Tunde Fafunwa,
United Nations Economic Commission for Africa
Coopération pour le développement 2020
Le développement numérique de l’Afrique : préparer l’avenir numérique
Abstract
La pandémie de COVID-19 révèle à quel point il est urgent que l’Afrique opère une transformation numérique. Cette étude de cas offre une vue d’ensemble du paysage numérique actuel et des politiques à mettre en place pour favoriser l’investissement et l’innovation. Elle met en évidence le manque généralisé d’accès au haut débit et aux services internet mais aussi le potentiel de croissance, comme en témoigne l’accueil enthousiaste du grand public pour les nouveaux services de santé et d’apprentissage en ligne dans les pays dotés d’infrastructures numériques développées. L’auteur fait valoir qu’il est essentiel de combler la fracture numérique, certes en réponse à la pandémie, mais aussi pour résister à de futures crises et ouvrir l’horizon numérique pour tous.
La pandémie de COVID-19 met en lumière la nécessité d’étendre de façon exponentielle les services et infrastructures numériques en Afrique afin d’accroître la pénétration du haut débit, de développer les services en ligne pour la santé, l’éducation et l’agriculture, entre autres secteurs, et de renforcer les capacités permettant de faire face aux crises et chocs futurs.
Le succès récent des services de santé et d’apprentissage en ligne dans certains pays africains révèle un potentiel énorme, mais la mise en place limitée de services en ligne par les administrations publiques freine la demande numérique et l’innovation dans ce secteur.
S’atteler ne serait-ce qu’à certains aspects de cette fracture numérique aura des répercussions bénéfiques qui se prolongeront après la pandémie : innovation, développement des compétences numériques, gouvernance numérique, protection des données et cybersécurité, notamment.
La collaboration entre les organismes de coopération pour le développement et les parties prenantes africaines peut contribuer à promouvoir les politiques, la gouvernance, les systèmes et l’innovation nécessaires à la concrétisation de la Stratégie de transformation numérique pour l’Afrique 2020-2030 de l’Union africaine.
La collaboration entre les organismes de coopération pour le développement et les parties prenantes africaines peut contribuer à promouvoir les politiques, la gouvernance, les systèmes et l’innovation nécessaires à la concrétisation de la Stratégie de transformation numérique pour l’Afrique 2020-2030 de l’Union africaine.
Si les infrastructures et les services numériques se sont considérablement développés sur l’ensemble du continent africain au cours des dix dernières années, la pénétration du haut débit et l’accès aux services internet demeurent limités pour l’essentiel de la population. Seul un étudiant sur dix disposait d’un ordinateur ou d’un accès à l’internet à son domicile pour suivre l’enseignement à distance pendant la fermeture des établissements en 2020 du fait de la pandémie de COVID-19. Les administrations publiques, qui sont les premiers acheteurs et employeurs, peinent à mettre en place des services en ligne, ce qui freine la demande numérique et l’innovation en-dehors du champ des technologies financières.
Le succès des services de santé et d’apprentissage en ligne dans certains pays africains laisse entrevoir un potentiel énorme. Le développement des infrastructures et des services numériques en Afrique aura des répercussions positives très variées, notamment en favorisant l’émergence des compétences et des capacités nécessaires pour apporter une réponse rapide et robuste face aux crises et chocs futurs. La coopération pour le développement a un rôle important à jouer en soutenant des modes de gouvernance et d’action publique qui attireront les investissements et stimuleront l’innovation à l’appui de la mise en œuvre de la Stratégie de transformation numérique pour l’Afrique 2020-2030 de l’Union africaine et des objectifs mondiaux.
La pandémie de COVID-19 révèle le besoin urgent d’accélérer le développement numérique afin d’élargir l’accès au numérique
Pour que la riposte à la pandémie de COVID-19 soit efficace, une grande partie de la société doit réduire ou suspendre les activités en présentiel et fonctionner à distance pour le travail, l’activité économique, l’éducation, la santé, les divertissements, la religion et les activités sociales (CEA, 2020[1]). Autrement dit, les infrastructures numériques et les services dématérialisés dans leur ensemble non seulement sont nécessaires pour accroître la productivité, mais sont indispensables pour les services de base les plus essentiels (Bogdan-Martin, 2020[2] ; Banque mondiale et al., 2020[3]).
