La viabilité et la résilience sont des objectifs essentiels des systèmes de santé hautement performants. La viabilité s’articule autour d’une gestion responsable des ressources (financières et autres) et veille à ce que les soins de santé puissent être systématiquement dispensés à long terme, sans épuiser les ressources essentielles ni pénaliser les générations suivantes. La résilience, quant à elle, désigne la capacité d’un système à supporter des perturbations et à s’en remettre. En renforçant sa résilience, un système de santé préserve la viabilité de ses activités et améliore sa capacité d’adaptation et son aptitude à maintenir des soins de qualité face à des défis inattendus. Ensemble, ces deux principes créent un équilibre dynamique qui sous-tend la capacité d’un système de santé à garantir la santé et le bien-être de sa population en temps ordinaire ainsi que dans des circonstances exceptionnelles.
Ces deux dernières décennies, les dépenses de santé publique ont systématiquement augmenté plus rapidement que le PIB dans tous les pays de l’OCDE. Bien que cette augmentation ait permis d’améliorer les résultats de santé, cette évolution suscite des inquiétudes quant à sa viabilité. En l’absence de mesures efficaces de maîtrise des coûts, l’OCDE prévoit que les dépenses publiques consacrées aux soins de santé et aux soins de longue durée devraient approcher 9 % du PIB d’ici 2030 et pourraient même atteindre 14 % d’ici 2060.
L’OCDE définit la viabilité budgétaire comme l’aptitude d’un pays à stabiliser ses finances publiques à un niveau crédible et viable à long terme (OCDE, 2015[17]). La viabilité budgétaire implique que les pouvoirs publics puissent poursuivre leurs politiques et leurs dépenses à l’avenir, sans devoir procéder à des ajustements majeurs ni alourdir excessivement la dette des générations futures. Cette expression fait référence à l’ensemble des dépenses, des recettes, de l’actif et du passif des administrations nationales, qui reflètent les engagements passés et s’adaptent aux tendances à venir, telles que les évolutions socioéconomiques et les facteurs environnementaux. Dans le secteur des soins de santé, la viabilité budgétaire doit être appréhendée comme une contrainte globale et non comme un objectif en tant que tel. Ce paramètre indique que les méthodes employées par les pouvoirs publics pour atteindre la viabilité budgétaire sont déterminantes et ne doivent pas se réduire à des mesures de réduction des coûts hasardeuses. Par exemple, augmenter les tarifs des services de santé peut sembler un moyen simple de réduire les déficits budgétaires, mais une telle mesure risque de compromettre les objectifs des systèmes pour ce qui est de la protection financière ou de l’amélioration des résultats de santé. Une approche plus efficace consisterait, par exemple, à mettre fin aux interventions qui ne sont pas rentables.
Les indicateurs possibles de la viabilité financière comprennent :
le taux de croissance annuel moyen des dépenses publiques réelles de santé et du PIB par habitant ;
les dépenses publiques de santé en part du PIB ;
les prévisions de dépenses publiques dans le domaine de la santé et des soins de longue durée, en pourcentage du PIB ;
les dépenses de santé en part des dépenses publiques totales ;
les sources de revenus qui financent les dépenses publiques de santé ;
la part relative des dépenses publiques et privées.
Cependant, le concept de viabilité des systèmes de santé ne se limite pas aux questions budgétaires ; il recouvre plusieurs autres dimensions. La nécessité de disposer d’une perspective stratégique et d’un esprit d’innovation à long terme est un aspect important, en lien avec la dimension de la gouvernance (Fischer, 2014[57]). Pour assurer la viabilité des systèmes de santé, la prise de décisions par étapes doit laisser place à une planification à long terme fondée sur une analyse stratégique. Il faut pour ce faire établir des objectifs à long terme clairs et mettre en œuvre des réformes durables, qui permettent de concilier les impératifs sociaux et financiers tout en encourageant des discussions ouvertes sur les arbitrages au sein de la société. Une autre dimension tient à l’institutionnalisation des préoccupations environnementales dans les systèmes de santé. En vertu du concept de viabilité des soins de santé, l’environnement est un facteur décisif et il est nécessaire de réduire au minimum les effets négatifs de la consommation des ressources (voir le paragraphe sur la dimension Environnement et santé).
