Catherine Anderson
Development Co-operation Directorate, OECD
Marc De Tollenaere
Development Co-operation Directorate, OECD
Catherine Anderson
Development Co-operation Directorate, OECD
Marc De Tollenaere
Development Co-operation Directorate, OECD
La pandémie de COVID-19 attire l’attention sur l’importance d’avoir des institutions résilientes pour traverser cette crise ‒ et d’autres ‒ et pour favoriser une reprise durable dans les pays développés et en développement. S’il est manifeste que des institutions plus résilientes sont nécessaires dans un contexte de pandémie mondiale, il n’est pas si simple de traduire ce constat en stratégies efficaces d’aide publique au développement. Cette étude de cas livre une brève réflexion sur l’état de nos connaissances concernant le renforcement de la résilience institutionnelle dans les contextes de développement et sur ce que cela signifie pour les acteurs du développement sur le terrain. Elle commence par un bref survol des fondements théoriques de la résilience institutionnelle, avant de se pencher sur les aspects que ces acteurs devraient prendre en compte, ainsi que sur les mesures qu’ils peuvent prendre pour promouvoir cette résilience.
La résilience institutionnelle englobe la capacité de produire et d’améliorer des résultats au fil du temps, de façon crédible, légitime et adaptable ; ainsi que la capacité de gérer des chocs et des changements.
Pour renforcer la résilience des institutions, les acteurs de la coopération pour le développement sont encouragés à déterminer quelles sont les connaissances, les expériences et les sources de résilience au niveau local, et à les mettre à profit.
La résilience institutionnelle peut être renforcée en portant à plus grande échelle et en reproduisant les succès obtenus au niveau local, et en tirant parti du capital social d’une institution en sa qualité de médiateur dans les relations entre l’État et la société.
Un rapport récemment publié par le Groupe indépendant d’évaluation de la Banque mondiale définit la résilience comme la capacité d’un pays de prévenir et d’atténuer des chocs et/ou d’y réagir efficacement (Banque mondiale, 2019[1]). La résilience institutionnelle, cependant, mérite d’être définie plus précisément. Il est communément admis que la résilience n’est pas une caractéristique ni une particularité isolée des institutions, mais plutôt le fruit ou la fonction d’un cercle vertueux de performance institutionnelle. Elle découle de l’efficacité institutionnelle (à savoir, la capacité de produire et d’améliorer des résultats au fil du temps), qui apporte confiance, légitimité et crédibilité, elles-mêmes sources de résilience venant renforcer les capacités d’une institution (Barma, Huybens et Vinuela, 2014[2]). « Plus que la simple capacité d’absorption ou rapidité de relèvement » (Aligicia et Tarko, 2014[3]), la résilience institutionnelle est donc le produit de l’évolution d’une institution au fil du temps, de son caractère inclusif ou exclusif, et de la confiance qu’elle inspire, des normes qu’elle a établies et des réseaux qu’elle a constitués (Adger, 2006[4]). Les relations et les attentes entre l’État et la société, elles aussi, sous-tendent et nourrissent la résilience institutionnelle ; celle-ci dépend également de l’innovation et de la créativité des adaptations socio-culturelles, que seuls des processus institutionnels souples et polycentriques peuvent favoriser (Aligicia et Tarko, 2014[3]).
Ce rapide survol des fondements théoriques montre que la résilience est un aspect du développement institutionnel qui ne peut être dissocié d’autres caractéristiques. La résilience est étroitement liée à l’histoire locale, aux normes culturelles, à la performance, à la légitimité et à l’adaptabilité. Se pose alors la question de savoir ce qu’un engagement plus soutenu en faveur de la résilience institutionnelle signifie pour les acteurs de la coopération pour le développement.
Si les acteurs du développement sur le terrain peuvent puiser dans de nombreux documents d’orientation expliquant comment rendre les institutions plus efficaces, inclusives et redevables, ils disposent de beaucoup moins de ressources portant sur la question de la résilience institutionnelle et les moyens de la renforcer. Comme le met en évidence la crise actuelle, des institutions performantes en période de stabilité peuvent faillir, voire s’effondrer en temps de crise, ou peiner à se relever d’un choc. Ce constat nous montre que pour renforcer la résilience des institutions, il ne faut pas se contenter d’améliorer leur efficacité, leur redevabilité et leur inclusivité. Il s’agit d’un objectif central du développement, d’autant que, selon les projections, la pandémie de COVID‑19 n’est pas un événement isolé et pourrait bien être suivie d’autres crises sanitaires, chocs climatiques et bouleversements numériques, notamment (Sitaraman, 2020[5]).
