Ce chapitre examine certaines dimensions de l’intégration sociale de la diaspora sénégalaise dans les principaux pays d’accueil de l’OCDE. Ce chapitre s’intéresse d’abord à leurs compétences en littératie et en numératie ainsi qu’à leur maîtrise de la langue du pays de destination. Il décrit ensuite les niveaux d’acquisition de la nationalité des pays de l’OCDE et les facteurs sociodémographiques qui la facilitent. L’acquisition de la nationalité des émigrés représente une étape décisive en faveur de leur intégration civique et politique. D’un autre côté, elle reflète leur volonté d’intégration.
Panorama de l’émigration sénégalaise
4. Aspects de l’intégration sociale des émigrés sénégalais
Abstract
En bref
Les compétences des émigrés sénégalais en littératie et numératie dans les pays de l’OCDE sont plus faibles que celles de l’ensemble des immigrés. Les femmes sénégalaises obtiennent des scores supérieurs aux hommes en littératie et en numératie.
Les émigrés sénégalais résidant aux États-Unis ont une bonne maîtrise de la langue anglaise. Seuls 10 % d’entre eux rencontrent des difficultés avec l’anglais. Ce manque de maîtrise concerne particulièrement les émigrés arrivés récemment. En revanche, les élèves émigrés sénégalais en Italie maîtrisent moins bien l’italien que l’ensemble des élèves nés à l’étranger.
Le nombre annuel d’acquisitions de la nationalité des pays de l’OCDE par les émigrés sénégalais a presque quintuplé entre 2000 et 2019, passant de 2000 à 9 700. Initialement dominées par les naturalisations françaises des Sénégalais, les acquisitions reflètent dorénavant davantage la diversification récente des flux d’émigration notamment vers l’Italie.
35 % des émigrés sénégalais avaient la nationalité de leur pays de destination en 2015/16, une proportion inférieure à celle des émigrés de l’UEMOA (40 %) et de l’ensemble des immigrés dans l’OCDE (50 %).
La part d’émigrés sénégalais ayant la nationalité du pays d’accueil varie significativement selon les pays. Elle est particulièrement faible en Italie (12 %) et en Espagne (13 %) et relativement élevée en France (56 %). Ces différences s’expliquent notamment par les législations nationales en la matière et par le caractère plus ou moins récent de l’immigration sénégalaise dans ces pays.
La proportion d’émigrés sénégalais ayant acquis la nationalité augmente fortement au-delà de dix ans de séjour en France (+28 points de pourcentage par rapport à la cohorte arrivée plus tard) et au-delà de cinq ans de séjour aux États-Unis (+40 points de pourcentage). En France, à durée de séjour similaire, les émigrés sénégalais acquièrent plus souvent la nationalité française que l’ensemble des immigrés.
Les femmes nées au Sénégal et les diplômés du supérieur acquièrent plus souvent la nationalité française.
L’intégration sociale des émigrés dans les pays d’accueil joue un rôle prépondérant dans leur intégration économique (voir Chapitre 3), leur sentiment d’appartenance et leur bien-être (voir Encadré 4.1). L’intégration sociale des immigrés se matérialise par exemple par leur niveau d’accès aux services et institutions de base dont ceux de santé que la pandémie de SARS‑CoV‑19 a récemment mis en lumière (voir Encadré 4.2).
Encadré 4.1. Sentiment d’appartenance et bien-être des émigrés sénégalais
Les émigrés sénégalais partagent un sentiment de bien-être mitigé
Le sentiment d’appartenance des émigrés à leur société d’accueil, leur sentiment de satisfaction dans leur vie et leur volonté de rester dans le pays, ainsi que leur degré d’interaction avec les personnes natives sont autant d’indicateurs influant en amont et en aval de leur intégration sociale. L’enquête mondiale Gallup (voir Annexe A) permet de recueillir des données sur le sentiment de satisfaction dans la vie des émigrés sénégalais résidant principalement dans les pays d’Afrique de l’Ouest (notamment la Mauritanie, la Gambie et le Gabon) entre 2009 et 2021. Près de 70 % des répondants considèrent que leur pays de résidence actuel est un bon endroit pour vivre pour les immigrés. Cette appréciation est légèrement inférieure à celle déclarée par l’ensemble des émigrés de l’UEMOA (76 %). Concernant le sentiment de satisfaction dans la vie mesuré sur une échelle allant de 0 à 10 (10 étant le plus positif, 0 le plus négatif), le niveau de satisfaction est moyen (5 sur 10). 34 % des émigrés sénégalais affirment être satisfaits de leur vie à 6 sur 10 ou plus et 42 % d’entre eux se disent peu satisfaits voire insatisfaits dans leur vie (0 à 4 sur 10), contre seulement de 29 % parmi les émigrés de l’UEMOA. En revanche, la majorité des émigrés sénégalais (70 %) affirment être satisfaits de la liberté qu’ils ont de mener leur vie, un taux similaire à celui des émigrés de l’UEMOA dans leur ensemble.
