Même si le secteur tunisien de la banque de détail fournit des services essentiels aux consommateurs et aux entreprises, le rapport met en évidence des domaines dans lesquels la concurrence ne fonctionne pas comme elle le devrait. Plusieurs caractéristiques du marché ont pour effet d’entraver la concurrence, limitant la capacité des prestataires à se livrer concurrence et celle des particuliers et petites entreprises à faire jouer la concurrence du côté de la demande pour exercer une pression sur les banques. Le rapport montre également que certaines dispositions réglementaires ou législatives limitent l’intérêt que les banques pourraient avoir à se faire concurrence.
Étude de marché sur la concurrence dans le secteur de la banque de détail en Tunisie
8. Synthèse des résultats
Abstract
Ce chapitre regroupe les principales conclusions de l’étude de marché et de l’évaluation de la concurrence et sert de base de réflexion pour la formulation des recommandations. Il présente une vue synthétique de la situation du marché et de ses principaux déterminants, tels qu’ils ressortent de l'analyse, en commençant par ceux qui sont le plus susceptibles de nuire à la concurrence et aux consommateurs.
Le rapport montre que le marché remplit son office pour beaucoup de consommateurs et semble stable. Même s’il faut indéniablement tenir compte de divers objectifs de politique publique en lien avec les services bancaires, il n’en reste pas moins que la concurrence n’est pas aussi intense qu’elle pourrait l’être dans certains domaines, ce qui signifie que le marché ne fonctionne pas comme il le devrait et que les consommateurs et les petites entreprises sont plus mal lotis qu'ils pourraient l’être.
8.1. Une concurrence entravée par la structure du marché et par le cadre réglementaire
En Tunisie, la concurrence entre les banques est moins intense qu’elle pourrait l’être, et il existe un risque de coordination. Certaines dispositions juridiques, les pratiques du marché et la structure de l’actionnariat sont de nature à faciliter le partage d'informations commercialement sensibles et à encourager une surveillance des stratégies tarifaires. À titre d’exemple, l’article 34 de la circulaire 1991-22 dispose que l'institution d’une nouvelle commission doit faire l'objet d'une concertation avec l’association professionnelle des banques, ce qui accroît le risque de partage d'informations entre banques, lesquelles peuvent ainsi travailler plus facilement de manière coordonnée au lieu de se livrer concurrence. Les parties prenantes interrogées par l’OCDE ont confirmé qu’il était fréquent que les banques informent leurs concurrentes de leur intention d’augmenter leurs commissions sur les produits financiers. Cette forme de communication limite vraisemblablement l’intérêt que les banques pourraient avoir à se faire concurrence.
La section 3.4 souligne également que certains principes des codes de déontologie du CBF affaiblissent la concurrence. C’est par exemple le cas du principe de concurrence loyale vis-à-vis des autres établissements et des restrictions au recrutement de personnel travaillant pour des banques concurrentes. L’OCDE a également eu connaissance d'au moins deux allégations distinctes selon lesquelles des banques se seraient livrées à un partage d'informations illicite. Bien que le présent rapport n'ait pas vocation à évaluer ces allégations, l’OCDE recommande qu’elles soient examinées par les autorités compétentes et préconise un renforcement général du rôle de l'autorité de la concurrence dans ce secteur.
L’existence de liens entre banques cotées limite l’intérêt qu’elles pourraient avoir à se faire réellement concurrence. Les sections 3.2 et 3.3 montrent que de grands groupes résidents détiennent des participations dans plusieurs banques cotées et que dans certains cas, des banques cotées ont des actionnaires minoritaires en commun. Autre enseignement de ces deux sections : certains administrateurs de banques cotées sont liés à ces actionnaires communs. Qui plus est, les relations mises en évidence dans la section3.3 sont sous-évaluées par rapport à la réalité, faute d'informations sur les banques non cotées et sur les liens informels entre administrateurs. De même, l’OCDE n’a pas pu évaluer l’impact sur la concurrence de l’actionnariat commun et de l’imbrication des conseils d'administration. Toutefois, si l'on en croit la recherche économique, ces connexions sont de nature à réduire l’intérêt des banques à se livrer concurrence et à accroître le risque de coordination, ce qui a pour conséquence des prix plus élevés, une moindre qualité et une moindre innovation.
