La pandémie de COVID-19 a entraîné une crise d'ampleur mondiale, mais ses conséquences sont inégales, les plus pauvres en étant les toutes premières victimes. Les appels en faveur d'un soutien international aux pays en développement à la hauteur de l’ambition du Plan Marshall restent sans réponse. Il est encore trop tôt pour savoir comment l’Histoire jugera le rôle de la coopération pour le développement dans la réponse globale apportée à la crise. Le présent rapport dresse un bilan de la situation et regroupe toutes les données concrètes disponibles. Il nous sera utile pour formuler nos politiques publiques et amplifier leur impact au cours de la reprise, pour démontrer l’intérêt d'une réponse ambitieuse, et pour tirer des enseignements de l’expérience afin de déterminer comment rendre la coopération pour le développement plus efficace lors de futures crises.
La pandémie a pris par surprise les fournisseurs de coopération pour le développement tout comme le reste du monde. Ils doivent réagir avec promptitude et flexibilité pour adapter leurs activités et apporter une réponse à la crise dans les pays partenaires. Aucun secteur n’est épargné par la pandémie. Des ressources déjà rares ont été sollicitées à l’extrême, ont dû être réaffectées ou ont été utilisées par anticipation. L'approche fondée sur l’articulation entre action humanitaire, développement et recherche de la paix a été utile, nous rappelant qu'il ne faut pas négliger le développement à long terme lorsqu'il s’agit de répondre aux demandes immédiates liées à la crise, de mettre en application la planification et la programmation conjointe, et d'intégrer dans la réponse à l'urgence les fondements de la reprise. Les résultats, à l'évidence, ont été mitigés, mais l’expérience – de ce qui fonctionne et de ce qui ne fonctionne pas – permet de dégager des enseignements importants qui sont présentés dans ce rapport. Nous ne connaissons pas encore toutes les répercussions sociales et économiques de la pandémie dans les pays en développement, mais nous savons en revanche que bien des avancées acquises au cours des vingt dernières années risquent d’être effacées. Nous savons que l’extrême pauvreté augmente fortement, notamment dans les zones urbaines. Nous savons que de nouvelles zones de concentration de la faim se font jour dans des pays à revenu intermédiaire. Nous savons que les femmes et les filles supportent l’essentiel du surcroît de soins non rémunérés, de l'aggravation du chômage et de la montée des violences domestiques. Dans une proportion inquiétante de pays en développement, la concrétisation des Objectifs de développement durable n’est pas seulement hors d'atteinte, elle s’éloigne de plus en plus.
Les appels à « reconstruire pour un meilleur avenir » se font de plus en plus pressants. La coopération pour le développement doit faire davantage pour aider les pays partenaires à accomplir leur transition vers des économies résilientes et à faible émission face au changement climatique. Elle doit travailler avec le secteur privé pour favoriser une croissance riche en emplois. Elle doit s’attaquer à des inégalités croissantes et profondément enracinées. Elle doit investir davantage dans la prévention des conflits et la paix. Elle doit accroître ses dépenses en matière de soutien aux réfugiés, de santé et d'éducation et de protection sociale, ainsi que pour créer des conditions favorables à la société civile. Autant de chantiers à poursuivre, et d'autres encore, tout en agissant pour faire face aux crises alimentaires, sanitaires ou humanitaires. La liste est longue et les ressources rares. Ce rapport concourt à plaider en faveur de ressources supplémentaires, en montrant que la coopération pour le développement fonctionne même lorsqu’une crise met à l’épreuve tous les pays du monde.
Rien de cela ne sera possible si les pays en développement n'ont pas accès aux vaccins, objectif qui doit être la priorité absolue. L’AMC (Garanties de marché) COVAX de Gavi doit encore mobiliser 5 milliards USD pour être en mesure de distribuer 1 milliard de doses vaccinales à 92 pays à faible revenu et à revenu intermédiaire en 2021. La pandémie durera encore plus longtemps si les pays pauvres n'ont pas accès aux vaccins, et les conséquences pour l’économie et pour le développement à l'échelle mondiale seront encore plus sévères. L’aide publique au développement (APD) est essentielle, mais elle ne peut pas tout. La coopération pour le développement doit agir sur plusieurs fronts – en aidant les pays partenaires à élaborer des campagnes de vaccination de masse adaptées aux contextes qui leur sont propres, et en collaborant avec des organisations multilatérales et avec le secteur privé en vue de promouvoir des campagnes de communication, de mobiliser des financements additionnels, et de veiller concrètement à la cohérence des politiques publiques et de la réglementation.
Nombre des voix qui s’expriment dans ce rapport nous mettent en garde contre la menace d'une nouvelle crise mondiale. Il est impératif de tirer les leçons de la crise actuelle pour renforcer notre résilience face à la prochaine crise. Il sera utile de s'inspirer de l’expérience du mécanisme COVAX pour étayer la conception de plateformes coordonnées visant à promouvoir des biens publics mondiaux, notamment ceux qui atténuent l’impact du changement climatique. Des systèmes nationaux solides ont joué un rôle déterminant dans les réponses efficaces qui ont été apportées à la pandémie, ce qui montre une fois de plus qu'il est nécessaire de les renforcer, tout comme les institutions qui y sont associées. De nombreux fournisseurs de coopération pour le développement apportent un soutien pour renforcer les capacités de riposte face à la crise et la résilience, mais ils doivent apprendre à mieux travailler ensemble pour maximiser leur efficacité. Nous devons être capables de suivre et de vérifier la contribution apportée par l’APD. Les premières estimations tirées d’une enquête de l’OCDE indiquent que les membres du Comité d’aide au développement (CAD) ont mobilisé 12 milliards USD pour soutenir les pays en développement dans leur réponse face à la crise du COVID‑19, mais elles ne permettent pas de dresser un tableau d’ensemble. Les acteurs du développement ont déclaré qu'ils auraient pu être mieux préparés – individuellement et collectivement – face à la pandémie, et le cloisonnement de systèmes ad hoc de partage des données, des observations et des informations a rendu difficile l’élaboration d'une réponse coordonnée.
L’heure est venue pour la coopération pour le développement de contribuer à renforcer la résilience dans les pays en développement et d'améliorer leur aptitude à résister aux chocs, à les absorber et à s’en relever. Les stratégies consistant par exemple à intégrer l’action climatique dans les programmes de développement multisectoriels et à soutenir sur le long terme les systèmes nationaux ne sont pas une nouveauté. Nous savons ce qui fonctionne et nous devrions porter à une échelle supérieure les initiatives qui se sont révélées efficaces. Le secteur privé, la philanthropie et la société civile ont tous un rôle à jouer. Tous les citoyens, quel que soit leur âge ou leur sexe, doivent faire partie de ce processus.
L'Histoire datera peut-être de l'année 2020 la véritable entrée dans le XXIe siècle. Ce que nous avons appris jusqu'ici, c’est que pour relever les défis de notre siècle, nous devons nous doter d'une architecture de la coopération pour le développement qui soit réactive, flexible et qui dispose des ressources et des capacités d'investir dans la résilience pour l’avenir. Si nous y parvenons, nous aurons écrit un chapitre mémorable de l’histoire de la coopération pour le développement.
Susanna Moorehead
Présidente,
Comité d’aide au développement
Jorge Moreira da Silva
Directeur,
Direction de la coopération pour le développement