Les institutions nationales et infranationales jouent un rôle fondamental dans l’utilisation des terres. Pour que l’action touchant aux différentes dimensions de la sphère de l’utilisation des terres, de la biodiversité, du climat et de l’alimentation soit harmonieuse, il est important d’assurer la coordination aussi bien des institutions nationales (coordination horizontale) que des institutions nationales et infranationales (coordination verticale). Ce chapitre indique le degré de coordination entre les institutions gouvernementales concernées et décrit les mécanismes existant dans les pays étudiés (Brésil, France, Indonésie, Irlande, Mexique et Nouvelle‑Zélande). Il donne des exemples de coordination horizontale et de la collaboration interministérielle mise en place à l’échelon national pour élaborer les politiques et gérer les différents domaines de la sphère de l’utilisation des terres. Il met ensuite en lumière les difficultés auxquelles se heurtent les mécanismes existants de coordination verticale. Il porte aussi sur le rôle des acteurs institutionnels et privés des échanges internationaux dans la gestion des impacts sur la sphère de l’utilisation des terres.
Vers une utilisation durable des terres
4. Coordination et cohérence des institutions pour une utilisation durable des terres
Abstract
Nécessité d’une étroite coordination des institutions dans la sphère de l’utilisation des terres
La problématique de l’utilisation des terres ne peut être correctement gérée sans une très bonne coordination institutionnelle, tant horizontale (entre différents ministères nationaux) que verticale (entre parties prenantes nationales et infranationales). D’une manière générale, les fonctions et missions des institutions doivent être clairement définies pour favoriser la transparence et aider à rendre des comptes.
Parce qu’ils ont davantage besoin de poursuivre simultanément de nombreux objectifs stratégiques, beaucoup de pays cherchent aujourd’hui à définir des cadres institutionnels performants. Il est donc aussi nécessaire de laisser des possibilités de modifier les institutions, par exemple pour pouvoir répondre à de nouveaux problèmes, ou encourager l’intégration de deux ou plusieurs domaines d'action particuliers. Dans certains des six pays étudiés, des comités interministériels ont été établis au sommet de la pyramide institutionnelle. L'intérêt de ce type de comités est notamment d’aider à décloisonner le travail en facilitant le dialogue entre différentes parties prenantes et leur participation aux processus décisionnels. Mais ils peuvent aussi provoquer des conflits et des résistances de la part des institutions existantes. Pour que les institutions concernées assument effectivement leurs fonctions, elles doivent également disposer de capacités, de compétences techniques et de moyens financiers suffisants.
Les structures institutionnelles en place peuvent être particulièrement complexes dans les pays très étendus et décentralisés comme le Brésil, l’Indonésie et le Mexique. En Indonésie, par exemple, au moins 8 ministères nationaux, 6 entités non ministérielles et la Présidence peuvent définir des politiques dans les domaines considérés. Les autorités locales ont également des pouvoirs importants en matière de gestion des forêts (Wardojo et Masripatin, 2002[1]). Par conséquent, il est particulièrement important que les missions et fonctions soient clairement définies, et d’éviter les chevauchements. Au Brésil, deux instances de coordination ont été créées en rapport avec le changement climatique : un comité interministériel sur le changement climatique (CIM) et une commission interministérielle sur le changement climatique mondial (CIMGC). Chacune d’elles réunit plusieurs parties prenantes : 15 ministères participent au CIM, qui est coordonné par la Présidence (CIM, 2007[2]). Il n’est pas surprenant qu’une structure institutionnelle complexe soit utilisée pour gérer différents enjeux interconnectés touchant une multitude de parties prenantes. Une entité rassemblant plusieurs ministères est effectivement une bonne chose dans la mesure où elle reconnaît explicitement la nécessité de réunir des compétences transsectorielles pour s’attaquer à des problèmes en rapport avec la sphère de l’utilisation des terres, de la biodiversité, du climat et de l’alimentation.
Degré de coordination horizontale dans l’élaboration des politiques nationales
Les pays savent l’importance de la coordination horizontale en matière de politique publique et ont créé différents outils institutionnels pour l’améliorer. Les mécanismes de coordination transversale en font partie. Ils peuvent réunir de nombreux ministères différents et d'autres parties concernées, et constituer un espace de communication. En Nouvelle-Zélande, par exemple, c'est le cas du Natural Resources Sector (NRS), qui vise à « améliorer la productivité des secteurs d'activité néo-zélandais liés aux ressources naturelles tout en réduisant leur impact sur l’environnement afin de construire une économie plus productive et compétitive » (MfE, 2015, p. 1[3])1. Le Brésil et le Mexique ont aussi mis en place des comités interministériels pour favoriser la cohérence, par exemple au Brésil le Conseil national de l’environnement (CONAMA), comité à haut niveau consultatif et délibératif qui comprend aussi des représentants de la société civile, des milieux scientifiques, des syndicats, et des entreprises.