En Italie, d’après l’enquête Intégration scolaire et sociale des immigrés de deuxième génération de 2015, seulement 20 % des élèves nés au Sénégal souhaitaient continuer à vivre en Italie dans le futur quand c’est le cas pour près de 30 % de l’ensemble des élèves nés à l’étranger. De plus, les élèves originaires du Sénégal affirment s’entendre moins bien et passer moins de temps avec leurs camarades italiens que l’ensemble des élèves nés à l’étranger et ce bien qu’ils semblent se sentir mieux dans leur classe que l’ensemble des élèves étrangers.
L’intégration sociale des descendants d’immigrés dans le pays d’accueil de leurs parents est un autre indicateur de la réussite de l’intégration de ces derniers, et de la mesure dans laquelle peuvent perdurer les difficultés auxquelles les personnes originaires de l’étranger font face. Ainsi, en Italie en 2015, près de 80 % des enfants d’un parent émigré sénégalais préfèreraient vivre à l’étranger plutôt qu’en Italie dans le futur. Cette part était encore plus élevée pour les enfants de deux parents émigrés sénégalais et pour les filles de parent(s) né(s) au Sénégal.
Encadré 4.2. Surmortalité des émigrés sénégalais dans le contexte de l’épidémie de COVID‑19 en France
L’épidémie de COVID‑19 a eu un impact particulièrement important en termes de mortalité sur certains groupes d’immigrés dans les pays de l’OCDE (OCDE, 2020[1]). En Belgique, par exemple, l’analyse des données de décès pour la période de mars à mi-mai 2020 (première vague du COVID‑19 en Europe) révèle une surmortalité particulièrement élevée touchant les hommes originaires d’Afrique sub-saharienne par rapport à la même période de l’année 2019 (Vanthomme et al., 2021[2]). Dans le cas de la France, entre 2019 et 2020, les décès des personnes nées à l’étranger ont augmenté deux fois plus (+17 %) que ceux des personnes nées en France (+ 8 %), avec une surmortalité particulièrement forte pour les natifs d’Afrique sub-saharienne (+36 %). Ce différentiel de surmortalité a été accentué lors de la période de mars à avril 2020 (Papon et Robert-Bobée, 2021[3]).
Une analyse plus détaillée des données de mortalité en France en 2019 et 2020 permet de distinguer le cas des émigrés sénégalais durant la première année de l’épidémie. Globalement, en 2019, près de 600 personnes nées au Sénégal sont décédées en France (dont 67 % d’hommes et 70 % de personnes âgées de 60 ans et plus). En 2020, 870 personnes nées au Sénégal sont décédées en France (dont 70 % d’hommes et 71 % de 60 ans et plus). Cela représente un accroissement de 45 % des décès (contre +8 % pour les personnes nées en France et +17 % pour l’ensemble des immigrés). Cette augmentation a davantage touché les hommes (+54 % contre +30 % pour les femmes) et les personnes âgées de 60 ans et plus (+49 %, contre +37 % pour les moins de 60 ans). Par rapport aux émigrés ivoiriens et maliens, pour lesquels on retrouve des évolutions globalement similaires, les émigrés sénégalais ont connu en 2020 un différentiel de surmortalité entre hommes et femmes, comparable à celui observé pour l’ensemble des immigrés en France (Graphique 4.1).
Compétences et pratique de la langue des pays de destination
Au-delà du niveau général d’éducation des émigrés sénégalais, leurs compétences en littératie, en numératie et leur maîtrise de la langue du pays de destination sont des facteurs primordiaux de leur intégration sociale, en plus d’être des déterminants de leur insertion sur le marché du travail (OCDE/Union européenne, 2019[4]). Ces compétences permettent de participer à la vie économique et sociale de la société d’accueil et facilite leur accès à l’information, aux services publics, aux institutions et leur permet donc de faire valoir les droits auxquels ils peuvent prétendre. Cette section examine ainsi les compétences des émigrés sénégalais dans les pays de l’OCDE, ainsi que leur niveau de maîtrise de la langue du pays de destination, relativement aux autres émigrés et aux natifs.