Concrètement, quatre méthodes de développement institutionnel sont généralement jugées utiles pour renforcer la résilience des institutions. Tirées de la documentation existante et d’un vaste corpus d’expériences (Andrews, Pritchett et Woolcock, 2017[6] ; Barma, Huybens et Vinuela, 2014[2]), elles peuvent être résumées comme suit :
Déterminer quelles sont les sources de résilience au niveau national et les mettre à profit. Une exposition répétée aux crises peut créer une résilience endogène. Au lieu de créer de nouvelles structures en s’inspirant des bonnes pratiques, les partenaires au développement auraient intérêt à recenser et à soutenir les sources de résilience existantes. Au Libéria, les résilients réseaux locaux, si essentiels à la survie et à la protection des populations pendant les 13 années de guerre civile, ont aussi permis au pays de mettre en place une riposte efficace, pilotée par la population locale (au moyen des équipes de surveillance de proximité), pendant l’épidémie d’Ebola, en 2014. Les acteurs du développement ont par la suite entrepris de structurer la réponse du Libéria autour de ces systèmes. Pour résumer, lorsqu’elles existent, les sources locales de résilience doivent être préservées et renforcées.
S’appuyer sur ce qui existe déjà, reproduire et appliquer à plus grande échelle ce qui fonctionne. Il est également utile d’étudier le contexte local pour recenser d’éventuelles « poches » d’efficacité, ou des cas de déviance positive, puis de reproduire et de porter à plus grande échelle ce qui fonctionne pour le transposer dans de nouvelles situations. Le plus souvent, cette méthode est plus durable et plus efficace que l’application de solutions importées d’autres contextes. Au Timor-Leste, pendant la crise qui a suivi l’accès à l’indépendance, en l’absence de ministère de la Santé et alors que 75 % des infrastructures du pays étaient endommagées, les professionnels de santé ont continué d’exercer des activités de proximité, prodiguant des soins de santé de base aux villageois et aux personnes déplacées à l’intérieur du pays. Une fois le ministère créé, le ministre nouvellement élu s’est appuyé sur les mécanismes existants pour établir les nouveaux protocoles de santé publique du Timor-Leste, faisant naître un système de santé considéré par les partenaires et les citoyens comme le service public le plus efficace du pays (Barma, Huybens et Vinuela, 2014[2]).
Adopter les normes et valeurs sociales locales, dans la mesure du possible, étant donné que ces normes culturelles sont profondément ancrées et spécifiquement conçues pour résoudre des problèmes collectifs. Au Timor-Leste, alors que la crise qui a suivi l’accès à l’indépendance avait provoqué le déplacement de dizaines de milliers de personnes à l’intérieur du pays, le ministère de la Solidarité sociale a fait fond sur les normes et pratiques locales pour résoudre les conflits et réconcilier les communautés. Cette approche a permis la réinsertion d’environ 150 000 déplacés sur une période de 9 à 12 mois à l’issue de la crise (Barma, Huybens et Vinuela, 2014[2]). Autre exemple : dans l’archipel des Moluques, province de l’est de l’Indonésie, les ressources naturelles sont gérées conformément à un ensemble de règles et réglementations définies localement et désignées sous le nom de Sasi Sasi. Instauré il y a plus de 400 ans, ce système ancré dans la culture locale repose sur le droit coutumier et continue de prouver son efficacité (Harkes et Novaczek, 2000[7]).
Tirer parti du capital social des institutions. À terme, les institutions qui créent des liens avec les citoyens et gagnent leur confiance sont plus résilientes. Ce constat suggère que les acteurs du développement doivent non seulement examiner le fonctionnement intrinsèque d’une institution, mais aussi prendre en compte son rôle de médiateur dans les relations entre l’État et la société, ainsi que la légitimité ou la crédibilité qu’elle en a retirées. Après le séisme qui a frappé Haïti en 2010, une banque coopérative locale a pu continuer de fournir des services malgré l’effondrement des institutions en exploitant les effets cumulés d’un engagement et d’un développement institutionnels inscrits sur le long terme dans les domaines politique, technique et culturel, grâce au soutien à long terme d’une organisation non gouvernementale canadienne (Cruz et al., 2016[8]). À l’opposé, l’absence totale de capital social des institutions de la République démocratique du Congo a gravement entravé les efforts d’endiguement de l’épidémie d’Ebola survenue en 2018-19 dans l’est du Congo (Dionne et Seay, 2019[9]).
