Tony Roberts
Institute of Development Studies
Tanja Bosch
Université du Cap
Tony Roberts
Institute of Development Studies
Tanja Bosch
Université du Cap
L’utilisation des technologies numériques pour ouvrir des espaces civiques en ligne est particulièrement importante lorsque les espaces hors ligne se rétrécissent. Ces technologies peuvent cependant servir également à réprimer l’engagement citoyen, fausser les débats et cibler des groupes particuliers. Bien qu'il existe des exemples positifs de mobilisations citoyennes en ligne s'opposant au pouvoir de l’État, la protection de cet espace est une bataille de chaque instant. Afin d'éviter une dérive vers l’autoritarisme numérique, les groupes de la société civile devraient bénéficier d'une aide au renforcement de leurs capacités et à leur participation aux forums internationaux. L’amélioration de la recherche et de la collecte de données sur le sujet est également essentielle.
Les technologies numériques porteuses de libertés et d'opportunités sont les mêmes que celles utilisées pour la répression (notamment la surveillance de masse, la désinformation et les fermetures de l’internet, qui sont autant d’obstacles à la citoyenneté numérique).
Des études menées dans 10 pays d’Afrique ont mis en évidence 65 cas d’utilisation des technologies numériques pour ouvrir l’espace civique, mais aussi 115 pour le fermer.
Les acteurs de la coopération pour le développement peuvent, en collaboration avec la société civile et les pouvoirs publics, contribuer à maintenir les espaces civiques en ligne ouverts et s'assurer que les entités publiques et privées qui déploient les technologies numériques respectent les droits des citoyens et l’état de droit.
La citoyenneté numérique est l’utilisation de dispositifs mobiles et de l’internet aux fins de l’engagement civique en ligne. Partout dans le monde, des individus adoptent et adaptent les technologies numériques pour élargir l’espace civique en ligne dans le but de réclamer un changement, de revendiquer des droits ou d’exiger la justice sociale. Les empêcher d'agir et les attaquer est une tendance croissante de l’autoritarisme numérique, c’est-à-dire le déploiement des technologies numériques par ceux qui détiennent le pouvoir dans le but de restreindre à la fois l’espace démocratique et la citoyenneté numérique. Cette bataille pour la récupération de l’espace civique en ligne est sans fin : aucune des parties n’est jamais complètement gagnante, mais si la citoyenneté numérique n’est pas régulièrement exercée et défendue, l’espace civique démocratique risque de se refermer.
Les acteurs de la coopération pour le développement ont donc un rôle important à jouer en aidant la société civile et les régimes progressistes à se doter d’espaces permettant à la citoyenneté numérique de s’exprimer. Si les technologies numériques peuvent faciliter la transparence et la responsabilité, elles peuvent aussi permettre d'ouvrir ou de fermer des espaces en ligne pour faire en sorte que « l’ouverture, la participation et la représentation à tous les niveaux caractérisent la prise de décisions », comme s’y sont engagés tous les États signataires de l’Objectif de développement durable n° 16.7 (Réseau de solutions pour le développement durable, 2015[1]).
Grâce aux technologies mobiles et à l'internet, l’engagement civique et le débat citoyen – de même que la vie politique, sociale et économique – ont de plus en plus lieu en ligne. Les technologies numériques sont utilisées pour dénoncer le harcèlement sexuel, mettre au jour la corruption des pouvoirs publics, voire destituer des présidents. L’espace numérique est également de plus en plus investi pour débattre des questions de politique générale, notamment la problématique de l’égalité des genres, la vaccination et l'immigration. La nature des participants au débat mené dans le cadre de la citoyenneté numérique, de même que des acteurs qui l’influencent et qui lui donnent corps constitue par conséquent un élément important.
Si des fractures numériques persistent au sein des pays et entre ces derniers, la citoyenneté numérique ne s’en est pas moins étendue, offrant à des millions de personnes à travers le monde des opportunités et des libertés nouvelles. Une récente étude menée dans 10 pays africains a ainsi répertorié 65 exemples positifs de ce que le réseau African Digital Rights Network appelle des « ouvertures en matière de numérique », telles que l’activisme dans les médias sociaux ou des innovations à l’appui de la transparence et de la lutte contre la corruption (Roberts, 2021[2]). Il existe parallèlement, au sein de la société civile, une crainte croissante que les pouvoirs publics et les entreprises utilisent les outils numériques à des fins d’autoritarisme et pour fermer des espaces d’expression et de contestation en ligne (Shahbaz, 2018[3] ; Mare, 2020[4]). L'étude réalisée en Afrique a également relevé des preuves de cette inquiétante tendance, à savoir 115 « fermetures en matière de numérique » de l’espace civique1, notamment sous forme de surveillance par l’État, de désinformation en ligne et de fermetures de l’internet (Roberts, 2021[2]). Le Graphique 8.1 présente des exemples d’ouvertures et de fermetures en matière de numérique.