La résilience est entendue comme la capacité des systèmes à anticiper et à absorber les chocs majeurs, ainsi qu’à s’y adapter et à s’en remettre (OCDE, 2020[9]). Il ne s’agit pas seulement de réduire les risques au minimum et d’éviter les chocs : la résilience consiste également à reconnaître que les chocs se produiront. On entend par chocs des événements aux conséquences de portée considérable, qui perturbent profondément le fonctionnement de la société. Ce concept concerne presque tous les éléments des systèmes de santé : conception, politique, processus, résultats et impacts. La pandémie de COVID-19 a révélé des faiblesses dans les systèmes de santé et dans la manière dont ils réagissent aux chocs, soulignant la nécessité d’améliorer leur résilience. Les systèmes de santé doivent mieux se préparer aux chocs – non seulement aux pandémies, mais aussi à la résistance aux antimicrobiens ; aux conflits armés ; au changement climatique ; aux menaces biologiques, chimiques, informatiques, financières et nucléaires ; aux catastrophes naturelles et environnementales ; et aux troubles sociaux. Les systèmes de santé doivent également être en mesure d’absorber ces perturbations, de se rétablir aussi rapidement que possible et à moindre coût, et de s’adapter en tirant des enseignements pour améliorer leurs performances et gérer les risques futurs. Plutôt que de s’appuyer uniquement sur la planification, l’évitement et l’absorption des chocs, une approche de résilience reconnaît que certains chocs seront d’une taille et d’une ampleur telles qu’ils perturberont l’ensemble du système de santé. Dans ce scénario, il est important que le système de santé soit capable de se rétablir et de s’adapter pour l’avenir.
Pour évaluer le domaine de la résilience, il est nécessaire de disposer d’indicateurs qui couvrent l’ensemble du cycle des chocs et appréhendent la nature dynamique de la résilience – soit la manière dont un système de santé se comporte avant, pendant et après un choc. Cela ressort clairement des applications d’évaluation et de tests de résilience réalisés dans d’autres secteurs, tels que les services financiers et bancaires (Baudino et al., 2018[58]), ou les services collectifs d’électricité (DeMenno, Broderick et Jeffers, 2022[59]). Ces méthodes ont en commun de considérer la résilience des systèmes comme une caractéristique dynamique basée sur la réponse à un stress simulé. Cette évaluation est difficile à réaliser car les performances en cas de choc dépendent non seulement des ressources disponibles, mais aussi d’une réponse rapide et coordonnée qui peut dépasser le cadre du système de santé (Fleming et al., 2022[60]).
L’inclusion de la résilience en tant que dimension transversale dans la proposition de révision du Cadre de l’OCDE pour l’évaluation des performances des systèmes de santé reflète la nécessité de veiller à ce que celui-ci conserve sa pertinence politique dans le contexte actuel. Il s’agit non seulement de tirer les leçons du choc majeur qu’a constitué la pandémie de COVID-19, mais aussi de prendre en compte d’autres menaces actuelles, telles que l’aggravation rapide des effets du changement climatique et de ses conséquences sur les sociétés et les systèmes de santé.
Le Tableau 3.14 présente un échantillon d’indicateurs utilisés pour évaluer la résilience des systèmes de santé dans plusieurs domaines du Cadre de l’OCDE pour l’évaluation des performances des systèmes de santé. Pour une évaluation plus approfondie de la résilience, il serait nécessaire d’affiner et d’élargir ces indicateurs pour mieux rendre compte des aspects dynamiques des systèmes de santé (par exemple, la capacité de renforcer rapidement les effectifs de santé, de redéployer les soignants sur le territoire ou même de recycler leurs compétences pour faire face à de nouveaux défis).
L’intégration de la résilience en tant qu’analyse transversale dans le Cadre souligne aussi l’importance des questions de l’actualité et de la ventilation des données. La pandémie a clairement donné un exemple de la nécessité de disposer de données en temps réel, mais l’actualité des indicateurs reste un frein, la plupart des indicateurs étant disponibles pour l’année t‑2 et seuls quelques-uns étant disponibles pour l’année t‑1. La ventilation régionale des indicateurs au sein des pays, ainsi que la ventilation des données par genre (la dimension d’égalité des genres évoquée plus haut), par revenu, par niveau d’études ou selon d’autres aspects de la situation socioéconomique, ainsi que par origine ethnique ou immigrée, est l’exception plutôt que la norme pour la plupart des indicateurs, et pourtant ces ventilations sont également essentielles pour l’analyse de la résilience.