Ce chapitre contient un panorama des tendances récentes de l’investissement direct étranger (IDE) dans les pays de la CEDEAO, notamment une première évaluation de sa contribution au développement durable. Il propose ensuite une synthèse des messages clés et des principales considérations émaillant les chapitres de fond composant le rapport.
Perspectives des politiques de l’investissement durable dans les pays de la communauté économique des états de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO)
1. Présentation générale
Abstract
Introduction
L’Afrique de l’Ouest offre un marché aussi vaste que diversifié de plus de 400 millions d’habitants, richement doté en ressources naturelles, qui pourtant ne tire pas pleinement avantage, à ce stade, de son potentiel en tant que destination de l’investissement international. Les afflux d’investissements directs étrangers (IDE) ont stagné dans la région, tant en termes absolus qu’en pourcentage de l’IDE total à destination de l’Afrique, malgré un léger sursaut en 2021. De plus, l’investissement entrant dans la région n’a pas toujours tenu ses promesses en termes de promotion du développement durable. Aucun facteur ne peut, à lui seul, expliquer cette tendance, mais de très nombreux éléments donnent à penser que la région n’offre pas aux entreprises multinationales (EMN) des conditions d’investissement suffisamment propices pour qu’elles décident d’y investir et que leurs investissements aient des retombées positives. Au-delà de l’instabilité et des conflits politiques, les facteurs fréquemment évoqués sont notamment la fragmentation de l’investissement et des échanges ainsi que les cadres juridiques, réglementaires et institutionnels, la petite taille des marchés de la plupart des pays et le manque d’infrastructures et de main-d'œuvre qualifiée. (CEDEAO, 2018[1])
La signature, il y a peu, de l’accord sur la zone de libre-échange continentale africaine va ouvrir des perspectives plus larges aux États membres de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) qui pourront bénéficier d’un marché continental intégré et d’une concurrence accrue favorisée par la mobilité de l’investissement. La nécessité de donner la priorité à l’accroissement de la compétitivité de la région dans la course à l’investissement va de se fait devenir plus impérieuse.
Conscients du défi à relever pour attirer l’IDE afin de créer des emplois et de promouvoir le développement durable, les États membres de la CEDEAO ont pris des mesures pour améliorer les politiques publiques et la gouvernance dans la région. Ils ont notamment adopté la politique d’investissement de la CEDEAO (CEDEAO, 2018[1]), s’inspirant en partie du Cadre d’action de l’OCDE pour l’investissement dont la vocation première était d’instaurer des politiques régionales harmonisées en matière d'investissement et de climat. Ce cadre est complété par l’Acte additionnel de la CEDEAO portant sur les investissements et par le Code des investissements de la CEDEAO (CEDEAO, 2018[2] ; 2008[3]). Ces initiatives régionales ont vocation à donner un cap pour la mise en œuvre de réformes au niveau des pays.
Pour donner plus de force à l’élan de réforme et mettre en avant les résultats obtenus, les États membres de la CEDEAO ont également pris part, en collaboration avec la Banque mondiale, à un projet, financé par l’UE, d’élaboration d’un Tableau de bord du climat d’investissement ; six États membres ont été associés à une première étude pilote. Compte tenu de la rareté des ressources mobilisables par les États participant aux travaux, conjuguée à l’existence de demandes concurrentes, la poursuite de ce projet s’est révélée difficile cinq ans après son démarrage.
Le présent rapport a pour objet de poser un diagnostic de départ pour pouvoir amorcer une exploration des moyens de redynamiser l’effort de réforme des conditions d’investissement dans les pays de la CEDEAO en mettant aussi davantage l’accent sur l’amélioration des résultats produits par l’investissement sur le plan du développement durable. Les travaux ont pour but de recenser les domaines dans lesquels le renforcement de la collaboration entre la CEDEAO et l’OCDE pourrait contribuer à l’amélioration des conditions d’investissement dans l’ensemble de la région.
