Les lacunes en termes de collecte, de diffusion et d’utilisation des informations entravent l’action des pouvoirs publics qui doivent gérer les afflux de réfugiés et d’autres migrants vulnérables et accompagner leur intégration. Ce chapitre cherche à déterminer comment les systèmes peuvent mieux anticiper les besoins et comment assurer le suivi des résultats sur la durée.
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Chapitre 3. Anticiper, suivre et réagir aux afflux de réfugiés et d’autres immigrés vulnérables
Abstract
Les systèmes d’alerte précoce pourront-ils prévenir une crise en présence de futurs afflux massifs ?
Le monde a été pris largement au dépourvu par les mouvements migratoires de masse en provenance du Moyen-Orient et d’Afrique en 2015-16, même si les signes précurseurs n’ont pas manqué (OCDE, 2018[1]). Les signes avant-coureurs de la multiplication des demandes d’asile dans d’autres régions du monde n’ont pas non plus été adéquatement captés. La mise en place d’un système d’alerte précoce demande des investissements et la collaboration des intéressés. Plusieurs facteurs peuvent être pris en compte dans l’élaboration d’une plateforme (OCDE, 2018[1]).
Premièrement, les systèmes d’alerte précoce basés sur l’observation des flux en temps réel supposent un partage important de ressources et d’informations entre les pays, ainsi que des renseignements à jour sur le fonctionnement et l’évolution des réseaux de passeurs.
Deuxièmement, les systèmes d’alerte précoce supposent une bonne compréhension des éléments déclencheurs pour minimiser les risques de passer à côté de signes pertinents (les faux négatifs) et d’exagérer des signes sans intérêt (les faux positifs).
Reliés à des analyses spécifiques des diasporas et des réseaux sociaux, les systèmes d’alerte précoce peuvent capter l’ampleur des poussées migratoires imminentes et leur destination.
Les nouvelles données permettent d’élargir la fourchette de signes à prendre en compte. Grâce aux mégadonnées – leur grand volume, leur grande vélocité et leur grande variété – une nouvelle analyse peut être employée dans l’élaboration de systèmes d’alerte précoce. Les sources d’information fondées sur la communication : réseaux sociaux, recherches sur l’internet, applications de téléphones intelligents et autres adresses IP de connexions sur des sites et de comptes de messagerie électronique, ainsi que les relevés d’appels téléphoniques apportent tous de l’eau au moulin de l’analyse. La géolocalisation multiplie encore les possibilités de ces méthodes, mais aussi les risques liés à la protection de la vie privée et de la confidentialité (Encadré 3.1).
Encadré 3.1. Utilisation des mégadonnées dans les systèmes d’alerte précoce pour détecter les risques de migration forcée
Les projets Gdlet et Google Analytics sont deux exemples d’utilisation des mégadonnées pour l’alerte précoce. Gdelt cerne les tendances mondiales et les risques sociaux, politiques et économiques en devenir dans le monde entier. En surveillant l’actualité dans plus de 100 langues, Gdelt suit des événements, des lieux, des organisations, des personnes, etc. La fréquence de recherche de mots-clés dans Google Analytics révèle ceux qui ont été recherchés en grand nombre, ainsi que la langue et le lieu d’origine des recherches. (Böhme, Gröger and Stöhr, 2017[2]; Connor, 2017[3]) ont constaté que, dans certaines conditions, les données de recherche permettent des prévisions de flux migratoires.
Source : OCDE (2018[1]), “Can we anticipate future migration flows? Débats sur les politiques migratoires n° 16”, http://www.oecd.org/migration/mig/migration-policy-debate-16.pdf.
Les méthodes de prospective axées sur des catégories ou des couloirs migratoires précis peuvent éclairer l’action publique à condition que l’horizon temporel ne soit pas trop éloigné (moins de 10 à 15 ans), ce qui risquerait de limiter leur intérêt aux yeux des décideurs. Cependant, les exercices à plus longue échéance peuvent contribuer à l’établissement d’un consensus autour des enjeux et des objectifs à long terme, et aider à parer les instruments d’action pour l’avenir.
