Le présent chapitre analyse le potentiel de l’investissement direct étranger (IDE) à améliorer la situation du marché du travail. Il évalue l’impact de l’IDE sur la création d’emplois et les conditions de travail salariales par secteur et gouvernorat. Il examine également la manière dont les entreprises étrangères en Tunisie contribuent à l’égalité de genre et au développement des compétences, à travers des pratiques de formation, mais aussi comment elles participent à la réduction des éventuels déséquilibres de compétences.
Revue des qualités des IDE en Tunisie
3. Impact de l’IDE sur la qualité de l’emploi et les compétences
Abstract
3.1. Résumé
La Tunisie est une destination attractive pour les investissements directs étrangers (IDE) de par sa main-d’œuvre abondante, jeune et qualifiée. La contribution de l’IDE à la situation du marché du travail en Tunisie est essentielle pour cette économie où l’informalité et le chômage sont élevés par rapport aux normes internationales, en particulier parmi les jeunes, les femmes, les personnes hautement qualifiées et dans les régions de l’arrière-pays tunisien. Comme dans d’autres pays de la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord (MOAN), telle que la Jordanie, le ralentissement du dynamisme des entreprises, conjugué à des déséquilibres de compétences, a limité les possibilités d’emploi pour une main-d’œuvre tunisienne en augmentation constante et de plus en plus qualifiée. Le secteur public a absorbé un grand nombre de nouveaux diplômés et continue d’offrir des conditions de travail attrayantes, mais limite également la mobilité de la main-d’œuvre du secteur public vers le secteur privé.
En Tunisie, l’IDE a fortement contribué à la création d’emplois et à l’amélioration du niveau de vie et des compétences, mais son impact est inégal au sein de la population et des régions. En 2021, un travailleur du secteur privé sur cinq travaillait dans une entreprise étrangère : 34 % dans le secteur manufacturier et 10 % dans le secteur des services, dont 95 % dans des entreprises étrangères à l’étranger. Les entreprises tunisiennes offshore employaient 22 % des travailleurs des entreprises tunisiennes. Le nombre de travailleurs dans les entreprises étrangères a doublé depuis 2005, mais la grande majorité des emplois se situent dans des professions peu qualifiées, créées par des multinationales qui exportent des composants automobiles, des textiles et des vêtements ainsi que des produits mécaniques et électroniques. Les emplois créés dans le secteur des services dépendent davantage de travailleurs hautement qualifiés, en particulier dans les TIC et les services aux entreprises, scientifiques et techniques, où les entreprises étrangères représentent 24 à 44 % de l’emploi sectoriel. Bien qu’attirant la moitié des flux d’IDE, les emplois créés par l’IDE dans la zone métropolitaine de Tunis (le Grand Tunis) représentent 28 % de l’ensemble des emplois d’IDE contre 34 % pour la région côtière du nord-est.
L’intensité de création d’emplois des investissements greenfield en Tunisie est l’une des plus élevées de la région MOAN (3,6 emplois créés en moyenne pour chaque million de dollars investi) et est nettement supérieure à la moyenne de l’OCDE. Elle a également augmenté au cours de la dernière décennie, en partie sous l’effet d’une réorientation de l’IDE vers des activités d’assemblage à forte intensité de main-d’œuvre dans le secteur des composants électroniques. Même si la majorité des emplois créés le sont dans les activités manufacturières à forte intensité de main-d’œuvre, la création d’emplois grâce aux IDE dans certaines activités de services a également augmenté au cours de la dernière décennie. Les services aux entreprises, la recherche et le développement, les ventes et le marketing, qui sont des activités qui pourraient mieux convenir aux jeunes demandeurs d’emploi hautement qualifiés, ont contribué à 12 % des nouveaux emplois créés par les investissements greenfield au cours de la période 2013-2023, soit deux fois plus qu’entre 2003 et 2012. En revanche, l’intensité de création d’emplois de l’IDE dans le secteur textile a été réduite de moitié, ce qui indique une forte diminution de l’intensité de la main-d’œuvre du secteur en raison des pressions concurrentielles accrues exercées par d’autres marchés émergents où le coût de la main-d’œuvre est plus faible.
Les résultats de l’IDE en matière de création d’emplois en Tunisie ne se sont traduits que partiellement par des améliorations salariales et non salariales, qui sont essentielles pour relever le niveau de vie de la population, notamment celui des femmes. Les entreprises étrangères versent, en moyenne, des salaires à peine plus élevés que les entreprises tunisiennes, bien qu’il existe d’importantes variations entre les secteurs. Malgré les hausses enregistrées ces dernières années, les salaires dans les entreprises industrielles étrangères restent inférieurs à ceux de leurs homologues tunisiennes, les premières exerçant principalement des activités peu qualifiées et peu productives dans les secteurs de l’équipement automobile et de l’électricité-électronique. Des exceptions existent dans des secteurs tels que les minéraux, l’exploitation minière et la réparation de machines. La contribution des entreprises étrangères en matière d’égalité des genres est également mitigé. Dans les entreprises étrangères, les femmes sont majoritaires, mais elles occupent pour la plupart des emplois peu qualifiés. En outre, les entreprises étrangères ne contribuent pas nécessairement à améliorer l’accès des femmes aux postes de direction.
Les entreprises étrangères en Tunisie opèrent sur un marché du travail caractérisé par de grands déséquilibres en matière de compétences. En effet, il existe un décalage entre la demande et l’offre de compétences, ce qui conduit à des inadéquations et à une pénurie de compétences, en partie attribuables au nombre élevé de diplômés universitaires et à la faible création d’emplois pour les personnes hautement qualifiées. Les entreprises étrangères ont peu d’impact sur l’amélioration de ce déséquilibre puisqu’elles opèrent principalement dans des secteurs qui dépendent de travailleurs peu qualifiés. Elles emploient également moins de travailleurs qualifiés que les entreprises étrangères dans d’autres pays. Le secteur des services aux entreprises, qui est un secteur important pour les emplois hautement qualifiés, est susceptible de générer des retombées de compétences, un quart des entreprises étant étrangères. En outre, les entreprises étrangères sont deux fois plus susceptibles d’offrir des formations à leurs employés que les entreprises tunisiennes, ce qui favorise le perfectionnement des compétences.
