Bonvillian William B.
La prochaine révolution de la production
Chapitre 11. Le développement des instituts d’innovation industrielle avancée aux États-Unis
Abstract
Au cours des années 2000, les effectifs du secteur manufacturier aux États-Unis ont été réduits d’un tiers, 64 000 usines ont fermé, l’investissement et la production du secteur ont reculé, et la croissance de la productivité a chuté. Le pays n’avait cessé de transférer sa production à l’étranger, et des études indiquaient que la baisse de la capacité de production nuisait à la capacité d’innovation, considérée depuis longtemps comme le principal atout économique national. Le présent chapitre examine l’origine des mesures prises par les pouvoirs publics face à ce dilemme, que l’on est convenu d’appeler « fabrication avancée ». Le chapitre retrace comment les concepts fondamentaux ont été élaborés au fil des rapports et comment un nouveau système d’innovation a été mis au point afin de renforcer le système de production. Il se penche sur le nouveau mécanisme central d’action publique – les instituts d’innovation industrielle, modèle collaboratif public-privé complexe d’élaboration de techniques et de procédés de production combiné à la formation de la main-d’œuvre. Enfin, il analyse le fonctionnement de ces nouveaux instituts, les enseignements tirés de leurs débuts et les améliorations qui pourraient permettre d’étendre leur influence. Ces nouvelles approches – qui forment un programme d’innovationindustrielle avancée – pourraient, si elles étaient mises en œuvre, contribuer au renforcement du secteur manufacturier aux États-Unis. Elles pourraient également aider à atténuer les graves perturbations sociales qu’entraîne le déclin de ces activités.
Introduction : le déclin du secteur manufacturier aux États-Unis
Au cours des années 2000, le secteur manufacturier a connu de grands bouleversements aux États-Unis1. La grande récession de 2007-08 a accéléré ces mutations, mais celles-ci étaient structurelles, et non la simple conséquence de la crise économique. Que ce soit dans l’emploi, l’investissement, la production, la productivité ou les échanges, le secteur manufacturier rencontrait des vents contraires. Un tiers des travailleurs du secteur ont perdu leur emploi au cours des années 2000. Ces perturbations économiques ont entraîné des perturbations sociales (Bonvillian, 2016). Alors que la plupart des Américains se pensaient sur le point de constituer une grande classe moyenne unique, on voyait désormais clairement monter le mécontentement d’une classe ouvrière faisant face à la baisse de ses revenus. Longtemps, le secteur manufacturier avait permis aux hommes ayant suivi des études secondaires d’accéder à la classe moyenne. Sur la période 1990-2013, en revanche, le revenu médian des hommes ne possédant pas de diplôme de fin d’études secondaires a chuté de 20 %, tandis que celui des hommes titulaires d’un tel diplôme ou ayant suivi quelque enseignement post-secondaire reculait de 13 % (Kearney, Hershbein et Jacome, 2015). En outre, l’inégalité des revenus s’était fortement creusée au cours des quinze années précédentes. Le déclin du secteur manufacturier n’en était pas l’unique cause, mais jouait un rôleimportant. Poussée par ces réalités économiques, une nouvelle initiative a pris corps après la grande récession, réunissant l’administration fédérale, les administrations des États, le secteur industriel et les universités. Son but était que le secteur manufacturier américain renoue avec une innovation systématique, ce que l’on a appelé la« fabrication avancée ». Le présent chapitre explique comment cette politique est apparue, en analyse les éléments, et notamment sa pierre angulaire, un réseau de nouveaux instituts d’innovation industrielle, au nombre de 14 au début de 2017.
Les années 2000
Le secteur manufacturier a connu aux États-Unis une décennie catastrophique entre 2000 et 2010, et ne s’en est que partiellement relevé (Nager et Atkinson, 2015). Ce déclin se mesure dans cinq dimensions : emploi, investissement, production, hypothèses de croissance de la productivité et déséquilibre des échanges (Atkinson et al., 2012).
Emploi. Au cours des 50 dernières années, la part du secteur manufacturier dans le produit intérieur brut (PIB) a diminué, passant de 27 % à 12 %. Pendant la plus grande partie de cette période (1965-2000), le nombre d’emplois du secteur est resté globalement constant, à 17 millions ; sur la décennie 2000-10, il a brusquement chuté de près d’un tiers (5.8 millions d’emplois perdus), passant sous la barre des 12 millions, pour ne remonter qu’à 12.3 millions en 20152. Toutes les industries manufacturières ont perdu des emplois sur la période 2000-103, mais les plus exposées à la mondialisation, textile et ameublement en tête, ont enregistré des pertes massives.
Investissement. Si l’on tient compte des coûts de financement, on constate que les investissements en capital fixe (usines, matériel et technologies de l’information [TI]) ont régressé (de 1.8 %) dans les années 2000, première décennie à enregistrer une baisse depuis le début de la collecte de données4. Les investissements ont reculé dans 13 des 19 secteurs industriels et a stagné dans 3 autres (Stewart et Atkinson, 2013).
Production. Les données montrent une croissance de la production du secteur manufacturier aux États-Unis de seulement 0.5 % par an sur la période 2000-07 (avant la grande récession), puis nulle sur la période 2007-14, malgré la reprise économique générale progressive après 2008 (Scott, 2015). Cette croissance est inférieure à celle du PIB et à l’accroissement de la population. Pendant la grande récession à proprement parler, la production du secteur manufacturier a plongé de façon spectaculaire (de 10.3 % sur la période 2007-09), et cette chute a été suivie de la plus lente reprise économique (au regard du PIB total) en 60 ans (Atkinson et al., 2012).
Productivité. Une analyse récente a montré que le taux de croissance de la productivité dans le secteur manufacturier avait atteint en moyenne 4.1 % par an sur la période 1989‐2000, au moment où le secteur engrangeait les gains de la révolution des TI. Malgré cela, sur la période 2007-14, la croissance de la productivité dans le secteur est tombée à seulement 1.7 % par an5. Productivité et production étant liées, le déclin et la stagnation de la production mentionnés plus haut expliquent le tassement de la productivité au cours de la seconde période considérée. Une étude a montré que sur la période 2000-10, parmi les 20 premières nations manufacturières, les États-Unis se classaient dixièmes pour la croissance de la productivité dans le secteur manufacturier et dix-septième pour la croissance de la production nette.(Atkinson et al., 2012). Si l’on considère l’ensemble des données disponibles, on constate que les gains de productivité ont été inférieurs aux estimations initiales, et qu’ils n’ont donc pas été la cause majeure que beaucoup avançaient pour expliquer la disparition d’un tiers des emplois dans le secteur manufacturier (Scott, 2015 ; Atkinson et al., 2012). L’économiste politique Suzanne Berger a remarqué que de nombreux confrères pensaient que le secteur manufacturier connaissait la même évolution que l’agriculture – uneimplacable succession de gains de productivité permettant de produire toujours plus avec une main-d’œuvre de moins en moins nombreuse. Suzanne Berger a constaté que l’analogie avec l’agriculture était tout simplement incorrecte pour ce qui est des années récentes, car les gains de productivité réels étaient en fait inférieurs à ceux qui avaient été estimés (Berger, 2014). Il faut donc envisager un déclin global du secteur lui-même pour déterminer pourquoi ce dernier a perdu près d’un tiers de sa main-d’œuvre en une décennie.
Déséquilibre des échanges. En 2015, les États-Unis ont enregistré un déficit commercial (balance des paiements déficitaire entre les importations et les exportations) de 832 milliards USD pour les biens manufacturés6. À partir de 2015, s’y sont ajoutés 92 milliards USD pour les produits technologiques avancés, et ce déficit ne cesse de se creuser7. Ces données viennent contredire l’idée que les États-Unis pourraient continuer de monter en gamme et produire des biens de plus grande valeur, autrement dit qu’ils pourraient perdre la production de produits de base, mais demeurer en tête des producteurs de produits technologiques avancés (voir par exemple Mann [2003]). La croissance progressive de l’excédent commercial dans les services (227 milliards USD en 2015)8 est éclipsée par l’ampleur et l’augmentation continue du déficit dans les biens : le premier ne pourra jamais compenser le second dans un avenir prévisible. En d’autres termes, une économie des services extrêmement développée ne permet pas aux États-Unis de se passer d’une économie de la production.
Pour résumer, sur la période 2000-10, l’emploi dans le secteur manufacturier aux États-Unis a chuté, de même que les investissements et la production ; la productivité a été inférieure à ce que l’on avait supposé ; et les échanges de biens manufacturés ont été lourdement déficitaires, et ce phénomène n’a été que faiblement compensé par le dynamisme du secteur des services. Globalement, le secteur manufacturier américain s’est érodé. Sa reprise après 2009 a été la plus lente jamais enregistrée : l’emploi et la production se sont quelque peu redressés, mais restent à des niveaux inférieurs à ceux qu’ils avaient atteints avant la récession. Les problèmes structurels sous-jacents que connaît le secteur ne sont pas réglés.
Effets du commerce
Paul Samuelson a donné l’alerte en 2004, dans un article où il remettait en cause les opinions dominantes sur les avantages nets du commerce : selon lui, on faisait « totalement fausse route en partant du principe qu’il y avait nécessairement excédent des gains sur les pertes ». Au contraire, « le nouveau salaire réel d’équilibre sur le marché du travail a baissé » du fait d’une vision réaliste de la dynamique des échanges, entraînant de « nouveaux termes de l’échange nets défavorables aux États-Unis » (Samuelson, 2004). Autor, Dorn et Hanson (2016) ont dressé un état des lieux documenté des effets problématiques du commerce (voir aussi Preeg [2016], Meckstroth [2014] et Dahlman [2012]). Ils ont constaté que les relations commerciales entre les États-Unis et la République populaire de Chine (ci-après, « la Chine »), nouées dans les années 90 et reconnues officiellement dans l’Accord de l’OMC de 2001, avaient eu une incidence sur de nombreux secteurs à forte intensité de main-d’œuvre aux États-Unis et avaient entraîné le transfert de nombreux emplois vers la Chine. Les travailleurs américains ont payé un lourd tribut, du fait en particulier de la disparition de nombreux emplois manuels, et la situation économique des secteurs dans lesquels ils vivent s’est dégradée. Autor, Dorn et Hanson (2016) montrent également queles conséquences préjudiciables du commerce peuvent être durables, les États-Unis étant toujours dans l’impossibilité de se relever du choc créé par la perte de millions d’emplois dans de nombreuses communautés9.
Comme le prix Nobel d’économie Michael Spence l’a indiqué, « la mondialisation nuit à certains sous-groupes dans certains pays, y compris dans les économies avancées... Il en résulte des disparités croissantes de revenu et d’emploi dans l’ensemble de l’économie des États-Unis : les travailleurs qui ont suivi des études supérieures voient se multiplier les perspectives qui s’ouvrent à eux, tandis que les moins instruits font face à une baisse de leurs possibilités d’emploi et à une stagnation de leurs revenus. » (Spence, 2011). Tout comme l’emploi dans le secteur manufacturier a contribué de manière décisive à l’accès des travailleurs peu instruits à la classe moyenne après la Seconde Guerre mondiale, la perte d’emplois dans ce secteur a été un facteur déterminant de la baisse des revenus réels d’une part importante de la classe moyenne américaine dans les dernières décennies. Il ne fait aucun doute que la grande récession de 2008-09, dont le secteur manufacturier a été l’une des principales victimes, a joué un rôle, mais les effets du commerce (qui se font sentir à plus long terme) ne peuvent être ignorés.
La perspective de l’innovation
Si la situation de la production est problématique aux États-Unis, qu’en est-il de l’innovation ? Le pays conserve ce qui est probablement le système d’innovation à un stade précoce le plus puissant du monde, même si, dans ce domaine, la concurrence d’autres pays se fait de plus en plus vive. Toute stratégie manufacturière doit chercher à profiter de l’avantage comparatif procuré par l’innovation. Or, par le passé, la recherche-développement (R-D) aux États-Unis n’a accordé qu’une attention limitée aux techniques et procédés avancés qui permettent de s’assurer une place prépondérante dans la production. Cette orientation contraste de façon saisissante avec l’approche de R-D dans le secteur manufacturier retenue en Allemagne, au Japon, en Corée, à Taïwan et désormais en Chine : ces pays ont opté pour une innovation « entraînée par le secteur manufacturier » (Bonvillian et Weiss, 2015). Comme nous le verrons plus en détail ci-après, les États-Unis – leurs agences gouvernementales et autres organisations – n’ont tout simplement pas orienté le système d’innovation vers ce qui se révèle être un stade crucial de l’innovation – la production, et notamment la production initiale – au moyen de technologies complexes et de haute valeur. Ce stade nécessite une très grande créativité dans les activités de conception et d’ingénierie, et conduit souvent à repenser les bases scientifiques et les inventions sous-jacentes : la production fait partie du processus d’innovation, elle n’en est pas dissociée. En passant à côté de ce lien entre production et innovation, les États-Unis ont créé une brèche majeure dans leur système d’innovation.
Le poids du secteur manufacturier dans l’économie des États-Unis
Le secteur manufacturier reste l’une des principales composantes de l’économie des États-Unis : il représente 12.1 % environ du PIB, contribue pour 2 090 milliards USD à l’économie (sur un total de 17 300 milliards USD) et emploie 12.3 millions de personnes (sur une population active occupée totale de quelque 150 millions)10. En moyenne, les travailleurs du secteur perçoivent des salaires supérieurs de 20 % au moins à ceux des travailleurs du tertiaire et des secteurs non manufacturiers (Helper, Kruger et Wial, 2012). Les entreprises manufacturières emploient 64 % environ des scientifiques et ingénieurs des États-Unis, et sont à l’origine de 70 % de la R-D industrielle (Tassey, 2010, citant les données du Bureau des analyses économiques [Bureau of Economic Analysis, BEA] et de la Fondation nationale pour la science [National Science Foundation, NSF]). Aux États-Unis, la puissance du secteur manufacturier et celle de son système d’innovation sont donc directement liées.
Meckstroth (2016) présente de nouvelles données qui montrent l’importance de l’industrie manufacturière dans la chaîne de valeur complexe des entreprises des États-Unis. Cette étude a permis de constater que la chaîne de valeur des biens manufacturés, à laquelle on ajoute la fabrication destinée aux chaînes d’approvisionnement d’autres secteurs, représentait un tiers environ du PIB et de l’emploi aux États-Unis. Elle a également fait apparaître que le multiplicateur de valeur ajoutée du secteur manufacturier national était de 3.6, soit un chiffre bien supérieur à celui habituellement calculé. En d’autres termes, pour chaque dollar de valeur ajoutée du secteur manufacturier national produisant des biens manufacturés destinés à satisfaire la demande finale, 3.60 USD de valeur ajoutée supplémentaires sont générés ailleurs dans l’économie. Enfin, pour chaque emploi à temps complet dans le secteur manufacturier produisant de la valeur destinée à satisfaire la demande finale, 3.4 emplois en équivalent temps plein sont créés dans des secteurs non manufacturiers : ce multiplicateur d’emploi est bien supérieur à celui de tous les autres secteurs. Les industries à plus forte valeur ajoutée semblent présenter des multiplicateurs encore supérieurs. Pour résumer, la constatation majeure de Meckstroth est que les estimations actuelles de la part du secteur manufacturier dans le PIB ne sont pas complètes et sont largement sous-évaluées.Compte tenu de l’influence de ce secteur sur l’économie des États-Unis, il apparaît nécessaire de s’intéresser à son déclin et de réorienter l’action publique en conséquence.
Émergence de la fabrication avancée comme priorité d’action au niveau fédéral
Lorsque Barack Obama a pris ses fonctions en janvier 2008, il faisait face à la grande récession, c’est-à-dire le premier ralentissement de l’économie à atteindre les niveaux de déclin économique de la dépression des années 30, avec le plus fort taux de chômage à long terme depuis cette dernière et un nombre de chômeurs supérieur à 15 millions (Bureau of Labor Statistics, 2012). Comme nous l’avons vu plus haut, le secteur manufacturier a été le plus durement touché, avec celui de la construction. En 2008-09, l’administration s’est employée en priorité à faire voter par le Congrès, puis à mettre en œuvre, une loi de relance de l’économie axée sur la création d’emplois à court terme, pouvant être immédiatement pourvus, et à sauver un secteur automobile en faillite. Une fois le plan de relance en place, elle a commencé à cibler certains des problèmes structurels de fond de l’économie : la politique industrielle figurait en bonne place sur cette liste.