Les mécanismes de coordination interministérielle sont particulièrement importants lorsque les compétences sur des éléments de la problématique climat-utilisation des terres-écosystèmes-alimentation sont réparties entre plusieurs ministères. C'est le cas en Indonésie, où les secteurs de la foresterie, de l’agriculture, de l’énergie (y compris la bioénergie) et l’aménagement du territoire relèvent de quatre ministères différents (le ministère de l’Environnement et de la Foresterie, le ministère de l’Agriculture, le ministère de l’Énergie et des Ressources minérales, et le ministère de l’Aménagement agricole et territorial, respectivement). La structure actuelle des ministères indonésiens devrait assurer une certaine coordination horizontale dans la sphère de l’utilisation des terres puisque, par exemple, le ministère de l’Environnement et de la Foresterie est aussi chargé de définir la politique publique en matière de biodiversité et d’écosystèmes. Néanmoins, la politique sur la biodiversité et les écosystèmes et la politique climatique sont élaborées de manière indépendante, malgré des synergies évidentes (par exemple REDD+) et le fait que le ministère de l’Environnement et de la Foresterie s’occupe des deux secteurs. Dans ses SPANB, l’Indonésie indique qu’« il est nécessaire de synchroniser les actions en matière de changement climatique et de biodiversité mises en œuvre par le ministère de l’Environnement et de la Foresterie » (Gouvernement indonésien, 2016[4]).
La coordination entre les institutions peut être mise en place ponctuellement ou institutionnalisée. En France, en Irlande et au Mexique, elle est institutionnalisée, ce qui facilite la coordination. En France par exemple, deux ministères (le MTES et le MAA) sont chargés d’œuvrer ensemble à favoriser les synergies et recenser et gérer les hiatus entre la croissance de la productivité agricole, la préservation de la biodiversité, et l’atténuation du changement climatique et l’adaptation à ses effets. En France, pour les questions concernant plusieurs ministères, le Secrétariat général des affaires européennes (SGAE) supervise la coordination des politiques et veille à l’établissement d’un consensus. En Irlande, des institutions sont en train d’être créées pour coordonner les mesures d'atténuation du changement climatique. À titre d'exemple, dans le cadre du nouveau plan d'action climatique 2019 (Climate Action Plan 2019), un conseil coprésidé par le bureau du Taioseach et le ministère des Communications, de l’Action climatique et de l’Environnement sera constitué pour superviser la mise en œuvre du plan (Government of Ireland, 2018[5]). Ce conseil, le Climate Action Delivery Board, aura pour mission d’examiner les grands projets, de repérer les difficultés de mise en œuvre, et de rendre compte de l’avancement du plan.
Encadré 4.1. Gouvernance des tourbières en Indonésie et en Irlande
Les tourbières présentent un grand intérêt sur le plan de la biodiversité mondiale, constituent un important puits de carbone et, à l’inverse, sont une source potentielle majeure d’émissions de GES (via l’usage direct de tourbe riche en carbone ou via l’assèchement puis l’oxydation des sols tourbeux) (Parish, F. et al. (dir. pub.), 2008[6]). Du point de vue de la problématique de l’utilisation des terres, il est donc important d’assurer une gouvernance cohérente des tourbières.
En Indonésie comme en Irlande, un organe spécifique est chargé de régir les tourbières. Cette organisation a entraîné certaines discordances et incohérences dans les deux pays. Ainsi, l’agence indonésienne de restauration des tourbières (BRG) est une instance non ministérielle créée par un décret présidentiel. La BRG n’est donc pas habilitée à recevoir des financements de l’État, et ses activités doivent être financées par les budgets ministériels correspondants (ministère de l’Agriculture, ministère de l’Environnement et de la Foresterie) ou d’autres sources intérieures ou internationales (BRG, 2016[7]). En outre, bien que chargée de la restauration des tourbières, la BRG n’a d'autorité directe sur aucune zone de tourbières. Elle ne dispose donc ni des moyens, ni des pouvoirs nécessaires pour pouvoir raisonnablement atteindre ses objectifs, à savoir 2 millions d’hectares restaurés d’ici 2021.