Orientations de politiques publiques
Aligner la politique et la promotion de l’investissement sur la Vision Tunisie 2035 et sur les plans de développement de l’emploi et des compétences visant à stimuler l’emploi dans le secteur privé et l’ambition de la Tunisie de bâtir une économie du savoir. Ces objectifs impliquent une approche équilibrée concernant l’emploi dans la stratégie de promotion des investissements. En effet, il s’agit de continuer à cibler les secteurs à forte intensité de main-d’œuvre, y compris pour les femmes et en dehors de la région du Grand Tunis, tout en intensifiant les efforts visant à cibler les segments à forte intensité de compétences des chaînes de valeur des secteurs de l’automobile et de l’électronique et des secteurs des services tels que les services aux entreprises et les TIC qui soutiennent la transition numérique de la Tunisie.
Réévaluer les restrictions en matière d’IDE à la lumière d’objectifs de stimulation de la demande de main-d’œuvre dans les secteurs de services créateurs d’emplois et à forte intensité de compétences. Des restrictions à la propriété étrangère existent dans les services aux entreprises, la distribution, les TIC, le tourisme et les transports, secteurs où les IDE ont le potentiel de créer des emplois à la fois pour les demandeurs d’emploi tunisiens peu qualifiés et hautement qualifiés, y compris les femmes. Comme l’indique l’étude économique de l’OCDE : Tunisie 2022, la poursuite de réformes favorables à la concurrence contribuera au dynamisme du secteur privé et la création d’emplois plus nombreux et de meilleures qualités.
Améliorer les efforts de promotion et de facilitation des investissements en se fondant sur le potentiel du marché du travail et les compétences existantes afin de réduire les obstacles à l’information pour les investisseurs. Pour cela, il convient de fournir des informations claires sur les caractéristiques du marché du travail, les réglementations, les programmes de formation existants et les mesures incitatives, ainsi qu’un soutien aux investisseurs pour identifier des fournisseurs respectant les normes du travail. Les incitations fiscales pourraient soutenir la formation par les entreprises, y compris celle des femmes et des fournisseurs locaux. En outre, envisager de mettre en place des programmes de formation pré-emploi pour répondre rapidement aux besoins en compétences de nouveaux investisseurs potentiels ou les aider à mettre en place leurs propres structures de formation.
Mettre en place des mécanismes de suivi et d’évaluation afin d’évaluer efficacement l’impact de l’IDE sur l’emploi et la qualité des emplois et anticiper la pénurie de compétences. Pour ce faire, il est nécessaire de disposer et d’avoir accès à des statistiques représentatives au niveau des entreprises, basées sur le Répertoire national des entreprises, fournissant des informations sur la propriété étrangère, l’emploi par genre, les salaires et les conditions de travail non salariales, et les dépenses de formation. Cela nécessite d’améliorer la coordination entre l’INS, la FIPA et l’APII. Envisager également de faire participer la FIPA et d’autres agences aux exercices d’anticipation des besoins en compétences pour concevoir et mettre en œuvre des programmes d’emploi et de perfectionnement des compétences qui ciblent les besoins en compétences des entreprises étrangères.
3.2. Principaux défis et opportunités pour le marché du travail tunisien
La main-d’œuvre tunisienne est jeune et de plus en plus éduquée, mais le marché du travail est confronté à d’énormes défis. Le taux de chômage est passé de 13 % en 2010 à plus de 16 % au quatrième trimestre de 2023. Il est plus élevé que dans les pays de la région MOAN, à l’exception de la Jordanie (Graphique 3.1, panel A). Le taux de chômage des 15-24 ans a atteint 40 %. Le taux d’activité est similaire à celui des autres pays de la région MOAN, mais reste faible au regard des taux à l’échelle internationale : en 2019, seulement la moitié de la population active occupait un emploi formel ou cherchait un emploi (Graphique 3.1, panel B). Cela est dû à une participation particulièrement faible des femmes au monde du travail : 28 % contre 77 % pour les hommes. Une grande partie de la population occupe un emploi informel (près de 40 % de l'emploi non agricole total) et le taux d'informalité dépasse 65 % de l'emploi total dans les secteurs de l’agriculture, la construction et le commerce de gros et de détail (INS, 2020[1]). Les emplois informels vont souvent de pair avec la précarité de l’emploi, l’absence d’assurance sociale et des salaires bas, contribuant ainsi à la création d’inégalités importantes sur le marché du travail.
3.2.1. Le faible dynamisme des entreprises a limité les possibilités de croissance de l’emploi
Les jeunes et les femmes hautement qualifiés sont confrontés à de grands défis sur le marché du travail. La population tunisienne a connu une croissance constante de 2 % jusqu’au milieu des années 1990, entraînant une expansion rapide de la population active (Boughzala, 2019[4]). Un renforcement de l’accès à l’éducation a amélioré les résultats scolaires des femmes, qui représentent plus de 60 % des diplômés universitaires. La part de la population active titulaire d’un diplôme de l’enseignement supérieur a quadruplé depuis les années 1990, mais la croissance lente et la faible création d’emplois, en particulier pour les travailleurs diplômés et qualifiés, n’ont pas suffi à absorber le nombre croissant de diplômés (OECD, 2022[5]). Parmi les personnes ayant fait des études supérieures appartenant à la tranche d’âge 25-55 ans, 27 % étaient au chômage en 2019, soit près du double de la moyenne nationale. Il s’agit de l’un des taux les plus élevés de la région MOAN (Kthiri, 2019[6]). Le taux de chômage des femmes titulaires d’un diplôme d’études supérieures était encore plus élevé, se situant à 36 %, entravé par les rôles et les normes culturelles liés au genre et la disponibilité limitée de services de garde d’enfants abordables (World Bank, 2022[7]) (Graphique 3.1, panel C). Les possibilités restreintes pour les jeunes sont particulièrement préoccupantes, car les deux tiers des chômeurs ont moins de 30 ans. De plus, 28 % des jeunes n’étaient ni scolarisés ni actifs (dont deux tiers de femmes), une proportion supérieure à celle de nombreuses économies comparables et à la moyenne OCDE de 11 % (Graphique 3.1, panel D).
