Ce chapitre explore l’« expérience vécue » de l’innovation dans la fonction publique du Canada. Qu’est-ce que l’innovation signifie, à quoi ressemble-t-elle, qu’est-ce qu’elle sous-entend et à quoi ressemble-t-elle dans le contexte de la fonction publique du Canada? Le chapitre décrit quatre grandes interprétations de l’état actuel de l’innovation dans le secteur public et, en s’appuyant sur celles-ci, examine les répercussions sur la compréhension de ce qui façonne et affecte le rendement de l’innovation d’un point de vue systémique.
Le Système d'innovation de la fonction publique du Canada
Chapitre 4. L’expérience vécue de l’innovation
Abstract
Il a été établi que la fonction publique du Canada a l’habitude de pratiquer l’innovation et de chercher des moyens de la favoriser davantage. Cependant, quels ont été les résultats sur le terrain? À quoi ressemble la réalité d’essayer d’innover ou de participer au processus d’innovation dans la fonction publique canadienne?
L’environnement opérationnel de la fonction publique
Pour apprécier l’innovation dans le contexte canadien, il est d’abord conseillé d’examiner l’environnement opérationnel. Bon nombre des éléments du contexte canadien ont été illustrés au chapitre 2 traitant du parcours historique et des acteurs en cause. Cependant, il convient également de souligner la taille et la portée de la fonction publique, et ce qu’elles signifient pour les efforts visant à intégrer l’innovation dans ses structures.
Le greffier de la fonction publique actuel a résumé l’environnement opérationnel comme suit :
La fonction publique est une entité complexe. Selon le dernier calcul, elle regroupe plus de 250 organisations distinctes, d’énormes ministères comme Revenu Canada à de petits organismes comptant une douzaine d’employés, en passant par une gamme d’organisations de taille moyenne. Nous formons une grande institution, ou famille d’institutions. Nous disposons de plus de 600 points de service direct au Canada et de plus de 170 missions à l’étranger. Notre effectif compte plus de 400 000 personnes dont la rémunération représente plus de 50 milliards de dollars par année; 260 000 personnes forment le noyau de la fonction publique et, naturellement, la GRC et les forces armées; il existe plus de 650 classifications. (Wernick, 2018)
La fonction publique du Canada est importante, mais elle est divisée entre de nombreuses entités réparties géographiquement dans un grand pays. La portée et l’étendue de ses responsabilités sont considérables. Elle est enchâssée dans un système fédéral, avec les provinces et les territoires, ce qui veut dire que son travail recoupe celui de plusieurs autres gouvernements.
Il est donc peu probable que l’innovation soit simple dans ce contexte.
Les défis de la mesure et de la quantification de l’innovation
Un examen de la réalité vécue de l’innovation dans la fonction publique mérite une note méthodologique. Bien qu’il soit possible de poser des questions aux participants au sujet de leur milieu de travail et de leur innovation (voir le tableau 4.1), il y a des limites inhérentes à cet exercice. Est-ce que tous les participants ont la même compréhension de ce qu’est l’innovation et de ce à quoi elle ressemble? Comprennent-ils aussi ce que cela signifie que d’être encouragé à innover? Les réponses à ces questions peuvent différer considérablement entre les personnes qui ont une grande expérience de l’innovation et celles qui n’ont pas vraiment abordé le sujet.
Il ne s’agit pas de critiquer de telles enquêtes; il s’agit plutôt d’une tentative de mettre en évidence les difficultés inhérentes à la comparaison des expériences, à moins qu’il y ait un langage commun et une compréhension commune du concept d’innovation. Comme le souligne chapitre 3 traitant de la complexité de l’innovation, il est peu probable d’observer ce terrain d’entente de nombreuses administrations (le cas échéant). Ainsi, la section suivante repose sur la notion selon laquelle, pour comprendre l’innovation dans un contexte particulier, il est nécessaire d’échanger avec les intervenants au sujet de leur expérience dans ce contexte. Autrement, l’ambiguïté qui accompagne l’innovation peut amener les répondants à décrire des concepts différents et fausser les conclusions.
Encadré 4.1. Résultats de certains sondages annuels auprès des fonctionnaires fédéraux
Question 3. On m’encourage à innover ou à prendre des initiatives dans mon travail.
Année d’enquête |
Fortement d’accord (%) |
Plutôt d’accord (%) |
Ni d’accord ni en désaccord (%) |
Un peu en désaccord (%) |
Tout à fait en désaccord (%) |
Total des réponses |
---|---|---|---|---|---|---|
2017 |
31 |
35 |
14 |
11 |
8 |
129 123 |
2014 |
27 |
36 |
16 |
12 |
9 |
18 176 |
Question 4. Je crois que j’obtiendrais du soutien si je proposais une nouvelle idée, même s’il est possible que celle-ci ne fonctionne pas.
Année d’enquête |
Fortement d’accord (%) |
Plutôt d’accord (%) |
Ni d’accord ni en désaccord (%) |
Un peu en désaccord (%) |
Tout à fait en désaccord (%) |
Ne sait pas (%) |
Total des réponses |
---|---|---|---|---|---|---|---|
2017 |
22 |
36 |
16 |
14 |
10 |
1 |
129 149 |
Source : SCT (2017)
Résumé de l’expérience vécue à l’égard de l’innovation
Il y a beaucoup d’activités en cours dans l’ensemble de la fonction publique du Canada, appuyées par de nombreuses personnes passionnées qui tentent d’obtenir de meilleurs résultats pour les Canadiens. Cependant, le portrait global du système d’innovation du secteur public montre qu’il est encore relativement fragmenté, en ce sens que la plupart des acteurs vivent le même système de différentes façons. Il y a un manque d’uniformité dans la façon dont l’innovation est comprise comme un concept, un processus et un résultat. Bien qu’il y ait eu une augmentation notable de la sophistication et de la coordination des activités, celles-ci n’ont pas encore pénétré largement les opérations de base du gouvernement. Il existe des exemples encourageants (voir l’encadré 4.2) qui démontrent les avantages que l’innovation peut apporter; toutefois, ils relèvent plutôt de l’exception que de la règle.
Encadré 4.2. Changement de comportement et l’application Carrot Rewards : une histoire d’innovation canadienne
Comment encourager un changement de comportement positif d’une manière qui soit démontrable et mesurable?
Il s’agissait d’un enjeu clé pour l’Agence de la santé publique du Canada (ASPC), un organisme gouvernemental qui s’efforce d’habiliter les Canadiens à améliorer leur santé. Un mode de vie sain (p. ex., réduire le tabagisme, accroître l’activité physique et une saine alimentation) est un sujet de préoccupation persistant pour le gouvernement du Canada, et il existe une forte volonté d’obtenir des résultats mesurables et d’exercer une influence positive au niveau de la population.
L’accent mis sur les résultats a contribué à susciter chez l’organisme le désir de mettre à l’essai des idées novatrices et des modèles de partenariats qui pourraient produire de meilleurs résultats. La santé a l’avantage d’être un domaine où les résultats sont très tangibles, car les impacts font une différence réelle et perceptible dans la vie des citoyens. L’innovation dans ce secteur peut donc être perçue comme une réelle différence.
Cependant, dans le cadre d’un système fédéral, l’ASPC n’a pas accès à tous les leviers nécessaires pour influencer le changement. Elle doit collaborer avec les autres ordres de gouvernement pour être efficace. Toute innovation exigera donc habituellement un certain degré de partenariat et de collaboration.
L’histoire de l’application Carrot Rewards a commencé par une simple question : le pouvoir des points de fidélité pourrait-il être exploité pour obtenir un résultat social positif ? S’appuyant sur les données probantes provenant des travaux entrepris dans le domaine de l’efficacité énergétique – AIR MILES Pour le progrès social, qui a tenté de faire évoluer les consommateurs vers un comportement plus respectueux de l’environnement en les récompensant par des points de fidélité, une approche semblable dans le secteur de la santé publique inciterait-elle les gens à faire plus d’exercice?
Le travail initial a commencé par un essai contrôlé randomisé dans quatre sites spécifiques (YMCA) pour voir si le fait de récompenser les gens avec des points de fidélité (neuf Canadiens sur dix font partie d’un programme de loyauté quelconque) entraînerait un changement (une augmentation) des comportements relatifs à l’activité physique. Ce projet pilote consistait à expérimenter différents scénarios et différentes structures incitatives pour déterminer ce qui produit des résultats. Comme de nombreuses entreprises novatrices, les résultats initiaux étaient très intéressants et ont fourni des données importantes, mais ils ont révélé certains problèmes éventuels avec le modèle et la prestation. L’idée était assurément prometteuse, mais il fallait y réfléchir sérieusement, surtout en ce qui concerne la façon de structurer le financement de façon appropriée. Cela a suscité une réflexion sur le financement axé sur les résultats.
En s’appuyant sur cette réflexion, l’ASPC a lancé un appel d’offres ouvert pour un modèle de rémunération au rendement, selon lequel l’organisme paierait en fonction des résultats obtenus (p. ex., sensibilisation accrue/changement de comportement). Cela s’écartait de l’approche standard consistant à utiliser la publicité pour les campagnes de santé publique. Dans le cadre de cet exercice, l’ASPC a collaboré avec la province de la Colombie-Britannique (C.-B.), dont l’organisme de santé souhaitait explorer de nouvelles approches, y compris les applications mobiles, et évaluer comment elles pourraient être mieux utilisées pour mobiliser les citoyens.
Dans le cadre d’un processus en plusieurs étapes, l’ASPC et la C.‑B. ont collaboré avec un promoteur de projet afin d’examiner les problèmes éventuels et de franchir les étapes bureaucratiques associées à l’adoption d’une approche de paiement différente. Certains des principaux enjeux concernaient des questions comme le partage de données, la structuration des paiements de façon appropriée et la possibilité de permettre l’apprentissage tout au long du processus, y compris la capacité d’interrompre le projet s’il ne fonctionne pas, et la capacité de l’élargir s’il fonctionne.
D’autres partenaires (organismes sans but lucratif) ont également été invités à participer à l’élaboration de la proposition. Un élément clé du processus consistait à assurer un haut niveau de confiance entre toutes les parties concernées, car cela créerait la confiance nécessaire pour discuter des enjeux possibles et surmonter les obstacles éventuels. Il était également important d’avoir une idée claire des objectifs communs et des ententes de gouvernance, afin de faciliter la mise en place d’autres partenariats.
Le fournisseur, Carrot Insights, a mis au point une plateforme qui permettait un modèle de rémunération au rendement, afin que les partenaires puissent fournir un montant fixe de financement. Il a été élaboré de façon itérative pour permettre aux partenaires d’apprendre ce qui a fonctionné et ce qui n’a peut-être pas fonctionné, et de mettre à l’essai les approches les plus rentables. La plateforme a été conçue pour fournir aux organismes du secteur public de riches renseignements sur les données démographiques des utilisateurs de l’application, ce qui leur permet de cibler ou d’évaluer les répercussions sur différents groupes de population.
Au fil du temps, d’autres provinces et d’autres organismes fédéraux du secteur public (p. ex., Agence de la consommation en matière financière, RNCan et Statistique Canada) ont également utilisé l’application. La portée initiale du partenariat, « vie saine », a été élargie à la santé et au bien-être, afin de permettre d’autres utilisations pertinentes du bien public. Les communications de l’ASPC ont été importantes pour diffuser les connaissances sur le projet novateur et encourager la participation. Comme chacun des partenaires s’efforçait de faire quelque chose de différent, il était utile pour eux de pouvoir résoudre les problèmes et surmonter les obstacles éventuels collectivement. Cela a aidé à comprendre les questions de procédure, de bureaucratie ou de gestion des risques.