Les émigrés sénégalais ont moins de maîtrise en littératie et numératie que l’ensemble des immigrés des pays de l’OCDE
Selon les données du Programme pour l’évaluation internationale des compétences des adultes (PIAAC, voir Encadré 4.3), le niveau des émigrés sénégalais entre 16 et 65 ans dans les pays de l’OCDE en littératie et numératie était inférieur à celui de l’ensemble des immigrés et de la population née dans les pays de l’OCDE, en 2012. Comme le montre le Graphique 4.2, les scores moyens en littératie et numératie des émigrés sénégalais étaient inférieurs de 36 et 48 points respectivement à ceux obtenus par l’ensemble des individus nés à l’étranger. L’écart était plus large encore avec les natifs dont les scores étaient supérieurs de 62 et 76 points en littératie et en numératie en moyenne. Ces scores étaient très proches de ceux obtenus par l’ensemble des émigrés de l’UEMOA, le score moyen des émigrés sénégalais étant marginalement inférieur en numératie (‑11 points) et en littératie (‑2 points) à celui des émigrés de l’UEMOA. Par ailleurs, les émigrés sénégalais avaient un niveau relativement plus faible en numératie ; l’écart avec le score moyen obtenu en littératie était deux et trois fois plus large que celui des émigrés de l’UEMOA et de l’ensemble des émigrés.
Il existait des différences notables dans les scores obtenus par les émigrés sénégalais selon le genre. Les scores moyens des femmes nées au Sénégal et résidant dans les pays de l’OCDE étaient supérieurs aux scores des hommes de 18 et 30 points en littératie et en numératie respectivement. Cela s’oppose aux différences de résultats entre l’ensemble des femmes et des hommes nés à l’étranger ou nés dans les pays de l’OCDE, les hommes obtenant des scores moyens supérieurs à ceux des femmes en littératie et en numératie. De plus, les compétences des femmes sénégalaises étaient supérieures en moyenne à celles de l’ensemble des femmes émigrées de l’UEMOA dans les deux domaines. Les hommes sénégalais, eux, avaient un niveau plus faible que les hommes émigrés de l’UEMOA en numératie.
Encadré 4.3. L’enquête PIAAC et l’évaluation des compétences
Programme international de l’OCDE pour l’évaluation des compétences des adultes (PIAAC)
Le Programme International de l’OCDE pour l’évaluation des compétences des adultes (PIAAC) est une étude internationale dont le but est d’évaluer les compétences des individus en âge de 16 à 65 ans (OCDE, 2012[5]). Ces derniers répondent à des exercices visant à mesurer leur niveau de compétences de bases nécessaires à la participation à la vie sociale et économique des pays de l’OCDE. Les compétences testées comprennent la lecture, l’écriture, le calcul et la résolution de problèmes dans un environnement à forte composante technologique. En complément, un questionnaire porte sur la manière dont les adultes utilisent leurs compétences à la maison et au travail. En 2011/12, l’enquête a été menée simultanément dans 24 pays, dont la plupart sont membres de l’OCDE. En Belgique, seule la Flandre est couverte, et au Royaume‑Uni, uniquement l’Angleterre et l’Irlande du Nord. Sa mise en œuvre a été confiée à sept instituts de recherche et les échantillons comptaient 5 000 personnes dans la plupart des pays participants. Il convient toutefois de noter que les données peuvent comporter des marges d’erreur non négligeables en raison de la faible taille du sous-échantillon des émigrés sénégalais.
La littératie
La littératie est la capacité à comprendre et à utiliser l’information contenue dans des textes écrits dans divers contextes pour atteindre des objectifs et pour développer des connaissances et des aptitudes. Il s’agit d’une exigence de base pour développer des compétences de plus haut niveau et pour atteindre des résultats positifs en termes économiques et sociaux. Des études antérieures ont montré que la compréhension de l’écrit est étroitement liée à des résultats satisfaisants dans le cadre du travail, à la participation sociale, et à l’apprentissage tout au long de la vie. Contrairement aux évaluations précédentes de la littératie, celle‑ci évalue la capacité des adultes à lire des textes numériques (par exemple des textes contenant de l’hypertexte et des fonctions de navigation, telles que le défilement ou en cliquant sur des liens) ainsi que des textes imprimés traditionnels.
La numératie
La numératie est la capacité à utiliser, appliquer, interpréter et communiquer des informations et des idées mathématiques. Il s’agit d’une compétence essentielle à une époque où les individus rencontrent, de plus en plus souvent, un large éventail d’informations quantitatives et mathématiques dans leur vie quotidienne. La numératie est une compétence parallèle à la compréhension de l’écrit, et il est important d’évaluer comment ces compétences interagissent car elles sont réparties différemment selon les sous-groupes de la population.
