Julie Lassébie
Perspectives de l’emploi de l’OCDE 2023
Intelligence artificielle et marché du travail
5. Besoins et politiques en matière de compétences à l’ère de l’intelligence artificielle
Abstract
Le développement et l’adoption de l’intelligence artificielle (IA) auront certainement de profondes répercussions sur les marchés du travail, non seulement sur la quantité et la qualité des emplois, mais aussi sur les modalités d’organisation du travail, le type de tâches réalisées par les travailleurs et donc sur les compétences qui seront nécessaires. Ce chapitre examine l’évolution des besoins en compétences induite par le développement et l’adoption de l’IA, et étudie comment adapter les systèmes de formation des adultes en conséquence. Il passe en revue les données disponibles sur la formation à l’IA dispensée par les entreprises. Il plaide en faveur de l’intervention publique et présente des exemples de mesures propres à encourager la formation dans le domaine de l’IA. Enfin, il montre comment les technologies d’IA pourraient être utilisées pour améliorer les systèmes de formation des adultes, et conclut en examinant les pistes de recherche futures.
En bref
Le développement et l’adoption de l’intelligence artificielle (IA) auront des conséquences importantes sur les besoins en compétences, dans la mesure où ils modifieront les tâches et les compétences associées aux différents emplois, ainsi que la répartition des emplois dans l’économie. Les systèmes de formation des adultes devront s’adapter à ces mutations rapides.
Ce chapitre aborde deux questions connexes : quelle est l’incidence précise de l’IA sur les besoins en compétences ? Et comment améliorer la conception et la mise en œuvre des systèmes de formation des adultes pour répondre à ces besoins ? Les principales conclusions de ce chapitre sont les suivantes :
Avec le développement et l’adoption de l’IA, les technologies sont capables de reproduire de plus en plus certaines compétences. C’est le cas non seulement des capacités manuelles et psychomotrices fines, mais aussi des compétences cognitives comme l’expression et la compréhension de l’écrit, la planification et le conseil. ChatGPT, un modèle d’IA qui a fait la une récemment pour ses performances en matière de langage, illustre de manière frappante l’accélération du développement et de l’adoption de l’IA, ce qui donne à penser que ses répercussions, sur les besoins en compétences notamment, pourraient être encore plus importantes dans un avenir proche.
Parallèlement, les compétences nécessaires à la conception et à la maintenance des systèmes d’IA, ainsi qu’à l’adoption et à l’utilisation des applications d’IA et à l’interaction avec ces dernières, gagneront en importance. Dans certains cas, des compétences spécialisées en IA seront nécessaires, mais l’évolution des besoins en compétences est beaucoup plus large et la demande de compétences numériques élémentaires, de compétences en science des données et de compétences cognitives et transversales complémentaires augmentera elle aussi. Avec la généralisation de l’IA, nombre de professions vont nécessiter un large éventail de compétences, à la fois pour concevoir les systèmes d’IA mais aussi pour interagir efficacement avec eux.
L’acquisition de compétences spécialisées en IA nécessite de conjuguer enseignement supérieur formel et formation en milieu professionnel. Les connaissances fondamentales en matière d’IA, quant à elles, doivent être enseignées à différents niveaux de l’enseignement formel, y compris dans le primaire.
La formation à l’IA devrait être dispensée non seulement aux groupes les plus vulnérables (travailleurs peu qualifiés et âgés en particulier) pour les aider à s’adapter aux changements induits par l’IA au travail, mais aussi aux travailleurs plus qualifiés et aux dirigeants afin de favoriser le développement et l’adoption de ces technologies.
Les entreprises qui adoptent l’IA mettent généralement en place des actions de formation. Toutefois, le manque de compétences demeure un obstacle majeur à l’adoption de l’IA. Les entreprises sont susceptibles de sous-investir dans la formation à l’IA pour plusieurs raisons, comme l’existence d’un important déficit d’information sur l’IA, et le fait que les retombées de la formation à l’IA sont plus larges que l’entreprise la dispensant.
Les politiques publiques ont un rôle important à jouer pour renforcer l’offre de formation proposée par les employeurs, garantir une approche intégrée du développement des compétences en matière d’IA à tous les stades du cycle de vie, de la formation initiale à l’apprentissage tout au long de la vie, et assurer la diversification de la main-d’œuvre formée à l’IA.
Si la plupart des politiques et stratégies en matière d’IA prennent acte de l’importance des compétences, rares sont celles qui proposent des mesures suffisantes pour les développer.
L’IA pourrait être mise davantage à profit pour améliorer la conception, le ciblage et l’organisation des formations. Des exemples d’utilisation existent, mais ils sont pour le moment restreints. Toutefois, l’utilisation de l’IA dans le contexte de la formation présente également des risques non négligeables. Ces risques doivent être examinés attentivement et traités de manière appropriée avant que l’utilisation de l’IA à des fins de formation ne se généralise.
Introduction
Même si les données disponibles ne mettent pas en évidence d’incidence de grande ampleur sur l’emploi pour le moment (chapitre 3), l’intelligence artificielle (IA) devrait avoir des retombées plus importantes sur les marchés du travail à l’avenir, et en particulier sur les besoins en compétences. Les professions nouvelles et en expansion nécessiteront des compétences différentes de celles requises par les professions en déclin. Par ailleurs, l’essentiel des répercussions de l’IA sur l’emploi se matérialisera sans doute à travers la réorganisation des tâches relevant des différentes professions (chapitre 4), et l’évolution des tâches réalisées par les travailleurs entraînera une évolution des compétences requises au travail. Le présent chapitre examine les répercussions de l’IA sur les besoins en compétences, en examinant à la fois les compétences susceptibles de devenir inutiles et celles qui seront de plus en plus demandées.
La capacité des entreprises et des travailleurs à s’adapter à la mise en œuvre de l’IA dépendra largement de la garantie que la main-d’œuvre dispose des compétences nécessaires. Ce chapitre expose les principales difficultés liées à la conception de systèmes de formation des adultes à même de préparer les travailleurs à utiliser l’IA, et met l’accent sur les priorités de l’action publique. Il présente en détail le type de formation qui sera nécessaire et les catégories de travailleurs qu’il conviendra de cibler. Les données fournies donnent à penser que si certaines entreprises proposent déjà des formations à l’IA à leur personnel, d’une manière générale, la majorité des entreprises n’en font pas assez. Une intervention publique s’impose donc, mais les politiques visant à promouvoir la formation à l’IA sont actuellement insuffisantes.
Si l’IA représente un défi pour les systèmes de formation des adultes, elle peut aussi offrir l’occasion de mieux concevoir, cibler et dispenser les formations. Les technologies d’IA pourraient être mises à profit pour améliorer la planification et l’organisation des formations, et accroître la participation à ces formations et leur inclusivité. Ce chapitre examine quelques exemples de pratiques existantes. Toutefois, l’utilisation de l’IA dans la formation est également associée à certains risques et défis : les coûts liés à l’adoption de l’IA sont susceptibles de creuser les inégalités entre les acteurs majeurs et mineurs ; le fait que des compétences numériques de base soient nécessaires pour interagir avec l’IA peut limiter la participation des personnes peu qualifiées ; et la tendance de certains algorithmes à amplifier les biais humains risque de réduire l’inclusivité. Autre difficulté, l’utilisation de l’IA dans le cadre de la formation se traduira probablement par une évolution notable des compétences que doivent posséder les enseignants et les formateurs. Ces questions doivent être examinées avec soin.
Ce chapitre commence par examiner les données disponibles relatives à l’évolution des besoins en compétences dans le sillage du développement et de l’adoption de l’IA (section 5.1). La section 5.2 analyse ensuite comment la formation devrait être dispensée pour faire face à ces changements, en mettant l’accent sur le type de formation, ainsi que sur les catégories de travailleurs qui devraient bénéficier d’une attention particulière. La section 5.3 passe ensuite en revue les données disponibles sur la formation à l’IA dispensée par les entreprises. La section 5.4 plaide en faveur de l’intervention publique et présente les mesures déjà utilisées pour promouvoir la formation à l’IA. Le chapitre montre ensuite comment l’IA peut être utilisée pour améliorer les systèmes de formation des adultes (section 5.5), et se conclut par un examen des pistes de recherche futures (section 5.6).
5.1. Le développement et l’adoption de l’IA auront un impact sur les besoins en compétences
On peut citer deux raisons pour lesquelles l’IA modifiera les besoins en compétences. D’une part, l’IA est capable de reproduire un nombre croissant de compétences, en particulier les compétences cognitives et manuelles. D’autre part, elle entraîne une hausse de la demande d’autres compétences nécessaires à sa conception et à son utilisation. Cette section décrit en détail l’évolution des besoins en compétences liée à l’IA, et s’appuie principalement sur plusieurs études récentes de l’OCDE (Green et Lamby, 2023[1] ; Lane, Williams et Broecke, 2023[2] ; Lassébie et Quintini, 2022[3] ; Milanez, 2023[4])1.
5.1.1. L’IA a fait d’importants progrès dans la reproduction des compétences cognitives et manuelles
En raison des progrès technologiques observés récemment en matière d’IA et d’automatisation, plusieurs compétences et aptitudes considérées auparavant comme difficiles à reproduire par les technologies sont désormais davantage susceptibles d’être automatisées. C’est le cas des disciplines artistiques, de plusieurs capacités psychomotrices, et de compétences cognitives comme l’expression et la compréhension, la planification, et le conseil, comme détaillé ci-dessous (Lassébie et Quintini, 2022[3]).
L’IA peut, dans certains cas, composer, produire et interpréter des œuvres musicales et visuelles, selon les experts interrogés dans le cadre de l’étude de Lassébie et Quintini (2022[3]). Zhang et al. (2022[5]) soulèvent un point similaire dans le rapport AI Index 2022, en affirmant que dans certaines applications limitées, le texte, le son et les images générés par les systèmes d’IA sont de qualité équivalente à ceux créés par des humains. Toutefois, les développeurs sont confrontés à une difficulté particulière lors de la conception de ces systèmes : l’absence de consensus sur ce qui peut être qualifié de vrai ou de faux, ou de positif ou de négatif. Par conséquent, il est difficile de trouver ou d’élaborer des jeux de données fiables pour entraîner les algorithmes.
La reproduction des capacités psychomotrices, et en particulier de la dextérité manuelle et digitale, ainsi que de la capacité à travailler dans un espace de travail exigu, a considérablement progressé ces dernières années, bien qu’à différents degrés. Les robots reproduisant la dextérité manuelle existent depuis plusieurs décennies et sont présents dans de nombreuses usines. On peut considérer qu’il s’agit d’une technologie mature. La dextérité digitale est plus difficile à reproduire, mais des progrès considérables ont été accomplis. Grâce à des systèmes de vision fondés sur l’apprentissage profond, les robots peuvent manipuler des objets, les saisir et les placer à des vitesses adaptées aux applications du monde réel (Littman et al., 2021[6]). En revanche, le geste de pousser en appliquant une force appropriée, ainsi que l’ensemble des gestes reposant sur la sensation de la texture d’un objet, sont beaucoup plus difficiles à reproduire. La manipulation des très petits objets est également complexe ; l’une des principales difficultés est liée au fait que la tolérance à l’erreur doit être très faible. En cas d’erreur, le robot risque en effet de blesser des personnes, d’endommager des objets ou de perturber des systèmes (Nolan, 2021[7]). De même, il est difficile mais pas impossible pour les robots de travailler dans des espaces de travail exigus nécessitant de se placer dans des positions inconfortables. Des robots spécialisés peuvent être construits pour des applications spécifiques : par exemple, il existe des robots capables de manœuvrer à l’intérieur des ailes d’avion pour en vérifier l’état, et des drones conçus pour inspecter les bâtiments industriels. Dans ces environnements, l’obscurité et le manque de vision sont source de difficultés pour les robots. Alors que les humains peuvent compter sur d’autres sens pour se forger une image mentale de l’espace, ce n’est pas le cas des robots, car cela nécessiterait une puissance de calcul trop importante. Par conséquent, bon nombre de solutions actuelles sont contrôlées à distance et nécessitent toujours une intervention humaine.
Les technologies d’IA sont de plus en plus capables d’expression et de compréhension orales et écrites, grâce aux progrès importants réalisés ces dernières années. En 2017, un rapport de l’OCDE comparant les capacités des ordinateurs à certaines compétences humaines (Elliott, 2017[8]) a révélé que les ordinateurs n’étaient pas aussi performants que les humains pour répondre aux questions de compréhension de l’écrit, même les questions jugées les plus faciles pour les adultes. L’écart avec les humains était faible toutefois. D’après une récente étude de l’OCDE (2023[9]), les experts estiment que l’IA est désormais capable de répondre à environ 80 % des questions de compréhension de l’écrit posées aux adultes dans le cadre de l’Enquête sur les compétences des adultes (PIAAC). Aux niveaux élémentaires, ces questions consistent à localiser des informations dans des textes courts et à reconnaître le vocabulaire de base, et, aux niveaux supérieurs, à parcourir des portions de textes plus longues afin de formuler des réponses. Selon les experts, les technologies d’IA sont capables de répondre à la plupart des questions élémentaires ainsi qu’à certaines questions plus complexes, et devraient être en mesure de répondre avec succès à l’ensemble du test de compréhension de l’écrit d’ici à 2026. L’écart entre les performances humaines et celles de l’IA au regard des tâches linguistiques les plus complexes s’est réduit du fait du développement d’architectures de réseau dotées d’une capacité accrue d’apprentissage à partir de données complexes et sensibles au contexte, et de l’accroissement des ressources de données et de la puissance de calcul (Littman et al., 2021[6]).
