Dahlman Carl
Débattre des enjeux : les nouvelles approches face aux défis économiques
Un nouveau paradigme pour le développement rural
Les pays en développement comptent trois milliards de personnes vivant en zone rurale, un chiffre qui inclut la majorité des pauvres de la planète et qui est promis à augmenter encore durant les quinze prochaines années. La situation des habitants de ces territoires est plus mauvaise que celle de leurs concitoyens des villes au regard de presque tous les indicateurs de développement, que ce soit la pauvreté absolue, la mortalité infantile ou encore l’accès à l’électricité et l’assainissement, et le fossé continue de se creuser, contribuant à un exode rural de grande ampleur.
Ces territoires se heurtent à un déficit d’emplois productifs, à des niveaux d’éducation et d’équipement médiocres et à un accès limité aux marchés et aux services, malgré un demi-siècle de théories et de stratégies du développement rural. Même si l’expérience des premiers pays développés est toujours utile, les zones rurales des pays sous-développés d’aujourd’hui sont face à des difficultés et à des possibilités nouvelles, que les pays développés n’avaient pas en leur temps : un contexte de concurrence internationale exacerbée, un fort dynamisme démographique des territoires ruraux et une pression accrue sur des ressources environnementales limitées, et, d’autre part, des avancées technologiques dans les domaines de l’informatique et des communications, mais aussi de l’agriculture, de l’énergie et de la santé, qui offriront peut-être des solutions.
Le développement rural a besoin d’un nouveau paradigme ; celui-ci devra incorporer les enseignements tirés de l’expérience, mais devra aussi confronter les problèmes et les possibilités propres au XXIe siècle tels que les changements climatiques, les mouvements démographiques, la concurrence internationale et la mutation technologique rapide. Le Centre de développement de l’OCDE propose un nouveau paradigme du développement rural (NPDR) pour les pays en développement au XXIe siècle, fondé sur huit éléments constitutifs d’une stratégie de développement rural réussie.
Gouvernance. Une stratégie cohérente et forte ne suffit pas si les moyens de mise en œuvre sont faibles. Pour qu’une telle stratégie soit effective, il est important de renforcer les capacités et l’intégrité de la gouvernance à tous les niveaux.
Secteurs. Même si le secteur agricole reste fondamental dans les pays en développement et doit faire l’objet de politiques publiques propres, les stratégies de développement rural devraient aussi soutenir les activités non agricoles dans le secteur primaire et la création d’emplois dans les secteurs secondaire et tertiaire.
Infrastructures. L’amélioration des infrastructures, tant matérielles qu’immatérielles, pour réduire les coûts de transaction, consolider les liaisons entre campagnes et villes et renforcer les capacités est un élément central de toute stratégie dans les pays en développement. Il faut en particulier améliorer la connectivité au sein des zones rurales et avec les villes moyennes, et élargir l’accès à l’éducation et aux services de santé.
Territoires. Les moyens d’existence des populations rurales dépendent beaucoup des conditions dans les centres urbains pour ce qui est du marché du travail, de l’accès aux marchandises, aux services et aux nouvelles technologies et de l’exposition aux idées nouvelles. Une stratégie de développement rural gagnante est celle qui ne considère pas les zones rurales comme des entités isolées, mais plutôt comme des parties d’un système qui comprend des zones rurales et des zones urbaines.
Inclusivité. Les stratégies de développement rural devraient non seulement viser à réduire la pauvreté et l’inégalité, mais aussi établir l’importance de faciliter la transition démographique.
Rôle des femmes. L’amélioration des moyens d’existence des populations rurales devrait intégrer le rôle critique des femmes dans le développement rural, y compris leurs droits de propriété et leur capacité à maîtriser et mettre à profit les ressources.
Démographie. Des taux de fécondité élevés et un vieillissement rapide de la population sont deux des problèmes les plus significatifs pour les zones rurales des pays en développement aujourd’hui. Même si leurs implications pour les politiques publiques diffèrent, les résoudre exigera une bonne coordination de l’ensemble des politiques relatives à l’éducation, à la santé et à la protection sociale, ainsi qu’une régulation des naissances.
Viabilité. La problématique de la viabilité environnementale des territoires ruraux ne se résume pas au fait qu’ils dépendent fortement des ressources naturelles pour leur subsistance et leur croissance ; leur vulnérabilité face au changement climatique et aux menaces de pénuries d’énergie, d’alimentation et d’eau devrait aussi être un objet des stratégies de développement rural.