Précédents historiques témoignant d’un rôle de l’administration fédérale dans le secteur manufacturier
Le rôle de l’administration fédérale dans le système d’innovation des États-Unis découle en grande partie de la Seconde Guerre mondiale, avec le lancement d’un effort de guerre majeur dans le domaine technologique, en étroite coordination avec les entreprises et les laboratoires industriels et avec les chercheurs universitaires11. Ce système a été démantelé à la fin de la guerre, mais Vannevar Bush, conseiller scientifique du président Roosevelt, a travaillé aux côtés de ce dernier pour préserver un élément clé qui s’était développé à grande échelle pendant la guerre : les universités de recherche financées par l’administration fédérale et appuyées par des organismes de recherche au niveau fédéral. Le problème qui se posait à la fin de la guerre ne tenait pas au système manufacturier du pays : son système de production en série dominait la production mondiale. Le défi consistait plutôt à créer une base de recherche fondamentale à partir de ce qui avait été amorcé pendant la guerre. Aussi, lorsque les États-Unis ont élaboré leur système d’innovation soutenu au niveau fédéral, il fut organisé autour de la R-D à un stade précoce. L’innovation dans la production n’a même pas été envisagée. On l’a vu, l’Allemagne et le Japon abordaient l’après-guerreavec un problème différent – reconstituer leurs bases industrielles – et ont donc concentré leur attention sur une innovation entraînée par le secteur manufacturier, tandis que les États-Unis privilégiaient l’innovation induite par la R-D.
La production de nouvelles technologies constituant une part importante des systèmes d’innovation, une brèche majeure guettait le système américain, comme indiqué plus haut. Celle-ci a commencé à créer des difficultés dans les années 70 et 80 lorsque les États-Unis se sont mesurés au secteur manufacturier nippon. Le Japon avait innové dans les techniques et procédés de production pour mettre en place une fabrication de qualité, en s’inspirant dans une large mesure de ce qui se pratiquait dans les secteurs de l’automobile et de l’électronique grand public. Les États-Unis, satisfaits de leur modèle de production en série, étaient totalement passés à côté de cette avancée et ont peiné pendant des années pour rattraper leur retard.
Dans ses efforts pour revenir à la hauteur de la production nipponne, le pays a élaboré dans les années 80 une série de programmes destinés à compléter les activités de recherche fondamentale (Bonvillian, 2014) :
La Bayh-Dole Act, premier texte d’une nouvelle génération de lois sur la compétitivité, a été adoptée en 1980. Traditionnellement, les droits sur les résultats des recherches financées par l’administration fédérale revenaient à cette dernière. Comme l’administration fédérale n’assumait pas la mise en œuvre des technologies, cette propriété intellectuelle n’était pas exploitée. La loi Bayh-Dole a transféré la propriété des résultats de recherche aux universités dans lesquelles les travaux avaient été menés, donnant à ces établissements des intérêts dans la commercialisation de leurs résultats et incitant les chercheurs universitaires à endosser un rôle d’entrepreneur.
La création du partenariat de vulgarisation industrielle (Manufacturing Extension Partnership, MEP) a été approuvée en 1988, au vu du succès du programme de vulgarisation agricole en place de longue date aux États-Unis. Ce partenariat visait à apporter les tout derniers procédés et techniques de fabrication aux petites entreprises manufacturières du pays – celles-ci représentant une part de plus en plus grande du secteur manufacturier américain – et à leur fournir des conseils sur les dernières avancées susceptibles d’offrir des gains de productivité. Le MEP a mis en place des centres de vulgarisation dans tous les États (qui en partagent les coûts), avec le soutien d’une petite équipe au siège du Département du Commerce, chargée de l’évaluation des programmes et de la transmission des meilleures pratiques aux centres.
Le programme de recherche en faveur de l’innovation dans les petites entreprises (Small Business Innovation Research, SBIR) apportait à de petites entreprises et à des start-ups des subventions destinées à leur permettre de lancer des projets de R-D. Ces financements étaient accordés dans le cadre d’une mise en concurrence et étaient gérés par les 11 agences fédérales de R-D les plus importantes, dans le cadre de leurs programmes de recherche. L’objectif était que les petites entreprises innovantes du secteur des hautes technologies soient associées aux efforts de R-D de l’administration fédérale.
Le programme de développement des technologies avancées (Advanced Technology Programme, ATP) a été créé en 1988 dans le cadre du programme de l’Institut national de normalisation et de développement technologique (National Institute of Standards and Technology, NIST) du Département du Commerce afin de financer un large socle d’activités de R-D à haut risque et à rémunération potentiellement élevée menées par les industriels. Ce programme a permis de favoriser des projets de développement de nouvelles technologies à des stades plus avancés, mais son budget a été progressivement réduit à zéro dans les années 2000 par le Congrès, qui le considérait comme une « politique industrielle » fédérale trop interventionniste12.
Sematech a été formé par un consortium de fabricants de semi-conducteurs et d’équipementiers qui, à la fin des années 80, se voyaient disparaître à très court terme du fait de la concurrence intense du Japon. La technologie des semi-conducteurs étant indispensable à de nombreux systèmes de défense, cette initiative n’était pas sans conséquences sur la sécurité nationale, aussi un montant équivalent au financement des industriels a-t-il été apporté par l’Agence pour les projets de recherche avancée de défense (Defense Advanced Research Projects Agency, DARPA). Le consortium a axé ses efforts sur des améliorations majeures de l’efficience et de la qualité dans la fabrication des semi-conducteurs. Au bout de cinq ans, il était redevenu le principal producteur, et le financement de la DARPA a pris fin en 1996. Sematech a continué ses activités, en tant qu’organisation de planification technologique de premier plan, afin de maintenir le secteur sur une trajectoire vérifiant la loi de Moore. Le modèle Sematech est celui qui s’approche le plus des approches organisationnelles envisagées pendant la période 2010‐12.
Ces programmes liés au secteur manufacturier sont cependant restés modestes, et leur échelle limitée, car, au début des années 90, les États-Unis, s’appuyant sur les avancées de leur puissant système d’innovation axé sur la R-D, ont pu prendre la tête de la révolution des TI. Ils ont connu une décennie de forte croissance du PIB et de la productivité, et ont largement perdu de vue le secteur manufacturier. L’émergence de la concurrence de la Chine dans ce secteur, exacerbée par la grande récession, a déclenché un nouveau signal d’alarme.
Rapport de 2011 de la Maison Blanche sur la fabrication avancée
Dans le contexte de la crise économique et d’une série de nouvelles études13, un petit groupe au sein du Bureau des politiques scientifiques et technologiques (Office of Science and Technology Policy, OSTP) de la Maison Blanche avait rédigé un rapport dans lequel il demandait instamment un nouvel engagement de l’administration en faveur du secteur manufacturier, sous la forme d’une approche plus structurelle et à plus long terme (de préférence à une relance économique à court terme).
Le rapport final de 2011 préparé par l’OSTP, intitulé « Ensuring American Leadership in Advanced Manufacturing » (Assurer la primauté des États-Unis dans la fabrication avancée), définissait la fabrication avancée comme la fabrication de produits classiques ou nouveaux par des procédés dépendant de la coordination de divers éléments – information, automatisation, calcul, logiciel, détection et mise en réseau – et/ou utilisant des matériaux innovants et des capacités scientifiques émergentes (PCAST, 2011). Le rapport faisait valoir que des investissements de l’administration fédérale dans la fabrication avancée pourraient mettre les États-Unis en situation de retrouver leur statut de chef de file mondial de l’industrie manufacturière, et ainsi de créer des emplois bien rémunérés, de soutenir l’innovation dans le pays et de renforcer la sécurité nationale. En revanche, si le pays ne réussissait pas à reprendre l’initiative dans la production, cela pourrait compromettre sa capacité à élaborer la prochaine génération de produits avancés. La préservation des activités manufacturières permettait de nouveaux effets de synergie, grâce auxquels la conception, l’ingénierie, la montée en puissance et les procédés de production apporteraient des retours d’information utiles à la création de produits et à l’innovation, ce qui contribuerait à générer à lafois de nouvelles technologies et des produits de nouvelle génération.
Le rapport proposait de créer des « infrastructures et installations partagées », qui permettraient aux petites et moyennes entreprises manufacturières d’élaborer de nouvelles approches de la production génératrices de gains de productivité, et de raccourcir ainsi les délais de prototypage, d’essai et de fabrication de nouveaux produits. Il recommandait d’apporter un soutien fédéral à la recherche appliquée de procédés de fabrication avancés destinés à un large éventail de secteurs de production, afin de permettre aux entreprises de développer plus rapidement de nouvelles activités de fabrication aux États-Unis. Il est intéressant de noter que cela comprenait « une aide à la création et à la diffusion de méthodes de conception performantes, susceptibles de renforcer considérablement la capacité des entrepreneurs à concevoir des produits et des procédés » (PCAST, 2011, p. iii).
Le rapport de 2011 de l’OSTP recommandait également de multiplier les partenariats entre les industriels, les universités et les pouvoirs publics (cofinancés par ces derniers et par les industriels), ce qui pourrait contribuer au développement de technologies émergentes. Il préconisait notamment une « initiative en faveur de la fabrication avancée » réunissant diverses agences gouvernementales et susceptible de venir se greffer sur des collaborations entre industriels et universités pour permettre l’élaboration d’approches plus approfondies. Point important, la publication de ce rapport et l’annonce simultanée d’un nouveau partenariat public-privé pour donner suite à cette initiative ont marqué un engagement de la Maison Blanche en faveur d’une stratégie d’innovation industrielle.
Naissance de l’Advanced Manufacturing Partnership : juin 2011
Le 24 juin 2011, le président annonçait un partenariat en faveur de la fabrication avancée (Advanced Manufacturing Partnership, AMP) et nommait le directeur général de Dow Chemical et le président du Massachusetts Institute of Technology (MIT) coprésidents de ce consortium regroupant industriels, universités et pouvoirs publics.
Côté industriels, l’AMP comprenait les directeurs généraux d’un groupe de grandes sociétés opérant dans différents secteurs. Côté universités, il comptait les présidents de cinq établissements supérieurs réputés pour leurs capacités dans les domaines de l’ingénierie et des sciences appliquées14. Côté pouvoirs publics, enfin, le président du Conseil économique national (National Economic Council, NEC) et le Secrétaire au Commerce par intérim codirigeaient les activités interorganismes. Au sein de la Maison Blanche, le personnel du NEC et de l’OSTP pilotait l’initiative. Les agences qui participaient étroitement au soutien de cette dernière étaient le NIST, au sein du Département du Commerce, la NSF, par l’intermédiaire de sa Division technique, le Département de l’Énergie (US DOE), par l’intermédiaire de son Bureau de l’efficience énergétique et des énergies renouvelables (Energy Efficiency and Renewable Energy, EERE), et le Département de la Défense, par l’intermédiaire de son programme Mantech. Le Conseil du Président sur la science et la technologie (President’s Council of Advisors on Science and Technology, PCAST), installé dans l’OSTP, jouait le rôle de base administrative de l’initiative et a officiellement publié le rapport de l’AMP (rédigé par l’équipe de l’AMP).
Rapport AMP1.0 (juillet 2012) : « Capturing Domestic Competitive Advantage in Advanced Manufacturing » (Exploiter l’avantage concurrentiel national dans la fabrication avancée)
Le premier rapport de l’AMP appelait à une « stratégie en faveur de la fabrication avancée » fondée sur un « processus systématique visant à recenser et hiérarchiser les technologies intersectorielles essentielles » (PCAST, 2012). Ce processus devait mener à une stratégie continue, qui à son tour pourrait se traduire par des plans d’action plus détaillés pour chacun des nouveaux paradigmes technologiques. Le rapport proposait également un cadre de hiérarchisation des investissements fédéraux dans ce type de technologies, en fonction de facteurs tels que les besoins du pays, la demande mondiale, la compétitivité du secteur manufacturier américain sur le terrain et le niveau de maturité technologique. Il appelait aussi à évaluer la disposition des industriels, des chercheurs universitaires et de l’administration à s’engager sur la voie de la technologie, par exemple, dans le cas de l’administration, à déterminer si la technologie pouvait répondre aux besoins en matière de sécurité nationale (PCAST, 2012). Sur la base d’un sondage réalisé auprès de groupes de fabricants et de spécialistes universitaires, les auteurs du rapport avaient dressé une liste préliminaire de domaines technologiques prioritaires : détection, mesure et contrôle de procédé avancés ; conception, synthèse et traitement de matériaux avancés ; technologies de visualisation, technologies informatiques et techniques de fabrication numériques ;fabrication durable ; nanofabrication, fabrication flexible de produits électroniques ; biofabrication et bio-informatique ; fabrication additive ; équipements de fabrication et d’essai avancés ; robotique industrielle et technologies avancées de formage et d’assemblage. Là encore, les stratégies en faveur de ces domaines devaient devenir au fil du temps de véritables plans d’action coordonnés entre les différentes technologies et mis à jour régulièrement.
Pour accompagner le développement de ces technologies, ce premier rapport de l’AMP appelait à renforcer les activités de R-D dans ces domaines. Point important, il préconisait de créer des instituts d’innovation industrielle (manufacturing innovation institutes, MII), constitués de petites et moyennes entreprises liées à de grandes entreprises et appuyés par des capacités universitaires pluridisciplinaires en ingénierie et sciences appliquées et cofinancés à coûts partagés par l’administration (aux niveaux de l’administration fédérale et des États) et par les industriels participants. L’idée était de transposer dans le contexte américain la réussite des instituts Fraunhofer allemands (60 instituts répartis dans toute l’Allemagne, opérant dans un large éventail de domaines technologiques). La version américaine devait être un modèle placé sous la direction du secteur, qui serait commun à un ensemble de petites et moyennes entreprises, lesquelles en partageraient les coûts – à l’instar des instituts Fraunhofer –, et qui serait appuyé par les universités, assumant un rôle de développement technologique en sciences appliquées et en ingénierie, et par l’administration (aux niveaux de l’administration fédérale et des États). Les instituts américains devaient opérer au niveau régional afin de tirer parti de pôles industriels constitués dans des domaines spécifiques, mais êtreen mesure de transmettre leurs avancées dans les technologies et les procédés aux fabricants de tout le pays. Pour faciliter cette transmission à l’échelle nationale et pour relier les MII autour d’enseignements partagés, le rapport proposait de créer un Réseau national des instituts d’innovation industrielle (National Network of Manufacturing Innovation Institutes, NNMI). Ces mesures reposaient sur l’idée qu’il y avait un fossé à combler entre la R-D financée par les pouvoirs publics et le rôle de développement de produits assuré par les industriels. Il manquait simplement un système d’appui des stades de développement et de démonstration des technologies et de développement des systèmes et des sous-systèmes – soit les niveaux de maturité technologique (NMT) 4 à 715. Le rôle du réseau était de combler ce fossé.
Étude du MIT : « Production in the Innovation Economy » (PIE) – 2010-13 (La production dans l’économie de l’innovation)
L’étude PIE du MIT a été publiée en 2013, après celle de l’AMP (2012). Un certain nombre d’études majeures sur le secteur manufacturier ont été publiées au cours de cette période, mais le rapport en deux volumes du MIT, que ce dernier avait commencé à préparer en 2010, était peut-être le plus vaste et le plus approfondi, et les rapports de l’AMP se sont considérablement inspirés de ses conclusions.
Fondamentalement, l’étude PIE posait une question primordiale : quelles sont les capacités de production nécessaires pour soutenir l’innovation et concrétiser ses avantages – emplois de qualité, entreprises solides, création d’entreprises et croissance économique durable ? (Berger, 2014)16. Partant du principe, admis de longue date par les économistes, que l’innovation est nécessaire à la croissance économique et à la productivité, l’étude PIE s’est intéressée aux « conditions à réunir pour soutenir l’innovation sur la durée et pour la faire éclore dans l’économie » (Berger, 2014, Chapitre 7). L’étude PIE a étudié l’innovation dans les produits, dans les procédés, dans les types d’entreprise, dans les autres pays et à travers les avancées technologiques et l’amélioration de la main-d’œuvre. Elle a contribué à attirer l’attention des États-Unis, à compter de 2010, sur l’application de la théorie de l’innovation à la production. Cette théorie avait été appliquée moult fois à des technologies nouvelles particulières – aux technologies de l’information, par exemple –, mais jamais systématiquement au système de production américain. C’était une nouvelle façonde voir les choses. L’étude PIE s’est penchée tour à tour sur cinq domaines généraux qui, chacun, ont amené une série d’approches neuves de l’action publique.