Les définitions de la citoyenneté et du citoyen numériques évoluent à mesure que les aspects positifs et potentiellement négatifs des technologies numériques apparaissent. Il y a treize ans, Tolbert, Mossberger et McNeal (2008[5]) définissaient la citoyenneté numérique comme « la capacité à participer à la société en ligne », et le citoyen numérique comme « toute personne qui utilise les technologies fréquemment [quotidiennement], qui utilise les technologies pour se procurer des informations sur la politique afin de remplir son devoir civique, et qui utilise les technologies sur son lieu de travail pour en tirer des revenus ». Ils estimaient que la citoyenneté numérique comportait trois volets : 1) inclusion sociale ; 2) participation civique ; 3) débouchés économiques. Entre 2005 et 2015, la majorité de la littérature consacrée à la citoyenneté numérique consistait essentiellement à recenser et analyser les avantages de l’utilisation des technologies numériques au service de l’inclusion sociale et économique, ainsi que leur rôle dans les mouvements populaires du monde entier visant à renverser des régimes répressifs.
Pourtant, les expressions de la citoyenneté numérique ne sont pas toutes progressistes, ni même souhaitables. Lorsqu’elle est réduite à un engagement citoyen en ligne, la citoyenneté numérique peut englober les manifestations de xénophobie ou les appels au nettoyage ethnique relayés par l’internet. Voilà pourquoi il est indispensable de disposer d'une définition de la citoyenneté numérique qui va au-delà de l’utilisation des technologies numériques dans la vie sociale et qui inclut également un engagement normatif à l’appui des droits humains ou de la justice sociale. Les acteurs du développement ont, au minimum, un intérêt à favoriser « l’expression en ligne », autrement dit une citoyenneté numérique qui facilite l’inclusion et la participation des groupes marginalisés. Certains de ces acteurs iront plus loin en apportant un soutien aux droits numériques, à savoir une citoyenneté numérique qui poursuit des objectifs d'équité et de droits. Idéalement, la citoyenneté numérique devrait se traduire par un rééquilibrage au sein de structures de pouvoir sources d'injustice (par exemple entre les dirigeants autoritaires et les citoyens, ou dans les relations entre les genres). C’est pourquoi il est plus approprié, pour définir la citoyenneté numérique, de parler de l’utilisation de dispositifs mobiles et de l’internet dans le cadre d'un engagement citoyen visant à réclamer des droits et la justice sociale.
Les acteurs du développement ont, au minimum, un intérêt à favoriser « l’expression en ligne », autrement dit une citoyenneté numérique qui facilite l’inclusion et la participation des groupes marginalisés. Certains de ces acteurs iront plus loin en apportant un soutien aux droits numériques, à savoir une citoyenneté numérique qui poursuit des objectifs d’équité et de droits.
La citoyenneté numérique est souvent la plus précieuse dans les contextes autoritaires et lorsque l’espace démocratique se rétrécit ou se referme. En périodes de répression, il est fréquent que les citoyens poussés à la clandestinité ou à l’exil ouvrent des espaces civiques en ligne pour exercer leurs droits à la liberté d’expression et de communication (Roberts, 2019[6]). Selon l’organisme Freedom House, 2021 est la 15e année consécutive de recul des libertés politiques dans le monde (Shahbaz, 2018[3]), et s’est également caractérisée par un rétrécissement de l’espace civique (CIVICUS, 2020[7]). L’espace dévolu à la citoyenneté numérique ne saurait être tenu pour acquis.
