Le présent chapitre examine le système d’innovation de la fonction publique du Canada à l’aide de quatre perspectives du modèle en vue d’obtenir une compréhension de l’incidence des initiatives, des facteurs et des évolutions en cours.
Le Système d'innovation de la fonction publique du Canada
Chapitre 6. Évaluation des efforts en cours
Abstract
Aperçu
Le chapitre précédent a présenté un modèle pour étudier les divers déterminants de l’innovation dans un système d’innovation du secteur public. Chacun de ces déterminants peut ensuite servir de lentille par laquelle on peut visionner un système d’innovation – en utilisant chacun d’eux comme objectif premier, que constate‑t‑on parmi les diverses activités en cours? Ce chapitre étudie les efforts d’innovation de la fonction publique du Canada à travers les quatre lentilles de ce cadre afin de donner un sens à l’incidence cumulative des initiatives, des activités et des programmes variés en place.
L’éventail d’activités encourageantes qui ont déjà lieu indique l’investissement et les mesures considérables qui ont déjà eu lieu pour veiller à ce que la fonction publique puisse puiser dans l’innovation afin d’obtenir de meilleurs résultats pour les citoyens canadiens. Certaines de ces initiatives risquent de changer sensiblement la façon dont l’innovation est comprise, entreprise et pratiquée.
Toutefois, il faut en faire davantage pour que la fonction publique du Canada puisse réaliser sa propre ambition de devenir une fonction publique véritablement innovante. Le système d’innovation du secteur public a déjà fortement évolué, mais on peut aller plus loin encore. Dans l’étude des efforts d’innovation actuels de la fonction publique réalisée à travers les lentilles du modèle, ce chapitre tente d’examiner et de cerner des secteurs possibles où des efforts supplémentaires pourraient être utiles.
Le modèle, tel qu’il est présenté dans le chapitre précédent, ne se veut pas normatif. Il introduit plutôt un cadre destiné à faciliter la compréhension de l’incidence totale des diverses initiatives et des divers facteurs en jeu dans tout le système. Le modèle est aussi censé offrir aux acteurs individuels du système un moyen d’évaluer la robustesse de celui‑ci pour leur permettre d’évaluer leurs propres contributions ainsi que les autres éléments qui pourraient être nécessaires.
La nécessité d’une évaluation continue sera particulièrement importante alors que le « niveau » voulu de rendement de l’innovation sera continuellement ajusté et changé au fil du temps. Par conséquent, les « bons » paramètres et les « bonnes » activités ne resteront pas corrigés. Le modèle devrait donc servir de moyen de réévaluation à mesure que les circonstances et que le goût de l’innovation changent, et ce, afin d’orienter l’ajustement des activités dans l’avenir.
Notons qu’un des aspects les plus problématiques d’un système d’innovation émergent, et donc fragmenté, est qu’il peut être difficile de déterminer ce qui fait assurément partie du système, et ce qui n’en fait pas partie. Des facteurs qui, a priori, peuvent ne pas sembler être liés à l’innovation (p. ex. tout ce qui change l’appétit ou la culture de risque, comme une crise, un scandale ou un problème de mise en œuvre majeur) peuvent avoir une incidence sur le système. De plus, les innovations, étant nouvelles, ne seront pas toujours immédiatement reconnues. Il est donc hautement difficile de déterminer toutes les composantes qui sont pertinentes (ou qui pourraient l’être) dans un système fragmenté où l’innovation n’est que vaguement comprise.
Cet examen tente donc de cerner les éléments susceptibles d’être les plus pertinents pour la pratique et l’infrastructure de l’innovation. Cet exercice n’est pas exhaustif et ne peut l’être, étant donné que tout système comporte une myriade de processus qui ont souvent lieu en même temps. On a plutôt l’intention de présenter un portrait d’ensemble au lieu de préciser chaque nuance. Une conséquence naturelle est que des activités et des éléments existants ont été omis, sont manquants ou pourraient être interprétés différemment. Cependant, l’objectif général est de fournir un point de départ à l’étude des forces et des faiblesses générales du système.
Compte tenu des activités actuelles, les évaluations générales suivantes peuvent être faites :
Clarté : Des étapes importantes ont été franchies et contribuent à renforcer le sentiment de clarté quant à l’innovation et à son importance. Toutefois, les preuves sont moins claires pour montrer que ces étapes seront suffisantes pour contribuer à intégrer pleinement l’innovation au « récit » général de la fonction publique du Canada et à l’interprétation que les gens en ont.
Parité : D’importants efforts ont déjà été déployés en ce qui concerne la parité, et on devrait les reconnaître (et en tirer des leçons). On pourrait en faire davantage pour augmenter la prise de conscience de ce qui est maintenant possible afin de lutter contre les perceptions et les options par défaut héritées qui présument qu’une chose est impossible. À d’autres égards, il est toujours possible d’en faire davantage pour contribuer à contester la dominance du statu quo quant à ce qui est considéré comme possible et approprié.
Pertinence : De bien des manières, la question de la pertinence est le secteur où l’on en sait le moins sur ce qui fonctionne, et donc sur ce qui doit avoir lieu. Les activités déjà en cours peuvent être suffisantes, mais il s’agit d’un secteur qu’il faudra observer et suivre au fil du temps afin de vérifier si des étapes suffisantes sont franchies.
Normalité : Il s’agit d’un domaine où des initiatives centrales peuvent fixer les paramètres ou accorder la licence, mais une grande part de la responsabilité devra être renforcée dans tout le système, dans des agences différentes et par des acteurs différents. Divers éléments sont en place, mais leur efficacité devra être observée au fil du temps.
La section qui suit examine en détail chacune des lentilles, y compris les forces actuelles et les lacunes possibles.
Lentille 1 : Clarté
Est‑ce qu’un message clair est envoyé aux acteurs du système à propos de l’innovation et de la place qu’elle occupe parmi les autres priorités?
Des faits récents ont contribué à renforcer et à clarifier grandement le message sur l’innovation, son importance et son rôle :
La mention explicite de l’expérimentation dans les lettres de mandat du premier ministre aux ministres précisait les attentes et les exigences d’une plus grande innovation dans la quête des priorités gouvernementales.
La Déclaration fédérale, provinciale et territoriale sur l’innovation dans le secteur public (voir l’encadré 6.1) décrivait un consensus du secteur public national quant à l’importance de l’innovation, à l’utilité de celle‑ci et aux possibilités de collaboration et d’apprentissage commun.
La mise sur pied du Groupe de travail des sous‑ministres sur l’innovation dans le secteur public (GT‑ISP) (voir l’encadré 6.12) et de son groupe connexe, les Entrepreneurs du GC (voir l’encadré 6.15), met en évidence l’importance de l’innovation pour la haute direction et contribue à démontrer la volonté de celle‑ci de tenter de nouvelles choses et d’engager des ressources dédiées.
L’Unité de l’impact et de l’innovation (Bureau du Conseil privé) et l’Équipe de l’innovation et de l’expérimentation (Secrétariat du Conseil du Trésor) envoient toutes deux un message structural important des organismes centraux : l’innovation est considérée comme faisant partie intégrante du travail de la fonction publique.
L’établissement de l’Initiative Impact Canada (voir l’encadré 6.5) illustre que l’innovation n’est pas accessoire aux activités de base du gouvernement, mais qu’elle est au cœur de la façon dont on les réalisera.
Ces changements, conjointement avec un éventail d’initiatives et d’activités à plus petite échelle, illustrent un virage incontestable de l’environnement opérationnel et le passage à un état où l’on trouve dans le système un message plus fort et plus clair à propos de l’innovation. Par conséquent, les employés de la fonction publique du Canada auront de plus en plus de difficulté à rester inconscients de l’accent accru qui est mis sur l’innovation.
Ce message n’a toutefois pas encore été intégré à des aspects plus opérationnels. On pourrait n’avoir besoin que de temps et d’efforts pour veiller à ce que le message demeure cohérent et fort. Sinon, d’autres mesures, un accent supplémentaire ou d’autres précisions peuvent être nécessaires.
Encadré 6.1. Déclaration fédérale, provinciale et territoriale sur l’innovation dans le secteur public
Le 14 novembre 2017, les commis fédéral, provinciaux et territoriaux et les secrétaires du Cabinet ont signé la déclaration suivante, décrivant les mesures qu’ils prendraient pour soutenir l’innovation dans le secteur public à l’échelle du Canada.
« Afin d’obtenir des résultats concrets et durables pour les populations qu’ils servent, les gouvernements doivent trouver des façons nouvelles et créatrices de travailler, en portant une attention à ce qui fonctionne et à ce qui ne fonctionne pas. L’innovation n’est pas un simple moteur de croissance économique, elle a le potentiel de résoudre les grands défis auxquels nous sommes confrontés en tant que Canadiens.
Il importe de déployer des efforts constants en matière d’innovation, d’expérimentation et d’ouverture, et ce même si cela comporte des risques. Nous devons faire preuve d’ambition et de souplesse et travailler en collaboration, afin d’obtenir des résultats concrets et durables. Nous devons nous appuyer sur la diversité, l’ingéniosité et la créativité des Canadiens pour résoudre les problèmes réels. En cette période de changements et d’incertitude considérables, le plus grand risque est en fait celui d’avoir peur d’oser et d’essayer de nouvelles façons de faire.
À la suite de cette troisième Conférence annuelle des greffiers et des secrétaires de Cabinet sur l’innovation en matière de politiques, nous, les greffiers et les secrétaires de Cabinet fédéral, provinciaux et territoriaux, nous engageons à prendre les mesures suivantes en vue d’appuyer l’innovation dans le secteur public :
Rechercher et appliquer des points de vue, des idées, des outils et des technologies nouveaux pour résoudre des problèmes complexes au sein des gouvernements et entre ceux-ci dans le but de continuellement améliorer les politiques, les programmes et les services;
Expérimenter et mesurer les résultats en cernant ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas, de sorte à investir dans ce qui produira le meilleur impact;
Transmettre les connaissances et les données aux citoyens, de façon ouverte et transparente, tout en apprenant de ces derniers et en intégrant leurs expertises et leurs points de vue à notre travail;
Donner la priorité aux citoyens en collaborant avec tous les secteurs de la société, y compris les peuples autochtones, les organismes des secteurs caritatif et privé, et la société civile pour concevoir et mettre en œuvre conjointement de meilleurs politiques, programmes et services;
Saisir les occasions de collaborer sur des projets de défis et de prix, et d’autres mécanismes de financement axés sur les résultats;
Poursuivre le dialogue en matière d’innovation et d’expérimentation dans l’ensemble du Canada en échangeant nos expériences et connaissances, en tissant des liens et en établissant des partenariats dans le cadre de projets.
Le Canada est un pays résilient, inclusif, diversifié et visionnaire. Ce sont nos forces, et nous devons nous appuyer sur celles-ci pour devenir encore plus créatifs si nous voulons réussir dans un contexte de changements rapides sur le plan social, économique, environnemental et technologique. L’innovation rapide est désormais la norme dans les secteurs scientifiques, commerciaux et sociaux. L’adhésion à cette culture d’innovation n’en est pas moins importante pour le secteur public et elle est essentielle pour bâtir des collectivités inclusives et durables. »
Source : Gouvernement du Canada (2017).