Le rapport PIE a mis en évidence une économie mondialisée, dans laquelle les activités de recherche, de développement, de production et de distribution étaient désormais fragmentées et dispersées. Cette évolution découlait de la transformation des structures d’actionnariat et de contrôle des entreprises : de grandes organisations qui avaient initialement opté pour une stratégie d’intégration verticale avaient commencé à se dépouiller de nombre de leurs attributs, de la R-D aux services après-vente, en passant par la production. Il restait très peu d’entreprises véritablement intégrées verticalement. La réorganisation s’était faite sous la pression d’un secteur des services financiers qui, au début des années 80, avait exigé des entreprises qui recherchaient des capitaux qu’elles se recentrent autour d’un « cœur de métier » – les plus resserrées et les plus légères en actifs bénéficiant des évaluations boursières les plus élevées une fois débarrassées de leurs divisions les moins rentables (Berger, 2014). L’une des premières fonctions à quitter le périmètre de nombreuses entreprises a été la fabrication, car cela permettait de réduire les obligations capitalistiques ainsi que les engagements liés aux effectifs. Les unités de fabrication sont souvent parties à l’étranger. Les avancées dans les technologies de l’informationont contribué à faciliter cette évolution : des machines pilotées par ordinateur, à partir de spécifications numériques, permettaient aux entreprises de produire des biens sans les liaisons verticales qui étaient auparavant nécessaires. La diminution des obstacles au commerce à l’échelle mondiale et l’entrée de la Chine dans l’Organisation mondiale du commerce ont également favorisé la production distribuée.
L’écosystème de la fabrication s’est étiolé avec le recentrage des entreprises sur leurs compétences de base et la concurrence de l’étranger. On a vu diminuer l’appui des systèmes de formation, les incitations à l’adoption de pratiques optimales par les fournisseurs et le nombre de niveaux au sein des chaînes d’approvisionnement. Autrefois, de grandes entreprises finançaient des laboratoires industriels puissants menant des activités de recherche fondamentale et appliquée ; désormais, la recherche fondamentale effectuée au niveau industriel diminuait, tandis que la recherche appliquée se recentrait sur des développements progressifs susceptibles d’avoir une incidence directe sur les résultats des entreprises. L’expansion s’est faite plus fréquemment par des fusions et acquisitions que par une innovation en interne. Par le passé, les grandes entreprises à structure verticale avaient été à l’origine de nombreux « biens publics » – recherche, formation et transfert de technologies et de compétences techniques aux fournisseurs – dont les retombées dans l’écosystème étaient une source d’aide pour les petites et moyennes entreprises. Désormais, la production privée de tels biens publics diminuait.
En résumé, les grandes entreprises ont abandonné leur modèle vertical, se sont recentrées sur leur « cœur de métier », ont allégé leurs actifs et réparti leur production. Les vides qui sont apparus dans l’écosystème pourraient être qualifiés de défaillances du marché, car le réseau toujours plus limité de compétences complémentaires a restreint la capacité des entreprises, celles-ci rencontrant un nombre croissant de difficultés pour accéder aux anciens biens industriels communs. Les petites et moyennes entreprises se sont retrouvées de plus en plus « livrées à elles-mêmes », dans un écosystème industriel érodé. La disparition des services bancaires locaux les a également touchées de plein fouet. À mesure que les services financiers se tournaient vers des modèles d’investissement nationaux et internationaux, on a vu disparaître le banquier local, qui connaissait individuellement les personnes auxquelles il prêtait de l’argent. Il est devenu plus difficile de trouver des fonds, et les petites et moyennes entreprises ont eu davantage de mal à obtenir les ressources nécessaires pour une montée en puissance de la production de leurs innovations. En d’autres termes, le bain industriel dans lequel nageait le fabricant moyen a commencé à s’assécher.
L’étude PIE s’est également penchée sur une aventure technologique. Un exemple de premier plan a permis d’évaluer de manière précise les incidences possibles de l’innovation sur la production. Cette étude de cas portait sur un ensemble de technologies révolutionnaires destinées à permettre une « fabrication personnalisée en série » (Berger, 2014). Elles impliquaient une production locale à petite échelle, associant l’impression 3D et des normes commandées par ordinateur, à des machines conçues pour fabriquer de petits lots de produits de conception unique avec un rapport coût-efficacité aussi élevé que dans le cadre d’une production uniforme en série. L’étude de cas s’est intéressée aux technologies qui permettaient cela et a conclu que le modèle était viable. Il pourrait marquer un changement radical dans la nature de la production. Ce modèle d’innovation industrielle avancée a été jugé prometteur, car il crée un capital organisateur permettant de restaurer l’écosystème de production manufacturière. L’étude a également été révélatrice des problèmes rencontrés par les start-ups qui travaillent sur des technologies matérielles pour obtenir les financements censés leur permettre de passer au stade de la fabrication : il est apparu que le système de capital-risque n’était tout simplement pas adapté à ces entreprises, qui avaient besoind’un apport en capital plus important, et à plus long terme, que ce que les sociétés de capital-risque étaient habituées à fournir (Reynolds, Semel et Lawrence, 2014).
Pour terminer, l’étude PIE a analysé les besoins en main-d’œuvre. Les rapports précédents interrogeaient généralement de hauts responsables du secteur manufacturier qui, immanquablement, déploraient de ne pouvoir trouver des travailleurs qualifiés17. Or, pouvait-il réellement y avoir pénurie de travailleurs dans un secteur qui s’était défait de près d’un tiers de sa main-d’œuvre dans les années 2000 ? Dans le cadre de l’étude PIE, les responsables du recrutement des entreprises n’ont pas été interrogés sur la disponibilité de travailleurs qualifiés, mais plus précisément sur le délai nécessaire pour pourvoir les postes vacants. Les responsables ont indiqué que, dans 76 % des cas, les postes étaient pourvus rapidement (Osterman et Weaver, 2014). La situation sur le front des compétences n’avait donc aucun caractère d’urgence. Pourtant, 24 % des entreprises manufacturières continuaient à faire état de postes demeurés vacants sur de longues périodes. C’est sur ce point que l’analyse est devenue plus intéressante. Un sous-ensemble de ce groupe comprenait généralement des entreprises récentes, travaillant sur des technologies avancées. Ces entreprises rencontraient effectivement des difficultés pour trouver des compétences. Partant, si l’étude PIE proposait de se tourner vers une fabrication avancée emmenée par de nouvelles technologieset de nouveaux procédés, il était clair que le système de formation devrait s’adapter pour relever ce défi. Les recommandations préconisaient de mettre en place un « nouveau système de production de compétences » imposant une collaboration entre les employeurs et les community colleges, des programmes de soutien public aux niveaux de l’administration fédérale, des États et des régions, et des organismes intermédiaires pour aider à gérer les liens et les communications.
Globalement, l’étude PIE préconisait de reconstituer l’écosystème industriel. De nouvelles capacités et installations partagées par les entreprises et les secteurs industriels étaient nécessaires pour renforcer l’innovation dans la production. Les grandes entreprises et les pouvoirs publics pouvaient assumer un rôle fédérateur, comparable à celui que Sematech avait joué dans le secteur des semi-conducteurs à la fin des années 80 et dans les années 90. Une collaboration similaire entre les entreprises, les établissements d’enseignement et les intermédiaires publics pouvait également être efficace pour la formation professionnelle.
Rapport AMP2.0 (octobre 2014): « Acclerating US Advanced Manufacturing » (Accélérer le développement de la fabrication avancée aux États-Unis)
Le président a « redéfini la charte » de l’AMP en septembre 2013, pour que mettre en œuvre le rapport de 2012 et définit de nouvelles stratégies à partir du rapport AMP1.0. Ce projet a marqué une nouvelle étape majeure dans l’élaboration de politiques en faveur de la fabrication avancée.
L’administration ayant déjà lancé la création d’instituts d’innovation industrielle, le rapport AMP2.0 a ciblé les politiques complémentaires (PCAST, 2014). Sur le front des politiques technologiques, ce rapport prônait une stratégie nationale coordonnée entre les secteurs public et privé, en faveur des « techniques de fabrication émergentes ». Cette stratégie comprendrait des « domaines technologiques industriels hiérarchisés » qui devraient servir de guide pour gérer un « portefeuille d’investissements dans les technologies industrielles avancées » au niveau fédéral. Pour montrer que ce concept pouvait fonctionner, le groupe AMP2.0 a passé en revue les technologies industrielles émergentes prioritaires et a élaboré ses propres stratégies pilotes dans trois domaines définis comme prioritaires dans l’étude : détection, contrôle et plateformes de fabrication avancés ; visualisation, informatique et fabrication numérique ; et fabrication de matériaux avancés. L’administration s’est ensuite employée à créer des instituts d’innovation industrielle dans ces domaines prioritaires, en se basant sur les stratégies définies.
Les investissements fédéraux ne devaient pas être réservés aux instituts d’innovation industrielle. Il était nécessaire de mettre en place un appui à la R-D dans les techniques de fabrication, et d’autres entités institutionnelles devraient être créées à cette fin. Ces mécanismes comprenaient notamment des centres d’excellence dans le domaine manufacturier, ainsi que des bancs d’essai de technologies qui pourraient servir d’infrastructures de soutien supplémentaires pour les instituts. Les infrastructures de R-D et de soutien devaient être mises en place en coopération avec les industriels. On préconisait la création d’un consortium consultatif sur la fabrication avancée pour apporter des éléments au secteur privé, à la fois sur la stratégie et sur l’infrastructure de R-D. Le rapport prévoyait que, pour se développer au fil du temps, les instituts d’innovation industrielle devraient s’inscrire dans une action et une infrastructure de R-D solides, ce qui permettrait d’entretenir des avancées continues dans les technologies que ces instituts soutenaient. On préconisait en outre la création d’un « réseau NNMI partagé » qui relierait entre eux les instituts d’innovation industrielle et leur permettrait de partager leurs idées, leurs technologies et leurs meilleures pratiques. Des normes et procédés communs étaient également recommandés, afin de faire progresser l’application des nouvelles techniques de fabrication.
Dans le domaine de la formation et de la valorisation de la main-d’œuvre, le rapport recommandait un système national de certifications de compétences industrielles transférables et cumulables. Ces certifications seraient utilisées par les employeurs dans les embauches et les promotions, et permettraient aux personnes travaillant dans la production d’obtenir des qualifications pouvant être aisément transférées et reconnues. Il a également été proposé d’élaborer des programmes de formation et d’accréditation en ligne, avec un soutien fédéral qui serait apporté via des programmes de formation professionnelle. Les membres de l’AMP2.0 ont eux-mêmes mis au point des boîtes à outils et des feuilles d’instruction de formation détaillées, ainsi qu’un programme pilote d’apprentissage.
L’équipe du rapport comprenait en outre un groupe de travail sur la « politique de montée en puissance », chargé d’examiner les difficultés rencontrées par les petites et moyennes entreprises et les start-ups pour obtenir les financements nécessaires à la montée en puissance de la production des innovations. Ce problème avait été mis en évidence dans l’étude PIE du MIT, et des discussions approfondies ont été menées avec des sociétés de capital-risque, des entreprises participant dans des fonds de capital-investissement ou de capital-risque, ainsi qu’avec d’autres sources possibles de financement de l’expansion. Un ambitieux fonds de placement public-privé spécialisé dans la montée en puissance a été envisagé pour financer des sites de production pilotes pour les nouvelles technologies. En outre, un système amélioré de mise en relation des fabricants avec des partenaires stratégiques potentiels a été préconisé pour faciliter ce développement de la production. L’insuffisance de financement de la montée en puissance est devenue l’un des principaux thèmes du rapport. L’administration a par la suite proposé de créer un nouveau financement pour y remédier, mais, dans un contexte de ressources limitées, le Congrès n’a pas donné suite à cette proposition.
Loi du Congrès relative au secteur manufacturier : 2014
Le dernier épisode de la saga des grands rapports et des initiatives majeures sur la fabrication avancée concerne la législation du Congrès en la matière. Pour qu’une action gouvernementale soit durable, elle doit être autorisée par le Congrès, et une base de crédits budgétaires réguliers et relativement stables doit suivre. Comme on peut le voir, les engagements pris par l’administration découlent en définitive de la législation, et du financement correspondant, et non de décrets administratifs.
Après 2010 en particulier, le Congrès a été le théâtre de profondes divisions idéologiques (y compris au sein du parti majoritaire dans cette enceinte) qui ont bloqué les projets de loi. Malgré ces divisions, le Congrès a réussi à adopter une loi importante sur le secteur manufacturier, avec un large soutien des deux partis. Cela témoigne de l’influence de ce secteur dans la politique américaine, du fait du nombre d’emplois et des salaires relativement élevés qu’il représente encore. Après avoir été adopté par la Chambre des représentants, et être passé devant une commission du Sénat, le projet de loi sur le secteur manufacturier a été ajouté à un grand projet de loi de portée générale qui portait ouverture de crédits pour le financement de l’ensemble des agences gouvernementales pendant l’année budgétaire et dont l’adoption était garantie. En tant qu’ajout à ce texte, le projet de loi sur le secteur manufacturier a été adopté par la Chambre des représentants le 11 décembre et par le Sénat le 13 décembre 2014.
Il18 autorisait la création d’un réseau de 15 instituts régionaux pour l’innovation dans l’industrie répartis sur l’ensemble du territoire. Chacun d’eux était axé sur une technologie, un matériau ou un procédé particulier lié à la fabrication avancée (House Committee on Science, Space and Technology, 2014), et tous devaient constituer un réseau pour l’innovation dans l’industrie (Network for Manufacturing Innovation). Le NIST était l’agence responsable de la création du réseau, mais pouvait collaborer avec d’autres agences fédérales pour la sélection des instituts et l’attribution des financements, les coûts devant être partagés entre les industriels et l’administration au niveau fédéral et au niveau des États. Le NIST a été chargé d’élaborer et de mettre à jour régulièrement un plan stratégique relatif au réseau d’instituts. Il lui a également été demandé d’associer les instituts au partenariat MEP existant, lequel proposait aux petits fabricants dans chacun des États des conseils en matière d’efficience et de technologie. Les instituts devaient quant à eux se charger d’activités d’éducation et de formation.
Naturellement, dans l’intervalle, une série d’instituts d’innovation industrielle avaient déjà été créés, financés par le programme Mantech du Département de la Défense et par le bureau de l’EERE du Département de l’Énergie. L’idée du projet de loi de placer les nouveaux instituts sous la direction du NIST ne correspondait pas à la tournure réelle qu’avait prise la situation, mais ce texte constituait, de la part du Congrès, une validation importante du modèle des instituts d’innovation industrielle. Il préconisait également la création d’un réseau reliant les instituts ainsi que l’élaboration d’une stratégie continue en faveur de la technologie dans l’industrie, et donnait au NIST la compétence nécessaire pour financer ses propres instituts s’il parvenait à réunir le budget nécessaire, ce qu’il a pu faire en 2016. Un Congrès notoirement divisé avait réussi à obtenir des deux partis qu’ils s’accordent sur une loi en faveur de la fabrication avancée et sur un modèle novateur de MII pour soutenir cette dernière.
Le modèle d’institut d’innovation industrielle avancée
L’un des principaux objectifs des MII était de combler une brèche dans le système d’innovation industrielle américain, de créer un espace dans lequel la fabrication avancée pourrait se développer, grâce à une collaboration entre les entreprises du secteur (petites et grandes), les universités et les pouvoirs publics (Molnar, Linder et Shuart, 2016). Le montant alloué par l’administration fédérale à chaque nouvel institut pour une période de cinq ans devait être compris entre 70 millions et 120 millions USD. Le consortium d’entreprises, d’universités et d’administrations d’États fédérés sur lequel chaque nouvel institut s’appuyait devait apporter une contribution au moins égale à l’investissement de l’administration fédérale.
Un modèle complexe
Ce modèle était très complexe pour les nouveaux instituts. Le rôle des pouvoirs publics n’était pas d’accorder une bourse unique à un chercheur principal afin de lui permettre de mener à bien un projet de recherche scientifique conformément à un plan soigneusement défini dans la demande de subvention, comme cela est habituellement le cas en matière de R-D. Leur rôle était d’établir des liens avec un ensemble large et complexe d’entreprises industrielles présentant de grandes différences de taille et appartenant à des secteurs très variés, ainsi que d’institutions universitaires allant de grandes universités de recherche à des community colleges, en passant par des universités régionales. Les administrations des États fédérés devaient cofinancer les instituts, les industriels et l’administration fédérale soutenant des projets connexes spécifiques. À l’exception peut-être de Sematech19, l’administration fédérale n’avait jamais rien tenté de la sorte auparavant.
La composition des instituts était variée, tout comme leur liste de tâches :
« Créer » de nouvelles technologies, de nouveaux procédés et de nouveaux « moyens » de production.
Servir de « terrain d’essai » pour les nouvelles technologies et les procédés connexes.
Appuyer les efforts de « déploiement » des innovations de production.
« Renforcer les compétences de la main-d’œuvre » afin d’améliorer la production et les procédés associés aux technologies émergentes.
L’objectif général était de permettre au secteur manufacturier national de se développer autour du domaine d’innovation ciblé par chaque institut.
