599. L’application du critère des activités et du critère de rentabilité aboutira à l’identification d’un ensemble d’entités qui, dans un groupe d’EMN ou un segment, sont susceptibles d’être des entités payeuses (en fonction des modalités de calcul de la base d’imposition du Montant A). Il pourra arriver que ces entités payeuses potentielles réalisent leurs bénéfices dans un nombre limité de juridictions auxquelles sont attribués des droits d’imposition au titre du Montant A. Ce cas peut se présenter, par exemple, si un groupe a deux branches principales dans une région pouvant prétendre à l’ensemble des bénéfices provenant de cette région. Dans ce cas de figure, on pourrait arguer que chaque entité régionale principale ne doit être redevable du Montant A que vis-à-vis des juridictions de marché d’où proviennent ses bénéfices résiduels. C’est pourquoi on pourrait appliquer un critère du lien avec le marché en vertu duquel, dans le premier cas, le Montant A dû pour une juridiction de marché donnée ouvrirait droit à un allégement par imputation sur les bénéfices d’une entité payeuse qui exerce les activités identifiées sur un marché donné au moyen du critère des activités.
600. Comme le Montant A s’appliquera à l’échelon d’un groupe ou d’un segment sans tenir compte de la rentabilité des divers sous-secteurs ou régions, cette logique pourrait aboutir à des situations dans lesquelles il est impossible d’identifier une entité payeuse satisfaisant au critère de rentabilité. Si l’on revient à l’exemple ci-dessus, il pourrait arriver qu’une entité régionale principale ne réalise pas par elle-même un montant de bénéfices suffisant pour acquitter le Montant A. Dans ce cas, les autres entités payeuses d’un groupe ou d’un segment devront payer le reste de l’impôt dû au titre du Montant A (voir Étape 4 : Allocation proportionnelle infra).
601. Tout contribuable devra déterminer, pour chaque juridiction de marché à laquelle est attribué un Montant A, laquelle (si elle existe) des entités payeuses potentielles qui ont été identifiées présente un lien suffisant pour être qualifiée d’entité payeuse pour cette juridiction de marché. Il sera possible d’établir un lien direct ou indirect entre une juridiction de marché et diverses entités d’un groupe. Par exemple, une entité peut vendre des biens ou services à des parties liées ou indépendantes résidant sur ce marché ou concéder des licences sur des biens incorporels exploités par la suite dans cette juridiction. Pour ce test, on ne peut partir du principe que tout lien entre une entité payeuse et une juridiction sera suffisant pour établir un lien dans le cadre de l’Étape 3. Il faut que ce lien concerne les activités identifiées au moyen du critère des activités.
602. Il sera assez aisé pour de nombreux groupes d’identifier les entités payeuses liées aux différents marchés. Par exemple, si dans un groupe une seule entité dispose des droits mondiaux pour l’exploitation d’actifs incorporels et reçoit des bénéfices résiduels provenant de chaque juridiction de marché, elle présentera un lien suffisant avec chaque juridiction de marché. Inversement, si un groupe a adopté un modèle de fonctionnement centralisé au niveau régional dans lequel différentes entités du groupe ont le droit d’exploiter des biens incorporels et reçoivent des bénéfices résiduels des juridictions de marché situées dans leur région, chacune de ces entités présente un lien suffisant avec les juridictions de marché de sa région (mais son lien avec les juridictions de marché des autres régions n’est pas suffisant).
603. C’est pourquoi il devrait être relativement facile dans de nombreux cas d’établir un lien suffisant entre une entité payeuse et une juridiction de marché. En effet, la plupart des groupes d’EMN ont une structure et disposent d’accords juridiques indiquant clairement les entités qui ont les droits d’exploitation relatifs à des biens incorporels précis sur un marché donné et en tirent des bénéfices résiduels. Par exemple, un contrat donnant à une entité le droit d’exploiter un bien incorporel dans une région constituerait la preuve de l’existence d’un lien entre cette entité et les juridictions de marché de cette région. De même, la concession directe d’une licence sur un bien incorporel par une entité à une juridiction de marché serait aussi la preuve d’un lien entre une entité payeuse et un marché. Ces informations seront très souvent déjà à la disposition des administrations fiscales car elles figurent dans le fichier principal d’un groupe ou ses autres documents sur les prix de transfert.