La forte présence de l’État dans le secteur bancaire ne renforce pas la volonté des banques de se faire concurrence. D'une part, les banques publiques semblent moins efficientes que d'autres établissements cotés et affichent un pourcentage plus élevé de prêts non performants. D'autre part, les parties prenantes interrogées par l’OCDE estiment que les banques publiques sont encore utilisées par l’État pour financer les entreprises publiques et adoptent la même stratégie que les autres grandes banques, par exemple lorsqu'il s'agit de fixer ou de modifier le montant des commissions.
L’examen a en outre mis en évidence plusieurs cas dans lesquels la BCT devrait renforcer sa surveillance réglementaire. Les banques, à tout le moins certaines d’entre elles, enfreignent de nombreuses dispositions juridiques exigeant la publication du montant des commissions ou limitant le montant total des prêts aux emprunteurs avec lesquels elles ont des liens. Des dispositions législatives adoptées en 2016 visaient à mettre un frein à la hausse des commissions bancaires et à accroître la transparence des tarifs, mais apparemment, ces mesures de protection des consommateurs n’ont jusqu'à présent pas été appliquées avec la rigueur nécessaire. L’OCDE a été informée que la BCT a déjà préparé un projet de circulaire pour encadrer les pratiques commerciales et tarifaires dont l'objectif est de garantir une conduite commerciale dans l'intérêt des clients et garantir aux clients une information claire complète et au cours des phases de la commercialisation. La publication de ce texte devrait permettre à la BCT de concevoir une procédure disciplinaire à l'encontre des contrevenants aux obligations de communication et de transparence concernant les produits offerts et les conditions appliquées en application de l’article 84, paragraphes 1 et 2, de la loi 2016-48, qui donne à la BCT la faculté d’infliger des amendes. Le fait que la BCT applique systématiquement cette disposition devrait inciter les acteurs du marché à respecter les règles. En effet, le peu de contrôle et l’absence de sanctions en cas d'infraction aux règles risquent de créer des règles du jeu inégales, en particulier entre les acteurs établis et les nouveaux entrants potentiels.
Il apparaît que la situation du marché est caractéristique d'une faiblesse de la concurrence. Ainsi, les commissions sur comptes courants ont augmenté ces dix dernières années. D’après les calculs de l’Observatoire de l’inclusion financière, elles ont progressé de 67 % entre 2010 et 2017 (en termes nominaux). L’OCDE a analysé des données fournies par la BCT et a constaté qu’entre 2015 et 2021, les recettes par compte avait connu une progression supérieure à l'inflation ou égale à 65 % en termes nominaux. Ces dix dernières années, la rentabilité globale des banques a connu une hausse constante. De surcroît, comme on pouvait s'y attendre étant donné que les banques ne sont pas incitées à se faire concurrence, les tarifs annoncés sur leurs sites Internet varient peu d’un établissement à l'autre. Par ailleurs, le secteur financier innove peu, comme le montre par exemple la place limitée de la banque en ligne et des paiements mobiles.
Enfin, la coopération entre le Conseil de la concurrence et la BCT est limitée, ce qui limite la capacité du Conseil de la concurrence à mettre fin aux pratiques potentiellement anticoncurrentielles, l’empêche de jouer son rôle de promotion de la concurrence lorsqu’une nouvelle règle est introduite, et risque, in fine, de nuire au respect du droit de la concurrence.
8.2. Une faible implication des consommateurs
Pour que la concurrence fonctionne bien, il faut que les consommateurs soient suffisamment informés pour choisir le produit ou service qui offre le meilleur rapport qualité-prix. Plusieurs dimensions de leur comportement jouent un rôle important dans la concurrence. Il faut que les consommateurs sachent qu’ils peuvent comparer les prestataires, puissent et veuillent obtenir et comprendre les informations sur les caractéristiques des produits et évaluer ces caractéristiques pour faire le meilleur choix. Il faut aussi que les consommateurs aient la possibilité et la volonté de choisir leur produit préféré, quitte à changer de produit. Enfin, pour que les entreprises aient envie de proposer un meilleur produit, elles doivent avoir conscience que les consommateurs sont susceptibles de réagir à une meilleure offre. S’ils ne réagissent pas au produit et si les banques ne s'attendent pas à ce qu'ils le fassent, elles n’ont guère d’intérêt à se faire concurrence, ce qui peut se traduire par des prix plus élevés et une moindre qualité.
