Kamal-Chaoui Lamia
Débattre des enjeux : les nouvelles approches face aux défis économiques
La croissance inclusive offre la possibilité de placer la croissance sur une trajectoire viable sur le plan social
La crise a laissé de nombreux pays au bord du gouffre financier et économique. Heureusement, les pouvoirs publics sont parvenus à éviter le pire. Néanmoins, maintenant que nos économies sont stabilisées, le fossé entre riches et pauvres est devenu manifeste.
Ces sept dernières années, marquées par une austérité budgétaire prolongée, nous avons assisté à la montée du chômage jusqu’à un niveau record dans la zone OCDE, ainsi qu’à l’explosion du travail précaire. Les inégalités de revenu et de patrimoine se sont hissées à des sommets jamais atteints depuis près de 30 ans. La hausse du revenu moyen des 10 % les plus riches de la population dans les pays de l'OCDE a été telle qu’il était près de 10 fois supérieur à celui des 10 % les plus pauvres en 2012, alors qu’il était seulement 7 fois plus élevé au milieu des années 80. En termes de patrimoine, dans les 18 pays de l'OCDE pour lesquels on dispose de données comparables, les 10 % les plus riches détenaient la moitié du patrimoine total des ménages en 2012, la part des 40 % les moins aisés étant limitée à 3 % seulement.
Certes, ces problèmes étaient déjà présents avant la crise. Les origines, sur le plan économique, des inégalités actuelles remontent à de nombreuses années. Les évolutions structurelles sur le marché du travail, les progrès technologiques constants, l'intégration dans les chaînes de valeur mondiales et le déclin du syndicalisme sont autant de facteurs qui ont contribué à la dispersion des salaires entre les travailleurs très qualifiés et peu qualifiés.
Ce n’est pas une simple coïncidence si ce phénomène est intervenu au moment-même où les mécanismes classiques de redistribution de l'État commençaient à se gripper, dans un contexte de tensions budgétaires croissantes et de concurrence fiscale accrue. Les pouvoirs publics ont fait des choix qui ont pénalisé certaines catégories de population. Avant la crise, nous comptions sur la croissance pour colmater les brèches, mais c’est désormais impossible. Pourtant, faute de meilleure solution, les individus, les entreprises et même les pays sont nombreux à avoir repris le cours normal de leur activité.
Alors que nos économies ne progressent guère, il nous faut saisir cette occasion pour mener une réflexion de fond sur notre croissance, ses modalités et ceux à qui elle profite. C’est précisément ce que se propose de faire l’initiative Tous ensemble au service de la croissance inclusive de l'OCDE, qui s’inscrit dans le cadre du projet relatif aux Nouvelles approches face aux défis économiques (NAEC).
Les travaux de l'OCDE consacrés à la croissance inclusive sont fondés sur le principe selon lequel, même si elle est essentielle pour améliorer le niveau de vie de chacun, la croissance du PIB n’est pas une fin en soi. Nous ne pouvons continuer de rechercher aveuglément la croissance à tout prix sans se soucier de savoir à qui elle profite réellement ni si elle est viable sur le plan social. C’est pourquoi notre approche en matière de croissance inclusive va au‐delà des seules considérations financières pour prendre en compte les autres dimensions de la vie des personnes qui influent sur leur bien-être, comme leur santé, leur emploi ou leur revenu disponible. C’est aussi pour cette raison que notre analyse ne se limite pas à « l’individu moyen », qui est une construction statistique, afin d’obtenir une vue réelle et claire de la situation de chacun des différents échelons de la distribution des revenus.
Nos travaux sur la croissance inclusive ont démontré qu’à long terme, la croissance ne peut atteindre son potentiel ni être durable si elle n’est pas inclusive. Cela paraît évident à bien des égards : une croissance qui repose sur des bases toujours plus restreintes, à l’instar d’un bâtiment dont les fondations rétréciraient, ralentira progressivement, jusqu’à l’arrêt total. Par ailleurs, du point de vue politique, l’opinion publique, lassée des inégalités les plus flagrantes, ne devrait pas les tolérer indéfiniment.