Les instituts d’innovation industrielle devaient également se constituer en réseau, pour permettre des collaborations croisées et des échanges de pratiques optimales. À mesure que la fabrication avancée s’imposerait, il est probable que les petites ou moyennes entreprises ne seraient plus cantonnées dans les problèmes d’impression 3D, mais auraient une série de défis de production à relever, dans de nombreux domaines nouveaux allant des technologies de production numérique aux matériaux avancés. Par ailleurs, la production est implantée dans des régions souvent spécialisées dans des domaines spécifiques – industrie automobile dans le Middle West, activités aérospatiales sur les côtes et industrie pharmaceutique dans le Nord-Est. Or, si les instituts devaient avoir une implantation régionale, ils devaient aussi transmettre leurs avancées et leur savoir-faire aux fabricants à l’échelle nationale. Les instituts et le réseau NNMI se voyaient donc confier une mission générale dont la dimension était à la fois régionale et nationale.
Rôle de chef de file des agences : 2012
Les instituts ne sont pas sortis d’une « chaîne de montage » administrative très organisée et bien réglée. Ils se sont constitués petit à petit. Comme nous l’avons vu dans la précédente section, après les élections de 2010, le monde politique était en proie à une profonde division idéologique. Plutôt que d’attendre (éventuellement en vain) qu’un Congrès divisé autorise et finance un nouveau programme, la nouvelle administration a fait les yeux doux aux agences pour que celles-ci commencent à créer des instituts, en utilisant leurs pouvoirs existants et des financements récupérés d’autres domaines. Les agences se sont donc retrouvées à la manœuvre et, à compter de 2012, ont sélectionné, pour créer les instituts, des domaines d’action qui correspondaient à leurs missions. Le rapport AMP1.0 était parti du principe que les domaines d’action des instituts seraient définis selon un modèle ascendant, sous l’impulsion des industriels. Au lieu de cela, les choses se sont ordonnées selon une approche descendante, et les agences ont choisi les domaines d’action en fonction de leurs propres missions, et non d’une mission globale au service du secteur manufacturier. Cela n’a pas eu que de mauvais côtés. Ayant la main sur la sélection et la direction, les agences ont opté pour des domaines d’action qui les intéressaient directement, ce qui a peut-être rendu le projet plus durable que si le mandat avait été imposé parla Maison Blanche. Au fil du temps, cependant, les perspectives des agences se sont élargies. Les principaux domaines qui avaient été définis comme des priorités par les industriels dans les rapports AMP1.0 et AMP2.0 ont fini par cadrer avec les missions des agences. En outre, le fait que les agences soient en charge des instituts a eu tendance à accroître leur adhésion au nouveau programme.
Le Département de la Défense avait le budget le plus important, et a donc financé le plus grand nombre d’instituts. Ce département avait à son actif un historique fourni d’interventions économiques publiques menées en temps de guerre pour assurer des retombées technologiques et industrielles, ce qu’aucune autre agence n’osait envisager d’un point de vue politique. Le programme Mantech du Département de la Défense, basé dans le Bureau du Secrétaire à la Défense et disposant d’antennes dans chacun des services de l’Armée, remontait à de nombreuses décennies, mais avait cessé d’être un programme de défense important depuis au moins la fin de la guerre froide.
Avec les instituts d’innovation industrielle, toutefois, le programme Mantech remplissait désormais une mission nationale supervisée par le président lui-même20. Malgré cela, Mantech n’a pas bénéficié de nouveaux flux de financement importants, du fait du blocage exercé par le Congrès sur tous les nouveaux programmes, et a donc dû fonctionner avec le personnel réduit dont il disposait et tirer le maximum de ses budgets existants. Le rôle de Mantech a été compliqué par le fait qu’un certain nombre de programmes interdépendants des services de l’Armée devaient également être pris en charge. Ces programmes avaient d’autres priorités de service, d’autres systèmes d’établissement de rapports et d’autres besoins, et n’étaient pas tous basés dans le Bureau du Secrétaire à la Défense.
Un premier événement a contribué à éveiller l’intérêt du Département de la Défense. Lorsque les propositions ont commencé à affluer pour le premier institut, créé en 2012 et consacré à l’impression 3D (ou fabrication additive), le financement apporté par les industriels et les États n’était pas simplement équivalent à celui de l’administration fédérale : ces participants étaient prêts à investir bien plus. Cela a ouvert les yeux au personnel de Mantech, qui a découvert que l’effet de levier de ses investissements pourrait être bien supérieur à celui escompté. Dans son histoire récente, Mantech n’avait pas le souvenir qu’une telle perspective ni qu’une telle occasion de travailler sur de nouvelles technologies majeures à grande échelle se soient présentées. Soudain, le personnel de Mantech disposait d’un amplificateur de puissance.
Au Département de l’Énergie, les choses se sont passées différemment. Le bureau de l’EERE travaillait avec les industriels sur des technologies appliquées dans le domaine de l’énergie. Il avait de longue date mis en place un programme d’efficience industrielle : l’industrie était depuis longtemps un grand utilisateur d’énergie, et les technologies de conservation et les technologies énergétiques plus efficientes offraient des gains considérables dans le secteur des énergies propres, ainsi que des économies potentielles pour les industriels. Aspect crucial, en l’absence de législation sur la tarification du carbone aux États-Unis, les nouvelles technologies énergétiques devaient être en mesure d’aligner leurs tarifs sur ceux des technologies fossiles déjà en place. Sauf à pouvoir abaisser leurs coûts de production, ces nouvelles technologies n’avaient aucune chance d’être un jour commercialisées. C’est ainsi que l’industrie avancée est devenue une grande priorité pour le bureau de l’EERE.
Les choses se sont également déroulées différemment pour le NIST du Département du Commerce. Malgré son implication importante dans l’AMP, et son rôle de coordination des agences, il a dû attendre 2016 pour obtenir un financement du Congrès en vue de créer un institut d’innovation industrielle. Lorsque le financement est arrivé, le NIST a voulu éviter l’approche descendante suivie par les agences pour sélectionner le domaine d’action de l’institut, et a cherché à faire remonter des propositions des consortiums d’industriels et d’universités. Le NIST a également eu un rôle de soutien, en obtenant que le Congrès approuve la loi sur la fabrication avancée en 2014, dans laquelle il occupait une place centrale.
La NSF était le quatrième acteur majeur de l’administration fédérale, mais sa spécialisation dans la recherche fondamentale limitait sa capacité à créer des instituts d’innovation industrielle. En revanche, sa Division technique a participé étroitement à l’élaboration des rapports de l’AMP, dirigé les programmes de recherche de la Fondation sur la fabrication avancée et supervisé un certain nombre de centres de recherches techniques axés sur les technologies industrielles. En outre, les programmes Advanced Technology Education (ATE, Formation aux technologies avancées) de la NSF ont mis l’accent sur la formation aux techniques de fabrication avancées dans les community colleges.
Les instituts d’innovation industrielle : 2012-16
Les instituts d’innovation industrielle sont la clé de voûte du programme consacré à la fabrication avancée. Ce groupe d’instituts avait reçu à l’origine le nom de NNMI (National Network of Manufacturing Innovation Institutes), mais a été rebaptisé ManufacturingUSA en 2016. Son éventail de domaines techniques est considérable ; l’internet des objets, par exemple, qui est le thème de l’initiative allemande « Industry 4.0 » en faveur de la fabrication avancée, est seulement l’un des domaines couverts par les instituts américains. Ce large éventail technique montre combien les répercussions d’une révolution de la fabrication avancée pourraient être importantes. Il constitue peut-être l’aspect le plus intéressant dans l’approche retenue par les États-Unis, et appelle une énumération des différents instituts.
Au début de 2017, il y avait au total 14 instituts : huit financés par le Département de la Défense, cinq par le Département de l’Énergie et un par le NIST21. Ce dernier pourrait en créer un autre en 2017 s’il trouve le financement nécessaire. Deux de ces instituts, et leurs domaines technologiques, sont décrits ci-après : tout d’abord l’Institut national pour l’innovation dans la fabrication additive (America Makes –National Additive Manufacturing Innovation Institute), puis, sous la forme d’une étude de cas plus détaillée, l’Institut pour l’innovation dans la fabrication de composites à haute performance (Institute of Advanced Composites Manufacturing Innovation). Une description des autres instituts est fournie en annexe à ce chapitre. Cette annexe présente les instituts suivants : l’Institut pour l’innovation dans la conception et la fabrication numériques (Digital Manufacturing and Design Innovation Institute, DMDII) ; l’Institut des innovations de demain dans les métaux légers (Lightweight Innovations for Tomorrow, LIFT), axé sur les métaux légers et modernes ; Power America, pour l’électronique de puissance de prochaine génération ; l’Institut américain pour la fabrication de systèmes photoniques intégrés (American Institute for Manufacturing Integrated Photonics, AIM Photonics) , NextFlex (Flexible Hybrid Electronics), spécialisé dans l’électronique hybride flexible) ; l’AdvancedFunctional Fabrics of America (AFFOA), qui travaille sur les tissus fonctionnels à haute performance ; l’Institut pour l’innovation dans la fabrication intelligente (Smart Manufacturing Innovation Institute) ; l’Institut pour des progrès rapides dans le déploiement de l’intensification des procédés (Rapid Advancement in Process Intensification Deployment Institute,RAPID),) ; l’Institut national pour l’innovation dans la fabrication de produits biopharmaceutiques (National Institute for Innovation in Manufacturing Biopharmaceuticals) ; l’Advanced Regenerative Manufacturing Institute (ARMI) ; l’Institut pour la réduction de l’énergie grise et la diminution des émissions dans la fabrication de matériaux (Institute for Reducing EMbodied Energy and Decreasing Emissions in Materials Manufacturing, REMADE) ; et l’Institut de robotique avancée (Advanced Robotics Manufacturing, ARM).
Annoncé en 2012, l’Institut national pour l’innovation dans la fabrication additive (America Makes – National Additive Manufacturing Innovation Institute)22, a été le premier des instituts d’innovation industrielle. Il a son siège à Youngstown (Ohio) et une base régionale sur l’axe Cleveland (Ohio) – Pittsburg (Pennsylvanie), et se consacre aux technologies de l’impression 3D (également connue sous le nom de fabrication additive). La fabrication additive est un procédé de fabrication de produits par ajout de matière, couche après couche, à partir des données de modèles informatiques en trois dimensions. Elle s’oppose à la fabrication soustractive (par enlèvement de matière), qui s’appuie sur les machines-outils traditionnelles. Elle utilise en général des poudres de métaux ou de polymères, ou même du tissu biologique. L’avantage concurrentiel de la fabrication additive est que les pièces peuvent être fabriquées dès que leur description numérique en trois dimensions a été entrée dans l’imprimante, ce qui crée potentiellement un nouveau marché de fabrication personnalisée en série, à la demande. Point important, ces procédés limitent les déchets de matière, ainsi que l’outillage nécessaire, et sont à même de réduire le nombre d’étapes de la chaîne d’approvisionnement. Ils permettent de fabriquer des composants et des structures totalement nouveaux, qu’ilserait impossible de produire avec un bon rapport coût-efficacité par les procédés de fabrication traditionnels tels que le coulage, le moulage et le forgeage. La fabrication additive pourrait concurrencer directement les techniques de production en série, à condition que la vitesse de superposition des couches puisse être nettement augmentée, ce qui implique toutefois des avancées majeures dans ce domaine. Dans l’intervalle, la fabrication additive sera utilisée pour remplacer des pièces sur site, réduire les stocks de pièces nécessaires et créer des composants bien plus complexes et élaborés que ce que peuvent produire les procédés actuels. Elle pourrait être l’un des facteurs clés qui ouvriront la voie à la fabrication personnalisée en série (possibilité de créer de petits lots de produits de conception originale au même coût que des biens produits en série). Elle pourrait permettre une fabrication locale, et une réduction d’échelle, ce qui serait une première dans l’histoire de la production.
Au terme d’un processus de sélection hautement concurrentiel, les fonds des États et des industriels du consortium America Makes, complétés par un financement de même montant apporté par le programme Air Force Mantech et d’autres agences, ont constitué un programme d’environ 100 millions USD. La mission de l’institut est de faire passer la fabrication additive à la vitesse supérieure et de généraliser son adoption en comblant le fossé technologique entre la recherche, d’une part, et le développement et le déploiement de la technologie, d’autre part. Les membres d’America Makes comprennent 53 entreprises, petites et grandes, principalement situées dans le Middle West, mais disséminées aussi dans le pays tout entier. Cela comprend des entreprises du secteur des technologies d’impression 3D, comme 3D Systems, de grandes entreprises aérospatiales, comme Boeing, Lockheed Martin, United Technologies et Northrup Grumman, dans lesquelles l’impression 3D pourrait être synonyme de transformations, et un grand nombre de petites entreprises de production. Quelque 36 établissements universitaires – des grandes universités de recherche aux community colleges – participent au programme. L’institut compte plus de 20 autres organisations, allant d’agences publiques à des associations professionnelles.
Le consortium America Makes a élaboré un plan d’action technologique détaillé organisé autour de la conception, des matériaux, des procédés et du choix de la chaîne logistique. Un autre axe concerne le « génome » des matériaux additifs et vise à diminuer de manière considérable le temps et les coûts nécessaires pour concevoir, élaborer et agréer de nouveaux matériaux de fabrication additive, à l’aide de méthodes de calcul originales, telles que les outils de prédiction de propriétés assistée par des modèles et basée sur la physique. L’institut a travaillé dans différentes directions : création d’une infrastructure de mise en commun d’idées et de recherches sur la fabrication additive, développement et évaluation de techniques de fabrication additive, mise en place d’une collaboration avec des établissements d’enseignement et des fabricants pour organiser des formations dans ce nouveau domaine, et mise en relation des petites et moyennes entreprises avec les ressources leur permettant d’utiliser la fabrication additive. America Makes a notamment axé ses efforts sur des projets de R-D et de développement de technologies tels que l’initiative conjointe de l’Université du Texas à El Paso et de Lockheed Martin, Boeing, Honeywell et Draper Laboratory à Cambridge, qui vise à intégrer un ensemble de techniques de fabrication de composants électroniques dans des procédés d’impression 3D (usinagede précision, extrusion thermoplastique, enrobage direct des feuilles, enrobage des fils et gestion des fils, par exemple). On compte plus de 30 autres projets de développement comparables menés par des universités et des industriels.
Étude du cas d’un institut d’innovation industrielle : l’IACMI
Pour donner une meilleure idée de ce qui s’élabore dans les instituts, nous allons étudier l’un d’entre eux plus en détail dans la présente section. L’IACMI a son siège à Knoxville, dans le Tennessee23. Son objectif est d’élaborer et de démontrer des technologies innovantes qui permettront, d’ici 10 ans, de fabriquer des composites avancés à base de polymères renforcés de fibre. Comparativement aux techniques existantes, le but est de fabriquer ce type de composites pour un coût inférieur de 50 %, avec une consommation d’énergie inférieure de 75 % et en réutilisant ou en recyclant plus de 95 % de la matière.
Une cible claire et unique pour chaque institut. Les instituts, dont l’IACMI, sont conçus pour répondre à des besoins essentiels du secteur, en se fixant une cible claire et unique. L’objectif de l’IACMI est d’élaborer des composites légers présentant des avantages importants par rapport aux matériaux actuels sur le plan de l’efficacité énergétique et de la production d’énergie renouvelable. Il faudra pour cela déployer des technologies avancées qui permettront de fabriquer des matériaux composites pour un coût nettement inférieur, plus rapidement et en consommant moins d’énergie, et qui offriront la possibilité d’un recyclage relativement facile. Les obstacles techniques et institutionnels sont certes nombreux, mais le domaine ouvre incontestablement des possibilités intéressantes aux industriels américains.
Le consortium comme mode de fonctionnement. L’IACMI, comme les autres instituts, repose sur un consortium composé d’industriels, d’universités et d’administrations. Il comprend de grandes entreprises, comme Dow, Ford, General Electric, Dupont et Boeing, et de plus petites. Au total, 57 entreprises des secteurs de la chimie, de l’automobile et de l’aérospatiale y participent. On y compte 15 universités, laboratoires et établissements d’enseignement post-secondaire, avec notamment, pour les premières, l’Université du Tennessee, l’Université d’État de Pennsylvanie, l’Université de l’Illinois et l’Université Purdue. Des organismes publics des États et d’autres entités de développement économique en sont également membres.
Le concept. L’IACMI s’efforcera de faire baisser de manière spectaculaire les coûts globaux de fabrication des matériaux composites avancés et de diminuer l’énergie nécessaire pour les usiner et veillera à ce qu’ils soient recyclables. Il établira des installations partagées de R-D et d’essai, et mettra en relation les industriels, les fournisseurs de matériaux et les spécialistes des universités.