Cette initiative novatrice a produit des résultats importants et offre un modèle différent aux organismes qui désirent obtenir de l’information en temps réel sur la sensibilisation, les connaissances et le comportement à l’égard de différents domaines stratégiques dans une variété de groupes démographiques.
Les éléments clés de la réussite du projet sont les suivants :
Les partenaires originaux étaient conscients de l’évolution du contexte (p. ex. applications mobiles) et cherchaient des moyens d’y répondre.
Le problème était bien circonscrit et, par conséquent, on comprenait clairement à quoi pourraient ressembler les progrès (p. ex., résultats et incidence sur les connaissances et le comportement).
Les participants connaissaient bien l’écosystème pertinent des partenaires éventuels.
La vision était à la fois précise (vie saine) et extensible (santé et bien-être). Cela a permis au projet d’évoluer, afin que d’autres puissent profiter de ce qui avait été réalisé sans compromettre les valeurs et les besoins.
Le projet a créé un climat de grande confiance, qui s’est traduit par une volonté de partager les leçons apprises et d’aider les autres à surmonter les problèmes inévitables découlant de l’adoption d’une approche très différente.
La capacité de réaliser de petits projets d’essai avant de s’engager plus pleinement a permis de réduire au minimum les coûts associés à l’apprentissage et à la découverte nécessaires.
Une communication et une sensibilisation efficaces au sujet des travaux à accomplir ont aidé à diffuser les leçons apprises et ont incité les autres intervenants à se demander s’ils pourraient les utiliser dans leur travail et, le cas échéant, comment.
Source : Entrevues.
L’examen a permis de dégager quatre grands points de concertation concernant l’expérience vécue :
1. Bien qu’une attention accrue ait été accordée à l’innovation, la relation de la fonction publique avec l’innovation et demeure incertaine tout comme la nature de cette relation (p. ex., le rôle et le lieu de l’innovation).
2. On observe l’innovation dans l’ensemble de la fonction publique, mais c’est souvent un sous-produit d’autres processus ou de la détermination de certaines personnes, plutôt que la qualité ou le mérite d’une idée ou le besoin sous-jacent d’innovation.
3. Alors que le gouvernement change sa façon de fonctionner, il y a actuellement un décalage entre ce qui peut être fait à l’intérieur et à l’extérieur du gouvernement, ce qui risque de mettre en péril une fonction publique qui n’est plus adaptée à son contexte.
4. La pratique de l’innovation s’est considérablement développée, mais elle demeure souvent une activité marginale et n’est pas considérée comme faisant partie des activités de base ou des façons de faire.
Ainsi, bien que la fonction publique du Canada cherche à innover, il est peu probable que les pratiques actuelles en matière d’innovation soient suffisamment cohérentes et fiables pour répondre à ses propres ambitions. Il s’agit probablement en partie d’un sous-produit de l’accent coordonné relativement récent sur l’innovation. Avec le temps, certaines de ces questions pourraient se régler d’elles-mêmes, compte tenu des efforts déjà déployés. D’autres problèmes peuvent être résolus simplement en attirant l’attention sur eux et en permettant aux gens et aux équipes de trouver leurs propres solutions. Par ailleurs, certains aspects exigeront probablement une réflexion, un investissement et des mesures supplémentaires.
Le reste du présent chapitre examine en détail chacune des quatre interprétations et les répercussions sur l’appréciation de l’innovation d’un point de vue systémique. Ces quatre points de concertation s’appuient sur 28 constatations sous-jacentes qui ont été recueillies et mises à l’essai au cours de la période d’examen. Chacune des constatations préliminaires est accompagnée de « sentiments représentatifs », qui représentent la façon dont n’importe qui au sein du système pourrait décrire le système.
Interprétation 1
Bien qu’une attention accrue ait été accordée à l’innovation, la relation de la fonction publique avec l’innovation demeure incertaine tout comme la nature de cette relation (p. ex., le rôle et le lieu de l’innovation).
Encadré 4.3. Principaux points
De façon générale, on a observé de l’incertitude quant à la place de l’innovation et quant à ce qu’elle signifie vraiment dans le contexte de la fonction publique du Canada. Il y avait une certaine confusion à différents égards :
Mesure dans laquelle la fonction publique du Canada est innovatrice, ce qui reflète une grande diversité dans la façon dont l’innovation se manifeste actuellement dans l’ensemble de la fonction publique.
Que signifie vraiment l’innovation pour la fonction publique (fait-elle référence à l’amélioration continue, à l’expérimentation, à une culture, à un devoir, à un mot à la mode, à une nouvelle idée, à un changement soutenu?) et comment cadre-t-elle avec les priorités et les programmes passés, présents et futurs.
Quelles sont les innovations qui se produisent dans l’ensemble de la fonction publique et avec celle-ci?
Qui est responsable, de quoi et quels rôles devraient être joués?
L’innovation est un concept intrinsèquement ambigu, de sorte qu’il faut s’attendre à une certaine confusion (et même l’accueillir favorablement). Toutefois, le manque de clarté actuel au sujet de l’innovation et de sa place pourrait freiner le rendement de l’innovation. Si l’innovation en tant que processus n’est pas vraiment comprise, il est peu probable qu’elle soit utilisée de façon efficace pour obtenir de meilleurs résultats ou créer des occasions d’apprentissage. Le manque de clarté peut également limiter l’engagement des acteurs du système (« pourquoi est-ce que je m’impliquerais si je ne la comprends pas »), ainsi que créer des frictions pour la collaboration, car les acteurs n’ont pas une compréhension suffisamment significative et partagée de ce qui est nécessaire ou pourquoi les choses doivent changer.
En l’absence de clarté quant au rôle de l’innovation et à sa place, il est peu probable que de nombreux acteurs se mobilisent dans le processus d’innovation de façon cohérente ou fiable; une attention plus grande risque d’être portée à des programmes bien compris, tangibles et mesurables. En retour, cela limitera la capacité de développer l’innovation en tant que capacité constante et fiable à laquelle on peut faire appel lorsque de nouvelles approches sont nécessaires pour produire des résultats différents.
Encadré 4.4. Compréhension 1 : citations représentatives et constatations préliminaires pertinentes
Citations représentatives tirées des entrevues
« Je pense que la bureaucratie se prête au débat à partir de questions fondamentales sur les raisons pour lesquelles nous innovons, quel est le but? »
« Comment décririons-nous ce que le gouvernement veut accomplir en matière d’innovation dans la fonction publique? »
« C’est intéressant parce que je pense que nous avons davantage parlé d’innovation dans les 18 derniers mois, plus que nous ne l’avons fait, d’une certaine façon, dans les 10 dernières années. »
« Nous avons une histoire en matière d’innovation. Je pense qu’il faut la rendre plus délibérée afin qu’elle ne reste pas aussi ponctuelle. »
« Le parcours de l’innovation est très emballant et les gens veulent innover. Mais nous n’avons pas une idée claire de nos objectifs clés. Au niveau des politiques. »
« Je ne suis pas certain que nous devrions faire preuve d’innovation, ni dans quelle mesure. »
« Si l’innovation est un grand cadre qui comporte des paramètres complexes et une formulation complexe, je crois qu’il échouera. »
« Nous en sommes aux tout débuts de l’histoire de l’innovation. »
Constatation préliminaire 1 : La question de savoir si la fonction publique du Canada est innovatrice dépend de la personne à qui vous posez la question. Sentiment représentatif : Il y a beaucoup de points de vue différents sur l’innovation dans la fonction publique canadienne. |
Constatation préliminaire 2 : Il n’y a pas de conception largement partagée de l’« innovation ». Sentiment représentatif : Je ne pense pas que tout le monde parle de la même chose quand on parle d’innovation. |
Constatation préliminaire 3 : L’accent mis sur l’innovation dans le secteur public est relativement récent et s’inscrit dans une riche histoire. Sentiment représentatif : Je ne crois pas que la fonction publique soit vraiment déterminée à innover. |
Constatation préliminaire 4 : Il y a une « confusion narrative » au sujet du programme d’innovation et de son intersection avec d’autres programmes. Sentiment représentatif : Je ne pense pas qu’il soit clair que l’innovation s’harmonise avec d’autres programmes et priorités. |
Constatation préliminaire 5 : Il n’y a pas de portrait global de l’innovation en cours. Sentiment représentatif : Il peut être difficile de savoir ce qui se passe dans d’autres secteurs ou organismes. |
Constatation préliminaire 6 : Le rôle joué par le Carrefour central d’innovation n’est pas largement compris ni reconnu. Sentiment représentatif : Je n’ai pas une bonne idée de ce que fait le Carrefour central d’innovation. |
Constatation préliminaire 7 : Les rôles joués par d’autres organisations en matière d’innovation ne sont pas largement compris ou reconnus. Sentiment représentatif : Les rôles respectifs des différents organismes pour ce qui est de soutenir ou de stimuler l’innovation ne sont pas clairs. |
Constatation préliminaire 8 : Il n’y a pas de compréhension commune du rôle que les fonctionnaires peuvent ou devraient jouer dans le processus d’innovation. Sentiment représentatif : Je ne pense pas que tout le monde sait comment on s’attend à ce qu’ils contribuent à l’innovation. |
Discussion de cette compréhension
L’encadré 4.4 donne un aperçu des principaux enjeux qui sous-tendent cette compréhension, en s’appuyant sur la recherche, les entrevues et l’enquête menées. La discussion qui suit présente un exposé supplémentaire des enjeux afin de fournir suffisamment de contexte et de renseignements de base. Les citations sont tirées d’entrevues menées sur l’innovation dans la fonction publique du Canada.
Le point de départ de la recherche entreprise pour l’examen consistait à demander aux participants si la fonction publique du Canada était innovatrice. Les réponses variées ont aidé à démontrer qu’il n’y avait pas de consensus à ce sujet, les opinions allant de définitivement non à décidément oui. Les réponses ont plus souvent mis en évidence la nature nuancée et l’expérience de l’innovation.
« J’aurais tendance à dire non, mais ils essaient. Je pense que les gens commencent lentement à abandonner les anciennes façons de faire. Quand on pense à l’innovation, le gouvernement du Canada n’est pas le premier mot qui me vient à l’esprit, mais je pense que nous nous dirigeons dans la bonne direction pour que l’innovation trouve sa place. »
« Je dirais qu’il y a certainement des secteurs d’innovation et que nous devrions en être fiers, mais dans l’ensemble, la façon dont le gouvernement fonctionne est plutôt médiocre. Ce qui m’attriste. »
« Je pense que dans l’ensemble, je pense que oui. Je pense, comme je l’ai dit, qu’il y a ce potentiel. Il y a beaucoup de choses qui sont gérées sur la base du statu quo, et il n’y a pas toujours la motivation de chercher des façons de s’améliorer. »
Un tel éventail de points de vue sur la question de savoir si la fonction publique est innovatrice ou non indique :
qu’il n’y a pas d’entente sur ce que c’est que d’être innovateur;
qu’il y a une grande diversité dans l’expérience de l’innovation dans les différents secteurs de la fonction publique.
Cependant, une enquête plus poussée tout au long du processus d’examen a révélé que ces deux facteurs sont en jeu.
Par exemple, il y avait aussi un large éventail de points de vue sur la signification réelle de l’innovation. Ce n’est pas surprenant, étant donné que l’innovation est un concept intrinsèquement ambigu et que sa signification dépend de son contexte. Par exemple, ce qui est innovateur dans un organisme peut avoir été mis en œuvre il y a longtemps dans un autre; ce qui est vraiment innovateur dans la fonction publique peut être considéré comme une pratique établie dans certains secteurs de l’industrie, ou inversement.