Une certaine catégorie de modèles de traitement du langage naturel fait particulièrement parler d’elle depuis peu : il s’agit des grands modèles de langage, en particulier de ChatGPT2. ChatGPT est un exemple frappant d’un modèle d’IA capable d’obtenir des résultats aussi bons que ceux des humains au regard de plusieurs tâches linguistiques et plus généralement cognitives, et ce beaucoup plus rapidement. Les premières expérimentations de ChatGPT montrent que ce modèle est capable d’écrire des blagues, des codes informatiques et des dissertations, de formuler des diagnostics médicaux, de créer des jeux et de vulgariser des concepts scientifiques complexes. Ses résultats sont souvent très convaincants. Ses réponses à différentes questions sont jugées de qualité équivalente à celles d’une équipe d’experts (Guo et al., 2023[10]). Il obtient des résultats de même niveau que ceux des humains au regard de divers critères professionnels et universitaires. Il a notamment réussi un examen simulé du barreau avec un score le classant dans le premier décile de résultats (OpenAI, 2023[11]). Son adoption semble progresser rapidement. Par exemple, il a été ajouté au moteur de recherche de Microsoft, Bing, quelques mois après son lancement. Toutefois, ChatGPT donne parfois des réponses superficielles, et peut même générer de fausses informations. Dans tous les cas, il convient de rédiger correctement les prompts et de vérifier les réponses. L’intervention humaine demeure donc cruciale.
Les systèmes formulant des recommandations à l’intention des humains gagnent également du terrain. Certains outils de planification et d’ordonnancement fondés sur l’IA sont souvent plus performants que les humains. Eux aussi nécessitent une intervention humaine : les contraintes de temps doivent être enregistrées dans le système, et les humains peuvent accepter ou rejeter les recommandations formulées par l’IA. Par exemple, dans le domaine du marketing numérique, les « systèmes de recommandation » qui hiérarchisent automatiquement les produits vus en ligne par les utilisateurs sont devenus indispensables, et influencent considérablement les produits, services et contenus (actualités, musique, vidéos...) consommés par les individus. Dans le domaine de la maintenance préventive, les systèmes d’IA sont en mesure d’indiquer quelles pièces il est recommandé de remplacer ou quelles vérifications il est nécessaire d’effectuer sur une machine. Dans le domaine de l’enseignement, les tâches complémentaires de l’enseignement pur (ciblage des activités d’apprentissage des étudiants, définition des modules à suivre ou de la méthode d’enseignement à utiliser) peuvent également être exécutées par des systèmes d’IA (ces applications sont examinées plus en détail à la section 5.5).
Un examen des entreprises qui ont adopté l’IA révèle que certaines compétences seront bientôt superflues. D’après les enquêtes menées auprès des travailleurs et des employeurs concernant l’impact de l’IA sur le marché du travail des secteurs financier et manufacturier de sept pays de l’OCDE (Lane, Williams et Broecke, 2023[2]), environ la moitié des utilisateurs de l’IA déclarent qu’elle réduit l’utilité de certaines de leurs compétences (51 % des utilisateurs dans le secteur financier et 45 % dans le secteur manufacturier), et cette part est encore plus élevée parmi les travailleurs déclarant que certaines de leurs tâches ont été automatisées (56 % dans le secteur financier et 51 % dans le secteur manufacturier). Dans des études de cas menées par l’OCDE auprès d’employeurs ayant recours à l’IA, Milanez (2023[4]) observe que les compétences rendues superflues par l’adoption de l’IA sont principalement des compétences manuelles, et que les exemples de double emploi se concentrent dans le secteur manufacturier. Par exemple, une usine canadienne utilise un robot piloté par l’IA pour mesurer et couper des carreaux de verre, une tâche précédemment effectuée à la main par des ouvriers. Depuis la mise en place de cet outil, les travailleurs n’ont plus qu’à interagir avec la machine, en chargeant les matériaux de base et en contrôlant la production.
5.1.2. L’IA accroît la demande de compétences nécessaires au développement des systèmes d’IA et à l’utilisation des applications d’IA
Cette hausse de la demande de compétences découlera d’une part de la nécessité de concevoir des systèmes d’IA et d’assurer leur maintenance, et d’autre part, de l’utilisation des applications d’IA et des interactions avec elles. Les emplois liés à la conception et à la maintenance des systèmes d’IA sont généralement de nature technique et certains d’entre eux sont nouveaux, les travailleurs exécutant des tâches spécifiques à l’IA qui n’existaient pas jusqu’alors. Dans les entreprises ayant recours à l’IA, différents métiers seront amenés à utiliser l’IA et à interagir avec elle. La plupart de ces métiers ne sont pas nouveaux mais dans certains cas, les tâches dont ils ont la responsabilité et les compétences requises pour les exécuter évolueront. Cette sous-section examine les compétences requises pour exercer ces deux types d’emplois, et analyse les points communs et les divergences.
Compétences nécessaires à la conception et à la maintenance des systèmes d’IA
Le développement de l’IA nécessite des connaissances et des compétences spécialisées dans ce domaine, à la croisée de la programmation informatique, de la gestion des bases de données et des statistiques. Les compétences associées au mot-clé « intelligence artificielle » dans les offres d’emploi en ligne englobent, par exemple, les langages de programmation comme Python, la capacité à utiliser et à gérer d’importants volumes de données, ainsi que l’analyse et la visualisation de données. Des connaissances plus spécifiques des modèles d’IA (par ex. « arbres de décision », « apprentissage profond », « réseau neuronal », « forêt aléatoire », etc.), des outils d’IA (par exemple « TensorFlow », « PyTorch », etc.) et des logiciels d’IA (par ex. « Java », « Gradle », etc.) sont également requises (Alekseeva et al., 2021[12] ; Manca, 2023[13] ; OECD.AI, 2023[14] ; Squicciarini et Nachtigall, 2021[15]). Les résultats des enquêtes de l’OCDE sur les entreprises ayant adopté l’IA en Allemagne, en Autriche, au Canada, aux États-Unis, en France, en Irlande et au Royaume‑Uni confirment qu’une majorité de travailleurs chargés de développer l’IA et d’assurer sa maintenance possèdent ce type de compétences spécialisées (79 % des travailleurs du secteur financier et 75 % du secteur manufacturier) (Lane, Williams et Broecke, 2023[2]). Toutefois, ces résultats montrent également que ces travailleurs ne possèdent pas tous de telles compétences : 10 % d’entre eux déclarent explicitement qu’ils ne possèdent pas de compétences spécialisées. Cela donne à penser que certains de ces emplois, visant par exemple à fournir des données aux modèles d’apprentissage automatique ou à corriger les résultats des systèmes d’IA, ne nécessitent pas de connaissances spécialisées en IA (voir ci-dessous l’examen des différents types d’emplois susceptibles d’être créés grâce à l’IA, et des compétences qu’ils nécessitent).
La demande de compétences spécialisées en IA a augmenté dans les offres d’emploi en ligne ces dernières années. Elle a été multipliée par quatre entre 2010 et 2019 aux États-Unis, une accélération ayant été observée au cours des trois dernières années dans un large éventail de professions. En comparaison, sur la même période, la part des offres d’emploi mentionnant des compétences en informatique est restée stable, et la demande de compétences logicielles semble avoir légèrement diminué (Alekseeva et al., 2021[12] ; Acemoglu et al., 2022[16]). Des évolutions similaires ont été observées dans les offres d’emploi publiées au Canada, au Royaume‑Uni et à Singapour (Squicciarini et Nachtigall, 2021[15]).
Les offres d’emploi nécessitant des compétences spécialisées en IA requièrent également des compétences cognitives de haut niveau, comme la résolution créative de problèmes, et des compétences transversales comme des compétences sociales (communication, travail d’équipe, collaboration, négociation, présentation) et des compétences de gestion (gestion de projet, supervision et gestion du personnel, mentorat, encadrement), ce qui donne à penser que ces compétences sont complémentaires (Alekseeva et al., 2021[12] ; Manca, 2023[13]).
Le développement de l’IA nécessite donc un ensemble spécifique de compétences que quelques rares personnes sont susceptibles de posséder, bien qu’il ne soit pas facile de déterminer si l’offre satisfait la demande. L’analyse des données salariales menée par l’OCDE apporte des éléments de réponse indirects : si les salaires des travailleurs possédant des compétences spécialisées en IA sont élevés (voir l’Encadré 5.1, qui présente certaines caractéristiques sociodémographiques et salariales de la main-d’œuvre formée à l’IA), leur croissance ne dépasse pas celle des salaires des autres professions en moyenne dans les pays de l’OCDE, ce qui donne à penser que, jusqu’à présent, l’offre suffit probablement à satisfaire la demande. Toutefois, la moyenne de l’OCDE masque d’importantes différences d’un pays à l’autre. En particulier, c’est en Autriche, en Belgique, au Danemark et en Finlande que l’on observe les écarts les plus importants entre la croissance du salaire horaire des personnes possédant des compétences en IA et la croissance de l’économie dans son ensemble. En outre, les employeurs peuvent recourir à des ajustements non salariaux pour remédier aux déséquilibres. Par exemple, ils peuvent avoir recours à d’autres types de compensations financières, comme des primes forfaitaires ou des parts dans l’entreprise pour laquelle ils travaillent. Cette explication s’applique tout particulièrement à la main-d’œuvre formée à l’IA. Cela peut conduire à une sous-estimation de la croissance des revenus d’activité (Green et Lamby, 2023[1]). Autres exemples d’avantages non salariaux : régimes et prestations de retraite, assurance maladie, aide aux prêts étudiants et aménagements sur le lieu de travail. La question d’une éventuelle pénurie de travailleurs possédant l’ensemble des compétences requises pour développer les systèmes d’IA et assurer leur maintenance mérite donc d’être étudiée plus avant.
Dès 2017, Wilson, Daugherty et Morini-Bianzino (2017[17]) prévoyaient la création de trois nouvelles catégories d’emplois nécessaires à la conception, l’entraînement, la mise à jour et la maintenance des technologies d’IA. La première catégorie serait composée de « formateurs » des modèles d’apprentissage automatique, chargés d’enseigner aux systèmes d’IA comment ils doivent fonctionner. Ces fonctions nécessitent généralement des compétences techniques et des compétences en science des données, mais pas seulement, et pas systématiquement. Par exemple, les chatbots doivent être entraînés à communiquer avec les humains en utilisant un langage compatissant et bienveillant, et à comprendre l’humour et les subtilités de langage. Ainsi, l’algorithme doit bénéficier d’une formation comportementale, ce qui nécessite que son « formateur » soit doté de compétences interpersonnelles. Autre nouveau type d’emploi, celui d’« explicateur » des systèmes d’IA, dont le rôle consisterait à clarifier le fonctionnement des algorithmes et les différents types de résultats générés, notamment pour les dirigeants et les professionnels non techniques des entreprises qui mettent en œuvre ou cherchent à mettre en œuvre des applications d’IA, mais aussi pour les consommateurs et le grand public. L’utilité de ces emplois devrait décliner à mesure que les systèmes d’IA gagneront en transparence et en intelligibilité, mais ils demeurent essentiels pour le moment, car les pouvoirs publics commencent à prendre des mesures dans un souci de transparence (voir chapitre 6). Ces emplois nécessiteront une bonne connaissance de l’IA, mais aussi des compétences en matière de communication, et une capacité à transmettre des informations techniques à un public non technique, entre autres. Enfin, les « responsables de l’entretien » vérifieront le bon fonctionnement des systèmes d’IA, en détectant les biais, les inexactitudes et les erreurs, et veilleront à ce que les effets indésirables soient pris en charge correctement et rapidement. Ils surveilleront les résultats des algorithmes et veilleront à leur bon fonctionnement, à mesure de l’évolution de la technologie, des données et de l’environnement.
Encadré 5.1. Caractéristiques de la main-d’œuvre possédant des compétences spécialisées en IA
D’après les travaux de recherche de l’OCDE, la main-d’œuvre possédant des compétences spécialisées en IA se concentre dans quelques professions hautement qualifiées : mathématiciens, actuaires et statisticiens, développeurs de logiciels et d’applications, gestionnaires des TIC, professionnels des bases de données et des réseaux, et ingénieurs électrotechniciens (Green et Lamby, 2023[1]). La main-d’œuvre formée à l’IA est majoritairement constituée d’hommes au niveau d’études élevé. En moyenne dans les pays de l’OCDE, plus de 60 % de la main-d’œuvre formée à l’IA est au moins diplômée de l’enseignement supérieur, et moins de 40 % est féminine, alors que plus de 50 % de la population active occupée est titulaire d’un diplôme de l’enseignement supérieur. En revanche, la main-d’œuvre formée à l’IA est tout aussi susceptible d’être jeune ou née à l’étranger que la population active occupée diplômée de l’enseignement supérieur.
