Erina Mahmud
BRAC Institute of Governance and Development & Southern Voice
Coopération pour le développement 2020
Mobiliser la communauté pour lutter contre les fausses informations dans les camps de réfugiés rohingyas
Abstract
Cette étude de cas montre que, pour une population vulnérable comme les réfugiés rohingyas, l’accès à des informations fiables et un démenti rapide des rumeurs peuvent sauver des vies. Face à la propagation alarmante de fausses informations au sein des camps de réfugiés rohingyas, qui sont surpeuplés, les organisations humanitaires et les autorités du Bangladesh ont mis en place une stratégie de communication reposant largement sur la mobilisation de la communauté rohingya sur le terrain.
Les fausses informations sur le coronavirus (COVID-19) discréditent les conseils fiables et empêchent l’adoption de mesures visant à endiguer la propagation du virus.
Toute stratégie de communication sur les risques doit commencer par déterminer comment et où les individus obtiennent leurs informations et se forgent leurs opinions, avant de cibler ces sources.
La mobilisation de la communauté est essentielle pour diffuser efficacement des informations fiables et démentir rapidement les rumeurs.
L’arrivée du COVID-19 au Bangladesh s’est accompagnée d’une vague de fausses informations et de rumeurs concernant le virus. Les rumeurs en période de pandémie peuvent se traduire par des morts, et le risque qu’elles se propagent est démesurément élevé parmi les Rohingyas. Avec environ 860 000 réfugiés répartis dans 34 camps à Cox’s Bazar, la densité démographique est 40 fois plus élevée que la moyenne enregistrée dans le reste du Bangladesh (Hoque, 2020[1]). En raison d’une interdiction d’accès à l’internet imposée exclusivement aux camps de Rohingyas et levée en août 2020 seulement (Kamruzzaman, 2020[2]), conjuguée à un confinement total et à un manque à hauteur de 80 % de personnels humanitaires du fait d’une directive officielle, les Rohingyas se sont retrouvés dans une situation de vulnérabilité particulière (RFI, 2020[3]). Par ailleurs, quelque 19 % de la population souffrent d’infections respiratoires aigües, et leur dépendance à l’égard de la distribution publique de nourriture et d’eau les place dans une situation encore plus difficile en période de pandémie (Hossain et al., 2019[4]). Devant de telles conditions, les chercheurs avaient estimé qu’un premier cas de COVID-19 dans les camps entraînerait entre 119 et 504 cas supplémentaires en 30 jours (Smith, 2020[5]). Toutefois, fin août, seuls 101 cas et 6 décès étaient officiellement confirmés dans les camps (OMS, 2020[6]).
Les rumeurs en période de pandémie peuvent se traduire par des morts, et le risque qu’elles se propagent est démesurément élevé parmi les Rohingyas.
Rumeurs et fausses informations
Dans l’enceinte des camps surpeuplés, une multitude de rumeurs s’est rapidement propagée au sein de la communauté, concernant les liens entre le COVID-19 et toute une variété d’aspects allant de l’alimentation aux convictions religieuses et sociales. Selon BBC Media Action et Translators Without Borders (2020[7]), de nombreuses personnes associaient la consommation de certaines viandes et dérivés de viande au virus, quand d’autres pensaient qu’une personne contaminée pouvait transmettre la maladie par morsure ou griffure. D’après les chercheurs, les Rohingyas se sont abstenus de solliciter une aide médicale, craignant que les forces de sécurité ne les tuent par balle s’ils contractaient le virus, et nombre d’entre eux ont trouvé du réconfort dans l’idée que le COVID-19 était un châtiment divin pour les tortures que le monde leur infligeait (BBC Media Action et Translators without Borders, 2020[8]).
Ces multiples rumeurs posent un double problème : non seulement elles sont, pour l’essentiel, inexactes, mais le fait qu’elles se répandent facilement discrédite les informations fiables sur la manière de lutter contre le virus.
