans le cadre des systèmes de pension de vieillesse ? Il est avancé ci‑après que les mesures à même d’apporter les réponses les plus efficaces (les stratégies optimales) devraient avant tout combiner les éléments suivants : des réglementations en matière de santé et de sécurité afin de limiter les risques ; des activités de sensibilisation aux risques qui subsistent ; des possibilités d’apprentissage tout au long de la vie et de requalification pour permettre la mobilité professionnelle vers des emplois plus sains ; et, l’assurance invalidité. En outre, puisque les effets différés sur la santé de certaines caractéristiques des emplois (par exemple les contraintes physiques, le bruit ou les horaires de travail atypiques) ne sont généralement pas couverts par l’assurance invalidité, des dispositions spéciales en matière de retraite peuvent venir en complément. L’objectif est d’offrir des compensations aux travailleurs occupant de tels emplois pour les effets qu’ils pourraient subir à long terme et dont la survenue devrait être solidement étayée par des données probantes, en prévoyant des possibilités bien ciblées de retraite anticipée.
Le présent chapitre est structuré comme suit. La première section cherche à comprendre pourquoi les emplois dangereux ou pénibles peuvent nécessiter des dispositions spéciales en matière de retraite. Elle présente les justifications avancées dans la législation nationale et les considérations économiques qui s’y rapportent. La deuxième section explique les différences entre les professions en termes d’état de santé et d’espérance de vie ainsi que l’impact des conditions de travail sur la santé et la mortalité. La troisième examine les dispositions spéciales de retraite qui sont déjà en vigueur dans les pays de l’OCDE pour les travailleurs occupant des emplois dangereux ou pénibles. La section suivante présente la dynamique de réforme des dispositifs de retraite pour les emplois dangereux ou pénibles. L’utilité de diverses mesures (autres que les pensions de vieillesse) pour parer à la dangerosité et à la pénibilité des emplois est ensuite analysée, à savoir : les réglementations en matière de santé et de sécurité ; la communication sur les risques ; les stratégies de requalification professionnelle et la gestion des âges ; ainsi que les assurances en cas d’invalidité. La dernière section tire des enseignements sur le plan de l’action des pouvoirs publics.
Résumé : Principaux résultats et enseignements du point de vue de l’action publique
Portée des dispositions en matière de retraite applicables aux emplois dangereux ou pénibles dans l’OCDE
Les travailleurs qui occupent des emplois exigeants sur le plan physique ont tendance à être en moins bonne santé que les autres. Certains facteurs, comme le revenu, le niveau d’études et le mode de vie, sont corrélés à la fois à la santé et à l’activité professionnelle et pourraient être les principaux déterminants d’un mauvais état de santé, plutôt que celui-ci résultant d’un emploi dangereux ou pénible.
Si l’espérance de vie varie selon les grandes catégories professionnelles, une part importante de ces différences tient à des facteurs socioéconomiques qui ne sont pas liés aux conditions de travail. Cependant, même après prise en compte des facteurs socioéconomiques, les différences en termes d’état de santé et d’espérance de vie entre les catégories professionnelles restent marquées. Il existe des éléments convaincants qui permettent d’établir l’impact négatif de certaines conditions de travail sur la santé, parfois de façon différée. C’est le cas en particulier du travail de nuit.
Il n’y a pas de consensus parmi les pays de l’OCDE sur la définition des emplois dangereux ou pénibles. Les pays fixent les conditions d’accès aux dispositions spéciales de retraite applicables aux emplois dangereux ou pénibles soit sur la base des appellations professionnelles soit en fonction de caractéristiques mesurables des emplois.
Lorsqu’elles existent, les dispositions spéciales de retraite applicables aux emplois dangereux ou pénibles se fondent sur différentes approches selon les pays de l’OCDE pour compenser des conditions de travail difficiles et pour tenir compte de la perte progressive de la capacité de travail jusqu’à l’âge de la retraite, mais aussi des risques immédiats ou différés pour la santé causés par les conditions de travail.
Les pays de l’OCDE peuvent être répartis en quatre groupes pour ce qui est de la façon dont ils gèrent les pensions pour les emplois dangereux ou pénibles :
Le premier groupe de 15 pays prévoit des dispositions spéciales de retraite pour les emplois dangereux et pénibles pour un large éventail d’emplois : Autriche, Belgique, Chili, Colombie, Espagne, Estonie, Finlande, France, Grèce, Italie, Norvège, Pologne, République slovaque, Slovénie et Türkiye.