Les acteurs comprennent ce que signifie l’innovation
L’innovation est de toute évidence importante; toutefois, il n’est pas encore manifeste qu’il y ait une interprétation commune de la véritable signification de l’innovation. Une partie de cette incertitude quant à la définition ou au concept sera résolue par une communication continue du centre du gouvernement et des dirigeants principaux à propos de ce que l’innovation signifie pour eux. D’autres points d’incertitude seront résolus alors que de plus en plus de gens s’impliqueront dans le processus d’innovation. Il y a toutefois des secteurs possibles où ces approches peuvent ne pas être suffisantes.
Ainsi, des acteurs de l’extérieur du secteur public peuvent ne pas avoir une idée nette de ce que la fonction publique entend par « innovation ». En outre, en l’absence d’une interprétation claire et commune de l’innovation dans la fonction publique, il est peu probable que les personnes de l’extérieur du secteur (l’industrie, les organismes sans but lucratif, les autres partenaires possibles et les intervenants) estiment pouvoir aisément collaborer aux questions liées à l’innovation (possibilités, secteurs problématiques, etc.) Cela peut conduire à des attentes inégales qui pourraient nuire aux efforts d’innovation.
De plus, alors que la pratique de l’innovation se fait plus sophistiquée dans certains secteurs, il est probable que certaines personnes posséderont une compréhension très nuancée et étoffée des nuances de l’innovation et du vocabulaire associé, tandis que la population générale aura une compréhension plus rudimentaire du terme et de son importance. Il y a donc une possibilité de confusion alors que le langage disponible servant à parler de l’innovation se développera plus rapidement que la compréhension et la pratique collectives de l’innovation.
Par exemple, en tant que conséquence naturelle de l’accent mis sur l’expérimentation, un nouveau langage a été introduit (voir l’encadré 6.2) sous le chapiteau général de l’innovation. Cela a toutefois contribué à une certaine confusion, puisque les deux concepts, liés mais distincts, sont devenus confondus ou embrouillés pour certains.
Encadré 6.2. Directives relatives à l’expérimentation à l’intention des administrateurs généraux – décembre 2016
En décembre 2016, le Secrétariat du Conseil du Trésor (SCT) et le Bureau du Conseil privé (BCP) ont publié des directives renforçant l’engagement du gouvernement de consacrer un pourcentage fixe des fonds de programme à l’expérimentation, en plus de présenter un contexte et des directives à l’intention des administrateurs généraux sur la façon de concrétiser cet engagement.
Les directives définissent l’essai de nouvelles approches dans le but de déterminer ce qui fonctionne et ne fonctionne pas en s’appuyant sur une méthode rigoureuse qui peut inclure :
une conception expérimentale délibérée, réfléchie et éthique;
des comparaisons entre les interventions et les cas de base pour saisir les éléments probants (p. ex., essais contrôlés randomisés, tests A/B, expériences contrefactuelles, données de base sur le rendement, tests avant/après);
l’affectation randomisée à des groupes de test et de contrôle, dans la mesure du possible;
la mesure rigoureuse des répercussions et l’évaluation rigoureuse de la causalité;
la publication transparente des résultats, qu’ils soient positifs, négatifs ou neutres.
Source : Gouvernement du Canada (2016).
Cette tension particulière se réglera probablement d’elle‑même au fil du temps, alors que l’expérimentation deviendra plus intégrée et avec l’aide d’acteurs clés de la fonction publique, surtout dans les organismes centraux (p. ex. le SCT, le BCP). Toutefois, à mesure qu’augmente le langage sous le chapiteau de l’innovation (p. ex. l’introspection comportementale, l’investissement axé sur l’incidence/les finances novatrices, l’expérimentation, la réflexion conceptuelle, la prospective, l’entrepreneuriat), une confusion accrue est possible.
L’inclusion d’exemples d’innovation dans les rapports de haut niveau peut favoriser la compréhension, même s’il ne semble pas y avoir de moyen facile, pour les personnes de la fonction publique, ou pour celles de l’extérieur, d’acquérir une vue d’ensemble des activités novatrices qui ont lieu dans l’ensemble du système.
L’expérience directe de l’innovation et la participation directe à celle‑ci demeureront probablement un moyen efficace de réduire le manque de clarté quant à la signification de l’innovation. Malgré le nombre croissant de projets ou d’initiatives liés à l’innovation où de nouvelles approches sont utilisées ou appropriées, il faudra toujours probablement un certain temps à la plupart des fonctionnaires pour acquérir une expérience directe de l’innovation. En se fiant à des directives descendantes pour veiller à une telle participation, on peut ne pas produire, dans le système, de « masse critique » de compréhension de l’innovation, de sa signification, de son aspect et de la raison de son importance.
Une clarté accrue peut être obtenue en habilitant les acteurs de connaissances et de compétences permettant de mieux évaluer les possibilités d’innovation dans leur propre contexte. Des équipes d’innovation et des laboratoires, par exemple, peuvent constituer un moyen plus systématique d’y parvenir (voir l’encadré 6.3).
Encadré 6.3. Le Laboratoire d’innovation sociale de l’Office de l’efficacité énergétique
« Relations, possibilités puis action »
Le Laboratoire d’innovation sociale de l’Office de l’efficacité énergétique (OEE) à Ressources naturelles Canada cherche à créer conjointement une transformation des services en appliquant de nouvelles méthodes et approches liées aux politiques. Le laboratoire évide d’inscrire une méthodologie au cœur de ses travaux. Il accorde plutôt une grande importance à l’élément « humain » et à la compréhension du contexte, aux relations et à la façon optimale dont le laboratoire peut ajouter de la valeur. Ce n’est qu’en comprenant les personnes concernées et le contexte que l’équipe du laboratoire peut commencer à comprendre les besoins, puis les possibilités de changement.
Parmi ses projets, le laboratoire a contribué à des initiatives dans un éventail de domaines :
Le laboratoire s’emploie à mobiliser les Canadiens au moyen de leur téléphone intelligent à propos de la prise de conscience de l’efficacité énergétique et des mesures à prendre. Pour ce faire, on a collaboré avec Carrot Insights afin de récompenser les Canadiens pour prendre davantage conscience du symbole Energy Star qui identifie les produits à haute efficacité.
Le laboratoire a adopté une approche chevauchant plusieurs administrations afin d’améliorer l’adoption de l’étiquetage et des rapports ÉnerGuide dans le secteur du logement.
Le laboratoire cherche à augmenter la prise de conscience et l’adoption des véhicules à haut rendement énergétique
Non seulement ces projets ont offert à l’OEE un moyen d’examiner de nouvelles approches, mais ils ont aussi offert au laboratoire une occasion de mettre à l’essai et de développer son offre, en plus de comprendre comment il peut contribuer le mieux à intégrer des améliorations et des innovations continues à la prestation de services de base.
Le laboratoire constitue aussi une source de conseils sur l’expérimentation et la facilitation pour les autres membres du personnel de l’OEE. Par conséquent, tout le personnel du laboratoire a été formé sur l’apprentissage des pratiques organisationnelles par l’entremise de la communauté de pratique de l’apprentissage de l’organisation.
Le laboratoire adopte une approche d’évaluation ministérielle pour s’assurer qu’il apprend et auto‑évalue continuellement au fil de ses activités. Établi au début de 2016, le laboratoire a pris du temps et des investissements pour développer son expertise, la compréhension de l’environnement opérationnel et du modèle opérationnel du laboratoire. Un défi pour le laboratoire a été de contribuer à approfondir la compréhension de ce que sont les « résultats » – le fait qu’ils comprennent l’apprentissage, l’introspection, le renforcement des capacités et les connaissances, tout cela servant ensuite à éclairer les projets futurs. Bref, les résultats ne sont pas seulement une question de réalisations : ils consistent aussi préparer l’organisation pour l’avenir.
En dernier lieu, le Laboratoire d’innovation sociale démontre en quoi les laboratoires d’innovation peuvent contribuer à partir d’un concept parfois ambigu et abstrait (l’innovation) et à en faire quelque chose de très réel et tangible dont le personnel et les intervenants trouvent une importance et un écho dans le monde réel.
Source : Entrevues
On pourrait croire qu’il faut plus d’efforts pour outiller, habiliter, exposer et mobiliser les fonctionnaires et les acteurs externes avant que l’innovation du secteur public devienne significative à l’échelle du système, plutôt qu’au niveau individuel ou organisationnel. Il sera aussi important que l’apprentissage de l’innovation effectué sur le terrain alimente l’interprétation commune de l’innovation.
Les acteurs interprètent l’innovation par rapport à d’autres priorités et programmes
L’accent qui est mis actuellement sur l’innovation au niveau politique, par la haute direction et dans les organismes clés du gouvernement central, permet d’établir que l’innovation constitue un programme important. Il n’est toutefois pas encore manifeste que les initiatives en place seront suffisantes pour contextualiser l’innovation dans la série d’autres programmes.
Par exemple, le travail lié aux résultats et à la livraison (voir l’encadré 6.4) consiste à s’assurer que les priorités du gouvernement sont respectées. Toutefois, par sa nature même, une approche des résultats et de la livraison sera implicitement défavorable aux interprétations et aux façons de voir le monde actuelles, et elle peut donc causer une tension avec l’innovation. Elle peut aussi apporter une grande contribution à l’innovation en contribuant à cerner des secteurs où les approches actuelles ne répondent pas aux attentes et aux priorités; or cela ne sera en aucun cas automatique.
En présence d’un accent continu et constant sur l’innovation, la raison d’être de l’innovation, le moment où elle a lieu et la façon dont elle survient, par rapport aux autres programmes, peuvent devenir moins évidents pour les acteurs en cause. On ne devrait toutefois pas le présumer, et il peut s’agir d’un secteur où d’autres éléments doivent être pris en considération.
Encadré 6.4. Approche des résultats et de la livraison
Le gouvernement tient résolument à produire des résultats concrets et significatifs pour les Canadiens. Le respect des engagements énoncés dans les lettres de mandat est essentiel, mais pas suffisant. L’objectif du gouvernement est d’améliorer les résultats pour les Canadiens, ce qui passe par la présentation de rapports sur les résultats à court, à moyen et à long terme. Le gouvernement met en œuvre l’approche axée sur les résultats et la livraison, qui s’appuie sur les pratiques exemplaires en place au Canada et partout dans le monde. Elle se caractérise par trois activités :
définir clairement les objectifs des programmes et des politiques (que tentons‑nous d’accomplir?);
allouer davantage de ressources à la planification et à la mise en œuvre (comment atteindrons‑nous nos objectifs?);
mesurer systématiquement les progrès par rapport aux résultats souhaités (est-ce que nous atteignons nos objectifs? Comment corrigerons-nous le tir si nous ne l’atteignons pas?).
