566. Les règles GloBE portent sur les problématiques qui subsistent à ce jour en matière de BEPS et ont pour objet de permettre à chaque pays de « récupérer l’impôt sur les bénéfices », à concurrence du taux minimum convenu, lorsque d’autres pays n’ont pas exercé leur droit initial d’imposition ou lorsque le paiement serait sans cela soumis à de faibles taux effectifs d’imposition. La règle d'assujettissement à l’impôt (RAI) complète ce dispositif. Il s'agit d’une règle conventionnelle qui cible les risques pour les juridictions de la source posés par les structures de BEPS liées aux paiements intragroupe qui exploitent les faibles taux nominaux d’imposition dans l’autre juridiction contractante (la juridiction du bénéficiaire).
567. La règle RAI n’est pas motivée par les préoccupations (telles que celles auxquelles répond le premier Pilier ou qui sous-tendent l’inclusion de la disposition sur les honoraires pour services techniques à l'article 12A du Modèle des Nations Unies de 2017 (UN, 2011[1])) selon lesquelles la répartition actuelle des droits d’imposition entre juridictions doit être réexaminée. Elle procède plutôt de l’idée qu'une juridiction de la source qui a cédé des droits d'imposition dans le cadre d’une convention fiscale sur le revenu devrait être en mesure d'appliquer un impôt complémentaire à concurrence du taux minimum convenu lorsque, en raison de structures de BEPS liées aux paiements intragroupe, le revenu bénéficiant d’une protection conventionnelle n’est pas taxé ou est taxé à un taux inférieur au taux minimum dans l’autre juridiction contractante. Plus précisément, la RAI cible les structures transfrontalières liées aux paiements intragroupe qui exploitent certaines dispositions de la convention pour transférer des bénéfices de pays de la source vers des juridictions où ces paiements supportent des taux d’imposition nominale faibles ou nuls. En rétablissant des droits d'imposition en faveur de la juridiction de la source en pareils cas, la RAI vise à aider ces juridictions, et notamment celles à plus faibles capacités administratives, à protéger leur base d’imposition.
568. Comme expliqué plus en détail dans la section 9.2.3, la RAI s'appliquera donc à certaines catégories de paiements qui présentent un risque accru d'érosion de la base d’imposition (paiements couverts). Les travaux accomplis à ce jour se sont concentrés sur les intérêts, redevances et autres paiements qui sont exposés à des pratiques de BEPS parce qu’ils sont liés à des risques, des actifs ou de capitaux mobiles.
569. Bien que les intérêts, les loyers et certains autres paiements déductibles entre personnes liées puissent donner lieu à des pratiques de BEPS portant sur le capital, les actifs et les risques mobiles, de telles pratiques peuvent aussi affecter des gains qui seraient sinon imposables dans l'État de la source et qui sont transférés dans la juridiction de résidence pour échapper à l’impôt. Ces structures peuvent présenter des caractéristiques mobiles comparables à celles visées par les paiements couverts. Aussi, une réflexion sera menée sur l’opportunité d'appliquer aussi la RAI à ces structures. Ces travaux seront axés sur les stratégies qui génèrent le plus grand risque d'érosion de la base d’imposition (s'agissant des gains en capital, ces stratégies ne sont pas nécessairement tributaires du fait que les parties sont des personnes liées). Si de telles règles devaient être élaborées, elles devraient alléger la charge pesant sur les administrations fiscales et sur les contribuables, et éviter une double imposition ou une imposition excessive par rapport au bénéfice économique, comme la prise en compte des régimes d’exemption de participation.
570. La RAI ne cherche pas à aborder des questions fiscales plus larges concernant la répartition des droits d’imposition entre juridictions. À juste titre, les juridictions ont des positions divergentes sur ces questions, qui relèvent de négociations bilatérales. Aucun des éléments constitutifs de la conception de la RAI - qui met l'accent sur le traitement de certains risques d'érosion de la base d’imposition dans le contexte de GloBE de plus large portée - n’éclaire ou ne compromet ces positions sur des sujets plus vastes touchant aux conventions fiscales.
571. Par conséquent, la mise en œuvre de la RAI ne passera pas par des modifications des articles du Modèle de Convention fiscale de l’OCDE (OCDE, 2018[2]) qui régissent l’attribution des droits d’imposition sur les bénéfices des entreprises (article 7), les intérêts (article 11) ou les redevances (article 12), ou les dispositions équivalentes figurant dans les conventions existantes, mais pourrait donner lieu à une disposition conventionnelle autonome distincte qui codifie la règle et chacun de ses éléments conceptuels.