Les 8 pays du deuxième groupe offrent des possibilités de retraite anticipée en fonction de la dangerosité ou de la pénibilité pour un nombre limité d’emplois : Allemagne, Corée, Hongrie, Japon, Lettonie, Nouvelle‑Zélande, Portugal et Tchéquie.
Dans le troisième groupe de 4 pays, seuls les emplois de la sûreté et de la sécurité publiques qui sont traditionnellement considérés comme dangereux, tels que les emplois de policiers, pompiers et militaires, font l’objet de dispositions spéciales en matière de retraite : Canada, États-Unis, Irlande, et Israël.
Les 11 pays du dernier groupe n’offrent pas de possibilités de retraite anticipée dans le cadre des régimes obligatoires pour les emplois dangereux ou pénibles : Australie, Danemark, Islande, Lituanie, Luxembourg, Mexique, Pays-Bas, Royaume‑Uni, Suède et Suisse.
La plupart des problématiques liées aux emplois dangereux ou pénibles nécessitent des interventions pendant la vie active
La dangerosité et la pénibilité des emplois sont avant tout des enjeux dont doivent s’emparer les politiques du marché du travail. La première priorité consiste à améliorer les conditions de travail en adoptant des réglementations en matière de santé et de sécurité pour limiter l’exposition aux facteurs de risque, mais aussi en encourageant ou en incitant les partenaires sociaux à prendre des mesures pour atténuer les contraintes et les risques pour la santé. Toutefois, même si les réglementations en matière de santé et de sécurité produisent tous leurs effets, certains emplois nécessaires risquent de porter atteinte à la santé des personnes qui les occupent.
Communiquer sur les risques associés à l’exercice d’emplois dangereux ou pénibles, en s’appuyant sur des données probantes, est essentiel : d’abord en tant qu’impératif moral pour s’assurer que les travailleurs acceptent ces emplois en connaissance de cause ; ensuite pour les aider à mettre en balance différentes possibilités d’emploi et à demander des compensations pour les risques encourus.
Dans de nombreux emplois, il est peu probable que l’accès à des informations sur la réalité des risques garantisse qu’ils soient bien rémunérés. Les mauvaises conditions de travail et les bas salaires vont généralement de pair tandis que les obstacles à la mobilité de la main-d’œuvre peuvent limiter les possibilités pour les travailleurs occupant des emplois insalubres et mal rémunérés d’accéder à des emplois offrant de meilleures conditions. De nombreux emplois dangereux ou pénibles relèvent du secteur public, où la formation des salaires est plus susceptible de s’écarter des mécanismes types du marché qui génèrent en principe des salaires plus élevés pour compenser des risques plus grands. La solution à ces limites, qui empêchent les niveaux de salaire de refléter la dureté des conditions de travail, devrait être cherchée plutôt du côté des politiques du marché du travail et de taxation que du côté des systèmes de pension.
Des stratégies de requalification devraient faciliter les transitions professionnelles bien avant que les travailleurs n’atteignent un âge avancé. Le retrait définitif du marché du travail dans les pays où il existe des régimes de retraite spéciaux, parfois à un très jeune âge, n’est pas une solution efficace.
Par conséquent, les pouvoirs publics et les partenaires sociaux doivent mettre en place un cadre de formation professionnelle offrant des possibilités de requalification et de valorisation des compétences afin que les travailleurs occupant des emplois dangereux ou pénibles puissent acquérir les compétences nécessaires à la poursuite de leur carrière dans des emplois différents. Établir un cadre aussi satisfaisant est difficile ; le chapitre présente quelques exemples intéressants de pays qui mettent en œuvre des stratégies d’orientation professionnelle.
Les politiques de gestion des âges qui font évoluer les travailleurs vers des missions différentes à mesure qu’ils vieillissent, par exemple pour passer de tâches exigeantes sur le plan physique à des fonctions plus administratives, peuvent accroître les possibilités d’emploi au sein d’un organisme ou d’une entreprise à un stade ultérieur de la vie active. Dans le cas particulier de la fonction publique, le transfert de fonctionnaires à des postes différents doit être rendu possible par les contrats de travail.
Lorsque les risques liés à l’emploi deviennent réalité pendant la vie active et portent atteinte à la santé des travailleurs, les prestations de maladie de longue durée et l’assurance invalidité devraient être adaptées, accessibles, efficaces et modulables ; en plus d’amortir les conséquences sur le revenu jusqu’à l’âge de la retraite, elles devraient contribuer à prévenir le retrait définitif du marché du travail.