En raison des limitations et de l’incertitude des données, les outils de modélisation des flux de migration forcée sont gourmands en ressources et relativement fragiles, notamment dans le contexte de grands chocs extérieurs. Cependant, si les investissements peuvent être mutualisés et les résultats entièrement intégrés dans un système d’intervention multidimensionnel/interministériel, ces outils pourraient être avantageux.
Un plus gros effort pourrait être consenti pour mieux coordonner la collecte des données servant aux prévisions, ainsi que l’échange des données à l’intérieur et à l’extérieur de l’Union européenne, avec les pays de transit et les autres pays de l’OCDE.
Quel que soit le système adopté, les décideurs doivent pouvoir se fier à l’information pour réagir rapidement, en pleine connaissance des incertitudes – parce que la prospective contiendra toujours des incertitudes.
Il convient en outre de dresser systématiquement un bilan après les grandes crises et les chocs majeurs aux niveaux national et régional, pour améliorer les mesures prises en conséquence et le degré de préparation. Une récente leçon clé est que, même si des systèmes d’information étaient en place avant 2015/2016, les décideurs politiques n’ont pas toujours réagi aux indications fournies.
Quelles données faut-il améliorer pour mieux suivre les résultats d’intégration et éclairer les actions dans ce domaine ?
S’il est vrai que les données sur les flux et stocks se sont progressivement améliorées, il reste fort à faire pour que les résultats d’intégration des réfugiés et autres immigrés vulnérables soient mieux observés, mais aussi pour que ces données d’observation soient prises en compte dans l’évaluation et l’élaboration de politiques d’intégration. Un récent forum international sur les statistiques, à l’OCDE, pointait les lacunes des statistiques sur les réfugiés et autres immigrés en situation de vulnérabilité (Encadré 3.2).
La mesure du bien-être selon le statut migratoire – par exemple en séparant les réfugiés des autres catégories de migrants – est très difficile pour ceux qui recueillent des statistiques officielles. Les sources de données administratives incluent souvent des informations sur le statut migratoire, mais les enquêtes auprès des ménages sont l’outil le plus approprié pour mesurer le bien-être dans plusieurs dimensions – cela dit, les enquêtes auprès des ménages recensent rarement les immigrés par catégorie d’entrée. De plus, un échantillon approprié pour la population globale risque ne pas être suffisant pour recueillir des informations sur les catégories migratoires. Étant donné que les immigrés constituent généralement une proportion relativement faible de la population des pays de l’OCDE, qu’ils ont tendance à vivre dans des zones géographiquement isolées du pays, les échantillons pourraient être trop petits.
Les recensements et les fichiers informatiques contenant les informations les plus détaillées sur les immigrés (origine, raison de l’immigration et principales variables démographiques) n’incluent que rarement des données sur l’intégration autres que le revenu, la situation au regard de l’emploi et l’éducation. Certains pays de l’OCDE, comme l’Australie et le Canada, utilisent des ensembles de données intégrés qui relient les données administratives aux recensements ou autres enquêtes.
Le besoin de données sur le devenir des immigrés plus détaillées et granulaires que celles trouvées dans les enquêtes suppose un échantillon suffisamment important et l’inclusion de questions supplémentaires pour distinguer les différentes sous-catégories. L’adaptation de la méthodologie des enquêtes existantes, par exemple en augmentant la taille des échantillons, améliorera la représentativité de l’échantillon (Šteinbuka, 2009[4]).
Il convient en outre de penser à mieux concevoir les enquêtes, afin de réduire le taux de non-réponses. L’Enquête sur les forces de travail de l’Union européenne (EFT-UE) et les Statistiques de l’Union européenne sur le revenu et les conditions de vie (EU-SILC) ont récemment inclus des modules ponctuels sur les revenus des immigrés. Ce type d’expériences peut éclairer l’amélioration de la mesure des revenus des immigrés dans d’autres enquêtes et d’autres pays.
La production de données plus détaillées et granulaires sur le devenir des immigrés suppose par ailleurs l’inclusion de questions d’enquête supplémentaires, qui permettent de distinguer les différentes sous-catégories de population. En plus des importantes variables démographiques et socioéconomiques généralement incluses dans les enquêtes auprès des ménages (ex. âge, sexe, niveau d’études), quelques questions concernant spécifiquement les immigrés devraient être envisagées : pays de naissance, durée du séjour, raisons de la migration. Les expériences de pays qui utilisent déjà ces variables – par exemple, depuis 2017, l’enquête allemande sur la force de travail comprend une question sur les raisons de la migration – pourraient livrer des enseignements utiles pour d’autres.