572. Comme pour d'autres éléments du deuxième Pilier, les membres du Cadre inclusif reconnaissent l’importance d'élaborer des règles qui atteignent les objectifs ci-dessus tout en minimisant les contraintes pour les administrations fiscales comme pour les contribuables et en évitant les cas de double d’imposition ou d’imposition excessive par rapport au bénéfice économique.
573. Globalement, les travaux relatifs à l’architecture de la RAI porteront sur les composantes suivantes :
a. Appliquée aux paiements. La RAI est une règle conventionnelle autonome qui, conformément au mode opératoire des conventions fiscales bilatérales, s’appliquera aux paiements entre résidents de deux États contractants. Cette approche fondée sur les paiements signifie que la règle ne procédera pas à une agrégation par juridiction ou par entité, mais se référera à l’impôt applicable à un élément de revenu. Néanmoins, conformément au champ d'application de GloBE, elle ne s’appliquera pas aux paiements effectués entre particuliers ou au profit de particuliers.
b. Appliquée entre parties liées. La règle s'appliquera aux paiements entre personnes liées. La définition de personnes liées repose sur la définition de personnes « étroitement liées » figurant respectivement dans les articles 5(8) et 5(9) des Modèles de Convention fiscale de l’OCDE (OCDE, 2018[2]) et des Nations Unies (UN, 2011[1]). D'après cette définition, deux personnes sont considérées comme « liées » si l’une contrôle l’autre ou toutes deux sont sous le contrôle de la même personne ou des mêmes personnes. Bien que ce test soit basé sur une relation de contrôle de facto, ces critères de contrôle sont automatiquement remplis lorsqu’une personne détient directement ou indirectement plus de 50 % des intérêts effectifs dans l’autre ou si une autre personne détient directement ou indirectement plus de 50 % des intérêts effectifs dans les deux.
c. Paiements couverts. La règle s'appliquera à un ensemble prédéfini de paiements donnant lieu à des préoccupations en matière d'érosion de la base d'imposition. On réfléchira aussi à l’opportunité d'appliquer la RAI à certaines structures destinées à transférer des bénéfices de la juridiction de la source vers celle de résidence, où ils seront soumis à de faibles taux nominaux d’imposition.
d. Entités exclues. Conformément au champ d'application des règles GloBE, la RAI ne s’appliquera pas à certaines entités qui n’entrent pas dans le champ de la règle d’inclusion du revenu et de la règle relative aux paiements insuffisamment imposés (dès lors que certaines conditions sont remplies). Les entités actuellement pressenties pour être exclues de l'application de ces règles sont : les fonds d’investissement ; les fonds de pension, les entités publiques (y compris les fonds souverains) ; les organisations internationales et les organisations à but non lucratif.
e. Seuil de matérialité. Pour faire en sorte que la RAI cible les structures qui posent les plus grands risques de transfert de bénéfices et soit simple à gérer et à respecter, on envisagera de fixer un seuil de matérialité basé sur un ou plusieurs des éléments suivants : taille du groupe d’EMN, valeur des paiements couverts, et ratio des paiements couverts rapportés au total des dépenses.
f. Seuil de déclenchement fondé sur un taux nominal ajusté. La règle se déclenchera lorsqu’un paiement est soumis à un taux d’imposition nominal dans la juridiction du bénéficiaire qui est inférieur au taux minimum, après prise en compte de certaines variations permanentes de la base d’imposition qui sont directement liées au paiement ou à l’entité bénéficiaire. Cette approche est cohérente avec la conception d'une règle fondée sur les paiements ; l’application d’un test du taux effectif d'imposition à chaque paiement serait excessivement complexe à gérer et à respecter.
g. Approche fondée sur un impôt supplémentaire à concurrence d’un impôt minimum. La règle aura pour effet de permettre à la juridiction du payeur d'appliquer un impôt complémentaire afin de porter l’impôt sur le paiement au niveau du taux minimum convenu, en interagissant de façon coordonnée avec le taux de retenue éventuellement prévu par la convention. Étant donné que la règle s'applique au montant brut du paiement, l’impôt supplémentaire sera plafonné de manière à éviter toute imposition excessive.
574. Les cinq premières composantes délimitent le champ d'application de la règle autonome et les deux dernières déterminent les conditions dans lesquelles elle s'applique et l’effet qu’elle produit. Les éléments évoqués ci-dessus sont présentées plus en détail ci-après.