Identifier et cibler les sources de fausses informations
Pour protéger et préparer une population défavorisée comme la communauté rohingya, une stratégie de communication des risques et d’engagement communautaire (CREC) contextualisée est nécessaire, qui permette de suivre et de battre en brèche les fausses informations ; d’informer les individus sur les mesures de prévention, les symptômes, le dépistage, la gestion de la maladie et les structures de santé ; et de partager en temps réel les dernières informations disponibles concernant les taux de contamination et de mortalité dans les camps (OMS/UNICEF/IFRC, 2020[9]). Or, dans les camps de réfugiés rohingyas, aucune stratégie de la sorte n’a été pleinement mise en œuvre au début de la pandémie, et quand elle l’a été, les rumeurs s’étaient déjà propagées.
Afin de favoriser une communication efficace, le Groupe de coordination inter-secteurs, plateforme commune des autorités du Bangladesh et des agences humanitaires mobilisées autour des Rohingyas, a adopté une stratégie de communication à double sens (Groupe de coordination inter-secteurs, 2020[10]). Les organisations partenaires ont recueilli des informations sur les perceptions de la communauté au moyen d’entretiens et de discussions avec des groupes cibles de réfugiés, avant de diffuser des informations adaptées aux besoins de ces derniers (Groupe de coordination inter-secteurs, 2020[10]).
Il est ressorti de ces interactions que les principales sources d’information des Rohingyas sont les médias sociaux et les services de messagerie, les mosquées et les chefs religieux, les chefs de secteur, les réseaux de la diaspora, et les initiatives pilotées par des Rohingyas (BBC Media Action et Translators without Borders, 2020[11]). L’Inter Sector Coordination Group a donc ciblé ces canaux et diffusé des messages audio et vidéo sur le COVID-19 par l’intermédiaire des mosquées, des points d’information et de distribution de nourriture dans les camps, et de véhicules motorisés, dans trois langues locales (bengali, birman et rohingya).
La mobilisation de la communauté comme moteur des campagnes de sensibilisation
Afin de renforcer l’approche axée sur la communauté et en tant que méthode permettant de mettre en œuvre une stratégie de communication des risques et d’engagement communautaire, les organisations nationales et internationales privilégient désormais les activités de communication avec les communautés passant par les chefs de communautés. Des discussions en petits groupes sont organisées aux points de distribution, dans les centres socioculturels et au sein de groupes religieux ou d’auditeurs radio dans le but de faciliter la diffusion des messages de sensibilisation et de favoriser les changements durables de comportement. Des bénévoles formés s’emploient également à établir une communication auprès des ménages de manière à inclure femmes et enfants. Des financements supplémentaires seront nécessaires pour pérenniser et étendre ces activités. Le Plan d’action conjoint 2020 relatif à la crise humanitaire des réfugiés rohingyas estimait déjà, avant la crise du COVID-19, que 10 millions USD étaient nécessaires rien que pour les activités de communication avec les communautés (Groupe de coordination inter-secteurs, 2019[12]).
Pour garantir l’efficacité de ces interactions, il est impératif de contextualiser les approches descendantes en matière de communication des risques, afin de recueillir et de prendre en compte les points de vue de la communauté. L’approche axée sur la communauté s’est révélée particulièrement concluante. Elle associe les personnes sur le terrain qui connaissent les rumeurs en cours et les catégories de population à cibler. En outre, grâce à la proximité linguistique et au sentiment partagé d’appartenance à un groupe, la diffusion des messages est beaucoup plus efficace qu’une diffusion de masse, mécanique. Fortes de ces interactions plus efficaces, les agences humanitaires ont intensifié leurs activités de communication avec les communautés.
