Cournède Boris
Débattre des enjeux : les nouvelles approches face aux défis économiques
Finance, croissance et inégalité
La finance est le poumon des économies modernes, mais l’excès de « mauvaise finance » peut nuire à la prospérité économique et à la cohésion sociale. Conformément à l’esprit de l’Initiative NAEC (Nouvelles approches face aux défis économiques) de l’OCDE, nous avons suivi une démarche globale pour analyser les conséquences de la finance pour le caractère inclusif de la croissance.
Les Objectifs de développement durable (ODD) des Nations Unies ont la même vision de la finance. Les ODD fixent notamment pour cible de l’Objectif nº 10, « Réduire les inégalités », d’améliorer la réglementation financière, reconnaissant par là même directement l’importance de la finance pour les inégalités. Nos travaux fournissent ainsi un fondement empirique à la cible des ODD préconisant d’améliorer la réglementation des institutions et marchés financiers mondiaux pour parvenir à plus de prospérité économique et à une plus grande égalité des revenus.
Le crédit bancaire et les marchés boursiers ont connu une expansion spectaculaire depuis une cinquantaine d’années. Les crédits des établissements financiers aux ménages et aux entreprises ont augmenté trois fois plus vite que l’activité économique depuis les années 1960. Les marchés boursiers eux aussi se sont développés à un rythme vertigineux. Ces changements séculaires dans le paysage financier sont intervenus sur fond de repli de la croissance de l’économie mondiale et de creusement des inégalités. Aussi appellent-ils une réflexion en profondeur sur le rôle de la finance : quelles sont les effets de ces évolutions dans l’échelle et les structures de financement sur la croissance économique ? Comment les évolutions financières influent-elles sur les inégalités de revenu ? Quelles politiques publiques sont à même d’améliorer le rôle de la finance dans le bien-être des populations ?
Le développement des marchés de crédit dynamise la croissance économique à condition de partir d’un niveau de référence bas, et nombreux sont les pays en développement qui ont beaucoup à gagner d’une nouvelle expansion financière. Toutefois, lorsque l’on examine les chiffres des 50 dernières années, l’analyse empirique montre que l’expansion du crédit a, en moyenne, freiné la prospérité économique dans les pays de l’OCDE. Une augmentation de 10 % de PIB des prêts des institutions financières est allée de pair avec une diminution de 0.3 point de pourcentage de la croissance à long terme. En conséquence, toute nouvelle accumulation du crédit risque, aux niveaux désormais atteints dans la majorité des pays de l’OCDE, d’hypothéquer la croissance à long terme. En revanche, on observe que de nouveaux financements en fonds propres auraient pour effet de favoriser la croissance économique.
Nous identifions trois grands canaux par lesquels l’expansion à long terme du crédit s’accompagne d’une croissance plus faible :
L’excès de déréglementation financière : les pays de l’OCDE ont assoupli leur réglementation sectorielle durant les quatre décennies ayant précédé la crise financière mondiale et dans un premier temps, cette stratégie a profité à l’activité économique. Mais cet assouplissement est allé trop loin et a abouti à un excès de crédit.
Les structures de financement : dans nos travaux, nous avons décomposé le secteur du crédit en deux sous-secteurs, prêteurs et emprunteurs. Cette décomposition montre que s’agissant des premiers, les prêts bancaires vont plus souvent de pair avec une croissance plus faible que la dette obligataire. S’agissant des emprunteurs, le crédit pèse plus lourdement sur l’économie lorsqu’il va aux ménages plutôt qu’aux entreprises.
Garanties accordées aux banques d’importance systémique : nos conclusions sur une déréglementation financière trop poussée et sur une dépendance excessive à l’égard du crédit bancaire donnent à croire que les garanties accordées aux banques d’importance systémique ont été l’un des canaux ayant favorisé l’excès de crédit. Ce constat est étayé en outre par le fait que la relation entre crédit et croissance, dans les pays de l’OCDE où les créanciers ont essuyé des pertes dues à des défaillances bancaires, n’est pas aussi négative que dans les pays où ils ont subi des pertes.
La finance peut également aggraver les inégalités, une préoccupation qui transparaît très fortement dans la formulation des ODD. Nos travaux ont établi que tel a été effectivement le cas. Le développement du crédit bancaire et celui des marchés boursiers s’accompagnent l’un et l’autre d’une distribution plus inégale des revenus. Trois mécanismes nous semblent à l’œuvre :
La forte concentration d’actifs du secteur financier en haut de la distribution des revenus : on observe peu de salariés du secteur financier parmi les bas revenus et bien davantage en remontant dans la distribution. Cette forte présence d’actifs du secteur financier parmi les hauts revenus se justifie tant que de hauts niveaux de productivité sous-tendent ces rémunérations. Toutefois, des analyses économétriques plus fouillées montrent que les entreprises du secteur financier versent des salaires bien supérieurs à ce que les salariés perçoivent dans d’autres secteurs, à profil comparable.