Aux États-Unis, 10 % des émigrés sénégalais déclarent avoir des difficultés en anglais
La maîtrise de la langue du pays de destination est une dimension particulièrement importante de l’intégration économique et sociale des immigrés. Cela facilite l’intégration sur le marché du travail local, l’accès à l’information et leur permet de connaître et faire valoir leurs droits comme celui à la naturalisation. Cependant, parler la langue du pays de destination est souvent une des raisons du choix du pays de destination et généralement une condition à l’obtention d’un titre de séjour notamment quand elle se fait dans le cadre d’une installation pour raisons professionnelles. Ainsi, il est relativement peu étonnant que les émigrés parlent couramment la langue du pays de destination et cela d’autant plus qu’ils sont dans le pays depuis plus longtemps. De ce fait, en 2017/2019, une grande majorité des émigrés sénégalais vivant aux États-Unis déclare parler couramment anglais. 90 % d’entre eux parlent bien, très bien, voire uniquement l’anglais (respectivement 22 %, 54 % et 14 % des répondants) sur la période la plus récente (voir Graphique 4.3). Seuls 10 % ne parlent peu voire pas du tout anglais. Cependant, la majorité d’entre eux continuent de parler fréquemment le français chez eux ; 49 % des répondants indiquent parler français au sein de leur ménage. Cette distribution est similaire à celle observée pour l’ensemble des émigrés de l’UEMOA. En revanche, les émigrés sénégalais s’en sortent mieux que l’ensemble des personnes nées à l’étranger et résidant aux États-Unis. Effectivement, 24 % de l’ensemble des immigrés indiquent ne parler que peu voire pas du tout anglais, et 36 % d’entre eux déclarent parler très bien cette langue. Cela peut s’expliquer notamment par le fait que la communauté sénégalaise reste petite en taille aux États-Unis et donc il est d’autant plus nécessaire pour s’intégrer de parler la langue quand d’autres communautés non anglophones peuvent bénéficier d’un réseau bien plus grand. Ces différences sont toutefois à interpréter avec précaution car les résultats sont basés sur une perception personnelle des niveaux d’anglais et peuvent ainsi varier d’un individu ou groupe d’individus à un autre.
Comme noté plus haut et présenté dans le Graphique 4.4. , la pratique de la langue des immigrés s’améliore à mesure que le temps passé dans le pays de destination augmente. Un émigré sénégalais sur quatre arrivé aux États-Unis il y a moins de cinq ans ne parle peu ou pas anglais (26 %). La moitié d’entre eux parle très bien voire seulement l’anglais. La maîtrise de l’anglais des émigrés sénégalais arrivés récemment est en moyenne meilleure que celle de l’ensemble des immigrés résidant aux États-Unis, puisque 30 % de ces derniers indiquent ne parler que peu ou pas du tout anglais. Au-delà de cinq ans passés aux États-Unis, la part des émigrés sénégalais ne parlant peu ou pas du tout anglais reste stable autour de 6 %.Pour l’ensemble des émigrés, si elle diminue à mesure que le temps passé aux États-Unis augmente, elle reste très supérieure. On retrouve ainsi une différence significative de maitrise de l’anglais parmi les émigrés présents depuis plus longtemps : parmi les émigrés sénégalais présents aux États-Unis depuis plus de 20 ans, 6 % ne parlent peu ou pas du tout anglais, alors que 21 % de l’ensemble des immigrés sont dans cette situation.
En Italie, d’après l’enquête Intégration scolaire et sociale des immigrés de deuxième génération réalisée en 2015, les élèves de collèges et lycées nés au Sénégal avaient une moins bonne maîtrise de la langue que les autres élèves nés à l’étranger. En effet, 40 % des élèves nés au Sénégal affirmaient parler très bien italien contre 54 % de l’ensemble des élèves nés à l’étranger. Concernant le niveau de lecture et de compréhension de la langue, les différences étaient du même ordre : 40 % des élèves sénégalais indiquaient savoir très bien lire l’italien et 48 % d’entre eux très bien le comprendre, contre respectivement 52 % et 66 % de l’ensemble des élèves nés à l’étranger. En revanche, la différence entre ces deux groupes était marginale concernant le niveau d’écriture de la langue.
En France, premier pays de destination de l’OCDE des émigrés sénégalais, il est entendu que le français ne constitue qu’une barrière limitée à l’intégration des individus nés au Sénégal, dont une des six langues officielles est le français. Bien que ce ne soit pas la langue la plus parlée au Sénégal, les Sénégalais bénéficient d’un avantage de ce point de vue relativement aux immigrés venus de pays non francophones. Cela va de même pour les autres pays francophones de l’OCDE.