Malgré des périodes de croissance économique et d’importantes réformes du climat des affaires, la création d’emplois en Tunisie a été faible en raison du dynamisme limité des entreprises et de la croissance de la productivité, ce qui affecte particulièrement les jeunes et les femmes hautement qualifiés (OECD, 2021[8]). Des réglementations administratives coûteuses et anticoncurrentielles, l’incertitude politique et les faibles incitations à investir limitent l’entrée et la sortie d’entreprises sur le marché et donc la réaffectation efficace des ressources (voir Chapitre 2). De nouvelles réformes visant à améliorer la concurrence sur les marchés de produits, associées à une plus grande flexibilité du marché du travail, contribueraient à améliorer le dynamisme entrepreneurial et à créer des emplois formels (Belgacem et Vacher, 2023[9]). De nombreuses entreprises tunisiennes sont de petites entreprises, souvent des micro-entreprises, qui offrent des emplois peu qualifiés et peu rémunérés. De plus, le marché du travail manque d’emplois de qualité pour répondre aux exigences des travailleurs hautement qualifiés, toujours plus nombreux (Boughzala, 2019[4]). Le nombre croissant de diplômés de l’enseignement supérieur et le manque de possibilités d’emploi adéquates exacerbent les déséquilibres existants en matière de compétences sur le marché du travail.
3.2.2. La création d’emplois est inégale selon les secteurs et les régions
En Tunisie, bon nombre des emplois sont concentrés dans des secteurs à faible productivité nécessitant un personnel peu qualifié. Le secteur des services est le principal employeur, avec plus d’un quart des emplois dans les transports, la réparation, le tourisme ou le commerce de détail (Graphique 3.2). Le commerce de détail et le secteur de la construction sont les principaux moteurs de la croissance de l’emploi depuis 2007 (OECD, 2022[5]). Le secteur bancaire et des assurances, plus productif, ne représente que 2 % de l’emploi dans les services et 1 % de l’emploi total. Les emplois manufacturiers dans les secteurs du textile, de la mécanique et de l’électricité, et de l’agroalimentaire représentent les trois quarts de l’ensemble des emplois manufacturiers (Graphique 3.2). Ces secteurs, bien qu’importants pour l’emploi, dépendent principalement d’emplois exigeant des niveaux de qualification intermédiaires ou de base et offrent des salaires modestes. La croissance de l’emploi dans les industries mécaniques et électriques a été le principal facteur de croissance de l’emploi dans le secteur manufacturier depuis 2007, tandis que l’importance du secteur du textile a diminué.
Malgré une croissance limitée de la productivité, le secteur public s’est développé au cours de la dernière décennie grâce à l’expansion des embauches et aux augmentations de salaire. L’emploi dans le secteur public représente environ un cinquième de l’emploi total et attire des jeunes et des femmes hautement qualifiés. L’administration publique a absorbé la plupart des diplômés universitaires depuis 2007 et a contribué de manière significative à la croissance globale de l’emploi (OECD, 2022[5]). Alors que les emplois dans le secteur public n’offrent pas nécessairement de meilleurs salaires de départ aux jeunes diplômés, beaucoup d’entre eux trouvent ces emplois attrayants en raison des avantages supplémentaires qu’ils offrent tels que la sécurité de l’emploi, les augmentations de salaire garanties, les longs congés maternité ou les horaires de travail flexibles (World Bank, 2022[7]).
Le développement inégal du secteur privé entre les régions a également contribué à la création de disparités sur le marché du travail, le taux de chômage s’élevant à moins de 10 % dans certains gouvernorats côtiers à près de 30 % dans certaines régions du sud et de l’ouest. Les régions montagneuses et rurales de l’ouest et du sud sont confrontées à des possibilités limitées d’emploi non agricole, en particulier pour les travailleurs qualifiés (Boughzala et Hamdi, 2014[11]). Les régions côtières du nord-est et du centre-est ont traditionnellement attiré des activités économiques à forte intensité de main-d’œuvre grâce à leur emplacement stratégique pour les exportations maritimes, aux investissements dans les infrastructures et au développement de pôles industriels. Même si cela a contribué à réduire le chômage, les employeurs ont encore du mal à trouver une main-d’œuvre adéquate dans de nombreux secteurs en raison de la mobilité limitée de la main-d’œuvre entre les régions, liée à des facteurs structurels et culturels (OECD, 2022[5]).
3.3. La contribution de l’IDE à l’emploi
3.3.1. Les entreprises étrangères emploient un travailleur sur cinq dans le secteur privé
La libéralisation du commerce et de l’investissement, la création du « régime offshore » et une main-d’œuvre compétitive et abondante ont contribué à attirer les IDE, avec des conséquences majeures sur la dynamique des entreprises et de l’emploi. La part de l’emploi dans les entreprises étrangères a augmenté, passant de 13 % de l’emploi dans le secteur privé formel en 2005 à 21 % en 2021 (Graphique 3.3, panel A). Cette part est similaire à la moyenne de l’OCDE, mais inférieure à celle de certaines petites économies ouvertes comme la République tchèque, la Slovaquie ou l’Irlande (Graphique 3.3, panel B). En valeur absolue, l’emploi du secteur privé dans les entreprises étrangères a doublé entre 2005 et 2021, tandis que l’emploi dans les entreprises tunisiennes a augmenté de 20 %. Plus de 200 000 travailleurs étaient employés dans des entreprises étrangères en 2021, dans l’ensemble des secteurs économiques.
La présence étrangère est importante dans le secteur manufacturier, avec 34 % des emplois du secteur privé dans des entreprises étrangères en 2022, contrairement aux services où cette part était de 10 % (Graphique 3.3, panel A). Dans certains secteurs manufacturiers qui ont attiré de grandes quantités d’IDE, les entreprises étrangères représentent au moins 45 % de l’emploi, à savoir les composants automobiles, le cuir et les chaussures, ainsi que la mécanique et l’électronique (Graphique 3.3, panel C). Conjointement, ces secteurs représentent environ 15 % de l’emploi total dans le secteur privé et 31 % de l’emploi dans le secteur manufacturier. La contribution des fabricants étrangers à l’emploi dans l’industrie alimentaire est faible alors que le secteur crée de nombreux emplois. Le secteur alimentaire est fortement réglementé et compte une grande présence d’entreprises publiques (World Bank, 2014[14]). Dans le secteur des services, la présence des entreprises étrangères est la plus importante dans les TIC, les services de soutien aux entreprises et les services scientifiques et techniques, où elles représentent 24 à 44 % de l’emploi sectoriel (INS, 2022[15]). De manière générale, les secteurs des services sont plus restrictifs à l’égard de l’IDE que l’industrie manufacturière. Par exemple, les entreprises étrangères représentent environ 1 % de l’emploi dans les secteurs des transports et du stockage, du tourisme, de l’éducation et de la santé.