Sur le plan des salaires, Green et Lamby (2023[1]) montrent que dans les pays européens de l’OCDE inclus dans leur échantillon, le revenu de près de la moitié de la main-d’œuvre du secteur de l’IA se situe au-delà du 80e percentile. Manca (2023[13]) montre que les offres d’emploi pour lesquelles les compétences en matière d’IA présentent un intérêt majeur proposent une rémunération supérieure à la moyenne, même après la prise en compte du nombre moyen d’années d’études, de la complexité des compétences nécessaires à l’exercice de l’emploi, et des facteurs géographiques liés à l’offre d’emploi. De même, Alekseeva et al. (2021[12]) observent une majoration salariale de 11 % pour les offres d’emploi nécessitant des compétences liées à l’IA au sein d’une même entreprise, et de 5 % au sein de la même entreprise et à un poste équivalent. Les postes d’encadrement sont ceux qui bénéficient de la majoration salariale la plus importante. Elle est même plus importante que la majoration associée à d’autres compétences (logicielles, cognitives ou d’encadrement).
Source : Alekseeva et al. (2021[12]), « The demand for AI skills in the labor market », https://www.doi.org/10.1016/j.labeco.2021.102002 ; Green et Lamby (2023[1]), « The supply, demand and characteristics of the AI workforce across OECD countries », https://www.doi.org/10.1787/bb17314a-en ; Manca (2023[13]), « Six questions about the demand for artificial intelligence skills in labour markets », https://www.doi.org/10.1787/ac1bebf0-en.
Ces nouvelles fonctions existent déjà dans les entreprises qui adoptent l’IA. Prenant appui sur les études de cas de l’OCDE sur l’IA, Milanez (2023[4]) constate qu’une part importante des entreprises qui adoptent l’IA créent des emplois en lien avec le développement et la maintenance de l’IA. Ces nouveaux profils d’emploi ne sont pas encore clairement définis, mais ils nécessitent généralement de mettre en place des environnements d’exploitation adaptés aux modèles d’apprentissage automatique, de développer et d’entraîner les modèles et d’en assurer la maintenance, et de surveiller leur efficience et leur précision au fil du temps. Par exemple, une société française de banque et d’assurance cite le rôle de salariés chargés de veiller à ce que les modèles d’IA conservent un bon niveau de fiabilité au fil du temps et un pouvoir prédictif satisfaisant à mesure de l’intégration de nouvelles données. Ils indiquent à quel moment le modèle d’IA doit être modifié, et comment préparer les données à cette fin.
Compétences en matière d’utilisation et d’interaction avec les applications d’IA
Dans certains cas, la mise en œuvre des technologies d’IA n’entraîne pas de modification des compétences requises dans les entreprises qui les adoptent. Dans l’étude de l’OCDE réalisée par Lane, Williams et Broecke (2023[2]), 57 % et 48 % des employeurs qui ont mis en œuvre l’IA dans les secteurs financier et manufacturier ne signalent aucune évolution des besoins en compétences à ce jour. De même, dans les études de cas menées par l’OCDE auprès d’entreprises ayant mis en œuvre l’IA, 60 % d’entre elles déclarent que l’adoption de l’IA n’a eu aucun impact sur leurs exigences en matière de compétences (Milanez, 2023[4]). L’étude avance plusieurs explications possibles. Premièrement, dans plusieurs cas, la mise en œuvre de l’IA n’a eu, jusqu’à présent, qu’un faible impact sur les tâches exécutées par les travailleurs et, partant, sur les compétences requises pour effectuer ces tâches. Dans d’autres cas, l’adoption de l’IA a des répercussions sur l’ordre et l’importance relative des tâches préexistantes plutôt que de les modifier et d’en créer de nouvelles, ce qui engendre peu de nouveaux besoins en compétences. La mise en œuvre de l’IA nécessite parfois des compétences numériques qui n’étaient pas requises auparavant, mais à un niveau si élémentaire que les entreprises estiment qu’il s’agit d’une évolution négligeable qu’il n’est pas utile de mentionner. Parmi les autres raisons invoquées, citons le fait que, dans le secteur manufacturier, la préservation des compétences existantes des travailleurs, ou tout du moins d’un petit groupe d’entre eux, est parfois considérée comme une mesure de sécurité permettant de parer à une éventuelle défaillance du système d’IA. Dans le secteur financier, plusieurs entreprises ayant adopté l’IA déclarent qu’elle a permis de s’appuyer davantage sur les compétences existantes des travailleurs, au lieu de créer de nouveaux besoins. C’est le cas lorsque l’adoption de l’IA permet d’automatiser les versions simples d’une tâche, alors que les versions complexes relèvent toujours de la responsabilité des travailleurs. Enfin, il convient de noter que les entreprises qui adoptent l’IA constituent un échantillon choisi d’employeurs, capables de mettre en œuvre l’IA précisément parce que leur main-d’œuvre possède les compétences nécessaires. Cela pourrait parfaitement expliquer pourquoi de nombreuses entreprises adoptant l’IA ne signalent aucune évolution de leurs besoins en compétences.
Toutefois, dans un grand nombre d’entreprises, la mise en œuvre de l’IA entraîne un relèvement et une diversification des compétences requises, et la demande de compétences numériques, analytiques et non techniques s’accroît (Lane, Williams et Broecke, 2023[2] ; Milanez, 2023[4]). Des compétences numériques générales et une connaissance élémentaire de l’IA sont nécessaires, à un niveau élémentaire le plus souvent (capacité à utiliser un ordinateur ou un smartphone), pour que les travailleurs puissent utiliser l’application d’IA, même si certaines entreprises estiment qu’une évolution aussi marginale ne vaut pas la peine d’être mentionnée. Les compétences analytiques et non techniques gagnent en importance pour plusieurs raisons. Tout d’abord, du fait de l’automatisation des tâches les plus simples, les travailleurs doivent exécuter davantage de tâches complexes, nécessitant des compétences analytiques plus élevées, comme des connaissances spécialisées et la capacité à comprendre et à mettre en application de nouvelles idées. Ensuite, l’automatisation conduit souvent les travailleurs à devoir prendre en charge davantage de tâches nécessitant des compétences non techniques et des compétences interpersonnelles. De nouveaux besoins apparaissent également lorsque les travailleurs sont redéployés dans d’autres services au sein de leur entreprise (Milanez, 2023[4]). Lane, Williams et Broecke (2023[2]) rapportent des résultats similaires : l’IA accroît principalement l’importance de compétences telles que la créativité et la communication au sein de l’entreprise (42 %/41 % des employeurs qui ont adopté l’IA dans les secteurs financier/manufacturier), ainsi que les besoins de main-d’œuvre hautement qualifiée (55 % des employeurs dans les deux secteurs).
L’utilisation des applications d’IA ne nécessite que dans de rares cas des connaissances spécialisées en IA, ou des compétences numériques ou en science des données. Par exemple, dans le cadre de leurs travaux, Bessen et al. (2018[18]) ont constaté que seulement 10 % des entreprises interrogées exigent que les utilisateurs possèdent des connaissances spécialisées en codage ou en science des données, quand 59 % d’entre elles exigent de bonnes compétences générales en informatique, les entreprises restantes n’exigeant aucune compétence particulière. Dans les études de cas de l’OCDE sur les entreprises ayant adopté l’IA, Milanez (2023[4]) rapporte que plusieurs développeurs avancent que les applications d’IA sont conçues pour être conviviales et intuitives, et que leur utilisation nécessite le même niveau de compétences numériques que l’utilisation d’un smartphone. Lane, Williams et Broecke (2023[2]) évoquent également le peu d’importance accordée aux compétences spécialisées en IA.
Le Tableau 5.1 fait la synthèse des différents types de compétences qui gagnent en importance à mesure du déploiement de l’IA. Des compétences très avancées en matière d’IA et de technologies numériques sont nécessaires pour développer les systèmes d’IA et assurer leur maintenance, tandis que des connaissances élémentaires en matière d’IA et des compétences de base en science des données sont nécessaires, dans certains cas, pour travailler et interagir avec les applications d’IA. Toutefois, au-delà de l’expertise technique, un éventail plus large de compétences est nécessaire. En effet, des compétences en IA tant avancées que générales sont de plus en plus souvent requises parallèlement à d’autres compétences cognitives, comme les compétences analytiques et de résolution de problèmes, et des compétences transversales (compétences sociales, gestion, communication, travail d’équipe, polyvalence). À l’heure actuelle, les technologies d’automatisation ont davantage de difficultés à reproduire ces compétences (Lassébie et Quintini, 2022[3]).
Avec la généralisation de l’IA, nombre de professions vont devoir acquérir un large éventail de compétences pour concevoir des systèmes d’IA et interagir efficacement avec eux. Le reste du présent chapitre traite de la manière dont les systèmes de formation des adultes peuvent être adaptés pour répondre à ces nouveaux besoins en matière de compétences. En particulier, la section 5.4.2 présente plusieurs initiatives nationales visant à favoriser le développement des compétences en matière d’IA.
Tableau 5.1. Compétences nécessaires à l’ère de l’IA
Type de compétence |
Exemples |
|
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Compétences nécessaires à la conception et à la maintenance des systèmes d’IA |
Compétences spécialisées en IA |
Connaissance générale de l’IA (comme l’apprentissage automatique) Connaissance spécifique des modèles d’IA (« arbres de décision », « apprentissage profond », « réseau de neurones », « forêt aléatoire », etc.) Outils d’IA (« TensorFlow », « PyTorch », etc.) et logiciels d’IA (« Java », « Gradle », etc.) |
Compétences en science des données |
Analyse de données Logiciels Langages de programmation, en particulier Python Big Data Visualisation des données Informatique en nuage |
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Autres compétences cognitives |
Résolution créative de problèmes |
|
Compétences transversales |
Compétences sociales Compétences de gestion |
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Compétences nécessaires pour l’adoption, l’utilisation et l’interaction avec les applications d’IA |
Connaissance élémentaire de l’IA |
Principes de l’apprentissage automatique |
Compétences numériques |
Capacité à utiliser un ordinateur ou un smartphone |
|
Autres compétences cognitives |
Compétences analytiques Résolution de problèmes Raisonnement critique Jugement |
|
Compétences transversales |
Créativité Communication Travail d’équipe Polyvalence |
Source : tableau élaboré par les auteurs d’après Alekseeva et al. (2021[12]), « The demand for AI skills in the labor market », https://www.doi.org/10.1016/j.labeco.2021.102002 ; Lane, Williams et Broecke (2023[2]), « The impact of AI on the workplace: Main findings from the OECD AI surveys of employers and workers », https://www.doi.org/10.1787/ea0a0fe1-en ; Manca (2023[13]), « Six questions about the demand for artificial intelligence skills in labour markets », https://www.doi.org/10.1787/ac1bebf0-en ; Milanez (2023[4]), « The impact of AI on the workplace: Evidence from OECD case studies of AI implementation », https://www.doi.org/10.1787/2247ce58-en ; OECD.AI (2023[14]), Visualisations réalisées par JSI à partir de données provenant de www.adzuna.co.uk, https://oecd.ai/fr/ ; Squicciarini et Nachtigall (2021[15]), « Demand for AI skills in jobs: Evidence from online job postings », https://www.doi.org/10.1787/3ed32d94-en.
5.2. L’évolution des besoins en compétences implique la mise en place de nouvelles possibilités de formation
5.2.1. Le développement et l’adoption de l’IA nécessitent des filières d’enseignement spécialisées ainsi que des cours spécifiques de formation à l’IA
Formations pour la conception et à la maintenance des systèmes d’IA
Parmi les compétences nécessaires à la conception et à la maintenance des systèmes d’IA, citons les compétences spécialisées en IA, en science des données et les compétences cognitives et transversales (Tableau 5.1). L’acquisition de compétences spécialisées en IA nécessite à la fois une formation universitaire poussée et une expérience pratique approfondie. La formation initiale est essentielle, et une grande partie de la main-d’œuvre formée à l’IA est diplômée de l’enseignement supérieur (Green et Lamby, 2023[1]). L’apprentissage par la pratique est également important (Daugherty, Wilson et Michelman, 2019[19]) et peut s’inscrire dans le cadre d’une formation en apprentissage ou d’un apprentissage informel (par ex. participation à une équipe de recherche ou au processus de développement de l’IA au sein de l’entreprise)3.
Formation pour l’utilisation et l’interaction avec les applications d’IA
L’adoption et l’utilisation de l’IA sur le lieu de travail nécessitent des connaissances élémentaires en matière d’IA, des compétences numériques de base, ainsi que des compétences cognitives et transversales (Tableau 5.1). Dans les entreprises qui adoptent l’IA, si une minorité d’utilisateurs de l’IA déclarent posséder des compétences en la matière, près des trois quarts d’entre eux se disent enthousiastes à l’idée de se former (73 % des travailleurs du secteur financier et 72 % de ceux du secteur manufacturier) (Lane, Williams et Broecke, 2023[2]). Reste donc à savoir comment encourager l’acquisition de connaissances élémentaires en matière d’IA, une question qui mérite une attention particulière.