Dans les cas où modifier la méthodologie d’une enquête existante serait trop difficile, et lorsque les ressources le permettent, on peut envisager d’élaborer une enquête spéciale et ciblée sur le devenir des immigrés.
Des moyens spéciaux sont nécessaires pour veiller à ce que la collecte de données englobe et permette de distinguer les immigrés les plus vulnérables, en particulier ceux que les enquêtes types auprès des ménages ont peu de chances d’atteindre. Certains pays savent aujourd’hui mieux cibler des catégories précises de migrants dont le bien-être pourrait être plus particulièrement menacé. C’est le cas de l’Australie, dont l’enquête « Building a New Life in Australia » (Une nouvelle vie en Australie) est axée sur le vécu des migrants humanitaires récemment arrivés.
Plus de données longitudinales sont nécessaires pour comprendre l’évolution dans le temps de différents résultats des immigrés individuels en matière de bien-être. Il conviendrait, dans la mesure du possible, d’augmenter le nombre d’enquêtes longitudinales nationales sur les résultats des immigrés, mais aussi de les harmoniser pour faciliter la comparaison internationale des données au long terme.
Encadré 3.2. Le Forum international sur les statistiques des migrations
Pour combler les lacunes dans les connaissances et les statistiques au sujet des migrations, le tout premier Forum international sur les statistiques des migrations s’est tenu les 15 et 16 janvier 2018 à l’OCDE (www.oecd.org/migration/forum-migration-statistics). Le débat a porté en grande partie sur les réfugiés et les immigrés en situation de vulnérabilité. Plus de 500 personnes de la quasi-totalité des pays de l’OCDE et d’un grand nombre de pays non-membres ont participé à l’événement ; 240 intervenants figuraient au programme. Certains des orateurs prestigieux venaient d’organisations partenaires (OIM et Nations Unies) et d’instituts nationaux de statistique (ONS). Les conclusions ont été publiées par l’OCDE dans une note d’information réalisée en collaboration avec l’Organisation internationale pour les migrations et le Département des affaires économiques et sociales des Nations Unies (2018[5]).
Par ailleurs, un Appel à l’action – « La protection des enfants en déplacement commence par de meilleures données » – a été publié en février 2018 par l’Unicef, le HCR, l’OIM, Eurostat et l’OCDE (2018[6]). La publication est née du constat de l’absence de données sur les enfants en déplacement ou de leur trop mauvaise qualité : leur âge et leur sexe ; leur pays d’origine ; leur destination ; s’ils sont seuls ou accompagnés par leurs familles ; leur situation en chemin ; leurs vulnérabilités. Ces importantes lacunes dans les informations sur les enfants doivent être comblées.
Références
[2] Böhme, M., A. Gröger and T. Stöhr (2017), Searching for a Better Life: Now-casting International Migration with Online Search Keywords, https://www.wider.unu.edu/sites/default/files/STOEHR%2C%20Tobias_paper.pdf (accessed on 6 September 2018).
[3] Connor, P. (2017), Can Google Trends Forecast Forced Migration Flows? Perhaps, but Under Certain Conditions, Pew Research Center, Washington D.C.
[1] OCDE (2018), Can we anticipate future migration flows? Débats sur les politiques migratoires n° 16, OCDE, Paris, http://www.oecd.org/migration/mig/migration-policy-debate-16.pdf (accessed on 6 September 2018).
[5] OIM/OCDE/DAES (2018), What were the key messages of the International Forum on Migration Statistics, Éditions OCDE.
[4] Šteinbuka, I. (2009), How to improve social surveys to provide better statistics on migrants, http://ec.europa.eu/eurostat/documents/1001617/4339944/Improving-survey-dataI-Steinbuka.pdf/e90f6527-af4d-4585-8f3d-d7dde093b148 (accessed on 15 February 2018).
[6] UNICEF et al. (2018), A call to action: Protecting children on the move starts with better data.