Ramos Gabriela
Débattre des enjeux : les nouvelles approches face aux défis économiques
L’articulation entre productivité et égalité : pourquoi adopter une approche commune ?
Les gains de productivité ralentissent depuis la crise, tandis que les inégalités se creusent. Ces deux phénomènes sont-ils liés ? Il est encore difficile d’appréhender pleinement les liens entre ralentissement de la productivité et montée des inégalités. Si chacune de ces problématiques peut avoir une solution spécifique, il y a tout lieu de penser qu’il existe une articulation entre les deux. Les données de l'OCDE montrent, par exemple, que la dispersion des salaires entre les entreprises, provoquée par des gains de productivité plus ou moins rapides, contribue à la montée des inégalités de revenu entre les travailleurs. Parallèlement, la montée en puissance du capital intellectuel et du numérique pourrait avoir entraîné une dynamique du « tout au gagnant » sur certains marchés de réseaux clés, débouchant parfois sur un renforcement des comportements de recherche de rente.
Les travaux de l'OCDE montrent comment la montée des inégalités enregistrée ces trente dernières années a pesé sur la croissance à long terme en ayant une incidence négative sur l’accumulation de capital humain par les ménages modestes.
Depuis la crise et compte tenu d’une dynamique des entreprises au point mort, les ressources, y compris les ressources en main-d’œuvre, sont bloquées dans des entreprises où leur potentiel n’est pas pleinement mis à profit. Ainsi, les personnes les moins qualifiées et n'ayant guère accès aux opportunités se trouvent souvent contraintes d'occuper des emplois peu productifs et précaires et – dans de nombreux pays émergents – informels.
Dans la droite ligne de notre cadre intégré sur la croissance inclusive et de l’initiative relative aux Nouvelles approches face aux défis économiques (NAEC), l'OCDE considère que les efforts déployés pour relever les défis de la productivité et des inégalités seraient plus fructueux si nous examinions les synergies et les arbitrages entre les trains de mesures adoptés dans chacun de ces domaines. Cela signifie que les moyens d’action visant à s’attaquer à ces deux problèmes majeurs doivent être conçus en gardant à l’esprit les interactions entre l’un et l’autre domaine afin d’éviter une approche cloisonnée, au moyen de programmes d’action plus complets et plus efficaces.
Nous devons aussi tirer les enseignements des mesures adoptées par le passé. Les stratégies traditionnellement utilisées pour doper la productivité dans les domaines de la concurrence, du marché du travail et de la réglementation favorisent le redéploiement des ressources vers les activités plus productives ou l’accroissement de la productivité dans certains secteurs. Mais cela peut accentuer l’inégalité des revenus et des chances, étant donné que les travailleurs les plus à même de s’adapter aux changements sont généralement ceux qui sont les plus qualifiés. Ainsi, par le passé, la poussée en faveur d’une plus grande flexibilité du marché du travail a profité à de nombreux employeurs, surtout aux entreprises les plus productives qui ont récolté les fruits d’une meilleure répartition des ressources en main-d’œuvre. Mais avec cette flexibilité accrue, les formes de travail atypiques ont pris de l’ampleur. Les travaux menés récemment par l'OCDE sur la qualité des emplois montrent comment les travailleurs peu qualifiés peuvent se trouver piégés dans des emplois précaires peu rémunérés, avec peu de possibilités de formation.
L’approche que nous préconisons pour élaborer des politiques publiques permettant aux individus, aux entreprises et aux régions à la traîne de réaliser leur plein potentiel et de contribuer à une économie plus dynamique s’appuie sur les travaux menés par l'OCDE dans différents domaines de l’action publique. Elle repose en premier lieu sur le programme d’action en faveur d’une croissance inclusive, en faisant du bien-être l’un des objectifs premiers de l’action publique. Elle est aussi étayée par les travaux de l'OCDE consacrés à la productivité, via le rapport sur l’avenir de la productivité et la mise en place d’un réseau de l'OCDE sur la productivité. Elle coïncide également avec les efforts déployés par l'OCDE pour affiner la mesure de la productivité, à l’heure où les indicateurs traditionnels ne permettent plus de rendre pleinement compte des effets des progrès technologiques rapides et des innovations axées sur le capital intellectuel, ni de l’importance croissante des services, ni de la productivité dans le secteur public.