Aux termes de cette approche, il faut non seulement des indicateurs et des rapports sur nos activités, mais également sur les répercussions des actions du gouvernement sur les choses qui importent aux Canadiens. Cette approche axée sur les résultats et la livraison contribuera à faire en sorte que le gouvernement a un impact positif sur les Canadiens et qu’il est sur la bonne voie concernant le respect de ses engagements.
L’approche des résultats et de la livraison est fondée sur une planification minutieuse, la mesure du rendement, des faits empiriques solides et une collaboration plus ouverte avec nos partenaires et avec les Canadiens.
Source : Gouvernement du Canada (2018a).
La place privilégiée qu’occupe l’innovation dans les divers programmes du gouvernement peut aussi devoir être mieux communiquée aux acteurs qui sont à l’extérieur de la fonction publique, mais qui font tout de même partie du système d’innovation (industrie, organismes sans but lucratif, etc.) Des activités comme l’Initiative Impact Canada peuvent être utiles à cet égard en soulignant les secteurs préoccupants et les secteurs où des activités novatrices sont recherchées. Il pourrait toutefois y avoir d’autres approches dont le gouvernement ou la fonction publique peut se servir pour indiquer où et comment l’innovation est voulue.
Encadré 6.5. Initiative Impact Canada
L’Initiative Impact Canada (IIC) est un effort pangouvernemental qui aide les ministères à accélérer l’adoption d’approches fondées sur les résultats afin de générer des retombées concrètes pour les Canadiens. Elle donne un exemple marquant d’efforts visant à souligner la nécessité et l’utilité de l’innovation pour réaliser les priorités du gouvernement.
L’IIC promeut une série d’approches novatrices, dont les suivantes :
Défis : L’IIC prévoit des prix décernés à ceux qui peuvent trouver la première solution, ou la solution la plus efficace, à un problème défini. On y emploie aussi des concours structurés et ouverts pour solliciter des propositions visant à financer les meilleures idées présentant un potentiel de résolution de problèmes thématiques.
Paiement en fonction des résultats : L’IIC utilise des instruments personnalisés pour rediriger l’attention vers le versement de paiements en fonction des bénéficiaires de financement qui obtiennent des résultats sociaux positifs et mesurables (p. ex. obligations à impact social, mécanismes de paiement au succès).
Les premiers domaines d’intervention comprenaient les suivants :
Défi des villes intelligentes (avec Infrastructure Canada) : Cette initiative permet aux collectivités d’améliorer la vie de leurs résidents grâce à l’utilisation des données et des technologies connectée.
Impact Tech Propre (avec Ressources naturelles Canada) : Cette initiative cherche des solutions technologiques révolutionnaires pour favoriser une croissance propre et la transition vers une économie à faibles émissions de carbone.
Faire face à la crise des opioïdes au Canada (avec Santé Canada et d’autres partenaires fédéraux) : Cette initiative accélère l’adoption d’approches novatrices face à la réduction des méfaits et aux traitements.
Améliorer les résultats pour les peuples autochtones (avec Services aux Autochtones Canada) : Cette initiative vise à améliorer la prestation de services grâce à la cocréation de nouveaux modèles de partenariats fructueux avec les communautés autochtones et la société civile.
Source: Gouvernement du Canada (2018b).
Les acteurs comprennent les rôles qui sont joués dans le système de l’innovation
Alors que le système évolue au fil du temps et devient plus sophistiqué, on risque d’acquérir une compréhension plus nette des rôles respectifs et des démarcations entre responsabilités. Ces rôles évolueront probablement alors que l’on saisira mieux ce qu’il faut et les divers acteurs qui sont le mieux placés pour l’offrir. Au fil de l’apparition de nouvelles capacités ou de nouvelles poches d’expertise, de spécialisation ou de soutien, des arrangements de gouvernance plus formels relatifs à l’innovation peuvent devenir appropriés.
Toutefois, même s’il peut y avoir des responsabilités qui sont claires pour certaines initiatives, une bonne partie de l’innovation se produira dans l’« espace blanc », l’espace entre ces responsabilités. L’innovation se produit souvent en marge, où les sphères d’influence sont floues et on peut ne pas savoir clairement qui au juste est responsable. Une orientation formelle sur les rôles s’avérera insuffisante dans de tels espaces, étant donné que la volonté de contribuer et de collaborer sera déterminée par les relations (leur vigueur et leur qualité) plutôt que par le mandat. Cet aspect de relation dépendra probablement d’aspects plus informels des activités, comme les réseaux, la collaboration et l’exploration conjointe.
Un élément à prendre en considération ici pourrait être la schématisation des différents rôles possibles qui sont joués (ou qui peuvent l’être), de façon analogue à ce qui a été fait au Danemark avec les huit archétypes de l’innovation (voir l’encadré 5.3 au chapitre 5). Il pourrait aussi être approprié d’établir plus formellement la façon dont les différents acteurs remplissent des rôles fonctionnels différents et/ou les capacités qu’ils sont le mieux placés pour offrir, ainsi que la façon dont on leur affectera des ressources et on les soutiendra. Une réflexion plus délibérée sur ce qui pourrait être prévu, et sur ce que les acteurs du secteur privé et du tiers secteur peuvent offrir, peut également être appropriée.
Les acteurs observent la place qu’occupe l’innovation dans l’histoire et le contexte communs
L’interprétation de la place qu’occupe l’innovation dans l’histoire et le contexte communs est aussi une chose qui évoluera probablement avec le temps alors que le système d’innovation se développera et que plus d’activités auront lieu. Tel qu’il en a été question aux chapitres 2 et 4, on peut affirmer à juste titre que l’innovation ne superpose pas encore parfaitement l’histoire de la fonction publique du Canada, malgré une histoire marquée par l’innovation et la quête d’innovation. Des engagements formels comme la Déclaration faciliteront ce processus, mais ils sont peu susceptibles de changer rapidement l’interprétation. Malgré une inclusion répétée, l’intégration de l’innovation à l’exposé narratif dominant sur la fonction publique n’a pas encore eu lieu. Il est peu probable, alors, que les activités en cours contribuent sensiblement à la modification de cette perception. Il peut être approprié d’envisager une approche semblable à celle employée au Danemark (voir l’encadré 5.4 au chapitre 5), où l’innovation a été plus explicitement intégrée à l’identité auto‑perçue du secteur public. Cela pourrait aussi être facilité par une plus grande reconnaissance du rôle que l’innovation a déjà joué dans l’histoire de la fonction publique du Canada.
Résumé
Un certain nombre d’étapes importantes ont contribué à renforcer la clarté quant à l’innovation et son importance. Toutefois, les preuves sont moins claires pour montrer que ces étapes seront suffisantes pour intégrer pleinement l’innovation au « récit » général de la fonction publique du Canada et à l’interprétation que les gens en ont.
Lentille 2 : Parité
Au moment de songer aux mesures à prendre, les acteurs accordent‑ils aux options novatrices le même poids que les lignes de conduite existantes ou traditionnelles?
Des faits récents importants ont contribué à une plus grande parité entre l’innovation et les opérations où le statu quo est maintenu :
L’équipe spéciale mise sur pied pour réduire les formalités administratives à l’interne, dans le cadre d’Objectif 2020, son processus d’examen de la paperasse interne et ses recommandations en vue de réduire les obstacles inutiles au bon fonctionnement de la fonction publique.
L’introduction de l’engagement de l’expérimentation dans les lettres de mandat du gouvernement, et les directives relatives à l’expérimentation associées, ont offert une structure pour remettre en question les façons de faire existantes.
Le Groupe de travail des sous‑ministres sur l’innovation dans le secteur public, et l’accent qu’il met sur la transformation des systèmes de base et les solutions perturbatrices liées aux politiques, offre un catalyseur de haut niveau pour les nouveaux raisonnements.
Le programme de renouvellement de la fonction publique cherche à veiller à l’excellence continue des services publics, et il contribue donc à se demander si la pratique existante représente la meilleure option.
La Politique sur les paiements de transfert (voir l’encadré 6.6) et l’Initiative Impact Canada permettent toutes deux d’employer des options non traditionnelles pour utiliser les fonds gouvernements afin de résoudre les problèmes.
La politique de la nouvelle orientation en dotation est conçue pour simplifier et rationaliser la dotation, mettre en place des processus d’embauche plus diversifiés et introduire des approches agiles en matière de dotation et de politiques.
Toutes ces initiatives prouvent que les acteurs peuvent et devraient remettre en question le statu quo en quête d’autres approches. Il se peut toutefois que bon nombre de ces initiatives ou approches soient toujours considérées comme des cas spéciaux ou ne s’appliquent qu’à des questions précises plutôt que d’être une philosophie qui s’appliquera de façon plus générale. En parallèle, bon nombre des personnes occupant un poste de direction peuvent ne pas estimer que la parité est appropriée, étant donné qu’il faut respecter les engagements existants cernés plutôt que consacrer du temps à l’exploration – possiblement infructueuse – d’idées non éprouvées.
Un risque possible dans le domaine de la parité – qui ne s’est pas encore concrétisé, mais qui pourrait manifestement se présenter – est que le centre demandera de plus en plus que l’on change les obstacles perçus et que l’on facilite les mesures à prendre. La pression exercée pour éliminer les blocages ou les obstacles désignés peut conduire à des réactions par les secteurs pertinents de la fonction publique et au retrait des blocages perçus. Toutefois, si les blocages désignés ne sont pas la vraie source du problème, leur retrait ne changera pas la dynamique sous‑jacente de l’innovation, et le problème restera inchangé. Il peut en découler une pression continue pour que l’on intervienne, conduisant à d’autres changements ou au retrait d’autres blocages perçus. Ce cycle crée un risque que le changement se produise plus rapidement que la capacité du système de connaître les répercussions possibles. On pourrait ainsi viser trop haut dans certains secteurs, avec la possibilité d’un refoulement une fois que les résultats seraient visibles (p. ex. si une expérience était entreprise sans l’expertise à l’appui requise). Une telle dynamique peut avoir fait partie du déséquilibre en cours entre le contrôle excessif et la liberté excessive qui a été observé pendant le parcours historique de l’innovation (voir le chapitre 2).
Des quatre lentilles, la parité peut être le domaine présentant le plus grand risque que la fonction publique canadienne intervienne trop dans certains secteurs tout en ne changeant pas suffisamment les choses dans bien d’autres.
Les processus se prêtent à la contestation
L’ouverture de la fonction publique face aux nouvelles façons de faire a été démontrée dans un certain nombre d’initiatives importantes. Parmi ces initiatives, l’une des plus importantes, du point de vue de la procédure, est peut‑être la nouvelle politique sur les paiements de transfert, qui permet aux organismes d’avoir recours au financement incitatif au cours d’une période pilote de cinq ans (voir l’encadré 6.6).