La majorité des fabricants étrangers opèrent sous le régime offshore, ce qui signifie qu’ils exportent presque toute leur production (voir Chapitre 2 pour une analyse plus approfondie du lien entre les IDE et le régime offshore en Tunisie). En 2021, au sein du groupe des entreprises étrangères, celles du secteur offshore employaient 95 % des travailleurs tout en représentant 79 % du groupe, un contraste frappant avec les entreprises offshore tunisiennes qui employaient 22 % des travailleurs des entreprises tunisiennes (Graphique 3.4). Les entreprises offshore jouent un rôle essentiel dans l’évolution du marché du travail en Tunisie, offrant près de 40 % de l’emploi total du secteur privé en 2021, bien qu’elles ne représentent que 4 % de l’ensemble des entreprises. Cet écart met en évidence les liens importants et les dépendances potentielles créés par le régime offshore entre le commerce, l’investissement et les possibilités d’emploi en Tunisie. La forte concentration de l’emploi dans les entreprises offshore rend les emplois plus vulnérables aux turbulences commerciales et économiques mondiales.
3.3.2. La création d’emplois liée à l’IDE varie fortement d’un secteur à l’autre et d’une région à l’autre
Au cours de la dernière décennie, les emplois créés par l’IDE se sont concentrés dans le secteur manufacturier. Sur l’ensemble des nouveaux emplois créés grâce à l’IDE entre 2013 et 2022, à l’exclusion du secteur de l’énergie, plus de 90 % d’entre eux ont été créés dans l’industrie manufacturière et 6,5 % dans le secteur des services. Les entreprises tunisiennes ont connu la tendance inverse. De plus, deux secteurs manufacturiers, l’électronique et le textile et l’habillement ont créé la moitié de tous les emplois (Graphique 3.5). Un tiers des emplois créés grâce à l’IDE au cours de cette période concernaient uniquement le secteur de l’électronique. Cette constatation illustre l’évolution de la répartition sectorielle de l’IDE en Tunisie et le passage à des activités manufacturières à plus forte intensité de main-d’œuvre.
La contribution de l’IDE à l’emploi n’est pas partagée équitablement entre les régions et reflète les grandes disparités régionales en matière d’investissement étranger, comme c’est le cas dans d’autres pays (OECD, 2022[17]). Toutefois, d’un point de vue géographique, cette contribution à l’emploi est répartie plus équitablement que l’IDE lui-même. Le gouvernorat de Tunis a attiré 31 % des flux d’IDE entre 2013 et 2022 et l’aire métropolitaine de Tunis (le Grand Tunis) plus de la moitié des flux d’IDE (Graphique 3.6, panel A). Parallèlement, la part des emplois créés par l’IDE était de 9 % dans le gouvernorat de Tunis et de 28 % dans le Grand Tunis (Graphique 3.6, panel B). Les projets étrangers dans l’agglomération de Tunis sont davantage axés sur les services et, par conséquent, nécessitent moins de main-d’œuvre que dans les régions où l’activité manufacturière est plus forte. La plupart des entreprises étrangères sont situées dans la région du Grand Tunis, ce qui aurait pu avoir des retombées positives sur la création d’emplois dans les régions voisines. Des études antérieures sur la Tunisie ont mis en évidence des effets d’agglomération où les entrées d’IDE dans une région créent des retombées positives dans les régions voisines (Bouzid et Toumi, 2020[18]). Toutefois, ce ne sont pas les gouvernorats du sud, où le chômage est le plus élevé, qui ont le plus bénéficié de l’IDE. Les régions côtières du nord-est et du centre-est représentaient respectivement 34 % et 25 % des emplois créés par l’IDE entre 2013 et 2022. L’accès aux ports et à un bon réseau routier s’est avéré essentiel pour attirer des IDE manufacturiers créateurs d’emplois et orientés vers l’exportation dans les secteurs textile et automobile tunisiens.
3.3.3. L’intensité de la création d’emplois des IDE greenfield a augmenté au cours de la dernière décennie
L’emploi provenant de l’IDE en Tunisie reflète intrinsèquement l’ampleur de l’investissement étranger au niveau national et sa répartition entre les secteurs. C’est aussi la conséquence de l’intensité de l’IDE en matière de création d’emplois qui donne une indication de l’impact de l’IDE sur l’emploi dans le pays hôte. D’un point de vue des politiques d’investissement, les agences de promotion de l’investissement, y compris la FIPA, utilisent d’importantes ressources pour attirer les IDE greenfield dans l’espoir de créer de nombreux emplois (OECD, 2021[8]). En Tunisie, chaque million de dollars américains d’IDE greenfield annoncé entre 2003 et 2022 devrait avoir créé 3,6 emplois directs en moyenne, soit deux fois la moyenne de la région MOAN et nettement au-dessus de la moyenne de l’OCDE (Graphique 3.7). L’intensité de la création d’emplois a augmenté au cours des dix dernières années par rapport à la période 2003-2012, l’IDE s’étant détourné de l’extraction minière à forte intensité de capital au profit d’activités manufacturières à forte intensité de main-d’œuvre. Toutefois, cet impact reste plus faible que dans d’autres petites économies ouvertes telles que le Costa Rica, la Lituanie et la Slovaquie.
La forte intensité de création d’emplois de l’IDE en Tunisie repose sur quelques activités à forte intensité de main-d’œuvre, ce qui indique que des changements mineurs dans la répartition des IDE peuvent avoir un impact important sur les perspectives de création d’emplois. Entre 2013 et 2022, les secteurs qui ont attiré le plus d’IDE n’étaient pas nécessairement ceux où la création d’emplois était la plus importante. Les secteurs de l’énergie, qui est exclu des statistiques de la FIPA, de l’immobilier, de l’hôtellerie et du tourisme représentaient conjointement les deux tiers des IDE, mais seulement 18 % des emplois créés par l’IDE (Graphique 3.8, panels A et B). Les IDE dans les industries du textile et de l’automobile ont créé près de 40 % des emplois, bien qu’elles n’attirent que 6 % de celui-ci. Cela illustre des différences frappantes entre les secteurs, qui varie de 0,25 emploi par million de dollars américains investi dans l’énergie fossile à 38 emplois dans le secteur des machines et équipements d’entreprise. Les IDE greenfield dans le textile et l’électronique ont créé au moins 30 nouveaux emplois par million de dollars américains et ont été une source importante de création d’emplois en Tunisie (Graphique 3.8, panel C).