Acquisition de la nationalité des émigrés sénégalais dans les pays de l’OCDE
L’acquisition de la nationalité est un déterminant de l’intégration civique et donc de l’intégration sociale dans la mesure où elle permet aux immigrés de participer aux décisions politiques notamment au travers du vote et ainsi bénéficier des mêmes droits que l’ensemble des citoyens (OCDE/Union européenne, 2019[4]). La démarche de demander la nationalité du pays de destination traduit aussi une volonté des émigrés de faire davantage porter leur voix dans la vie citoyenne et politique de la société d’accueil. Les modalités d’obtention de la nationalité diffèrent selon les pays. Un des critères primordiaux d’acquisition de la nationalité est la durée de séjour des immigrés dans le pays d’accueil. Dans le cas de la France, premier pays de destination des émigrés sénégalais dans l’OCDE, pour les personnes nées à l’étranger et dont aucun parent n’est français, la nationalité peut être obtenue par déclaration1 ou par naturalisation. La déclaration de nationalité concerne principalement les conjoints de Français, toujours sous condition de durée de résidence en France, entre autres. La naturalisation concerne les étrangers résidant en France depuis au moins cinq ans, sous condition notamment d’une connaissance suffisante de la langue française et d’une bonne insertion professionnelle.
La majorité des émigrés sénégalais n’ont pas la nationalité de leur pays d’accueil
Entre 2000 et 2019, le nombre annuel d’acquisitions de la nationalité des pays de l’OCDE par les émigrés sénégalais a presque quintuplé, passant d’environ 2000 acquisitions en 2000 à 9 700 en 2019, selon la base de données de l’OCDE sur les migrations internationales. Comme l’indique le Graphique 4.5, au cours de cette période, la grande majorité des acquisitions de nationalité par les émigrés sénégalais ont eu lieu en France. Cependant, la part des acquisitions de la nationalité française par les émigrés sénégalais a significativement diminué depuis les années 2000. Alors que plus des trois quarts des acquisitions de nationalité (78 %) étaient françaises en 2000, elles représentent moins d’un tiers des acquisitions (31 %) en 2019. Cela reflète la diversification des flux d’émigration des Sénégalais dans l’OCDE.
Jusqu’en 2010, les États-Unis et l’Espagne étaient les deux pays délivrant le plus souvent la nationalité aux émigrés sénégalais après la France, suivis de l’Italie et du Canada. Les acquisitions de nationalité américaine et espagnole représentaient ainsi près de 20 % des naturalisations des émigrés sénégalais dans l’OCDE. En Espagne, leur nombre a été multiplié par 15 entre 2001 et 2019 (par 4 aux États-Unis). Cette augmentation coïncide avec la mise en œuvre en 2013 d’une amélioration du processus de demande de naturalisation en Espagne, comprenant notamment la numérisation, centralisation et rationalisation de la procédure. De nombreuses demandes faites dans les années précédentes ont donc été acceptées en 2013 (OCDE, 2017[6]). De même, le nombre d’acquisitions annuelles de la nationalité italienne a été multiplié par 15 entre 2007 et 2019 (par 5 entre 2012 et 2016)2, dépassant le nombre d’acquisitions de nationalité française pendant cinq années (entre 2014 et 2018), jusqu’à représenter 40 % des naturalisations en 2016 et 2017 avant de revenir à un niveau relativement plus faible en 2019 (29 %). En nombre d’acquisitions de nationalité, la différence entre la France et l’Italie est inférieure à 200 quand elle atteignait près de 3 000 en à la fin des années 2000. Ainsi, la croissance du nombre total d’acquisitions de nationalité par les émigrés sénégalais dans les pays de l’OCDE à partir de 2012 est principalement imputable aux délivrances de la nationalité italienne.
35 % des émigrés sénégalais résidant dans les pays de l’OCDE avaient la nationalité du pays de destination en 2015/16. Cette part était inférieure à la proportion moyenne de l’ensemble des immigrés ayant la nationalité du pays d’accueil dans l’OCDE, atteignant 50 %. De plus, comme le montre le Graphique 4.6, ce taux est aussi inférieur au taux moyen observé pour les émigrés de l’UEMOA : 40 % avaient la nationalité du pays d’accueil. Les émigrés sénégalais avec les émigrés maliens détenaient le moins souvent la nationalité de leurs pays d’accueil (respectivement 35 % et 33 %). Les émigrés en provenance du Bénin et du Togo avaient les taux d’acquisitions de la nationalité des pays de destination les plus élevés (respectivement 54 % et 60 %).