Les domaines d’action des pouvoirs publics couverts dans le présent rapport sont notamment le cadre réglementaire national qui sous-tend la législation nationale sur l’investissement et l’articulation entre ce cadre et les initiatives engagées au niveau régional, la promotion et la facilitation de l’investissement dans les pays de la CEDEAO, les incitations à l’investissement, l’investissement pour une croissance verte, et enfin la conduite responsable des entreprises. Ce choix de domaines repose sur les travaux menés par l’OCDE pour mettre en évidence les composantes essentielles d’un climat propice à l’investissement de nature à promouvoir non seulement l’IDE, mais aussi l’obtention de résultats sur le plan du développement durable.
Tendances récentes de l’IDE et estimations de ses effets dans les pays de la CEDEAO
Le niveau des flux entrants d’IDE dans les pays de la CEDEAO est modeste depuis une quinzaine d’années. Après avoir connu un essor jusqu’en 2008, l’IDE s’est tassé pendant la crise financière mondiale avant d’amorcer un recul jusqu’en 2018 où il est revenu à son niveau de 2006 (Graphique 1.1, Partie A). Le Nigéria, première économie de la CEDEAO, a subi une contraction particulièrement forte des flux entrants d’IDE depuis 2011, date à laquelle la situation sur le plan de la sécurité s’est détériorée dans plusieurs zones du pays en raison de la montée de groupes terroristes, d’actes de banditisme et de kidnappings et d’un regain d’agitation séparatiste (Banque mondiale, 2023[4]). D’autres pays à revenu intermédiaire de la région (le Bénin, le Cap-Vert, la Côte d’Ivoire, le Ghana et le Sénégal) ont au contraire enregistré une augmentation des entrées d’IDE, au moins jusqu’au début de la pandémie de COVID-19. Si l’on regarde de plus près le nombre et le volume des investissements internationaux dans de nouveaux projets concrets ou l’expansion des investissements existants (projets d’IDE de création), on note que le rebond des entrées d’IDE dans les pays de la CEDEAO observé en 2018 a été brutalement interrompu par la pandémie de COVID-19 et qu’aucun signe de redressement n’est perceptible depuis lors (Graphique 1.1, Partie B).
Le Nigéria concentre une forte proportion du stock d’IDE à destination de l’Afrique de l’Ouest, la part revenant à chacun des pays de la région étant très fortement corrélée à sa dimension économique. Avec un stock d’IDE de quelque 91 milliards USD, le Nigéria s’adjuge près de la moitié du stock d’IDE de la région, suivi du Ghana (21 %), de la Côte d’ Ivoire (6 %) et du Sénégal (5 %), lesquels accueillent collectivement un tiers du stock d’IDE (Graphique 1.2). Le Libéria (5 %), le Niger (4 %), le Mali (3 %) et la Guinée (3 %) hébergent globalement 15 % de ce stock et les autres pays environ 7 %. Bien que le Libéria ne représente qu'une part relativement faible du PIB de la région, soir 0.5 %, il est dépositaire de 5 % du stock d’IDE de la région grâce aux investissements réalisés dans l’exploitation des ressources forestières depuis le milieu des années 2000.
En ce qui concerne l’origine des stocks d’IDE dans la région, ceux-ci proviennent également d’une poignée de pays. Les Pays-Bas et la France sont les principaux investisseurs, puisqu’ils sont à l’origine de 37 % du stock d’IDE de la région en 2021, tandis que la part de l’ensemble des pays de l’UE ressort à 43 % (Graphique 1.3). Les États-Unis, le Canada et le Royaume-Uni détiennent pour leur part 18 % des stocks d’IDE de l’Afrique de l’Ouest, et la Chine16 %, suivie de près par Maurice et l’Afrique du Sud, totalisant à eux deux une part de 14 %. La concentration des investissements entre les mains des principales économies d’origine est plus ou moins prononcée selon les marchés. C’est au Nigéria que l’UE, de même que les États-Unis, le Canada et le Royaume-Uni, détiennent environ 65 % de leurs stocks d’IDE dans les pays de la CEDEAO. La Chine en revanche ne détient au Nigéria que 17 % environ de ses stocks d’IDE dans les pays de la CEDEAO, contre 48 % au Libéria.