Il faudrait plus que ce bref aperçu de la résilience institutionnelle pour tirer des conclusions définitives. De même, les approches citées en exemple sont loin d’être complètes ou les seules possibles. Toutefois, elles mettent en évidence l’importance de mobiliser les forces endogènes et les moyens locaux pour créer des institutions plus résilientes.
En conclusion, nous savons que pour renforcer la résilience des institutions, il est nécessaire de créer des cercles vertueux de performance, de recenser et de mettre à profit les sources de résilience locales existantes, et de s’appuyer sur ce qui fonctionne en le reproduisant et en l’appliquant à plus grande échelle. La résilience institutionnelle a également trait à la capacité d’absorber les chocs, de faire face et de s’adapter à des situations inconnues d’une manière qui porte ses fruits et, peut-être avant toute chose, de créer des liens avec les communautés et la société, et de les mettre à profit.
Pour les acteurs de la coopération pour le développement, promouvoir la résilience institutionnelle signifie donc de tenir le cap sur la durée et de privilégier l’exploitation des connaissances, des expériences et des ressources locales. Cela suppose aussi d’abandonner résolument les modèles institutionnels technocratiques au profit d’interventions itératives, ancrées au niveau local, qui favorisent la réactivité et la flexibilité des institutions. À cet égard, le rôle de l’aide internationale est certes limité, mais néanmoins important.
[4] Adger, W. (2006), « Vulnerability », Global Environmental Change, vol. 16/3, pp. 268-281, https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0959378006000422.
[3] Aligicia, P. et V. Tarko (2014), « Institutional resilience and economic systems: Lessons from Elinor Ostrom’s work », Comparative Economic Studies, vol. 56, pp. 52-76, https://link.springer.com/article/10.1057%2Fces.2013.29.
[6] Andrews, M., L. Pritchett et M. Woolcock (2017), Building State Capability: Evidence, Analysis, Action, Oxford University Press, Oxford, https://library.oapen.org/bitstream/id/bb540dab-9bbb-45ea-8ef1-4843b24dd432/624551.pdf.
[1] Banque mondiale (2019), Building Urban Resilience: An Evaluation of the World Bank Group’s Evolving Experience (2007–17), Groupe d’évaluation indépendant, Banque mondiale, Washington, D.C., https://openknowledge.worldbank.org/bitstream/handle/10986/32622/Building-Urban-Resilience-An-Evaluation-of-the-World-Bank-Groups-Evolving-Experience-2007-2017-An-Independent-Evaluation.pdf?sequence=1&isAllowed=y.
[2] Barma, N., E. Huybens et L. Vinuela (2014), Institutions Taking Root: Building State Capacity in Challenging Contexts, Groupe de la Banque mondiale, Washington, D.C., https://elibrary.worldbank.org/doi/pdf/10.1596/978-1-4648-0269-0.
[8] Cruz, L. et al. (2016), « Institutional resilience in extreme operating environments: The role of institutional work », Business & Society, vol. 55/7, pp. 970-1016, https://journals.sagepub.com/doi/pdf/10.1177/0007650314567438.
[9] Dionne, K. et L. Seay (2019), « Here’s why Ebola has been so hard to contain in Eastern Congo », Blog Washington Post Monkey Cage, https://www.washingtonpost.com/politics/2019/06/25/heres-why-ebola-has-been-so-hard-contain-eastern-congo/.
[7] Harkes, I. et I. Novaczek (2000), Institutional resilience of « sasi laut », a fisheries management system in Indonesia (draft), Indiana University, Bloomington, http://dlc.dlib.indiana.edu/dlc/bitstream/handle/10535/2314/harkesi041000.pdf?sequence=1&isAllowed=y.
[10] Ostrom, E. (2005), Understanding Institutional Diversity, Princeton University Press, Princeton, https://press.princeton.edu/books/paperback/9780691122380/understanding-institutional-diversity.
[5] Sitaraman, G. (2020), « A grand strategy of resilience: American power in the age of fragility », Foreign Affairs, https://www.foreignaffairs.com/articles/united-states/2020-08-11/grand-strategy-resilience.