La proportion d’émigrés sénégalais détenant la nationalité de leur pays d’accueil est très hétérogène selon les pays, comme le met en évidence le Graphique 4.7. En 2015/16, la part d’émigrés sénégalais ayant la nationalité espagnole et italienne était particulièrement faible (7 % et 11 % respectivement en 2015/16), tandis que 59 % des émigrés sénégalais en France et 49 % des émigrés sénégalais aux États-Unis avaient la nationalité française ou américaine à la même période. Cette proportion était de 44 % en Belgique, 46 % aux Pays-Bas et 48 % au Canada.
Ces taux sont restés relativement stables sur la période la plus récente dans les différents pays de destination de l’OCDE des émigrés sénégalais à l’exception de l’Espagne où, d’après les données récentes du registre de la population, 13 % des émigrés sénégalais ont la nationalité espagnole en 2020. Si cela correspond à une augmentation de 6 points de pourcentages depuis 2015, cela reste significativement inférieur à la part de l’ensemble des immigrés avec la nationalité espagnole (30 %). En Italie, d’après les données de l’enquête emploi de 2017/2020, 30 % de l’ensemble des immigrés ont la nationalité soit 18 points de pourcentage de plus que les émigrés sénégalais. En France, on observe des écarts similaires mais à la faveur des émigrés sénégalais. La proportion d’émigrés sénégalais avec la nationalité française est supérieure de près de 20 points de pourcentage à celle de l’ensemble des immigrés en France (38 % avec la nationalité française en 2018/2019).
Les différences de proportion d’émigrés sénégalais ayant la nationalité des différents pays de destination au sein de l’OCDE s’expliquent notamment par les différences de législations nationales concernant l’obtention de la nationalité et par la prévalence d’immigrés disposant déjà de la nationalité. Effectivement, dans de nombreux pays, des émigrés sénégalais ont obtenu la nationalité du pays de destination à la naissance du fait que leurs parents aient eux-mêmes la nationalité de ce même pays. C’est le cas notamment en France où environ 45 % des émigrés sénégalais sont nés français et donc 55 % sont devenus français par acquisition. Aux États-Unis, parmi les citoyens américains nés au Sénégal, la proportion de ceux nés avec la nationalité est seulement de 11 %. Cette proportion est de 4 % dans le cas du Canada.
Un autre facteur explicatif des différences entre pays est le caractère plus ou moins récent de l’immigration. En effet, si la durée de séjour est très souvent un des critères pour être naturalisé, les pays d’accueil adoptent des seuils plus ou moins contraignants. Par exemple, la naturalisation en Italie et en Espagne nécessite, en plus d’autres critères, d’avoir résidé de manière continue au moins dix ans dans le pays (en dehors des acquisitions par mariage, descendance ou naissance) pour les citoyens non communautaires. De plus en Espagne, le processus de naturalisation par résidence nécessite pour les Sénégalais de renoncer à leur nationalité d’origine, ce qui peut fortement décourager les immigrés à obtenir la nationalité espagnole. En revanche, aux États-Unis, au Canada et en France, cette durée minimale est de cinq ans, rendant la citoyenneté relativement plus accessible.
Pour la France, la proportion relativement plus élevée d’émigrés sénégalais ayant la nationalité française peut également s’expliquer par le fait que la France offre un accès particulier à la nationalité aux immigrés originaires d’un pays dont le français est la langue officielle (Migration Policy Group/France Terre d'Asile, 2013[7]).
À durée de séjour égale, les émigrés sénégalais acquièrent plus souvent la nationalité française que les autres émigrés
Comme le met en évidence le Graphique 4.8, en 2018/2019, la majorité des émigrés sénégalais ont la nationalité française passés dix ans de résidence en France (52 %). Ce taux est supérieur de 28 points de pourcentage à celui observé pour les individus arrivés il y a cinq à dix ans. Passés 20 ans ou plus, ce taux n’augmente que marginalement, 62 % des émigrés sénégalais ayant acquis la nationalité française. Aux États-Unis, dès cinq ans à dix ans de résidence, près de la moitié des émigrés sénégalais obtiennent la nationalité américaine (48 %). C’est 40 points de pourcentage de plus que pour ceux arrivés il y a moins de cinq ans dans le pays. Ce taux augmente plus progressivement au-delà atteignant 55 % après dix ans et 64 % après 20 ans de résidence.