La proposition de valeur du secteur. L’IACMI entend offrir quatre services de base aux industriels partenaires :
Accès à des ressources de R-D partagées. Fournir un accès à des équipements, allant de laboratoires à des installations de production à l’échelle industrielle, afin de permettre la démonstration et l’essai, et de réduire le risque auquel sont exposés les investissements des entreprises du secteur.
R-D appliquée. Mobiliser un volume important de R-D financée par l’État, auquel viendront s’ajouter un partage des coûts par les industriels et des investissements des universités, pour trouver des solutions innovantes aux défis.
Usine virtuelle de matériaux composites. Donner accès à des logiciels de modélisation et de simulation commerciaux de bout en bout aux concepteurs et fabricants de matériaux composites, via une plateforme web.
Formation de la main-d’œuvre. Dispenser une formation spécialisée pour préparer la main-d’œuvre actuelle et future aux toutes dernières techniques et méthodes de fabrication de composites avancés.
Les objectifs et les défis. L’IACMI a élaboré des objectifs techniques à cinq et dix ans : réduire de 25 %, puis de 50 %, le coût de fabrication des polymères renforcés de fibre de carbone (PRFC) ; réduire de 50 %, puis de 75 %, la quantité d’énergie grise associée aux PRFC ; et atteindre 80 % puis 95 % de recyclabilité des composites en produits utiles. Les objectifs de l’institut sur le plan des retombées – associés à une série de cibles à atteindre au fil du temps – comprennent : l’amélioration de la productivité énergétique ; la réduction de la consommation d’énergie sur le cycle de vie ; l’augmentation de la capacité de production nationale ; la croissance de l’emploi et le développement économique.
Plan d’action et plans d’investissement stratégiques. L’IACMI adoptera une approche de type portefeuille pour mener à bien ses projets. Les projets initiaux ont été définis dans une proposition soumise au Département de l’Énergie. Ils comprennent d’une part le renforcement de la capacité des infrastructures concernant les matériaux et le traitement ainsi que la modélisation et la simulation, et d’autre part la valorisation de la main-d’œuvre dans des domaines stratégiques. L’objectif est de faire bénéficier le pays tout entier des progrès accomplis, et notamment les secteurs de l’automobile, de l’éolien et du stockage de gaz comprimé.
La deuxième phase implique l’élaboration d’un plan d’action technologique, sous la responsabilité du Directeur de la technologie de l’IACMI, et la création d’un conseil consultatif sur l’industrie et les technologies. Cette phase permettra de déterminer les principaux obstacles à la fabrication de matériaux composites avancés à haute résistance et à grande échelle, et de hiérarchiser les possibilités offertes par les matériaux et la chaîne d’approvisionnement.
Un troisième domaine requiert l’élaboration d’un plan d’investissement stratégique, ce qui se fera sous la responsabilité du comité directeur de l’IACMI et de son conseil consultatif technique. L’objectif sera de modifier le cycle d’innovation afin de permettre une adoption rapide et une montée en puissance de la fabrication de composites avancés. Les appels permanents à projets ouverts dans le domaine du développement technologique seront alignés sur le plan d’investissement stratégique et le plan d’action technologique, priorité étant donné aux projets qui produisent des effets importants à court terme.
Accélération du processus découverte-application-production. C’est là un objectif général de l’IACMI qui, comme d’autres instituts, cherchera à :
Établir une présence, à grande échelle, dans les « chaînons manquants » de la recherche en matière de fabrication avancée (NMT 4 à 7).
Créer un patrimoine industriel commun, pour soutenir de futurs centres de fabrication, avec un partenariat actif entre parties prenantes.
Mettre l’accent sur les investissements à plus long terme des industriels et les soutenir.
Combiner la R-D à la valorisation et à la formation de la main-d’œuvre.
L’un des objectifs globaux sera la création de capacités et d’unités de production industrielles avancées dans le domaine des matériaux composites.
Cet examen de la structure et des objectifs de l’IACMI donne une idée des approches qui sont suivies par beaucoup de nouveaux instituts d’innovation industrielle. Cependant, le modèle de ces instituts n’est pas rigide, et il peut varier considérablement selon les secteurs.
Enseignements tirés de l’expérience des instituts d’innovation industrielle
Comme nous l’avons vu précédemment, le programme des instituts d’innovation industrielle a été mis en place très rapidement par l’administration Obama, sur instruction du président lui-même, pour répondre à une crise politique – un affaiblissement majeur d’un secteur économique clé, le secteur manufacturier, au lendemain de la récession de 2008-09. Du fait du blocage du Congrès, l’administration n’a pas pu partir de zéro, c’est-à-dire concevoir et mettre en œuvre un programme totalement nouveau. Elle a dû se tourner, pour le financement et l’organisation, vers des agences existantes et greffer les nouvelles initiatives sur des structures établies. En d’autres termes, le vaste programme pour l’innovation dans l’industrie a dû se trouver une petite place dans les programmes existants des agences. Inutile de dire que cette solution n’était pas idéale.
Comme pour tout nouveau programme, certains des projets pilotes expérimentaux échoueront, et d’autres aboutiront. Seuls quelques-uns des nouveaux instituts existent depuis assez longtemps pour que l’on puisse évaluer les progrès qu’ils ont accomplis au regard de leur mission. Les autres en sont encore aux premiers balbutiements. Transformer un secteur économique aussi énorme que le secteur manufacturier au moyen de l’innovation n’est pas un projet à court terme. Une étape majeure a indéniablement été franchie avec l’élaboration de stratégies en faveur de la R-D et de la technologie dans un ensemble de nouveaux domaines qui pourraient avoir une incidence considérable sur l’avenir du secteur. On peut tirer une série d’enseignements des réalisations des différents instituts, et observer les défis qui sont apparus à mesure que les instituts évoluaient. Nous allons analyser ces défis ci-après et voir comment on peut les relever. Certains instituts ont déjà entrepris de le faire pour une grande partie, mais il est probable que d’autres vont devoir s’y attaquer à leur tour. Les sections qui suivent, élaborées à partir de discussions avec des responsables des instituts, des fonctionnaires des agences fédérales et des spécialistes universitaires participants, présentent les premiers enseignements que l’on commence à mettre à profit pour accompagner le réseau actuel dans son évolution.
Orientation vers la technologie ou vers la production
Les instituts d’innovation industrielle créés jusqu’ici travaillent dans des domaines sélectionnés par les agences qui financent la R-D publique. Ces domaines correspondent aux missions des agences, mais pas nécessairement aux besoins prioritaires du secteur manufacturier lui-même. De ce fait, on a couru le risque que les domaines sélectionnés soient axés sur le développement technologique tel qu’il est appréhendé par les agences, plutôt que par le secteur. Les choses ont eu tendance à se corriger d’elles-mêmes : les agences sollicitent de plus en plus l’avis des industriels.
Pour éviter ce type de problèmes, le rapport AMP2.0 a défini des critères de base pour la sélection des domaines prioritaires des instituts d’innovation industrielle avancée (les « domaines technologiques industriels »). Même si ces critères ne sont pas systématiquement appliqués par les agences, ils restent éclairants et pertinents. Les quatre critères sont les suivants :
Demande du secteur ou du marché. Existe-t-il actuellement une demande du secteur concernant ce domaine technologique industriel ? Si le secteur n’a pas encore commencé à s’y intéresser, une demande du marché ou des consommateurs se fait-elle nettement sentir ?
Caractère intersectoriel. Ce domaine technologique industriel intéresse-t-il plusieurs secteurs (automobile, aérospatiale, biotechnologies, infrastructures) et des fabricants de différentes tailles au sein de la chaîne d’approvisionnement ?
Sécurité nationale ou sécurité économique. L’absence de compétence ou de position dominante des États-Unis dans ce domaine technologique industriel constitue-t-elle une menace pour la sécurité nationale ou la sécurité économique du pays ? L’absence de compétence des États-Unis dans ce domaine nuit-elle sérieusement à la compétitivité du pays au sein de la chaîne d’approvisionnement ?
Mise à profit des atouts des États-Unis. Ce domaine technologique industriel met-il à profit une main-d’œuvre déjà disponible et un système éducatif existant, une infrastructure particulière ou des politiques déjà en place ? (PCAST, 2014).
Si d’autres instituts devaient être créés, on pourrait encourager les agences à utiliser plus systématiquement les critères AMP2.0 lors du processus de sélection des domaines de travail, afin d’accorder au mieux les besoins du secteur et ceux des agences.
Limitation à cinq ans de l’aide fédérale
Dès l’annonce du premier institut d’innovation industrielle, America Makes, il a été demandé que les instituts soient autonomes (qu’ils puissent se passer du financement fédéral) au bout de cinq ans. La loi de revitalisation de l’industrie américaine (Revitalise American Manufacturing Act) adoptée en 2014 limite aussi le financement à cinq ans pour les instituts créés par le NIST.
Cette approche suit le modèle Sematech dans lequel la DARPA avait mis fin au financement du consortium de fabricants de semi-conducteurs à l’issue de ce délai. Pourtant, comme nous le verrons plus loin, la création de ces instituts s’inspire des instituts Fraunhofer allemands, qui ne connaissent aucun retrait du financement fédéral après un délai court fixé d’avance. L’idée que les instituts puissent devenir financièrement indépendants en cinq ans pose problème. Redonner de la vigueur à l’innovation dans l’industrie est un projet à long terme qui nécessite que l’on fasse preuve de réalisme face aux enjeux technologiques et aux défis que rencontrent les entreprises.
Pour être mises en œuvre à grande échelle, la plupart des technologies autour desquelles les nouveaux instituts se constituent auront besoin de se développer sur une période plus longue que les cinq années de soutien fédéral prévu. Étant donné l’évolution des instituts, il faudra probablement un mécanisme permettant de maintenir, sous une forme ou une autre, un partage des coûts par l’administration fédérale durant une période supplémentaire assez importante une fois le délai initial écoulé. On pourrait envisager qu’à l’issue des cinq premières années, un processus d’évaluation donne à un institut la possibilité de bénéficier d’un renouvellement de son financement s’il a obtenu de bons résultats. Autre solution, vers la fin de la période de financement initiale, les instituts pourraient être mis en concurrence pour l’obtention de financements pluriannuels auprès d’agences fédérales de R-D. Ces financements permettraient de poursuivre des projets de développement de technologies et, potentiellement, des projets de formation connexes.
Modèle de gouvernance de la recherche
Les instituts d’innovation industrielle ont été constitués par des agences fédérales missionnées, et celles-ci ont reconduit leurs cadres réglementaire et organisationnel à mesure que les instituts se développaient. Les agences ont eu tendance à traiter et gérer les instituts de la façon dont elles le font habituellement, c’est-à-dire comme des destinataires de travaux de recherche. Le modèle de gouvernance des agences est effectivement un modèle d’encadrement de la R-D (par des accords de coopération), et les agences ont tendance à se considérer comme des directeurs de recherche. Or, le rôle des instituts est bien plus large. Il implique de mettre en place des collaborations durables, avec des systèmes de soutien englobant un vaste éventail d’entreprises et de chercheurs, dans de nombreux secteurs, non seulement pour la recherche, mais aussi pour les essais, les démonstrations de technologies et les retours d’information, le développement de produits et la formation de la main-d’œuvre.
Le rôle dévolu aux instituts est très complexe et ambitieux, et nécessite un modèle de gouvernance et de soutien différent de celui appliqué aux projets de recherche plus simples. En résumé, le système de gouvernance de la recherche fédérale pourrait, dans de nombreux cas, ne pas favoriser le type de collaboration nécessaire aux tâches non liées à la recherche qui font partie de la mission des instituts, et ne pas préparer ces derniers à être financièrement autonomes au bout de cinq ans. Il convient donc de réfléchir à la manière dont le modèle de gouvernance fonctionne, y compris aux retards administratifs dans la mise sur pied de nouveaux instituts. Ainsi, le financement sous la forme d’un partage des coûts entre les industriels et les États devrait-il être contrôlé par l’agence, ou les instituts devraient-ils définir ces paramètres avec les parties contributrices ? Les agences pourraient-elles abandonner le modèle traditionnel de supervision et de suivi des contrats de recherche pour encourager un modèle plus collaboratif, avec une participation accrue des collectivités locales et des administrations des États et surtout des industriels ?
Soutien apporté par le réseau
Le rapport AMP2.0 recommandait de rassembler le groupe grandissant des instituts d’innovation industrielle au sein d’un réseau de soutien. Il proposait « une structure de gouvernance qui préserve l’autonomie de fonctionnement des différents instituts, mais dans laquelle un conseil d’administration de réseau public-privé serait chargé de surveiller les résultats globaux du réseau et la pérennité des différents instituts » (PCAST, 2014). Le NIST s’emploie à mettre en œuvre cette recommandation au moyen du réseau Manufacturing USA. Comme le NIST l’a bien compris, le réseau peut répondre à un certain nombre de besoins. Les nouveaux instituts ne devraient pas avoir à « réinventer la roue » lors de leur création. Un grand nombre d’enseignements ont été tirés de l’expérience déjà acquise, notamment sur la manière de constituer les comités directeurs et les structures juridiques, de gérer la propriété intellectuelle, de définir les niveaux de participation des parties prenantes ou d’organiser des actions de sensibilisation et d’éducation au niveau régional. Un réseau de soutien dynamique donnerait aux instituts la possibilité de s’informer mutuellement des problèmes qu’ils rencontrent couramment et de les résoudre ensemble, et permettrait que les bonnes pratiques et les enseignements tirés de l’expérience de chacun des instituts soient examinés et mis en commun.
Accent sur la R-D ou sur la mise en œuvre
Le rapport AMP1.0 envisageait des instituts opérant aux niveaux de maturité technologique 4 à 7 (« développement des technologies », « démonstration des technologies » et « élaboration de systèmes et de sous-systèmes ») (PCAST, 2012). Les agences fédérales concernées ont eu tendance à organiser les instituts autour du développement de technologies cadrant avec leurs missions. On reste donc assez loin de la mise en œuvre par les industriels. Cet accent sur le développement est peut-être inévitable étant donné la brèche dans le système de R-D industrielle des États-Unis, mais au fil du temps, il risque d’entraîner une lacune sur le volet mise en œuvre du rôle des instituts. Il faudrait donner davantage de place aux procédés de fabrication, à la démonstration, aux systèmes d’essai et de retour d’information, faute de quoi les instituts pourraient se trouver limités dans leur capacité à faire participer les petites et moyennes entreprises, car les technologies sur lesquelles ils travaillent ne sont pas menées jusqu’aux stades où ces entreprises peuvent s’en saisir. La diffusion s’en trouvera limitée. La plupart des directeurs d’institut l’ont bien compris, mais la question demeure périphérique.
En résumé, le développement de technologies constitue assurément un rôle important et central des instituts, mais ceux-ci ne doivent pas négliger les tâches supplémentaires nécessaires pour porter les nouvelles technologies aux niveaux de maturité 5 à 7, plus en aval du processus d’innovation, de sorte qu’elles puissent être mises en œuvre, notamment par les petites et moyennes entreprises. Les instituts s’y emploient, mais doivent partager et comparer l’évolution de leurs approches.
Participation de la chaîne d’approvisionnement
Les instituts, comme cela a été indiqué plus haut, se sont souvent concentrés en priorité sur des appels à projets de R-D de technologies qui font généralement intervenir des chercheurs issus d’universités et de grandes entreprises ; les petites entreprises en sont habituellement exclues du fait de leurs capacités de R-D limitées. Or, les nouvelles technologies ne pourront être adoptées que si des chaînes d’approvisionnement intégrées (comprenant les petites entreprises) sont amenées à les comprendre et à les utiliser. Pour ce faire, les instituts vont devoir suivre une approche plus axée sur l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement et associer cette dernière aux activités de démonstration et d’essai des technologies et à la formation.
Formation de la main-d’œuvre
Le rôle que les instituts d’innovation industrielle sont censés assumer dans la formation de la main-d’œuvre en général et celle des ingénieurs pourrait présenter un problème similaire. Si les équipes d’ingénieurs et la main-d’œuvre ne sont pas formées aux nouvelles technologies utilisées dans la fabrication avancée, que ce soit dans les petites ou les grandes entreprises, la mise en œuvre à grande échelle de ces technologies en pleine évolution sera tout simplement impossible. Certains instituts ont compris que la formation de la main-d’œuvre pouvait être une première étape fructueuse pour servir leurs mandants dans l’industrie et leurs secteurs et pour bâtir des réseaux de contacts avec une grande diversité d’entreprises. Pour les instituts, il s’agit là d’un moyen particulièrement important d’établir des relations à la fois avec de petites entreprises et avec des États, lesquels interviennent dans la formation de la main-d’œuvre par l’intermédiaire de leurs systèmes de community colleges. Pourtant, cela n’a pas toujours été le cas. Au sein des agences, les responsables des contrats et des programmes relatifs aux instituts sont généralement des technologues, et non des spécialistes de l’éducation, aussi se concentrent-ils souvent sur l’aspect R-D du rôle des instituts. Or les instituts doivent maîtriser les deux volets pour servir au mieux leurs secteurs industriels. Les agences devraient veiller à ceque les instituts ne perdent pas de vue la formation de la main-d’œuvre. En fait, le réseau NNMI pourrait être amené à jouer un rôle constructif en apportant les meilleures pratiques en matière d’éducation à l’ensemble des instituts.