L’une des motivations essentielles qui sous-tend les efforts visant à attirer l’IDE est l’espoir de créer des emplois. Les projets d’IDE de création dans les pays de la CEDEAO ont abouti en moyenne à la création de trois emplois pour un investissement d’un million USD, ce qui correspond à la moyenne au niveau mondial (Graphique 1.4, Partie A). Les pays richement dotés en ressources en énergies fossiles ou en métaux, comme le Nigéria et le Ghana, ou les pays à faible revenu comme le Bénin, ont tendance à attirer des projets d’IDE de création qui sont dirigés pour une large part vers le secteur minier et le secteur de l’électricité et s’accompagnent d’un nombre relativement faible de créations d’emplois directs (Graphique 1.4, Partie B). Le Burkina Faso, la Guinée-Bissau et le Sierra Leone ont attiré des projets d’IDE au bénéfice d’activités de service à intensité relativement plus forte de main-d'œuvre, comme celles des centres de services aux clients, et affichent un nombre de création d’emplois, pour 1 million USD investi, supérieur à la moyenne.
En dehors des capitaux et des emplois, l’IDE offre la promesse d’une contribution potentielle au développement durable, par exemple grâce à l’accès à de nouvelles connaissances et technologies. Une proportion nettement plus élevée des entreprises étrangères implantées dans des États membres de la CEDEAO ont déclaré avoir introduit sur le marché un produit ou un service nouveau que n’offraient pas leurs concurrents du pays d’accueil (Graphique 1.5, Partie A). Ce constat donne à penser que les entreprises étrangères ont une plus grande capacité d’innovation et ouvrent de ce fait aux entreprises nationales la perspective de retombées technologiques et de transferts de connaissances . Par ailleurs, en offrant à leurs salariés davantage de possibilités de se former, les entreprises étrangères apportent une contribution plus forte au renforcement des compétences en cours d’emploi dans les pays de la CEDEAO, d’où l’idée que l’IDE joue un rôle important dans l’amélioration du niveau de vie (Graphique 1.5, Partie B). Dans la plupart des pays de la CEDEAO, les entreprises étrangères emploient aussi une plus forte proportion de femmes, même si le pourcentage de femmes occupant des postes à responsabilité est généralement plus élevé dans les entreprises nationales (Graphique 1.5, Partie C-D). Le rôle de l’IDE dans l’amélioration de l’égalité entre les genres dans la vie professionnelle n’est donc pas clairement circonscrit puisque les entreprises étrangères offrent certes davantage de possibilités d’emploi aux femmes, mais pas nécessairement de meilleures perspectives d’évolution de carrière.
L’IDE dans le secteur des énergies renouvelables a opéré une montée en puissance au sein du secteur de l’énergie. Si l’IDE dans le secteur des énergies renouvelables ne représentait que 1 % de l’IDE total entre 2003 et 2012, il a progressé entre 2013 et 2022 non seulement en termes absolus, mais aussi en proportion de l’investissement dans les énergies fossiles (Graphique 1.6, Partie A). Une comparaison entre l’IDE dans le secteur des énergies renouvelables entre 2003 et 2012 et l’IDE sur la même période fait apparaître une augmentation plus de huit fois supérieure dont le résultat est que l’IDE dans le secteur des énergies renouvelables représente environ 10 % de l’IDE total et près du tiers de l’IDE total dans le secteur de l’énergie. Bien qu’à une échelle moindre en termes absolus, la part de l’investissement dans le secteur des énergies renouvelables dans les pays de la CEDEAO correspond à celle observée dans d’autres régions du continent africain telles que la SADC. Dans de nombreux pays de la CEDEAO, l’IDE dans les énergies fossiles est prépondérant dans le secteur de l’énergie alors que l’investissement dans le secteur des énergies renouvelables se contente de la portion congrue (Graphique 1.6, Partie B). Bien que de grandes économies comme le Nigéria ou le Ghana attirent des IDE principalement orientés vers les énergies fossiles, elles ont également été destinataires de la majeure partie de l’IDE dans le secteur des énergies renouvelables réalisés dans des pays de la CEDEAO.