Encadré 6.6. Politique sur les paiements de transfert (modalités génériques pour les paiements de transfert novateurs)
Le Secrétariat du Conseil du Trésor donne de nouvelles options aux ministères pour distribuer les subventions gouvernementales et établir des programmes de contribution qui visent à résoudre les problèmes existants. Le nouveau modèle du SCT, intitulé « modalités génériques », s’applique à tous les ministères et organismes visés par la Politique du Conseil du Trésor sur les paiements de transfert. Ce nouveau modèle permet aux organismes d’avoir recours au financement fondé sur des mesures incitatives, à des prix et défis et au microfinancement au cours d’un projet pilote de cinq ans. Ces outils aideront le gouvernement du Canada à passer graduellement du financement fondé sur les tâches et les activités au financement fondé sur l’atteinte d’objectifs concrets.
Source : Gouvernement du Canada (2018c).
Un autre exemple est le travail qui est accompli afin de réduire la paperasse par l’entremise de l’équipe spéciale mise sur pied pour réduire les formalités administratives à l’interne Team (voir l’encadré 6.7). Cet exercice important ne se limitait pas à l’innovation; il a aussi contribué à la réflexion sur des façons dont on pourrait atténuer les obstacles administratifs et de la bureaucratie interne.
Encadré 6.7. « Réduire les formalités administratives à l’interne – Créer une culture de service »
D’après le rapport de septembre 2016 de l’équipe spéciale mise sur pied pour réduire les formalités administratives à l’interne :
Principales constatations
[Traduction] « D’après l’étendue et l’intensité des commentaires reçus, la paperasse interne est un enjeu important pour les fonctionnaires de tous les ministères et de toutes les régions. Les fonctionnaires reconnaissent de façon générale que dans une grande organisation complexe comme le gouvernement fédéral, les règles contribuent à exercer une bonne gérance, gouvernance et reddition de comptes. Toutefois, même s’ils reconnaissent la nécessité des règles, les fonctionnaires ont fait observer que les règles, les politiques et les lignes directrices sont difficiles à trouver, et, une fois qu’elles sont trouvées, elles sont difficiles à comprendre. Ce jugement s’applique à la fois aux politiques du Conseil du Trésor et au grand nombre de règles complémentaires créées par les ministères.
Lorsqu’on leur a demandé de décrire leurs expériences de la paperasse interne, les fonctionnaires ont relevé un large éventail de facteurs qui entravent leur capacité d’accomplir leur travail. La paperasse interne va bien au‑delà des règles; elle englobe le comportement face aux règles. Elle se manifeste par la difficulté d’obtenir des directives claires, avec des renseignements cloisonnés, un piètre service à la clientèle et, finalement, une surcharge de processus. Il convient de souligner que des solutions technologiques récentes qui avaient été introduites – comme MaClé, la gestion du rendement et le portail de voyages – ont été citées comme sources de frustration.
Une analyse approfondie des causes sous‑jacentes de la paperasse interne a révélé de grands thèmes récurrents. Les procédures et les processus ministériels sont souvent plus étoffés que ne l’exige la politique du Conseil du Trésor. Les transactions suivent généralement des processus fastidieux semblables, peu importe au niveau de risque, et on a rarement recours aux marges de manœuvre existantes. De plus, la crainte d’une vérification est souvent citée comme un catalyseur des procédures et des demandes de documentation. Cela a créé un climat où le service à la clientèle est relégué au second plan après les processus. Et en dernier lieu, les spécialistes fonctionnels autant que les clients ont affirmer se sentir impuissants à changer le système.
Principales recommandations
1. Améliorer les règles – Se servir de l’exercice de renouvellement de l’ensemble des politiques en cours au Conseil du Trésor pour rationaliser les règles et clarifier les responsabilités. Les ministères devraient ensuite examiner leurs politiques ministérielles internes pour s’assurer qu’elles ne sont pas double emploi ou qu’elles ne créent pas de fardeau inutile.
2. Mettre l’accent sur l’utilisateur – Faciliter, pour les fonctionnaires, le fait de suivre les règles en fournissant des renseignements, une orientation, une formation et des outils qui répondent aux besoins des utilisateurs, y compris les spécialistes fonctionnels et leurs clients. S’assurer que toute solution technologique est conçue en fonction de l’utilisateur, a été testée par l’utilisateur et est assortie d’une boucle de rétroaction en vue de s’améliorer.
3. Améliorer le rendement des services – Formuler des mesures du rendement robustes qui accordent la priorité aux normes en matière de service à la clientèle afin de contrebalancer l’accent mis sur le respect des règles et la conformité. Une stratégie de service pour les services internes est cruciale pour réduire la paperasse interne.
4. Changer la culture – Résister aux comportements et aux incitatifs qui favorisent la paperasse, comme la tendance à réagir aux événements en superposant des contrôles et des processus. Prévoir des marges de manœuvre et des pratiques adaptables qui réagissent au niveau de risque pour une transaction. Récompenser les comportements voulus. »
Source : SCT (2016).
De telles étapes procédurales contribuent à garantir que la légitimité des processus existants n’est pas tenue pour acquise – que l’innovation est, et devrait, être prise en considération.
Pour ce qui est de créer une demande de contestation des processus, l’engagement de l’expérimentation offre un moyen structural de s’assurer que les organismes réfléchissent à la façon dont une partie de leurs fonds sont actuellement dépensés et se demandent s’il pourrait y avoir d’autres options. Avec le temps, on pourrait ainsi offre un des moyens les plus importants de s’assurer que les processus se prêtent à la contestation alors que l’offre continue d’initiatives novatrices serait confrontée à des processus conçus pour des approches plus conventionnelles.
Un autre élément à prendre en considération en ce qui concerne la contestation des processus est qu’à mesure que de nouvelles approches novatrices sont tentées, de nouvelles entraves ou de nouveaux obstacles ou blocages verront le jour ou seront relevés. Ces obstacles peuvent ne pas toujours être faciles à exprimer (p. ex. les tentatives d’exploiter des notions de l’économie de partage pourraient être confrontées à des hypothèses ou à des processus de travail non énoncés). Il n’est en outre pas toujours facile de présenter des arguments favorables au changement, vu que les avantages ne seront pas prouvés, contrairement aux coûts et aux risques, qui sont plus susceptibles d’être bien définis et exprimés. Cela peut valoir particulièrement pour les acteurs qui se trouvent à l’extérieur de la fonction publique elle‑même, mais qui pourraient tout de même avoir des idées et des propositions présentant un bienfait public important. De tels acteurs sont peu susceptibles de s’être familiarisés avec le langage des processus dans la fonction publique ou de maîtriser ce langage.
Vu ces questions, des processus plus ouverts et délibérés, comme des mécanismes explicites de contestation qui permettent de relever les imprévus et d’en tenir compte, pourraient être appropriés.
Les goulots d’étranglement peuvent être contournés
Les propositions novatrices peuvent parfois être restreintes par inadvertance ou délibérément en raison des processus d’approbation et de la surveillance par la direction. Tel qu’il a été précisé au chapitre 4, la direction intermédiaire a été désignée comme une source de préoccupation en raison de sa tendance à éviter à l’occasion de se livrer suffisamment à l’innovation. Même si ce comportement peut constituer un goulot d’étranglement, il est souvent involontaire. Nombreuses sont les propositions novatrices qui sont peu susceptibles de s’agencer parfaitement aux projets existants ou aux champs de responsabilité définis, et un gestionnaire peut avoir de la difficulté à trouver le temps ou l’énergie nécessaire pour déterminer quoi faire avec une idée.
Des instruments comme une approche du genre Dans l’œil du dragon (concours de propositions d’idées) et une approche de gestion des idées (voir l’encadré 6.8) dans les ministères peuvent contribuer à pallier à ces goulots d’étranglement. De telles voies peuvent toutefois favoriser des styles de présentation particuliers et limiter la série de personnes impliquées.
Encadré 6.8. Fonds IdéAction d’Environnement et Changement climatique Canada
Le Fonds IdéAction d’Environnement et Changement climatique Canada est un fonds d’innovation ministériel conçu pour offrir aux employés des ressources comme des conseils d’experts, le soutien de la haute direction et un financement en vue de démarrer des projets novateurs qui viendront améliorer le Ministère ou les services aux Canadiens.
Source : Entrevues
Des événements plus informels comme Politique s’enflamme, qui offrent une tribune où les gens peuvent signaler et proposer des idées, peuvent aussi être utiles comme moyens d’exposer davantage les questions et les idées et de contourner possiblement les goulots d’étranglement.
Même s’ils sont souvent utiles, ces mécanismes sont soit moins utiles au niveau de tout le système, où des questions peuvent se présenter entre les organismes, où les questions devraient être examinées d’un point de vue formel au lieu de se fier à des voies informelles. Le Groupe de travail des sous‑ministres sur l’innovation dans le secteur public et les Entrepreneurs du GC peuvent être mieux placés pour servir de moyen de faire jaillir des idées et des questions qu’il pourrait autrement être difficile d’acheminer au bon décideur.
Même si elles ne sont pas explicitement conçues ainsi, les plateformes du GC (encadré 6.9) pourraient être considérées comme un mécanisme permettant d’offrir des forums ouverts, et donc comme un mécanisme possible pour contourner les goulots d’étranglement.
Encadré 6.9. Plateformes du GC
La fonction publique du Canada a établi un certain nombre de plateformes pour l’échange de renseignements et la collaboration internes. Ces plateformes comprennent GCconnex et GCcollab.
GCconnex est une plateforme gouvernementale interne de réseautage, d’échange de renseignements, de collaboration et d’un éventail de questions fonctionnelles. GCcollab est une version de la plateforme orientée vers l’extérieur. Elle offre un forum pour échanger, interagir et collaborer avec les intervenants externes. Les plateformes utilisent des logiciels à source ouverte, et d’autres services publics peuvent donc bâtir à partir d’elles, si on le souhaite.
Au cours de cet examen, les plateformes GCconnex et GCcollab ont été utilisées dans le cadre du processus de collecte et d’échange de renseignements afin de faciliter les interactions avec les fonctionnaires et de recueillir les points de vue d’un plus large éventail de participants sur l’innovation dans le secteur public.
Les plateformes démontrent une transformation lente, mais certaine où de petites étapes régulières représentent un virage graduel vers un changement important.
Il peut être souhaitable de tirer davantage parti des communautés de pratique ou des réseaux d’organismes existants pour jouer un rôle formel en vue de faire jaillir des idées et des questions qui seraient autrement susceptibles d’être exposées à des goulots d’étranglement.
Il existe des alliés
Les plateformes du GC sont en outre susceptibles d’aider ceux qui ont cerné une occasion d’innover à se trouver des alliés. En étant ouvertes, de telles voies peuvent aider des éléments du système général à s’organiser et à créer une pression ou à formuler des arguments en faveur d’un changement. De même, les réseaux, les communautés de pratique et les événements qui encouragent l’interaction, l’échange de renseignements et le mélange de points de vue différents (dont ceux venant de l’extérieur du secteur public) peuvent aussi être utiles. Cependant, à l’heure actuelle, de tels mécanismes sont principalement des voies informelles ou fondés sur des événements (p. ex. voir l’encadré 6.10).
