Irene Khan
Coopération pour le développement 2021
Point de vue : Pour lutter contre la désinformation, il convient de défendre la liberté d’opinion et d’expression.
La technologie numérique a transformé les communications, offrant aux individus des possibilités sans précédent d’exercer leur droit à l’information, d’exprimer leurs points de vue et de participer de multiples manières aux processus démocratiques et de développement. Les médias sociaux ont permis aux groupes marginalisés de former des réseaux de solidarité, aux journalistes de mettre au jour la corruption et les abus de pouvoir, et aux défenseurs des droits humains d'appeler en temps réel à la mobilisation en faveur du changement. Qu'il s'agisse du télétravail ou de l’école à la maison, des contacts avec les proches ou des téléconsultations médicales, l’accès à l’internet a changé les règles du jeu et joué un rôle vital pendant la pandémie.
D'un autre côté, la technologie numérique offre un nouveau canal de diffusion pour la désinformation : des informations erronées, déformées et manipulées peuvent y être créées, diffusées et amplifiées à des fins politiques, idéologiques ou commerciales, à une échelle, une vitesse et une portée jamais vues auparavant. Les algorithmes, la publicité ciblée et la collecte de données sur les médias sociaux orientent les utilisateurs vers des contenus extrémistes qui alimentent et intensifient la désinformation, privant les individus de leur autonomie dans la sélection des informations et la formation de leurs propres opinions.
La désinformation en ligne exploite les revendications politiques, économiques et sociales du monde réel et contribue à la polarisation du débat public, à l’érosion de la confiance des individus dans l'information scientifique et factuelle, incitant à la violence et à la haine contre les minorités, les femmes et les groupes vulnérables, menaçant les droits humains et perturbant les processus démocratiques et de développement.
La désinformation en ligne exploite les revendications politiques, économiques et sociales du monde réel et contribue à la polarisation du débat public, à l’érosion de la confiance des individus dans l'information scientifique et factuelle, incitant à la violence et à la haine contre les minorités, les femmes et les groupes vulnérables, menaçant les droits humains et perturbant les processus démocratiques et de développement.
Si la désinformation est un problème, les mesures prises par de nombreux États le sont aussi. Plusieurs pays ont tenté de filtrer, de ralentir ou de bloquer le trafic des données numériques, et de clore des sites web. De nombreux autres ont adopté des lois sur les « fausses informations » pour censurer des contenus en ligne légitimes et ériger leur diffusion en infraction pénale, ou pour engager des poursuites à l’encontre d’opposants politiques, de journalistes et de défenseurs des droits humains. Non seulement ces mesures sont disproportionnées et incompatibles avec le droit international relatif aux droits humains, mais elles sont contreproductives et axées sur le court terme. De par leur effet dissuasif sur la diversité des sources d’information, elles empêchent les travaux d'investigation, alimentent les rumeurs, amplifient les perceptions erronées et sapent la confiance dans l’information publique.
Loin de faire partie du problème, la liberté d’expression est au contraire le principal moyen qui permet de combattre la désinformation. À titre d’illustration, la confiance de l'opinion publique dans les vaccins ne s'obtient pas par la censure mais en favorisant l’accès aux faits et à un débat ouvert entre les journalistes, la société civile, les décideurs publics et les experts, lesquels exposent des points de vue divergents et mettent à mal les contre-vérités et les théories complotistes.
Mettre à profit les bienfaits de la technologie pour faire progresser le développement et la démocratie tout en limitant les risques de désinformation nécessite un partenariat entre les États, les entreprises, les acteurs du développement et la société civile, en vue de défendre les droits humains.
Qu’est-ce que cela implique ?
Premièrement, les États devraient eux-mêmes faire preuve de plus de transparence en affichant un volontarisme dans la communication des données officielles et en veillant à ce que les institutions publiques et les responsables politiques ne diffusent pas ni ne relaient de fausses informations. L’expression des idées ne devrait pas être érigée en infraction pénale, hormis dans les cas les plus flagrants d’incitation à la violence ou à la haine. Toute restriction de la liberté d’expression devrait être en stricte conformité avec les normes internationales relatives aux droits humains que sont la légalité, la nécessité, la proportionnalité et l'objectif légitime.
Deuxièmement, les données montrent qu’encourager la diversité des sources d'information, la mise en place de systèmes d'information publique robustes et l’existence d’un journalisme indépendant constitue un remède puissant contre la désinformation. Les États devraient promouvoir l’indépendance, la diversité et le pluralisme des médias, et assurer la sécurité des journalistes et des défenseurs des droits humains.
Troisièmement, l’information médiatique et la maîtrise du numérique devraient figurer dans les programmes scolaires et les formations pour adultes des pays, de manière à autonomiser les individus et à renforcer leur résilience face à la désinformation et la mésinformation.
Quatrièmement, un investissement plus soutenu doit être consenti pour combler la fracture numérique, afin que les populations des pays en développement puissent bénéficier d'un accès à l'internet réel, gratuit, libre, interopérable, fiable et sûr. Les disparités observées en la matière sont le fruit des inégalités existant au plan économique, social, politique et culturel ainsi qu'entre les femmes et les hommes. Il convient de combler non pas une, mais plusieurs fractures numériques, ce qui nécessite d’adopter une approche globale du développement, fondée sur les droits humains.
Cinquièmement, la protection des données est indispensable pour modifier le modèle économique de l’économie numérique – fondé sur la publicité –, moteur de la désinformation. Les États devraient adopter des lois strictes sur la protection des données, et les faire appliquer.
Enfin, sixième et dernier point, les politiques, les pratiques et les modèles économiques se rapportant aux plateformes numériques doivent respecter les droits humains. Les États ne devraient pas obliger les entreprises à retirer ou à bloquer des contenus considérés comme légitimes au regard du droit international. Ils devraient au contraire privilégier des réglementations « intelligentes », afin d'inciter les entreprises à exercer leur devoir de transparence, de responsabilité et de diligence en ce qui concerne les droits humains, conformément aux Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l'homme. De leur côté, les entreprises devraient faire preuve de plus de transparence dans la modération des contenus – y compris les algorithmes –, veiller à ce que les utilisateurs bénéficient dûment d'un droit de recours et s'assurer que leur modèle économique, leur fonctionnement, leurs politiques et leurs pratiques sont en conformité avec les Principes directeurs précités.
La lutte contre la désinformation en ligne consiste in fine à restaurer la confiance de l’opinion publique dans l’intégrité de l’ordre de l’information. Le meilleur moyen d’y parvenir est de renforcer le droit à la liberté d’opinion et d’expression.