L’intensité de la création d’emplois de l’IDE en Tunisie a même augmenté au cours des dix dernières années, indiquant un changement structurel dans la composition de l’investissement étranger à la fois entre et au sein des secteurs, c’est-à-dire dans le type d’activité. L’intensité de l’emploi peut augmenter soit par une plus grande intensité de la main-d’œuvre des activités dans les secteurs, soit par une augmentation des IDE vers les secteurs à forte intensité de main-d’œuvre. Au sein des secteurs, alors que les changements dans l’intensité de la création d’emplois de l’IDE ont été limités dans de nombreux secteurs attirant de grandes parts de l’IDE entre 2003 et 2012 et entre 2013 et 2022, un changement s’est produit au sein de ceux où l’intensité d’emploi est la plus forte (Graphique 3.9). Le secteur des composants électroniques et celui de l’électronique grand public ont été les deux secteurs où l’intensité de création d’emplois était la plus élevée entre 2013 et 2022, chacun ayant presque doublé son intensité de création d’emplois par rapport à la décennie précédente, ce qui laisse supposer une augmentation des activités à forte intensité de main-d’œuvre dans ces secteurs. D’autre part, l’intensité de création d’emplois dans le secteur textile a été réduite de moitié, ce qui indique une intensité de main-d’œuvre nettement plus faible, le secteur étant confronté à des pressions concurrentielles croissantes de la part d’autres marchés émergents (Ministère de l’Industrie, 2022[20]).
L’évolution sectorielle de l’IDE greenfield est liée à l’évolution du type d’activité des projets d’IDE entre 2003 et 2012 et 2013 et 2023. Alors que les activités manufacturières et de construction représentaient 80 % de toutes les activités liées aux IDE au cours des deux périodes, leur part relative a considérablement évolué (Graphique 3.10, panels A et B). L’importance de la construction a considérablement diminué en raison d’une baisse des IDE dans le secteur immobilier, tandis que la part des emplois provenant des activités manufacturières a augmenté en raison d’une forte hausse de la création d’emplois liés aux IDE dans le secteur de l’électronique. L’industrie manufacturière a également été une activité clé, voire la plus importante, dans les secteurs de l’automobile et du textile (Graphique 3.10, panels C et D). Cette situation est typique des pays qui reçoivent des IDE à forte intensité de main-d’œuvre, des schémas similaires ayant été observés dans les pays comparables (OECD, 2021[8]).
L’importance des activités de services a également augmenté. Les services aux entreprises, la recherche et le développement et les activités de vente et de marketing ont contribué à 12 % des nouveaux emplois créés par l’IDE greenfield sur la période 2013-2023, contre 6 % au cours de la période précédente (Graphique 3.10, panels A et B). La R&D a joué un rôle prépondérant dans le secteur des logiciels et des services informatiques, où elle a contribué à hauteur de 54 % des nouveaux emplois créés grâce aux IDE (Graphique 3.10, panel E). Dans le même temps, cette conjoncture est due à la présence d’un projet d’IDE à forte intensité d’emplois et ne définit pas nécessairement une tendance dans le secteur.
3.4. La contribution de l’IDE à la qualité de l’emploi et à l’égalité des genres
Au-delà de la création d'emplois, les IDE influencent également les conditions de travail salariales et non salariales, notamment la stabilité de l'emploi, la sécurité et les conditions d'emploi, ainsi que les résultats en matière de genre sur le marché du travail (OECD, 2022[21])). Les entreprises étrangères influencent également les relations entre employeurs et travailleurs. En tant qu'adhérentes aux Principes directeurs de l'OCDE à l'intention des entreprises multinationales, les autorités tunisiennes sont tenues de promouvoir les Principes directeurs et de faire preuve de diligence raisonnable à cet égard. Les Principes directeurs contiennent plusieurs clauses relatives aux droits des travailleurs, aux relations professionnelles et à la sécurité des travailleurs (Encadré 3.1). D'une manière générale, les institutions du marché du travail sont essentielles pour garantir que les IDE ne contribuent pas à la détérioration des conditions de travail. La négociation collective et les dispositifs permettant aux travailleurs de s'exprimer peuvent en particulier contribuer à ce que les travailleurs bénéficient des IDE en favorisant les solutions collectives aux problèmes et conflits émergents (OECD, 2022[21]). Cette section se concentre sur la contribution de l'IDE aux résultats en matière de salaires et de genre.
Encadré 3.1. Principes directeurs de l'OCDE à l'intention des entreprises multinationales : Emploi et relations professionnelles
Les entreprises multinationales devraient, dans le cadre de la législation, de la réglementation et des relations de travail et pratiques d'emploi en vigueur, ainsi que des normes internationales du travail applicables :
Respecter le droit des travailleurs employés par l'entreprise multinationale de créer des syndicats et des organisations représentatives de leur choix ou de s'y affilier.
Observer des normes en matière d'emploi et de relations professionnelles qui ne soient pas moins favorables que celles observées par des employeurs comparables dans le pays d'accueil. En l'absence d'employeurs comparables, offrir les meilleurs salaires et conditions de travail possibles, dans le cadre des politiques gouvernementales.
Dans toute la mesure du possible, employer des travailleurs locaux et assurer leur formation, en coopération avec les représentants des travailleurs et, le cas échéant, les autorités gouvernementales compétentes.
Prendre des mesures adéquates pour garantir la santé et la sécurité au travail dans le cadre de leurs activités.
Lorsqu'ils envisagent d'apporter à leurs activités des changements susceptibles d'avoir des répercussions majeures sur l'emploi, ils en informent dans un délai raisonnable les représentants des travailleurs et, le cas échéant, les autorités gouvernementales compétentes, et coopèrent afin d'atténuer les effets négatifs possibles.
Dans le cadre de négociations de bonne foi avec les représentants des travailleurs sur les conditions d'emploi, ou lorsque les travailleurs exercent leur droit syndical, ne pas menacer de transférer des activités afin d'influencer injustement ces négociations ou d'entraver l'exercice d'un droit syndical.
Le guide présente des moyens pratiques pour aider les entreprises à éviter les impacts négatifs potentiels de leurs activités et de leurs chaînes d'approvisionnement. Il vise à soutenir les efforts politiques visant à renforcer la confiance entre les entreprises et les sociétés dans lesquelles elles opèrent, et complète les recommandations de diligence raisonnable contenues dans les principes directeurs des Nations unies relatifs aux entreprises et aux droits de l'homme et dans la déclaration de l'OIT relative aux principes et droits fondamentaux au travail.