« Pour moi, la beauté et l’horreur du mot, c’est qu’il peut, et qu’en fait il devrait probablement, avoir une signification différente pour chacun, selon la façon dont chacun entend l’utiliser. »
Cependant, cette divergence dans la façon dont l’innovation est comprise ou discutée indique, du moins en partie, qu’elle n’est pas une pratique courante bien établie. Si c’était le cas, on pourrait s’attendre à plus de points communs et d’uniformité dans les descriptions de l’innovation, comme ce serait le cas pour toute autre activité bien comprise ou couramment pratiquée. Cela sous-entend également qu’il n’y a pas de sens bien établi de la façon dont l’innovation « s’intègre » – la place qu’elle devrait occuper par rapport à d’autres concepts et préoccupations.
L’histoire, les traditions et les récits que se raconte la fonction publique ne sont pas encore des domaines où l’innovation trouve sa place aisément. Bien que l’innovation existe depuis longtemps au sein de la fonction publique du Canada, le contexte historique de la participation du service à l’innovation est multidimensionnel. Par exemple, à certaines époques l’innovation n’était pas valorisée ou était considérée comme ne justifiant pas le risque.
« Donc, dans ce contexte, la fonction publique est devenue très réfractaire au risque, incroyablement consciente de l’ampleur de l’examen auquel elle faisait face, et très craintive par rapport au genre d’embarras public qui pourrait s’ensuivre si elle essayait quelque chose de nouveau ou continuait dans la même direction et en commettait une sorte d’erreur en étant exposée au grand public. »
Ce n’est pas surprenant. Tout pays connaîtra changements de priorités, descontextes et d’exigences, et sera exposé à des points de vue changeants sur ce qui est considéré comme important ou approprié ou nécessaire. Cela signifie cependant que l’innovation – une pratique qui implique de sortir de la norme et de se rendre ainsi vulnérable – est une idée à laquelle beaucoup risquent de ne pas souscrire pleinement, à moins qu’ils ne se sentent rassurés qu’elle est vraiment délibérée, et que ce désir est sincère. Même lorsque cette sincérité est au rendez-vous, il peut falloir du temps pour que les gens soient convaincus qu’elle est authentique, pour désapprendre les leçons du passé et pour accepter que cette fois-ci soit différente.
« …vous avez maintenant au Canada, au niveau fédéral, au moins quatre greffiers du Conseil privé qui ont successivement maintenu l’accent sur le renouvellement ou la transformation de la fonction publique sous une forme ou une autre. Cela a en quelque sorte servi de plateforme à l’émergence de l’innovation dans le secteur public… »
Une autre raison pour laquelle l’innovation ne s’intègre pas facilement dans le contexte de la fonction publique du Canada est qu’on ne sait pas toujours clairement quelle est sa place, parmi toutes les autres priorités, préoccupations et besoins pressants. Comment le programme d’innovation se rapporte-t-il aux autres priorités, les complète-t-il ou les contredit-il?
« Et nous avons probablement besoin de plus de cohérence dans les différents programmes d’innovation. Il y a eu Objectif 2020, il y a ces initiatives sur les renseignements commerciaux, nous avons une conversation en cours sur une stratégie de maturité numérique, la gestion des connaissances… »
Cette incertitude peut être troublante, étant donné que l’innovation est en soi un concept ambigu, puisqu’il s’agit de ce qui n’a pas été fait auparavant, alors que d’autres programmes et priorités sont susceptibles d’être plus clairement ou mieux définis. L’intersection et l’interaction entre les différents programmes peuvent devenir compliquées, et il est peu probable que l’accent mis sur l’innovation (un concept flou) fasse concurrence à d’autres priorités stratégiques s’il y a une quelconque confusion quant à ce qui est souhaité. L’innovation (imprécise) viendra probablement après d’autres priorités (plus précises).
Cette tension peut être exacerbée à mesure que d’autres concepts connexes sont introduits, avant que l’innovation ait été pleinement comprise. Pour ceux qui n’ont pas encore acquis « les rudiments de l’innovation », ayant peut-être eu peu d’occasions de la comprendre dans leur contexte, l’ajout d’autres termes pourrait exacerber la confusion, l’ambiguïté et l’incertitude.
« Je pense que l’ajout de cette couche expérimentale à la lentille de l’innovation nous permet de poursuivre les bonnes méthodologies, de vraiment savoir ce qui fonctionne. C’est en quelque sorte la distinction et je pense qu’il y a beaucoup de confusion dans le système en ce moment parce que nous avons introduit ce langage expérimental, ce langage de l’expérimentation, et les gens ont l’impression que nous avons changé les balises auxquelles ils commençaient à peine à s’habituer, c’est-à-dire le langage de l’innovation. »
Il s’agit probablement d’une tension inévitable et d’une conséquence naturelle du fait que certains acteurs deviennent plus sophistiqués et, par conséquent, utilisent un langage plus nuancé et une plus grande variété de méthodes. Néanmoins, cela peut ajouter au défi de parvenir à une compréhension commune cohérente de l’innovation.
Une approche qui peut aider les gens à comprendre l’innovation et ce que cela signifie pour eux consiste à leur donner une idée des différentes façons dont l’innovation se pratique déjà, ce qui leur permet d’avoir une idée de ce à quoi elle ressemble, de ce qu’elle fait et de ce qu’elle accomplit. L’ambiguïté entourant l’innovation peut parfois être atténuée en « montrant la chose », en la rendant tangible et réelle. Cependant, de nombreuses personnes ne semblaient pas avoir une idée claire des processus d’innovation qui étaient déjà en cours ni connaître bon nombre des innovations qui avaient été introduites (avec succès ou non). Les difficultés à obtenir une image globale de l’innovation actuelle peuvent rendre plus difficile sa mise en contexte, ou l’obtention d’une idée claire de sa place au sein d’une organisation, et la compréhension de sa relation avec d’autres programmes, priorités et préoccupations.
« Vous avez donc encore 250 000 personnes. Je pense qu’il y a en fait plus de 300 organisations au gouvernement du Canada. Il y a donc beaucoup de « Eh bien, vous avez cette merveilleuse idée. Attendez. Quelqu’un d’autre, “Oh, nous avons déjà eu cette merveilleuse idée” et vous vous retrouvez avec des gens qui essaient de faire des choses, mais qui ne savent pas que cela a déjà été essayé et n’a pas fonctionné ou que cela a fonctionné, mais il faut ajouter ceci ou cela, ou qui n’ont pas idée de tout le contexte entourant la question. »
Il peut également être difficile de déterminer la place de l’innovation si les rôles et responsabilités pertinents ne sont pas clairs. S’il y a des fonctions claires, des flux de travail clairs et des points de contact clairs au sujet de l’innovation, il sera généralement plus facile pour les gens de se faire une idée du système d’innovation et de comprendre comment ils s’y rattachent et ce que cela signifie pour eux (le cas échéant). À l’heure actuelle, cependant, il semble y avoir un manque de clarté quant au rôle de chaque organisme en matière d’innovation et à la façon dont ils s’intègrent les uns aux autres. C’était le cas de l’Unité de l’impact et de l’innovation, une équipe perçue comme le centre du système, et des fonctions ou rôles joués par de nombreuses autres organisations ou équipes d’innovation.
« J’ai l’impression qu’ils [l’Unité de l’impact et de l’innovation] ont travaillé avec différents ministères sur certains de leurs programmes, mais ils paraissent encore très déconnectés. Je n’en suis pas certain, je ne suis pas tout à fait sûr des objectifs. Encore une fois, il est tout à fait possible que ce soit en raison de mon poste. »
« Je pense qu’ils sont [l’Unité de l’impact et de l’innovation] bons en ce sens qu’ils existent et qu’ils sont passionnés, qu’ils ont des idées et qu’ils les ont adoptées. J’apprécie donc ce genre de plateforme de défi, et je pense que c’était une bonne chose et que ce ne serait pas venu d’ailleurs. Et je vous félicite de l’avoir fait et de l’avoir fait adopter. »
Cette incertitude reflète une incertitude plus vaste quant aux rôles que les fonctionnaires devraient ou doivent jouer en matière d’innovation dans le secteur public. Il s’agit probablement d’une conséquence naturelle de la combinaison des facteurs mentionnés ci‑dessus – l’incertitude quant à l’état actuel de l’innovation dans la fonction publique, la signification du concept, la façon dont il s’inscrit dans le contexte plus large de la fonction publique et les responsabilités formelles précises des différents organismes – ce qui fait qu’il est difficile pour les individus d’avoir une idée claire de leur rôle dans le système d’innovation.
« Je pense que nous devons accepter que ce ne soit pas tout le monde qui innove. »
« Alors, je dirais que dans le cas d’une organisation hautement fonctionnelle, il est irréaliste de leur demander de trop se concentrer sur l’innovation parce que, vous savez quoi? Ils combattent des incendies toute la journée. »
« Il s’agit d’amener tout le monde à comprendre son rôle dans cet écosystème. Il s’agit donc de faire de l’innovation l’affaire de tous. »
En résumé, il y a encore beaucoup d’ambiguïté au sujet de l’innovation à l’heure actuelle dans la fonction publique du Canada et un manque de clarté quant à ce que devrait être la relation de nombreux fonctionnaires avec l’innovation.
« Honnêtement, je pense que si je pouvais avoir une baguette magique, je dirais s’il vous plaît, faites-en sorte que les gens se voient comme faisant partie d’un système. Parce que je pense que nous ne pouvons que maîtriser nos actions et pourtant, nous sommes dépassés par le système qui doit changer et par quelque chose hors de ma maîtrise qui doit changer, et nous ne pensons pas vraiment, retourner le miroir vers nous pour dire, eh bien, que puis-je faire pour influencer la situation dans laquelle je me trouve en ce moment? »
Incidences de cette compréhension
Observation principale
Tout secteur public aura une série de priorités concernant ce qui doit être fait ou ce qui doit changer en même temps. Si, ou où, il y a concurrence ou conflit entre ces priorités, il est probable que celles qui sont les mieux comprises, promettent des résultats clairs et qui correspondent aux récits et aux attentes dominants seront priorisées, au détriment de celles qui ne sont pas en mesure de répondre à ces conditions. L’innovation – par définition, un processus consistant à faire ce qui n’a pas été fait auparavant et à remettre en question le statu quo – est ambiguë, offre des avantages intrinsèquement incertains et va souvent à l’encontre d’aspects du discours dominant. Toutes choses étant égales par ailleurs, cette tension signifie que l’innovation est souvent considérée comme une priorité secondaire.
Effet principal
L’innovation ne peut être cohérente ou fiable en l’absence d’une compréhension claire des raisons pour lesquelles elle doit se produire, ou d’un signal clair sur les raisons pour lesquelles elle est importante. Les individus et les organisations ont peut-être leurs propres raisons d’innover, mais il est peu probable que ces raisons convergent en l’absence d’une histoire plus large sur le pourquoi, le quoi et le qui de l’innovation. Sans cette information, l’innovation sera probablement une activité fragmentée, en conflit avec d’autres priorités et donc subordonnée à d’autres priorités.
S’il n’y a pas de compréhension claire, la confusion qui en résulte quant à ce qui devrait être fait donnera lieu à l’une des conséquences suivantes :
Inaction – pourquoi devrait-on faire quoi que ce soit si on ne comprend pas clairement pourquoi il faut le faire?
Action inappropriée – la confusion mène à un malentendu sur ce qui est réellement nécessaire ou approprié.
Action appropriée pour les mauvaises raisons – les mesures prises sont fortuites ou accidentelles et ne sont donc pas fiables ou évolutives.
Raisonnement
Dans les systèmes formels, ce qui n’est pas compris ou clair vient généralement après ce qui l’est. Par exemple :
Si l’innovation n’est pas comprise, il est probable qu’elle ne sera pas priorisée.