En Irlande, Bord na Móna est un office quasi public chargé de mettre en valeur et de gérer les ressources tourbeuses du pays. Il exploite une grande entreprise d’extraction de tourbe ainsi que deux des trois centrales électriques irlandaises fonctionnant à la tourbe. Il possède et gère aussi 80 000 ha de terres, dont environ 7 % de la superficie totale de tourbières (Bord na Móna, 2018[8]). Pourtant, les politiques publiques relatives aux tourbières sont définies par une autre instance, le National Parks and Wildlife Service (service des parcs nationaux et de la vie sauvage). Des subventions peuvent être obtenues pour produire de l’électricité à partir de tourbe (103.4 millions EUR en 2017-18), ce qui a des conséquences négatives tant sur le plan des émissions que de la biodiversité (CER, 2017[9]). La stratégie nationale pour les tourbières représente néanmoins un grand progrès. La reconnaissance des effets positifs des tourbières sur l’environnement et des services écosystémiques qu’elles procurent, la suppression progressive de la production d’électricité d’ici 2028, et la décision de Bord na móna de décarboner ses activités en portant à 75 % d’ici 2020 la part des énergies renouvelables utilisées pour produire de l’électricité et de diminuer la production de tourbe pour la faire redescendre à 2 Mt en 2020 (contre 6.5 Mt en 2013, son niveau record), sont des avancées concrètes qui auront un impact positif sur les zones de tourbières. Cela signifie également une bien meilleure coordination des objectifs en rapport avec la tourbe dans la sphère de l’utilisation des terres.
Des institutions ont aussi été créées pour assurer la coordination horizontale au niveau infranational dans certains pays, dont le Mexique et l’Indonésie. Au Mexique par exemple, l’État du Chiapas a mis en place une commission de coordination interministérielle sur le changement climatique (CCICCCH) (Banque mondiale, CIAT et CATIE, 2014[10]). En Indonésie, chaque administration provinciale possède une agence de développement local spécialisée (BAPPENDA), qui est chargée d’élaborer des plans de développement au niveau de la province et de veiller à ce qu’ils soient en phase avec les principes et les objectifs des politiques nationales. S'agissant du changement climatique, le secrétariat (fédéral) du RAN-GRK apporte une assistance technique aux administrations provinciales et de district pour faciliter l’intégration des plans d'atténuation dans leurs plans de développement. Mais comme au niveau national, il manque une coordination générale – transcendant les BAPPENDA – des politiques infranationales relatives à la problématique de l’utilisation des terres, qui ne sont donc pas toujours cohérentes ou coordonnées.
Pour améliorer la coordination horizontale, il peut aussi être nécessaire de modifier les mandats de plusieurs ministères nationaux. Actuellement, ces mandats peuvent être relativement explicites, ou beaucoup plus généraux – ce qui pourrait, au moins en théorie, favoriser la cohérence des politiques publiques. En Indonésie par exemple, le ministère de l’Agriculture est chargé de définir les politiques qui dictent la production des denrées alimentaires et des autres produits agricoles. Il délivre les autorisations et définit les règles qui régissent l’utilisation des terres n'appartenant pas au domaine forestier national. Le ministère irlandais de l’Agriculture, de l’Alimentation et de la Mer a un mandat légèrement plus étendu, et celui du ministère mexicain est encore plus large puisqu’il comprend le développement rural et la sécurité alimentaire (ministère de l’Agriculture, de l’Élevage, du Développement rural, de la Pêche et de l’Alimentation, SAGARPA). En France, le ministère de la Transition écologique et solidaire (MTES) a des compétences très étendues puisqu’il couvre le développement durable, l’environnement et le climat et supervise l’Agence française pour la biodiversité (AFB) et l’Agence française de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME). Les questions d’agriculture et d’alimentation relèvent d’un ministère distinct (le ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation, MAA), mais les enjeux environnementaux y occupent une grande place – peut-être en partie du fait que le MAA et le MTES sont supposés travailler ensemble sur les synergies et les hiatus entre objectifs (voir plus haut).
Influence des actions et des accords multilatéraux sur les institutions
L’ordre du jour international influe aussi sur l’action publique, les institutions et la cohérence des politiques dans la sphère de l’utilisation des terres. Il s'agit notamment des actions et des accords supranationaux, tels que ceux liés aux ODD. Plusieurs pays ont mis en place des comités interministériels pour aider à élaborer et mettre en œuvre des politiques qui font avancer les ODD d’une manière cohérente (voir le Tableau 4.1). Par exemple, le Mexique a créé un conseil national pour le plan 2030 afin de coordonner la mise en œuvre des Objectifs de développement durable (ODD). Piloté par le bureau de la Présidence, cet organe a pour mission de « coordonner la conception, l’exécution, le suivi et l’évaluation » des actions menées en rapport avec les ODD – notamment en faisant travailler ensemble des représentants du gouvernement fédéral et du pouvoir exécutif, ainsi que des administrations locales et d’autres parties prenantes.