Source OECD (2023[22]) , Principes directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprises multinationales sur la conduite responsable des entreprises, OECD Publishing, Paris, https://doi.org/10.1787/0e8d35b5-fr.
3.4.1. Les entreprises étrangères versent des salaires de plus en plus élevés que les entreprises tunisiennes dans le secteur des services
La performance économique de la Tunisie au cours des deux dernières décennies n’a pas été accompagnée d’une forte amélioration des salaires, essentielle pour améliorer le niveau de vie de la population. Bien que les salaires horaires augmentent à un taux moyen de plus de 5 % depuis 2000, les revenus moyens en Tunisie sont bien inférieurs à ceux des pays de l’OCDE et des pays non-membres de l’OCDE (Graphique 3.11, panel A). Le salaire minimum mensuel dans les secteurs non agricoles (salaire minimum interprofessionnel garanti) était de 390 dinars tunisiens (environ 125 dollars américains) en 2022, un niveau faible au regard des normes internationales. Les salaires varient d’un secteur à l’autre, les revenus les plus élevés étant dans les secteurs de la finance, de l’exploitation minière et des services de TIC, résultant de la valeur ajoutée et de la productivité plus élevées de ces secteurs (voir Chapitre 2) (Graphique 3.11, panel B). Les revenus dans le secteur manufacturier sont inférieurs à la moyenne nationale, car les emplois dans ce secteur en Tunisie ne nécessitent généralement pas un niveau de compétences élevé. Des salaires compétitifs, conjugués à un marché du travail en expansion et à la proximité des marchés européens, ont été des facteurs importants de l’attrait de l’IDE en Tunisie.
L’augmentation des IDE en Tunisie a contribué à améliorer les conditions de travail, notamment grâce à l’augmentation des salaires, bien que les avantages aient varié d’un secteur à l’autre et n’aient peut-être pas été ressentis par l’ensemble de la population. Les effets positifs de l’IDE pourraient ne pas se matérialiser si, par exemple, des entreprises étrangères adoptent des pratiques commerciales irresponsables ou éloignent les travailleurs qualifiés des entreprises tunisiennes (OECD, 2022[21]). Comme les entreprises étrangères sont souvent plus grandes et plus productives, elles offrent généralement de meilleurs salaires, mais la mesure dans laquelle ce résultat se concrétise dépend largement du secteur dans lequel les entreprises opèrent (OECD, 2019[24]). Par exemple, les entreprises opérant dans des secteurs manufacturiers à faible valeur ajoutée qui dépendent de travailleurs peu qualifiés disposent d’une marge de manœuvre moins importante pour offrir de meilleurs salaires que les entreprises des industries manufacturières du secteur de la haute technologie. Cependant, une dispersion excessive des salaires entre les entreprises étrangères et locales peut également conduire à une augmentation des inégalités salariales. Comme la Tunisie attire fortement les IDE dans les secteurs ou activités manufacturiers à faible valeur ajoutée, l’impact à l’échelle de l’économie a été limité.
La prime salariale étrangère, qui mesure le salaire moyen par travailleur dans les entreprises étrangères par rapport aux entreprises tunisiennes, a augmenté depuis 2010, bien que partie de niveaux négatifs. Les salaires moyens dans les entreprises étrangères étaient plus faibles dans le passé, mais les augmentations enregistrées ces dernières années ont conduit la prime salariale à devenir positive en 2020 (Graphique 3.12, panel A). En 2022, les salaires dans les entreprises étrangères étaient en moyenne 3 % plus élevés que dans les entreprises tunisiennes. Il existe néanmoins un écart important entre les salaires dans les secteurs manufacturier et tertiaire. Ce dernier a connu une augmentation significative après 2017, la prime salariale étrangère ayant doublé entre 2010 et 2022. En 2022, les entreprises étrangères offraient des salaires de près de 60 % plus élevés que les entreprises tunisiennes dans les services, grâce à l'augmentation des primes salariales étrangères dans les services aux entreprises, les activités professionnelles et scientifiques et le secteur de la réparation d'ordinateurs.
Les secteurs des services dans lesquels les entreprises étrangères versent des salaires plus élevés que les entreprises tunisiennes comprennent la réparation d’ordinateurs et de machines, ainsi que le commerce de gros et de détail (Graphique 3.12, panel B). Dans ces secteurs, les entreprises étrangères ont offert des salaires au moins deux fois plus élevés que ceux des entreprises tunisiennes sur la période 2010-2022. La réparation des ordinateurs est le secteur où la prime salariale étrangère est la plus élevée (310 %), mais dans lequel seulement 1 % des entreprises sont étrangères. Cela suggère qu’il existe quelques grandes entreprises étrangères qui versent des salaires élevés, alors que de nombreuses entreprises tunisiennes sont probablement de petites micro-entreprises offrant des salaires relativement bas. En outre, les entreprises étrangères affichent des primes salariales positives dans deux secteurs de services où elles sont fortement présentes : les services TIC et les services de soutien aux entreprises, qui représentent ensemble près d’un tiers de la masse salariale totale à l’étranger et ont contribué à l’augmentation rapide de la prime salariale étrangère dans les services. Ces secteurs ont tendance à être plus intensifs en compétences. Par conséquent, la prime salariale étrangère peut en partie refléter une prime en termes de compétences.
Dans le secteur manufacturier, malgré de légères augmentations ces dernières années, les salaires dans les entreprises étrangères sont, en moyenne, inférieurs à ceux des entreprises tunisiennes (Graphique 3.12, panel A). Certains secteurs clés affichent une prime salariale étrangère négative, notamment dans les secteurs de l’agroalimentaire, des produits chimiques et pharmaceutiques, de l’équipement automobile, de la mécanique et de l’électronique (Graphique 3.12, panel B). Les entreprises étrangères peuvent être incitées à investir dans les secteurs manufacturiers tunisiens en raison des coûts de main-d’œuvre relativement bas et n’auraient donc pas la motivation ou la marge nécessaire pour améliorer les conditions salariales de leurs travailleurs. Cela reflète également la productivité du travail plus faible des entreprises étrangères dans les secteurs manufacturiers par rapport à celles des entreprises tunisiennes, tels que dans les secteurs de l’automobile et de l’électronique (voir Chapitre 2). Parallèlement, les secteurs minier, métallurgique et de la réparation de machines ont affiché de fortes primes salariales étrangères en 2022, illustrant la valeur ajoutée plus élevée des activités dans ces secteurs. Néanmoins, ces secteurs ne représentent qu’une faible part de l’activité des entreprises étrangères et n’ont guère contribué à la prime salariale globale. Les différences importantes entre les primes salariales étrangères d’un secteur à l’autre suggèrent que les entreprises étrangères sont motivées par la compétitivité des coûts pour investir dans un secteur particulier.