Les militants des droits humains sont souvent des précurseurs de l’utilisation des outils numériques, tels que les minimessages (SMS), les blogs et les médias sociaux. Il arrive souvent que les jeunes férus de nouvelles technologies en fassent usage pour soulever des questions importantes que le monde politique et les médias conventionnels n’abordent pas. Bien que les États soient souvent lents à réagir chaque fois qu’apparaît une nouvelle forme de citoyenneté numérique, ils sont dotés, de par leurs moyens financiers et leurs institutions puissantes, des capacités de déployer un arsenal de technologies numériques propres à étouffer la démocratie numérique, le dialogue et la contestation. Partout dans le monde, les États utilisent régulièrement des technologies de surveillance de l’internet et d’interception des communications mobiles pour espionner leurs propres citoyens (Observatoire mondial de la société de l’information, 2014[8] ; Roberts et al., 2021[9]).
Ces ouvertures et fermetures des espaces civiques s’apparentent à un combat sans fin, dans lequel toute solution fait surgir un problème nouveau. Dans un premier temps, des militants se font connaître via Facebook, Twitter, TikTok ou n’importe quelle technologie numérique dernier cri. À un moment donné, l’État réagit de façon autoritaire pour les faire taire à coups d’innovations comme l’enregistrement obligatoire des cartes SIM, l'imposition d'une identification biométrique, l’interdiction d'accès à Twitter et la fermeture de l’internet. À mesure que l’État parvient à contrôler une première vague de technologies utilisées pour l’exercice de la citoyenneté numérique, les militants en adoptent d'autres et apparaissent dans de nouveaux espaces pour contrer l’action des autorités (Graphique 8.2).
Cette bataille au sujet de l’espace civique en ligne est sans fin. Aucune des parties n’est jamais complètement gagnante. Les citoyens numériques doivent utiliser l’espace en ligne régulièrement, au risque de le perdre. Les acteurs de la coopération pour le développement peuvent contribuer à maintenir l’espace en ligne ouvert pour permettre aux citoyens d’exercer leurs droits en matière de liberté d’expression et de communication.
L'internet ouvert et gratuit offre un espace d'une grande utilité, propice aux débats et à des réflexions libres et démocratiques. Dans les pays où l’espace civique hors ligne se rétrécit, l’internet devient un espace encore plus précieux et, par conséquent, âprement disputé. L’autoritarisme numérique – qui se manifeste sous forme de surveillance et de désinformation en ligne, ainsi que de fermetures de l’internet – est une menace grandissante dans une grande partie du monde. Il ne cesse d'évoluer pour faire taire les voix citoyennes qui s’expriment sur l’internet afin de revendiquer des droits et de réclamer la justice sociale.
Le scandale de Cambridge Analytica, le lanceur d’alerte Edward Snowden et l’affaire du logiciel espion Pegasus ont fait prendre conscience aux citoyens et aux décideurs publics de l’importance de la citoyenneté numérique. Ces trois cas montrent que les technologies numériques porteuses de libertés et d'opportunités sont les mêmes que celles utilisées à des fins de répression (notamment de surveillance de masse, de désinformation en ligne et de fermetures de l’internet).
L'affaire Cambridge Analytica a montré comment les médias sociaux établissent les profils numériques des utilisateurs – grâce à une surveillance secrète et systématique de leur comportement en ligne –, puis les vendent à des groupes d'intérêt politiques pour manipuler, à leur insu, les opinions et les comportements des électeurs (Cadwalladr et Graham-Harrison, 2018[11] ; Zuboff, 2019[12]). L’achat de ces opérations de manipulation en ligne par les groupes de pression et les partis politiques est aujourd’hui chose courante. Il existe également des preuves que des opérations de manipulation intérieures et étrangères faisant appel à des usines à trolls, des armées de bots et des cyborgs ciblent des questions fondamentales de la politique de développement2. Des comportements en ligne truqués et coordonnés influencent ainsi les débats sur la vaccination, le climat, l’immigration, l’égalité des genres et les droits des communautés LGBTQ (Jones, 2019[13] ; Woolley et Howard, 2018[14]). Lors des élections de 2017 au Kenya, les élites politiques auraient dépensé des dizaines de millions de dollars pour financer des campagnes de désinformation visant à manipuler l'opinion et le vote des citoyens (Brown, 2019[15]).