Pour opérer une évolution numérique de cette ampleur, des efforts considérables doivent être déployés afin de transformer aussi bien l’approche que l’utilisation des technologies numériques. Partout en Afrique, l’accès au haut débit et aux services en ligne est limité et, dans de nombreux cas, disponible essentiellement dans les centres d’activité économique, les bureaux de l’administration publique et les établissements d’enseignement. Avant la pandémie, le recours aux solutions en ligne pour l’apprentissage, la santé et l’agriculture était limité, de même que l’utilisation d’outils numériques dans d’autres secteurs. La pandémie a mis au jour le manque d’infrastructures et de développement dans ces domaines. Dans de nombreuses régions du continent, près de 90 % des étudiants ne peuvent poursuivre leur scolarité à distance faute d’accès à un ordinateur ou à l’internet à leur domicile (Nations Unies, 2020[4]). Dans l’éducation et d’autres secteurs essentiels, le développement des services numériques doit être exponentiel pour compenser les restrictions de déplacement et les mesures de distanciation physique, et faciliter le travail et la fourniture de services à distance.
Tout l’enjeu à présent consiste à étendre les services existants ou à en créer de nouveaux. En Afrique de l’Ouest, uLesson (Kazeem, 2020[5]), un nouveau service d’apprentissage en ligne, accessible hors connexion et sur mobile, a conquis plusieurs centaines de milliers d’utilisateurs au cours des premiers mois de 2020. Dans le domaine de la santé, Babyl, un service de santé en ligne opérationnel au Rwanda depuis 2018, indique avoir plus de 2 millions d’utilisateurs enregistrés à ce jour, avec plus de 1.2 million de consultations assurées depuis son lancement (Babyl[6] ; Pathways for Prosperity Commission, 2019[7]). Les possibilités de développement de ces démarches couronnées de succès sont innombrables, notamment lorsque des infrastructures numériques bien développées sont déjà en place, comme au Rwanda.
Au cours des dix dernières années, les infrastructures et les services numériques se sont considérablement développés sur l’ensemble du continent africain. Les aspects les plus notables sont la couverture et l’accessibilité des services mobiles, les paiements mobiles et, dans une moindre mesure, le haut débit. À titre d’illustration, la 3G ou une meilleure couverture mobile sont disponibles sur plus de 80 % de la superficie du continent (UIT, 2019[8]). Toutefois, la pénétration du haut débit (fixe ou sans fil) est de seulement 25 % (Gandhi, 2020[9]). Outre le haut débit et l’entrepreneuriat numérique, la Stratégie de transformation numérique adoptée par l’Union africaine lors de son sommet 2020 considère les compétences numériques, un cadre d’action favorable, l’identité numérique, ainsi que les applications et les plateformes comme des piliers et des thèmes transversaux. Si des solutions ponctuelles peuvent être mises au point, leur déploiement ou leur adoption à grande échelle ne pourront être fructueux sans ces éléments fondamentaux.
Plus de 640 pôles répartis sur le continent accueillent des entrepreneurs et drainent des investissements dans les services numériques. Le total des investissements de capital-risque dans les start-up africaines a été estimé à 1.3 milliard USD en 2019 (Shapshak, 2019[10] ; 2020[11]). Ce dynamisme est toutefois concentré autour des technologies financières (FinTech) et des paiements, qui représentent plus de 51 % du secteur (Shapshak, 2020[11]). Des lacunes criantes subsistent au niveau de l’identité numérique, du haut débit et de l’existence d’un cadre de confiance pour les transactions numériques et le commerce en ligne. Le manque de politiques et de réglementations suffisantes pour attirer les investissements indispensables vers ces piliers fondamentaux de la transformation numérique figure parmi les obstacles actuels (Union africaine, 2020[12]). Outre les politiques et les investissements, plusieurs facteurs limitent la possibilité d’encourager l’innovation en dehors des technologies financières, à commencer par l’administration publique elle-même. Celle-ci étant souvent le premier employeur et le plus gros acheteur de biens et services, la mise en place limitée de services publics en ligne a des conséquences négatives sur le paysage numérique, freinant la demande et l’innovation.