Si l’innovation est comprise, mais qu’elle n’est pas considérée comme pertinente (p. ex., le statu quo est considéré comme acceptable ou il n’y a pas d’appréciation des risques associés à l’inaction), elle sera mise de côté.
Si l’innovation est comprise, mais qu’elle ne correspond pas au contexte ou à l’expérience vécue, elle ne sera pas perçue comme importante ou on y résistera, sera perçue comme confuse ou comme une rhétorique insidieuse;
Si l’innovation ne cadre pas avec d’autres programmes plus clairement définis ou compris, elle viendra après ceux-ci.
Si l’innovation n’est pas perçue comme faisant partie du rôle d’une personne, elle ne sera généralement pas poursuivie.
Si l’innovation n’est pas observée ou vue dans la pratique, on la considérera comme un concept abstrait ou immatériel plutôt que comme quelque chose de pertinent ou de nécessaire.
Comme il a été mentionné précédemment, l’innovation est une activité intrinsèquement difficile. Les difficultés en cause peuvent être exacerbées si les organisations et les individus n’ont pas des responsabilités, des rôles ou des capacités clairement établis en matière d’innovation. S’il n’y a pas de responsabilités établies, il peut être difficile de savoir avec qui communiquer pour obtenir de l’aide, des conseils ou du soutien. Si les personnes qui ont les responsabilités n’ont pas les capacités requises, elles peuvent devenir un goulot d’étranglement ou pire. Les réseaux informels deviennent donc plus importants. Toutefois, de tels réseaux peuvent ajouter à la confusion plutôt que de l’atténuer, car chacun nourrira probablement des récits différents au lieu de communiquer un message plus cohérent.
Cela ne veut pas dire que l’innovation ne se produira jamais dans ces circonstances; en fait, elle est plus susceptible de demeurer ponctuelle ou sporadique et mue par des préoccupations et de besoins individuels et organisationnels plutôt que des objectifs collectifs ou globaux.
Compréhension 2
Il y a de l’innovation dans l’ensemble de la fonction publique, mais c’est souvent un sous-produit d’autres processus ou de la détermination de personnes en particulier, plutôt que la qualité ou le mérite d’une idée ou le besoin sous-jacent d’innovation.
Encadré 4.5. Principaux points
Bien qu’il soit clair que l’innovation a lieu dans la fonction publique du Canada, les facteurs suivants servent de filtres au processus d’innovation :
La mise en œuvre, l’interprétation ou la perception des règlements, des règles ou des pratiques (qu’une idée soit prise en considération ou qu’on lui accorde une crédibilité);
Établir des hiérarchies et transmettre des idées aux décideurs pertinents pour qu’ils les examinent (si une idée est réellement prise en considération);
Aversion au risque (la lentille à travers laquelle une idée est examinée);
Le besoin pour les gens d’aller « au-delà » afin de veiller à ce que les nouvelles idées soient prises en considération (la gamme d’idées possibles).
Bien que ces facteurs ne soient pas nécessairement inhabituels ou inattendus et qu’ils persisteront probablement dans une certaine mesure, ils semblent réduire inutilement les possibilités d’innovation. La plupart du temps, le processus d’innovation semble régi efficacement par des facteurs qui n’ont rien à voir avec l’innovation (le mérite, la valeur ou le potentiel d’une idée ou d’une proposition) et davantage avec la capacité de ceux qui appuient l’idée ou la proposition de surmonter les obstacles, les filtres ou les circonstances pertinents.
Si l’innovation est principalement un sous-produit d’autres processus, il est peu probable qu’elle soit générée de façon constante ou fiable, et ne constitue donc pas une réponse fiable à des problèmes nouveaux ou de longue date.
Encadré 4.6. Compréhension 2 : citations représentatives et constatations préliminaires pertinentes
Citations représentatives des entrevues
« Il y a beaucoup plus de freins et de contrepoids pour faire quoi que ce soit, ce qui ralentit les progrès et pourrait retarder le potentiel d’innovation. »
« Pour la majorité des gens, ce n’est pas encore une mentalité instinctive. En fait, ils se félicitent de faire ce qu’ils font de mieux actuellement. Ils sont récompensés pour la conformité et pour les gains d’efficience. Leur sens de soi et de leur valeur s’inspire de la connaissance des processus et des pratiques. »
« La seule raison pour laquelle nous y sommes arrivés, c’est parce que nous avons une protection de haut niveau. Autrement, le système nous aurait écrasés. C’était une protection de haut niveau. Et même là, parfois, c’est presque impossible. »
« S’il n’y a pas d’incitatif et qu’il y a peut-être un inconvénient à essayer d’innover, vous ne le ferez pas. Les gens sont prêts à changer le statu quo s’ils n’ont pas besoin de changer. »
« Mis à part la convention sur notre façon de travailler… quelles parties de ce quelles organisations, qui fait quoi, nous pouvons parfois devenir submergés par ces questions, et parfois je pense qu’il y a très peu d’avantages ou de valeur nets pour le contribuable sur une base quotidienne. Je pense que nous devons abandonner notre compréhension actuelle des limites et des règles. »
Constatation préliminaire 9 : Le processus d’innovation se heurte à de nombreux obstacles. Sentiment représentatif : Je pense qu’il y a beaucoup plus d’obstacles à l’innovation qu’il ne devrait y en avoir. |
Constatation préliminaire 10 : La hiérarchie est l’un des principaux obstacles, en particulier la « couche d’argile » et la gestion intermédiaire. Sentiment représentatif : La gestion intermédiaire (la couche d’argile) est souvent un problème d’innovation. |
Constatation préliminaire 11 : Les obstacles à l’innovation ne sont pas absolus. Sentiment représentatif : Il peut être difficile d’innover, mais l’innovation se produit malgré les obstacles. |
Constatation préliminaire 12 : L’innovation peut paraître un combat, et un combat où gagner ne procure pas la sensation d’avoir gagné. Sentiment représentatif : Je vois des gens qui essaient d’accomplir de nouvelles choses, mais doivent déployer de grands efforts. |
Constatation préliminaire 13 : L’aversion au risque est un problème endémique. Sentiment représentatif : L’aversion au risque est une caractéristique fondamentale de la fonction publique canadienne. |
Constatation préliminaire 14 : La notion de risque commence à être reformulée et réinterprétée, mais ce n’est pas encore le cas. Sentiment représentatif : Je pense que l’attitude à l’égard du risque commence à changer, mais il y a encore beaucoup de chemin à parcourir. |
Discussion sur cette compréhension
L’encadré 4.6 donne un aperçu des principaux enjeux qui sous-tendent cette compréhension, en s’appuyant sur la recherche, les entrevues et l’enquête menées. La discussion qui suit présente un exposé supplémentaire des enjeux afin de fournir suffisamment de contexte et renseignements de base. Les citations sont tirées d’entrevues menées sur l’innovation dans la fonction publique du Canada.
La recherche entreprise dans le cadre de cet examen révèle que, bien que l’innovation se fasse assurément au sein de la fonction publique du Canada, de nombreuses personnes étaient d’avis qu’elle était habituellement difficile ou exigeante.
Contribuer à cet état de choses est un obstacle très réel auquel se heurtent ceux qui essaient de faire de nouvelles choses. Ces obstacles comprennent des règles et des exigences officielles.
« Ce qui a nui à l’innovation ou l’a rendue plus difficile, ce sont les règles et les règlements qui s’appliquent à tous les services gouvernementaux, notamment en ce qui concerne l’approvisionnement. »
Ces règles et règlements peuvent agir, délibérément ou non, comme facteur limitatif à l’éventail d’options qui sont à l’étude.
« Nous nous limitons par les lois que nous avons créées. Nous nous limitons aux politiques que nous avons adoptées et nous croyons que les politiques que nous avons créées ont été mises en place pour des raisons valables. Mais nous ne poussons pas la réflexion plus loin en nous demandant : « Eh bien, attendez un instant. Il y a peut-être une autre façon de faire. »
Dans bien des cas, cependant, les limites ou les obstacles ne sont pas nécessairement explicites ou codifiés. Ce pourrait plutôt être l’interprétation des règles, plutôt que les règles elles-mêmes, qui constitue un obstacle à l’innovation – une question partagée par d’autres pays (voir OCDE, 2017a, p. 32). Dans certains cas, les règles ou les problèmes qui sous-tendent les obstacles perçus n’existent peut-être même pas, mais ils sont tout de même considérés comme des faits. Ou encore, il peut s’agir simplement de la sagesse conventionnelle qui limite l’éventail des possibilités.
« Mais il y a un certain décalage entre ce qui est possible et ce que les gens pensent possible. Parfois, la sagesse du système erre. »
Une autre préoccupation souvent soulevée au cours de l’étude était que les cadres intermédiaires servaient de filtre ou d’amortisseur pour l’innovation.
« Il y a une poussée du haut, il y a une poussée du bas, mais cette couche au milieu, qu’on appelle parfois négativement la couche d’argile ou autre sont autant de facteurs qui font en sorte qu’il est très difficile d’obtenir quoi que ce soit parce que ce sont les gestionnaires et ce sont eux contrôlent en quelque sorte les employés; il y a un peu de stagnation, je pense. »
Quoi qu’il en soit, il pourrait s’agir d’un cas de corrélation plutôt que de causalité. Dans toute organisation, les cadres intermédiaires agiront comme un filtre, en essayant de traduire l’intention stratégique des niveaux supérieurs en action pratique aux niveaux inférieurs, et en essayant de synthétiser et de trier l’information destinée au personnel en renseignements significatifs qui peuvent être communiqués aux cadres fonctionnels. Cela pourrait refléter un problème structurel naturel plutôt qu’un attribut particulier de la qualité ou du type de personnes qui occupent les postes de cadres intermédiaires. Cela semble être corroboré par le fait que cette même question (y compris le libellé semblable sur l’« argile de gestion ») se pose dans d’autres pays (voir gouvernement australien, 2010, p. 42).
« Je pense que les gens blâment souvent les cadres intermédiaires pour l’absence de changement, mais j’ai l’impression que ce n’est qu’un coup bas, je ne suis pas certain que ce soit vraiment la cause. »
L’aversion au risque présente un autre ensemble de problèmes. En plus de la question de savoir si une innovation peut être envisagée (est-elle légale et pourrait-elle cadrer avec les cadres et les règles existants?) et si elle sera prise en considération (recevra-t-elle l’attention des décideurs appropriés?), la prochaine préoccupation potentielle est la façon dont elle sera perçue et le moment où elle sera prise en considération. Les résultats de la recherche ont mis l’accent sur l’aversion au risque comme enjeu majeur dans la fonction publique du Canada, endémique dans l’environnement opérationnel.
« J’ai l’impression qu’il y a beaucoup de risques perçus; je suis sûr qu’il y a aussi des risques réels, mais il y a beaucoup de risques perçus qui ne sont pas nécessairement aussi graves que les gens les pensent. Il y a des occasions qui sont ratées parce que les gens ont peur de les saisir. »
Bien que la conversation sur le risque ait été perçue comme une amorce de changement, elle a quand même été identifiée comme un problème qui pourrait être très difficile à régler ou à gérer.
« Cette aversion au risque est effrayante. C’est effrayant parce que vous pouvez avoir les meilleures idées et les meilleurs plans et vous pouvez dire : “Vous savez, ça va fonctionner”, mais si les gens ne veulent pas prendre ce risque, même s’il s’agit d’un risque calculé, vous savez, ce n’est pas sauter n’importe comment d’un avion sans parachute. Ils ne le feront tout simplement pas, ils vont complètement étouffer un projet, une idée, quoi que ce soit. Je ne sais pas comment on peut surmonter cela. »
Ces différents aspects pris ensemble, il peut être très difficile de s’assurer qu’une idée est réellement prise en considération. Étant donné qu’un facteur fondamental affectant l’impact potentiel de l’innovation est l’ampleur et l’éventail des possibilités qui alimentent le processus (OCDE, 2017b), ces filtres peuvent être préoccupants. Si les possibilités sont inutilement filtrées pour des raisons autres que le mérite ou la valeur de l’idée, alors le potentiel d’innovation sera d’autant réduit.