Encadré 6.10. Conférence de la communauté des politiques
La Conférence de la communauté des politiques est un endroit où les décideurs e l’ensemble de la fonction publique fédérale et d’ailleurs peuvent se réunir, apprendre, se rencontrer et explorer des sujets liés à l’élaboration de politiques modernes. La Conférence de 2018 était un événement de deux jours comportant des sujets comme « L’expérimentation en action ». On s’y est penché sur la politique à long terme, sur l’élaboration des politiques dans un monde numérique et sur la façon d’entendre les voix non entendues. La Communauté des politiques offre un forum pour l’échange de renseignements, entre autres en ce qui concerne les activités novatrices qui ont lieu dans tout le secteur public.
Source : Gouvernement du Canada (2018), « Conférence de la communauté des politiques », https://policomm-commpoli.gccollab.ca/fr/home.html
On pourrait en outre se demander comment on peut faciliter l’établissement de coalitions par rapport aux questions émergentes, surtout entre les organismes. Il peut être approprié de disposer de réseaux ou de forums d’innovation explicitement désignés où les personnes s’intéressant à de telles questions sont plus susceptibles de trouver des collaborateurs aux vues similaires.
Les risques et l’incertitude peuvent être gérés
Tel qu’il a été indiqué au chapitre 4, l’aversion au risque est une caractéristique endémique de la fonction publique du Canada (et de bien d’autres, probablement). L’aversion au risque est donc probablement le plus puissant facteur qui limite l’étude des options novatrices, entraînant donc une préférence pour le statu quo.
Des efforts sont déployés continuellement dans l’ensemble du système pour contribuer à recadrer la discussion sur les risques. Ces efforts ont compris des messages de cadres supérieurs ainsi que des mécanismes plus formels. Vu la nature intégrée de l’aversion au risque et la solidité des systèmes de rétroaction (p. ex. mécanismes formels de surveillance et d’examen, médias, débats politiques) qui mettent l’accent sur l’aversion au risque, il est probable que d’autres mesures soient nécessaires dans ce cas. L’aversion au risque comporte un certain nombre de facteurs de contribution structuraux; par conséquent, les réactions structurales (p. ex. l’engagement de l’expérimentation) sont peu susceptibles d’être suffisantes à elles seules, sauf dans des secteurs limités ou des poches particulières.
Résumé
D’importants efforts ont déjà été déployés en ce qui concerne la parité, comme la politique de la nouvelle orientation en matière de dotation. Il faudrait reconnaître ces efforts et en tirer des leçons. Il est probable que certaines des options d’innovation qui ont déjà été entamées ou activées n’aient pas encore été pleinement comprises ou exploitées. La fonction publique pourrait donc avoir à en faire davantage pour augmenter la prise de conscience de ce qui est maintenant possible afin de lutter contre les perceptions et les options par défaut héritées qui présument qu’une chose est impossible. Il pourrait aussi être possible que des réseaux (comme les Entrepreneurs du GC) servent de voie d’échange et de diffusion des correctifs existants. À d’autres égards, il faut toujours en faire davantage pour contribuer à contester la domination que le statu quo exerce sur la prise en compte de ce qui pourrait être possible ou approprié.
Lentille 3 : Pertinence
Les capacités, les systèmes et les infrastructures en place sont‑ils pertinents par rapport aux options?
Un certain nombre d’initiatives importantes se rapportent à la question de la pertinence :
Le Service numérique canadien a été établi précisément dans le but de concevoir de meilleurs services numériques et d’aider à reproduire dans tout le gouvernement des solutions numériques fructueuses.
Le Groupe de travail des sous‑ministres sur l’innovation dans le secteur public a pour mandat d’examiner la transformation des systèmes de base et les solutions perturbatrices liées aux politiques.
Les Entrepreneurs du GC est un groupe créé dans le but d’offrir un terrain d’essai pour les nouveaux rôles et les nouvelles compétences.
Les opérations de divers laboratoires d’innovation du secteur public donnent un point d’entrée, dans toute la fonction publique, à l’essai, l’application et l’intégration de nouvelles méthodes, techniques et façons d’établir des liens avec les intervenants.
Le nuage des talents est une initiative expérimentale qui est mise à l’essai afin de faire passer la planification des ressources humaines à une approche numérique plus contemporaine.
Les initiatives de partenariat entre secteurs comme l’appli Carotte points santé procurent des mécanismes possibles permettant d’obtenir un éclairage approfondi sur les points de vue des citoyens à propos d’un large éventail de questions liées aux politiques et aux services, et donc de leurs attentes à l’égard du gouvernement.
Il y a aussi un certain nombre d’initiatives de changement, d’activités liées aux technologies ou d’explorations des questions émergentes, sous l’angle des politiques, qui auront un effet sur la question de savoir si ou comment la fonction publique du Canada renforcera sa pertinence par rapport à un climat opérationnel qui change radicalement.
Toutes ces étapes seront importantes. Vu l’ampleur du défi, il est probablement trop tôt pour affirmer si ces étapes seront suffisantes. Le Groupe de travail des sous‑ministres peut être le mieux placé, du point de vue d’un acteur de système, pour prendre en considération le suivi du portefeuille actuel d’initiatives et l’incidence de celles‑ci.
Apprendre de ceux qui suivent le rythme des changements externes
Le Service numérique canadien (voir l’encadré 6.11) est un exemple d’un organisme qui cherche explicitement à entreprendre les changements externes ou à en égaler le rythme. Même si le Service numérique canadien est relativement nouveau, il pourrait offrir un modèle de façon dont la fonction publique peut s’employer à suivre le rythme du monde extérieur (d’une façon qui convient au gouvernement) dans d’autres domaines.
Box 6.11. Service numérique canadien
Le Service numérique canadien collabore avec les organisations fédérales dans le but de concevoir, de prototyper et de bâtir de meilleurs services numériques. Il cherche à résoudre les problèmes par la conception, des méthodes agiles et des technologies éprouvées qui inscrivent l’utilisateur au centre de son travail. Il part de solutions technologiques fructueuses et contribue à les reproduire dans l’ensemble du gouvernement.
Puisque les changements touchent tous les aspects de la fonction publique, il sera conseillé aux organismes et aux organisations de déterminer des pairs desquels et avec lesquels ils peuvent apprendre, et ce, pour les aider à suivre le rythme. Il pourrait aussi être possible d’appliquer une intervention à l’échelle du système plus centralisée à cet égard dans le but d’encourager une telle activité.
Assimilation des technologies (et de leurs conséquences)
Le Groupe de travail des sous‑ministres sur l’innovation dans le secteur public (voir l’encadré 6.12) et le groupe relié des Entrepreneurs du GC constituent des moyens importants de contribuer à assimiler les nouvelles technologies. Tout comme le premier Comité des sous‑ministres chargé des médias sociaux et de l’élaboration des politiques a contribué à offrir aux cadres supérieurs un forum où exprimer et étudier les ramifications des médias sociaux, le Groupe de travail pourrait contribuer à offrir un moyen de cerner les nouvelles technologies et d’en discuter, et donc provoquer une étude des ramifications de ces technologies. Cela aura probablement des retombées dans tout le système alors que l’intérêt pour ces technologies commencera à être considéré comme validé ou légitime, et il en découlera donc d’autres enquêtes, explorations ou expérimentations.
Encadré 6.12. Groupe de travail des sous‑ministres sur l’innovation dans le secteur public (GT‑ISP)
En novembre 2017, le Comité des sous‑ministres sur l’innovation en matière de politiques (CSMIP) est devenu le Groupe de travail des sous‑ministres sur l’innovation dans le secteur public (GT‑ISP). Le Groupe de travail met l’accent sur la réalisation des priorités du gouvernement quant à l’expérimentation et l’innovation en matière de politiques et de programmes. Son mandat rafraîchi s’appuie sur deux thèmes principaux :
Transformation des systèmes de base : Comprendre la nature des obstacles auxquels font face les fonctionnaires en raison des systèmes et des processus désuets qui empêchent les solutions novatrices. Mener des expériences avec des solutions visant à éliminer ces obstacles dans toute la fonction publique fédérale, en mettant l’accent sur les domaines des subventions et contributions, de l’approvisionnement et des ressources humaines.
Solutions perturbatrices liées aux politiques : Acquérir une compréhension des technologies perturbatrices qui sont nouvelles au gouvernement et encourager leur adoption (p. ex. l’intelligence artificielle, la chaîne de blocs); externaliser à grande échelle et concevoir conjointement des solutions avec les Canadiens à l’aide d’instruments de mobilisation du public comme l’Initiative Impact Canada et formuler des solutions interministérielles aux priorités en matière de politiques découlant de l’analyse approfondie de l’Unité des résultats et de l’exécution.
Il faut de nouvelles compétences et des capacités accrues pour accélérer l’avancement de la transformation des systèmes de base et des solutions perturbatrices liées aux politiques. Le Groupe de travail est donc jumelé aux Entrepreneurs en politiques et en programmes (GC), qui sont recrutés afin de combler les lacunes et d’aider le GT‑ISP à s’acquitter de ses priorités.
L’initiative des entrepreneurs vise à offrir aux employés de niveau intermédiaire une occasion de rehausser leur capacité de leadership et d’être exposés à des projets transversaux liés aux politiques. Les projets porteront sur des initiatives qui offrent des effets mesurables sur les défis liés aux politiques et aux programmes dans l’ensemble des mandats ministériels. Ces projets peuvent être reliés aux subventions et contributions, à l’approvisionnement, aux ressources humaines, aux technologies perturbatrices, à la mobilisation publique et/ou aux analyses approfondies. Les projets prioritaires seront déterminés par le GT‑ISP.
Source : Gouvernement du Canada (2018d).
Une autre initiative qui vise l’assimilation des nouvelles technologies est Horizons de politiques Canada (encadré 6.13), qui contribue à cerner les questions émergentes et à les rendre concrètes à l’aide de leurs projets de recherche. Les initiatives réalisées dans le cadre d’Horizons de politiques – comme « Canada au‑delà de 150 », qui a initié environ 80 nouveaux fonctionnaires à de nouvelles méthodes, dont la prospective – jouent un rôle utile pour veiller à une orientation future plus large. De telles initiatives devraient assurer une plus grande compréhension des changements que les technologies (et de leurs changements de paradigme associés) peuvent apporter, et de la raison pour laquelle cela est important pour le secteur public.
Encadré 6.13. Horizons de politiques Canada
Horizons de politiques Canada mène des activités de prospectives stratégiques sur des enjeux transectoriels qui informent les fonctionnaires sur les conséquences des politiques publiques possibles au cours des 10 à 15 prochaines années. Le mandat d’Horizons est de cerner les nouvelles questions de politique et d’explorer les défis et les possibilités en matière de politiques pour le Canada ainsi que de contribuer à construire la connaissance et la capacité de prospective au sein du gouvernement du Canada. Les futuristes chevronnés d’Horizons fournissent des conseils d’experts sur les nouveaux enjeux, la prospective et la veille dans le cadre de discussions, de réunions interministérielles et d’ateliers.