La prime salariale étrangère en Tunisie est faible par rapport à la moyenne de l’OCDE et à certaines économies comparables. Des données comparables dans certains pays, qui couvrent principalement l’industrie manufacturière, montrent que, dans de nombreux pays, les entreprises étrangères versent des salaires plus élevés que les entreprises tunisiennes (Graphique 3.13). Cependant, en Tunisie, la prime salariale étrangère était d’environ 0, tandis que dans les pays de l’OCDE, les salaires des entreprises étrangères du secteur manufacturier sont en moyenne 40 % plus élevés que dans les entreprises locales. Cet indicateur diffère légèrement des données de la figure 3.12, en raison des différences de couverture sectorielle entre les bases de données. Il traduit le fait que les entreprises étrangères en Tunisie, comme en Jordanie ou en Thaïlande, ne sont pas beaucoup plus productives que les entreprises tunisiennes ou peuvent être concentrées dans des secteurs où les coûts de main-d’œuvre sont plus compétitifs.
3.4.2. Les entreprises étrangères paient des salaires plus élevés dans les secteurs où elles sont également plus productives
Malgré des tendances différentes dans la performance des entreprises étrangères en matière de productivité (Chapitre 2) et des salaires, il existe une corrélation positive au niveau sectoriel. Considérant la période 2010-2022, les secteurs où la performance en matière de productivité du travail est plus élevée sont plus susceptibles d’offrir des salaires plus élevés que les entreprises tunisiennes (Graphique 3.14). Cela montre que les améliorations de la productivité du travail sont un catalyseur important pour de meilleurs salaires, étant donné que les entreprises étrangères sont généralement plus grandes, plus avancées sur le plan technologique et qu'elles embauchent des travailleurs plus qualifiés (OECD, 2019[24]). Notamment, dans un secteur où les entreprises étrangères sont deux fois plus productives que les entreprises tunisiennes, ces entreprises versent en moyenne des salaires supérieurs de 70 %.
L’amélioration de la productivité est un catalyseur important pour de meilleurs salaires, mais seulement dans une certaine mesure. Les secteurs où cette relation est la plus importante comprennent les services financiers, l’exploitation minière, les minéraux et les métaux, les activités scientifiques et techniques et d’autres services personnels. Dans le même temps, il existe des exceptions notables, par exemple, dans le commerce de détail, il n’existe pas de prime de productivité du travail étrangère alors que les entreprises étrangères offrent des salaires 200 % plus élevés en moyenne. Inversement, alors que les entreprises étrangères du commerce de gros sont trois fois plus productives que les entreprises tunisiennes en moyenne, cela se traduit par une augmentation des salaires de 90 %. Les chiffres dans ces secteurs sont susceptibles de présenter des anomalies et doivent être interprétés avec prudence.
3.4.3. Les entreprises étrangères emploient plus de femmes que les entreprises tunisiennes, mais pas à des postes de direction
L’IDE peut également contribuer à améliorer l’intégration économique des femmes grâce à l'augmentation de leur participation au marché du travail, ce qui pourrait être important dans des pays comme la Tunisie où cette participation est relativement faible. Les femmes tunisiennes sont employées dans tous les secteurs de l’économie, mais elles ont une forte tendance à travailler dans l’agriculture, les services publics, ainsi que dans le textile et l’industrie électrique et électronique (Boughzala, 2019[4]), deux secteurs manufacturiers dotés d’une forte présence d’entreprises étrangères. L’emploi des femmes dans les secteurs manufacturiers est relativement élevé en Tunisie par rapport aux autres pays de la région MOAN et de l’OCDE, et il est encore plus élevé parmi les entreprises étrangères (Graphique 3.15, panel A). Les femmes représentent en moyenne 58 % des travailleurs dans les entreprises étrangères, contre 37 % dans les entreprises tunisiennes, car les IDE sont de plus en plus orientés vers des secteurs où l’emploi féminin est traditionnellement plus élevé. D’autre part, les entreprises tunisiennes se concentrent davantage dans les secteurs des services tels que le commerce de détail et les transports, où l’emploi masculin est plus répandu (Boughzala, 2019[4]).
Malgré la forte proportion de femmes employées, ces dernières atteignent peu des postes de direction en Tunisie, comme dans d’autres pays de la région MOAN. Seulement 10 % des entreprises comptent un cadre supérieur féminin, ce pourcentage étant légèrement plus élevé dans les entreprises tunisiennes (Graphique 3.15, panel B). Les résultats varient d’un pays à l’autre, la proportion d’entreprises ayant des femmes dirigeantes variant de 2 % en Jordanie à 65 % en Thaïlande. En Tunisie, la participation des femmes au marché du travail semble encore devoir surmonter certains obstacles, également présents dans les entreprises étrangères. Néanmoins, il est de plus en plus fréquent que les femmes participent à la propriété de l’entreprise. La participation des femmes à la propriété est une caractéristique de 40 % des entreprises tunisiennes et de 36 % des entreprises étrangères, des données similaires à la moyenne de l’OCDE et nettement supérieures aux autres pays de la région MOAN (Graphique 3.15, panel C).
3.5. La contribution de l’IDE au développement des compétences
3.5.1. La main-d’œuvre tunisienne occupe principalement des emplois peu qualifiés
Malgré une économie diversifiée, la plupart des emplois en Tunisie se trouvent dans des secteurs à faible productivité et principalement dans des professions où le niveau de qualification exigé est bas. Ceci résulte en partie des politiques économiques passées visant à attirer des activités à faible valeur ajoutée fondées sur des coûts de main-d’œuvre compétitifs, telles que le textile, l’électronique, la vente au détail et la construction (OECD, 2022[5]). Dans ces secteurs, qui représentaient 43 % de l’emploi privé en 2022, la part des emplois peu qualifiés (cols bleus et blancs) variait de près de 60 % à plus de 80 % (Graphique 3.16). Seuls quelques secteurs affichent un taux de travailleurs qualifiés dépassant 50 %, notamment les secteurs de l’éducation, de la santé et de l’administration publique, qui attirent la majorité des diplômés universitaires tunisiens et ont été un moteur important de la croissance de l’emploi qualifié. Le secteur bancaire et des assurances ainsi que les services aux entreprises sont les autres principales sources d’emplois hautement qualifiés, représentant 10 % de l’emploi privé.