Une autre préoccupation est la mesure dans laquelle les gens se sentent enclins à présenter leurs idées ou sont prêts à les défendre. Même si l’expérience de l’innovation n’était pas uniforme, on a souvent soulevé un élément de lutte, à savoir que les gens devaient investir des efforts considérables pour cheminer dans ce processus.
« C’est une lutte quotidienne en amont et, d’après mon expérience, les meilleurs innovateurs ne sont pas seulement de grands innovateurs, ce sont des gens très forts qui savent nager à contre-courant jour après jour. Ce n’est pas facile. »
Si le processus d’innovation exige un investissement personnel et émotionnel important, il peut aussi agir comme un filtre non intentionnel. Si l’innovation est perçue comme quelque chose de difficile et d’exigeant, elle limitera ceux qui sont prêts à participer, ou elle filtrera ceux qui ont participé au processus au fur et à mesure qu’ils s’épuisent.
« On ne peut se battre que pendant un certain temps avant de devenir très fatigué. »
Bien que certaines personnes soient prêtes à assumer ces coûts (ou ne les reconnaissent peut-être même pas comme des coûts), il semble y avoir un degré important de choix arbitraire par rapport aux idées qui sont prises en considération.
« Je trouve qu’il y a beaucoup d’enthousiasme au niveau supérieur et au niveau inférieur. Le niveau supérieur a le pouvoir, mais il n’a pas le temps et le niveau inférieur a le temps, mais il n’a pas le pouvoir d’investir dans un projet. C’est vraiment à ce segment du milieu qu’il appartient de décider d’aller de l’avant avec un projet ou de décider de l’abandonner. Tout est une question hasard à savoir de quel genre de gestionnaire ou de directeur on relève; ils peuvent transmettre l’information de haut en bas ou de bas en haut, mais s’ils ne sont pas prêts à le faire, les choses ne se feront pas. »
Bien que l’innovation soit toujours un processus incertain, cette incertitude peut être exacerbée si l’éventail des possibilités qui sont prises en considération est également filtré par des facteurs autres que le mérite de l’idée, le potentiel de la proposition et l’effort que les participants désirent y mettre.
En résumé, le processus d’innovation dans le contexte de la fonction publique du Canada semble actuellement régi par un éventail de facteurs autres que ceux qui sont les plus pertinents pour l’innovation.
« Vous pouvez essayer des projets novateurs qui finissent par vous enliser et vous embourber dans des critiques ou des problèmes simplement parce que vous avez essayé de faire les choses différemment, que cela soit justifié ou non. On entend parfois les gens demander : « Pourquoi ne faisons-nous pas les choses différemment? C’est pourquoi nous ne faisons pas les choses différemment. »
Incidences de cette compréhension
Observation principale
Il existe en l’essence une tension inhérente entre les processus et les façons de travailler existants et l’innovation. La première vise à répéter (et peut-être à améliorer) les pratiques établies et, par conséquent, à attirer l’attention sur une gamme réduite de possibilités. Dans ce dernier cas, il s’agit de faire les choses d’une manière nouvelle et différente et, par conséquent, d’envisager une gamme d’options plus large ou différente. Toutes choses étant égales par ailleurs, cette tension complique l’innovation.
Effet principal
L’innovation ne se produira pas de façon constante ou fiable si les circonstances suivantes sont présentes :
Le processus dépend de personnes ou d’organisations qui essaient de remettre en question et de surmonter les paramètres par défaut et l’aversion au risque.
Le succès ou l’échec (perçu et réel) est arbitraire et déterminé davantage par les circonstances des participants (p. ex., qui est leur gestionnaire, qui ils connaissent et ce qui se passe en même temps), que par l’effort qu’ils déploient, le mérite de l’idée ou l’intention qu’ils essaient de réaliser.
Raisonnement
L’innovation implique la nouveauté et la tentative d’accomplir quelque chose de nouveau et peut-être inattendu. Pour ce faire, il faut remettre en cause le statu quo et les paramètres par défaut. En essayant de réaliser quelque chose de différent, on essaie de changer ce qui existe déjà.
Les organisations et systèmes du secteur public sont composés d’ensembles structurés d’interactions. Il y a des processus, des précédents, des protocoles, des traditions et des façons de faire attendues. Par exemple, si une personne veut avoir accès à une expertise ou à des capacités externes, elle peut choisir parmi diverses options, comme l’embauche, l’achat ou le partenariat. Si quelqu’un veut essayer quelque chose de nouveau, la première étape consistera souvent à se demander si cela a déjà été fait avant d’entreprendre son parcours d’innovation.
Bien sûr, des innovations peuvent trouver leur place et trouvent effectivement leur place, et aucune organisation ni aucun système n’est statique et immuable. Toutefois, ces changements sont souvent une réponse à l’une des questions suivantes :
Facteurs ou chocs externes
Une crise – un événement ou un développement qui rend le statu quo intenable et exige donc une réponse nouvelle ou modifiée.
Un engagement politique – semblable à une crise, un engagement politique peut rendre le statu quo intenable pour le secteur public et, par conséquent, susciter de nouvelles réponses ou activités.
Pression externe – cela prend la forme d’un consensus ou d’une détresse importante de la part des intervenants externes selon lesquels les choses doivent changer; la pression est unilatérale ou très médiatisée ou haute en intensité.
Pressions internes
Changement motivé par l’efficacité – ceci résulte de l’amélioration ou de l’optimisation des activités existantes, comme l’amélioration des processus opérationnels.
Leadership précis ou priorités stratégiques/opérationnelles qui exigent un changement de façon de faire les choses.
Personnes qui poursuivent des objectifs particuliers.
Pour que l’innovation trouve sa place dans des circonstances autres que celles-ci (c.-à-d. qu’elle se déroule de façon adaptée ou proactive, plutôt que réactive), il faut qu’un autre mécanisme intervienne pour permettre l’examen de différentes approches en analysant leur mérite en tant que propositions novatrices.
Compréhension 3
Alors que le gouvernement change sa façon de fonctionner, il y a actuellement un décalage entre ce qui peut être fait à l’intérieur et à l’extérieur du gouvernement, ce qui risque de mettre en péril une fonction publique qui n’est plus adaptée à son contexte.
Encadré 4.7. Principaux points
L’innovation semble souvent trouver sa place malgré les capacités sous-jacentes et les systèmes habilitants au sein de la fonction publique, plutôt que d’être aidée ou accélérée par ceux-ci. Bien que l’innovation trouve sa place et que l’on s’efforce de mieux calibrer l’innovation, il y a un écart important entre ce qu’il est possible de réaliser actuellement à l’intérieur du gouvernement et qu’il est possible de réaliser actuellement à l’extérieur du gouvernement. À mesure que les changements technologiques se poursuivront, cet écart pourrait s’accroître.
La cause exacte de ce décalage n’est pas claire; cependant, elle pourrait être attribuée à diverses causes :
La capacité insuffisante de se préparer aux nouveaux enjeux et aux nouvelles technologies.
Les répercussions des nouveaux enjeux et des nouvelles technologies qui ne cadrent pas avec les secteurs d’activité ou d’attention existants ou les mentalités et les modèles opérationnels connexes;
La rétroaction de l’environnement opérationnel n’est pas suffisamment pertinente pour modifier ou altérer les investissements et les engagements existants.
Les capacités existantes et les systèmes habilitants sont suffisants dans la plupart des cas et peuvent être mis à contribution dans une mesure additionnelle au besoin, ce qui masque le besoin de développer de nouvelles capacités.
Il y a donc un risque que la fonction publique ne soit pas en mesure d’appliquer l’innovation à mesure qu’émergent les besoins et devrait d’abord investir des ressources, de l’apprentissage et des efforts supplémentaires avant de pouvoir obtenir les réponses novatrices dont elle a besoin.
Encadré 4.8. Compréhension 3 : citations représentatives et constatations préliminaires pertinentes
Citations représentatives des entrevues
« Notre plus grande faiblesse, ce sont les systèmes. C’est notre infrastructure, essentiellement. Les vieilles infrastructures. Qu’il s’agisse de la TI ou de notre modèle de gestion des ressources humaines. Ce sont de vieux modèles et de vieux systèmes. »
« Le système s’adapte et change, mais il faut du temps. »
« La technologie sur le marché n’est pas nécessairement celle que nous utilisons. »
« Je pense que la fonction publique canadienne sait qu’elle doit faire preuve d’innovation. Je ne suis pas sûr qu’elle sache encore comment le faire. Je pense seulement à mes employés, vous savez, je leur ai donné le droit de faire les choses différemment et en effet, je vois beaucoup d’hésitation. »
« Il y a donc un décalage, je crois, entre ce que nous attendons des gens et les capacités et l’expérience qu’ils ont. »
« Et je ne sais pas comment le gouvernement survivra compte tenu du fait que nous évoluons beaucoup plus rapidement à l’extérieur du gouvernement. »
Constatation préliminaire 15 : Les systèmes sous-jacents du gouvernement ne sont pas calibrés pour l’innovation. Sentiment représentatif : J’ai l’impression qu’une grande partie de l’appareil gouvernemental est tendu par l’innovation. |
Constatation préliminaire 16 : Les systèmes gouvernementaux ont la capacité de changer, mais pas rapidement. Sentiment représentatif : La fonction publique du Canada est comme un grand navire — il faut du temps pour changer de cap. |
Constatation préliminaire 17 : Le gouvernement est confronté à des taux importants de changement technologique. Sentiment représentatif : Je ne pense pas que nous comprenions vraiment la technologie qui est maintenant à notre disposition. |
Constatation préliminaire 18 : On met l’accent sur l’impact, mais pas nécessairement sur un lien solide avec les personnes touchées. Sentiment représentatif : Je pense que l’impact nous tient beaucoup à cœur, mais nous n’avons pas souvent l’occasion de le constater. |
Constatation préliminaire 19 : Un certain nombre de « facteurs limitatifs » influent sur la capacité d’innover. Sentiment représentatif : Je ne pense pas que nous ayons la masse critique nécessaire pour une innovation généralisée. |
Constatation préliminaire 20 : L’engagement nécessaire pour répondre aux attentes en matière d’innovation n’est peut-être pas encore au rendez-vous. Sentiment représentatif : Je ne sais pas si nous faisons vraiment ce qu’il faut pour rendre la fonction publique du Canada vraiment novatrice. |
Discussion sur cette compréhension
L’encadré 4.8 donne un aperçu des principaux enjeux qui sous-tendent cette compréhension, en s’appuyant sur la recherche, les entrevues et l’enquête menées. La discussion qui suit présente un exposé supplémentaire des enjeux afin de fournir suffisamment de contexte et de renseignements de base. Les citations sont tirées d’entrevues menées sur l’innovation dans la fonction publique du Canada.
La recherche a révélé un sentiment selon lequel, bien que l’innovation puisse se produire et se produise effectivement au gouvernement, l’institution n’a pas été conçue ou calibrée pour l’innovation.