Les initiatives internationales du type des programmes ciblés sur l’offre et les institutions associées, comme le mécanisme REDD+ établi dans le cadre de la CCNUCC, ont amené de nouveaux dispositifs institutionnels destinés à favoriser la coopération2. Certains pays ont donc créé des institutions nationales ou infranationales. Par exemple, le Brésil a établi une commission nationale pour la REDD+, assistée de groupes techniques et de panels consultatifs thématiques (Gouvernement brésilien, 2017[11]). De son côté, le Mexique a élaboré des partenariats entre différentes institutions de niveau national dans le but précis d’améliorer la coordination et la collaboration. Ainsi, en 2011, le SAGARPA a signé un accord de coopération avec la commission nationale de la foresterie en vue de mettre en place des mécanismes de coordination, dans le domaine de l'agriculture et des forêts (Gouvernement mexicain, 2015[12]). Le Mexique a, d’autre part, mentionné expressément la question de la biodiversité dans sa « loi générale sur le changement climatique » (PECC), entrée en vigueur en 2012.
La pression internationale a aussi conduit à la création de programmes axés sur la demande et d’institutions associées. Ils comprennent des dispositifs bénéficiant d’une reconnaissance internationale tels que le Forest Stewardship Council (FSC, qui a certifié à ce jour plus de 200 millions d’hectares de forêts gérées de manière responsable dans le monde) (FSC, 2017[13]), mais également des dispositifs nationaux comme l’IFCC (Indonesian Forestry Certification Corporation, société indonésienne de certification de la foresterie). La gouvernance de ce type de dispositifs est souvent pilotée par des acteurs non gouvernementaux.
Tableau 4.1. Dispositifs institutionnels nationaux de coordination de l’action visant les ODD
|
Brésil |
France |
Indonésie |
Irlande |
Mexique |
Nouvelle-Zélande |
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Organe de coordination |
Commission nationale pour les ODD (CNODS) |
Comité de pilotage interministériel (comprenant des représentants de tous les ministères) |
Équipe de coordination nationale conduite par le ministère du Développement national (BAPPENAS) |
Groupe de hauts fonctionnaires (représentants de tous les ministères) |
Conseil national pour le programme 2030 |
Sans objet (pas d’organe de coordination sur les ODD) |
Supervision |
Bureau de la Présidence |
Délégué interministériel au développement durable (mandaté par le Premier ministre) |
Bureau de la Présidence |
Gouvernement (cabinet) |
Bureau de la Présidence |
Sans objet |
Chaque ODD est‑il affecté à un ministère particulier ? |
|
Oui |
Oui |
Oui |
Oui |
Sans objet |
Représentation d’entités infranationales ? |
Oui |
Oui |
Dans les groupes de travail |
Non |
Oui |
Sans objet |
Représentation des OSC et du secteur privé ? |
Oui |
Oui |
Non, mais il est prévu d’intégrer des interactions avec les parties prenantes (notamment l’agriculture) par la suite |
Oui |
Sans objet |
Source : UNDESA (2017[13]) Compendium of National Institutional Arrangements for implementing the 2030 Agenda for Sustainable Development, https://sustainabledevelopment.un.org/content/documents/22008UNPAN99132.pdf ; Government of Ireland (2018[14]), The Sustainable Development Goals National Implementation Plan 2018-2020, https://www.dccae.gov.ie/documents/DCCAE-National-Implement-Plan.pdf; PNUD (2017[165]), Institutional and Coordination Mechanisms - Guidance Note on Facilitating Integration and Coherence for SDG implementation, https://www.undp.org/content/undp/en/home/librarypage/sustainable-development-goals/institutional-and-coordination-mechanisms---guidance-note.html
Les parlements nationaux peuvent aussi participer à la coordination des politiques publiques touchant à la problématique de l’utilisation des terres, ce qui est utile pour assurer la cohérence entre les pouvoirs exécutif et législatif. Au Brésil par exemple, la Chambre des députés a une cellule parlementaire spéciale travaillant sur les ODD (CEPALC, 2017[14]), et le Sénat mexicain a lui aussi un groupe de travail sur le suivi de la mise en œuvre législative des ODD (Gouvernement mexicain, 2018[15]).