Ces connaissances élémentaires sont souvent désignées sous le nom générique de « connaissances en matière d’IA », un concept qui a récemment attiré l’attention dans les publications consacrées à l’apprentissage des adultes. Long et Magerko (2020[20]) la définissent comme « un ensemble de compétences permettant aux individus de porter un regard critique sur les technologies d’IA, de communiquer et de collaborer efficacement avec l’IA, et de l’utiliser comme un outil en ligne, à la maison et sur leur lieu de travail ». Ng et al. (2021[21]) insistent sur le fait que les connaissances en matière d’IA ne font pas nécessairement référence aux compétences nécessaires pour concevoir des modèles d’IA, mais plutôt à celles qui permettent de comprendre, d’utiliser, de contrôler les applications d’IA, et de les soumettre à une réflexion critique. Sur la base d’une analyse des publications existantes, les auteurs distinguent quatre niveaux de connaissances en matière d’IA. Au niveau le plus élémentaire, les utilisateurs connaissent les fonctions de base de l’IA et sont capables d’utiliser les applications d’IA dans la vie de tous les jours. Les utilisateurs se situant au niveau juste au-dessus sont capables de mettre en œuvre les connaissances, concepts et applications en matière d’IA dans différents contextes. Les utilisateurs se situant aux niveaux supérieurs possèdent les compétences nécessaires à la mise en œuvre et à l’évaluation de l’IA. Ils doivent donc être en mesure de gérer les données nécessaires au développement d’algorithmes d’IA et de porter un regard critique sur leurs résultats. Des compétences analytiques de base et des connaissances en mathématiques et en statistiques sont nécessaires à tous les niveaux, ainsi que des notions d’éthique de l’IA. Toutefois, la recherche dans ce domaine n’en est qu’à ses balbutiements et doit être améliorée au regard des modalités de définition des connaissances en matière d’IA dans le contexte de la formation des adultes et de mesure du niveau de connaissances des adultes en matière d’IA (Laupichler et al., 2022[22]).
Autre sujet important, mais peu étudié : la structure et le contenu des formations à l’IA pour les non-spécialistes. Dans une analyse bibliographique exploratoire, Laupichler et al. (2022[22]) montrent que la plupart de ces formations comportent une ou plusieurs unités de formation initiale visant à donner un premier aperçu de l’IA, de ses origines, et de ce qu’elle est capable de faire ou pas. Elles abordent également l’apprentissage automatique et l’apprentissage profond, sur lesquels prennent actuellement appui nombre d’applications d’IA. Enfin, certaines formations abordent également les questions éthiques liées à l’IA, en s’intéressant aux biais algorithmiques ou à la nature de « boîte noire » de l’IA. Autre caractéristique des formations à l’IA destinées aux non-spécialistes : elles se présentent généralement sous la forme de modules courts, plus faciles à suivre et à intégrer, et s’appuient principalement sur des cours ou des supports pédagogiques décentralisés et disponibles au format numérique.
5.2.2. Certaines catégories de travailleurs méritent une attention particulière
Des programmes de formation devraient être spécifiquement élaborés pour plusieurs catégories de travailleurs, pour différentes raisons. D’une part, des arguments d’équité justifient de mettre l’accent sur les groupes vulnérables, en particulier les travailleurs âgés et les personnes peu qualifiées, afin qu’ils puissent s’adapter aux changements induits par l’adoption de l’IA dans les entreprises. La formation des personnes peu qualifiées se justifie par le handicap persistant qu’elles subissent encore au regard du risque d’automatisation (voir chapitre 3), et n’est pas uniquement liée à l’IA. Cette catégorie spécifique est donc examinée plus en détail à l’Encadré 5.2.
La formation des travailleurs âgés se justifie par le fait qu’ils sont particulièrement vulnérables à la mise en œuvre de l’IA dans les entreprises, parce qu’ils sont moins susceptibles de posséder les nouvelles compétences que cette mise en œuvre requiert (en particulier les compétences numériques), mais également de suivre une formation. Le retard des travaillés âgés en matière de compétences numériques est largement documenté dans les travaux publiés. Par exemple, les résultats de l’enquête sur les compétences des adultes (PIAAC) mettent en évidence de faibles niveaux de compétence en résolution de problèmes dans les environnements à forte composante technologique chez les adultes âgés (OCDE, 2020[23]). En outre, dans l’ensemble des pays participant à l’enquête PIAAC, cette population est moins susceptible de se former. L’écart moyen entre le taux de participation à la formation des personnes âgées (54 ans et plus) et celui des personnes d’âge très actif (25‑53 ans) s’établissait à environ 22 points de pourcentage en 2015 (OCDE, 2019[24]). Si ces problématiques ne sont pas nouvelles, elles sont probablement aggravées par l’arrivée des technologies numériques et de l’IA dans les entreprises. En effet, d’après leurs collègues, les travailleurs âgés se montrent particulièrement sceptiques et inquiets à l’égard des technologies d’IA, ce qui peut restreindre leur volonté et leur capacité d’adaptation (Milanez, 2023[4]). Il convient toutefois de noter que l’étude ne cite aucun exemple de travailleurs âgés exprimant leur scepticisme à l’égard de l’IA ou se montrant peu enclins à l’utiliser dans un cadre professionnel. Ces résultats prennent donc appui sur les croyances d’autres travailleurs, et il est possible que ces croyances découlent de préjugés à l’égard des travailleurs âgés, et ne correspondent pas à leurs véritables capacités et comportements. En tout état de cause, compte tenu de leur faible niveau de culture numérique, la formation à l’IA des travailleurs âgés doit être soigneusement élaborée et adaptée.
D’autre part, il est possible de justifier le ciblage des travailleurs plus qualifiés, des cadres et des chefs d’entreprise par des raisons d’efficience. Comme le montre le chapitre 3, les travailleurs très qualifiés ont été les plus exposés aux récents progrès de l’IA, car ces professions sont les plus susceptibles d’impliquer des tâches cognitives non répétitives que l’IA est de plus en plus capable d’exécuter. Il s’agit par exemple des spécialistes des fonctions administratives et commerciales des entreprises, des dirigeants ou des professionnels des sciences et de l’ingénierie. À ce stade précoce de l’adoption de l’IA, un accroissement de l’exposition des travailleurs hautement qualifiés à l’IA semble aboutir à la création de nouvelles tâches et de nouveaux emplois plutôt qu’à la destruction d’emplois. Toutefois, pour que ces travailleurs soient en mesure de s’adapter à l’évolution des tâches à effectuer et de travailler avec les technologies d’IA, ils ont besoin d’acquérir des compétences numériques de base, des connaissances élémentaires en matière d’IA, des compétences cognitives comme la résolution de problèmes et le raisonnement critique, et des compétences transversales comme la communication, le travail d’équipe ou la polyvalence (voir section 5.1.2). S’il est probable, mais pas certain, que la plupart des travailleurs hautement qualifiés possèdent déjà un grand nombre de ces compétences, il est important de s’assurer que tous les travailleurs hautement qualifiés disposent de l’ensemble des compétences requises.
Les compétences et les connaissances des cadres et des chefs d’entreprise jouent également un rôle important dans l’adoption de l’IA. En effet, l’IA va dans la plupart des cas modifier en profondeur les processus opérationnels et la culture d’entreprise, ce qui va obliger les cadres et les chefs d’entreprise à reconfigurer les tâches et les structures organisationnelles en conséquence. Pour ce faire, ils devront non seulement disposer de compétences liées aux pratiques de gestion du changement, mais aussi d’une certaine connaissance de l’IA et de ses risques et avantages potentiels. Une entreprise allemande interrogée dans le cadre des études de cas de l’OCDE sur la mise en œuvre de l’IA dans les entreprises a indiqué que même les responsables chargés de la planification des projets d’IA sont censés connaître un minimum le fonctionnement de cette technologie (Milanez, 2023[4]). Il est essentiel de comprendre ce que les systèmes d’IA sont capables de faire ou pas pour définir les modalités de mise en œuvre de cette innovation dans une entreprise, ses avantages et ses risques, et déterminer comment intégrer au mieux les systèmes d’IA dans les processus existants (Lassébie et Quintini, 2022[3] ; Mc Kinsey, 2018[25]). Les dirigeants devront également décider quelles activités devront être confiées aux humains et lesquelles devront être confiées aux systèmes d’IA. À cette fin, ils doivent appréhender les forces et les faiblesses de chaque acteur. En outre, il convient de gérer la relation entre les systèmes d’IA et les travailleurs (Peifer, Jeske et Hille, 2022[26]), ainsi que les algorithmes, sans quoi il ne sera pas possible de définir des objectifs clairs et de faire des compromis (Luca, Kleinberg et Mullainathan, 2018[27]). Il convient de concevoir des systèmes et des mécanismes robustes et d’en assurer la maintenance afin de soumettre la prise de décision et la gestion algorithmiques à une surveillance humaine. Toutefois, les cadres et les chefs d’entreprise ne disposent probablement pas des connaissances nécessaires en matière d’IA pour y parvenir. En effet, les idées fausses sur l’IA semblent très répandues (Roffel et Evans, 2018[28]) et il n’existe aucune raison de croire que les chefs d’entreprise et les cadres se distinguent à cet égard.
Encadré 5.2. La formation des travailleurs peu qualifiés doit rester la priorité des pouvoirs publics
Même si l’IA permet d’automatiser certaines compétences de haut niveau, les travailleurs peu qualifiés continuent d’être surreprésentés dans les professions les plus exposées au risque d’automatisation, parce que les technologies d’automatisation plus anciennes existent toujours et sont dans de nombreux cas améliorées par l’IA, et parce que ces professions ne nécessitent généralement pas de compétences et d’aptitudes ne pouvant être reproduites par ces technologies (voir chapitre 2). Toutefois, et malgré les efforts déployés par les pouvoirs publics au cours des dix dernières années, les taux de participation des personnes peu qualifiées aux activités d’éducation et de formation demeurent inférieurs à ceux des personnes moyennement et hautement qualifiées, dans plusieurs pays (Graphique 5.1). Cet écart s’échelonne de 2 (Hongrie) à 19 points de pourcentage (Suisse), et s’établit à 8 points en moyenne dans l’Union européenne.
Il convient d’accroître la participation à la formation afin d’aider les travailleurs exerçant des professions à haut risque d’automatisation à se reconvertir et leur permettre d’occuper des emplois moins exposés. OCDE (2019[29]) montre que la faible participation des personnes peu qualifiées aux activités d’éducation et de formation est due à une multitude de facteurs, comme le manque de temps, les contraintes financières, l’insuffisance des compétences préalables requises, une moindre volonté de se former et une moindre propension des employeurs à former ces travailleurs. Relever ces défis reste une priorité. Parmi les actions envisageables, citons des mesures de sensibilisation, notamment par le biais de conseils personnalisés, la création de possibilités d’apprentissage adaptées offrant une certaine souplesse, au moyen notamment de programmes modulaires, et la mise en place d’aides financières pour couvrir les différents coûts de formation (OCDE, 2019[30]).
Enfin, des actions de formation spécifiques ciblant les partenaires sociaux devraient également être mises en œuvre afin de s’assurer que ces derniers disposent des bons outils pour aider les travailleurs à faire face et à s’adapter aux enjeux du développement et de l’adoption de l’IA. Les partenaires sociaux déclarent que l’évolution de la demande de compétences est l’une de leurs principales préoccupations au regard de l’IA (voir chapitre 7). Toutefois, ils pourraient contribuer à préciser les contours de cette évolution et à promouvoir et garantir un accès équitable à la formation à l’IA afin d’aider les travailleurs à faire face à ces changements. Les syndicats et les représentants des travailleurs ont également un rôle essentiel à jouer en mettant les travailleurs suffisamment en confiance pour prendre part aux activités de formation, notamment les travailleurs peu qualifiés qui sont souvent réticents à faire part de leurs besoins de formation aux employeurs. Le dialogue social est également particulièrement important pour atténuer l’impact de la restructuration des emplois découlant de l’évolution technologique. En effet, les partenaires sociaux ont la possibilité de négocier des programmes de recyclage du personnel existant, qui favorisent la flexibilité interne au détriment des licenciements massifs. Plus généralement, ils peuvent négocier des conventions collectives relatives à la mise en œuvre de l’IA dans les entreprises. Dans la pratique, toutefois, les partenaires sociaux prennent principalement part à des activités de sensibilisation et d’information visant à mettre en lumière les nouvelles compétences qui seront nécessaires pour travailler avec les outils numériques, la robotique et les données, ainsi que la nécessité d’acquérir une culture de l’IA (BusinessEurope, 2019[31] ; CES, 2020[32] ; ETUI, 2021[33] ; OIT/OIE, 2019[34] ; UNI Europa ICTS, 2019[35]). Pour le moment, rares sont ceux qui se sont lancés dans la négociation d’accords. Cela est probablement lié à des connaissances insuffisantes en matière d’IA, ainsi qu’à un manque de capacités et de ressources (voir chapitre 7 pour plus de détails).