Or, les données montrent qu’en Tunisie, les consommateurs et les petites entreprises sont relativement passifs vis-à-vis des produits bancaires. Sur le marché des comptes courants, quatre consommateurs sur cinq et deux petites entreprises sur trois ne comparent pas les tarifs lors de l’ouverture d'un compte, et deux consommateurs sur trois affirment ne pas connaître le montant des frais bancaires. Seulement 3 % des particuliers et 4 % des petites entreprises ont changé de compte courant au cours de l'année écoulée. Lorsqu’elles ont besoin d’un financement, les petites entreprises se tournent souvent vers la banque où est domicilié leur compte courant.
De multiples raisons expliquent ces habitudes. Particuliers et petites entreprises peuvent trouver coûteux de rassembler des informations sur les produits financiers, de les comprendre et d’agir en conséquence. De surcroît, les banques sont tentées d’affaiblir la concurrence pour que les consommateurs éprouvent plus de difficultés à comparer les offres. À titre d’exemple, il est établi qu’en Tunisie, les banques ne se mobilisent pas suffisamment pour que les consommateurs puissent trouver facilement des informations pertinentes et comparables sur les frais bancaires. De plus, il n’existe pas d’outils, par exemple de comparateurs de prix en ligne, susceptibles d'aider les consommateurs. Par ailleurs, les banques créent des obstacles, monétaires et non monétaires, à la fermeture de comptes, si bien qu'il est plus difficile de changer de banque. La pression concurrentielle qui pourrait conduire les établissements à baisser les prix ou à augmenter la qualité des services s’en trouve affaiblie. Ainsi, la clôture d’un compte courant est une procédure longue et incertaine, les banques ne s’exécutant pas toujours rapidement après avoir reçu la demande du client. Dans certains cas, elles exigent le paiement d'une commission, ce qui peut dissuader le client de se tourner vers un établissement concurrent.
Le rapport constate également que le mécanisme de médiation existant n’est quasiment pas utilisé et n’est pas efficace. En 2020, 301 plaintes seulement ont été déposées et 17 % d’entre elles ont été traitées. Il ressort de l’enquête auprès des consommateurs que moins d'une personne sur trois connaît l’existence du dispositif et que 18 % de celles qui savent qu'il existe déclarent ne pas l’utiliser parce qu’elles n’en attendent rien. Quelque 15 % estiment que la procédure est lourde. Ce manque d’efficacité pourrait être dû au manque d'indépendance réel ou perçu des médiateurs, qui sont désignés par les banques (voir section 3.5).
La réglementation et les pratiques du marché qui rendent les particuliers et les TPME plus passifs face aux différences de prix ou de qualité constituent aussi une barrière à l’entrée et à l’expansion. Cette passivité et l’incapacité des clients à choisir le produit et le prestataire qu'ils préfèrent augmentent le coût que doivent supporter les nouveaux entrants et les petites banques pour séduire de nouveaux clients.
8.3. Faiblesse des prêts aux TPME
La part des prêts aux TPME est faible, et toutes les enquêtes montrent que l’accès au financement et son coût entravent considérablement la croissance des TPME. Le chapitre 5 présente une évaluation de la concurrence sur le marché des prêts bancaires aux TPME.
Le manque de données granulaires empêche de mesurer avec exactitude la concentration du secteur. Toutefois, l’analyse des données agrégées laisse penser que le marché des prêts aux entreprises est concentré, les cinq plus grandes banques représentant entre 70 et 75 % du total des prêts accordés en 2021 dans le pays lorsque l’on considère les banques publiques comme des entités distinctes. Cette part est nettement plus élevée si l'on traite les banques publiques comme un seul et même ensemble. Elle est restée stable tout au long de la décennie écoulée.