Principaux messages et considérations à prendre en compte
Un investissement durable a été défini comme « un investissement commercialement viable qui apporte une contribution maximale au développement économique, social et environnemental des pays d’accueil et s’inscrit dans le cadre de mécanismes de gouvernance équitable » (Sauvant et Mann, 2017[11]). Une définition plus large pourrait amener à considérer qu’un investissement durable doit contribuer à la réalisation des Objectifs de développement durable (ODD). Si un projet d’investissement peut contribuer à la réalisation de plusieurs ODD, il faudra peut-être également opérer des arbitrages lorsqu’un investissement rapproche le pays d’accueil de certains ODD, mais au détriment d’autres.
Comme indiqué au début du présent rapport, l’enjeu pour les pouvoirs publics consiste non seulement à attirer des investisseurs étrangers au moment même où les flux mondiaux d’IDE sont en déclin, mais aussi à veiller à ce que les investissements procurent des avantages durables à l’économie d’accueil. La capacité d’attirer des investissements et d’en retirer le maximum d’avantages, en termes de durabilité, dépend d’abord et avant tout du cadre d’action global dans lequel ces investissements sont réalisés. Les responsables de l’action publique doivent donc veiller au maintien de conditions d’investissement saines, ouvertes et transparentes, et adopter des mesures destinées à assurer que les avantages procurés par l’IDE sont maximisés tandis que les préjudices qui peuvent en résulter pour l’économie locale, la société et l’environnement sont au contraire minimisés. Par ailleurs, le recours à des outils et des mesures ciblées de promotion d’une conduite responsable des entreprises (CRE) est également un élément important d’un cadre favorisant l’investissement durable. Il est donc indispensable d’engager des efforts à l’échelle de l’administration toute entière, d’élaborer des politiques fondées sur des données probantes et d’organiser des consultations avec les principales parties prenantes.
Le présent rapport porte principalement sur les actions que les pouvoirs publics des pays d’accueil peuvent entreprendre pour attirer des investissements durables et faire en sorte que les avantages procurés par ces investissements servent des objectifs sociaux et environnementaux, notamment pour faciliter et encourager la CRE. Il contient une analyse à l’appui de la Vision 2050 de la CEDEAO, laquelle vise à faire des pays de la CEDEAO une destination de choix pour des investissements nationaux et étrangers stimulés par une gouvernance efficace favorisant un développement économique régional durable et inclusif. Il prend appui sur des outils élaborés par l’OCDE, notamment le Cadre d’action pour l’investissement et la Boîte à outils et les indicateurs sur les qualités de l’IDE. Les messages clés et les principales considérations qui émaillent les différents chapitres sont résumés ci-après.