5.3. Les entreprises qui ont recours à l’IA déclarent former leurs salariés, mais plus de formation pourrait s’avérer nécessaire
5.3.1. Les entreprises mettent en place des formations après avoir adopté l’IA
Une grande partie des entreprises qui adoptent l’IA font face à l’évolution des besoins en compétences imputable à l’adoption de l’IA en recyclant les salariés ou en améliorant leurs compétences. Selon les enquêtes de l’OCDE sur l’IA, c’est le cas de 64 % des entreprises du secteur financier et de 71 % des entreprises du secteur manufacturier qui ont adopté l’IA (Graphique 5.2) (Lane, Williams et Broecke, 2023[2]). La formation est la réponse la plus choisie par les entreprises des sept pays couverts par l’enquête (Allemagne, Autriche, Canada, États-Unis, France, Irlande et Royaume‑Uni) pour faire face à l’évolution des besoins en compétences imputable à l’IA. Une autre stratégie mise en œuvre pour faire face à l’évolution des besoins en compétences consiste à acheter des services auprès d’entreprises externes, une solution pour laquelle optent 53 % des entreprises interrogées4.
Les travailleurs déclarent également bénéficier de formations mises en place par les entreprises ayant adopté l’IA. Dans les enquêtes de l’OCDE sur l’IA menées par Lane, Williams et Broecke (2023[2]), plus de la moitié des travailleurs utilisant l’IA déclarent que leur entreprise a organisé ou financé une formation afin de les aider à utiliser l’IA dans le cadre de leur travail. Toutefois, ces enquêtes ne leur demandent pas de préciser le type et le contenu de ces formations. La plupart des travailleurs font confiance à leur employeur pour prendre les bonnes décisions en matière de formation à l’IA, dans une certaine mesure du moins : un peu plus d’un quart des travailleurs font totalement confiance à leur entreprise pour les former à l’IA, et un peu moins de la moitié lui font assez confiance. Les travailleurs ayant pris part à une formation étaient nettement plus susceptibles de déclarer que l’IA avait des effets positifs sur leurs conditions de travail et leurs salaires, mais ils étaient également plus susceptibles de faire état d’inquiétudes au sujet des répercussions de l’IA sur la stabilité de leur emploi. Cela peut être lié au fait que les travailleurs participant à une formation prennent conscience du risque d’automatisation du travail et s’inquiètent pour la stabilité de leur emploi, mais également au fait que les travailleurs qui craignent de perdre leur emploi à cause de l’IA sont plus enclins à se former. L’étude ne permet pas de déterminer laquelle de ces explications est la bonne.
Lorsque la technologie d’IA est simple à utiliser, la formation est courte et prend la forme de webinaires, de présentations, d’ateliers, etc. pour présenter aux salariés les technologies d’IA adoptées et leur donner un aperçu de leurs fonctionnalités de base. Rares sont les grandes entreprises à faire état de programmes de formation plus ambitieux pour aider les salariés à se reconvertir. Enfin, certaines grandes entreprises tentent également d’apporter un soutien aux spécialistes internes de l’IA afin de disposer de salariés spécialisés capables de concevoir des systèmes d’IA et d’assurer leur maintenance en interne, au lieu de devoir rechercher ces salariés sur le marché du travail externe ou de sous-traiter ces activités. Toutefois, plusieurs entreprises appellent à un renforcement des aides gouvernementales à l’éducation et la formation à l’IA, et conviennent que les compétences spécialisées en la matière doivent également être acquises dans le cadre de la formation initiale (Milanez, 2023[4]).
5.3.2. Toutefois, une formation plus poussée contribuerait à lever les obstacles actuels à l’adoption de l’IA
Le manque de compétences demeure un obstacle majeur à l’adoption de l’IA
Le coût de l’IA et le manque de compétences sont les deux obstacles à l’adoption de l’IA les plus fréquemment cités par les entreprises dans les enquêtes. Plus précisément, dans les récentes enquêtes de l’OCDE sur l’IA menées auprès des employeurs et des salariés, quelque 40 % des employeurs des secteurs financier et manufacturier déclarent que le manque de compétences appropriées constitue un obstacle. Cela est particulièrement vrai aux États-Unis, en Allemagne et en Autriche, où près de la moitié des employeurs des secteurs manufacturier et financier considèrent le manque de compétences appropriées comme un obstacle (Lane, Williams et Broecke, 2023[2]). Ces deux obstacles ont également été cités par des entreprises de toutes tailles et de tous secteurs dans le cadre d’une enquête sur l’utilisation des technologies basées sur l’IA menée par la Commission européenne auprès des entreprises. L’un de ces obstacles est lié au fait que le personnel en place ne dispose pas des compétences nécessaires, ainsi qu’aux difficultés à recruter de nouveaux salariés possédant les compétences requises (Commission européenne, 2020[36]).
Un examen des objectifs et des pratiques des institutions appuyant la diffusion de l’IA dans les entreprises5 récemment mené par l’OCDE (Barreneche, à paraître[37]) confirme ces résultats. Les institutions interrogées affirment que le manque de compétences en matière d’IA est une contrainte importante, non seulement pour les salariés, mais aussi pour les dirigeants. Les auteurs notent que la mise en œuvre de l’IA dans une entreprise nécessite du personnel possédant une expérience approfondie de plusieurs domaines en lien avec l’IA (voir à la section 5.2.2 un examen des raisons pour lesquelles les compétences des cadres et des dirigeants ont également de l’importance), mais que les spécialistes de l’IA sont fortement concentrés dans certains pôles localisés. Les institutions interrogées citent également parmi les principaux obstacles à l’adoption de l’IA les incertitudes autour du retour sur investissement, et le fait que le personnel d’encadrement n’ait qu’une idée assez vague de la manière dont l’IA peut être mise en œuvre pour résoudre les difficultés des entreprises. De même, le personnel d’encadrement sous-estime généralement les changements de culture et de pratiques nécessaires à la bonne mise en œuvre des solutions d’IA.
Autres obstacles importants à l’adoption que la formation peut permettre de lever : les difficultés liées aux données et à l’acceptation culturelle
Selon les entreprises, d’autres obstacles à l’adoption de l’IA sont liés aux données, notamment à leur complexité et à l’insuffisance de données internes. Ces obstacles sont toutefois moins fréquents que les autres (Commission européenne, 2020[36] ; IBM, 2022[38]). Dans la plupart des cas, la difficulté à disposer de données de qualité est étroitement liée à la problématique des compétences. Les entreprises disposent souvent d’une abondance de données, mais elles ne possèdent pas les capacités nécessaires pour les traiter, les nettoyer, les analyser et garantir la qualité des nombreuses informations qu’elles renferment. En particulier, les petites et moyennes entreprises semblent être à la traîne dans ce domaine (OCDE, 2021[39]).
Bien qu’ils ne soient cités que par un nombre relativement restreint d’entreprises dans les enquêtes, les problèmes de disponibilité et de gestion des données sont évoqués par plusieurs institutions appuyant la diffusion de l’IA. Ces institutions soulignent que la plupart des entreprises pourraient théoriquement constituer des bases de données très fournies, mais qu’elles ne disposent généralement pas de mécanismes performants de collecte de données, et notamment de processus garantissant la qualité des données, de méthodes normalisées et efficientes de collecte des données, ainsi que de protocoles de suivi et d’évaluation continus. En outre, elles ne mènent aucune réflexion sur le respect de la vie privée, la sécurité des données et l’éthique. Les entreprises disposant de mécanismes efficaces de collecte de données ont parfois des difficultés à gérer ces données, car elles doivent intégrer différents types de sources présentant des dissemblances sur le plan de la fréquence et du format. Autre difficulté, la nécessité de veiller à ce que l’IA respecte et promeuve le droit à la vie privée des travailleurs, et se conforme à la législation et aux normes réglementaires, y compris aux exigences en matière de protection des données (Barreneche, à paraître[37]).
La formation peut être un moyen de faire en sorte que les entreprises soient dotées des compétences nécessaires pour créer, consolider et gérer des ensembles de données de qualité, et soient en mesure de gérer les problématiques de sécurité des données et de protection de la vie privée. Elle joue non seulement un rôle important dans la promotion de l’adoption de l’IA, mais contribue également à veiller à ce qu’elle soit utilisée de manière éthique (voir le chapitre 6 pour un examen des politiques visant à assurer une IA digne de confiance dans les entreprises). En outre, les entreprises citent souvent des problèmes liés à l’acceptation culturelle des nouvelles technologies par les salariés en place (Lassébie et Quintini, 2022[3]) et les données existantes montrent que la formation peut contribuer à améliorer l’attitude des salariés à l’égard de l’IA (Lane, Williams et Broecke, 2023[2]). Toutefois, les problèmes de qualité des données et d’acceptation culturelle dépassent la simple question des compétences, et ne peuvent être résolus entièrement par la formation.
5.4. Les politiques publiques actuellement mises en œuvre à l’appui de la formation à l’IA ne sont pas suffisantes
5.4.1. Les politiques publiques pourraient inciter à plus de formation à l’IA
Le rôle des pouvoirs publics dans le développement des compétences en matière d’IA se justifie principalement par le fait qu’une part importante des activités de formation à l’appui du développement et de l’adoption de l’IA doivent s’inscrire dans le cadre de la formation initiale. Les connaissances élémentaires en matière d’IA doivent être acquises et renforcées pendant les études secondaires, tandis que les compétences spécialisées relèvent de l’enseignement professionnel et supérieur. D’autres compétences cognitives nécessaires au développement de l’IA et à son utilisation dans un cadre professionnel doivent également être renforcées dans le cadre de la formation initiale.
L’intervention des pouvoirs publics et le financement public des programmes de formation sont plus difficiles à justifier dans le cadre de la formation continue. Le financement public de programmes de formation destinés aux travailleurs faiblement qualifiés exposés à un risque élevé d’automatisation (Encadré 5.2) se justifie pour des raisons d’équité, mais la nécessité d’une intervention des pouvoirs publics est, à première vue, moins évidente pour les salariés hautement qualifiés. Toutefois, comme indiqué à la section 5.2.2, le fait que les compétences continuent de représenter un obstacle majeur à l’adoption de l’IA donne à penser que la formation de base n’est pas suffisante.
Une intervention publique se justifierait si des défaillances du marché ou des obstacles en termes d’offre et de participation empêchaient les entreprises de mettre en place un volume de formation optimal. Il reste à prouver que c’est effectivement le cas. Il apparaît toutefois clairement que parmi l’ensemble des obstacles à la formation qui ont été évoqués (OCDE, 2021[40]), une catégorie en particulier (les obstacles informationnels) est susceptible de jouer un rôle particulièrement important dans le contexte de la formation à l’IA. Les enquêtes sur l’IA menées par l’OCDE auprès des employeurs et des travailleurs (Lane, Williams et Broecke, 2023[2]) ont montré que la grande majorité des travailleurs interrogés avaient entendu parler de l’IA (95 % dans le secteur financier et 93 % dans le secteur manufacturier). La plupart ont toutefois déclaré qu’il était difficile d’expliquer la signification du terme « intelligence artificielle » (52 % dans le secteur financier et 60 % dans le secteur manufacturier). Les salariés dont les entreprises ont adopté l’IA sont plus susceptibles d’être en mesure d’expliquer de quoi il s’agit. On dispose également de peu d’informations sur les programmes de formation pertinents en matière d’IA. Pourtant, il semble que les individus souhaitent en apprendre davantage au sujet de l’IA (Lane, Williams et Broecke, 2023[2]). Cela donne à penser qu’il existe probablement un important déficit d’information concernant la formation à l’IA. Les campagnes de sensibilisation sont plus efficaces que le financement public des programmes de formation pour éliminer ce type d’obstacles à la formation.
Autre raison pour laquelle le volume de formation à l’IA dispensé par les entreprises pourrait être insuffisant, et donc justifier une intervention publique : ce type de formation est susceptible de bénéficier non seulement à l’entreprise, mais également à la société dans son ensemble. Lorsque les entreprises ne récoltent pas tous les fruits des formations qu’elles organisent, il existe un risque évident de réduction de l’offre. Cela pourrait être le cas des programmes de formation destinés aux cadres et aux chefs d’entreprise et visant à leur faire prendre conscience des incidences d’un recours plus massif à l’IA dans leur secteur, et à leur donner les moyens de garantir une mise en œuvre fiable des technologies d’IA.
Enfin, l’action des pouvoirs publics pourrait contribuer à promouvoir la diversité au sein de la main-d’œuvre formée à l’IA. En particulier, la promotion de l’IA dans le cadre de l’orientation professionnelle pourrait encourager un plus grand nombre de personnes à développer des compétences en la matière, notamment des compétences spécialisées en IA, une culture de l’IA et d’autres compétences nécessaires à son utilisation. En fait, l’objectif serait double : remédier au manque de diversité de la main-d’œuvre formée à l’IA, et plus particulièrement à la sous-représentation des femmes (voir dans l’Encadré 5.1 ci-dessus les chiffres relatifs à la part des femmes dans la main-d’œuvre formée à l’IA), et s’attaquer au problème des pénuries de compétences qui font obstacle à l’adoption de l’IA.
