Timothy Kotin
PDG et cofondateur, Superfluid Labs
Coopération pour le développement 2021
Point de vue : L’intelligence artificielle et l’analyse des données peuvent ouvrir de nouvelles perspectives économiques
Tous les êtres humains méritent d’avoir une chance de réaliser leur potentiel. Cependant, dans le monde d’aujourd’hui, les possibilités ne sont pas uniformément réparties. Au nombre des obstacles figure l’accès limité ou inexistant aux ingrédients essentiels pour mener une vie de qualité, tels que les soins de santé, l’éducation, la nutrition, l’énergie, la communication, la mobilité, les services financiers et l’emploi rémunéré. Les réalités économiques actuelles, combinées aux effets néfastes du changement climatique, menacent d’accélérer et de codifier cet état d’iniquité.
Le recours à l’analyse des données et aux technologies d’intelligence artificielle (IA) peut contribuer à surmonter certains de ces obstacles et à rééquilibrer les chances. Superfluid Labs s’attache à fournir des technologies à des centaines de petites entreprises et à des millions de personnes en Afrique. L’objectif est d’ouvrir de nouveaux débouchés économiques là où il n’y en avait pas et d’accroître les possibilités là où elles sont limitées. En améliorant l’efficacité des entreprises grâce à une meilleure connaissance des données, on obtient de nombreuses retombées positives pour les petites entreprises, notamment pour les millions de commerçants du secteur informel qui emploient la majeure partie de la main-d’œuvre africaine, de plus en plus jeune. Par exemple, au Nigéria et au Kenya, ces commerçants peuvent désormais mieux prévoir la demande des consommateurs à l’égard de leurs produits et commander facilement de nouveaux produits via des appareils mobiles ordinaires. De plus, en numérisant pour la première fois leurs transactions commerciales, nombre de ces entreprises peuvent accéder à des prêts auprès de prêteurs locaux grâce aux historiques de crédit alternatifs que Superfluid Labs génère à l’aide de l’intelligence artificielle. Il en résulte une meilleure viabilité des entreprises et une capacité d’emploi accrue, qui attirent à leur tour davantage de capital-risque pour la création de nouvelles entreprises.
Il est vrai qu’avec la dématérialisation accrue des services, accélérée par la pandémie de COVID-19, notre empreinte numérique est toujours plus forte, ce qui suscite des inquiétudes quant à la confidentialité des données et aux effets nuisibles potentiels de la technologie, comme la mésinformation et la désinformation. Mais les empreintes numériques peuvent être des signaux utiles qui favorisent l’accès à de nouveaux produits et services, en utilisant la technologie des chaînes de blocs et d’autres technologies décentralisées pour exploiter le potentiel de l’IA sans sacrifier la sécurité. À titre d’illustration, l’IA peut exploiter les historiques de crédit pour déterminer qui devrait être éligible à un prêt personnel. Les systèmes basés sur l’IA sont également utilisés pour fournir aux petits exploitants agricoles une meilleure assurance. En collectant et en partageant les coordonnées précises de leurs exploitations agricoles à l’aide d’appareils mobiles équipés d’un GPS, les exploitants agricoles bénéficient désormais d’une assurance contre les risques météorologiques, qui peut également déclencher des versements automatiques via des porte-monnaie mobiles.
Les politiques qui visent à promouvoir, à améliorer et à multiplier les aspects positifs de l’IA sont tout aussi nécessaires que les réglementations relatives à la protection des données des consommateurs, au consentement et à la vie privée. Les acteurs du développement et les pouvoirs publics ont un rôle majeur à jouer pour mobiliser le potentiel de l’IA en créant des environnements porteurs et en renforçant la formation aux techniques d’IA.
L’accès aux dispositifs informatiques est essentiel pour saisir les données pertinentes qui alimentent les modèles d’IA et pour accéder aux nouveaux services facilités par l’IA. Or, dans les pays à faible revenu ou à revenu intermédiaire, nombreux sont ceux qui n’ont pas les moyens de s’offrir un smartphone pour participer à l’économie numérique, alors même que le monde est de plus en plus décentralisé et que les activités se font de plus en plus à distance, la pandémie de COVID-19 ayant accéléré la transition des entreprises vers des modèles d’exécution numérique. Pour éviter une accentuation de la fracture numérique, les partenaires au développement doivent soutenir plus explicitement les initiatives du secteur privé qui permettent l’accès à des smartphones à un prix abordable au moyen de modèles de financement innovants. Google, Facebook et Starlink ont lancé de nombreuses initiatives prometteuses en Afrique de l’Est et de l’Ouest. Les gouvernements devraient eux aussi considérer la connectivité pour tous comme un objectif digne d’être poursuivi, car l’informatique et la connectivité sont indispensables pour exploiter le potentiel de l’IA.
Les partenaires au développement et les pouvoirs publics peuvent jouer un rôle important en favorisant les possibilités économiques et la prospérité commune. L’introduction de contenus relatifs aux données et à l’IA dès le début du cursus éducatif permettra de mieux préparer les diplômés à rejoindre et à améliorer la quatrième révolution industrielle et de remédier à la pénurie de talents en IA – un obstacle majeur à la croissance des entreprises axées sur les données. La main-d’œuvre actuelle a besoin d’un soutien en faveur d’initiatives de formation et de recyclage dans le domaine des données, de l’analytique et de l’IA, de façon à ouvrir de nouvelles perspectives d’emploi à mesure que l’automatisation redéfinit de nombreuses tâches traditionnelles. Ce type de formation est particulièrement important pour maintenir une productivité suffisante en vue d’une croissance économique saine et pour limiter le risque de chômage massif ou de suppression d’emplois que pourrait induire la transformation numérique.
Apporter des financements et un soutien aux entreprises naissantes spécialisées dans l’IA contribuera grandement au développement de l’écosystème tout en ayant un impact direct sur la société.
En outre, apporter des financements et un soutien aux entreprises naissantes spécialisées dans l’IA contribuera grandement au développement de l’écosystème tout en ayant un impact direct sur la société. Ce soutien pourrait prendre la forme d’investissements directs, d’un accès à l’expertise ou à l’infrastructure informatique locale (les centres de données, par exemple) et de contrats commerciaux permettant aux entreprises d’expérimenter des solutions face à des défis urgents en matière de développement international et national.
Comme le fut l’électricité à l’époque, l’intelligence artificielle et les données doivent aujourd’hui être considérées comme une évolution potentiellement révolutionnaire, qui présente largement plus d’avantages que d’inconvénients. C’est pourquoi nous devons agir avec circonspection, mais également avec espoir, optimisme, détermination et célérité. Bâtissons un monde dans lequel chacun pourra exploiter pleinement son potentiel.