Concevoir des cadres d’action et des stratégies pour l’investissement visant à promouvoir l’investissement durable
Améliorer la cohérence entre les législations nationales et les traités de portée régionale et continentale L’analyse donne à penser que les législations nationales sur l’investissement ne rendent pas pleinement justice aux innovations aux niveaux régional ou continental bien que les lois les plus récentes sur l’investissement semblent plus proches des pratiques suivies à l’échelon régional. En outre, on observe encore une très grande diversité, sur le plan législatif, parmi les pays de la CEDEAO. Le renforcement de la cohérence entre les approches suivies à tous les niveaux dans les différentes régions d’Afrique et au sein de chaque région pourrait favoriser une meilleure lisibilité et une meilleure prévisibilité tant pour les pouvoirs publics que pour les investisseurs même s’il conviendrait de conserver, au niveau national, suffisamment de latitude pour poursuivre les expérimentations
S'orienter vers une meilleure prise en compte des considérations relatives aux ODD dans les stratégies de promotion de l’investissement des États membres de la CEDEAO. Les API de la région devraient concentrer davantage leurs efforts sur la quête d’IDE concourant à la réalisation des ODD, notamment en allant au-delà de la promotion de l’IDE dans les énergies renouvelables pour intégrer d’autres secteurs et d’autres activités œuvrant au développement durable. La priorité devrait être donnée à des investisseurs présentant de bons antécédents sur le plan de la durabilité.
Continuer d’élargir les possibilités attrayantes d’investissement durable offertes par les API. Plusieurs organismes de la région mettent l'accent sur la promotion de l'investissement durable, en particulier en soutenant des secteurs spécifiques comme celui des énergies renouvelables. Néanmoins, seuls quelques pays fournissent des informations détaillées sur les possibilités d'investissement dans ces secteurs, les mesures d'incitation et le contexte juridique. Les API de la région devraient élargir leur offre de possibilités attrayantes d’investissement durable en communiquant aux investisseurs potentiels des informations détaillées et complètes sur le contexte juridique et les secteurs d’activité, et éventuellement aussi en leur proposant des projets qui peuvent attirer des financements et en affinant leur démarche commerciale auprès d’eux.
Mettre en place des indicateurs clés de performance adaptés permettant d’assurer une hiérarchisation efficace des priorités et un suivi et une évaluation rigoureux par les API. S'il est essentiel de donner la priorité à certains investissements plutôt qu'à d'autres pour répondre aux objectifs de développement durable, il est tout aussi important de comprendre et de mesurer leur contribution aux résultats souhaités. L'intégration d'indicateurs de durabilité dans les systèmes de suivi et d'évaluation des API est nécessaire pour mesurer les résultats de chaque organisme et la contribution effective des entreprises aidées par l'API au développement durable, y compris à la décarbonation de l'économie. Il conviendrait que les API des pays de la CEDEAO veillent à ce que les indicateurs clés de performance utilisés pour sélectionner les investissements prioritaires et mesurer les résultats concordent avec les objectifs nationaux de développement et les priorités essentielles des agences en matière de promotion de l’investissement. La diversification de ces indicateurs en fonction de tous les domaines couverts par les ODD et la prise en compte de considérations relatives à la durabilité et à l’inclusivité (transition vers une économie bas carbone, égalité des genres, développement régional, etc.) doivent être envisagées.
Utiliser les ODD pour orienter les services de facilitation de l’investissement et de suivi offerts par les API aux investisseurs déjà présents qui envisagent de se développer ou de réinvestir. Les API ne doivent pas seulement se préoccuper de promouvoir l'investissement durable sous la forme d’investissements nouveaux, elles doivent aussi se référer aux ODD pour définir comment concrétiser leur offre de services de facilitation de l'investissement et de suivi aux investisseurs déjà présents qui souhaitent se développer ou réinvestir. Les API de la CEDEAO pourraient, par exemple, envisager de concentrer leurs actions de suivi sur les investisseurs dont les activités ont le plus d’impact sur le développement durable. Elles pourraient également mettre à profit ces services pour mieux promouvoir la conduite responsable auprès des entreprises déjà présentes, et encourager les investisseurs à se conformer plus systématiquement aux lois relatives à la durabilité et à adopter des pratiques responsables dans le cadre de leurs activités commerciales.