Grâce à cette prise de conscience, la question des inégalités s’installe peu à peu au premier plan des préoccupations politiques. Nombre de citoyens s’inquiètent des implications du creusement des inégalités dans nos sociétés et les pouvoirs publics commencent à s’emparer du sujet dans beaucoup de pays. Pour une grande part, les débats portent sur la nécessité de promouvoir l’égalité des chances. Toutefois, même si ces débats sont les bienvenus, l’égalité des chances n’est pas la seule priorité : il faut aussi se concentrer sur les résultats.
L’inégalité des chances et des résultats sont les deux faces de la même médaille. L’inégalité des résultats subie par une génération est souvent la source de l’inégalité des chances à laquelle se heurte la prochaine génération. Il ne suffit pas d’offrir à un enfant issu d’un milieu défavorisé l’accès aux mêmes chances que les enfants de milieux aisés. Les enfants de milieux plus modestes ont, dès le départ, moins de chances de réussir dans la vie et accumulent de nombreux handicaps par rapport aux enfants de milieux aisés : ils sont plus susceptibles d’avoir une alimentation moins équilibrée, de subir des brimades à l’école, d’avoir des parents moins instruits et de vivre dans des ménages où aucun adulte ne travaille. Or ces obstacles sont parfois impossibles à surmonter.
Pour remédier à ce problème, il faut adopter une approche beaucoup plus globale en faveur de la croissance inclusive, qui non seulement veille à l’égalité des chances pour tous mais aussi donne à chacun les moyens de tirer le meilleur parti de ces opportunités. Le Cadre de l'OCDE pour une croissance inclusive vise à aider les responsables de l’action publique à atteindre cet objectif, en évaluant les effets des actions menées à la fois sur les résultats en termes de revenu et sur les résultats autres que les revenus. Il est conçu pour aider les décideurs à mieux appréhender les arbitrages et les synergies qui existent entre les politiques en faveur de l’inclusivité et les politiques de soutien à la croissance.
Dans la pratique, la stratégie adoptée pour parvenir à une croissance inclusive doit promouvoir la création d’emplois de qualité. Elle doit en outre tenir compte des avantages qu’apporte la flexibilité aux employeurs et aux travailleurs, sans négliger l’importance de veiller à ce que la main-d’œuvre soit correctement protégée par un régime de protection sociale solide et des politiques d’activation favorisant le retour à l’emploi. Elle doit également mettre l’accent sur l’amélioration des compétences et de l’éducation, tout en tenant compte du fait que ces efforts ne seront fructueux que s’ils s’accompagnent d’investissements visant à créer suffisamment d’emplois qualifiés. Enfin, cette stratégie doit insister sur l’intérêt d’une imposition progressive pour veiller à ce que personne ne soit laissé pour compte.
Évidemment, chaque pays a des objectifs et des priorités qui lui sont propres, ainsi que des préférences en ce qui concerne les inégalités. Mais il est essentiel de bien comprendre les racines de ces préférences nationales. Souvent, le risque est que les élites, qui exercent une réelle influence sur les préférences nationales, soient celles qui fixent l’orientation politique dans le souci de protéger leurs propres intérêts. Une administration transparente et responsable et des institutions publiques bien structurées sont capitales pour lutter contre cette menace.
La mise en œuvre de la croissance inclusive est bénéfique pour les individus, puisqu’elle veille à ce que les fruits de la croissance soient partagés par tous et à ce que chacun ait la possibilité de contribuer à la croissance future. Mais elle l’est aussi pour les entreprises : pour réussir, elles ont en effet besoin d’une main-d’œuvre en bonne santé, instruite et productive, ainsi que de politiques du marché du travail efficaces pour les aider à trouver cette main-d’œuvre. La croissance inclusive est synonyme, pour les entreprises, d’augmentation et d’amélioration des ressources.
Aujourd’hui, les pouvoirs publics doivent prendre des mesures concrètes en faveur de la croissance inclusive. Alors que la crise est encore très présente dans nos mémoires et que la question des inégalités suscite un intérêt croissant dans le monde entier, nous avons l’occasion idéale de placer la croissance sur une trajectoire viable sur le plan social, et de faire de l’inclusivité un moteur clé de la croissance économique. Nous ne pouvons pas nous permettre de la laisser passer.
Liens utiles
Article original sur le blog OECD Insights : http://wp.me/p2v6oD-2mt.
Initiative de l'OCDE pour la croissance inclusive : www.oecd.org/inclusive-growth/.
Centre de l'OCDE pour les opportunités et l'égalité : http://oe.cd/cope/.