Source : Horizons de politiques Canada (2018), www.horizons.gc.ca.
Il s’agit d’un domaine où une mobilisation plus étroite des institutions de recherche et des entreprises du secteur privé (dont les grands acteurs technologiques ainsi que les entreprises en démarrage) est probablement essentielle. L’examen ne portait pas sur l’étendue de la mobilisation à cet égard, mais les discussions indiquent qu’il s’agit d’un domaine où l’on pourrait poursuivre le travail.
De plus, même si les activités cernées sont importantes et encourageantes, vu l’ampleur des changements, la vitesse à laquelle les technologies évoluent et la myriade de conséquences que de tels changements pourraient avoir pour le travail de la fonction publique, on peut se demander si ces activités seront suffisantes. Même si des signes positifs ont été observés dans certains domaines (p. ex. par rapport à l’exploration des conséquences de l’intelligence artificielle ou à l’adoption de la technologie de la chaîne de blocs), on pourrait en faire davantage, surtout d’après la taille et l’étendue de la fonction publique.
Examiner de nouveaux modèles opérationnels
De nombreux efforts sont en cours afin d’examiner de nouvelles façons dont la fonction publique pourrait fonctionner. Ces façons peuvent être petites, grandes ou à mi‑chemin entre les deux (encadré 6.3). La plus importante, le nuage des talents du GC, est encore naissance, mais elle est d’une portée audacieuse, en ce sens qu’elle offre une vision de l’aspect possible d’un système véritablement contemporain (encadré 6.14).
Encadré 6.14. Étude de cas sur le nuage des talents du GC
Au début de 2012, Deloitte a publié son concept de nuage gouvernemental (GovCloud), qui proposait la restructuration des effectifs gouvernementaux en vue de répondre aux besoins changeants des citoyens dans les environnements complexes. S’inspirant de ce concept, Ressources naturelles Canada (RNCan), avec son Carrefour d’innovation IN‑spire, a entrepris de mettre à l’essai une nouvelle forme de planification des effectifs : le nuage des talents du GC. L’idée était que le nuage des talents du GC devienne une nouvelle plateforme numérique pour les talents préqualifiés à l’aide d’un processus de validation des compétences et un système facile à interroger.
Ainsi, une vision d’un référentiel numérique des talents préqualifiés a vu le jour, où la tenue à jour et la distribution des talents est optimisée pour l’affectation rapide aux tâches fondées sur des projets. La proposition du projet du nuage des talents du GC envisageait que les talents futurs puiseraient dans le référentiel au moyen d’un mécanisme d’embauche pour une période déterminée, en veillant à protéger les droits des travailleurs. Les titres de compétences des personnes dont le nom figure dans le nuage des talents du GC seraient validés et préservés d’une façon qui réduit la duplication, augmente l’intégrité des titres de compétence et augmente considérablement l’étendue des talents à la disposition des gestionnaires responsables de l’embauche. À mesure que les talents sont disponibles de façon moins rigide dans l’ensemble du secteur public, le système d’innovation dans son ensemble en serait amélioré.
Pour mettre cette approche à l’essai, un projet pilote de recherche a été conçu afin de vérifier les paramètres du concept du nuage des talents du GC. Le Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada a pris l’initiative dans ce projet, vu son incidence possible dans l’ensemble de la fonction publique fédérale. À l’heure actuelle, on travaille à développer la plateforme du nuage des talents du GC tout en abordant les principales questions, comme les droits des travailleurs, les relations de travail et les droits et avantages, entre autres). On est aussi à créer des projets pilotes avec les ministères afin d’utiliser le nuage des talents du GC.
Comme s’est souvent le cas, les partenaires externes qui sont plus à l’écart des essais d’innovation sont plus favorables. Dans le cas du nuage des talents du GC, Deloitte souhaite voir avancer un cas de validation de principe du secteur public. Dans la fonction publique, le gouvernement de l’Ontario a manifesté son appui au modèle et son souhait qu’il soit développé davantage.
Source : Entrevues
Il est probable que l’engagement de l’expérimentation suscite d’autres questions sur les modèles opérationnels et de fonctionnement existants au gouvernement. Le mandat de transformation des systèmes de base confié au Groupe de travail des sous‑ministres sur l’innovation dans le secteur public devrait aussi être utile à égard en offrant un forum où une perspective de tout le système peut être adoptée. Cependant, une grande partie de cette innovation sera fondamentalement difficile et se heurtera aux structures et aux processus bien établis et aux engagements d’investissement et de financement associés. L’examen de nouveaux modèles opérationnels est un processus qui sera rarement confortable et qui nécessitera soit un parrainage ou une protection de haut niveau, soit un certain degré d’autonomie pour offrir un écran initial au fil de l’apprentissage.
Suivre les attentes en évolution
Le suivi des attentes en évolution était un aspect pour lequel l’examen n’a pas relevé beaucoup d’activités et qui se présente donc comme un domaine auquel il faudrait accorder plus d’attention. Le partenariat de la Carotte points santé (voir l’encadré 4.1 au chapitre 4) est probablement le plus proche en termes d’indication d’une voie à suivre possible. En donnant accès à une population vaste et diversifiée, il donne un exemple de façons dont les plateformes numériques peuvent rapidement donner des pistes de réflexion sur les attentes (ou les interprétations actuelles) des citoyens pour un éventail de sujets. Une enquête approfondie sur la façon dont on peut interpréter les attentes des citoyens et des intervenants à l’égard du gouvernement est justifiée. En l’absence d’une telle enquête, la pertinence des interventions de la fonction publique du Canada pour s’occuper des nouvelles demandes nécessitant des réactions novatrices sera probablement restreinte, étant donné que la nécessité de changement ne sera pas comprise ou suffisamment ressentie.
Résumé
De bien des manières, la question de la pertinence est le secteur où l’on en sait le plus sur ce qui fonctionne, et donc sur ce qui doit avoir lieu. Les activités déjà en cours peuvent être suffisantes, mais il s’agit d’un secteur qu’il faudra observer et suivre au fil du temps afin de vérifier si des étapes suffisantes sont franchies.
Lentille 4 : Normalité
L’innovation est‑elle considérée comme faisant partie de la norme ou comme un écart de la norme qui est accepté à l’occasion?
Tel qu’il est indiqué au chapitre 4, l’innovation n’est pas actuellement perçue comme étant la norme. Cependant, la série d’activités suivantes peuvent contribuer à changer cette perception :
La Déclaration et le Groupe de travail des sous‑ministres sur l’innovation dans le secteur public donnent un signal de la direction selon lequel l’innovation est escomptée.
Le programme Agents libres et les Entrepreneurs du GC démontrent que l’innovation est un ensemble de compétences préconisé.
Le Rapport annuel au Premier ministre du greffier reconnaît et souligne souvent des cas d’innovation.
Le travail en cours de renouvellement de la fonction publique contribue à souligner que le renouvellement (changement et innovation) est une partie continue du récit de la fonction publique, et le Salon de l’innovation annuel se veut un forum permettant de reconnaître et de partager les innovations.
L’établissement de réseaux contribue à partager et à promouvoir les innovations dans l’ensemble des domaines de pratique.
Le Prix pour gestion innovatrice de l’Institut d’administration publique du Canada reconnaît et promeut les activités novatrices qui ont lieu dans la fonction publique.
Une série de mesures isolées peuvent aussi favoriser la normalité de l’innovation, surtout les initiatives concernant les compétences et l’embauche.
En pratique, il peut être difficile d’obtenir le juste équilibre dans le domaine de la normalité. Certains aspects qui agissent comme des leviers naturels pour souligner l’utilité et l’importance de l’innovation (p. ex. des formes de reconnaissance ou des rôles dédiés) peuvent aussi créer un sentiment de caractère spécial quant à l’innovation. Pour normaliser l’innovation, celle‑ci doit être reconnue; or en reconnaissant l’innovation, celle‑ci risque de se démarquer comme n’étant pas normale. Il peut s’agir d’une tension inévitable qui s’apaisera d’elle‑même avec le temps, ou il se peut que des efforts supplémentaires soient nécessaires pour veiller à ce que l’innovation soit considérée comme faisant partie du rôle de tout un chacun.
Comportements à l’appui de l’innovation
Les laboratoires d’innovation aideront probablement à inculquer une série de comportements à l’appui de l’innovation. Les laboratoires seront souvent à l’avant‑scène de l’examen de nouvelles méthodes et techniques et de nouvelles formes d’engagement, et ils sont donc plus susceptibles de trouver des façons de travailler qui y sont adaptées. Les laboratoires peuvent donc remplir la fonction de banc d’essai et de source d’inspiration de nouveaux ensembles de comportements qui conviennent mieux à l’adoption d’innovations.
Une autre intervention importante qui pourrait contribuer à cerner les comportements qui conviennent le mieux pour soutenir une fonction publique plus innovante, et y réfléchir, est l’établissement des Entrepreneurs du GC (encadré 6.15). Les Entrepreneurs se trouvent dans une situation unique : ils ont consacré du temps à réfléchir à l’innovation, ils sont exposés à de nouveaux raisonnements et enjeux où l’innovation est requise (p. ex. les technologies perturbatrices) et ils reçoivent une formation en innovation. Ce groupe, donc, représente un cas d’essai extrêmement à certains égards, allant au‑delà du travail des groupes des agents libres ou de l’Unité de l’impact et de l’innovation. Il est donc bien placé pour réfléchir aux comportements d’innovation qui peuvent convenir à la fonction publique du Canada.
En parallèle, les Entrepreneurs, en tant que « ressources » d’innovation désignées, se trouvent dans une situation où ils peuvent être considérés comme « particuliers », et doc comme l’antithèse de la normalité. Il est probable que le succès des entrepreneurs en ce qui concerne la normalité dépende fortement de la capacité de ces derniers de servir d’intermédiaires de l’apprentissage et de remplir la fonction de nœuds au sein de réseaux plus larges – d’être considérés comme des ressources plutôt que comme de nouveaux membres d’une catégorie d’innovateurs.
Il peut être utile qu’il y ait une réflexion explicite sur les comportements existants qui sont privilégiés au travail dans la fonction publique du Canada et sur la question de savoir si ou comment ils pourraient parfois s’opposer aux comportements plus favorables à l’innovation ou entrer en concurrence avec eux.
Encadré 6.15. Entrepreneurs du GC
Les Entrepreneurs du GC (EGC) est un groupe d’employés de l’ensemble du gouvernement du Canada qui ont l’occasion de siéger au Groupe de travail des sous‑ministres sur l’innovation dans la fonction publique pendant une période de jusqu’à 18 mois. Ce comité interministériel a pour mandat de jouer un rôle orienté vers l’action en expérimentant avec de nouveaux outils et de nouvelles approches et en contribuant à transmettre aux fonctionnaires les compétences et les connaissances nécessaires à l’obtention de meilleurs résultats pour les Canadiens.