Degré de coordination verticale dans l’élaboration des politiques nationales
La coordination verticale des politiques publiques est importante pour que les mesures prises à l’échelon infranational et les pratiques d’utilisation des terres soient en phase avec les politiques et les objectifs nationaux. Au niveau national, le besoin de coordination verticale dépend beaucoup du degré de décentralisation dans un pays, ainsi que des missions des instances nationales et infranationales. Dans plusieurs pays, les administrations infranationales ont soit l’obligation (en France, par exemple), soit la possibilité (au Brésil, par exemple) d’élaborer des politiques climatiques infranationales. Ainsi, en France, les 12 régions sont tenues d’intégrer des mesures climatiques dans leur plan régional d’aménagement du territoire. Cette obligation d'établir un document d’orientation couvrant plusieurs thèmes différents a précisément pour but d’éliminer les contradictions entre des ensembles d’objectifs plus ciblés (sur l’énergie issue de la biomasse, par exemple) conçus indépendamment les uns des autres (Gouvernement français, 2010[16]). Au Brésil, les États et les villes peuvent définir leur propre plan climatique, et 14 États l'ont fait (sur 27) (Barbi et da Costa Ferreira, 2017[17]). Le cadre national brésilien pour l’environnement (Sisnama) vise à mettre en place un ensemble coordonné de mesures de gestion de l’environnement et intègre des représentants du pouvoir national, des États et des municipalités (Gouvernement brésilien, 2016[18]).
Des stratégies pour la biodiversité sont aussi de plus en plus élaborées au niveau infranational, notamment au Brésil, en France, en Irlande, au Mexique et en Nouvelle-Zélande (CDB, 2017[19]). Au Mexique, la commission nationale pour la connaissance et l’utilisation de la biodiversité (CONABIO) encourage les États à définir des plans infranationaux pour la biodiversité, ce que huit États mexicains ont fait (Gouvernement du Michoacan, 2007[20]). Pour élaborer ces stratégies, un large éventail de parties prenantes ont parfois été consultées. L’État mexicain du Michoacán a ainsi consulté tous les secteurs et organisé des ateliers et une consultation publique pour concevoir sa stratégie pour la biodiversité, et un plan d'action sera établi au niveau de l’État fédéré pour la mettre en œuvre (Gouvernement du Michoacan, 2007[20]).
La gouvernance des questions de biodiversité n’est pas forcément organisée comme pour les questions d’utilisation des terres. En Nouvelle-Zélande par exemple, les autorités locales sont chargées de gérer plusieurs aspects importants de la biodiversité sur les propriétés privées (Schneider et Samkin, 2012[21]). Un grand nombre d’entre elles ont effectivement défini des plans locaux spécifiquement destinés à gérer les pressions sur la biodiversité.
En France, pour garantir l’intégration verticale des plans régionaux comportant des mesures climatiques avec les priorités nationales, ces plans doivent impérativement être élaborés conjointement par une Région administrative et le gouvernement central (Gouvernement français, 2010[16]). Le but des plans climatiques régionaux est de fixer des objectifs à court terme (2020) et à long terme (2050), par exemple sur l’atténuation des émissions de GES et la séquestration du carbone.
La coordination verticale peut aussi aider à favoriser la cohérence entre les politiques nationales et les cadres supranationaux. La coordination verticale pour les États membres de l’UE comprend également la coordination entre les politiques nationales et celles de l’UE. Par exemple, la Commission européenne a lancé le Plan de mise en œuvre pluriannuel accompagnant la nouvelle Stratégie forestière de l’UE, qui vise à « coordonner les politiques forestières et les initiatives touchant aux forêts et au secteur forestier » (CE, 2015[22]). Ce plan prévoit expressément d’utiliser davantage les forêts à des fins d’atténuation, de protéger les forêts et d'améliorer les services écosystémiques, et de « travailler ensemble afin de gérer... les forêts de manière cohérente » (CE, 2015[22]).
En règle générale, si les autorités nationales définissent le cadre d’ensemble devant régir les décisions d’utilisation des terres, ce sont les administrations infranationales qui sont chargées de prendre les décisions finales dans ce domaine et dans celui de l’aménagement du territoire. De ce fait, parce que les administrations infranationales n’ont pas toutes les mêmes priorités, elles peuvent interpréter et appliquer différemment les principes nationaux au niveau local. En Nouvelle-Zélande par exemple, les décisions en matière d’utilisation des terres sont prises en grande partie par les propriétaires fonciers, mais les règles nationales – comme le Resource Management Act – limitent leurs possibilités d'action. Il peut toutefois y avoir d'importantes variations à l’intérieur d’un pays dans la gestion de problèmes particuliers. Par exemple, le manque d’uniformité entre certains plans régionaux néo-zélandais a abouti à des incohérences dans la manière de gérer les impacts des activités agricoles sur l’eau douce (Baker-Galloway, 2013[23]). Au Mexique, la gouvernance locale de la foresterie (ejidos et comunidades) joue un rôle important dans la gestion des terres, mais l’État est quand même en droit d’« imposer les mesures qu’il juge nécessaire pour préserver les ressources naturelles » (Gouvernement mexicain, 2017[24]).
