547. L’élaboration d’une « exception en faveur des entreprises nationales » visant à réduire les cas de « double comptage » est également envisagée, parallèlement au mécanisme d’élimination de la double imposition et au régime de protection. Il existe deux types potentiels d’exceptions en faveur des entreprises nationales. La première et la plus simple exclurait du champ d’application du Montant A les grandes entreprises concentrant leurs activités sur le marché national et réalisant un niveau minimum de bénéfices à l’étranger. Elle serait mise en œuvre par l’exemption des groupes dont le chiffre d’affaires couvert de source étrangère est inférieur à un seuil convenu pour relever du champ d’application du Montant A (voir plus haut la section 2.3.2).
548. La deuxième exception, plus complexe, chercherait à exclure du Montant A la partie des activités d’un groupe qui sont principalement ou uniquement exercées dans une seule juridiction. Cela peut se produire, par exemple, lorsqu’un groupe acquiert une entreprise opérant dans une autre juridiction et que ce groupe n’intègre pas ultérieurement dans ses opérations globales. Dans ce cas-là, il peut être difficile de justifier l’application du Montant A à cette partie de l’activité du groupe, car elle pourrait avoir pour effet d’attribuer à d’autres juridictions les bénéfices résiduels issus de cette entreprise, qui sont manifestement issus d’une seule juridiction. Cela pourrait aussi avoir pour effet d’attribuer des bénéfices résiduels générés par d’autres parties de l’entreprise à la juridiction en question, bien que cette dernière détienne déjà des droits d’imposition sur les bénéfices résiduels (le cas échéant) associés aux ventes concernées. Un autre point de vue possible est qu’il s’agit là simplement d’une conséquence logique de l’application reposant sur une formule du Montant A au groupe dans son ensemble.
549. « L’exception en faveur des entreprises nationales » permettrait de remédier à certains cas de double comptage, en excluant du Montant A les bénéfices résultant de la vente de biens ou de services qui sont développés, fabriqués et vendus dans une seule juridiction.
550. Deux difficultés seraient à surmonter pour pouvoir élaborer cette exception en faveur des entreprises nationales. Premièrement, il faudrait que le contribuable isole et segmente les bénéfices de cette entreprise nationale autonome des autres activités du groupe. Il faudrait pour cela réorganiser le cadre de segmentation, ce qui augmenterait la complexité, ainsi que les coûts de conformité et la charge administrative associés. Ceci dit, en supposant que l’entreprise est exploitée de façon autonome, cette segmentation supplémentaire peut être relativement facile à effectuer pour le contribuable.
551. Deuxièmement, il est peu probable qu’il existe de nombreux exemples de groupes d’EMN possédant des entreprises nationales entièrement autonomes. En effet, dans la plupart des cas, ces entreprises seront intégrées dans une certaine mesure dans l’activité plus large du groupe, que ce soit par le biais du développement partagé de la propriété intellectuelle, des activités de financement intragroupe ou d’autres services centraux. Pour les grandes entreprises en relation étroite avec les consommateurs en particulier, les paiements de redevances portant sur la propriété intellectuelle peuvent représenter une charge importante dans de nombreuses juridictions de marché. Même lorsque des groupes fabriquent et vendent des biens dans une seule juridiction en utilisant la propriété intellectuelle locale, ces biens peuvent inclure des intrants achetés auprès d’une partie liée dans une autre juridiction ou ils peuvent être produits à l’aide d’un savoir-faire de fabrication soumis à des frais de licence.
552. Pour cette raison, si l’exception ne s’appliquait qu’à la fraction des activités d’un groupe menées sur un seul territoire, en l’absence de toute transaction avec des parties liées dans d’autres juridictions, peu de groupes d’EMN, voire aucun, pourraient s’en prévaloir. Par conséquent, il serait probablement nécessaire d’établir un seuil quantitatif pour identifier les « entreprises nationales » ayant droit à cette exception, comme celles ayant conservé un pourcentage donné (par exemple 90 %) du total des bénéfices provenant d’un marché, ou sinon celles dont le chiffre d’affaires provient exclusivement du marché national et qui n’ont que des transactions limitées, voire aucune, avec des parties liées dans d’autres juridictions. Une telle solution s’accompagnerait de ses propres difficultés. Il serait difficile de parvenir à un accord sur le pourcentage des bénéfices qui devraient être conservés sur le marché pour que s’applique « l’exception en faveur des entreprises nationales ». Convenir d’un seuil unique créerait un « effet de falaise », où une entreprise juste au-dessus du seuil serait exclue du Montant A, alors qu’une autre se trouvant juste en dessous ne le serait pas. Si ce seuil était appliqué sur une base annuelle, l’entreprise nationale pourrait alterner en étant par moments couverte par l’exception et à d’autres pas, ce qui ne ferait qu’ajouter de la complexité supplémentaire. Le simple fait de calculer si le seuil a été atteint serait en soi difficile, dans la mesure où pour déterminer les bénéfices générés par un marché, il faudrait aussi identifier l’intégralité des coûts engagés en rapport à ce marché, dans la mesure où certains pourraient l’être dans d’autres juridictions. Cette complexité risque de donner lieu à des différends quant à la répartition des coûts partagés, comme les dépenses de gestion ou les campagnes publicitaires mondiales. Face à tous ces problèmes, force est de constater que même si « l’exception en faveur des entreprises nationales » est attrayante du point de vue conceptuel, elle peut être très difficile à concevoir dans la pratique.
553. Outre ces difficultés, il est important de souligner que « l’exception en faveur des entreprises nationales » ne ferait que réduire le problème du « double comptage ». Elle ne résoudrait pas les cas où une juridiction de marché détient des droits d’imposition sur les bénéfices résiduels découlant des activités d’un distributeur non éligible à « l’exception en faveur des entreprises nationales ». Par conséquent, cette « exception en faveur des entreprises nationales » ne pourrait être développée qu’en combinaison avec un autre mécanisme d’élimination de la double comptabilisation.