L’actualisation est un problème à la fois fondamental et très répandu dans l’ACA, qui se pose de façon plus marquée dans l’évaluation de projets touchant à l’environnement que dans tout autre domaine. Il s’agit notamment d’un problème d’ordre technique qui découle de l’hypothèse habituelle dans l’ACA selon laquelle le prix social ou fictif d’une unité de consommation dans le futur est inférieur au prix d’une unité de consommation aujourd’hui. Le taux d’actualisation correspond simplement au taux de variation de ce prix fictif. Cette simplicité est bien sûr une question de degré. Si la théorie de l’actualisation sociale indique clairement comment il convient de définir le taux d’actualisation social, dans la pratique ce calcul soulève de nombreuses questions, surtout lorsqu’on examine des mesures ayant des conséquences sur les générations situées dans un futur éloigné, comme des politiques et des projets intergénérationnels. Non seulement les hypothèses sur lesquelles repose l’actualisation conventionnelle deviennent problématiques, mais les fondements éthiques de l’actualisation deviennent extrêmement importants et influents. C’est pourquoi ce chapitre étudie la manière dont les paramètres du taux d’actualisation utilisés dans l’analyse des coûts et des avantages sociaux (ACAS) sont déterminés ainsi que leurs aspects éthiques et pratiques.Pour ce faire, il examine notamment les difficultés que les projets intergénérationnels comme la lutte contre le changement climatique posent à l’approche conventionnelle de l’actualisation ainsi que le renforcement des justifications théoriques et empiriques en faveur d’une grille de taux d’actualisation qui diminuent avec le temps.
Analyse coûts-avantages et environnement
Chapitre 8. Actualisation
Abstract
8.1. Introduction
Pour Martin Weitzman, l’actualisation est « un des plus importants problèmes de toute la science économique » (Weitzman, 2001, p. 261). Il s’agit d’un problème très répandu dans de nombreuses analyses économiques, en particulier dans l’analyse coûts-avantages (ACA) et dans l’analyse coût-efficacité (ACE). La sensibilité de l’ACA et de l’ACE au taux d’actualisation social est particulièrement importante lorsque l’on s’intéresse à des politiques ou à des investissements publics présentant des coûts et des avantages à long terme, comme les investissements dans l’énergie (énergie nucléaire notamment), dans la santé (éradication d’une maladie par exemple), dans l’atténuation du changement climatique ou d’autres avantages environnementaux à long terme ou encore dans des infrastructures. Ce chapitre expose les différents arguments relatifs à l’actualisation sociale de façon théorique et empirique ainsi que l’interprétation de ces arguments dans les pratiques de différents pays du monde.
Afin d’exprimer l’ensemble des biens et des services dans une même unité de mesure ou de compte, l’ACA utilise des prix de marché ou des prix fictifs. De cette façon, il est possible de comparer la valeur sociale des pommes, des oranges, de l’air pur, etc., en euros ou en dollars de consommation. Lorsque les coûts et les avantages s’inscrivent dans la durée, l’ACA doit également exprimer ces coûts et ces avantages dans une même unité temporelle afin de comptabiliser les effets des variations de la valeur sociale (corrigée de l’inflation réelle) de l’unité de compte dans le futur. La méthode habituelle consiste à convertir la valeur de l’ensemble des coûts et des avantages en la valeur qu’ils ont aujourd’hui, c’est-à-dire à calculer la valeur actuelle des coûts et des avantages. Le calcul de la valeur actuelle traduit l’idée selon laquelle il existe un prix associé à la date à laquelle un avantage ou un coût se matérialise. Dans une ACA, on suppose généralement que le prix fictif d’une unité de consommation dans le futur est inférieur au prix d’une unité de consommation aujourd’hui. Par conséquent, lorsqu’on additionne les avantages nets d’un projet particulier au cours du temps, on affecte aux coûts et aux avantages futurs un poids moindre (un prix moins élevé) qu’aux coûts et aux avantages présents.Le taux d’actualisation social (TAS) mesure le taux (négatif) de variation du prix fictif de l’unité de compte au fil du temps. Un taux d’actualisation positif signifie que le prix fictif diminue avec l’horizon temporel.