La proportion des émigrés sénégalais détenant la nationalité italienne est, en revanche, nettement plus faible qu’en France ou aux États-Unis quelle que soit la durée de séjour. Elle n’augmente significativement que lorsque les émigrés sénégalais sont présents depuis plus de 20 ans dans le pays (29 %, +14 points de pourcentage par rapport à une durée de séjour entre dix et 20 ans). Avant dix ans de résidence en Italie, moins d’un émigré sénégalais sur vingt acquiert la nationalité (3.5 %). Les émigrés sénégalais attendent donc moins longtemps avant d’obtenir la nationalité aux États-Unis qu’en France et qu’en Italie.
Les émigrés sénégalais acquièrent plus souvent la nationalité française que l’ensemble des immigrés présents en France, quelle que soit leur durée de séjour. L’écart de taux d’acquisition de nationalités entre les émigrés sénégalais et l’ensemble des individus nés à l’étranger se creuse jusqu’à atteindre 15 points de pourcentage pour les individus installés depuis au moins dix ans en France (Graphique 4.8). La prévalence de l’acquisition de la nationalité est toutefois relativement similaire entre les personnes nées au Sénégal et l’ensemble des émigrés de l’UEMOA. Les émigrés sénégalais présents aux États-Unis depuis moins de 20 ans ont également plus souvent la nationalité américaine que l’ensemble des personnes nées à l’étranger. En Italie, la proportion d’émigrés avec la nationalité italienne est très similaire entre les émigrés sénégalais et l’ensemble des émigrés de l’UEMOA. Elle l’est aussi avec l’ensemble des immigrés en Italie jusqu’à 20 ans de séjour. Au-delà de 20 ans de résidence en Italie, deux tiers des immigrés ont obtenu la nationalité soit plus du double des émigrés de l’UEMOA.
Les femmes et les diplômés du supérieur acquièrent plus souvent la nationalité française
L’accès à la nationalité du pays de destination des émigrés sénégalais varie aussi selon leurs caractéristiques sociodémographiques. Ainsi, près de la moitié des femmes nées au Sénégal ont acquis la nationalité française contre 38 % de leurs homologues masculins. On retrouve des différences similaires pour l’ensemble des émigrés de l’UEMOA et plus généralement pour les immigrés résidant en France. En contrôlant pour le temps passé en France, cet écart se creuse au-delà de dix ans de séjour dans le pays. La plus grande prévalence de l’acquisition de la nationalité chez les femmes pourrait notamment s’expliquer par le fait que les femmes sénégalaises émigrent plus souvent pour des raisons familiales (voir Chapitre 1) venant ainsi rejoindre un conjoint déjà citoyen du pays de destination ou ayant des chances de le devenir. En revanche, aux États-Unis, les hommes ont davantage la nationalité que les femmes aussi bien parmi celles et ceux nés au Sénégal que plus généralement nés dans l’UEMOA. Ce dernier résultat cache des hétérogénéités selon la durée de séjour des hommes et des femmes émigrées.
Le niveau d’éducation des émigrés est un autre facteur déterminant de l’acquisition de la nationalité du pays d’accueil. Comme noté plus haut, au-delà des contraintes liées à la durée de séjour, les procédures d’acquisition de la nationalité par les émigrés requièrent un niveau minimal de connaissance de la langue, de la culture, de l’histoire et des institutions du pays d’accueil, ainsi que de ressources financières, généralement associés à un niveau d’éducation intermédiaire voire supérieur. En France, les émigrés sénégalais ayant suivi un enseignement supérieur acquièrent plus souvent la nationalité que les émigrés faiblement éduqués : près de la moitié d’entre eux sont devenus français (46 %). C’est 13 points de pourcentage de plus que les émigrés sénégalais avec un niveau d’éducation faible. Comme le montre le Graphique 4.9, si la proportion d’émigrés sénégalais ayant acquis la nationalité française augmente à mesure que le temps passé depuis l’arrivée dans le pays de destination s’allonge, elle augmente d’autant plus que le niveau d’éducation des émigrés sénégalais est élevé. Ainsi, pour les individus résidant en France depuis plus de dix ans, près de trois émigrés sénégalais avec un niveau d’éducation élevé sur cinq ont acquis la nationalité (59 %). Ce taux est similaire pour les individus avec un niveau d’étude intermédiaire mais est supérieur de près de 20 points de pourcentage à celui des émigrés sénégalais avec un niveau d’éducation faible. Passés les 20 années de résidence en France, l’acquisition de la nationalité concerne quatre émigrés sénégalais sur cinq avec un diplôme du supérieur (81 %) contre 74 et 47 % de ceux avec un niveau intermédiaire ou faible. Aux États-Unis, le constat est similaire pour les émigrés sénégalais arrivés il y a plus de dix ans.