« Nos systèmes sont très, je ne sais pas quel est le bon mot, mais nos systèmes ne semblent pas être bien conçus, nos structures ne semblent pas être bien conçues pour appuyer le changement, semble-t-il. »
« Pour ce qui est de la composition actuelle du gouvernement, il n’est pas conçu pour l’innovation. »
Cette dissonance des systèmes sous-jacents est peut-être davantage liée à la mise en œuvre de l’innovation, plutôt qu’aux efforts visant à déterminer si l’innovation est nécessaire ou à proposer des idées novatrices. L’identification d’un problème ne garantit pas la mise en œuvre d’une solution.
« La fonction publique du Canada compte beaucoup de gens très intelligents […] Et ils cernent très souvent ce qui ne va pas et suggèrent même exactement ce qu’il faut faire pour corriger la situation. Les problèmes semblent être liés à la mise en œuvre de la solution. »
Si tel est le cas, cela suggère qu’un facteur limitatif important à l’innovation est la capacité d’entreprendre l’innovation, plutôt que la capacité de concevoir des possibilités innovatrices. Il pourrait y avoir des idées et des arguments en faveur de l’innovation, mais la capacité de les réaliser n’est peut-être pas disponible. Par exemple, la réglementation ne semble pas se prêter à une approche plus novatrice et souple.
« Nous comprenons parfaitement qu’avec la rapidité avec laquelle nous réglementons, il faut de deux à cinq ans pour mettre en place un règlement, et il y a de bonnes raisons pour lesquelles nous voulons agit lentement. Cela a un impact énorme sur les gens et sur l’économie. Mais l’économie et les secteurs prennent aussi tellement d’avance. »
L’écart entre ce qui est connu comme étant nécessaire et la capacité de le faire peut parfois être trop grand pour être surmonté.
Une autre cause possible de cette dissonance sous-jacente est que le gouvernement ne se prépare pas suffisamment pour faire face à des problèmes éventuels et qu’il n’est donc pas prêt à agir. L’innovation pourrait mieux cadrer avec les systèmes gouvernementaux si le travail préparatoire était accompli.
« Si je devais caractériser le processus d’élaboration des politiques au Canada, comme l’ont décrit les fonctionnaires et les universitaires, c’est qu’il s’agit d’un processus à court terme, axé sur les urgences du jour, fortement influencé par les médias et la gestion des réactions des médias aux échecs possibles du gouvernement. Par conséquent, nous ne faisons pas de planification à long terme, nous ne nous préparons pas suffisamment aux nouveaux enjeux et il y a souvent un manque de données et de données probantes pour prendre des décisions éclairées. »
Tout cela indique qu’il existe des tensions sous-jacentes entre le fonctionnement du gouvernement et sa capacité de réaliser, de mettre en œuvre et de diriger l’innovation.
Cela ne veut pas dire que les systèmes gouvernementaux ne s’ajustent pas ou ne réagissent pas à ce déséquilibre. De nombreux développements en cours visent ou aident à relever ce défi. Des mesures sont prises au niveau du système, de l’organisation et de la personne. Les systèmes sous-jacents ont la capacité de changer, et cette capacité est mise à profit.
« mais il y a encore beaucoup de changements au sein des ministères et entre les ministères, de sorte que le système est en constant état d’ajustement. »
Cependant, on se demande si cet ajustement est suffisant pour répondre à l’ampleur des changements qui pourraient être requis de la part du gouvernement. Il y a une préoccupation sous-jacente selon laquelle le gouvernement ne parvient pas à s’adapter aux changements technologiques dans la société et aux changements connexes dans la façon dont les choses peuvent et devraient fonctionner.
« Nous pensons à demain avec la technologie que nous avons aujourd’hui. Nous ne pensons pas à demain avec la technologie de demain. Nous semblons donc toujours faire du rattrapage parce que tout coûte trop cher, simplement parce qu’on est le gouvernement. »
« Le rythme du changement au sein du gouvernement ne correspond pas au rythme du changement à l’extérieur et donc, même quand je parle de ces choses et que je pense aux nouvelles choses que nous essayons, le monde évolue vraiment, vraiment rapidement, d’une manière que les gens ne peuvent pas prévoir, qu’il s’agisse de l’intelligence artificielle, de la robotique ou des mégadonnées et des algorithmes. Ce dont il est question ici, même la façon dont nous abordons la perturbation et la transformation, même en étant à la fine pointe et en agissant de la façon la plus rapide, je pense qu’il y a une préoccupation générale selon laquelle même nos penseurs les plus ambitieux n’arrivent pas à suivre la cadence du changement qui s’opère à l’extérieur du gouvernement. »
« Les choses qui changent rapidement et celles qui sont apparues au cours des 10 ou 20 dernières années, nous n’avons pas été en mesure de réagir. Nous n’avons pas été en mesure de réagir de façon progressive. Et nous n’avons pas été en mesure de réagir de façon transformationnelle. »
Pourquoi y a-t-il cette disparité potentielle entre ce qui se passe à l’extérieur du gouvernement et ce qui peut se faire au sein du gouvernement? Une explication possible réside dans le fait de savoir si ou comment cette disparité est effectivement reconnue, et si cette reconnaissance éclaire les investissements, l’infrastructure et les capacités du gouvernement.
« Je pense que le plus grand défi, à mon avis, en ce qui concerne une approche globale et plus innovatrice au sein du gouvernement du Canada, c’est de disposer des outils et de la capacité nécessaires pour mesurer l’efficacité ou l’efficience de nos programmes ou politiques. »
L’accent est mis de plus en plus sur les résultats et les répercussions. Cela peut donner une meilleure idée de ce qui fonctionne (et de ce qui ne fonctionne pas) et aider ainsi à cerner les lacunes pertinentes en matière de capacité et tout autre impératif important.
« On met beaucoup plus l’accent sur les résultats que sur la conformité au processus. Pour la fonction publique, ce changement de perspective est vraiment très important. Cela vous libère alors de l’obligation de penser : « Eh bien, il y a d’autres façons de faire. C’est ce que nous essayons de faire. »
Cependant, il semble y avoir encore des faiblesses dans les boucles de rétroaction pour ce qui est de savoir si l’innovation fait une différence dans la fonction publique et, par conséquent, si les systèmes et les capacités sous-jacents sont suffisants pour relever les défis en cause. Sans une bonne connaissance de l’environnement extérieur et un lien étroit avec celui-ci, la capacité de la fonction publique de savoir si ses processus fonctionnent vraiment et si des changements sont nécessaires sera limitée.
« Je pense que c’est le début de cette relation avec les Canadiens et les citoyens, où nous ne savons pas par où commencer parce que nous ne l’avons pas fait. »
« Mais je pense que la plupart des gens sont prêts à contribuer à ces processus. Ils ont parfois l’impression d’avoir été trop consultés, et je pense que c’est parce qu’ils constatent un manque d’action à la suite des consultations antérieures. »
Ces faiblesses pourraient empêcher le système de s’aligner efficacement sur les rythmes de changement externes et de renforcer les capacités nécessaires pour innover efficacement et combler suffisamment cet écart.
D’autres préoccupations concernant la capacité d’innovation de la fonction publique ont trait à la disponibilité (ou non) des compétences, des capacités et des habiletés nécessaires pour entreprendre l’innovation à grande échelle.
« Il y a beaucoup de fonctionnaires enthousiastes qui ont appris à connaître ces nouveaux outils. Ils y ont peut-être été exposés par la formation ou par Twitter. Fortuitement, peut-être, par leur travail à l’extérieur du gouvernement. Mais l’alignement est court. Nous n’avons pas beaucoup de gens qui ont fait l’expérience de l’utilisation de ces nouveaux outils. Ou de la mise en œuvre ou de la conception de ceux-ci. »
Même lorsque les gens veulent essayer de nouvelles choses, obtenir l’approbation et avoir la possibilité d’innover, ils n’ont pas nécessairement les éléments dont ils ont besoin pour réussir. C’est une chose de vouloir innover; c’en est une autre de pouvoir développer et appliquer de nouvelles idées dans des domaines en dehors des domaines d’activité actuels. Tout écart de ce genre présente un risque touchant la probabilité de soutien à l’innovation. Si des projets novateurs sont proposés et acceptés, mais qu’ils ne sont pas couronnés de succès ou qu’ils semblent échouer, cela pourrait nuire au soutien futur des initiatives novatrices (« peut-être que l’innovation n’est pas la voie à suivre »). Pire encore, cela pourrait envoyer le message que l’innovation ne devrait pas être tentée (« elle pourrait échouer! »), plutôt que le message que l’innovation pourrait devenir encore plus impérative (« le gouvernement ne suit pas le rythme! »).
« Il y a des problèmes de capacité au sein du système pour ce qui est de l’utilisation de nouveaux outils, processus et approches, de la façon dont nous effectuons l’analyse des données ou les essais de contrôle aléatoires ou l’analyse des données ou l’intégration d’une évaluation de programme vraiment rigoureuse dans la prise de décisions, de sorte qu’il y a d’énormes problèmes de capacité. Il y a beaucoup de risques politiques si certains de ces processus déraillent ou ne fonctionnent pas et doivent être interrompus; nous avons besoin de succès manifestes tôt avant que les erreurs inévitables ne se produisent. »
Il y a aussi un risque de décalage entre les signaux envoyés et les engagements pris. Même s’il y a un signal de plus en plus fort que l’innovation est nécessaire et souhaitée, cela ne se reflète pas encore pleinement dans la façon dont le gouvernement travaille et investit, et donc dans sa capacité réelle d’innover.
« Je me demande donc où la fonction publique du Canada a été encouragée à faire preuve d’innovation; clairement par le premier ministre et clairement par le greffier. Les outils dont nous disposons actuellement ne nous permettent pas nécessairement d’innover, en raison des rapports, des processus internes, des contraintes imposées par le Conseil du Trésor, en particulier. Aujourd’hui, nous travaillons avec ces intervenants par rapport à cette question, mais je ne dirais pas que nous avons trouvé un terrain d’entente tout à fait confortable. »
« Donc, non. Nous n’équipons pas non plus notre personnel des nouveaux outils et des nouvelles technologies dont il a besoin, et nous ne le faisons pas encore entièrement, en tant que fonction publique. Je pense que nous avons une idée de ce qui s’en vient, mais je ne sais pas si nous avons pleinement anticipé toutes les façons dont la fonction publique devra concevoir des politiques pour ses citoyens, qui permettront au Canada de se préparer à la quatrième révolution industrielle.
« Mais nous ne sommes pas ignorants non plus. Et je pense probablement, comparativement à d’autres pays, que nous ne sommes pas dans une situation désastreuse sur le plan de la connaissance et de la sensibilisation. Quant à l’exécution, c’est une autre histoire. »
En résumé, il y a un décalage entre les capacités sous-jacentes et les systèmes habilitants au sein du gouvernement, et ceux à l’extérieur. La capacité actuelle de réaliser des innovations ne correspond pas aux capacités qui pourraient être nécessaires pour réaliser l’ampleur des opportunités disponibles en matière d’innovation. Par conséquent, il y a un risque que le gouvernement ne soit pas adapté à l’environnement dans lequel il évolue ou qu’il ne soit pas en mesure de tirer parti des options novatrices qui pourraient lui être offertes. Il est concevable que ce décalage augmente à mesure que la technologie et les capacités disponibles à l’extérieur du gouvernement continuent de se développer à un rythme accéléré.
Incidences de cette compréhension
Observation principale
L’innovation consiste souvent à faire ce qui n’a jamais été accompli auparavant, qu’il s’agisse d’une nouveauté pour le monde ou d’une nouveauté pour le contexte. Les capacités requises pour toute innovation individuelle seront donc quelque peu spéculatives.
L’innovation consiste souvent à accomplir ce qui n’a pas été accompli auparavant, que cette action soit entièrement nouvelle ou simplement nouvelle dans le contexte en question. Les capacités requises pour toute innovation individuelle seront donc quelque peu spéculatives.