Les organismes de surveillance ont les moyens d’infiltrer les communications mobiles et en ligne des citoyens ; l’affaire Snowden a fourni à cet égard moultes preuves de l’illégalité dans laquelle se trouvent les autorités publiques qui engagent une surveillance systématique de masse de leurs propres citoyens. L’utilisation d’algorithmes de l’intelligence artificielle permet d'automatiser certains aspects du processus de surveillance et donc de procéder à une surveillance de masse, qui représente pourtant une violation des droits humains internationaux. Les révélations de l’affaire d’espionnage Pegasus ont montré comment des logiciels vendus dans le commerce ont permis à des régimes répressifs de pirater les téléphones portables des citoyens et d’espionner illégalement des juges, des journalistes, des militants et des personnalités politiques (Marczak et al., 2018[16]). L’arsenal des technologies numériques mises au point par des entreprises privées et déployées par les États a conduit, dans de nombreux pays, à une violation régulière du droit essentiel des citoyens au respect du caractère privé de leurs communications (Roberts et al., 2021[9] ; Duncan, 2019[17]).
Les fermetures de l’internet sont également de plus en plus utilisées dans le cadre de l’autoritarisme numérique. La première fermeture à l’échelle d'un pays a eu lieu en Égypte lors des soulèvements de la place Tahrir en 2001. Les interruptions volontaires de l’internet sont le plus souvent ordonnées par les autorités d'un pays, généralement avant des élections ou à l’occasion de mouvements de protestation en ligne ; elles représentent un moyen efficace de nier la citoyenneté numérique tout en dissimulant des violations des droits humains (Taye, 2020[18]). L’Inde détient le record mondial du nombre de fermetures (Anthonio, Skok et Díaz Hernández, 2021[19]). Les États utilisent aujourd'hui des techniques plus élaborées pour interrompre le fonctionnement de l’internet. Ils peuvent fermer une seule plateforme (comme Twitter au Nigéria) ou bloquer l’accès dans une seule région (par exemple, dans la région du Tigré en Éthiopie). En Afrique, le nombre de fermetures volontaires de l’internet par les autorités a augmenté de 25 % entre 2019 et 2020 (Anthonio, Skok et Díaz Hernández, 2021[19]).
Toute opération de surveillance constitue une violation des droits humains fondamentaux. La découverte que des États exercent de façon régulière une surveillance de masse de leurs citoyens a été un choc pour beaucoup, et il existe une crainte grandissante que la surveillance illégale ne devienne une activité routinière et normalisée des États, portant atteinte aux libertés et aux droits des citoyens. Des études menées récemment sur les pratiques de six pays africains en matière de surveillance étatique ont révélé que tous se livrent à cette activité au mépris de ce qui est légalement autorisé en vertu des constitutions/législations nationales et des conventions internationales protégeant le droit au respect de la vie privée ainsi qu’à la liberté d’expression et de communication. Même lorsqu’ils ont été arrêtés, les auteurs de ces violations sont restés impunis (Roberts et al., 2021[9]).
Par ailleurs, la réglementation et la législation existantes ne sont pas adaptées pour limiter la surveillance, couper court à la désinformation ou garantir une imposition équitable des plateformes numériques. Dans le monde analogique, les interactions sociales, la vie économique et le débat politique avaient pour cadre les bâtiments publics, les usines et les journaux. Il était alors relativement facile d'édicter des réglementations et des lois pour régir ces activités. De nos jours, la vie sociale, économique et politique a de plus en plus lieu sur des plateformes numériques appartenant à des monopoles privés installés aux États-Unis et en Chine. Comme indiqué dans la publication intitulée Digital Citizenship in a Datafied Society, « les outils que nous utilisons pour exercer notre citoyenneté sont hébergés par un petit nombre de plateformes commerciales, gérées par un secteur privé extrêmement concentré » (Hintz, Dencik et Wahl-Jorgensen, 2019[20]). Ces entreprises se trouvent en dehors du champ réglementaire et législatif des autres pays, ce qui soulève des questions au sujet de la responsabilité démocratique.
Des actions en justice stratégiques visant à faire respecter les droits individuels et la protection de la vie privée peuvent être une tactique judicieuse, que ce soit dans un contexte démocratique ou sous un régime autoritaire. Au Kenya et en Afrique du Sud, par exemple, des acteurs de la société civile ont poursuivi leurs dirigeants devant la Cour constitutionnelle sur des questions relatives aux droits et aux technologies numériques. Ces actions ont permis de mieux sensibiliser l'opinion, de diriger l’attention sur la société civile et d’obliger les autorités publiques à revoir leurs pratiques en matière de surveillance et leur législation. Des approches similaires sont possibles même dans des États plus répressifs. L’Encadré 8.1 décrit comment un mouvement de protestation en ligne a entrainé un changement au Nigéria.