Évaluer la conception et l'utilisation des incitations à l’investissement
Évaluer si les incitations fiscales à l’investissement concordent avec les stratégies de promotion de l’investissement et les ODD et se demander si elles sont le meilleur levier d’action publique pour atteindre ces objectifs. Les mesures incitatives ne sont pas efficaces lorsqu’elles sont utilisées en lieu et place d’autres mesures destinées à améliorer les conditions d’investissement, notamment de mesures visant à mettre en place une administration de l’impôt efficace, des infrastructures de qualité, un cadre réglementaire ouvert et transparent et une bonne gouvernance. Les incitations fiscales ne sont pas toujours un moyen efficace d’attirer des investisseurs sachant que les recettes fiscales sont indispensables pour pouvoir fournir des biens et des services publics, y compris ceux qui influent sur les conditions d’investissement. Il est parfois préférable, pour atteindre des objectifs économiques, sociaux et environnementaux, de recourir à d’autres mesures, et d’utiliser les incitations fiscales en complément de stratégies de développement plus globales.
Veiller à ce que les incitations soient conçues de telle manière qu’elles suscitent des investissements qui ne ne concrétiseraient pas si elles n’existaient pas. Les exonérations d’IS représentent plus d’un tiers de l’ensemble des incitations offertes dans la région, et dans certains cas, elles ont un caractère permanent et peuvent se révéler très onéreuses en termes de pertes de recettes fiscales. Parce qu’elles consistent à alléger les impôts sur les bénéfices, elles favorisent nettement les entreprises réalisant des bénéfices importants qui auraient aussi peut-être été investis en l’absence d’incitations. Les exonérations fiscales accordées dans le secteur extractif exposent tout particulièrement à ce risque d’aubaine. Les pouvoirs publics devraient envisager de supprimer progressivement les incitations coûteuses fondées sur les bénéfices et d’adopter d’autres mesures incitatives plus ciblées, ayant pour effet de réduire le coût d’activités spécifiques offrant la possibilité d’améliorer les résultats sociaux et environnementaux. Opter pour des incitations mieux conçues, en cherchant à obtenir les résultats souhaités au moyen d’allègements fiscaux accordés au titre de dépenses satisfaisant à certains critères, peut contribuer à limiter les redondances et favoriser l’obtention de retombées positives.
Améliorer le suivi et l’évaluation des coûts, des avantages et de l’adoption des incitations fiscales. Le suivi et l’évaluation sont indispensables pour permettre de mieux comprendre si les incitations concourent à la réalisation des objectifs de l’action publique, et pour quel coût. Certains pays membres de la CEDEAO ont commencé à faire rapport sur leurs dépenses fiscales et plusieurs d’entre eux ont mis en place des équipes spécialisées dans la réalisation d’évaluations budgétaires. Néanmoins, lorsqu'il s’agit d’assurer le suivi et l’évaluation des incitations, la plupart se heurtent à des contraintes administratives, budgétaires ainsi qu’au manque de données et de ressources humaines La Commission de la CEDEAO pourrait jouer un rôle important de plaidoyer pour une amélioration du suivi et de l’évaluation et pour la transparence et la bonne gestion des mesures incitatives.
Promouvoir l’investissement dans la croissance verte
Renforcer les objectifs de CDN et définir des stratégies à long terme de développement à faible émission. Collectivement, les CDN de la CEDEAO ne sont pas encore alignées sur les objectifs de l’Accord de Paris. Trois pays se sont engagés à atteindre la neutralité GES d’ici à 2050 et trois autres pays ont présenté des documents dans lesquels ils définissent une stratégie à long terme en plus de leurs CDN. Il est primordial d’avoir des stratégies à long terme ambitieuses étant donné que les CDN à court terme actuelles ne suffisent que pour limiter le réchauffement à 2.7-3.7°C. En outre, les stratégies à long terme ouvrent la voie vers la transformation de la société dans son ensemble et représentent une passerelle essentielle entre les CDN à plus court terme et les objectifs à long terme de l’Accord de Paris. Parce qu’on se situe dans un horizon à trente ans, ces stratégies sont porteuses de bien d’autres bénéfices, notamment parce qu’elles conduisent les pays à faire l ‘économie d’investissements coûteux dans des technologies à fortes émissions, parce qu’elles favorisent des transitions justes et équitables, parce qu’elles promeuvent l’innovation technologique, parce qu’elles prévoient l’adoption de nouvelles infrastructures durables face aux risques climatiques à venir et parce qu’elles contiennent, à l’intention des investisseurs, des signaux précoces annonciateurs des changements sociétaux qui se profilent à long terme.