L’enquête auprès des TPME révèle l’importance des prêts reposant sur une relation entre le client et la banque et la faible propension des clients à comparer les produits financiers. La volonté d’établir une relation est pour beaucoup dans le choix du prestataire de compte courant professionnel, lequel constitue le seul apporteur de financement d’une forte proportion des petites entreprises (40 %). Cette propension des TPME à solliciter la banque où est domicilié leur compte courant pour obtenir un financement a diverses explications. Premièrement, elles apprécient peut-être la commodité que représente le fait d’avoir cet établissement bancaire pour seul interlocuteur. Deuxièmement, il est parfois coûteux de comparer les tarifs et les conditions des prêts de différents prestataires. Elles peuvent aussi accorder un prix à la relation qu’elles ont tissée avec leur banque parce qu’elles pensent qu’elles ont ainsi plus de chances d’obtenir un financement. En réalité, la banque où est domicilié le compte courant a en général plus d’informations sur les antécédents de crédit et autres antécédents financiers de ses clients. Elle est donc souvent en mesure d’évaluer le risque que présentent ses clients existants et de leur offrir des financements accessibles plus rapidement et à moindre coût. Autre enseignement de l’enquête : les TPME qui se tournent vers la banque où est domicilié leur compte courant pour obtenir un financement sont moins enclines à comparer les tarifs et conditions. La pression concurrentielle qu’elles pourraient exercer sur les prestataires s’en trouve affaiblie.
L’absence de bureau privé d'information sur le crédit est de nature à accentuer le monopole de l’information dont bénéficient les grandes banques et à augmenter encore le coût que doivent supporter les petites entreprises pour comparer les prêts et changer de banque, en particulier les clients qui ont ouvert un compte depuis peu et sont plus susceptibles de ne faire appel qu’à un seul prestataire de services financiers. En Tunisie, la BCT détient des données sur les antécédents des TPME en matière d’emprunt, mais les parties prenantes ont souligné que ces données étaient limitées, par exemple parce qu’elles ne contiennent pas d’informations sur les particuliers ou les entreprises qui n’ont jamais contracté de prêt. En l’absence d’outils permettant de communiquer des informations exactes sur les antécédents, les prêteurs éprouvent des difficultés à prendre de bonnes décisions, les petites banques sont moins en mesure de rivaliser avec les grandes, et le changement de fournisseur est plus coûteux pour les emprunteurs. La BCT a récemment introduit des règles relatives aux sociétés privées d’information sur le crédit, mais ce cadre juridique contient des obligations lourdes qui entravent l’entrée sur le marché – par exemple un capital minimum obligatoire trop élevé (section 5.5).
L'analyse montre aussi que les banques tunisiennes sont exigeantes en matière de garantie lorsqu’elles consentent un prêt. D’après les Enquêtes sur les entreprises conduites par la Banque mondiale, les TPME sont tenues de fournir une garantie dont la valeur est, en moyenne, égale à près de 300 % le montant du prêt, ce qui, d’après la Banque mondiale, constitue un record absolu. Cette exigence pourrait avoir pour origine le plafond appliqué au taux d'intérêt sur les prêts, qui a certes vocation à protéger les clients vulnérables mais empêche les banques de faire payer le juste prix du risque. Selon toute vraisemblance, les effets de ce plafond varient d’une banque à l'autre. Les petites banques, qui supportent parfois des coûts plus élevés pour se financer, pratiquent apparemment un taux d’intérêt moyen plus proche du plafond que les grandes. Au cours de certaines périodes, le taux d’intérêt moyen pratiqué par certaines banques sur certains types de prêts correspond au plafond, ce qui signifie que le plafond s'applique de manière contraignante à tous les prêts de la même catégorie accordés au cours de la période (section 5.3.1).