5.4.2. Peu de politiques prévoient des mesures suffisantes pour développer les compétences en matière d’IA
La grande majorité des pays de l’OCDE ont adopté des stratégies nationales en matière d’IA, même si elles n’en sont pas toutes au même stade de mise en œuvre (Galindo, Perset et Sheeka, 2021[41])6. La plupart des stratégies nationales en matière d’IA reconnaissent l’importance des compétences, mais elles ne proposent pas toutes des actions concrètes pour les renforcer. Toutefois, il existe quelques exemples intéressants, qui sont examinés dans la présente section.
Tout d’abord, le recours accru à l’IA en milieu professionnel nécessite d’anticiper les futurs besoins en compétences, et plusieurs stratégies nationales mentionnent explicitement l’anticipation et l’évaluation des compétences en matière d’IA. Par exemple, la stratégie nationale du Royaume‑Uni mentionne des activités de recherche visant à mieux appréhender les compétences nécessaires pour permettre aux salariés d’utiliser l’IA dans un cadre professionnel, et à déterminer comment l’offre nationale de compétences peut répondre à ces besoins.
De nombreuses stratégies nationales reconnaissent que les progrès de l’IA rendront plusieurs compétences superflues, et mettent l’accent sur le recyclage des personnes susceptibles d’être remplacées par l’IA. En Lituanie, par exemple, la stratégie nationale en matière d’IA (Lithuanian Artificial Intelligence Strategy: A Vision of the Future)7 évoque la création de programmes de formation professionnelle dans le domaine de l’IA et d’autres technologies émergentes, ciblant spécifiquement les travailleurs exerçant des professions exposées à un risque accru d’automatisation. Ces programmes visent à leur apprendre à utiliser l’IA dans le cadre de leur emploi actuel, plutôt que de les former à un autre métier.
Dans plusieurs cas, les stratégies nationales en matière d’IA examinent les politiques de formation visant à développer des compétences spécifiques. Cette question est souvent abordée dans le cadre plus général de la stratégie numérique et met donc l’accent sur les compétences numériques, en négligeant les compétences de base et spécialisées en matière d’IA, ainsi que les compétences cognitives et transversales nécessaires au développement de systèmes d’IA ou à l’utilisation d’applications d’IA (voir section 5.1). L’Espagne est une exception intéressante : dans le cadre du troisième investissement de la composante 19 de son Plan de redressement, de transformation et de résilience, le service public de l’emploi finance, par le biais d’un appel public à subventions, des formations à l’échelon national en vue de l’acquisition et du renforcement de compétences professionnelles en lien avec les avancées technologiques et la transformation numérique. Des programmes de formation de niveau élémentaire, moyen et avancé ont été élaborés. Les formations de niveau moyen et avancé comprennent des modules entièrement consacrés à l’IA, intitulés par exemple « Initiation à l’intelligence artificielle et aux algorithmes », « L’intelligence artificielle appliquée à l’entreprise » et « L’apprentissage automatique et l’intelligence artificielle ».
La question des compétences élémentaires en matière d’IA fait l’objet d’une attention croissante, et plusieurs initiatives visant à renforcer ces compétences voient le jour. En Finlande, par exemple, l’Université d’Helsinki et MinnaLearn ont mis au point un programme intitulé « Elements of AI », qui propose des cours en ligne gratuits visant à améliorer les connaissances des non-spécialistes en matière d’IA, à renforcer l’acceptation sociale de l’IA, et à inciter les individus à s’informer sur le sujet. L’objectif initial de former 1 % de la population finlandaise a été largement dépassé, et le programme a ensuite été étendu à d’autres pays européens. Par exemple, selon la stratégie nationale allemande en matière d’IA (Stratégie sur l’intelligence artificielle du gouvernement fédéral – actualisée en 2020)8, chaque citoyen doit être conscient de l’importance de l’IA et des débouchés et enjeux qui y sont associés. La stratégie fait explicitement référence au cours en ligne gratuit « Elements of IA ».
Les employeurs jouent un rôle majeur dans l’élaboration de stratégies d’amélioration des compétences et de recyclage en matière d’IA en milieu professionnel, et la conception de programmes de formation adaptés visant à favoriser l’adoption de l’IA. Pourtant, les stratégies nationales n’évoquent pas toutes le rôle des employeurs dans la formation à l’IA. La Norvège fait figure d’exception, plusieurs grandes entreprises ayant mis en place des programmes de formation continue à l’IA et à l’analyse de données. Une banque propose par exemple à ses salariés une formation en science des données, une initiative examinée dans le cadre de la stratégie norvégienne (Norway National Strategy for Artificial Intelligence)9. Le gouvernement travaille également avec les partenaires sociaux à l’élaboration de programmes sectoriels, dont l’un est destiné au secteur des soins à l’échelon local, et un autre à l’industrie manufacturière et à la construction. Le crédit d’impôt italien à la formation 4.0 est un autre exemple de dispositif faisant intervenir les employeurs. Il a été mis en œuvre en 2021 et 2022 à l’appui de la formation des salariés, l’objectif étant qu’ils consolident leurs compétences ou en acquièrent de nouvelles dans le domaine des technologies liées à la transformation technologique et numérique des entreprises10. Ci‑après quelques exemples de thèmes de formation ouvrant droit à ce crédit d’impôt : big data et analyse des données, réalité virtuelle (RV) et réalité augmentée (RA), robotique avancée et collaborative, interfaces humain-machine, et internet des objets et des machines. Le crédit d’impôt était accessible à toutes les entreprises, indépendamment de leur secteur d’activité ou de leur taille. Le montant de la subvention dépendait toutefois de la taille de l’entreprise11. Le taux du crédit était plus avantageux pour les salariés défavorisés12. Les dépenses ouvrant droit au crédit d’impôt étaient les suivantes : coûts des salariés participant à la formation (salaires) ; frais de consultation liés au projet de formation, le cas échéant ; frais de formation en cas de recours à un prestataire externe, et dépenses de fonctionnement du programme de formation (frais de déplacement, supports et équipement).
Les institutions qui soutiennent la diffusion de l’IA dans les entreprises13 conçoivent également des programmes de formation en cours d’emploi visant à faciliter l’adoption de l’IA (Barreneche, à paraître[37]). Par exemple, l’Institut Vector, l’un des trois instituts nationaux d’intelligence artificielle établis au Canada, propose des formations visant à améliorer les compétences des dirigeants et du personnel technique et à mieux faire connaître les applications d’IA. Les participants sont invités à analyser des exemples d’utilisation de l’IA dans le monde réel, et à recenser les possibilités et les défis qui sous-tendent une adoption réussie. Cet institut s’inscrit dans le cadre d’une stratégie nationale plus globale visant à appuyer l’adoption de l’IA au Canada14. Autre exemple intéressant : le Digital Manufacturing and Cybersecurity Institute (MxD), aux États-Unis, a élaboré une plateforme en ligne sur laquelle les travailleurs ont la possibilité d’accéder à des cours gratuits et payants sur les technologies de pointe conçues par des entreprises de premier plan, et les entreprises ont accès à des informations à l’appui de la gestion de leurs compétences en IA, notamment sur les programmes d’études et les plans de carrière.
Il est essentiel d’adopter une approche intégrée du renforcement des compétences en matière d’IA qui tienne compte de l’ensemble des niveaux d’enseignement, des différentes parties prenantes et des différents types de compétences nécessaires pour développer l’IA et l’utiliser dans un cadre professionnel. Les programmes de formation en cours d’emploi et l’apprentissage informel sont nécessaires pour permettre aux salariés de replacer les connaissances acquises dans le contexte des enjeux et des exigences spécifiques de la vie professionnelle, et aux entreprises de remédier rapidement aux actuelles pénuries de compétences. Ils ne remplacent toutefois pas la formation initiale. Plusieurs institutions interrogées par Barreneche (à paraître[37]) insistent sur le fait que l’enseignement spécialisé de l’IA doit relever prioritairement de l’enseignement supérieur, et que les pays doivent redoubler d’efforts pour intégrer l’IA dans les programmes d’enseignement supérieur.
De manière générale, si plusieurs programmes existants mettent l’accent sur les compétences numériques ou les compétences en matière d’IA, rares sont ceux qui accordent de l’importance aux compétences complémentaires telles que les compétences transversales, et seule une minorité élabore une approche intégrée du développement des compétences en matière d’IA. La stratégie nationale irlandaise en matière d’IA (AI – Here for Good: A National Artificial Intelligence Strategy for Ireland)15 fait exception, puisqu’elle mentionne l’acquisition de compétences numériques, techniques et complémentaires. Les mesures clés énumérées dans cette stratégie prennent en considération tous les niveaux et types d’enseignement concernés, notamment les établissements d’enseignement supérieur et les employeurs. Les compétences et les technologies numériques sont abordées à l’école, comme indiqué dans la « Stratégie numérique pour les écoles 2015‑20 : Améliorer l’enseignement, l’apprentissage et l’évaluation » (Digital strategy for schools 2015‑20. Enhancing teaching, learning and assessment). La « Déclaration relative à la politique d’enseignement des STIM 2017‑26 » (STEM Education Policy Statement 2017‑26) vise également à ce que l’ensemble des apprenants aux niveaux primaire et post-primaire bénéficient d’un meilleur enseignement des STIM. Les programmes d’enseignement primaire et post-primaire intègrent des compétences complémentaires essentielles, comme la communication, la créativité et la coopération. La stratégie du Luxembourg intitulée « Intelligence artificielle : une vision stratégique pour le Luxembourg »16 a également pour objet l’analyse de plusieurs dimensions de l’éducation et de la formation à l’IA. Les principales mesures prévues sont les suivantes : élaboration de modules de formation numérique visant à initier le grand public à l’IA, ses débouchés et ses risques, intégration de cours sur l’IA dans d’autres filières, comme le droit, l’économie, les sciences humaines, l’environnement et la santé, et dans les programmes de l’enseignement secondaire et post-secondaire, y compris la formation professionnelle.
La plupart des stratégies nationales soulignent également l’importance des compétences en IA dans les administrations, non seulement pour tirer parti des avancées technologiques en la matière et améliorer ainsi la qualité et l’efficience des administrations publiques, mais aussi pour être en mesure de déterminer quels types d’interventions publiques sont nécessaires, le cas échéant (voir également le chapitre 6). Au Canada, l’Académie numérique de l’École de la fonction publique aide les fonctionnaires à améliorer leurs compétences numériques, notamment en matière d’IA et d’apprentissage automatique. Le Gouvernement de Singapour propose des ateliers sur l’IA aux fonctionnaires afin d’améliorer leur culture numérique et leur permettre d’acquérir des connaissances élémentaires des possibilités offertes par l’IA aux organisations publiques (Berryhill et al., 2019[42]). Plus récemment, en France, le Conseil d’État a publié une déclaration officielle préconisant de recourir à l’IA pour améliorer les services publics. Cette déclaration reconnaît l’importance des ressources humaines et techniques pour la mise en œuvre de l’IA dans le secteur public, et accorde la priorité à la formation des cadres de la fonction publique, ainsi qu’au recrutement de spécialistes des données (Conseil d’État, 2022[43]). Aux États-Unis, l’AI Training Act17 vise à mettre en place un programme de formation à l’intelligence artificielle destiné aux fonctionnaires fédéraux, l’objectif étant de les aider à mieux comprendre cette technologie, à prendre conscience de ses avantages et des risques que son utilisation est susceptible de faire courir au gouvernement, et de garantir que l’administration fédérale l’utilise de manière éthique.
Enfin, les gouvernements devraient également investir dans la formation des enseignants et des éducateurs à l’IA. En Espagne par exemple, le ministère de l’Éducation et de la Formation professionnelle a créé l’École de pensée informatique et d’intelligence artificielle (EPCIA) en collaboration avec les administrations régionales de l’éducation. Ce projet vise à étudier la possibilité d’utiliser l’intelligence artificielle dans le cadre de l’apprentissage en classe. L’école propose des ressources éducatives ouvertes, des programmes de formation des enseignants, et un outil de suivi de la création de propositions didactiques et de leur mise en œuvre dans les écoles. L’école, en collaboration avec une université, mène également des recherches sur l’apprentissage des étudiants et les pratiques d’enseignement de l’IA.
5.5. L’IA est susceptible d’améliorer les systèmes d’apprentissage des adultes, mais cela n’est pas dénué de risques
Si l’IA génère de nouveaux besoins en matière de formation, elle peut également contribuer à améliorer les systèmes d’apprentissage des adultes en général. Elle pourrait être utilisée pour améliorer la planification et l’organisation des formations, et accroître la participation à ces formations et leur inclusivité. Même si on ne trouve pas beaucoup d’exemples, il est tout de même possible d’en citer quelques-uns, dont certains sont présentés ci-dessous. Toutefois, la mise en œuvre de l’IA pour améliorer les systèmes de formation des adultes de manière plus générale n’est pas dénuée de risques, et nécessite de relever un certain nombre de défis18.