Cela dit, des informations de meilleure qualité sur la façon dont les États et les acteurs privés utilisent les technologies numériques sont nécessaires pour garantir l’expression de la citoyenneté numérique et le maintien d'un espace civique numérique ouvert. La plupart des données disponibles sur la surveillance et la désinformation concernent les pays du Nord. Il existe relativement peu d'études approfondies sur l’autoritarisme numérique dans les pays du Sud et les chercheurs, journalistes, militants et décideurs publics locaux manquent de ressources et de capacités pour déterminer l’ampleur et la dynamique de ces problématiques dans leur propre pays. En l’absence d’informations aussi détaillées, il est pratiquement impossible d’élaborer et de mettre en place des mesures pour faire obstacle à l’autoritarisme numérique et rétablir un espace libre et ouvert où puisse s’exercer la citoyenneté numérique. Des projets de recherche appliquée auprès des intervenants locaux (défenseurs des droits humains, juristes et journalistes) seraient plus efficaces que des travaux universitaires.
Les acteurs de la coopération pour le développement ont le choix entre un ensemble d'actions concrètes et de mesures pour développer l’espace de la citoyenneté numérique et faire reculer l’autoritarisme numérique. La collaboration avec la société civile et le renforcement des capacités locales dans le but de permettre l’exercice de la citoyenneté numérique et d’élargir l’espace civique sont deux volets indispensables. Une autre action essentielle est d'accroître la capacité des militants, journalistes, juristes et chercheurs locaux à repérer, analyser et combattre la surveillance illégale, la désinformation en ligne et les fermetures de l’internet. Les organismes d'aide au développement peuvent intervenir pour contribuer à :
sensibiliser les citoyens à leurs droits en matière de protection de la vie privée et aux pratiques de surveillance ;
accroître la capacité de la société civile à lutter contre l’autoritarisme numérique ;
financer les organisations de défense des droits numériques3 ;
encourager les actions en justice stratégiques visant à mettre fin aux violations des droits à la protection de la vie privée et à l’impunité ;
financer la participation de la société civile à des actions comme celles menées par le Forum sur la gouvernance de l’internet (FGI) ;
faire pression pour la mise en place de réglementations auprès de l’Union internationale des télécommunications, du Sommet mondial sur la société de l’information, du FGI et des rapporteurs spéciaux des Nations Unies ;
financer la recherche appliquée sur le suivi, l’analyse et la lutte contre l’autoritarisme numérique.
La dérive vers l’autoritarisme numérique n’est pas inévitable. Une action coordonnée entre les organismes de coopération pour le développement peut renforcer la citoyenneté numérique et rétablir un internet ouvert et gratuit pour tous.
Le Nigéria se situe à la première place des pays d’Afrique et à la sixième place dans le monde pour ce qui est du nombre d’utilisateurs de l’internet, avec quelque 154 millions d’utilisateurs (Statista, 2021[21] ; 2020[22]). Le Nigéria est un pays pluriethnique où cohabitent de nombreuses religions, dont la vie politique a de tout temps été tumultueuse et marquée d'événements liés à ses clivages ethno-religieux (Otite, 1990[23]). C’est aussi le pays d’Afrique – sur les 54 que compte le continent – dont les dépenses en technologies de surveillance sont les plus élevées (Roberts et al., 2021[9]).
En octobre 2020, un groupe de jeunes nigérians a lancé un mouvement de protestation en ligne – #EndSARS – contre les excès et la violence de la brigade spéciale de lutte contre le banditisme (SARS), une unité de la police nigériane (Punch Editorial Board, 2020[24]). Ce mouvement s’est rapidement propagé hors ligne et s’est transformé en ce que l’on pourrait qualifier de manifestation de rue la mieux organisée et la plus ciblée de toute l'histoire (récente) du pays. Les manifestants réclamaient initialement au gouvernement la dissolution de la SARS et l’indemnisation des victimes des infractions commises par ses agents ; au bout d'une semaine, la pression exercée en ligne et hors ligne a produit des effets. Le gouvernement a pris des dispositions pour dissoudre la SARS et a promis de mener des réformes de plus grande portée au sein de la police (Ayitogo, 2020[25]). La récupération du mouvement par des éléments violents s’est toutefois soldée par des morts, des destructions de biens et un pillage à grande échelle.