La présence de main-d’œuvre moins qualifiée est plus élevée dans les secteurs qui créent la plupart des emplois liés à l’IDE. Les secteurs du textile et du cuir ainsi que celui de l’électricité et de l’électronique représentent 60 % de l’ensemble des nouveaux emplois créés par l’IDE entre 2013 et 2022 et la moitié de l’emploi dans les entreprises étrangères en 2022, mais en tant qu’industries à faible valeur ajoutée, ils sont dominés par des cols bleus peu qualifiés (Graphique 3.17). Une grande partie des activités de ces secteurs reposent sur des emplois d’assemblage qui requièrent des compétences de base. De même, dans le secteur minier, où une entreprise sur quatre est étrangère, 67 % des emplois nécessitent peu de qualifications. Tout en attirant 10 % des IDE au cours de la période 2013-2022, le secteur des services financiers à forte intensité de compétences n’a pas été un moteur de la croissance de l’emploi, ayant contribué à moins de 1 % des nouveaux emplois créés grâce aux IDE (Graphique 3.5). Le secteur des services aux entreprises est un autre secteur important pour les emplois hautement qualifiés, étant donné qu’un quart des entreprises de ce secteur sont étrangères. Il peut donc générer des retombées de compétences. En outre, l’IDE étant de plus en plus concentré dans des activités à plus forte valeur ajoutée, il pourrait améliorer la demande de travailleurs qualifiés dans certains secteurs, en particulier dans l’électronique.
La prédominance des offres pour des emplois peu qualifiés et le nombre élevé de diplômés chaque année entraînent une inadéquation des compétences sur le marché du travail tunisien. Celle-ci se produit lorsque les entreprises peinent à trouver des employés possédant les compétences appropriées alors que les demandeurs d’emploi ne trouvent pas d’emploi correspondant à leur niveau de qualification ou d’études. Cela peut être dû soit au fait que les entreprises exigent des compétences avancées insuffisantes parmi les travailleurs, soit au contraire que les demandeurs d’emploi potentiels sont surqualifiés pour le type d’emplois disponibles sur le marché. Ces disparités entraînent non seulement une hausse du chômage, mais également une baisse de la satisfaction au travail. L’inefficacité de la répartition de la main-d’œuvre est également associée à une baisse de la productivité du travail (Adalet McGowan et Andrews, 2015[26]).
En Tunisie, le problème de la surqualification de la main-d’œuvre est plus fréquent que dans les autres pays de la région MOAN, entraînant des postes vacants malgré un chômage élevé chez les jeunes (OECD, 2022[27]). Dans ce même pays, la surqualification dans le monde du travail est fortement corrélée à l’âge, les travailleurs les plus jeunes étant les plus touchés (Kthiri, 2019[6]). Malgré une croissance rapide de la main-d’œuvre qualifiée, en particulier des femmes, la création d’emplois pour ce groupe a été limitée. Au cours de la période 2011-2017, le nombre total de diplômés universitaires a dépassé de 25 % la création totale d’emplois et a été six fois plus élevé que les nouveaux emplois dans les professions à haut niveau de qualification (World Bank, 2022[7]). En raison du manque d’opportunités, de nombreux jeunes préfèrent rester au chômage et attendre un emploi public stable et bien rémunéré, émigrer à l’étranger, voire quitter le marché du travail, comme c’est souvent le cas des femmes (Boughzala, 2019[4]). De plus, la mobilité limitée de la main-d’œuvre des régions défavorisées vers celles qui offrent davantage de possibilités d’emploi contribue davantage à l’inadéquation du marché du travail.
En raison des déséquilibres structurels en matière de compétences, un plus grand nombre d’entreprises en Tunisie que dans les autres pays de la région MOAN et des pays comparables ont du mal à embaucher des travailleurs suffisamment formés. Près de 40 % des entreprises considèrent la main-d’œuvre insuffisamment qualifiée comme une contrainte majeure (contre une moyenne de 20 % dans la région MOAN), le problème étant encore plus prononcé au sein des entreprises étrangères (Graphique 3.18). Pas moins de 44 % des entreprises étrangères considèrent une main-d’œuvre insuffisamment qualifiée comme une contrainte majeure, contre 34 % des entreprises tunisiennes. Ce pourcentage a augmenté au cours de la dernière décennie. En 2013, il était de 34 % pour les entreprises étrangères et de 28 % pour les entreprises tunisiennes (World Bank, 2024[25]). Les secteurs dans lesquels les employeurs sont les plus susceptibles d’avoir des difficultés à trouver une main-d’œuvre suffisamment qualifiée sont ceux du textile et du cuir, de la construction et de l’hôtellerie et des TIC, où une forte proportion d’entreprises étrangères est également présente (ITCEQ, 2018[28]). Si l’inadéquation de compétences est la principale raison des contraintes de recrutement en Tunisie, d’autres facteurs ont été identifiés par les entreprises en Tunisie, notamment les attentes salariales élevées et les distances géographiques (Boughzala, 2019[4]).
L’IDE peut constituer un canal important pour le développement des compétences, même lorsque la plupart des emplois sont concentrés dans des secteurs demandant peu de qualifications. Les entreprises étrangères peuvent contribuer à accroître l’offre globale de compétences, car elles sont généralement plus susceptibles d’offrir des emplois qualifiés et une formation que leurs homologues locaux (OECD, 2019[24]). En Tunisie, l’emploi de travailleurs qualifiés est relativement faible, avec seulement 50 % des employeurs embauchant des travailleurs qualifiés, contre 76 % dans les pays de l’OCDE et 73 % dans les pays de la région MOAN (Graphique 3.19, panel A). Néanmoins, l’IDE dans les secteurs à faible intensité de compétences peut encore apporter des retombées positives si les entreprises offrent à leurs travailleurs une mise à niveau des compétences, permettant d’améliorer l’intensité globale des compétences de la main-d’œuvre. C’est le cas de la Tunisie où les entreprises étrangères sont deux fois plus susceptibles d’offrir une formation à leurs salariés, avec 38 % des entreprises étrangères qui dispensent une formation formelle contre 19 % des entreprises tunisiennes (Graphique 3.19, panel B). Bien que ce taux soit inférieur à celui observé dans des pays comparables de l’OCDE, la part des entreprises étrangères dispensant des formations est bien plus importante en Tunisie que dans d’autres économies de la région MOAN.
Références
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