Ce chapitre présente les arguments en faveur de l’utilisation d’un taux d’actualisation positif. Certains arguments reposent exclusivement sur le bien-être, ils sont liés à la valeur que la société accorde au bien-être à différents moments dans le temps. D’autres portent sur le coût d’opportunité, reflétant le fait qu’il existe d’autres projets dans lesquels les pouvoirs publics pourraient investir. Étant donné que le TAS renvoie à un prix, la théorie de l’évaluation des actifs peut également donner une indication du prix adéquat d’une créance sur un coût ou un avantage à un certain moment dans le futur. Des désaccords entre universitaires et praticiens persistent quant à savoir quelle approche devrait être adoptée en matière d’actualisation sociale dans des situations données et dans la pratique, une variété d’approches a été utilisée par les États dans le monde entier. Parmi les deux principales causes de désaccords figure le choix entre une approche normative/prescriptive ou positive/descriptive à adopter pour évaluer les projets d’investissements publics ou de réglementations.
L’approche normative met l’accent sur la trajectoire du bien-être social mesurée par le bien-être social actualisé (utilité) et en grande partie elle ne tient pas compte de la trajectoire du taux de rendement du capital côté coût d’opportunité. L’approche normative accorde une place importante à la question du prix qui devrait être donné aux coûts et avantages futurs. Quant à l’approche positive, elle s’intéresse à la trajectoire des taux de rendement observables comme source d’information pour étayer le TAS. Cette approche est positive ou descriptive, car elle met l’accent sur les arbitrages intertemporels qui ont aujourd’hui lieu dans l’économie et choisit un TAS à appliquer dans l’analyse des politiques publiques à partir des taux de rendement observables dans l’économie. Ce faisant, l’approche positive ne tient pas compte de la trajectoire du bien-être social.
À moyen terme, horizon de nombreux investissements publics (10-30 ans), le recours à l’une ou à l’autre des méthodes de détermination TAS dans une ACA aboutit à de faibles différences dans la pratique. C’est lorsque l’ACA porte sur des horizons plus longs que l’approche choisie pour déterminer le TAS a des conséquences importantes sur le type de projets qui passe le test de la VAN. Des projets marginaux dans le domaine de l’énergie, de l’atténuation du changement climatique, de la préservation de la biodiversité, de la santé publique ont un horizon de plusieurs centaines d’années et auront des conséquences sur des générations qui ne sont pas encore nées. Nombreux sont ceux qui estiment que dans de telles situations la pertinence de l’approche positive est limitée par l’horizon des actifs observables, qui n’excède pas la maturité de 40 à 50 ans des obligations d’État. Dans ce type de cas, le recours à l’approche normative pour déterminer le TAS est de plus en plus fréquent. En définitive, les approches utilisées par les pouvoirs publics varient même pour des projets à moyen terme. Ainsi, le Royaume-Uni et dans ses lignes directrices sur l’ACA, l’Union européenne privilégient l’approche normative reposant sur le bien-être tandis que les États-Unis, la Norvège et les Pays-Bas, par exemple, ont adopté une approche explicitement positive et ancrent leur TAS sur les taux de rendement de marché observables. Toutefois, lorsqu’il s’agitd’évaluer des projets à long terme, des projets intergénérationnels, de nombreux pouvoirs publics conviennent qu’il faut peut-être étoffer les méthodes habituelles en matière d’actualisation ou envisager d’autres approches en matière d’évaluation.
Un autre enjeu important en matière d’actualisation sociale est la prise en compte du risque. Ce chapitre commence par présenter la théorie de l’actualisation sociale en l’absence de risque où les taux d’intérêt et le taux de croissance de la consommation sont certains et où les coûts et les avantages des projets sont assurés. On a alors un taux d’actualisation social sans risque : le taux applicable aux projets sans risque dans un environnement sans risque. Le chapitre étend ensuite l’analyse aux situations où il existe un risque. Premièrement, il présente l’effet lié au caractère incertain de la consommation dans le futur sur le taux sans risque avant de s’intéresser aux conséquences pour le TAS des risques liés à un projet et met l’accent sur la nécessité de prévoir une prime de risque pour les projets risqués. Encore une fois, dans la pratique, le traitement du risque dans l’ACA varie selon les pays, certains utilisent un taux sans risque tandis que d’autres ajoutent une prime de risque.