Cependant, les capacités valorisées dans n’importe quel système seront celles qui sont connues ou priorisées. La technologie, l’infrastructure et les modèles d’exploitation auront tous tendance à refléter les opérations courantes, ou le statu quo, qui produisent des résultats connus. Les activités de tout système seront axées sur le but pour lequel il a été conçu. Sans la rétroaction de son environnement opérationnel selon laquelle les capacités existantes sont insuffisantes ou sous-performantes, les forces actuelles du système demeureront probablement ancrées, ce qui empêchera l’investissement ou l’engagement dans des options plus novatrices (et incertaines). Toutes choses étant égales par ailleurs, un système sera adapté à ce qu’il fait, plutôt qu’à ce qu’il pourrait faire, rendant l’innovation plus difficile.
Effet principal
L’innovation ne se produira pas de façon constante ou fiable si les circonstances suivantes sont présentes :
Les capacités, les technologies, l’infrastructure et les modèles d’exploitation sous-jacents ne sont pas adaptés à ce qui est requis ou à ce qui pourrait être nécessaire dans l’avenir prévisible.
L’investissement et l’engagement sont principalement axés sur les activités et les modèles d’exploitation existants, et l’élaboration de nouvelles options est insuffisante.
Raisonnement
Tout système comme le secteur public, ou toute série de parties liées qui travaillent à un objectif commun, développera et investira dans des capacités pour entreprendre ce qui est encouragé, ce qui est renforcé par ses interactions avec son environnement (p. ex., un système d’éducation investira dans les écoles, les normes d’enseignement, les programmes et les examens). Si la rétroaction confirme invariablement que le système fonctionne, il est peu probable qu’il change. Si les commentaires soulignent que le système ne fonctionne pas, alors il est plus susceptible d’être ouvert à de nouvelles façons de travailler, d’encourager l’investissement dans des capacités nouvelles ou différentes et d’être ouvert à de nouveaux partenariats ou à une collaboration qui pourraient fournir l’accès nécessaire à des capacités pertinentes.
Plus longtemps un système ne cadre pas avec son contexte, plus grande est la probabilité qu’il y ait une divergence importante entre ce qui est disponible et ce qui est nécessaire sur le plan des capacités pour entreprendre l’innovation pertinente de façon efficace. Les initiatives d’innovation individuelles peuvent encore être possibles, mais la capacité de tirer parti d’une vague plus vaste d’innovations ou de technologies perturbatrices sera entravée. Par exemple, le simple fait qu’un projet utilise l’intelligence artificielle ou l’apprentissage automatique n’implique pas nécessairement une capacité plus large d’examiner et d’explorer le potentiel de l’intelligence artificielle de façon plus générale, qui pourrait ensuite être utilisée pour éclairer des projets dans différents domaines.
Bref, il y aura toujours de l’innovation au sein d’un système même si le système n’est pas calibré à cette fin ou s’il manque certaines des capacités nécessaires. Toutefois, dans ces circonstances, l’innovation existera probablement dans des grappes autour de personnes et d’organisations ayant le dynamisme nécessaire pour accéder aux capacités existantes ou les exploiter. Dans ces cas, l’innovation dépendra de capacités probablement absentes d’autres parties du système. Il est également peu probable que ces autres parties du système partagent la même motivation ou le même besoin d’innover, ce qui réduira l’empreinte de l’innovation.
Compréhension 4
La pratique de l’innovation s’est considérablement développée, mais elle demeure souvent une activité marginale et n’est pas considérée comme faisant partie des activités de base ou des façons de faire.
Encadré 4.9. Principaux points
Bien que l’innovation ait trouvé sa place dans la fonction publique, elle n’est pas encore largement intégrée comme pratique ou comme partie attendue du mode de fonctionnement ou d’accomplissement. Elle s’observe généralement dans des grappes qui, bien que bénéfiques, n’ont pas encore entraîné de changements ou de transformations généralisés. Cela entraîne et est attribuable à une situation où :
les paramètres par défaut favorisent les activités courantes;
être un « innovateur » est perçu comme une identité distincte plutôt que comme un attribut que n’importe qui peut manifester;
les dirigeants ne savent peut-être pas comment favoriser l’innovation et ne sont peut-être pas suffisamment outillés ou informés pour contribuer de façon constructive;
on renforce des comportements susceptibles de concurrencer ceux qui sont mieux adaptés à l’innovation;
les gens peuvent avoir de la difficulté à articuler et à négocier l’équilibre entre « l’innovation est bien accueillie et recherchée » et « l’innovation n’est pas toujours égale ».
Comme l’innovation se produit surtout dans des grappes, cela limite l’impact potentiel de toute innovation individuelle. L’innovation en tant que pratique est considérée comme limitée dans son impact et est donc naturellement considérée comme quelque chose de marginal. Cette marginalisation signifie que l’innovation se produit surtout dans les grappes et que le cycle se répète. Dans un tel contexte, l’innovation en tant que processus et en tant que pratique continuera de trouver sa place par exception, plutôt que comme activité régulière, digne de confiance et mise en pratique qui peut être utilisée pour obtenir de meilleurs résultats.
Encadré 4.10. Compréhension 4 : citations représentatives et constatations préliminaires pertinentes
Citations représentatives des entrevues
« Je pense qu’il y a des grappes d’innovation »
« Je pense que c’est apprécié, mais encore une fois, quand il faut prendre des décisions, c’est à dire : “Est-ce que nous continuons à travailler là-dessus? Ou est-ce que nous faisons notre travail de base?” Nous devons faire notre travail de base. »
« Il est facile de trouver de nouvelles façons de travailler. Il est difficile de les mettre en œuvre et de les faire utiliser par les employés. »
« C’est comme, non, les choses ont un contexte, un lieu et des relations de pouvoir. Ce n’est pas aussi simple que de dire qu’on parachute l’innovateur et qu’il va tout régler. »
« Je pense toujours que la discussion et le discours sur l’innovation sont dans une bulle, alors je ne pense pas que ce soit aussi généralisé qu’il le faudrait. Je ne pense pas que ce concept soit aussi bien compris qu’il le devrait. »
« Je pense donc que l’innovation par l’exemple est une bonne approche. Arrêtez d’en parler et montrez-nous simplement comment vous la mettez en pratique. Encore une fois, je pense que nous pouvons faire un meilleur travail ou simplement démontrer que l’innovation n’est qu’une façon d’être, que ce n’est pas quelque chose que les scientifiques font dans un coin, et que n’importe qui peut innover. Comme, montrez-le-nous. »
« Je pense que nous y arrivons, mais il faut du temps… pour renforcer cette culture, car c’est une partie normale, qui a toujours été, de notre culture, mais maintenant, nous avons de nouvelles façons de faire que nous n’avions pas auparavant. Comment pouvons-nous aider les gens à cet égard? »
Constatation préliminaire 21 : Il y a beaucoup de grappes d’innovation. Sentiment représentatif : On dirait que l’innovation ne se fait que dans de petites grappes. |
Constatation préliminaire 22 : L’innovation est souvent quelque chose qui se fait « en parallèle ». Sentiment représentatif : L’innovation n’est pas très bien intégrée à notre travail quotidien. |
Constatation préliminaire 23 : Le milieu de l’innovation n’est pas bien intégré à l’ensemble de la fonction publique du Canada. Sentiment représentatif : Je pense qu’il y a une sorte de « bulle » de l’innovation, qui peut compliquer la tâche. |
Constatation préliminaire 24 : La relation de la haute direction avec l’innovation est inégale. Sentiment représentatif : Je pense que le leadership est incohérent en matière d’innovation. |
Constatation préliminaire 25 : Les comportements appropriés et nécessaires à l’innovation sont encore en cours d’élaboration. Sentiment représentatif : Je ne pense pas que nous, en tant qu’individus, sachions toujours comment agir de façon à soutenir l’innovation. |
Constatation préliminaire 26 : L’équilibre entre l’innovation et les autres besoins n’est pas clair. Sentiment représentatif : Je ne pense pas qu’il y ait une idée claire de la mesure dans laquelle l’innovation serait trop faible ou trop importante. |
Constatation préliminaire 27 : Il y a du dynamisme et de l’optimisme au sujet du chemin à parcourir. Sentiment représentatif : Je pense que nous allons dans la bonne direction, même si nous n’avons pas toutes les réponses. |
Constatation préliminaire 28 : Il y a une grande diversité de points de vue sur la suite des choses. Sentiment représentatif : Il n’y a pas de consensus sur ce qui devrait être fait pour améliorer l’innovation dans la fonction publique du Canada. |
Discussion sur cette compréhension
L’encadré 4.10 donne un aperçu des principaux enjeux qui sous-tendent cette compréhension, en s’appuyant sur la recherche, les entrevues et l’enquête menées. La discussion qui suit présente un exposé supplémentaire des enjeux afin de fournir suffisamment de contexte et de renseignements de base. Les citations sont tirées d’entrevues menées sur l’innovation dans la fonction publique du Canada.
La recherche entreprise dans le cadre de cet examen a démontré qu’une grande partie de l’innovation observée dans la fonction publique du Canada se produit dans des « grappes », ou de petits secteurs d’activité distincts et non reliés.
« Je peux penser à toutes sortes d’exemples d’innovations qui se produisent dans des grappes. »
Ces grappes individuelles – ces domaines d’activité et ces projets spécifiques – peuvent être importantes en soi et peuvent bien faire une différence par rapport à leur contexte spécifique et aux enjeux spécifiques auxquels ils font face. Toutefois, ces grappes demeurent généralement des grappes.
« Nous avons de bons exemples d’essais de nouvelles choses, mais nous n’avons pas de bons exemples de ces nouvelles choses qui produisent un effet progressif ou transformationnel. »
« Je pense qu’il y a des secteurs d’innovation dans la fonction publique canadienne qui travaillent très fort depuis plusieurs années pour essayer de pousser l’innovation plus loin. Je pense qu’il y a des changements structurels, en partie parce que ces grappes, ces grappes sont toujours en fin de compte des personnes. Ce n’est pas l’organisation qui innove. Ce sont les gens qui agissent. »
La question de l’innovation qui reste confinée dans des grappes au lieu de se répandre ou d’avoir une influence supplémentaire est probablement associée à son manque d’intégration dans le travail quotidien. L’innovation peut être demandée ou exigée, mais cela ne veut pas dire qu’elle est considérée comme faisant partie de la tâche. On considère plutôt que c’est un élément additionnel au travail.
« Ce que je peux dire, c’est que souvent, être innovateur signifie faire quelque chose qui ne fait pas partie de votre travail quotidien, qui ne fait pas partie de vos tâches de base, et on nous demande constamment d’en faire plus avec moins, mais quand vient le temps d’agir, parce qu’il y a une aversion au risque, s’il y a un choix entre faire votre travail comme si de rien n’était et faire quelque chose de nouveau et de risqué, on a tendance à revenir à ce qu’on est censé faire. »
Même dans les cas où l’innovation est présentée comme un objectif exprès de l’emploi, les paramètres et les attentes par défaut peuvent être plus forts et peuvent en fait exiger que l’accent soit mis sur le maintien du statu quo.
« Je dirais que bien souvent, même s’il y a peut-être un intérêt à trouver des façons de faire les choses différemment, il y a aussi beaucoup de pression pour continuer à faire les choses comme nous les avons toujours faites ou pour que le changement ne se produise qu’en marge des activités régulières. »
Pour certains, l’innovation demeure quelque chose de déconnecté de leur travail quotidien, de leur sentiment de normalité. Elle n’est pas intégrée à ce qu’ils font ou à ce qu’ils sont.