5.5.1. L’IA pourrait contribuer à faciliter la planification des formations
L’IA peut aider à évaluer les besoins en compétences, à établir les profils de compétences des individus, à recenser les formations adaptées, à définir des transitions professionnelles viables, et à sélectionner la formation adéquate pour faciliter ces transitions. En ce qui concerne l’évaluation des besoins en compétences, il est possible d’utiliser l’IA et les algorithmes d’apprentissage automatique pour traiter et analyser le texte des offres d’emploi en ligne et déterminer quelles compétences sont demandées par les employeurs. Ces informations sont plus granulaires et plus récentes que les sources d’information traditionnelles, comme les enquêtes annuelles ou les consultations d’experts, mais elles risquent d’être moins représentatives, moins stables dans le temps et moins précises, notamment en ce qui concerne les compétences requises pour exercer un emploi. Ces deux types de données peuvent donc se compléter. En particulier, les données doivent être les plus détaillées et les plus récentes possible afin d’élaborer une offre de formation en adéquation avec les besoins du marché du travail. Par exemple, le Centre européen pour le développement de la formation professionnelle (Cedefop) traite et analyse des informations issues de plus de 100 millions d’offres d’emploi en ligne collectées dans 28 pays européens afin d’élaborer l’outil d’analyse des offres d’emploi européennes (Skills Online Vacancy Analysis Tool for Europe – Skills OVATE). Les informations sur les compétences sont extraites des offres d’emploi à l’aide de l’ESCO, la classification européenne des aptitudes, compétences, certifications et professions, et de techniques d’apprentissage automatique.
L’IA peut également être utilisée pour établir des profils de compétences individuels – c’est-à-dire caractériser les compétences d’une personne sur la base de son niveau et de son domaine d’études, de son expérience professionnelle antérieure et de l’évaluation directe et indirecte de ses compétences – qui seront comparés aux compétences requises dans les emplois disponibles. L’IA peut aider à classer automatiquement de grandes quantités de données textuelles, comme les descriptions des programmes d’enseignement et des professions, dans des catégories de compétences prédéfinies. Cela peut faciliter la conversion des informations relatives à la formation et à l’expérience professionnelle d’un individu en un profil de connaissances, de compétences et d’aptitudes. L’IA peut également aider à catégoriser des textes imputés manuellement décrivant des tâches exécutées dans la vie quotidienne ou dans le cadre d’un emploi, et alimenter le profil de compétences de l’individu. Le VDAB, le service public flamand de l’emploi, a conçu un « détecteur de compétences » (Competentiezoeker). Cet outil constitue un exemple intéressant d’utilisation de l’IA pour établir des profils de compétences individuels. Il examine automatiquement les CV mis en ligne par les demandeurs d’emploi et aide ces derniers à les enrichir avec des compétences supplémentaires qu’ils sont susceptibles de posséder compte tenu de leur expérience professionnelle, mais qu’ils ont oublié de mentionner. Il utilise la taxonomie VDAB des professions et des compétences (Competent) pour trouver les compétences requises dans le cadre des professions exercées par le demandeur d’emploi, mais qui ne figurent pas dans son CV en ligne (Broecke, 2023[44]). Toutefois, l’établissement de ces profils nécessite de stocker et de partager des informations personnelles, selon des modalités qui ne sont pas toujours compatibles avec les réglementations existantes en matière de protection des données et de la vie privée (voir le chapitre 6 pour un point sur ces questions).
L’IA peut aider à trouver les formations les plus adaptées aux personnes désirant se former. Pour ce faire, il convient d’abord de déterminer quelles sont les compétences développées par chaque programme de formation. Si l’enseignement formel suit des programmes structurés et normalisés, ce n’est pas le cas de l’enseignement non formel. La start-up Boostrs applique des algorithmes de traitement du langage naturel pour convertir automatiquement les descriptions des programmes d’enseignement et de formation en catégories de compétences prédéfinies, établissant ainsi une correspondance entre la formation et les compétences. Les personnes souhaitant acquérir des compétences spécifiques peuvent s’appuyer sur ces informations pour trouver la formation qui leur convient.
En outre, l’IA peut être utilisée pour déterminer quelles transitions professionnelles ont des chances de réussir, et quelles formations suivre à cette fin. Frank et al. (2019[45]) examinent comment des sources de données non traditionnelles, comme les CV en ligne et les offres d’emploi, pourraient être utilisées pour mieux appréhender la dynamique du marché du travail et mieux comprendre la relation entre les études et les compétences des individus et les carrières qui s’offrent à eux. Ils parlent de « transitions professionnelles viables » lorsque les travailleurs exerçant un certain emploi sont en mesure de satisfaire les besoins en compétences d’un autre emploi. Cela suppose une certaine similitude des compétences requises par ces emplois. Depuis cette publication en date de 2019, des exemples concrets ont été mis au point et testés sur le terrain. Par exemple, le VDAB, le service public flamand de l’emploi, utilise l’application Jobbereik pour aider les demandeurs d’emploi à réfléchir à une transition vers des professions faisant appel à des profils de compétences similaires. Le VDAB travaille également sur la conception d’une nouvelle fonctionnalité qui permettra à Jobbereik de proposer une liste des programmes d’enseignement et de formation envisageables pour chaque changement de carrière proposé (Broecke, 2023[44]).
Plus généralement, l’IA peut être utilisée dans le cadre des activités d’orientation professionnelle. Prenant appui sur des groupes de discussion, des scénarios et des expériences pratiques, Westman et al. (2021[46]) examinent les exigences et les possibilités d’utilisation de l’intelligence artificielle dans le cadre de l’orientation professionnelle du point de vue des étudiants, du personnel d’orientation et des établissements. Ils montrent que les étudiants ont une opinion plutôt positive à l’égard des services d’orientation professionnelle fondés sur l’IA, en particulier au regard de la possibilité de bénéficier de conseils personnalisés et d’y accéder en ligne, tandis que le personnel chargé de l’orientation professionnelle fait part de plusieurs préoccupations, liées notamment à la capacité d’agir et à l’autonomie des individus, à la confidentialité des données, ainsi qu’aux questions d’éthique. Le personnel mentionne en particulier la tendance de l’IA à amplifier les biais humains. Cette question spécifique est examinée plus en détail à la section 5.5.3 et au chapitre 6.
5.5.2. L’IA pourrait être utilisée pour organiser et personnaliser les formations
L’IA peut également être utilisée par les enseignants et les formateurs pour concevoir des supports pédagogiques. Par exemple, des outils comme ChatGPT peuvent aider à créer des plans de formation et des programmes d’études, à élaborer des plans de cours accompagnés d’une liste d’objectifs, d’activités et d’évaluations, à créer des exercices, des quiz, des questions à débattre et des examens à choix multiples, et à rédiger des réponses détaillées aux problèmes. ChatGPT peut également être utilisé comme un instructeur virtuel, en particulier dans le cadre d’une formation linguistique, car ce chatbot est capable de converser avec les apprenants, de les aider à s’exercer, de formuler des observations et de leur faire des suggestions d’amélioration. Il s’agit d’un outil utile pour adapter le style d’enseignement (c’est-à-dire transformer un cours traditionnel en cours d’apprentissage par problèmes ou en classe inversée) ou pour simplifier les sujets pour les apprenants de tout niveau. Toutefois, il est important de noter que les modèles tels que ChatGPT ne sont que des modèles probabilistes sans objectifs éducatifs explicites, qu’ils n’ont pas été optimisés pour un usage dans le cadre de l’apprentissage scolaire, et qu’ils n’offrent pas l’expérience sociale nécessaire à un apprentissage efficace.
Plusieurs technologies fondées sur l’IA, comme la réalité augmentée (RA), la réalité virtuelle (RV) et les technologies de reconnaissance vocale, pourraient jouer un rôle dans l’offre de formation professionnelle en ligne ou virtuelle. Les technologies de réalité augmentée et virtuelle améliorent l’accès à la formation axée sur la pratique, en permettant aux étudiants de s’exercer à distance, plus souvent ou dans des conditions plus sûres. Par exemple, la formation à la chirurgie en réalité virtuelle permet aux étudiants et aux professionnels de santé de se familiariser avec des procédures et un environnement chirurgicaux dans le cadre de simulations réalistes. Les utilisateurs bénéficient d’un accès illimité aux simulations, partout et à tout moment, ce qui permet de réduire les risques encourus par les patients. Toutefois, des inconvénients et des risques potentiels sont associés à l’utilisation de la RA, de la RV et d’autres technologies fondées sur l’IA dans le cadre de la formation, comme la disparation de la dimension sociale de l’apprentissage, qui joue un rôle important dans la mémorisation des informations.
L’IA peut également être utilisée pour personnaliser le contenu des formations en fonction des besoins des individus, en sélectionnant les modules pertinents et en raccourcissant ainsi les sessions de formation lorsque cela est possible. La formation traditionnelle nécessite généralement que les étudiants utilisent tous les mêmes supports d’apprentissage, quels que soient leurs aptitudes, leurs préférences ou leur style d’apprentissage. Lorsque le contenu de la formation est piloté par l’IA, il peut être adapté au niveau initial de la personne et aux progrès réalisés au cours de la formation. En mettant le contenu en relation avec les évaluations ou la vitesse de lecture, par exemple, l’IA peut proposer de laisser de côté certains contenus, voire fournir des supports d’apprentissage complémentaires lorsque l’élève semble éprouver des difficultés19. Par exemple, Duolingo, une plateforme d’apprentissage des langues, procède à une personnalisation de la formation.
L’utilisation de l’IA à des fins de formation amènera les enseignants et les formateurs à utiliser régulièrement les technologies d’IA et interagir avec elles, ce qui entraînera une évolution des compétences requises dans l’enseignement. En particulier, comme indiqué dans la section 5.1.2, l’utilisation de l’IA et l’interaction avec cette technologie nécessiteront que les salariés possèdent des compétences numériques, au minimum de niveau élémentaire. Une connaissance élémentaire de l’IA sera également nécessaire pour permettre aux enseignants et aux formateurs de bien appréhender les avantages et les risques liés à l’utilisation de l’IA dans le cadre de la formation. En outre, comme nous l’avons vu au chapitre 4, l’utilisation de l’IA à des fins de formation pourrait également réduire l’autonomie et la capacité d’agir des enseignants et accroître l’intensité du travail, ce qui affecterait en fin de compte la qualité globale de l’emploi. Il s’agit là de risques non négligeables.
Il existe un autre risque, à savoir que l’utilisation d’outils pédagogiques fondés sur l’IA modifie les compétences acquises par les apprenants. Dans son essai sur les méfaits potentiels de l’IA, Acemoglu (2021[47]) avance que si les élèves cessent d’apprendre l’arithmétique du fait de l’amélioration des performances des calculatrices, leur capacité à se livrer à d’autres types de raisonnement mathématique et abstrait risque d’en pâtir. On peut avancer un argument similaire en ce qui concerne les grands modèles de langage tels que ChatGPT : si les étudiants l’utilisent pour rédiger des dissertations et passer des examens, leurs compétences et leurs connaissances en matière d’expression écrite risquent de se dégrader. De fait, plusieurs écoles et universités semblent s’en préoccuper et prennent des mesures pour veiller à ce que les étudiants n’utilisent pas cet outil durant les examens. Certains établissements revoient leurs procédures d’examen et reviennent à des examens écrits en présentiel, qui permettent de surveiller de près l’utilisation des technologies. D’autres encore mettent en place des outils permettant de déterminer si des examens écrits ont été produits par un algorithme. Certains établissements, à l’inverse, réfléchissent à la manière d’intégrer cet outil dans le système d’apprentissage, y compris dans les examens, en partant du principe que les étudiants doivent apprendre à travailler avec ces technologies.
5.5.3. L’IA peut avoir des répercussions sur la participation aux formations et l’inclusivité
Les technologies d’IA sont susceptibles de favoriser la participation aux formations : i) en diminuant leur durée (modularité des formations) ; ii) en atténuant les contraintes de temps (formation à distance et réduction de la durée des cours) ; et iii) en renforçant la motivation (par une amélioration de l’adéquation entre les individus et les formations, et le recours à des outils interactifs, comme la réalité augmentée ou virtuelle). La possibilité offerte par l’IA de réduire la durée des formations peut s’avérer particulièrement avantageuse, car il a été démontré que les contraintes de temps constituent un obstacle majeur à la participation à la formation (OCDE, 2021[40]). L’IA pourrait également aider les décideurs ou les entreprises à identifier les personnes qui ont le plus besoin d’une formation ou en bénéficieraient le plus. Par exemple, le VDAB, le service public flamand de l’emploi, utilise une application fondée sur l’IA pour cibler les demandeurs d’emploi les plus vulnérables, c’est-à-dire ceux qui ont le moins de chances de trouver un nouvel emploi (Broecke, 2023[44]). L’utilisation de l’IA dans le cadre la formation peut également faciliter la participation des personnes handicapées. Les technologies de synthèse vocale peuvent aider les personnes malentendantes ou malvoyantes à accéder à la formation. Des technologies existent déjà pour répondre aux besoins éducatifs des étudiants aveugles et malvoyants dans le cadre de la formation initiale, par exemple pour faciliter la prise de notes (OCDE, 2022[48]), et rien ne laisse penser que ces technologies ne pourraient pas être mises en œuvre dans le cadre de formations pour adultes. Les locuteurs non natifs pourraient également tirer parti des technologies de traduction assistée par l’IA.