Lorsque l’on s’intéresse à des politiques, des projets et des investissements ayant des conséquences sur des générations situées dans un futur éloigné, c’est-à-dire des projets intergénérationnels, l’actualisation conventionnelle conduit à une situation où des coûts et des avantages importants qui se matérialiseront dans un futur éloigné deviennent négligeables en termes de valeur actuelle, car le prix qui leur est associé est effectivement très faible. Comme le souligne ce chapitre, plusieurs arguments théoriques solides expliquent l’apparente myopie d’un tel résultat. Cependant, quand on raisonne à si long terme, non seulement les hypothèses sur lesquelles repose la théorie conventionnelle de l’actualisation deviennent problématiques, mais les fondements éthiques de l’actualisation ont une influence bien plus déterminante. C’est exactement le type de débat éthique qui a eu lieu ces dernières années à propos de la lutte contre le changement climatique et les mêmes questions se posent dans le cas de la mise en œuvre de politiques à long terme comme la préservation de la biodiversité ou l’énergie nucléaire. Le présent chapitre expose les arguments théoriques en faveur d’une modulation des taux d’actualisation selon l’horizon temporal, en particulier ceux qui sous-tendent le recours à des taux d’actualisation sans risque décroissants. De nombreux pays utilisent désormais des taux d’actualisation décroissantsdans leurs recommandations sur la base de ces arguments, et les sections suivantes de ce chapitre analysent la mise en pratique ces théories.
Une fois le taux d’actualisation déterminé, il est possible d’effectuer une ACA ou une ACE de différents investissements ou politiques en calculant leur valeur actuelle (VA) et en la comparant au statu quo (absence de projet) ou à d’autres possibilités d’investissement. Un exemple numérique simple sera présenté pour expliquer ce calcul (voir Encadré 8.1).
Encadré 8.1. L’actualisation et le critère de la valeur actuelle nette
Imaginons qu’un consommateur soit en mesure d’obtenir systématiquement à chaque période un taux de rendement r des fonds qu’il a investis à la banque. Cela signifie qu’un investissement de 1 EUR à la période 0 lui rapportera 1*(1 + r) EUR à la période suivante. Toute autre possibilité d’investissement peut dès lors être comparée à cette valeur de référence en calculant sa valeur actuelle. Le taux de rendement de référence, r, devient le coût d’opportunité de l’investissement dans un autre projet. On peut donc calculer le « prix » relatif associé au fait d’obtenir un rendement à la période 1 plutôt qu’à la période 0, ou coefficient d’actualisation (CA), en utilisant r comme taux d’actualisation :
Plus généralement, le coefficient d’actualisation pour un avantage (ou un coût) survenant à un moment quelconque au bout de t périodes dans le futur est :
Le coefficient d’actualisation permet d’évaluer l’opportunité d’autres investissements en exprimant leurs rendements en termes d’aujourd’hui et en tenant compte de ce qu’aurait rapporté un placement à la banque. Supposons qu’une autre possibilité d’investissement fournisse un rendement B à la période 1 pour un investissement de 1 EUR à la date 0. On peut comparer B au rendement du placement à la banque en comparant les avantages au temps 1. Étant donné que le placement et le projet ont un coût de 1, la décision sera de réaliser le projet si :
Ce qui est équivalent au critère suivant :
où le membre de gauche de l’inéquation est la valeur actuelle de B et le membre de droite la valeur actuelle du rendement offert par la banque. Par conséquent le critère d’évaluation devient :
La valeur actuelle du rendement de l’investissement à la banque est 1 EUR (= 1 EUR*(1+r)/(1 + r)). Par conséquent, la comparaison des valeurs actuelles signifie que l’autre investissement engendre des gains plus élevés que le placement à la banque si le critère suivant est satisfait :
Plus généralement, la valeur actuelle nette (VAN) est égale à la valeur actuelle des avantages moins la valeur actuelle des coûts. Étant donné que le projet coûte 1 EUR, la VAN du projet est donnée par :
La VAN est donc un autre critère permettant d’évaluer des investissements. Si VAN > 0 alors le projet est rentable étant donné que la valeur actuelle du profit généré par le projet est supérieure à ce que rapporte le placement. Dans le cas contraire, le rendement obtenu par le placement est supérieur à celui du projet. De façon plus générale, si l’on note respectivement les avantages et les coûts au temps t Bt et Ct, la VAN d’un projet peut s’écrire ainsi :
Du point de vue de l’ACA, la question est quel est le taux d’actualisation social adéquat pour calculer la VAN des projets publics ?
Ce chapitre aborde l’ensemble de ces questions. Afin de préciser les arguments en faveur d’une détermination du taux d’actualisation social en fonction du bien-être/de la consommation et ceux qui sous-tendent une détermination en fonction du coût d’opportunité ainsi que les liens qui unissent ces argumentaires, ce chapitre s’ouvre sur une introduction à la théorie néoclassique de l’actualisation et à la règle de Ramsey. L’analyse illustre la portée en termes de bien-être des différentes options pouvant constituer le TAS : le coût d’opportunité social du capital (COSC) et le taux social de préférence temporelle (TSPT), mais aussi d’options issues de méthodes hybrides. Ce chapitre étudie quels taux de rendement peuvent être utilisés pour éclairer chaque approche. Il donne également la signification des paramètres du TSPT, la façon dont ils sont déterminés et leur sens sur le plan éthique. Il traite ensuite les enjeux en termes d’équité intergénérationnelle associés à l’actualisation d’un futur éloigné. Certains des problèmes soulevés sont d’ordre technique, mais il existe aussi des difficultés de nature éthique.