Le degré de centralisation ou de décentralisation de l'élaboration des politiques publiques dans la sphère de l’utilisation des terres pose différents problèmes pour la coordination des institutions. La décentralisation complique la coordination verticale de l’action publique en la matière. Pour qu’à la fois les principes fixés au niveau national se traduisent dans les décisions d’utilisation des terres prises au niveau local, et que les enjeux locaux d’utilisation des terres soient convenablement pris en compte dans le processus national d’élaboration de la politique publique, il faut que les informations circulent en permanence entre les institutions nationales et infranationales. L'une des solutions, adoptée par l’Indonésie et le Mexique, est d’avoir une représentation des institutions nationales à l’échelon infranational. Au Mexique, le ministère de l’Agriculture, de l’Élevage, du Développement rural, de la Pêche et de l’Alimentation (SAGARPA) est représenté dans chaque État mexicain, ainsi que dans des centaines de districts de développement rural (Gouvernement mexicain, 2018[25]). Un état des lieux sur la préparation de l’Indonésie au programme REDD+ a également souligné l’importance des institutions infranationales pour la mise en œuvre d'activités à leur échelon – par exemple, le groupe de travail provincial sur la REDD+ se réunit une fois par mois (FPCF, 2015[26]). Cette présence décentralisée des ministères, des agences ou des comités favorise les échanges d’informations et la coordination entre les producteurs agricoles et les autorités infranationales.
Malgré ces difficultés, la décentralisation peut être l’occasion de mettre en place des solutions et des institutions novatrices adaptées au contexte (en particulier dans les pays très étendus et hétérogènes). Au Brésil par exemple, les crédits agricoles ont été interdits dans les communes affichant les taux de déboisement les plus élevés, de même que l'accès du bétail de leurs grands éleveurs aux abattoirs (Le Tourneau, 2016[27]). Si la décentralisation conduit à augmenter l’influence des populations locales sur les terres et les bénéfices pouvant en être retirés, cela pourra encourager des initiatives plus durables à long terme. Ainsi, certaines données montrent qu’au Mexique, la gestion collective des forêts pourrait être plus durable (par exemple se traduire par une plus grande quantité de carbone stockée) que les autres modes de gestion (CCMSS et Rights and Resources Initiative, 2010[28]).
Échanges internationaux et coordination avec les acteurs non gouvernementaux
Étant donné le caractère transnational des activités des instances chargées du commerce international, il est important, non seulement de faire travailler ensemble les institutions gouvernementales concernées par l’utilisation des terres et par les échanges internationaux, mais aussi de coordonner les actions des organisations publiques et privées. Dans plusieurs des six pays étudiés, des partenariats réunissant de nombreux acteurs publics et privés à l’échelon national et infranational ont démontré leur capacité à infléchir les incidences des chaînes d'approvisionnement mondiales sur l’utilisation des terres. Les institutions gouvernementales doivent trouver le moyen de se rapprocher de ces initiatives et se coordonner avec elles afin qu’elles soient en phase avec la politique nationale et donnent les meilleurs résultats possibles.
Le moratoire sur le soja brésilien (examiné plus en détail au chapitre 5) offre un exemple d’initiative de ce type engagée par l’industrie dans le biome amazonien au Brésil. C'est seulement après sa création par des acteurs privés que les autorités brésiliennes y ont adhéré. Une initiative similaire a été lancée dans le Cerrado : le « manifeste de Cerrado ». Publié par un ensemble d’ONG, de fondations et d’organismes scientifiques en septembre 2017 et signé par plus d’une centaine d’entreprises et d’investisseurs brésiliens et internationaux, ce manifeste appelle à ne plus s'approvisionner dans les zones récemment déboisées et à mettre fin à la déforestation et à la disparition de la végétation naturelle dans le biome du Cerrado (The Consumer Goods Forum, 2019[29]). Une autre initiative, la stratégie du Mato Grosso « Produire – Conserver – Inclure », est un partenariat multipartite comptant 40 membres – institutions gouvernementales, ONG et entreprises privées (Gouvernement du Mato Grosso, 2019[30]). De même, la coalition brésilienne sur le climat, les forêts et l’agriculture compte plus de 190 institutions membres et encourage la collaboration directe entre les autorités gouvernementales et les entreprises privées dans tout le pays (Brazilian Coalition on Climate, Forests and Agriculture, 2019[31]).