Plusieurs parties prenantes interrogées par l’OCDE dans le cadre de ce projet ont fait part de leurs préoccupations concernant les pratiques à travers lesquelles les banques favorisent les emprunteurs avec lesquels elles ont des liens. L’examen par les pairs du droit et de la politique de la concurrence de l’OCDE réalisé en 2022 montre qu’en 2019, cinq groupes industriels contrôlaient plus de 60 % du chiffre d'affaires des plus importantes entreprises privées du pays (OCDE, 2022[1]). Ces cinq groupes ont également des liens directs avec les banques, ce qui peut rendre plus difficile l'accès au crédit des entreprises qui n’ont pas de liens avec ces groupes et, d'après les données recueillies auprès des parties prenantes, avoir des conséquences pour de nombreuses entreprises souhaitant accéder au crédit. Il ressort de la section 5.2.3 qu’environ les trois quarts des prêts aux entreprises sont accordés par des banques publiques ou contrôlées par des groupes industriels tunisiens, ce qui représente une proportion élevée du volume total de prêts. Bien que les effets de ce phénomène n'aient pas pu être analysés de façon précise faute de données granulaires, l’OCDE juge très probable que les liens entre banques et groupes industriels aient une incidence sur les activités de prêt en général.
La circulaire publiée par la BCT pour encadrer ces pratiques et plafonner le montant des prêts consentis par les établissements aux emprunteurs avec lesquels ils ont des liens n’est pas appliquée de manière stricte. Certaines banques dépassent le plafond fixé ou concluent avec d'autres banques des accords en vertu desquels chacune octroie des prêts aux emprunteurs auxquels l'autre est liée.
Enfin, les parties prenantes rencontrées ont fait état de mécanismes décisionnels informels, en particulier dans les banques contrôlées par de grands groupes industriels tunisiens. Ces mécanismes pourraient affaiblir le pouvoir du conseil d'administration et renforcer l’influence exercée sur les banques par les grands groupes industriels.
8.4. Restrictions réglementaires injustifiées imposées aux établissements de paiement
Le processus d'agrément des établissements qui proposent des services de paiement engendre des barrières à l’entrée injustifiées. Certaines exigences et caractéristiques de ce processus – par exemple l’obligation de détenir un capital minimum plus élevé que ce qui est exigé dans d'autres pays, des dispositions ad hoc et l'incertitude qui entoure la durée de la procédure – renchérissent l’obtention de l’agrément et font obstacle à l’entrée d’entreprises sur le marché des services de paiement. À titre d'illustration, le capital minimum exigé par la loi 2016-48 est 12 à 76 fois plus élevé que celui exigé de prestataires de services similaires dans les pays de l’UE. À cela s'ajoute que la durée de la procédure et les exigences ad hoc accroissent le pouvoir discrétionnaire de la BCT. Enfin, la loi 2016-48 fait aussi obligation aux prestataires de services de paiement de se doter d'une structure de gouvernance comparable à celle des banques traditionnelles, imposant ainsi des coûts supplémentaires aux candidats à l’entrée sur le marché.
Selon toute vraisemblance, ces contraintes dissuadent les petits candidats potentiels de demander un agrément. Elles favorisent probablement les filiales des acteurs déjà présents sur le marché tandis qu’elles exercent un effet dissuasif sur les nouveaux acteurs potentiels. En réalité, les seules entités qui parviennent à obtenir un agrément sont les banques traditionnelles ou des établissements qui ont des liens avec elles. Il en résulte un effet négatif sur la concurrence et l’innovation, les nouveaux entrants n'ayant pas intérêt à livrer concurrence, si bien que les acteurs solides qui pourraient réellement concurrencer les banques traditionnelles sont éliminés. Enfin, comme souligné dans la section 6.3, l’interdiction de prélever une commission sur les paiements mobiles inférieurs à 15 TND conduit peut-être les prestataires de services de paiement à exclure les clients plus susceptibles que les autres d’effectuer des paiements d'un petit montant.