Le développement des infrastructures numériques favorisera les services en ligne et la préparation aux chocs futurs
La fracture numérique entre ceux qui ont accès aux technologies et les moyens de les utiliser et ceux qui n’y ont pas accès déterminera quels individus pourront ou non gagner leur vie et accéder aux services et prestations de l’administration publique, lesquels seront de plus en plus dématérialisés. Si cet accès n’était pas garanti pour tous, de nombreuses avancées en matière de développement pourraient être remises en cause ou réduites à néant à l’avenir. Une reconstruction qui ne reposera pas sur de meilleures bases aura des conséquences désastreuses, compte tenu notamment de la pandémie. Déjà compromise dans de nombreux cas, la réalisation des Objectifs de développement durable d’ici 2030 deviendra alors impossible.
La fracture numérique entre ceux qui ont accès aux technologies et les moyens de les utiliser et ceux qui n’y ont pas accès déterminera quels individus pourront ou non gagner leur vie et accéder aux services et prestations de l’administration publique.
Le développement des infrastructures et des services numériques dans les secteurs de la santé, de l’agriculture, de l’éducation et du commerce ainsi que la résorption de la fracture numérique profiteront aux populations – non seulement dans l’immédiat, dans le cadre de la riposte à la pandémie, mais aussi à l’avenir, alors que les populations et la société s’adapteront au monde de l’après-COVID‑19. S’atteler ne serait-ce qu’à certains aspects de cette fracture numérique aura des répercussions bénéfiques considérables. L’innovation, le développement des compétences, la gouvernance numérique, la protection des données et la cybersécurité continueront de produire des effets après la pandémie.
Une approche visant à « reconstruire sur de meilleures bases » et exploitant les technologies de rupture pourrait favoriser la mise en place d’infrastructures durables ainsi que l’amélioration des services, ce qui permettrait de faire face plus rapidement et plus fermement à des chocs futurs. Lancé en Afrique par les Centres africains de contrôle et de prévention des maladies, le Partenariat pour accélérer le dépistage de la COVID-19 (PACT) en est une illustration. Associé à un rapport sur l’état de santé fondé sur les données mobiles, le PACT fournit une méthode permettant de porter le nombre de tests à 10 millions en quatre mois et de mobiliser 1 million de professionnels de santé de proximité (Songok, 2020[13] ; Jerving, 2020[14]). La combinaison de prélèvements d’échantillons innovants et à moindre coût et d’un carnet de vaccination numérique est aussi applicable à d’autres maladies.
La coopération pour le développement peut soutenir l’action publique et la gouvernance numérique à l’appui de la transformation numérique
Plusieurs domaines sont propices à l’instauration d’une collaboration entre la communauté du développement et les parties prenantes africaines aux fins de favoriser le développement numérique. Ce qui importe, globalement, c’est de définir des politiques et des modes de gouvernance qui attireront les investissements et stimuleront l’innovation afin de créer des plateformes et des systèmes dans les domaines clés énoncés dans la Stratégie de transformation numérique pour l’Afrique – à savoir le haut débit, les compétences numériques, l’identité numérique et un cadre de confiance numérique pour l’interopérabilité. Le succès des politiques et des investissements dans ces domaines constituerait un pas en avant inédit (Union africaine, 2020[12]).
L’utilisation du haut débit, par exemple, pourrait être doublée grâce à quelques actions spécifiques, par exemple la mise en place de politiques visant à rationaliser les multiples redevances, permis et licences superposables appliqués aux opérateurs aux niveaux national, régional et local, ou l’amélioration de l’affectation des redevances perçues, y compris le fonds pour le service universel, afin de contribuer au développement des infrastructures là où c’est le plus nécessaire. L’élaboration de politiques favorisant le développement des connaissances et l’apprentissage parmi les professionnels et les organisations du secteur, en particulier les pouvoirs publics, permettrait de promouvoir les compétences numériques. La clé du succès réside peut-être dans la mise en œuvre de l’innovation aux niveaux des professionnels du secteur et des pouvoirs publics. Les organismes de coopération pour le développement peuvent aussi soutenir les initiatives d’échange et d’apprentissage entre pairs destinées aux responsables de l’action publique et aux professionnels, déployées par plusieurs institutions africaines. L’examen des barrières tarifaires et non tarifaires au sein de l’OCDE aux fins d’identifier les possibilités d’application des innovations numériques à l’appui des exportations commerciales et industrielles africaines constitue un autre domaine de collaboration potentielle ; il pourrait s’agir notamment de promouvoir les plateformes collaboratives, qui permettraient aux parties prenantes de déterminer quels avantages apportent l’innovation ainsi qu’une meilleure productivité, et de les partager (Schneider, 2018[15]).