« Mais l’innovation est marginale parce que ce n’est pas une fonction essentielle, et il y a beaucoup de confusion, et la confusion est même un mot fort, c’est comme si... quel est ce mot, ce n’est pas... personne ne sait même qu’elle existe. Vous savez, c’est comme si c’était complètement en marge de l’activité principale de n’importe qui. »
De même, ceux qui innovent sont souvent perçus comme n’étant pas vraiment intégrés à l’ensemble de la fonction publique du Canada. Un certain nombre de facteurs contribuent à cette distinction ou séparation, y compris des facteurs structurels. Parfois, l’innovation est perçue comme un processus entrepris uniquement par certaines personnes.
« Je pense qu’il faut intégrer l’innovation au quotidien. Je pense que souvent, parce que nous voulons lui donner une orientation ou une importance, nous lui attribuons un rôle distinct, mais si vous ne mobilisez pas qui fournit le service ou qui fait le travail, vous ne pouvez pas soutenir le changement ou vous ne pouvez pas bâtir cette culture du changement. »
Parfois, ceux qui « font » l’innovation peuvent, par inadvertance, renforcer cet écart entre ceux qui sont perçus comme impliqués dans l’innovation et ceux qui ne le sont pas. L’innovation – le fait de faire les choses différemment – peut parfois agir pour accentuer et exacerber la différence plutôt que de contribuer à la cohésion et à une mission commune.
« Je pense qu’il y a une bulle d’innovation en matière de politiques à Ottawa au niveau fédéral. Je pense que nous parlons beaucoup entre nous et qu’il y a de l’écho. Je ne sais pas. Je ne pense pas que ce soit l’intention. Je pense que les gens ont de très bonnes intentions, mais c’est peut-être un moyen de se renforcer et ce peut être limitatif et pas vraiment inclusif, particulièrement pour la grande majorité des fonctionnaires qui doivent participer au processus. »
La mesure dans laquelle l’innovation est intégrée aux activités quotidiennes de la fonction publique est une question qui se répercute également sur le leadership. Les leaders peuvent eux-mêmes être la différence entre une innovation qui est considérée comme normale ou une innovation qui demeure marginale et qui doit être faite « en marge de la normalité ». En l’absence d’un signal clair de la part des dirigeants démontrant leur ouverture à l’innovation, les paramètres par défaut et l’hypothèse connexe selon laquelle l’innovation n’est pas vraiment souhaitée domineront probablement.
« Les DG [directeurs généraux] ont peut-être été très ouverts aux idées novatrices, mais s’ils ne le signalent pas, le personnel présume que la haute direction n’est pas disposée à accepter la prise de risques responsable ou à encourager l’innovation. »
En raison de ces attentes par défaut, les hauts dirigeants des structures hiérarchiques actuelles jouent souvent un rôle très important dans le processus d’innovation, qu’ils le veuillent ou non. Toutefois, le leadership, tel qu’il est actuellement pratiqué, ne le reconnaît pas toujours ou ne permet pas toujours aux dirigeants d’agir.
« Bien que j’aie entièrement confiance en ma haute direction, les retombées de l’information sont minimes, au mieux. Ils n’ont tout simplement pas le temps. Ils ne savent pas quoi me dire. Ils ont encore de la difficulté à comprendre, alors je suis aux prises avec ces énormes divergences et j’ai le sentiment que oui, je sais comment innover. J’aimerais adopter une pratique. Je veux encourager certaines choses qui devraient être faites, mais je me heurte à la nécessité d’obtenir cette approbation, et pour qu’elle soit approuvée, elle doit être comprise. »
Dans un environnement opérationnel en évolution, de nouveaux comportements pourraient devoir être normalisés. L’innovation exige l’ouverture à faire les choses différemment – à penser différemment. Il s’agit d’être vulnérable (p. ex., « Que se passe-t-il si mon idée est rejetée? Que se passe-t-il si j’avoue ne pas savoir quelque chose? »). Il faut aussi respecter les autres lorsqu’ils se rendent vulnérables en participant au processus d’innovation. L’innovation exige des comportements différents de ceux de nombreuses organisations bureaucratiques professionnelles.
Toutefois, un tel ajustement des comportements peut prendre du temps, et pas seulement pour les personnes qui occupent des postes de direction. Il est évident que les comportements appropriés qui favorisent l’innovation dans la fonction publique sont encore en cours d’élaboration.
« Puis nous nous sommes rendu compte que dans le domaine de l’innovation, les gens adoptaient vraiment le langage de l’innovation, mais peut-être pas autant, ce qui était très intéressant. Dans certains cas, ils connaissaient les mots à la mode. »
Ce développement de comportements appropriés peut être entravé dans les cas où des comportements antérieurement valorisés ou soulignés sont effectivement en conflit ou en concurrence avec ceux qui soutiennent l’innovation. Souvent, l’environnement et la culture continuent de renforcer les paradigmes et les modes de travail dominants, l’innovation étant perçue comme étant à la limite ou étrangère.
« Je veux dire, nous sommes tous formés au secret, pour être honnête. C’est ce qu’on nous apprend beaucoup en grandissant dans le système. Et donc, sortir ça, et amener les gens à être plus ouverts sur les choses sur lesquelles ils peuvent travailler, ou co-développer des idées et des propositions... Cela va prendre du temps. Nous les avons dans des grappes, mais nous ne sommes pas à un niveau général. Je pense que ça va prendre du temps. »
Ces comportements peuvent nuire autant au processus d’innovation que n’importe quoi d’autre. Peu importe que l’innovation soit mise en valeur, autorisée ou encouragée, ou que les ressources et les engagements pertinents soient disponibles, c’est souvent le comportement qui déterminera si l’innovation est réussie ou bien accueillie.
« Tout ce genre de choses, les habitudes qui se forment ont été tout aussi dommageables pour l’innovation, représentant autant un obstacle que tout ce qui est écrit sur papier, et parce qu’elles étaient plus amorphes, il est en fait plus difficile de composer avec, comme au moins la règle, la règle que j’ai vraiment un processus tortueux pour la changer, Dieu vous aide si c’est législatif, peu importe, mais habituellement il y a au moins une façon de le faire, n’est-ce pas? C’est plus difficile parce qu’il est plus difficile de mettre le doigt dessus. »
Cette tension peut être attribuable en partie à l’absence d’une compréhension solide ou sophistiquée du moment où l’innovation devient nécessaire ou de la façon d’établir un équilibre entre l’innovation et d’autres attentes. Même si l’innovation devient la norme, il y aura encore des moments où l’innovation ne sera pas appropriée ou nécessaire ou recherchée. Ce n’est pas parce qu’on recherche l’innovation que toutes les innovations sont les bienvenues ou que toutes les innovations sont égales. Il doit y avoir un certain équilibre.
« Pourquoi le gouvernement du Canada n’est-il pas plus innovateur? C’est certainement un énorme navire. On ne peut changer de cap si rapidement et on pense que c’est pour une bonne raison. Il y a certains domaines où je ne suis pas sûr qu’il soit dans notre intérêt ou dans celui des Canadiens d’essayer d’être très innovateur. »
« …si vous voulez définir l’innovation comme une façon d’être, vous devez apprécier certaines des forces qui travaillent contre elle qui essaieront de la marginaliser, parce que c’est un peu abstrait, c’est confus, eh oui, les gens aiment faire ce qu’ils font, alors ne changez pas ce que nous faisons, n’est-ce pas? »
Il sera probablement difficile de trouver et de maintenir l’équilibre approprié. Le besoin global d’innovation est manifestement élevé, mais un contexte en constante évolution rend plus difficile de savoir quand l’innovation est vraiment appropriée. Le risque est que les paramètres par défaut, les comportements, les attentes et la culture feront en sorte que l’innovation demeure une activité marginale.
« Je pense que l’on est maintenant beaucoup plus conscient de l’importance de l’innovation. Je pense que le risque, c’est qu’il y a juste assez d’innovation en cours pour que les sous-ministres puissent rédiger un rapport au greffier chaque année sur la façon dont ils font preuve d’innovation et peut-être se dire qu’ils ont un écosystème novateur. »
D’autre part, à mesure que plus de gens sont exposés à l’innovation et à ses résultats, et qu’ils se familiarisent avec la pratique de l’innovation et sa raison d’être, l’innovation est susceptible de commencer à informer et à faire partie de la culture globale de la fonction publique. À mesure qu’elle sera généralisée, elle fera partie de la nouvelle norme.
« Bon nombre de ces éléments, je crois, nous font progresser dans cette courbe de maturité, je pense, pour les gens qui ont travaillé fort dans leur petite grappe et qui se sont battus un peu contre les conventions. Je pense que nous commençons maintenant à voir, j’en conviens, il y a une volonté et une compréhension collectives que c’est important dans l’ensemble du régime gouvernemental. »
Pour le moment, cependant, l’innovation demeure une activité marginale, la plupart du temps, qui ne recoupe que de façon limitée le travail de base. Il n’est pas encore intégré aux comportements habituels ou aux attentes quotidiennes.
« Nous aurons donc toujours un besoin criant de convertir les gens en personnes qui croient en l’innovation et ainsi de suite. Mais je pense que je voulais transmettre davantage le message que si les gens peuvent embrasser l’innovation, il devient moins impératif de compter sur un appareil en arrière-plan pour la pousser. »
Incidences de cette compréhension
Observation principale
L’innovation, c’est la différence, c’est s’éloigner du statu quo. Cependant, les normes, les processus, les systèmes et la culture visent généralement à reproduire certaines façons de faire, certaines façons d’agir et certaines façons d’interagir. À moins que l’innovation ne soit en quelque sorte considérée comme normale et légitime, et que les systèmes et les gens aient la possibilité de se familiariser avec elle, elle risque de demeurer en conflit avec les attentes des gens ou de les contredire. Cela empêchera l’innovation d’être considérée comme normale et, par conséquent, empêchera les gens et les systèmes de la connaître. Toutes choses étant égales par ailleurs, cette tension signifie que l’innovation restera généralement marginale plutôt qu’intégrale.
Effet principal
L’innovation ne se produira pas de façon constante ou fiable si elle est perçue comme une aberration ou comme quelque chose d’inhabituel qui n’est nécessaire qu’à l’occasion.
Raisonnement
Comme c’est le cas pour toute capacité, l’innovation exige de la pratique avant que les participants ne la maîtrisent suffisamment. Comme pour tout comportement, l’innovation ne sera pas renforcée si elle n’est pas reconnue, encouragée ou attendue. Comme pour tout processus, l’innovation ne deviendra pas efficace si elle n’est entreprise qu’à l’occasion.
Références
Australian Government (2010), Empowering Change: Fostering Innovation in the Australian Public Service, Canberra, www.apsc.gov.au/sites/g/files/net4441/f/empoweringchange.pdf.
OCDE (2017a), Fostering Innovation in the Public Sector, OECD Publishing, Paris, http://dx.doi.org/10.1787/9789264270879-en.
OCDE (2017b), What’s possible? Finding and filtering innovative ideas, OECD Observatory of Public Sector Innovation, www.oecd.org/media/oecdorg/satellitesites/opsi/contents/files/OECD_OPSI_GeneratingIdeasStudy_Alpha.pdf.
SCT (2017), Résultats du Sondage annuel auprès des fonctionnaires fédéraux de 2017 pour la fonction publique, Secrétariat du Conseil du Trésor, Ottawa (http://www.tbs-sct.gc.ca/pses-saff/2017/results-resultats/bq-pq/00/org-fra.aspx (consulté le 29 mars 2018).
Wernick, M. (2018), Allocution du greffier au forum des dirigeants sur la technologie et le gouvernement, Ottawa, https://www.canada.ca/fr/conseil-prive/nouvelles/2018/02/allocution_du_greffierauforumdesdirigeantssurlatechnologieetlego.html (consulté le 29 mars 2018).