La prise en considération des nouveaux défis des zones rurales tels que la pression démographique, les incidences écologiques, les changements climatiques et une gouvernance médiocre, à côté des conséquences néfastes de leur retard telles que la polarisation du développement régional et l’exode rural qui vient gonfler les bidonvilles, est étroitement liée aux Objectifs de développement durable (ODD). Du fait de la forte interconnexion entre ces derniers et le développement rural, investir sur les deux plans aura des effets mutuellement bénéfiques. Le développement rural devrait être placé au cœur des stratégies de développement national dans tous les pays quel que soit leur stade de développement, afin de viser un développement homogène, inclusif et durable.
Le problème est que, dans la plupart des économies en développement à forte croissance démographique, les zones urbaines ne sont pas en mesure d’absorber de façon productive leur population grandissante, a fortiori celle des migrants des campagnes. Il en résulte une expansion des bidonvilles, une augmentation de l’emploi non déclaré, une aggravation du sous-emploi, une chute des taux d’activité, et des moyens de subsistance qui ne s’améliorent pas dans les zones rurales. Or, avec le ralentissement de la croissance en Chine et la mutation de la structure économique de ce pays vers le secteur tertiaire, la baisse des prix des produits de base devient un changement non plus cyclique, mais structurel. Si l’on ajoute à cela la hausse attendue des taux d’intérêt mondiaux, on peut prévoir un ralentissement de la croissance économique dans les pays en développement, ce qui rendra encore plus compliqué le soutien au développement rural.
Le défi est particulièrement imposant pour l’Asie du Sud et l’Afrique subsaharienne, deux régions dont les populations sont en grande partie rurales et qui connaissent elles aussi des taux de croissance démographique élevés et une pénurie d’emplois productifs pour absorber l’augmentation rapide de la main d’œuvre. Elles voient déjà une explosion des bidonvilles et de la main d’œuvre non déclarée, le sous-emploi dans les zones rurales et une chute des taux d’activité. Si la plupart des autres régions en développement ont déjà effectué leur transition démographique, en Afrique subsaharienne, les taux de croissance annuelle de la population sont de l’ordre de 2.8 % depuis 35 ans ; ils devraient se maintenir à environ 1.5 point de pourcentage au-dessus de la moyenne mondiale pendant les trente prochaines années. D’ici 2030, la main d’œuvre va grossir de 300 millions de personnes déjà nées, ce qui est à peu près le volume de la main d’œuvre actuelle de l’UE. De plus, nombre de pays subsahariens sont des États fragiles et beaucoup sont aussi dans une situation de grande fragilité environnementale. En conséquence, il est probable que surgiront de graves problèmes humanitaires ainsi que de fortes pressions migratoires de l’Afrique vers l’Europe et d’autres régions.
Le retard général accusé par les zones rurales fait qu’il ne sera pas possible de réaliser les ODD à moins de réussir à mettre en place des politiques publiques de développement rural opérantes. Relever le défi du développement rural va nécessiter des approches novatrices aux niveaux local, national et international. Il faudra en l’occurrence mettre au point des stratégies plurisectorielles, à niveaux et agents multiples, qui servent le développement économique et social et soient aussi écologiquement viables. Des pratiques d’urbanisme innovantes et la création de villes moyennes économiquement et écologiquement durables seront nécessaires. Pour déterminer comment parvenir à cet objectif au meilleur coût, il faudra mobiliser les meilleurs savoirs mondiaux ; il faudra également s’atteler à résoudre les difficiles problèmes du financement et de la gouvernance.
De plus, les problèmes ne se poseront pas qu’à l’échelle nationale ou locale, mais aussi à l’échelle mondiale. En effet, dans le monde actuel hautement interconnecté, l’absence d’emplois productifs, le creusement des inégalités et l’intensification de la pression démographique subis par les pays en développement peuvent être source de troubles sociaux, d’instabilité politique et de conflits, alimentant de nouveaux flux migratoires qui auront des effets sur d’autres parties du monde, comme nous le voyons actuellement avec la propagation du terrorisme mondial et la crise des réfugiés.
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Article original sur le blog OECD Insights : http://wp.me/p2v6oD-2rg.