Références
[6] Babyl (s.d.), Babyl – Rwanda’s Digital Healthcare Provider, http://www.babyl.rw (consulté le 9 novembre 2020).
[3] Banque mondiale et al. (2020), COVID-19 Crisis Response: Digital Development Joint Action Plan and Call for Action, Banque mondiale, Washington, D.C., http://pubdocs.worldbank.org/en/788991588006445890/Speedboat-Partners-COVID-19-Digital-Development-Joint-Action-Plan.pdf (consulté le 13 octobre 2020).
[2] Bogdan-Martin, D. (2020), « Accelerating digital connectivity in the wake of COVID-19: Building back better with broadband requires all stakeholders to work together », Union internationale des télécommunications, Genève, https://www.itu.int/en/myitu/News/2020/09/16/19/22/UN75-Partnership-Dialogue-for-Connectivity-Doreen-Bogdan-Martin (consulté le 13 octobre 2020).
[1] CEA (2020), COVID-19 Lockdown Exit Strategies for Africa, Commission économique pour l’Afrique, Addis-Abeba, https://www.uneca.org/sites/default/files/PublicationFiles/ecarprt_covidexitstrategis_eng_9may.pdf (consulté le 13 octobre 2020).
[9] Gandhi, D. (2020), « Figure of the week: Gap in universal mobile phone and internet access in Africa », Blog Brookings Africa in Focus, https://www.brookings.edu/blog/africa-in-focus/2019/04/12/figure-of-the-week-gap-in-universal-mobile-phone-and-internet-access-in-africa/ (consulté le 13 octobre 2020).
[14] Jerving, S. (2020), « Africa CDC rolls out strategy to ramp up coronavirus testing », Devex, https://www.devex.com/news/africa-cdc-rolls-out-strategy-to-ramp-up-coronavirus-testing-97408 (consulté le 13 octobre 2020).
[5] Kazeem, Y. (2020), « Digital innovators are trying to plug gaps in Nigeria’s broken education system », Quartz Africa, https://qz.com/africa/1800778/kongas-sim-shagaya-launches-nigeria-edtech-startup-ulesson (consulté le 13 octobre 2020).
[4] Nations Unies (2020), « Startling disparities in digital learning emerge as COVID-19 spreads: UN education agency, UN News, Nations Unies, New York, https://news.un.org/en/story/2020/04/1062232 (consulté le 13 octobre 2020).
[7] Pathways for Prosperity Commission (2019), Positive Disruption: Health and Education in a Digital Age, Oxford University, Oxford, Royaume-Uni, https://pathwayscommission.bsg.ox.ac.uk/sites/default/files/2019-11/positive-disruption-report.pdf (consulté le 13 octobre 2020).
[15] Schneider, N. (2018), Everything for Everyone: The Radical Tradition that is Shaping the Next Economy, Nation Books, New York, https://nathanschneider.info/books/everything-for-everyone (consulté le 13 octobre 2020).
[11] Shapshak, T. (2020), « African startups raised $1.34 billion in 2019 », Forbes, https://www.forbes.com/sites/tobyshapshak/2020/01/07/african-startups-raised-134bn-in-2019/?sh=563b96315685 (consulté le 9 novembre 2020).
[10] Shapshak, T. (2019), « Africa now has 643 tech hubs which play ’pivotal’ role for business », Forbes, https://www.forbes.com/sites/tobyshapshak/2019/10/30/africa-now-has-643-tech-hubs-which-play-pivotal-role-for-business/#6a6264c24e15 (consulté le 13 octobre 2020).
[13] Songok, E. (2020), « A locally sustainable approach to COVID-19 testing in Africa », The Lancet Microbe, vol. 1/5, p. e197, http://dx.doi.org/10.1016/s2666-5247(20)30118-x.
[8] UIT (2019), Measuring Digital Development: Facts and Figures 2019, Union internationale des télécommunications, Genève, https://www.itu.int/en/ITU-D/Statistics/Documents/facts/FactsFigures2019.pdf (consulté le 14 octobre 2020).
[12] Union africaine (2020), The Digital Transformation Strategy for Africa (2020-2030), Union africaine, Addis-Abeba, https://au.int/sites/default/files/documents/38507-doc-dts-english.pdf (consulté le 9 novembre 2020).