604. Pour concevoir cette règle de priorité, il importe de rappeler quelques principes de conception qui devront être pris en compte pour définir ce qui constitue un « lien suffisant » :
les transactions qui créent le lien doivent être liées aux activités identifiées au moyen du critère des activités ; par exemple, si une entité dispense certains services courants de support en sus des activités non standards de telle sorte qu’elle est qualifiée d’entité payeuse, il n’existe pas de lien suffisant entre cette entité et une juridiction de marché dans laquelle elle n’a fourni que des services de soutien standards ; de même, l’octroi de financements intra-groupe à une entité résidant dans une juridiction de marché ne serait pas suffisante pour établir un lien puisque l’exécution d’activités de financement intra-groupe n’est pas suffisante pour qualifier une entité d’entité payeuse ;
toute entité payeuse doit réaliser des bénéfices qui en dernière analyse sont liés aux ventes à des tiers situés dans une juridiction de marché donnée. Par exemple, si une entité reçoit d’un fabricant ayant la qualité de partie liée une commission pour la fourniture de services d’appui à la fabrication, cela ne sera pas suffisant pour établir un lien entre l’entité qui reçoit la commission et la juridiction dans laquelle réside ce fabricant (et qui peut aussi être une juridiction de marché).
Il ne serait pas nécessaire qu’une entité payeuse ait un lien transactionnel direct avec une juridiction de marché. Par exemple, si un paiement de redevances est effectué à partir d’une juridiction de marché vers une entité relais (qui regroupe les paiements de redevances provenant de divers marchés et les reverse ensuite au bénéficiaire ultime), il pourrait exister un lien suffisant entre la juridiction de marché et ce bénéficiaire ultime. Il en irait de même dans le cas d’une chaîne d’entités relais.
605. Le Cadre inclusif consacrera des travaux supplémentaires à la conception de ce critère et analysera les types de dispositifs et de transactions qui pourraient servir à établir un lien suffisant entre une entité payeuse et une juridiction de marché, en ayant soin de rechercher les éléments matériels au moyen desquels ces dispositifs et transactions pourraient être identifiés. Il se penchera aussi sur le cas où une juridiction de marché présente des liens suffisants avec plusieurs entités payeuses et sur l’opportunité de règles de hiérarchisation de telle sorte que l’impôt dû au titre du Montant A soit attribué en premier lieu à l’entité payeuse ayant un lien direct avec cette juridiction de marché ou, faute d’un tel lien direct, à celle dont le lien avec ladite juridiction est le plus « solide ». Dans la mesure où cette entité payeuse ne réalise pas de bénéfices suffisants13 pour supporter la totalité de la charge fiscale du Montant A, cette charge serait affectée en second lieu à l’entité qui a un lien indirect ou, en l’absence d’un tel lien, qui a le deuxième lien le plus « solide » avec la juridiction en question et ainsi de suite jusqu’à ce que la totalité du montant de l’impôt à payer ait été affectée. Inversement, le Cadre inclusif examinera aussi si, dans ce cas de figure, la solution à la fois la plus juste et la plus simple ne consisterait pas à répartir proportionnellement la charge fiscale du Montant A en question entre les entités payeuses ayant un lien suffisant avec une juridiction de marché (comme cela est exposé de manière plus détaillée dans la section 7.2.5).
606. Ces deux approches ne donneraient pas les mêmes résultats. Supposons par exemple qu’un groupe d’EMN ait adopté un modèle opérationnel dans lequel une entité régionale principale se livrant au négoce dans le Pays A peut prétendre à la majorité des bénéfices résiduels issus d’une juridiction de marché et qu’il est établi qu’elle est l’entité ayant le lien le plus fort avec ce marché mais que l’entité mère ultime dans le Pays B (qui assure quelques fonctions DEMPE pour les biens incorporels appartenant à et exploités par l’entité régionale principale) peut encore prétendre à une petite partie des bénéfices résiduels provenant de la juridiction de marché en question. Dans une approche hiérarchique, la charge du Montant A serait attribuée en premier lieu à l’entité régionale principale et ensuite seulement à l’entité mère si cette entité régionale principale ne dispose pas de profits suffisants pour payer la totalité de l’impôt dû au titre du Montant A. En revanche, dans une approche proportionnelle, la charge du Montant A serait simplement répartie entre l’entité régionale principale et l’entité mère au moyen d’une formule dans l’hypothèse où toutes deux ont un lien suffisant avec la juridiction de marché concernée.
607. Certains membres du Cadre inclusif pensent que le calcul du Montant A à l’échelon mondial s’accorde mal avec le paiement de l’impôt sur les bénéfices attribués à une juridiction de marché par les entités ayant un lien avec le marché. Ces membres sont partisans de supprimer le critère du lien avec le marché et de répartir proportionnellement la charge du Montant A entre les entités identifiées lors des Étapes 1 et 2 selon les modalités décrites dans l’Étape 4. Ils trouvent que, dans la mesure où la possibilité que les bénéfices d’une entité régionale principale soient attribués à des marchés avec lesquels cette entité n’est pas liée par des transactions suscite des inquiétudes, cette préoccupation devrait être prise en considération dans les débats sur la segmentation régionale, ce qui revient à dire qu’il faut se demander si le Montant A devrait faire l’objet d’une segmentation régionale dans certains cas.