Le rôle des États
Dès le début, les participants aux processus AMP1.0 et 2.0, notamment les pouvoirs publics, les industriels et les universités, ont vu que l’équilibre constituait un défi essentiel pour les instituts. Toutes les activités de fabrication, au final, sont intégrées dans des écosystèmes de production et d’innovation qui ont une dimension très régionale. Il est donc impératif que les instituts d’innovation industrielle gardent un pied dans les économies manufacturières régionales, où se trouvent leurs mandants (industriels et universités). Cela étant, le pays tout entier aura besoin des technologies que les instituts développent. L’impression 3D, par exemple, ne concerne pas simplement le nord-est de l’Ohio : elle est nécessaire à l’échelle nationale et dans de nombreux secteurs industriels. Les instituts doivent donc aussi avoir un pied dans l’économie nationale, ce qui engendre un modèle dichotomique compliqué.
Certains instituts ont un autre problème : du fait de la place initialement forte des projets de R-D, ils pourraient avoir une vision trop nationale et devoir de ce fait opérer un rééquilibrage. Si le soutien fédéral s’arrête au bout de cinq ans, le rôle régional et local que les instituts peuvent jouer devient vital. Le soutien régional des états pourrait donc se révéler essentiel à la survie des instituts. Si ceux-ci ne tissent pas très tôt des liens étroits avec les économies régionales, le développement de ces instituts peut se voir compromis. Certains instituts s’emploient à créer des modèles pour y parvenir. L’institut LIFT, par exemple, a particulièrement bien réussi à s’allier les États participants et leurs community colleges afin d’élaborer des programmes de formation de la main-d’œuvre, l’une des priorités des États. L’IACMI s’est employé avec succès à créer des centres opérationnels soutenus par les États participants pour associer ces derniers plus efficacement à son action.
En résumé, renforcer le soutien des États en tissant des liens avec les économies régionales sera un élément essentiel de la pérennité des instituts. Pour survivre et se développer, les nouveaux programmes publics n’ont pas seulement besoin d’une conception solide des politiques de fond. Il leur faut aussi un modèle de soutien politique robuste, qui les maintiendra sur la durée. Trouver la forme à donner à ce soutien politique n’est pas chose aisée, car il faut veiller à ce que la conception des politiques de fond ne soit pas détournée pour servir des objectifs politiques. En effet, le soutien politique doit venir étayer les politiques de fond, tout en renforçant l’appui nécessaire pour pérenniser ce soutien (Bonvillian, 2011). Les instituts doivent donc trouver le bon dosage entre soutien politique et politiques de fond. Le développement d’un axe économique régional n’est pas seulement important pour le modèle de fond d’un institut pérenne et viable, il est également important pour la dimension politique du soutien futur.
Problème sous-jacent : une R-D fédérale historiquement insuffisante dans la fabrication avancée
L’un des problèmes importants qui nuisent à la capacité de relever un certain nombre des défis mentionnés plus haut est le peu d’attention que les agences fédérales de R-D ont accordée par le passé à la recherche industrielle. Comme nous l’avons vu plus haut, les administrations fédérales successives des États-Unis ont considéré la position dominante du pays dans le secteur manufacturier comme acquise, et n’ont pas ressenti le besoin d’en faire une priorité de la politique de R-D. C’est en partie la raison pour laquelle les instituts d’innovation industrielle ont tendance à s’intéresser davantage aux premières étapes du développement des technologies qu’à la mise en œuvre de ces dernières, comme le suggérait pourtant le rapport de l’AMP. La recherche fondamentale dans le domaine des techniques de fabrication reste également nécessaire. Si la mission de l’agence fédérale de R-D actuelle était davantage axée sur les technologies génériques du secteur manufacturier, cela pourrait être un complément important des activités des instituts et contribuer à créer de nouveaux paradigmes technologiques industriels. En d’autres termes, la recherche fédérale a contribué à des avancées majeures dans des domaines tels que les technologies numériques et les technologies de détection, les matériaux avancés, les systèmes photoniques, la robotique, l’électronique flexible et les composites. Cela a aidé lesmilieux de la technologie aux États-Unis à voir que de nouveaux paradigmes manufacturiers étaient possibles, et c’est principalement ce qui rend ces efforts si intéressants. Cependant, sans un apport solide d’intrants de la R-D aux instituts, le rôle de ces derniers en matière de développement et de mise en œuvre technologiques n’aura pas de fondement stable.
L’administration a pris des mesures initiales essentielles à cette transmission de résultats de recherche aux instituts. En avril 2016, le Sous-comité de la fabrication avancée (Subcommittee on Advanced Manufacturing, SAM) du Conseil national de la science et de la technologie (National Science and Technology Council), une antenne de l’OSTP chargée des collaborations entre agences, a publié un rapport intitulé « Advanced Manufacturing: A Snapshot of Priority Technology Areas Across the Federal Government » (Fabrication avancée : Aperçu des domaines technologiques prioritaires au sein de l’administration fédérale) (NTSC, 2016). Cette initiative n’a pas relié le portefeuille de R-D fédéral aux instituts, mais a eu au moins le mérite de montrer que les liens entre de nombreux programmes de R‐D actuels pourraient être renforcés. Cette tâche nécessite une plus grande attention.
Enseignements tirés des instituts Fraunhofer
Pour finir, il y a des enseignements essentiels à tirer de l’organisation Fraunhofer en Allemagne et des instituts du même nom qui ont servi de modèle aux instituts américains. Bien que les instituts Fraunhofer jouissent d’une autonomie importante, l’organisation globale prévoit une gouvernance participative, ainsi que la mise en commun des pratiques et des recherches. Les instituts américains auraient tout avantage à se constituer en un réseau dynamique, ce qui leur donnerait accès à la fois aux meilleures pratiques et à un modèle de gouvernance commun. Avec la mise en place du réseau d’instituts Manufacturing USA, en 2016, le NIST s’est lancé dans cette tâche et a demandé aux directeurs des instituts de prendre la tête de l’initiative, ce qui pourrait favoriser un partage des pratiques et des programmes de collaboration entre les instituts. Le soutien continu (non limité dans le temps) que l’administration centrale accorde aux instituts Fraunhofer joue un rôle capital dans leur pérennité et leur dynamisme, et c’est un aspect dont les États-Unis doivent à présent tenir compte.
Parallèlement à leur réseau de travail, les instituts ont besoin d’une capacité d’apprentissage continue qui leur permette de garder une longueur d’avance, un rôle que le système Fraunhofer a joué, dernièrement en coordination avec des projets de plus grande ampleur mis en œuvre par l’administration dans le domaine de la fabrication avancée (« Industry 4.0 »). Le NIST et la NSF ont donc créé un groupe de réflexion et d’action (think and do tank), MForesight – Alliance for Manufacturing Foresight (Alliance pour la prospective dans le secteur manufacturier) –, chargé d’évaluer en continu les questions techniques et stratégiques auxquelles les instituts font face en tant que groupe. MForesight s’emploie à proposer « aux dirigeants d’entreprises et aux décideurs publics des idées et des éclairages sur les nouvelles tendances et perspectives technologiques, en vue d’orienter les investissements publics-privés dans la fabrication avancée » (MForesight, 2017). Son portefeuille de projets d’étude vise également à promouvoir une innovation technologique susceptible de combler le fossé entre la recherche et les fabricants.
Conclusion
Après le déclin rapide de leur secteur manufacturier au cours des années 2000, les États-Unis opèrent désormais un rattrapage. Comme nous l’avons vu en détail plus haut, ce déclin s’est traduit par une perte de 5.8 millions d’emplois manufacturiers, une diminution des investissements productifs, une baisse de la production, et, du fait de cette production en berne, une productivité inférieure à celle qui avait été estimée. Comme l’économiste David Autor et ses collègues l’ont dépeint, le déclin du secteur manufacturier a également entraîné d’importantes perturbations sociales, sur fond de déséquilibre du commerce des produits manufacturés avec la Chine.
S’ils veulent faire face à la concurrence de pays où les coûts et les salaires sont bas, les États-Unis doivent accroître l’efficience de leur production afin d’en compenser les coûts plus élevés, ce qui requiert une stratégie d’innovation dans l’industrie. Il n’y a pas vraiment d’autre option sur le plan de l’action publique. Les politiques fiscale, commerciale et macroéconomique peuvent renforcer marginalement la compétitivité du secteur manufacturier américain, mais ne peuvent pas entraîner de hausse importante de la productivité et de l’efficience. La clé semble être l’innovation dans les techniques et procédés de production, et l’élaboration de modèles économiques pour leur mise en œuvre.
L’administration a commencé à axer ses efforts sur une initiative en faveur de l’innovation dans un rapport de 2011 du PCAST, intitulé « Ensuring American Leadership in Advanced Manufacturing » (Assurer le leadership des États-Unis dans la fabrication avancée). Les politiques correspondantes ont été développées dans deux rapports du PCAST, en 2012 (sur l’exploitation de l’avantage concurrentiel national dans la fabrication avancée ; PCAST [2012]) et en 2014 (sur l’accélération du développement de la fabrication avancée aux États-Unis ; PCAST [2014]), élaborés par l’AMP (Advanced Manufacturing Partnership), un partenariat en faveur de la fabrication avancée créé à l’initiative du président et qui regroupe des entreprises et des universités de premier plan. L’AMP proposait de nombreuses approches, mais la clé de voûte a été le concept d’institut d’innovation industrielle avancée, auquel l’administration a rapidement donné suite, puisqu’elle l’a mis en œuvre bien avant la publication du premier rapport de l’AMP, en 2012.
L’initiative visant à établir un réseau d’instituts d’innovation industrielle avancée a connu un démarrage prometteur, cherchant à combler une brèche critique dans le système américain d’innovation industrielle. Le modèle organisationnel était complexe et ambitieux ; nécessitant la collaboration et le partage des coûts entre des groupes d’entreprises (petites et grandes), des chercheurs universitaires et des États, sous la conduite d’agences fédérales de R-D peu rompues à la gestion d’équipes aussi larges.
La structure de base des instituts se met désormais en place, initialement axée sur des projets de développement technologique industriel. On peut cependant envisager un deuxième stade qui permettrait d’améliorer le modèle. Comme nous l’avons vu plus haut, les instituts font face à une série de défis qu’ils peuvent maintenant envisager de relever à mesure qu’ils se développent et montent en puissance. Il serait en particulier souhaitable de :
Améliorer le modèle de gouvernance actuel des instituts et agences de recherche.
Maintenir le soutien de l’administration fédérale au-delà de la période initiale de cinq ans.
Constituer les instituts en un réseau dynamique qui leur permettrait de mettre en commun les meilleures pratiques de recherche, ainsi que les progrès réalisés dans la formation de la main-d’œuvre.
Mettre l’accent au sein des instituts sur la mise en œuvre de technologies parvenues à des niveaux de maturité technologique plus avancés, parallèlement au développement.
Veiller à ce que les instituts accordent une large place (et collaborent) à des approches optimales de formation de la main-d’œuvre.
Veiller à tisser des liens entre les instituts et les économies régionales, en plus d’œuvrer au développement des techniques de fabrication à l’échelle nationale.
En outre, la R-D fédérale des agences missionnées dans le domaine des techniques de fabrication avancée pourrait être associée plus étroitement aux instituts. Il serait notamment utile que ces fonds de R-D soient coordonnés au moyen de plans d’action communs avec les instituts, de façon que les technologies ne restent pas bloquées et continuent d’être améliorées. Bien entendu, les États-Unis n’ont pas beaucoup d’autres solutions désormais que de maintenir et d’augmenter leurs capacités dans la fabrication avancée, étant donné que leurs grands concurrents suivent des stratégies un peu similaires (voir par exemple Forschungsunion et Acatech [2013], Kennedy [2015], Xinhua [2015], Xinhua [2016], Whang [2012], Manufacturing Technology Centre [2016], Catapult High Value Manufacturing Centres [2016] et Shipp [2012]).
Le déclin du secteur manufacturier américain dans les années 2000 a donné lieu à une nouvelle stratégie industrielle, fondée sur l’innovation. Cette stratégie pour la fabrication avancée a été reconnue comme l’une des approches nécessaires pour restaurer la puissance de la production américaine, approches qui vont des politiques fiscales, commerciales et macroéconomiques à de nouvelles méthodes de formation. Cette nouvelle politique d’innovation était toutefois très différente de tout ce qui avait été tenté auparavant par les États-Unis dans le secteur manufacturier. Elle a nécessité un modèle d’organisation de l’innovation complexe et ambitieux, réunissant des entreprises industrielles (petites et grandes), des chercheurs universitaires et des agences publiques (fédérales et des États) autour d’une quête commune de nouveaux procédés et de nouvelles techniques de fabrication. Elle s’est efforcée de trouver une nouvelle formule de compétitivité en augmentant l’efficience de la production et de la productivité. Le soutien apporté à la fabrication avancée a constitué une tentative pour appliquer une force économique historique des États-Unis – son système d’innovation – à un ensemble totalement nouveau de problèmes.
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Annexe 11.A.1. Description des instituts d’innovation industrielle avancée
Cette annexe présente les 13 instituts d’innovation industrielle avancée qui ne sont pas décrits dans le corps du texte de ce chapitre.
L’Institut pour l’innovation dans la conception et la fabrication numériques (Digital Manufacturing and Design Innovation Institute, DMDII) a été créé en 2014 à partir d’un pôle situé à Chicago. La fabrication numérique implique d’utiliser des systèmes informatiques intégrés, y compris des outils de simulation, de visualisation en trois dimensions, d’analytique et de collaboration, pour créer simultanément des définitions de produit et de procédé de fabrication. L’innovation dans la conception est la capacité à mettre en œuvre ces techniques, ces outils et ces produits pour réinventer l’ensemble du processus de fabrication, de bout en bout.
Le DMDII compte 201 membres, parmi lesquels des entreprises de premier plan opérant dans une grande diversité de secteurs, de nombreuses entreprises plus petites et 11 universités. Le financement de 70 millions USD reçu dans le cadre du programme technologique industriel (Manufacturing Technology Program, Mantech) du Département de la Défense s’est accompagné d’un cofinancement de 248 millions USD provenant des entreprises industrielles et des États. La mission du DMDII porte sur une fabrication numérique susceptible d’abaisser le coût de conception des produits en favorisant des liens étroits entre fournisseurs. Elle vise également à réduire les coûts de production et les besoins en capital, par une amélioration des interactions durant tout le cycle de vie du produit. Parmi ses autres objectifs figurent la réduction du délai de mise sur le marché grâce à des itérations plus rapides, et le développement et la mise en œuvre d’innovations dans la conception numérique ainsi que d’usines et de chaînes logistiques numériques. De façon générale, le DMDII cherche à la fois à mettre au point de nouveaux produits et à améliorer les produits existants.
L’Institut des innovations de demain dans les métaux légers (Lightweight Innovations for Tomorrow Institute, LIFT), fondé en 2014, s’intéresse aux métaux légers et aux métaux modernes. Son pôle principal se situe à Detroit (Michigan) ; d’autres sites dans le Michigan, l’Ohio, l’Indiana, le Tennessee et le Kentucky viennent le compléter. Les métaux légers et avancés permettent des gains de performance majeurs et une plus grande efficacité énergétique qui peuvent améliorer le fonctionnement de nombreux systèmes dans les domaines de la défense, de l’énergie, des transports et des produits techniques en général. Les métaux légers ont des applications dans les éoliennes, la technologie médicale, les cuves sous pression et les sources d’énergie de substitution.
Le LIFT compte 78 membres, parmi lesquels des entreprises de toutes tailles et de différents secteurs – métallurgie, aérospatiale et automobile, entre autres – et 17 universités, qui ont apporté globalement un cofinancement égal aux 70 millions USD de fonds fédéraux octroyés par le programme Mantech de la marine (Navy Mantech) et le Bureau de la recherche navale (Office of Naval Research). La mission du LIFT est d’innover dans la production de métaux légers haute performance et de permettre l’application des techniques ainsi développées dans différents secteurs industriels. L’Institut travaille sur des projets touchant à la fusion, aux procédés thermo-mécaniques, au traitement des poudres, à un outillage agile et économique, aux revêtements et à l’assemblage, avec un large éventail d’applications dans l’automobile, l’aérospatiale, la construction navale, les chemins de fer, la fabrication et d’autres secteurs encore.