L’inégalité des conditions d’octroi des prêts bancaires : les banques concentrent généralement les prêts qu’elles accordent sur les emprunteurs à haut revenu. La distribution du crédit est deux fois plus inégale que la distribution des revenus des ménages dans la zone euro. Si cette pratique réduit peut-être le risque de crédit, elle signifie également que les plus aisés ont plus de chances que les plus modestes d’emprunter et de financer des projets lucratifs. De la sorte, les établissements de crédit risquent d’amplifier les inégalités de revenu et de consommation et l’inégalité des chances.
L’inégalité de la distribution du patrimoine boursier : le patrimoine boursier se concentre parmi les ménages à haut revenu, qui engrangent ainsi l’essentiel des revenus et des plus-values générés par les marchés financiers.
En conséquence, les éléments recueillis à l’occasion de nos travaux incitent à penser que la cible des ODD portant sur la réforme du secteur financier est susceptible de concourir à plus de prospérité économique et à une plus grande égalité des revenus. Il conviendrait que les réformes visent à éviter une surchauffe du crédit et à améliorer les structures de financement.
Éviter la surchauffe du crédit : les instruments macroprudentiels peuvent fournir des outils permettant de maîtriser la croissance du crédit. Il a été établi que le plafonnement des ratios service de la dette/revenu est efficace à cet égard. Le fait d’imposer aux banques et autres établissements de crédit de solides exigences de fonds propres contribue à limiter le recours des institutions financières à des instruments de dette bénéficiant d’un soutien public pour financer leur activité de prêt. D’autres réformes sont nécessaires pour réduire les subventions explicites et implicites aux institutions financières d’importance systémique et instaurer des règles de jeu égales pour la concurrence entre grandes et petites banques. La dissolution, la séparation structurelle, l’imposition d’exigences supplémentaires de fonds propres ou l’élaboration de plans crédibles pour la résolution des défaillances sont autant de moyens pour y parvenir. À court terme toutefois, les mesures visant à éviter la surchauffe du crédit risquent temporairement de nuire à l’activité économique.
Améliorer les structures de financement : actuellement, le régime fiscal de la plupart des pays de l’OCDE favorise le financement des entreprises par l’emprunt plutôt que par les fonds propres. En remettant en cause le parti pris en faveur de l’emprunt, qui aboutit à un endettement excessif et à un financement en fonds propres insuffisant, les réformes fiscales peuvent améliorer les structures de financement des entreprises et contribuer à ce qu’elles soient plus propices à la croissance économique à long terme. Quant aux mesures visant à susciter plus de participation à la constitution de portefeuilles d’actions, notamment le recours massif à des « coups de pouce » pour encourager en douceur l’affiliation à des plans d’épargne-retraite, elles peuvent permettre de mieux partager les « dividendes » de l’expansion des marchés boursiers.
Liens utiles
Article original sur le blog OECD Insights de l’OCDE : http://wp.me/p2v6oD-2r1.
Cournède, B. et O. Denk (2015), « Finance and Economic Growth in OECD and G20 Countries », Documents de travail du Département des affaires économiques de l'OCDE, nº 1223, Éditions OCDE, Paris.
Cournède, B., O. Denk et P. Hoeller (2015), « Finance and Inclusive Growth », Études de politique économique de l'OCDE, nº 14, Éditions OCDE, Paris.
Denk, O. (2015), « Financial Sector Pay and Labour Income Inequality: Evidence from Europe », Documents de travail du Département des affaires économiques de l'OCDE, nº 1225, Éditions OCDE, Paris.
Denk, O. et A. Cazenave-Lacroutz (2015), « Household Finance and Income Inequality in the Euro Area », Documents de travail du Département des affaires économiques de l'OCDE, nº 1226, Éditions OCDE, Paris.
Denk, O. et B. Cournède (2015), « Finance and Income Inequality in OECD Countries », Documents de travail du Département des affaires économiques de l'OCDE, nº 1224, Éditions OCDE, Paris.
Denk, O., S. Schich et B. Cournède (2015), « Why Implicit Bank Debt Guarantees Matter: Some Empirical Evidence », OECD Journal: Financial Market Trends, Vol. 2014/2, Éditions OCDE, Paris.