Agrawala Shardul
Débattre des enjeux : les nouvelles approches face aux défis économiques
Politiques environnementales et performance économique
Un environnement pollué et dégradé représente un coût quantifiable pour l’économie et le bien-être des sociétés. On estime ainsi que les coûts en bien-être de la pollution de l’air imputable aux seuls transports routiers se chiffrent à quelque 1 700 milliards USD dans les pays de l’OCDE, 1 400 milliards USD en Chine et 500 milliards USD en Inde. Faute d’une action appropriée des pouvoirs publics, ces coûts continueront d’augmenter, et pourront avoir des effets tangibles sur la croissance économique, par exemple en réduisant la productivité du travail. De même, les perspectives de croissance à long terme s’annoncent fragiles : le changement climatique devrait en effet, selon les projections, entraîner une baisse du PIB mondial de 1 à 3 % d’ici 2060.
Ce ne sont bien entendu que des exemples emblématiques des défis environnementaux auxquels nous sommes confrontés. Or, l’action engagée pour remédier aux pressions environnementales progresse souvent trop lentement. Les décideurs craignent depuis longtemps que des politiques strictes de protection de l’environnement ne nuisent à la compétitivité et à la croissance. Ainsi, plusieurs études ont attribué au durcissement des politiques environnementales une part non négligeable du ralentissement de la productivité observé aux États-Unis dans les années 70. De telles craintes sous-tendent aussi l’hypothèse dite du « havre de pollution », selon laquelle l’activité industrielle et la pollution qui l’accompagne se reporteraient sur les pays imposant des normes environnementales moins rigoureuses. De plus, des arguments à l’encontre du renforcement des politiques environnementales ont refait surface dans le contexte d’une mondialisation croissante s’accompagnant d’une fragmentation de la production et d’une plus grande mobilité des capitaux.
Dans le même temps, on a de sérieuses raisons de penser que l’avenir ne nous imposera pas nécessairement un nivellement par le bas et que l’on n’aura pas à choisir entre protection de l’environnement et croissance. On peut en effet faire valoir qu’au contraire, un durcissement des politiques environnementales encourage les entreprises et les ménages à changer de comportement, réduit les sources d’inefficience et favorise le développement et l’adoption de technologies nouvelles bénéfiques à la fois pour l’environnement et pour l’économie. Après tout, en dépit de toutes les mesures environnementales mises en œuvre au fil des ans, la croissance ne s’est pas effondrée. De plus, si l’on y regarde de plus près, on constate que les effets négatifs des politiques environnementales ne sont guère corroborés par les données.
Les données empiriques réunies par l’OCDE en sont une illustration. Issues de l’analyse d’un sous-ensemble de mesures environnementales couvrant une vingtaine d’années et des résultats économiques de 24 pays de l’OCDE, elles indiquent que la productivité n’a généralement pas pâti de la mise en place de politiques d’environnement plus sévères. S’il y a bien eu certains ajustements temporaires, ceux-ci ont eu tendance à disparaître au bout de quelques années.
Il est clair que les évolutions à venir feront des gagnants et des perdants. Le durcissement des politiques environnementales a tendance à profiter aux entreprises (et industries) les plus productives et les plus avancées sur le plan technologique, en raison sans doute de leur aptitude à saisir les opportunités nouvelles en innovant et en améliorant leurs produits, mais aussi, le cas échéant, en délocalisant une partie de leur production à l’étranger. À l’inverse, les entreprises les moins productives – qui utilisent en général leurs ressources de façon moins efficiente – risquent de voir la croissance de leur productivité ralentir, puisqu’il leur faudra peut-être davantage investir pour respecter des prescriptions environnementales devenues plus exigeantes. Certaines d’entre elles pourraient devoir cesser leur activité. Toutefois, si les ressources sont rapidement réaffectées à des entreprises jeunes en plein essor, l’effet global ne sera pas nécessairement négatif et pourra être positif, sur le plan économique mais aussi environnemental, en particulier si des mesures ont été mises en place pour permettre aux entreprises d’entrer sur les marchés et d’en sortir et pour soutenir l’emploi.
Le travail de suivi consacré aux échanges internationaux et aux politiques d’environnement ajoute une nouvelle dimension au tableau. Il ressort des travaux de l’OCDE que l’hypothèse du « havre de pollution » se vérifie lorsqu’on l’applique aux chaînes de valeur mondiales. Cependant, aucune perte globale de compétitivité des économies ne peut être attribuée aux politiques environnementales. Le durcissement de ces politiques a certes des effets importants sur les avantages comparatifs : les pays dotés de politiques plus sévères peuvent perdre un avantage concurrentiel dans les secteurs les plus polluants. Mais cette perte est compensée par un gain dans les secteurs moins polluants, avec à la clé une réorientation globale des spécialisations. De plus, même s’ils ne sont pas négligeables, ces effets restent très modestes, par exemple si on les compare à ceux de la libéralisation des échanges. Ils concordent avec d’autres indications récentes concernant les effets sur la compétitivité et les possibilités d’orienter la spécialisation des pays vers des produits dits « environnementaux », qui constituent un marché mondial en pleine expansion. L’intensification des échanges de ces produits peut accélérer l’amélioration de la qualité de l’environnement à l’échelle planétaire. De fait, l’ouverture des échanges, associée à des politiques d’environnement sévères et bien conçues, peut être la voie royale pour réduire la pollution et stimuler la croissance à l’échelle nationale et internationale.
Le dynamisme et la flexibilité de l’économie sont indispensables pour parvenir à de tels résultats positifs, et la conception des politiques environnementales en est un rouage essentiel. Les mots-clés sont flexibilité et concurrence : des instruments de marché comme les écotaxes, qui laissent à l’entreprise le choix de la technologie propre qu’elle utilisera, ont souvent des effets positifs plus marqués sur la productivité. Au contraire, si les règles destinées à favoriser le développement des marchés sont importantes, les mesures qui se traduisent par un alourdissement inutile et excessif des formalités administratives liées à la protection de l’environnement ou qui favorisent les acteurs en place, comme l’assouplissement des normes ou les subventions qui soutiennent l’activité d’entreprises polluantes et inefficientes, peuvent nuire au progrès économique et environnemental. Les travaux récents ont montré qu’il n’y a généralement pas de corrélation entre la sévérité des politiques environnementales des pays de l’OCDE et les lourdeurs de la réglementation qu’elles imposent. En d’autres termes, il est possible de concevoir des politiques environnementales plus strictes tout en limitant la charge qu’elles peuvent représenter.
Enfin, les pays peuvent redoubler d’efforts pour aligner leurs politiques dans différents domaines, tels que la fiscalité, l’investissement, l’occupation des sols ou les politiques sectorielles, afin de mieux répondre aux objectifs environnementaux. De toute évidence, ce n’est pas une tâche facile, et de nouveaux travaux vont être consacrés à la relation entre l’environnement, les politiques environnementales et les résultats économiques.
Liens utiles
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