Faire de la CEDEAO une plateforme au service de la promotion des évaluations environnementales stratégiques (EES) et des études d’impact sur l’environnement (EIE) transnationales. Les pays d’Afrique de l’Ouest ont accompli de grandes avancées dans l’inscription des EIE dans leurs propres cadres juridiques, lesquels, pour la plupart, prévoient les trois droits fondamentaux ou procéduraux que sont l’accès à l’information, la participation du public et l’accès à des mécanismes de réparation. Cependant, seuls quatre pays de la région ont institué des cadres pour la conduite d’EES portant sur l’examen de l’impact environnemental et social des plans, des politiques et des programmes proposés. En outre, seuls deux pays ont élaboré un cadre juridique pour l’application des principes régissant la conduite d’EIE à l’évaluation des impacts transnationaux des investissements, notamment le principe de la consultation des autorités des pays qui subissent ces impacts. La reconnaissance des EES et des EIE au niveau de la CEDEAO pourrait encourager d’autres pays de la CEDEAO à adopter ces outils dans leurs systèmes nationaux d’EIE.
Envisager de revoir à la baisse ou de supprimer progressivement les incitations à l’investissement bénéficiant à des activités non vertes. Sept pays de la CEDEAO accordent des exonérations d’impôt sur les sociétés qui promeuvent les investissements dans le charbon, le pétrole ou le gaz, et deux de ces pays ont mis en place des incitations analogues en faveur de la production d’énergies renouvelables. Ces exonérations d’impôt accordées pour des périodes de quatre ans minimum, voire à titre permanent, sont donc très coûteuses en termes de dépenses fiscales et elles entament également, au bout du compte, l’efficacité des efforts engagés en faveur de l’investissement dans des énergies propres. Ces pays auraient avantage à distinguer les activités vertes des activités non vertes dans des secteurs ciblés à l’aide des classifications nouvelles qui commencent à apparaître, et à revoir à la baisse ou à supprimer progressivement les incitations à l’investissement dont bénéficient des activités non vertes.
Envisager d’ élaborer des cadres pour la publication volontaire d’informations relatives aux impacts sur l’environnement et le climat. Les cadres régissant la publication volontaire d’informations à caractère climatique contribuent à la mise au jour de la manière dont les entreprises se préparent à la transition vers une économie sobre en carbone et ils sont utiles aux investisseurs pour mieux évaluer leur exposition financière aux risques climatiques. A ce jour, la publication d’informations relatives au climat est très peu développée en Afrique de l’Ouest, seul le Ghana ayant élaboré des Principes bancaires durables constituant le socle de véritables cadres de gestion des risques environnementaux et sociaux à l’intention des banques, qui prévoient notamment des obligations en matière d’information applicables à cinq secteurs particulièrement concernés par les normes sociales et environnementales. En 2020, on dénombrait 24 banques commerciales au Ghana ayant décidé de mesurer leur progrès dans la mise en œuvre de ces principes et de publier ces informations. D’autres pays de la région pourraient suivre cet exemple et se doter de cadres similaires régissant la publication d’informations relatives aux aspects environnementaux et climatiques.