Néanmoins, le mouvement #EndSARS, qui a généré environ un million de messages sur Twitter, est un exemple éloquent d’une activité militante ayant suscité une réponse positive immédiate de la part de l’État. Ne pouvant plus ignorer les manifestations, le gouvernement nigérian ne s’est pas contenté de dissoudre la SARS mais a également accédé aux autres demandes des manifestants : libération immédiate de tous les manifestants arrêtés ; justice pour toutes les victimes de la brutalité policière et indemnisation de leurs familles ; création dans un délai de dix jours d’un organe indépendant chargé de superviser les enquêtes et d’engager des poursuites pour tous les actes de malveillance policière ; évaluation psychologique et reclassement, conformément à la nouvelle loi sur la police, de tous les agents de la SARS (confirmés par un organe indépendant) comme condition préalable à leur réaffectation ; enfin, revalorisation des traitements des policiers afin de les rétribuer correctement pour leur mission de protection des vies humaines et des biens des citoyens (TheCable, 2020[26] ; Vanguard, 2020[27]).
[19] Anthonio, F., A. Skok et M. Díaz Hernández (2021), « Voices from Tigray: Ongoing internet shutdown tearing families, communities, businesses apart », Access Now, https://www.accessnow.org/voices-from-tigray-ongoing-internet-shutdown-tearing-families-communities-businesses-apart/ (consulté le 12 novembre 2021).
[25] Ayitogo, N. (2020), #EndSARS: Nigeria dissolves dreaded police unit, announces police reforms, https://www.premiumtimesng.com/news/headlines/419997-endsars-nigeria-dissolves-dreaded-police-unit-announces-police-reforms.html (consulté le 12 novembre 2021).
[15] Brown, E. (2019), Online fake news is costing us $78 billion globally each year, https://www.zdnet.com/article/online-fake-news-costing-us-78-billion-globally-each-year/ (consulté le 12 novembre 2021).
[11] Cadwalladr, C. et E. Graham-Harrison (2018), Revealed: 50 million Facebook profiles harvested for Cambridge Analytica in major data breach, https://www.theguardian.com/news/2018/mar/17/cambridge-analytica-facebook-influence-us-election (consulté le 12 novembre 2021).
[7] CIVICUS (2020), « Civic space on a downward spiral », dans CIVICUS Monitor : People Power Under Attack 2020, https://findings2020.monitor.civicus.org/downward-spiral.html (consulté le 12 novembre 2021).
[17] Duncan, J. (2019), Stopping the Spies: Constructing and Resisting the Surveillance State in South Africa, Wits University Press, Johannesbourg.
[20] Hintz, A., L. Dencik et K. Wahl-Jorgensen (2019), Digital Citizenship in a Datafied Society, John Wiley & Sons, Hoboken, NJ.
[13] Jones, K. (2019), Online Disinformation and Political Discourse: Applying a Human Rights Framework, Chatham House, Londres, https://www.chathamhouse.org/sites/default/files/2019-11-05-Online-Disinformation-Human-Rights.pdf (consulté le 12 novembre 2021).
[16] Marczak, B. et al. (2018), Hide and Seek: Tracking NSO Group’s Pegasus Spyware to Operations in 45 Countries, The Citizen Lab, University of Toronto, https://citizenlab.ca/2018/09/hide-and-seek-tracking-nso-groups-pegasus-spyware-to-operations-in-45-countries/ (consulté le 12 novembre 2021).
[4] Mare, A. (2020), « State-ordered Internet shutdowns and digital authoritarianism in Zimbabwe », International Journal of Communication, vol. 14, pp. 4244–4263, https://ijoc.org/index.php/ijoc/article/view/11494 (consulté le 12 novembre 2021).
[8] Observatoire mondial de la société de l’information (2014), Communications Surveillance in the Digital Age, https://giswatch.org/2014-communications-surveillance-digital-age (consulté le 12 novembre 2021).
[23] Otite, O. (1990), Ethnic Pluralism and Ethnicity in Nigeria (with comparative materials), Shaneson C.I, Ltd., Ibadan, Nigeria.