Emplois dangereux ou pénibles : les réformes des régimes de retraite
L’incapacité à occuper un emploi précis jusqu’à l’âge minimum de départ à la retraite qui s’applique à tous les travailleurs ne suffit pas à justifier la mise en place de dispositions spéciales de retraite pour les emplois dangereux ou pénibles ; les questions soulevées par les emplois dangereux ou pénibles devraient être traitées en premier lieu par d’autres politiques en dehors du domaine des pensions de vieillesse.
D’importants problèmes de ciblage ont par ailleurs été constatés, des régimes spéciaux de retraite pour les emplois dangereux ou pénibles incluant des emplois dont le niveau de contrainte est discutable.
À la suite des réformes des retraites mises en œuvre ces dernières décennies, le champ d’application des régimes spéciaux pour les travailleurs occupant des emplois dangereux ou pénibles a été réduit. Les processus de réforme engagés pour relever les défis du vieillissement démographique ont contribué à accroître l’emploi des seniors et à unifier les règles relatives aux pensions dans l’ensemble des professions et des secteurs. L’un des arguments généralement avancés pour la conception initiale des régimes spéciaux, à savoir autoriser un départ en retraite très anticipé en se fondant uniquement sur l’incapacité à poursuivre une carrière dans un emploi donné, a perdu du terrain au fil du temps. De nombreux pays de l’OCDE ont progressivement supprimé ou durci l’accès aux dispositions de retraite applicables aux emplois dangereux et pénibles.
Dans certains pays, historiquement, des règles spéciales ont été prévues pour améliorer l’attractivité de certaines professions et reporter les coûts connexes. Dans les cas où les dispositions spéciales en matière de retraite ne sont pas ou plus justifiées, leur suppression pourrait intervenir selon la clause dite du grand-père, c’est-à-dire en appliquant les nouvelles règles uniquement aux nouveaux salariés, ou en appliquant des périodes de transition plus longues que dans le cas d’autres réformes paramétriques. Pour éviter que ces emplois ne perdent en attractivité, il convient de proposer d’autres formes de compensation plus efficaces, notamment des salaires plus élevés, ce qui peut cependant avoir des effets négatifs à court et à moyen termes sur les finances publiques.
Puisque les effets différés éventuels sur la santé de certaines caractéristiques de l’emploi (par exemple les contraintes physiques, le bruit ou les horaires de travail atypiques) ne sont généralement pas couverts par les dispositifs d’assurance invalidité ou maladie, des dispositions spéciales en matière de retraite pourraient venir en complément. L’objectif est de dédommager les travailleurs des effets potentiels à long terme sur leur santé, en proposant des possibilités bien ciblées de retraite anticipée. Tout programme de ce type devrait être solidement étayé par des données probantes.
De façon générale, pour les emplois dans lesquels le travail des seniors pose des risques en termes de santé et de sécurité (par exemple, les policiers, les pompiers et les militaires), les arguments en faveur de dispositions spéciales en matière de retraite sont plus solides. Cependant, les politiques de gestion des âges devraient s’efforcer autant que possible de préparer les travailleurs à une réorientation professionnelle à un moment de leur carrière, afin de les maintenir dans l’emploi jusqu’à l’âge minimum de la retraite pour tous les travailleurs.
Étant donné les difficultés à prouver l’impact à long terme de conditions de travail spécifiques sur la santé, limiter les dispositions spéciales en matière de pension aux seuls domaines pour lesquels il existe des preuves solides fait courir le risque d’un traitement inéquitable de certains travailleurs. Cependant, une couverture trop large soulève également des questions d’équité, car certains travailleurs bénéficieraient alors indûment de ces dispositions.
Ces 20 dernières années, quelques pays, dont la Finlande et la France, ont amélioré la conception des régimes de retraite applicables aux emplois dangereux ou pénibles. Ce qui est nouveau, c’est que l’admissibilité à ces régimes dépend de certaines caractéristiques de l’emploi effectivement constatées et considérées comme dangereuses ou pénibles, comme le travail de nuit, et non de la catégorie professionnelle, ce qui limite le risque de mauvais ciblage, garantit la transférabilité des droits à pension d’une profession à une autre, et réduit l’âge de départ à la retraite de deux ans au mieux. Toutefois, suivre l’exposition des individus à des conditions de travail dangereuses ou pénibles a un coût pour les entreprises, les travailleurs et les organismes publics, qui peut être difficile à supporter, en particulier pour les petites entreprises. En Autriche, le régime spécial permettant aux personnes travaillant de nuit de prendre leur retraite plus tôt est bien ciblé et augmente le coût du travail de nuit en imposant aux employeurs des cotisations supplémentaires pour financer le dispositif et limiter ces activités.