Toutefois, on peut également citer plusieurs raisons pour lesquelles l’utilisation de l’IA dans le cadre de la formation risque de diminuer, plutôt que d’améliorer, la participation à la formation et l’inclusivité. Premièrement, l’utilisation de l’IA à des fins de formation, et notamment l’acquisition des données et de l’infrastructure nécessaires, sont coûteuses, et risquent d’augmenter le coût global de la formation. Les coûts fixes liés à l’adoption de l’IA sont susceptibles de creuser les inégalités entre les acteurs majeurs et mineurs, par exemple entre les petites et les grandes entreprises en termes d’offre de formation, ou entre les individus qui ont les moyens de se payer une formation et ceux qui ne les ont pas. En outre, la participation à des formations fondées sur les technologies d’IA nécessite un certain niveau de compétences numériques, ce qui peut limiter la participation des personnes peu qualifiées. Si elle est utilisée pour aider à sélectionner les participants, l’IA risque de diminuer l’inclusivité des systèmes d’apprentissage au lieu de l’améliorer, car elle est susceptible d’accentuer les biais humains en l’absence de garde‑fous appropriés (le chapitre 4, section 4.4, traite d’une question similaire relative à l’inclusivité du marché du travail et à la manière dont des systèmes d’IA biaisés peuvent la réduire, et le chapitre 6 traite de la législation visant à lutter contre les biais des systèmes d’IA). Dans ce contexte, il est nécessaire de suivre de près la fréquence de l’utilisation de l’IA à des fins de formation et ses répercussions sur l’inclusivité. Ces informations seront essentielles pour décider des types d’interventions publiques se justifiant, le cas échéant.
5.6. En dépit d’études de plus en plus nombreuses sur l’IA et ses répercussions sur les systèmes de compétences et de formation, les connaissances disponibles restent largement insuffisantes
Le présent chapitre montre que les répercussions de l’IA sur les besoins en compétences ne sont pas anodines. L’IA est désormais capable de reproduire de plus en plus des compétences qui sont longtemps restées l’apanage des humains, en particulier les compétences cognitives. Elle accroît également la demande d’autres compétences, comme les connaissances en matière d’IA et les compétences numériques (à un niveau élémentaire lorsqu’il s’agit simplement d’utiliser des applications d’IA, et à un niveau plus avancé lorsqu’il s’agit de concevoir des systèmes d’IA), ainsi que des compétences complémentaires comme les compétences sociales et de gestion. Ce chapitre examine les nouvelles possibilités de formation qu’il conviendrait de développer pour faire face à l’évolution des besoins en compétences. Il apparaît que les activités de formation devraient cibler les groupes vulnérables (travailleurs peu qualifiés et travailleurs âgés) qui risquent d’être laissés pour compte s’ils ne possèdent pas les compétences requises pour s’adapter aux changements induits par la mise en œuvre de l’IA en milieu professionnel, mais aussi les travailleurs plus qualifiés et les dirigeants, afin de faciliter le développement et l’adoption d’une IA digne de confiance et d’utiliser efficacement les technologies dans le cadre de leur travail. Si l’on dispose d’un socle de données solide sur ces enjeux, d’autres questions abordées dans ce chapitre méritent d’être approfondies.
Tout d’abord, un plus grand nombre de données sur l’IA et la formation sont nécessaires. On manque de données internationales sur l’offre de formation en matière d’IA. Les entreprises qui mettent en œuvre l’IA déclarent mettre en place une formation pour leur personnel. Pourtant, la pénurie de compétences adaptées demeure un obstacle majeur à l’adoption de l’IA. Cela donne à penser que le volume actuel de formation à l’IA n’est pas suffisant, mais on ne dispose pas de suffisamment de données pour déterminer si c’est vrai ou non. Plusieurs questions demeurent sans réponse quant aux types de formation à l’IA existants, à la dimension quantitative des formations proposées (tant en termes de nombre de participants que de durée de la formation), aux groupes ciblés, ainsi qu’au contenu, au format et au niveau de la formation proposée. Il est indispensable d’obtenir de nouvelles données et de mener des travaux de recherche supplémentaires sur les programmes de formation disponibles pour formuler des recommandations d’action publique applicables.
On dispose également de très peu de données concrètes sur l’efficacité des politiques de développement des compétences en matière d’IA. Il ressort de ce chapitre que les pouvoirs publics ont un rôle important à jouer pour encourager les employeurs à proposer davantage de formations à l’IA, pour intégrer des formations à l’IA dans les programmes à tous les niveaux d’enseignement, et pour remédier au manque de diversité au sein de la main-d’œuvre formée à l’IA. Les politiques et stratégies en matière d’IA ne proposent pas toujours des actions approfondies et concrètes pour développer les compétences relatives à l’IA. Des actions doivent être menées dans ce domaine, mais on ne dispose pas encore d’informations sur les mesures efficaces, car l’impact de la plupart des stratégies d’IA n’a pas été correctement évalué. Le suivi et l’évaluation des initiatives seront essentiels pour mieux comprendre les avantages et les coûts des différentes interventions des pouvoirs publics, et optimiser la répartition des ressources publiques.
Il apparaît aussi crucial de recueillir des données sur l’utilisation de l’IA à l’appui de la formation. Ce chapitre présente des exemples d’utilisation de l’IA à l’appui de l’amélioration des systèmes de formation, mais ces technologies n’en sont qu’à leurs balbutiements et semblent peu utilisées dans le cadre de la formation, bien que l’on manque de données quantitatives probantes. À l’avenir, il serait intéressant de suivre de manière plus régulière l’utilisation de l’IA à des fins de formation, car c’est le seul moyen d’appréhender les risques et les avantages de cette utilisation.
Enfin, plusieurs questions connexes méritent une attention accrue. Le rôle des partenaires sociaux dans l’évaluation et la prise en compte de l’évolution des besoins en compétences imputable à l’IA est abordé dans la section 5.2.2, mais ce sujet est traité plus en détail au chapitre 7, qui présente des exemples d’initiatives en faveur de l’amélioration des compétences et du recyclage des travailleurs, afin qu’ils puissent tirer parti de l’adoption de l’IA sur leur lieu de travail. Autre sujet intéressant : l’adaptation des politiques actives du marché du travail afin de s’assurer que les demandeurs d’emploi possèdent les compétences nécessaires pour développer l’IA et l’utiliser dans un cadre professionnel. À terme, l’objectif est de s’assurer que tous les travailleurs sont dotés des compétences nécessaires pour s’épanouir dans une économie fondée sur l’IA.
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Notes
← 1. L’encadré 4.1 du chapitre 4 présente la méthodologie utilisée dans les enquêtes (Lane, Williams et Broecke, 2023[2]) et les études de cas de l’OCDE portant sur l’IA (Milanez, 2023[4]), et examine leur représentativité.
← 2. ChatGPT est un robot conversationnel mis au point par OpenAI et lancé en novembre 2022.
← 3. Toutefois, il est important de noter que même si l’apprentissage informel représente une part importante des activités d’apprentissage (Fialho, Quintini et Vandeweyer, 2019[50]), il est difficile de s’assurer que les travailleurs y ont tous accès. En effet, l’existence de possibilités d’apprentissage informel dans les entreprises semble particulièrement dépendante des pratiques professionnelles et de l’environnement de travail. Comme il est difficile de promouvoir une culture de l’apprentissage au travail, il est plus compliqué d’encourager l’apprentissage informel que de concevoir des activités de formation formelles et non formelles (OCDE, 2021[40]).
← 4. Une minorité d’entreprises ont recours au non-remplacement des départs ou aux licenciements pour faire face à l’évolution des besoins en compétences induite par l’IA (17 % des entreprises du secteur financier et 14 % des entreprises du secteur manufacturier).
← 5. Les institutions chargées de la diffusion des technologies sont des organismes publics ou parapublics facilitant la diffusion et l’utilisation des connaissances et des méthodes qui aident les entreprises à adopter certaines technologies (OCDE, 2018[51]).
← 6. Certains pays, comme l’Allemagne, le Canada, la Finlande, la France, le Japon et le Royaume‑Uni, ont élaboré leur stratégie nationale en matière d’IA en 2017‑18. Dans d’autres pays, comme le Brésil, l’Espagne et la Pologne, l’adoption d’une stratégie nationale en matière d’IA est plus récente – voir également le chapitre 6.
← 7. Disponible à l’adresse suivante : https://wp.oecd.ai/app/uploads/2021/12/Lithuania_Artificial_Intelligence_Strategy_2019.pdf.
← 8. Disponible à l’adresse suivante : https://www.ki-strategie-deutschland.de/home.html?file=files/downloads/Fortschreibung_KI-Strategie_frz.pdf.
← 9. Disponible à l’adresse suivante : https://wp.oecd.ai/app/uploads/2021/12/Norway_National_Strategy_for_Artificial_Intelligence_2020.pdf.
← 10. Ce programme a pris fin en 2022.
← 11. Plus précisément, le crédit d’impôt était accessible aux petites entreprises, pour un montant égal à 50 % des dépenses admissibles, dans la limite de 300 000 EUR ; aux moyennes entreprises et grandes entreprises, pour un montant respectivement égal à 40 % et 30 % des dépenses admissibles, dans la limite de 250 000 EUR.
← 12. Le taux du crédit d’impôt passait à 60 % pour l’ensemble des entreprises lorsque les participants à la formation appartenaient à la catégorie des « salariés vulnérables », telle que définie par le décret du ministre italien du Travail et des Politiques sociales en date du 17 octobre 2017.
← 13. Ces institutions sont des organismes publics ou parapublics qui aident les entreprises à adopter les nouvelles technologies. Elles utilisent un ensemble de mécanismes à l’appui de la diffusion de l’IA, comme les services de vulgarisation technologique, les subventions à la R-D dans les entreprises, les services de conseil aux entreprises, les programmes de vulgarisation industrielle, les services aux entreprises axés sur la technologie, les subventions à la recherche publique appliquée, les plateformes de réseau et de collaboration, la formation en cours d’emploi, les services d’information et le code source ouvert. Barreneche (à paraître[37]) a examiné les pratiques de plusieurs institutions appuyant la diffusion de l’IA dans les entreprises en Allemagne, au Canada, aux États-Unis, en France, en Italie, au Japon, au Royaume‑Uni et à Singapour, et a recensé les différents mécanismes mis en œuvre pour aider les entreprises à surmonter les difficultés rencontrées dans le cadre de l’adoption de cette technologie. Outre les programmes de formation en cours d’emploi examinés dans le présent paragraphe, trois autres mécanismes mis en œuvre par les institutions appuyant la diffusion de l’IA dans les entreprises peuvent contribuer indirectement au développement des compétences. Tout d’abord, les services de vulgarisation technologique, dont l’objectif est de communiquer les résultats des travaux de recherche scientifique et technologique au secteur privé, font souvent intervenir des salariés de l’entreprise bénéficiaire, qui jouissent d’un apprentissage informel en travaillant en étroite collaboration avec les institutions de diffusion. L’objectif de ce mécanisme est précisément d’accroître les capacités des entreprises à mettre en œuvre et à utiliser l’IA, et notamment les compétences des travailleurs. Ensuite, les services de conseil aux entreprises permettent aux dirigeants et aux cadres de bénéficier de conseils non techniques et de possibilités d’apprentissage informel afin d’appuyer l’adoption de l’IA. Enfin, les services d’information peuvent prendre la forme d’une publication d’études de cas et d’un code source ouvert pour les solutions d’IA, des supports pouvant être utilisés dans le cadre de l’autoformation.
← 14. Voir la Stratégie pancanadienne en matière d’intelligence artificielle, disponible à l’adresse suivante : https://ised-isde.canada.ca/site/strategie-ia/fr.
← 15. Disponible à l’adresse suivante : https://enterprise.gov.ie/en/publications/publication-files/national-ai-strategy.pdf.
← 16. Disponible à l’adresse suivante : https://gouvernement.lu/dam-assets/fr/publications/rapport-etude-analyse/minist-digitalisation/Intelligence-artificielle-une-vision-strategique-pour-le-Luxembourg.pdf.
← 17. Loi publique no 117‑207 (17 octobre 2022) Artificial Intelligence Training for the Acquisition Workforce Act (loi sur la formation à l’intelligence artificielle des personnels chargés des acquisitions), également appelée AI Training Act (loi sur la formation à l’intelligence artificielle).
← 18. Toute cette section a été élaborée à partir de Verhagen (2021[49]) et d’autres exemples figurent dans cette publication.
← 19. Il s’agit d’une formation organisée en modules améliorée, conforme à la recommandation de la Commission européenne (Recommandation du Conseil sur une approche européenne des microcertifications pour l’apprentissage tout au long de la vie et l’employabilité).