Enseignements à tirer
En situation de crise, il faut agir rapidement. Or, ce n’est possible que si les contraintes bureaucratiques sont réduites au minimum et si les déficits de financement sont comblés. Une communication sur les risques ciblée, conjuguée à la mobilisation de la communauté, constitue un moyen efficace de lutter contre les fausses informations et porte ses fruits de manière optimale si elle est déployée dès le début d’une crise, avant toute propagation de fausses informations. Un autre enseignement sans équivoque se dégage pour les pouvoirs publics : en temps de crise, empêcher une communauté déjà marginalisée d’accéder à l’espace numérique peut se traduire par des morts.
Références
[7] BBC Media Action et Translators without Borders (2020), « Covid-19: Perception of host and Rohingya community », dans What Matters? Humanitarian Feedback Bulletin on Rohingya Response, Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations Unies, Genève.
[8] BBC Media Action et Translators without Borders (2020), « Covid-19: Rumours in the camps », What Matters? Humanitarian Feedback Bulletin on Rohingya Response, n° 35, BBC Media Action and Translators without Borders, https://app.box.com/s/2gfphrsyvxret1qnm949ku73quxopwqv (consulté le 2 octobre 2020).
[11] BBC Media Action et Translators without Borders (2020), Covid-19: Older Rohingya community, Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations Unies, Genève, https://app.box.com/s/539lre83v137blggbt88b5w8l8l484m0 (consulté le 2 octobre 2020).
[10] Groupe de coordination inter-secteurs (2020), 2020 COVID-19 Response Plan: Addendum to the Joint Response Plan 2020 – Rohingya Humanitarian Crisis, Nations Unies, New York, https://reliefweb.int/sites/reliefweb.int/files/resources/covid-19_addendum_rohingya_refugee_response_020720_0.pdf (consulté le 2 octobre 2020).
[12] Groupe de coordination inter-secteurs (2019), 2020 Joint Response Plan for Rohingya Humanitarian Crisis: Snapshot, Nations Unies, New York, https://www.humanitarianresponse.info/sites/www.humanitarianresponse.info/files/documents/files/jrp_2020_summary_2-pager_280220.pdf (consulté le 2 octobre 2020).
[1] Hoque, S. (2020), « If COVID-19 arrives in the camp, it will be devastating », HCR Philippines, Makati City, https://www.unhcr.org/ph/18851-covid19-rohingya.html (consulté le 2 octobre 2020).
[4] Hossain, A. et al. (2019), « Health risks of Rohingya children in Bangladesh: 2 years on », The Lancet, vol. 394/10207, pp. 1413-1414, http://dx.doi.org/10.1016/S0140-6736(19)31395-9.
[2] Kamruzzaman, M. (2020), Bangladesh to Restore Phone, Internet at Rohingya Camps, Anadolu Agency, Ankara, https://www.aa.com.tr/en/asia-pacific/bangladesh-to-restore-phone-internet-at-rohingya-camps/1952124 (consulté le 2 octobre 2020).
[6] OMS (2020), Rohingya Crisis Situation Report #21, Organisation mondiale de la santé, Bangladesh, https://reliefweb.int/sites/reliefweb.int/files/resources/who-cxb-sitrep-21.pdf (consulté le 2 octobre 2020).
[9] OMS/UNICEF/IFRC (2020), RCCE Action Plan Guidance: COVID-19 Preparedness and Response, Organisation mondiale de la santé, Genève, https://www.who.int/publications/i/item/risk-communication-and-community-engagement-(rcce)-action-plan-guidance (consulté le 2 octobre 2020).
[3] RFI (2020), Rohingya Camps in Bangladesh Under Complete Virus Lockdown, Radio France Internationale, https://www.rfi.fr/en/international/20200409-rohingya-camps-in-bangladesh-in-complete-coronavirus-lockdown-risk-spread-covid-19 (consulté le 2 octobre 2020).
[5] Smith, N. (2020), « Thousands of Rohingya refugees likely to die from coronavirus, new report warns », The Telegraph, https://www.telegraph.co.uk/news/2020/04/06/thousands-rohingya-refugees-likely-die-coronavirus-new-report (consulté le 2 octobre 2020).