Ainsi, alors que la Tunisie compte 22 banques, une grande partie de la population est exclue du système bancaire. Les deux tiers des habitants ne sont pas titulaires d’un compte courant personnel et trois personnes sur quatre n’ont pas de compte d’épargne. Or, le montant élevé des commissions est l’une des raisons de cette situation. L'arrivée des prestataires de services de paiement mobile a intensifié la concurrence et l’inclusion financière dans les pays en développement. Cependant, en Tunisie, la réglementation risque de tenir à l’écart du marché les prestataires indépendants susceptibles de concurrencer les banques en place, ce qui étouffe l'innovation et empêche l’offre de services bancaires nouveaux et moins chers.
8.5. Autres constatations
L'analyse montre que les marchés géographiques sont locaux, et que la concurrence dépend de l’expansion des réseaux d’agences des banques. En réalité, les consommateurs et les petites entreprises s’en remettent à leur agence pour domicilier et gérer leur compte. Il est très rare que les clients choisissent une banque qui ne dispose pas d'une agence à proximité du lieu où ils se trouvent, si bien que les banques se font concurrence en étendant leur réseau d'agences. Le rythme de croissance des réseaux a cependant sensiblement diminué, ce qui est cohérent par rapport au fait que les banques sont de moins en moins incitées à se livrer concurrence. Quelques banques ont récemment commencé à proposer des services de banque en ligne (souvent moyennant des frais supplémentaires), mais ces services restent pour l'instant peu utilisés.
La création d’une agence a un coût non négligeable, qui fait obstacle à l’entrée et à l’expansion des banques jeunes ou relativement de petite taille. Étant donné que le réseau des agences bancaires ne s’est étendu que lentement, la part des différentes banques dans l’offre de comptes courants et de prêts bancaires est relativement stable, du moins depuis 2015 (voir les sections 4.3 et 5.2.2).
Le rapport évoque également le rôle de La Poste dans le secteur de la banque de détail. Elle joue un rôle important parce qu’elle propose des services bancaires meilleur marché et favorise l’inclusion financière. Toutefois, n’étant pas titulaire d’un agrément bancaire, elle ne peut pas offrir toute la gamme des produits financiers. Dans beaucoup de pays, les opérateurs postaux nationaux jouent un rôle de premier plan dans l’amélioration de l’inclusion financière parce qu’ils sont plus susceptibles que les établissements traditionnels de fournir des services à des personnes modestes, ayant un niveau d'études relativement bas et plus exposées au risque de chômage. Compte tenu de son réseau étendu de bureaux, du montant faible de ses commissions comparativement à celles des banques et de la forte proportion de jeunes qui optent pour ses services, La Poste peut exercer une pression concurrentielle non négligeable sur les banques traditionnelles. Le fait qu’elle n’ait pas d’agrément bancaire affaiblit toutefois cette possibilité.
Le rapport aborde également la question de la faible utilisation des cartes de paiement. Environ une personne sur cinq est titulaire d’une carte de paiement. De surcroît, les titulaires d’une carte ne l’utilisent pas souvent. Le montant élevé des commissions pourrait expliquer cette faible utilisation. D’après l’enquête auprès des consommateurs, environ 30 % des personnes qui ne possèdent pas de carte déclarent qu’elles en posséderaient une si les commissions étaient nettement plus faibles. Le petit nombre de commerçants acceptant les paiements par carte pourrait être un autre facteur d’explication. Environ 40 % des personnes qui ont répondu à l’enquête auprès des consommateurs ont déclaré qu’elles seraient plus enclines à utiliser une carte de paiement si les commerçants étaient plus nombreux à l’accepter. Toutefois, le coût élevé du lecteur de cartes est sans doute dissuasif pour les commerçants. Les commissions élevées supportées par les consommateurs comme par les commerçants pourraient s’expliquer au moins en partie par des pratiques des banques consistant à acheter, via la Société Monétique de Tunisie (SMT), les cartes et autres services auprès d'un fournisseur unique. Ce système entraîne une hausse des coûts, que les banques peuvent répercuter sur leurs clients.
Références
[1] OCDE (2022), Examens par les pairs du droit et de la politique de la concurrence de l’OCDE :Tunisie, OECD Publishing, https://www.oecd.org/fr/daf/concurrence/examens-par-les-pairs-du-droit-et-de-la-politique-de-la-concurrence-tunisie-2022.htm.