[24] Punch Editorial Board (2020), Looking beyond #EndSARS: Youths and people power, https://punchng.com/looking-beyond-endsars-youths-and-people-power/ (consulté le 12 novembre 2021).
[10] Réseau africain pour les droits numériques (2021), site web du Réseau africain pour les droits numériques, https://www.africandigitalrightsnetwork.org/.
[1] Réseau de solutions pour le développement durable (2015), Indicators and a Monitoring Framework: Target 16.7 - ensure responsive, inclusive, participatory and representative decision-making at all levels, https://indicators.report/targets/16-7/ (consulté le 12 novembre 2021).
[2] Roberts, T. (dir. pub.) (2021), Digital Rights in Closing Civic Space: Lessons from Ten African Countries, Institute of Development Studies, Brighton, Royaume-Uni, https://doi.org/DOI:10.19088/IDS.2021.003.
[9] Roberts, T. (dir. pub.) (2021), Surveillance Law in Africa: A Review of Six Countries, Institute of Development Studies, Brighton, Royaume-Uni, https://doi.org/10.19088/IDS.2021.059.
[6] Roberts, T. (2019), « Closing civic space and inclusive development in Ethiopia », IDS Working Paper, n° 527, Institute of Development Studies, Brighton, Royaume-Uni, https://opendocs.ids.ac.uk/opendocs/handle/20.500.12413/14471 (consulté le 12 novembre 2021).
[3] Shahbaz, A. (2018), Freedom on the Net 2018: The Rise of Digital Authoritarianism, Freedom House, Washington, D.C., https://freedomhouse.org/report/freedom-net/2018/rise-digital-authoritarianism (consulté le 12 novembre 2021).
[21] Statista (2021), Most internet users by country (base de données), https://www.statista.com/statistics/262966/number-of-internet-users-in-selected-countries/ (consulté le 25 novembre 2021).
[22] Statista (2020), Africa number of internet users by country 2020 (base de données), https://www.statista.com/statistics/505883/number-of-internet-users-in-african-countries/ (consulté le 25 novembre 2021).
[18] Taye, B. (2020), Targeted, Cut Off and Left in the Dark: The #KeepItOn Report on Internet Shutdowns in 2019, Access Now, New York, https://www.accessnow.org/cms/assets/uploads/2020/02/KeepItOn-2019-report-1.pdf (consulté le 12 novembre 2021).
[26] TheCable (2020), FG accepts 5-point demand of #EndSARS protesters, https://www.thecable.ng/breaking-fg-accepts-5-point-demand-of-endsars-protesters (consulté le 12 novembre 2021).
[5] Tolbert, C., K. Mossberger et R. McNeal (2008), Digital Citizenship: The Internet, Society, and Participation, MIT Press, Cambridge, MA.
[27] Vanguard (2020), Five demands from #EndSARS protesters, https://www.vanguardngr.com/2020/10/five-demands-from-endsars-protesters/ (consulté le 12 novembre 2021).
[14] Woolley, S. et P. Howard (2018), Computational Propaganda: Political Parties, Politicians, and Political Manipulation on Social Media, Oxford University Press, Oxford.
[12] Zuboff, S. (2019), The Age of Surveillance Capitalism, PublicAffairs, New York.
← 1. L’espace civique désigne l’ensemble des espaces publics où il est possible d’exercer en toute sécurité la liberté démocratique d'opinion politique, d’association et d’expression. Voir aussi : https://opendocs.ids.ac.uk/opendocs/bitstream/handle/20.500.12413/15964/Digital_Rights_in_Closing_Civic_Space_Lessons_from_Ten_African_Countries.pdf?sequence=4&isAllowed=y
← 2. Les trolls sont des êtres humains qui postent en ligne des messages mensongers dans le but de fausser un débat ou d'introduire de fausses idées. Une usine à trolls est un groupe de trolls rémunérés pour perturber ou fausser un débat en ligne. Un bot est un logiciel qui poste des messages automatisés semblables à ceux des trolls, de sorte qu’ils aient l'air d’être rédigés par un être humain. Un cyborg se situe entre les deux : un être humain postant des messages semi-automatisés.
← 3. Les organisations de défense des droits numériques sont par exemple : Access Now, l’Association pour le progrès des communications, CIPESA (Collaboration on International ICT Policy in East and Southern Africa) et Paradigm Initiative.