L’objectif final est que les pouvoirs publics concentrent leurs efforts sur la vaste palette de politiques « gagnant-gagnant » propres à réduire les inégalités tout en soutenant la croissance de la productivité, afin de créer un cercle vertueux propice à une croissance inclusive et durable. Les interventions réalisées au niveau des individus, des entreprises, des régions et des pays doivent être complémentaires. Si les aspects pratiques de ces interventions dépendent de la situation de chaque pays, d’une manière générale, plusieurs domaines de l’action publique doivent être pris en compte.
Tout d’abord, une nouvelle approche s’impose pour stimuler la productivité individuelle, afin que chacun puisse réaliser pleinement son potentiel productif. Il ne suffit pas d’améliorer les compétences de la population grâce à un accès plus équitable à un enseignement de base de qualité : les compétences doivent aussi, compte tenu des progrès technologiques rapides, s’adapter à la demande du marché afin d’éviter les décalages qui ont contribué au ralentissement de la productivité. Une stratégie globale est également nécessaire pour assurer un meilleur fonctionnement du marché du travail, promouvoir la qualité de l’emploi, réduire le poids de l’économie informelle, et favoriser la mobilité des travailleurs, l’inclusion des groupes sous-représentés comme les femmes et les jeunes, et de meilleurs résultats pour tous sur le plan de la santé.
Ensuite, les individus ne pourront réaliser pleinement leur potentiel productif que si les entreprises le concrétisent aussi. Si une certaine hétérogénéité est normale, la dispersion croissante des niveaux de productivité entre entreprises et ses implications pour la productivité globale et les travailleurs sont préoccupantes. Selon notre rapport consacré à la productivité, au début des années 2000, la productivité du travail dans les entreprises situées à la frontière technologique progressait de 3.5 % en moyenne par an dans le secteur manufacturier, contre 0.5 % pour les autres. L’écart était encore plus prononcé dans les services. Plus les entreprises florissantes seront nombreuses, plus nos économies seront productives et inclusives. Mais cela suppose de repenser notre action dans les domaines de la concurrence, de la réglementation et de la finance, afin de mettre les nouvelles entreprises sur un pied d’égalité avec celles qui sont déjà en place. Il faut aussi prendre des mesures pour faciliter la diffusion des innovations de pointe vers les entreprises à la traîne.
Par ailleurs, les orientations préconisées ne peuvent être efficaces que si elles tiennent compte des paramètres régionaux et locaux. Les inégalités au niveau régional, comme la ségrégation en matière de logement en fonction des revenus ou du milieu social, ou la piètre qualité des transports publics et des infrastructures, peuvent enfermer les individus et les entreprises dans le piège de la faible productivité. Cela signifie qu’il est plus efficace d’appliquer certaines mesures visant à renforcer la productivité et l’inclusivité à l’échelon régional.
Enfin, il faut, pour envisager l’action publique de manière plus globale, changer radicalement les structures institutionnelles et de gouvernance publique, afin de renforcer la capacité des États de libérer les synergies et d’opérer les arbitrages nécessaires. Dans les sociétés très inégalitaires, les pouvoirs publics doivent aussi s’attaquer aux questions d’économie politique, notamment le détournement des processus réglementaires et politiques par les élites à qui profite le statu quo, et les politiques qui favorisent les acteurs déjà en place.
Aussi difficiles soient-ils, ces changements sont nécessaires. Nous estimons, à l'OCDE, qu’il est temps de mieux appréhender les interactions entre deux des principaux enjeux actuels – la productivité et les inégalités – afin de construire un avenir plus résilient, plus inclusif et plus durable.
Liens utiles
Article original sur le blog OECD Insights : http://wp.me/p2v6oD-2nn.
Initiative de l'OCDE pour la croissance inclusive : www.oecd.org/inclusive-growth/.
Centre de l'OCDE pour les opportunités et l’égalité : http://oe.cd/cope.
Projet « Future of Productivity » de l'OCDE : www.oecd.org/economy/the-future-of-productivity.htm.
Statistiques de l'OCDE sur la productivité : www.oecd.org/fr/std/stats-productivite/.