Des institutions et des partenariats multisectoriels du même type s’emploient à alléger les pressions sur les terres dans d'autres pays étudiés. En Indonésie, la plateforme indonésienne sur l’huile de palme (InPOP) est une initiative qui vise à établir des partenariats et à coordonner le secteur de l’huile de palme et les initiatives de développement durable existantes au niveau national. Lancée en 2014 par le ministère de l’Agriculture, InPOP comptait 56 membres en février 2019, dont des institutions gouvernementales nationales et infranationales, des partenaires de développement, et des membres du secteur privé et de la société civile (Indonesian Palm Oil Platform (InPOP), 2019[32]). En Irlande, 321 agriculteurs et entreprises agroalimentaires ont choisi d’adhérer à un programme sectoriel de développement durable appelé « Origin Green » (voir aussi l’encadré 5.1) (Bord Bia, s.d.[33]).
Références
[23] Baker-Galloway, M. (2013), The Inconsistent Regional Management of Farming Effects on Waterways, New Zealand Agricultural and Resource Economics Society, Christchurch, Nouvelle-Zélande, https://econpapers.repec.org/paper/agsnzar13/160192.htm (consulté le 4 février 2019).
[10] Banque mondiale, CIAT et CATIE (2014), Climate-Smart Agriculture in Chiapas, Mexico, Groupe de la Banque mondiale.
[17] Barbi, F. et L. da Costa Ferreira (2017), « Governing Climate Change Risks: Subnational Climate Policies in Brazil », Chinese Political Science Review, vol. 2/2, pp. 237–252, https://doi.org/10.1007/s41111-017-0061-3.
[33] Bord Bia (s.d.), Origin Green: Ireland’s food and drink sustainability programme, https://www.origingreen.ie/ (consulté le 25 février 2019).
[8] Bord na Móna (2018), Bord na Móna - Naturally Driven, https://www.bordnamona.ie/ (consulté le 31 août 2018).
[31] Brazilian Coalition on Climate, Forests and Agriculture (2019), The Coalition, http://www.coalizaobr.com.br/home/index.php/en/ (consulté le 25 février 2019).
[7] BRG (2016), Wapres JK Larang BRG Pakai APBN untuk Restorasi, https://brg.go.id/wapres-jk-larang-brg-pakai-apbn-untuk-restorasi.
[28] CCMSS et Rights and Resources Initiative (2010), Sustainable Forest Management as a strategy to combat Climate Change: lessons from, https://theredddesk.org/sites/default/files/resources/pdf/2010/forests_imprenta.pdf (consulté le 31 août 2018).
[19] CDB (2017), Stratégies et plans d’actions infra nationaux pour la biodiversité (SPARB), https://www.cbd.int/nbsap/related-info/sbsap/ (consulté le 31 août 2018).
[22] CE (2015), Commissions Staff Working Document - Multi-annual Implementation Plan of the new EU Forest Strategy, https://ec.europa.eu/transparency/regdoc/rep/10102/2015/EN/10102-2015-164-EN-F1-1.PDF (consulté le 31 août 2018).
[14] CEPALC (2017), Annual report on regional progress and challenges in relation to the 2030 Agenda for Sustainable Development in Latin America and the Caribbean, https://repositorio.cepal.org/bitstream/handle/11362/41189/S1700474_en.pdf?sequence=7&isAllowed=y (consulté le 31 août 2018).
[9] CER (2017), Public Service Obligation Levy 2017/18, Commission for Energy Regulation.
[2] CIM (2007), Decreto n° 6.263, de 21 de Novembro 2007, Institui o Comitê Interministerial sobre Mudança do Clima - CIM, orienta a elaboração do Plano Nacional sobre Mudança do Clima, e dá outras providências, FAOLEX, http://extwprlegs1.fao.org/docs/pdf/bra77881.pdf.
[26] FPCF (2015), REDD+ Annual Country Progress Reporting (with semi-annual update), https://www.forestcarbonpartnership.org/sites/fcp/files/2016/Oct/230916_Final%20NS_FCPF%20%20Country%20Progress%20Report.pdf (consulté le 31 août 2018).
[13] FSC (2017), Qu’est que la certification ? Offrir des avantages commerciaux en garantissant une responsabilité sociale et environnementale, https://ic.fsc.org/en (consulté le 31 août 2018).
[11] Gouvernement brésilien (2017), Implementation of the Brazil’s National Strategy for REDD+, http://redd.mma.gov.br/images/conaredd/implementaoredd-resumoexecutivo-EN-Nov17-COP23.pdf (consulté le 31 août 2018).
[18] Gouvernement brésilien (2016), National Biodiversity Strategy and Action Plan, https://www.cbd.int/doc/world/br/br-nbsap-v3-en.pdf (consulté le août 31 2018).
[30] Gouvernement du Mato Grosso (2019), Produzir, Conservar e Incluir - Estratégia de MT para mitigar Mudanças Climáticas, http://pci.mt.gov.br/#apresentacao (consulté le 25 février 2019).