Avec l’appui des sous‑ministres et de l’Unité de l’impact et de l’innovation du Bureau du Conseil privé, les EGC s’emploient à examiner les tendances générales et les nouvelles technologies, visant à faire avancer des initiatives concrètes dans deux domaines de mandat clés :
l’avancement de la transformation des systèmes de base, dont les ressources humaines et l’approvisionnement;
le soutien à l’expérimentation à l’aide de technologies perturbatrices comme l’intelligence artificielle et la chaîne de blocs.
La première cohorte d’EGC travaille par‑delà les secteurs ministériels afin de faire avancer un portefeuille de projets d’innovation orientés vers l’action. L’objectif ultime est d’améliorer la vie des Canadiens. Les Entrepreneurs jouent aussi le rôle d’ambassadeurs de l’innovation et du changement en cherchant à libérer les talents et l’esprit d’entrepreneuriat à l’échelle de la fonction publique.
Au cours du processus de perfectionnement des EGC, les 18 membres participent à la formation de Nesta sur les états du changement. Le programme vise globalement à aider les fonctionnaires à adopter des mentalités et des habitudes axées sur l’innovation qui leur permettent de devenir des agents de changement plus efficaces et de maintenir une culture de l’innovation au gouvernement.
Relier l’innovation aux activités normales
Pour un système, une mesure courante pour encourager des comportements, des pratiques et des activités en particulier consiste à mesurer ceux‑ci. Or l’innovation est une chose intrinsèquement difficile à mesurer en raison de sa dépendance vis‑à‑vis le contexte et du fait que la pratique de l’innovation évolue au fil du temps à mesure que de nouvelles choses deviennent possibles. Ainsi, des mesures plus générales peuvent être appropriées. Le fait d’encourager l’expérimentation où l’évaluation du rendement de l’innovation est possible peut conduire à un bienfait collectif (p. ex. voir l’encadré 6.16).
Encadré 6.16. Auto‑évaluation de l’Agence du revenu du Canada en matière d’ innovation
L’Agence du revenu du Canada (ARC) réalise une auto‑évaluation qui vise à déterminer la mesure dans laquelle elle est une administration fiscale et des prestations de calibre mondial. L’une des priorités stratégiques de l’ARC est l’innovation; ainsi, il s’agit d’un des domaines sur lesquels l’ARC enquête pendant son auto‑évaluation. Vu le manque d’outils existants à cette fin, l’ARC a élaboré son propre outil pour évaluer :
si l’innovation est intégrée à la planification stratégique et à la prise de décision;
si l’innovation est opérationnalisée dans la conception et les pratiques organisationnelles;
si l’innovation est célébrée et les résultats de l’innovation sont mesurés et partagés.
L’exercice d’auto‑évaluation pourrait offrir des leçons importantes qui pourraient s’appliquer de façon plus générale dans toute la fonction publique, en plus de contribuer au lancement d’une discussion collective sur la façon de jauger les forces et les faiblesses de l’innovation chez les acteurs clés dans l’ensemble du système.
Source : Entrevues
Un autre exemple de travaux importants entrepris afin de présenter l’innovation comme une façon normale de faire les choses est l’introduction du programme Agents libres (encadré 6.17). Même si, par sa nature même, le programme est une exception, au fur à mesure qu’il est mis à l’échelle et que plus d’acteurs sont impliqués, il contribuera à démontrer que l’innovation fait partie de la façon normale de faire les choses. Il y a un risque qu’il contribue toujours à l’idée d’une « catégorie d’innovateurs » plutôt qu’à l’idée que l’innovation fait partie du travail de tout un chacun. Il peut donc être nécessaire de porter une attention continue pour s’assurer que l’innovation est comprise comme un domaine où tout le monde a un rôle à jouer, mais, comme d’autres pratiques de base (approvisionnement, ressources humaines, gestion financière), c’est un domaine où des personnes auront des ensembles de compétences et une expertise particuliers à offrir.
Encadré 6.17. Étude de cas sur le programme Agents libres
Le programme Agents libres était un des premiers projets pilotes de Ressources naturelles Canada (RNCan) visant à évaluer la faisabilité d’un nouveau type d’effectif. Il était censé évaluer la viabilité sur le marché, les gains d’efficience et le stress psychologique des travailleurs dans l’économie à la demande, en plus de commencer à élaborer de nouveaux modèles de compétences et à présélectionner des conceptions.
Les agents libres sont des personnes novatrices et débrouillardes qui connaissent du succès et qui souhaitent travailler dans le cadre de projets. Ces personnes peuvent choisir leur travail et entreprendre les possibilités fondées sur des projets dans l’ensemble de la fonction publique. Ils sont libres de sélectionner du travail qui correspond à leurs compétences et à leurs intérêts de manière à apporter une contribution qu’ils jugent valorisante.
Le premier programme Agents libres a été lancé en 2016 à RNCan sous forme de projet pilote de deux ans. Puisque bon nombre de types de travail différents pouvaient bénéficier du modèle, le Carrefour d’innovation de RNCan a choisi de renoncer au choix d’antécédents ou d’ensemble de compétences en particulier pour les agents libres. Le Carrefour d’innovation a plutôt formulé un ensemble d’attributs et de comportements que la communauté de l’innovation de la fonction publique estimait utile à l’innovation et à la résolution de problème dans leur organisation. Ces attributs étaient à la base du processus de présélection du projet pilote. Les candidats qui affichent avec succès ces attributs de base se voient offrir des déploiements latéraux à des postes d’une unité spéciale du Carrefour d’innovation de RNCan. Ce modèle de déploiement latéral offre une certaine souplesse au cours du processus de sélection et dans la méthode d’évaluation. Les déploiements n’ont pas besoin de priorités claires et ne sont pas soumis à un processus concurrentiel traditionnel pour les nominations. En outre, avec les agents libres, RNCan a éliminé les entraves habituelles des ministères effectuant l’embauche : les agents libres sont embauchés et travaillent pour RNCan, mais ils sont déployés ailleurs. Les ministères effectuant l’embauche peuvent donner un préavis de deux semaines si les agents ne sont pas compatibles avec le but ou l’équipe, tandis que les agents eux‑mêmes jouissent d’une sécurité d’emploi à RNCan.
Il y a eu une certaine résistance des structures organisationnelles, puisque le modèle ne s’appliquait pas aisément aux mécanismes établis, et aussi parce que le Carrefour d’innovation n’était pas bien conscient des règles propres à la TI (p. ex. l’utilisation de portables d’un ministère dans un autre ministère), aux ressources humaines, aux finances et à la sécurité (p. ex. les vérifications des antécédents). L’une des plus grandes entraves était les frais de 15 % que RNCan percevait auprès des organisations participantes en plus des salaires recouvrés – il n’y avait pas de précédents pour ces frais, et RNCan n’avait pas le pouvoir de les percevoir. Cependant, on a finalement rendu un avis juridique qui le permet. L’avis est en attente d’approbation. Un autre obstacle était le système de classification des postes : les agents libres peuvent avoir à entreprendre à l’occasion des tâches à un niveau supérieur à leur propre niveau initial. Même si bon nombre de ces questions administratives n’ont pas encore été entièrement réglées, le système fonctionne actuellement sans entrave majeure. « Le modèle des agents libres infiltra les systèmes organisationnels, mais ne les remet pas complètement en question. »
Sur le fond, la principale préoccupation au début du programme était simple : y aurait‑il une demande d’agents libres? Le fait que les organisations du secteur public changent en raison de la numérisation est un fait, mais le Carrefour d’innovation ne savait pas si le rythme des changements était assez rapide pour que la nécessité de travail fondé sur des projets soit visible et puisse être ciblée dans le système. Cependant, le bouche-à-oreille s’est avéré efficace, et les connaissances sur le programme et ses possibilités se sont rapidement propagées. Toutefois, le déploiement d’agents aux projets ne s’est pas fait sans heurt, surtout si les tâches reliées n’étaient pas bien définies.
Les gestionnaires des talents des agents libres estimaient que les gestionnaires en général ne déterminaient pas leurs besoins au début des projets et ne déployaient pas beaucoup d’efforts au début afin de sélectionner des personnes pour des tâches précises. « Les équipes manquent de personnel en général et les gestionnaires ne désirent que pourvoir les postes. » Cela ne correspond pas au modèle des agents libres, et RNCan a donc dû s’efforcer davantage, de son côté, de définir le rôle des agents libres et d’améliorer les descriptions de projet du côté de la direction. Même si, au début, c’était surtout les compétences de résolution de problème plus générales qui étaient en demande, les besoins sont devenus plus normatifs alors que des compétences plus précises sont recherchées (p. ex. en ce qui concerne l’expérimentation). La taille du programme a augmenté de sorte que celui‑ci ne soit plus limité à RNCan, et une mise à l’échelle du programme est en cours; un ministère partenaire a été désigné pour embaucher les 30 prochains agents libres.
Dans le cadre du projet pilote, on entreprend actuellement une évaluation formative; or les sondages de rétroaction initiaux montrent que les agents libres et les gestionnaires responsables de l’embauche ont grandement profité des activités du programme. Au cours de la première année du projet pilote, les ressources du programme ont été affectées à 42 projets dans 20 ministères. Les projets englobaient un large éventail de secteurs d’activité, dont l’élaboration des politiques, les communications, les sciences et la recherche et la programmation informatique. Les projets allaient d’une durée de 2 à 12 mois; toutefois, la majeure partie (76 %) duraient de 6 à 12 mois.
Lorsque les candidats accèdent au programme, ils sont nombreux à occuper souvent par intérim des postes temporaires dont le niveau d’attache est supérieur au leur, et ce, pendant de longues périodes. On les encourage souvent à être innovants; toutefois, pendant le processus concurrentiel, ils estiment souvent ne pas pouvoir démontrer leur capacité d’innover, et ils croient que ce faisant, leurs chances d’avancement professionnel sont en fait réduites. Une fois que les agents libres font partie du programme, leur satisfaction et leur jouissance au travail sont considérablement plus élevées que dans le reste de la fonction publique. En outre, la grande majorité des agents libres font état de nouvelles possibilités d’appliquer les compétences existantes et d’acquérir de nouvelles possibilités, d’un plus grand accès à la communauté de l’innovation et d’une plus grande probabilité de demeurer dans la fonction publique.
Les agents libres ont déclaré un degré d’accord avec les questions relatives à la diversité, à la conciliation travail‑vie personnelle et à la santé mentale qui, tout en étant supérieur à celui de la fonction publique en général, demeure relativement faible. Les données du sondage mensuel et les journaux ont montré que les agents libres estimaient qu’une certaine pression était exercée pour qu’ils travaillent à un niveau constamment élevé et qu’ils s’assurent qu’il n’y a pas de période d’inactivité entre leurs affectations. Au cours du projet pilote, on se servira des discussions et des pistes de réflexion tirées de ces ateliers pour éclairer l’approche du programme vis‑à‑vis la diversité, l’inclusion ainsi que le bien‑être au travail et la santé mentale. De plus, les responsables du projet pilote enquêteront sur la meilleure façon d’aborder les caractéristiques et les facteurs stressants uniques de l’état d’agent libre et de mettre des mesures de protection en place pour réduire le plus possible la possibilité de surcharger les agents libres.