L’institut Power America – pour une électronique de puissance nouvelle génération a été créé en 2015 pour développer la technologie des semi-conducteurs à large bande. L’objectif est une augmentation majeure de l’efficacité énergétique et de la fiabilité de l’électronique de puissance grâce à des matériaux semi-conducteurs moins volumineux, plus rapides et plus efficients. Ces technologies non fondées sur le silicium peuvent fonctionner à des températures plus élevées, bloquer des tensions plus élevées et assurer une commutation plus rapide avec une perte de puissance moindre ; elles sont potentiellement plus fiables et offrent de gros avantages au niveau système. Leurs capacités permettent des réductions de poids, de volume et de coût du cycle de vie dans un large éventail d’applications. Cette technologie de semi-conducteurs aura de nombreuses applications, y compris dans les systèmes de moteurs industriels, les équipements électroniques grand public et les centres de données, ainsi que dans la conversion des sources d’énergie renouvelable (solaire et éolien). Une adoption généralisée de ces technologies, même dans un petit nombre d’applications, permettrait des économies substantielles d’électricité, notamment dans la production industrielle. Le coût des technologies à large bande est plus élevé, mais il devrait baisser à mesure que les niveaux de production augmenteront.
Soutenu par le Bureau de l’industrie avancée (Advanced Manufacturing Office) rattaché au Bureau de l’efficience énergétique et des énergies renouvelables (Office of Energy Efficiency and Renewable Energy, EERE) au sein du Département de l’Énergie, Power America est implanté à Raleign (Caroline du Nord) et réunit 17 partenaires industriels, cinq universités et trois laboratoires.
L’Institut pour l’innovation dans la fabrication de composites à haute performance (Institute for Advanced Composites Manufacturing Innovation, IACMI) a été créé en 2015 pour développer et démontrer les technologies qui permettront, dans les dix prochaines années, de fabriquer des composites polymères renforcés de fibre pour un coût réduit de moitié, en utilisant 75 % d’énergie en moins et en permettant la réutilisation ou le recyclage de 95 % ou plus des matériaux. L’IACMI est implanté à Knoxville, dans le Tennessee.
Il a été établi que les matériaux composites légers dotés de grandes qualités de résistance et de rigidité constituaient une technologie essentielle, susceptible d’intéresser de multiples secteurs industriels, et à même de renforcer l’efficacité énergétique des transports, de rendre plus efficiente la production électrique et d’accroître la celle des énergies renouvelables. La palette d’applications de ces composites légers et très résistants est vaste, des automobiles aux pales d’éoliennes, en passant par les aéronefs. Les défis à relever sont le coût élevé, la faible vitesse de production (cycles longs), la forte intensité énergétique nécessaire à la fabrication des matériaux composites, la recyclabilité et la nécessité d’améliorer les outils de conception, de modélisation et d’inspection et de respecter les exigences réglementaires. Une accélération technologique et des travaux de recherche industrielle s’imposent si l’on veut atteindre les objectifs de coût et de performances de fabrication, de la production des matériaux constituants à la fabrication des structures composites finales.
L’IACMI a reçu du Bureau de l’industrie avancée, rattaché au Bureau de l’efficience énergétique et des énergies renouvelables au sein du Département de l’Énergie une allocation de 70 millions USD, complétée par un cofinancement de 180 millions USD. L’IACMI réunit 57 entreprises, 15 universités et laboratoires et 14 entités d’autres types.
L’Institut américain pour la fabrication de systèmes photoniques intégrés (American Institute for Manufacturing Integrated Photonics, AIM Photonics) a été constitué en 2015 à partir de pôles situés à Albany et Rochester, dans l’État de New York. Son but est de favoriser la transmission à ultra-haute vitesse de signaux pour les télécommunications, la nouvelle informatique et les capteurs à haute performance, ainsi que l’imagerie pour les percées du secteur de la santé.
La photonique intégrée nécessite d’intégrer de multiples dispositifs photoniques et électroniques (lasers, détecteurs, guides d’onde et structures passives, modulateurs, commandes électroniques et interconnexions optiques, par exemple) sur un substrat unique doté de caractéristiques à l’échelle nanométrique. Les avantages d’une telle intégration pourraient être considérables : conception simplifiée des systèmes, amélioration de leurs performances et de leur fiabilité, encombrement réduit des composants et diminution de la consommation électrique, le tout permettant des capacités et une fonctionnalité nouvelles essentielles, à moindre coût. Le secteur actuel de la fabrication photonique couvre un ensemble d’entreprises, d’organisations et d’activités liées entre elles, mais largement indépendantes. Il représente un écosystème potentiel, mais manque de l’organisation et du pouvoir global de marché indispensables à une innovation efficiente dans les technologies industrielles nécessaires à la conception, la fabrication, l’essai, l’assemblage et l’habillage de dispositifs photoniques intégrés.
AIM Photonics a pour principal objectif de bâtir un écosystème de la photonique de bout en bout, comprenant les fonderies nationales, les outils de conception intégrée ainsi que la production, l’habillage, l’assemblage et l’essai automatisés, et d’assurer la valorisation de la main-d’œuvre. L’allocation de fonds fédéraux s’est accompagnée d’un cofinancement de plus de 200 millions USD, apporté par les États et les industriels.
L’institut Flexible Hybrid Electronics (NextFlex) a été créé en 2015 à partir d’un pôle situé à San José, dans la Silicon Valley. Son but est de produire des dispositifs extrêmement adaptables sur des substrats flexibles, extensibles, qui combinent des semi-conducteurs fins à oxydes métalliques complémentaires afin d’obtenir des composants de circuits intégrés, auxquels on ajoute de nouveaux composants au moyen de procédés d’impression. Ces composants représentent des possibilités de flexibilité et d’hybridation pour les circuits, les communications, la détection et les sources d’énergie, sans équivalent dans les processeurs au silicium actuels.
L’électronique hybride flexible conserve la pleine fonctionnalité des circuits électroniques traditionnels, mais dans des architectures flexibles innovantes susceptibles de s’intégrer à des objets courbés, irréguliers et extensibles. Elle pourrait étendre l’habillage électronique traditionnel à de nouvelles formes, ouvrant la voie à de nouvelles technologies dans le domaine commercial et celui de la défense. À titre d’exemples, citons les dispositifs médicaux, les prothèses et les capteurs ; les capteurs utilisés pour surveiller les performances des structures ou des véhicules ou ceux qui interagissent via l’internet ou encore les grappes de capteurs servant à contrôler les positions physiques ; les dispositifs de mesure des performances ou d’information que l’on porte sur soi ; les systèmes d’interface homme-robot ; et les systèmes électroniques légers portables.
L’allocation octroyée dans le cadre du programme Mantech du Département de la Défense s’est élevée à 75 millions USD, pour un partage des coûts par les entreprises industrielles et les administrations des États et les administrations locales à hauteur de 96 millions USD. NextFlex réunit 22 entreprises membres venues d’horizon divers : fabricants de semi-conducteurs et leurs fournisseurs, entreprises aérospatiales et entreprises spécialisées dans les sciences de la vie. L’Institut compte aussi 17 universités, des organismes d’État et des organisations régionales.
Lancé en avril 2016, l’institut Advanced Functional Fabrics of America (AFFOA) a commencé sa période de démarrage, fort de plus de 80 membres, à la fin de cette même année. L’institut a son siège social dans le Massachusetts et prévoit la mise en place d’une série d’antennes régionales.
Des avancées scientifiques ont permis d’obtenir des fibres et des textiles dotés de propriétés extraordinaires, comme une plus grande solidité, une résistance au feu et une conductivité. Ces fibres pourraient devenir des composants électroniques et des composants de capteurs et de télécommunication. Cette nouvelle gamme se compose de tissus spéciaux, de tissus industriels, de textiles électroniques et d’autres formes de textiles de pointe. Ces matériaux pourraient fournir communication, éclairage, refroidissement, surveillance médicale, stockage dans des batteries et bien d’autres fonctions nouvelles. Ces textiles techniques sont élaborés sur une base formée d’un mélange de fibres synthétiques et naturelles, et de fibres multimatériaux, qui offrent, dans le secteur commercial et celui de la défense, une palette d’applications bien plus vaste que celle des tissus vestimentaires traditionnels.
Le siège social de l’AFFOA se trouve à Cambridge (Massachusetts). L’institut combine une allocation de 75 millions USD octroyée dans le cadre du programme Mantech du Département de la Défense avec quelque 240 millions USD d’aide financière fournie par des entreprises industrielles et des États. L’AFFOA se veut un partenariat public-privé au service d’un écosystème d’innovation de bout en bout aux États-Unis pour la fabrication de fibres et de textiles révolutionnaires. L’institut vise également à utiliser des installations de production nationales pour développer et transposer à plus grande échelle des processus de fabrication. Il prévoit d’ouvrir rapidement des perspectives de réalisation de produits, à partir d’outils de conception et de simulation, d’installations de production pilotes, d’une infrastructure de collaboration destinée aux fournisseurs et de possibilités de valorisation de la main-d’œuvre. L’institut est déterminé à opérer une révolution dans la fibre et le textile, en incorporant des avancées informatiques et en intégrant des dispositifs intelligents dans des fibres.
L’Institut pour l’innovation dans la fabrication intelligente (Smart Manufacturing Innovation Institute) a été annoncé en juin 2016 et est aujourd’hui en phase de démarrage et de recrutement de ses membres (The White House, 2016). Son siège social se trouve à Los Angeles.
On peut définir la fabrication intelligente comme le fait de faire converger technologies de l’information et de la communication et procédés de fabrication afin d’accéder à un nouveau niveau de contrôle en temps réel de l’énergie, de la productivité et des coûts dans l’ensemble des usines et des entreprises. La fabrication intelligente a été désignée dans le rapport AMP2.0 du Partenariat pour une industrie avancée (Advanced Manufacturing Partnership, AMP) comme un domaine technologique industriel hautement prioritaire nécessitant un investissement fédéral. Par sa capacité à combiner une nouvelle génération de capteurs, de commandes, de processus et de plateformes informatiques, et des systèmes évolués de gestion de l’énergie et de la production, la fabrication intelligente a les moyens d’accroître l’efficacité énergétique et la capacité de fabrication d’un large éventail de secteurs industriels.
Sur son budget de 140 millions USD, l’Institut pour l’innovation dans la fabrication intelligente dispose déjà d’une allocation de 70 millions USD sur cinq ans de fonds fédéraux octroyés par le Bureau de l’industrie avancée du Département de l’Énergie. Le reste provient de cofinancements. L’Institut pour l’innovation dans la fabrication intelligente se concentrera sur l’intégration des technologies de l’information dans le processus de fabrication au moyen de dispositifs tels que des capteurs intelligents réduisant l’utilisation d’énergie. Ainsi, l’Institut prévoit de nouer un partenariat avec l’Institut pour l’innovation dans la fabrication de composites à haute performance du Département de l’Énergie pour procéder à des essais de capteurs de nouvelle génération dans la production de fibre de carbone. L’Institut pour l’innovation dans la fabrication intelligente pense s’associer à plus de 200 entreprises, universités, laboratoires nationaux et organisations à but non lucratif. Microsoft Corp., Alcoa Inc., Corning Inc., ExxonMobil, Google, le National Renewable Energy Laboratory et de nombreuses entreprises de plus petite taille font partie des partenaires de l’Institut. Ce dernier prévoit de lancer cinq centres, axés sur le développement et le transfert technologiques et sur la formation de la main-d’œuvre ; ces centres seront répartis dans le pays et dirigés par des universités ou des laboratoires : en Californie (UCLA), au Texas (Texas A&M),en Caroline du Nord (université de l’État de Caroline du Nord) et dans l’État de New York (Rensselaer Polytechnic Institute) et celui de Washington (Pacific Northwest National Laboratory).
Institut pour des progrès rapides dans le déploiement de l’intensification des procédés (Rapid Advancement in Process Intensification Deployment Institute, RAPID) – le 9 décembre 2016, le Bureau de l’efficience énergétique et des énergies renouvelables a annoncé qu’un consortium conduit par l’Institut américain des ingénieurs chimistes (American Institute of Chemical Engineers) allait constituer le quatrième institut financé par le Département de l’Énergie, précisant qu’il s’agissait là d’une étape essentielle dans l’action menée par l’administration pour doubler la productivité énergétique des États-Unis d’ici à 2030. S’appuyant sur des fonds fédéraux pouvant aller jusqu’à 70 millions USD et sur des engagements de partage des coûts dépassant ce chiffre et émanant de plus de 130 partenaires, l’institut RAPID axera ses efforts sur le développement de technologies de rupture visant à accroître la productivité et l’efficacité énergétiques nationales de 20 % en cinq ans en agissant sur les procédés de fabrication dans des secteurs tels que le pétrole et le gaz, la pâte à papier et le papier, et différents fabricants nationaux de produits chimiques.
La fabrication traditionnelle de produits chimiques repose sur un processus à grande échelle, énergivore. Le nouvel institut fera appel à des stratégies d’intensification des procédés chimiques modulaires – y compris en combinant plusieurs procédés complexes tels que le mélange, la réaction et la séparation pour en faire une seule étape –, l’objectif étant d’améliorer la productivité et l’efficacité énergétiques et de réduire les coûts d’exploitation et les déchets. Des innovations de procédé peuvent réduire drastiquement la surface au sol des équipements nécessaires dans une usine ou éliminer les déchets grâce à une utilisation plus efficiente des facteurs de production. Ainsi, en simplifiant et en resserrant le processus, cette approche pourrait permettre un raffinage du gaz naturel directement au niveau de la tête de puits, ce qui économiserait jusqu’à la moitié de l’énergie perdue avec le procédé actuel de craquage de l’éthanol. Dans la seule industrie chimique, ces technologies pourraient faire économiser plus de 9 milliards USD par an sur les coûts de transformation aux États-Unis.
Le 16 décembre 2016, la Secrétaire au Commerce, Penny Pritzker, a annoncé l’octroi d’une allocation de 70 millions USD au nouvel Institut national pour l’innovation dans la fabrication de produits biopharmaceutiques (National Institute for Innovation in Manufacturing Biopharmaceuticals, NIIMBL). Cet institut est le premier dont le principal domaine d’action a été proposé par les industriels et le premier à être financé par le Département du Commerce. L’organisme a mis en place une approche « ouverte » concernant les thèmes à traiter : un nouvel institut peut couvrir tout domaine non encore visé par un institut existant. L’Institut national de normalisation et de développement technologique (National Institute of Standards and Technology, NIST) avait lancé un concours intitulé « Industry-proposed Institutes Competition » permettant à des consortiums dirigés par des entreprises industrielles de proposer des domaines technologiques considérés comme critiques par les fabricants régionaux. Ce concours se voulait un moyen d’inverser le processus de sélection en le faisant partir de la base. Le résultat a été le NIIMBL.
L’institut aura pour objectif de transformer le processus de fabrication des produits biopharmaceutiques. De façon générale, il cherchera à renforcer le rôle prépondérant des États-Unis dans ce secteur, à améliorer les traitements médicaux et à faire en sorte que l’on dispose d’une main-d’œuvre qualifiée, élaborant pour ce faire de nouveaux programmes de formation qui répondent aux besoins de compétences spécifiques de ce secteur. L’annonce a été faite à l’université du Delaware, laquelle coordonnera l’institut en partenariat avec le NIST du Département du Commerce. Outre le financement fédéral, le nouvel institut reçoit un cofinancement privé initial de 129 millions USD d’un consortium de 150 entreprises, établissements d’enseignement, centres de recherche, organes de coordination, organismes à but non lucratif et partenariats de vulgarisation industrielle, répartis dans tout le pays.
La dotation permettant de créer l’Advanced Regenerative Manufacturing Institute (ARMI) a été annoncée le 21 décembre 2016 par le Département de la Défense, lors d’une manifestation organisée à la Maison Blanche pour célébrer les progrès du Réseau national des instituts d’innovation industrielle, aujourd’hui rebaptisé Manufacturing USA. Ce nouvel institut était le septième dirigé par le Département de la Défense.
Au même moment, les sénateurs et le gouverneur du New Hampshire annonçaient dans leur État une allocation sur cinq ans de 80 millions USD soutenue par les deux partis pour créer le consortium de biofabrication, dont le siège social se trouvera à Manchester Millyard. L’institut, conduit par une coalition comprenant DEKA R&D Corporation, l’université du New Hampshire et le système de soins de santé Dartmouth-Hitchcock, a pour mission le développement et la biofabrication de tissus et d’organes susceptibles d’être transplantés chez des patients. Dean Kamen, fondateur de DEKA, en assurera la direction. L’institut ouvrira la voie à une nouvelle génération de techniques de fabrication permettant de réparer et de remplacer des cellules et des tissus. S’il y parvient, cette technologie pourrait conduire à la fabrication d’une nouvelle peau ou d’organes vitaux pour les nombreux américains en attente d’une greffe. L’institut se concentrera sur la résolution des problèmes industriels transversaux qui bloquent la production de nouveaux tissus et organes de synthèse, comme l’amélioration de la disponibilité, de la reproductibilité, de l’accessibilité et de la normalisation des matériaux, des technologies et des procédés de fabrication. Des collaborations sont attendues entre de multiples disciplines : bio-impression 3D, cytologie et étude de procédé, méthodes pharmaceutiques de dépistage automatisé ou expertise logistique nécessaire pour produire et transporter rapidement lesmatériaux vitaux.