[20] Gouvernement du Michoacan (2007), Estrategia para la conservación y uso sustentable de la diversidad biológica del Estado de Michoacán, https://www.cbd.int/doc/nbsap/sbsap/mx-sbsap-michoacan-es.pdf.
[16] Gouvernement français (2010), Schéma régional du climat, de l’air et de l’énergie, http://outil2amenagement.cerema.fr/IMG/pdf/schema_regional_du_climat_de_l_air_et_de_l_energie_cle77bbb5_cle71c139.pdf (consulté le 31 août 2018).
[4] Gouvernement indonésien (2016), Indonesian Biodiversity Strategy and Action Plan 2015-2020, Ministère de la planification du développement national, https://www.cbd.int/doc/world/id/id-nbsap-v3-en.pdf.
[25] Gouvernement mexicain (2018), Secretaría de Agricultura, Ganadería, Desarrollo Rural, Pesca y Alimentación: Delegaciones Estatales, https://www.gob.mx/sagarpa/acciones-y-programas/delegaciones-estatales-90613 (consulté le 31 août 2018).
[15] Gouvernement mexicain (2018), Voluntary National Review for the High-Level Political Forum on Sustainable Development, https://sustainabledevelopment.un.org/content/documents/20122VOLUNTARY_NATIONAL_REPORT_060718.pdf (consulté le 31 août 2018).
[24] Gouvernement mexicain (2017), Estrategia National para el REDD+ 2017-2030, http://www.enaredd.gob.mx/wp-content/uploads/2017/09/Estrategia-Nacional-REDD+-2017-2030.pdf (consulté le 31 août 2018).
[12] Gouvernement mexicain (2015), Mid-Term Progress Report of Mexico, https://www.forestcarbonpartnership.org/sites/fcp/files/2015/May/MTR%20Mexico_Eng%20with%20GRM.pdf.
[5] Government of Ireland (2018), Climate Action Plan 2019: To tackle climate breakdown, https://www.dccae.gov.ie/en-ie/climate-action/publications/Documents/16/Climate_Action_Plan_2019.pdf (consulté le 4 octobre 2019).
[32] Indonesian Palm Oil Platform (InPOP) (2019), About Us - Indonesia Palm Oil Platform, http://foksbi.id/en/about-inpop (consulté le 25 février 2019).
[27] Le Tourneau, F. (2016), « Is Brazil now in control of deforestation in the Amazon? », Cybergeo, http://dx.doi.org/10.4000/cybergeo.27484.
[3] MfE (2015), Natural Resources Sector Diagram, http://nrs.mfe.govt.nz/sites/default/files/NRS%20Goal%20and%20Focus%20Areas%20Diagram.pdf.
[6] Parish, F. et al. (dir. pub.) (2008), Assessment on Peatlands, Biodiversity and Climate change, Global Environment Centre, Kuala Lumpur et Wetlands International, Wageningen, http://www.imcg.net/media/download_gallery/books/assessment_peatland.pdf (consulté le 31 août 2018).
[21] Schneider, A. et G. Samkin (2012), « A biodiversity jigsaw: A review of current New Zealand legislation and initiatives », e-Journal of Social & Behavioural Research in Business, vol. 3/2, pp. 10-26, https://researchcommons.waikato.ac.nz/handle/10289/7743 (consulté le 4 février 2019).
[29] The Consumer Goods Forum (2019), Business for the Cerrado - Supporting the Cerrado Manifesto, https://www.theconsumergoodsforum.com/initiatives/environmental-sustainability/key-projects/deforestation/soy/business-for-the-cerrado/ (consulté le 1 mars 2019).
[1] Wardojo, W. et N. Masripatin (2002), Trends in Indonesian Forest Policy, https://pdfs.semanticscholar.org/2476/e43a3e5dab1ee62ce15d915ca33a84c542c3.pdf.
Notes
← 1. Il regroupe des organes du gouvernement central chargés de la gestion et de la protection des ressources naturelles de la Nouvelle-Zélande et comprend le ministère de la Conservation, le ministère de l’Environnement, le ministère des Industries primaires, le ministère des Entreprises, de l’Innovation et de l’Emploi, le ministère de l’Information foncière, le ministère du Développement maori, et le ministère de l’Intérieur.
← 2. REDD+ signifie « réduction des émissions imputables à la déforestation et à la dégradation des forêts dans les pays en développement ». Dans le cadre de la CCNUCC, les activités de REDD+ ont été reconnues comme un moyen potentiellement important de réduire les émissions de GES, et des décisions de la CCNUCC invitent les pays à désigner un centre de liaison national susceptible, entre autres, de recevoir des paiements basés sur les résultats.