D’après les résultats d’un sondage auprès des gestionnaires responsables de l’embauche, la rapidité et la commodité de l’embauche d’un agent libre représentent les aspects les plus utiles du programme. Le taux de satisfaction général des gestionnaires à l’égard du projet pilote était très élevé (90 %), et la grande majorité de ces derniers embaucheraient de nouveau un agent libre (84 %).
Dans l’ensemble, le modèle de l’agent libre est une très bonne façon de renforcer les capacités du système existant dans les limites du système en place. Toutefois, comme l’a décrit l’une des personnes interrogées : « Quel est la bonne échelle pour les agents libres? Je n’en connais pas la réponse. Le programme est en croissance à cause de la demande, mais est‑il suffisant ou n’est‑ce simplement qu’une réponse qui n’est pas assez bonne? »
Source : Entrevues
D’autres initiatives, comme l’Initiative Impact Canada, seront très importantes pour démontrer que l’innovation fait partie intégrante du travail qu’est le respect et l’exécution des priorités gouvernementales. Toutefois, à l’instar des agents libres, de telles initiatives feront face à une tension : démontrer que l’innovation est reliée aux projets à haute visibilité, mais qu’elle est également pertinente et attendue dans les rouages quotidiens de la fonction publique.
Il peut être utile, pour les efforts de reconnaissance, de veiller à ce que l’innovation soit représentée dans tout le spectre du travail de la fonction publique et que les récits de l’innovation « quotidienne » soient accessibles et partagés, avec des exemples où l’innovation a été essentielle à des activités de premier plan.
Assimilation de l’innovation
Comment l’innovation est‑elle mis en valeur et présentée aux fonctionnaires ainsi qu’aux intervenants et aux partenaires (et même aux citoyens en général)? Deux des principaux moyens par lesquels l’innovation semble être assimilée est le Rapport annuel au Premier ministre du greffier et le Salon de l’innovation annuel (encadré 6.18). Ces deux exercices visent à mettre en valeur des exemples d’innovation et à contribuer à une prise de conscience plus vaste de la façon dont l’innovation se produit dans l’ensemble de la fonction publique.
Encadré 6.18. Salon de l’innovation
En 2018, le quatrième Salon de l’innovation annuel d’Objectif 2020 a eu lieu. Le Salon se déroule dans des villes de partout au pays; les participants y prennent par voie de webdiffusion. Le Salon se veut une occasion et un forum de réseautage, d’apprentissage auprès des autres et de partage d’innovations en action dans l’ensemble de la fonction publique du Canada.
Le thème pour 2018 était l’« expérience utilisateur ». On s’y est penché sur des façons de mieux comprendre ce qui motive un utilisateur final à adopter un service ou un produit.
Source : Gouvernement du Canada (2018e).
Des mesures aussi visibles sont importantes. Elles peuvent contribuer à couper à travers le brut quotidien du système et à donner la sensation que l’innovation est quelque chose de prévu et, possiblement, de routine.
Il sera toutefois important d’assimiler l’innovation en empruntant diverses voies. Un exemple de la façon dont les nouvelles méthodes et leur usage ont été assimilés à un niveau plus fonctionnel est le travail lié à l’introspection comportementale accompli par l’Unité de l’impact et de l’innovation (encadré 6.19).
Encadré 6.19. L’introspection comportementale dans la fonction publique du Canada
Le travail de l’Unité de l’impact et de l’innovation comprend une pratique de l’introspection comportementale. Ce travail aide les organismes gouvernementaux à se servir des techniques et méthodes d’introspection comportementale pour obtenir de meilleurs résultats. Dans le cadre de cette pratique, l’équipe soutient deux réseaux : une communauté de pratique de l’introspection comportementale et un réseau de l’introspection comportementale. La communauté a été établie dans le but de faire avancer le domaine de la recherche sur l’économie comportementale dans tout le secteur public canadien. Cette communauté horizontale invite les spécialistes à échanger des renseignements, des méthodes de recherche et des résultats d’expérimentation. Le réseau rassemble des administrations fédérales, provinciales et locales, qui font pression pour faire innover l’utilisation de l’économie comportementale.
En plus de ces deux voies, un nouveau sous‑groupe de l’Unité de l’impact et de l’innovation a été mis sur pied pour se concentrer sur l’introspection comportementale. Par l’entremise de ce sous‑groupe, l’Unité de l’impact et de l’innovation embauchera d’autres experts en introspection comportementale chargés de faciliter l’exécution de projets en collaboration avec divers ministères. Le modèle du sous‑groupe rendra possible un apprentissage distribué alors que les membres du sous‑groupe entreprendront le travail auprès des organismes, mais il permettra aussi que cet apprentissage soit relié au centre en raison du lien avec l’Unité de l’impact et de l’innovation. Cela devrait permettre un apprentissage beaucoup rapide, en plus d’aider à assimiler plus rapidement la pratique de l’innovation dans une gamme d’organismes.
Source : Entrevues
Un autre exemple est le travail qu’accomplit l’équipe de l’innovation et de l’expérimentation au Secrétariat du Conseil du Trésor. L’équipe mène des activités de sensibilisation régulières dans le but de contribuer à cerner les questions et les aspects qui pourraient porter à confusion, en plus de profiter des leçons sur l’expérimentation en cours dans toute la fonction publique. Une telle mobilisation régulière peut procurer un moyen important de contribuer à l’assimilation de processus qui peuvent d’aborder sembler très techniques et différents, ainsi que contribuer à ce qu’ils deviennent la norme.
Une question ouverte est de savoir si l’on en fait assez pour aider à assimiler, auprès des partenaires externes et des citoyens, l’innovation qui se produit dans la fonction publique. L’innovation du secteur public peut souvent devenir visible ou invisible pour les citoyens. (Si l’innovation fonctionne et obtient les résultats auxquels les gens s’attendent, elle peut s’estomper rapidement en arrière‑plan; à l’inverse, si un service est considéré comme âgé ou insuffisamment novateur, il sera probablement remarqué.) Cela peut ne pas être un désavantage. Il peut toutefois être nécessaire de mener une sensibilisation proactive à propos des activités novatrices afin de renforcer la reconnaissance des efforts déployés dans la fonction publique du Canada, et afin de s’assurer que la fonction publique est considérée comme un employeur compétitif et intéressant lorsqu’on cherche à attirer des compétences et des capacités.
Maintenir l’innovation
Le maintien de l’innovation est réactif à bien des égards, puisqu’il est impossible de savoir si l’innovation est vraiment maintenue, sauf dans les situations de contrainte. Dans la phase actuelle du système d’innovation, celle‑ci est manifestement ascendante. Cependant, comme le démontre l’histoire de la fonction publique (voir le chapitre 2), des défis se posent effectivement. Pour la fonction publique, cela prendra probablement la forme d’une erreur ou d’un gaspillage (perçus ou réels) reliés à l’innovation ou à l’expérimentation, d’un refoulement contre une innovation qui (contre toutes attentes) est considérée comme contradictoire avec les valeurs de base, ou encore de critiques politiques. Étant donné que ces défis peuvent être prévus, même si rien n’est certain quant à savoir quand ils se présenteront et sous quelle forme, il pourrait être utile de mettre en œuvre une forme de jeu de guerre proactif entre les acteurs centraux pour déterminer comment cela pourrait se dérouler. Ce processus devrait tenir compte du fait que, parfois, les critiques seront tout à fait légitimes – des erreurs seront commises, et, parfois, elles n’auraient pas dû l’être. À d’autres occasions, les critiques pourront sembler injustes, mais il faudra tout de même y faire face.
Résumé
La question de la normalité est un domaine où des initiatives centrales peuvent fixer les paramètres ou accorder la licence, mais une grande part de la responsabilité devra être renforcée dans tout le système, dans des agences différentes et par des acteurs différents. Les divers éléments sont en place, mais leur efficacité devra être observée au fil du temps.
Un système doit être observé au fil du temps
Beaucoup d’activités différentes ont lieu dans tout le système. Ce chapitre examinant ces activités à un moment donné dans le temps et présentait des évaluations concernant l’état des choses actuel, ou ce qui pourrait arriver dans l’avenir immédiat. Toutefois, bon nombre des évolutions ont eu lieu assez récemment, le système évolue assez rapidement et l’incertitude est grande, étant donné qu’il faut encore beaucoup à apprendre à propos du système et de ce qui fonctionne. Compte tenu de ce qui précède, il y a donc des limites à ce qu’un aperçu du système peut nous appendre sur ce qui doit arriver ensuite.
Le prochain chapitre présente des scénarios différents qui examinent comment le système pourrait fonctionner au fil du temps. Ces exemples examinent comment se déroule la dynamique de système dans des situations différentes, et ils contribuent à donner des pistes de réflexion sur ce qui pourrait être nécessaire pour aider le système d’innovation à parvenir au niveau de rendement voulu.
Références
Gouvernement du Canada (2018a), « Suivi des lettres de mandat et l’approche des résultats et de la livraison », Ottawa, https://www.canada.ca/fr/conseil-prive/services/unite-resultats-livraison.html#toc2.
Gouvernement du Canada (2018b), « À propos de l’Initiative Impact Canada », Ottawa, https://www.canada.ca/fr/centre-innovation/services/initiative-impact-canada/a-propos.html.
Gouvernement du Canada (2018c), « Faciliter l’utilisation novatrice des paiements de transfert », Ottawa, https://www.canada.ca/fr/secretariat-conseil-tresor/services/innovation/faciliter-utilisation-novatrice-paiements-transfert.html.
Gouvernement du Canada (2018d), « Lettre de mandat du Groupe de Travail des sous-ministres sur l’innovation dans le secteur public », Ottawa, https://www.canada.ca/fr/centre-innovation/services/lettre-mandat.html.
Gouvernement du Canada (2018e), « Salon de l’innovation 2018 pour Objectif 2020 », https://www.canada.ca/fr/conseil-prive/campagnes/salon-innovation-2018-objectif-2020.html.
Gouvernement du Canada (2017), « Déclaration fédérale, provinciale et territoriale sur l’innovation dans le secteur public », Ottawa, https://www.canada.ca/fr/centre-innovation/services/Declaration-federale-provinciale-territoriale-innovation-secteur-public.html.
Gouvernement du Canada (2016), « Directives relatives à l’expérimentation à l’intention des administrateurs généraux - décembre 2016 », Ottawa, https://www.canada.ca/fr/centre-innovation/services/rapports-ressources/directives-relatives-experimentation-intention-administrateurs-generaux.html.
SCT (2016), « Réduire les formalités administratives à l’interne – Créer une culture de service : Rapport final de l’équipe spéciale mise sur pied pour réduire les formalités administratives à l’interne », document de travail interne, Secrétariat du Conseil du Trésor, Ottawa.