Promouvoir et favoriser la conduite responsable des entreprises
Mieux faire connaître les éléments clés de la CRE et sensibiliser davantage à sa pertinence. La connaissance en général de la CRE, notamment des normes internationales et des attentes en matière de devoir de diligence, a progressé, mais demeure limitée dans la région. La CEDEAO et ses États membres pourraient œuvrer stratégiquement à la sensibilisation et à une meilleure compréhension de la pertinence de la CRE dans les domaines des échanges et de l’investissement. Ils pourraient, pour ce faire, mettre sur pied des activités d’apprentissage et des ateliers consacrés aux instruments internationaux en matière de CRE et à l’exercice d’une diligence raisonnable fondée sur les risques.
Instaurer un environnement propice à la mise en œuvre et à l’application de politiques de promotion de la CRE. Les États membres de la CEDEAO ont défini des mesures concrètes pour promouvoir la CRE, décrites dans le Code des investissements de la CEDEAO et dans leurs politiques nationales, visant en particulier le secteur des ressources minérales et le secteur agricole. Un certain flou demeure jusqu’ici autour de l’adoption de ces mesures et des actions entreprises concrètement pour les mettre en œuvre. Les pouvoirs publics pourraient montrer la voie en élaborant et en appliquant des plans d’action nationaux sur la CRE et en engageant des réformes sectorielles ou thématiques.
Veiller à la cohérence des politiques et à l’harmonisation avec les normes internationales. La CEDEAO est une enceinte qui a vocation à favoriser la cohérence des politiques en matière de CRE et l’harmonisation de ces politiques avec les principales normes internationales en la matière, telles que les Principes directeurs de l'OCDE à l'intention des entreprises multinationales et les guides de l’OCDE sur le devoir de diligence. La prochaine étape pour elle pourrait consister à œuvrer à un alignement rigoureux et à la coordination des politiques de ses membres en matière de CRE afin de faire prévaloir une approche commune et l’instauration de règles du jeu équitables au niveau régional.
Renforcer la capacité des entreprises d’exercer leur devoir de diligence. La CEDEAO et ses États membres pourraient promouvoir l’utilisation du cadre de l’OCDE sur le devoir de diligence par les entreprises exerçant des activités dans ces États et encourager activement l’adhésion au devoir de diligence des entreprises et des investisseurs et autres parties prenantes.
Bibliographie
[8] Banque mondiale (2023), Indicateurs du développement dans le monde, https://donnees.banquemondiale.org/.
[4] Banque mondiale (2023), Nigeria Overview: Development news, research, data, https://www.worldbank.org/en/country/nigeria/overview (consulté le 2 février 2023).
[10] Banque mondiale (2023), World Bank Enterprise Surveys, https://www.enterprisesurveys.org/en/data.
[2] CEDEAO (2018), Code des investissements de la CEDEAO, https://wacomp.projects.ecowas.int/wp-content/uploads/2020/03/ECOWAS-COMMON-INVESTMENT-CODEFRENCH.pdf.
[1] CEDEAO (2018), Projet de politique d’investissement de la CEDEAO, https://wacomp.projects.ecowas.int/wp-content/uploads/2020/03/ECOWAS-INVESTMENT-POLICY-FRECNH.pdf.
[3] CEDEAO (2008), Supplementary Act A/SA.3/12/08 Adopting Community Rules on Investment and the Modalities for their Implementation with ECOWAS, https://ecowas.int/.
[7] CNUCED (2023), base de données FDI/MNE, http://www.unctad.org/fdistatistics.
[6] Financial Times (2023), FDI Markets: the in-depth crossborder investment monitor from the Financial Times, https://www.fdimarkets.com/.
[5] FMI (2023), Statistiques de la Balance des Paiements et de la Position Extérieure Globale, https://data.imf.org/BOP.
[9] FMI (2022), Enquête coordonnée sur l’investissement direct (ECID), https://data.imf.org/.
[11] Sauvant, K. et H. Mann (2017), Towards an Indicative List of FDI Sustainability Characteristics, https://ssrn.com/abstract=3055961.