L’Institut pour la réduction de l’énergie grise et la diminution des émissions dans la fabrication de matériaux (Institute for Reducing Embodied Energy and Decreasing Emissions in Materials Manufacturing, REMADE), créé par le Département de l’Énergie, a été sélectionné le 4 janvier 2017. Son siège social se trouvera à Rochester, dans l’État de New York, et il sera dirigé par l’Alliance pour une innovation durable dans l’industrie (Sustainable Manufacturing Innovation Alliance, SMIA). L’institut REMADE obtiendra jusqu’à 70 millions USD de fonds fédéraux, sous réserve de l’ouverture des crédits, ainsi qu’un cofinancement de même montant correspondant à des engagements privés de partage des coûts auxquels ont souscrit plus de 100 partenaires. L’institut aura comme principal objectif de réduire le coût des technologies nécessaires pour réutiliser, recycler ou refabriquer des matériaux tels que des métaux, des fibres, des polymères et des déchets électroniques, et cible un gain de 50 % d’efficacité énergétique globale d’ici à 2027. D’après le Département de l’Énergie, ces mesures d’efficacité pourraient faire économiser des millions sur les coûts de l’énergie et améliorer la compétitivité économique des États-Unis grâce à destechniques de fabrication innovantes.
L’institut s’efforcera de réduire l’utilisation d’énergie sur la durée de vie des matériaux fabriqués en développant de nouvelles techniques, du berceau au berceau, permettant la réutilisation, le recyclage et la refabrication de ces matériaux. L’industrie manufacturière des États-Unis représente près d’un tiers de toute l’énergie consommée annuellement dans le pays, la majeure partie de cette énergie étant incorporée dans les produits fabriqués. Des technologies innovantes facilitant le réemploi de ces matériaux à d’autres fins pourraient économiser aux fabricants des États-Unis et au pays jusqu’à 1.6 1015 BTU d’énergie par an, c’est-à-dire l’équivalent de 280 millions de barils de pétrole, soit un mois d’importations.
Le Département de la Défense a proposé à l’Institut de robotique avancée (Advanced Robotics Manufacturing Institute, ARM) de s’employer à renforcer la primauté des États-Unis en robotique collaborative intelligente, laquelle permet à des robots évolués de travailler aux côtés d’humains sans heurt et de façon sûre et intuitive pour soulever les charges lourdes sur une chaîne d’assemblage ou effectuer avec précision des tâches délicates ou dangereuses. Le Département de la Défense a indiqué que la robotique d’assistance pouvait changer une grande diversité de secteurs manufacturiers, de la défense à la santé en passant par l’automobile et l’espace, permettant une fabrication fiable et efficiente de produits personnalisés de haute qualité.
L’ARM, quatorzième et dernier institut du réseau Manufacturing USA de l’administration Obama a été annoncé le 13 janvier 2017. Son siège social sera à Pittsburgh et le groupe chargé de la proposition a été convoqué par l’université Carnegie Mellon. L’institut réunira une très large équipe, composée de 84 partenaires industriels, 35 universités et 40 autres groupes dans 31 États. Les fonds fédéraux et le partage des coûts par les industriels et les États fourniront un budget de 250 millions USD, l’engagement de l’administration fédérale s’élevant à 80 millions. Le Centre de valorisation de la main-d’œuvre (Center for Workforce Development) de l’université de Clemson dirigera les programmes de formation du nouvel institut.
Dans son annonce, le Département de la Défense expliquait ainsi ce qui nécessitait la création de ce nouvel institut :
« La robotique est déjà présente sur les sites de fabrication, mais les robots d’aujourd’hui sont généralement onéreux, prévus à une seule fin et délicats à reprogrammer ; de plus, ils doivent être isolés des humains pour des raisons de sécurité. Alors qu’il est de plus en plus nécessaire de faire appel à la robotique pour atteindre le niveau de précision requis dans la défense et d’autres secteurs manufacturiers, le coût de l’investissement et la complexité d’utilisation empêchent souvent les fabricants de petite et moyenne taille d’accéder à cette technologie. La mission de l’institut ARM est donc de créer puis de déployer la technologie robotique, en intégrant l’ensemble divers des pratiques industrielles et des connaissances institutionnelles disséminées dans de nombreuses disciplines – technologie de détection, développement d’effecteurs, logiciel et intelligence artificielle, science des matériaux, modélisation du comportement des humains et des machines et assurance qualité – pour tenir les promesses d’un écosystème dynamique d’innovation dans l’industrie. Les technologies relevant de l’institut ARM et qui sont à l’orée d’une importante évolution sont notamment les suivantes : robotique collaborative, maîtrise des robots (apprentissage, adaptation et réaffectation à d’autres tâches), manipulation habile, navigation et mobilité autonomes, perception etdétection, et essai, vérification et validation. » (US DoD, 2017).
Le Département de la Défense a qualifié les capacités nationales actuelles en matière de technologie robotique industrielle de « fragmentées », mentionnant la nécessité d’une amélioration de l’organisation et de la coordination pour mieux armer les États-Unis face à la concurrence mondiale dans ce secteur.
Un autre institut pourrait être instauré par le Département du Commerce, portant le total à 15. Le processus de sélection du thème, géré par le NIST, est maintenant terminé, mais la sélection finale est conditionnée par la disponibilité des fonds en 2017.
Les instituts sont déjà en pleine action. L’administration a présenté une série d’exemples de ce qu’ils ont accompli (The White House, 2016) :
Pour aider à ancrer la production des nouvelles technologies de semi-conducteurs aux États-Unis et à accélérer la commercialisation de l’électronique de puissance avancée, en mars, l’institut d’innovation industrielle Power America a noué un partenariat fructueux avec la société X-FAB de Lubbock (Texas) en vue de moderniser une fonderie de 100 millions USD qui produira la prochaine génération de semi-conducteurs à large bande à un prix compétitif. Les nouveaux débouchés commerciaux ainsi créés permettront de maintenir des centaines d’emplois.
S’appuyant sur des techniques de fabrication de métaux de nouvelle génération, l’Institut des innovations de demain dans les métaux légers (LIFT), implanté à Detroit et spécialisé dans les métaux légers, a démontré avec succès comment réduire le poids de pièces métalliques essentielles sur les automobiles et les camions. L’institut est parvenu à réduire ce poids de 40 %, avec à la clé une amélioration de la consommation spécifique moyenne des véhicules et une économie sur les coûts de carburant. Outre cela, le LIFT a introduit dans 22 États un programme de formation des travailleurs à l’utilisation des métaux légers. À l’été 2016, 38 entreprises accueillaient des étudiants pour des stages rémunérés de longue durée dans l’industrie, en partenariat avec le LIFT.
America Makes a drainé des centaines de millions de dollars d’investissements nouveaux dans l’industrie de sa région. L’institut a notamment contribué à attirer le nouveau pôle mondial d’impression 3D de General Electric, un investissement de 32 millions USD, et incité Alcoa à investir 60 millions USD dans ses installations de New Kensington, en Pennsylvanie. Ces deux investissements tireront avantage de la proximité avec America Makes et son expertise dans l’impression 3D à l’aide de poudres métalliques.
Par ailleurs, America Makes, en collaboration avec Deloitte et d’autres partenaires, a créé un cours en ligne gratuit sur les principes de l’impression 3D pour les entreprises. Durant l’année écoulée, plus de 14 000 dirigeants ont suivi ce cours pour comprendre ce que l’impression 3D pouvait apporter à leur entreprise.
À la demande du Département de la Défense et dans le cadre du programme Mantech, Deloitte a mené une évaluation indépendante du modèle des instituts en 2016. Ses constatations générales, publiées dans un rapport de janvier 2017, sont plutôt positives (Deloitte, « Manufacturing USA, A Third-Party Evaluation of Program Design and Progress », Washington, DC). Les auteurs ont constaté que l’adoption de l’industrie avancée était critique pour que les progrès accomplis dans l’économie nationale générale améliorent la croissance de la productivité, le déficit commercial et la création d’emplois. À cet égard, l’examen a permis d’établir que le modèle de partenariat public-privé des instituts était à même de créer des collaborations elles-mêmes susceptibles d’améliorer l’investissement dans la R-D industrielle, de résoudre les problèmes d’action concertée dans le secteur, de réduire les obstacles à l’innovation, de permettre un meilleur accès à la propriété intellectuelle et de diminuer les risques et les coûts grâce à un accès partagé aux actifs. Sur le plan de la facilitation technologique, l’examen a permis de constater que les instituts pouvaient avoir un rôle non négligeable dans la réduction des risques auxquels sont exposés les investissements dans la R-D industrielle, surtout compte tenu de l’inégalité des investissementsconsentis par des entreprises de tailles et d’horizons différents. Le partage d’équipements de pointe, la mise en commun de la R-D, la planification technologique et le partage des connaissances que permettent les instituts pouvaient créer des avantages notables pour les industriels participants qui, seuls, n’auraient pas les moyens de les obtenir.
Concernant la formation de la main-d’œuvre, Deloitte a constaté que le modèle des instituts pouvait atténuer le déficit de compétences auquel les entreprises industrielles font face désormais à mesure qu’elles s’engagent dans l’industrie avancée. Les programmes des instituts dans ce domaine comprenaient des évaluations de l’offre et de la demande de main-d’œuvre, une accréditation et une certification des salariés et des programmes de formation et d’apprentissage centrés sur les technologies. L’examen a également permis d’observer des progrès notables dans la création d’écosystèmes améliorés de production. Que l’on considère la palette des domaines technologiques qu’il cible ou sa portée géographique, le portefeuille d’instituts représentait une force du système. Le grand nombre de ses membres et la diversité de taille et de type des entreprises concernées étaient un signe du succès initial du modèle. Il a aussi été établi que les instituts avaient une part dans le renforcement des pôles économiques régionaux, essentiels au développement des régions. Le rapport de Deloitte formulait aussi des recommandations sur le programme, dont certaines complètent la liste donnée dans ce chapitre des défis que les instituts doivent relever. Globalement, cet examen a constitué une première assurance, par une source autorisée indépendante, que le modèle des instituts allait dans le bon sens.
Notes
← 1. Ce chapitre est tiré d’un article de l’auteur à paraître dans la revue Annals of Science and Technology au premier trimestre de 2017, et sera développé dans un ouvrage à paraître sur ce même sujet, élaboré en collaboration avec Peter L. Singer, chez MIT Press (prévu pour l’automne 2017).
← 2. Bureau of Labor Statistics (BLS), Current Employment Statistics (CES), www.bls.gov/ces/. Voir aussi l’examen détaillé des pertes d’emplois dans le secteur manufacturier dans Atkinson et al. (2012) et Scott (2015).
← 3. Bureau of Labor Statistics (BLS), Current Employment Statistics (CES), www.bls.gov/ces/.
← 4. Bureau of Economic Analysis (BEA), Fixed Assets Accounts, http://bea.gov. Voir aussi Atkinson et al. (2012), pp. 47-58.
← 5. Bureau of Labor Statistics (BLS), Labor Productivity and Costs, Productivity change in the manufacturing sector (base de données), www.bls.gov/lpc/prodybar.htm.
← 6. Bureau of Economic Analysis (BEA), Foreign Trade, Exports, Imports and Balance of Goods by SelectedNAICS-Based Product Code, Exhibit 1 du FT-900 Supplement for 12/15, 5 février 2016, www.census.gov/foreign-trade/Press-Release/2015pr/12/ft900.pdf.
← 7. Bureau of Economic Analysis (BEA), Trade in Goods with Advanced Technology Products, 2015, Exhibit 16, www.census.gov/foreign-trade/balance/c0007.html.
← 8. Bureau of Economic Analysis (BEA), US International Trade in Goods and Services, Exhibit 1, 5 février 2016, www.census.gov/foreign-trade/Press-Release/2015pr/12/ft900.pdf.
← 9. Pour une analyse des effets sociaux perturbateurs du déclin du secteur manufacturier aux États-Unis, voir Bonvillian (2016).
← 10. Bureau of Labor Statistics (BLS), Industries at a Glance, Manufacturing: NAICS 31-33, Workforce Statistics (juillet 2016), www.bls.gov/iag/tgs/iag31-33.htm.
← 11. Les évolutions décrites dans cette sous-section, et les sources correspondantes, sont présentées en détail dans Bonvillian, 2014.
← 12. Cette crainte d’une « politique industrielle » reste ancrée dans le débat entre les partis aux États-Unis. Bien que les instituts d’innovation industrielle créés pendant la période 2012-16 (voir ci-après) puissent entrer dans cette catégorie, la crise de l’emploi dans le secteur manufacturier et les fermetures d’usines ont eu raison de ces préoccupations, et la loi relative au modèle des instituts a été adoptée par les deux partis en 2014, comme nous le verrons plus bas. En outre, les instituts sont conçus pour être dirigés par les industriels, cofinancés par ces derniers, et pour fonctionner de manière collaborative, sans mainmise de l’État.
← 13. Au cours de cette période, un certain nombre d’articles importants sur les difficultés rencontrées par le secteur manufacturier aux États-Unis ont apporté la base sur laquelle les études examinées ci-après ont été menées, même si l’étude du MIT présentée plus bas a été la plus complète. Parmi ces autres articles, citons : Tassey (2010) ; Fuchs et Kirchain (2010) ; Houseman et al. (2011) ; Breznitz et Cowhey (2012) ; Atkinson et al. (2012) ; Helper, Kruger et Wial (2012) ; Shipp et al. (2012) ; Bonvillian (2012) ; et Pisano et Shih (2012).
← 14. Les noms des membres du Comité directeur de l’AMP1.0 issus d’entrepriseset d’universités figurent dans le communiqué de presse du Bureau du Chef du service de presse de la Maison Blanche, intitulé « Report to President Outlines Approaches to Spur Domestic Manufacturing Investment and Innovation », 12 juillet 2012, www.whitehouse.gov/the-press-office/2012/07/17/report-president-outlines-approaches-spur-domestic-manufacturing-investm.
← 15. 15 Aux États-Unis, le Département de la Défense (US DoD) et la NASA (National Aeronautics and Space Administration) ont élaboré des NMT assez similaires, malgré quelques différences. L’AMP a adopté la terminologie du Département de la Défense (voir US DoD [2011]).
← 16. Voir également la description donnée sur le site de l’étude PIE, http://web.mit.edu/pie/research/index.html.
← 17. Voir par exemple Deloitte et le Manufacturing Institute (2011). Ces travaux ont permis de déterminer que 82 % des cadres supérieurs du secteur manufacturier signalaient un déficit modéré à grave de candidats possédant les qualifications et compétences adéquates. Pour 74 % des fabricants, cette pénurie gênait le développementde leurs activités.
← 18. Voir S.1468, cent treizième Congrès, deuxième Session, www.govtrack.us/congress/bills/113/s1468/text ; HR 2996, Revitalize American Manufacturing and Innovation, cent treizième Congrès, deuxième Session, Congress.gov, Actions, www.congress.gov/bill/113th-congress/house-bill/2996/actions.
← 19. Sematech était un consortium de fabricants de semi-conducteurs et d’équipementiers qui, dans les années 90, se voyaient disparaître à très court terme du fait de la concurrence intense du Japon. L’agence DARPA apportait un financement équivalent à celui des industriels. Le consortium a axé ses efforts sur des améliorations majeures de l’efficience et de la qualité dans la fabrication des semi-conducteurs ; au bout de cinq ans, il était redevenu le principal producteur, et le financement de la DARPA a pris fin. Sematech a continué ses activités, en tant qu’organisation de planification technologique de premier plan, afin de maintenir le secteur sur une trajectoire vérifiant la loi de Moore.
← 20. Outre Mantech, le directeur adjoint de la DARPA a participé à l’initiative AMP1.0, et la DARPA a géré un portefeuille assez important d’activités de R-Ddans la fabrication avancée et a donné des indications pour les rapports de l’AMP.
← 21. La description des différents instituts est tirée de leurs sites web. Celle des techniques de fabrication qu’ils s’efforcent de développer provient de NTSC (2016), pp. 36-39.
← 22. Les informations fournies dans la présente section sont tirées du site web America Makes, www.americamakes.us/about/overview.
← 23. Cette section est tirée de NIST (2016).