En revanche, pour les émigrés arrivés il y a dix ans ou moins, le niveau d’éducation ne détermine pas l’acquisition de la nationalité française. Au contraire même, aux États-Unis parmi les émigrés sénégalais arrivés il y a moins de dix ans, ceux avec un niveau d’éducation faible obtiennent plus souvent la nationalité que ceux avec un niveau d’éducation intermédiaire ou supérieur. Plus précisément, 56 % des émigrés sénégalais résidant aux États-Unis depuis cinq à dix ans et ayant suivi au plus un enseignement secondaire de premier cycle ont acquis la nationalité contre 52 et 41 % des émigrés sénégalais avec niveau intermédiaire et supérieur. Si cela s’explique par un effet de cohorte par périodes d’arrivées des émigrés sénégalais aux États-Unis, ce résultat pourrait aussi s’expliquer par le fait que les émigrés les plus éduqués, moins vulnérables économiquement et socialement ressentent un besoin moins fort d’acquérir la nationalité américaine rapidement.
Conclusion
L’intégration sociale des émigrés sénégalais est relativement hétérogène cachant des inégalités notables selon leurs caractéristiques sociodémographiques mais aussi selon le pays de destination. De façon générale, les émigrés sénégalais réussissent moins bien aux évaluations de compétences en littératie et numératie que les émigrés d’autres pays résidant dans les pays de l’OCDE. Cela se matérialise notamment par une moins bonne maîtrise des langues des pays non francophones, notamment l’italien. Cependant, dans les pays anglo-saxons, et particulièrement aux États-Unis, les émigrés sénégalais semblent avoir une bonne maîtrise de l’anglais. Cette intégration prend aussi la forme de l’acquisition de la nationalité du pays d’accueil, elle constitue généralement une étape nécessaire à la participation civique et électorale. Ainsi, le nombre de naturalisations d’émigrés sénégalais a presque quintuplé depuis le début des années 2000 parallèlement à l’augmentation des flux d’émigrés sénégalais. Avec la diversification des pays de destination, elles ne concernent plus quasi‑exclusivement les naturalisations en France. L’acquisition de la nationalité dépend de plusieurs facteurs, le plus évident étant le temps passé depuis l’arrivée dans le pays de destination. Le niveau d’éducation des émigrés facilite aussi l’acquisition de la nationalité. Les femmes obtiennent généralement plus souvent la nationalité que les hommes en France contrairement aux États-Unis.
Références
[7] Migration Policy Group/France Terre d’Asile (2013), L’accès à la nationalité et son impact sur l’intégration des immigrés. Manuel pour la France, Migration Policy Group.
[1] OCDE (2020), « What is the impact of the COVID-19 pandemic on immigrants and their children? », OECD Policy Responses to Coronavirus (COVID-19), Éditions OCDE, Paris, https://dx.doi.org/10.1787/e7cbb7de-en.
[6] OCDE (2017), Talents à l’étranger : Une revue des émigrés marocains, Éditions OCDE, Paris, https://dx.doi.org/10.1787/9789264264304-fr.
[5] OCDE (2012), Literacy, Numeracy and Problem Solving in Technology-Rich Environments : Framework for the OECD Survey of Adult Skills, Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/9789264128859-en.
[4] OCDE/Union européenne (2019), Trouver ses marques 2018: Les indicateurs de l’intégration des immigrés, Éditions OCDE, Paris/Union européenne, Brussels, https://dx.doi.org/10.1787/9789264309234-fr.
[3] Papon, S. et I. Robert-Bobée (2021), « Décès en 2020 : hausse plus forte pour les personnes nées à l’étranger que pour celles nées en France, surtout en mars-avril », Insee Focus 231.
[2] Vanthomme, K. et al. (2021), « A population-based study on mortality among Belgian immigrants during the first COVID-19 wave in Belgium. Can demographic and socioeconomic indicators explain differential mortality? », SSM - Population Health, vol. 14, p. 100797, https://doi.org/10.1016/j.ssmph.2021.100797.
Notes
← 1. La demande de la nationalité française par déclaration concerne les individus se mariant avec une personne de nationalité française, ou à raison de qualité d’ascendant de Français (incluant les grands-parents) ou de frère ou sœur de Français. Si un des parents est de nationalité française, l’enfant est français de naissance indépendamment de son lieu de naissance.
← 2. La première année pour laquelle les chiffres italiens d’acquisition de la nationalité sont disponibles est 2007 (2001 pour l’Espagne).