Le présent chapitre se termine par des exemples d’applications dans différents pays du monde et des recommandations sur les questions à prendre en compte pour décider quelle politique d’actualisation adopter, notamment lorsqu’il s’agit de répondre à des interrogations comme : dans quels cas vaut-il mieux utiliser la méthode du COSC que la méthode du TSPT ? Comment traiter les problèmes à long terme ? Ou encore la croissance et les risques liés à un projet ? Ce chapitre présente une synthèse de la littérature sur l’actualisation sociale en plein essor à la suite de la publication du rapport Stern sur l’économie du changement climatique (Stern, 2007).
8.2. La théorie de l’actualisation
Afin d’illustrer les arguments en faveur d’une approche par le bien-être en pour déterminer le taux d’actualisation social à appliquer dans l’ACA et les liens entre les arguments de l’approche par le coût d’opportunité et le bien-être social, cette section explique la règle de Ramsey. Celle-ci établit clairement la relation entre une VAN positive (voir Encadré 8.1) et une augmentation du bien-être social : si la VAN calculée à l’aide du taux d’actualisation social est positive alors le bien-être social augmente. La relation entre la règle de Ramsey et la théorie de l’évaluation des actifs basée sur la consommation sont également présentées.
8.2.1. La règle de Ramsey
Une analyse conventionnelle du taux d’actualisation social commence par inscrire l’évaluation de projets dans le contexte d’une mesure bien définie du bien-être social intertemporel. La méthode habituelle utilise la fonction de bien-être social utilitariste actualisé. Cette approche consiste en un modèle d’agent représentatif dans lequel le bien-être d’une société est mesuré par l’utilité d’une personne fictive représentative calculée à l’aide de sa fonction d’utilité : U(c). C’est l’approche qu’avait retenue Ramsey (1928) dans son analyse fondatrice du taux d’épargne optimal. Dans le modèle de Ramsey, l’objectif est de choisir des niveaux d’épargne et de consommation qui maximisent la somme des utilités actualisées sur un horizon infini :
[8.1]
étant donné que le rendement de l’épargne/de l’investissement est égal au produit marginal du capital : et que δ est le taux d’actualisation de l’utilité1. Dans l’ACA, le taux d’actualisation social correspond au taux qui compenserait dans le futur le renoncement de la société à une unité de consommation aujourd’hui de façon à préserver le bien-être global. Ce taux est donné par la condition d’optimalité connue sous le nom de règle de Ramsey :
[8.2]
Le terme de droite est le taux de rendement de la consommation qui préserve le bien-être et qui est appelé taux social de préférence temporelle (TSPT). Il est constitué du taux d’actualisation de l’utilité d, de l’élasticité de l’utilité marginale h et du taux de croissance de la consommation par habitant g. Le terme de gauche est le taux social de rendement du capital, r, disponible dans l’économie. Il renvoie à l’approche de détermination du taux d’actualisation en fonction du coût d’opportunité.
En quoi [8.2] apporte-t-elle des informations sur le taux d’actualisation social ? Si un projet financé par une unité de consommation aujourd’hui présente un taux de rendement futur supérieur au TSPT, alors il augmentera le bien-être intertemporel, exprimé par [8.1], puisque le TSPT est le taux qui compense exactement l’unité de consommation à laquelle la société a renoncé. Si un projet financé par l’évincement d’un investissement présente un taux de rendement supérieur aux investissements ayant un taux de rendement r auxquels la société a renoncé, alors [8.1] augmentera aussi. Le long de la trajectoire optimale, ou si les marchés sont parfaits, ces deux taux sont égaux. En conséquence, r et le TSPT peuvent l’un et l’autre servir de taux d’actualisation social, TAS. Si l’on réalise une ACA dans cette économie, les projets dont les coûts et les avantages exprimés en unités de consommation présentent une valeur actuelle nette positive (négative) lorsque ces derniers sont actualisés à l’aide du TSPT ou de r augmenteront (réduiront) le bien-être social. Cette affirmation est démontrée en annexe.
Il n’y a pas d’incertitude dans le modèle pour le moment. Le taux de croissance de la consommation et le taux de rendement du capital sont connus. En outre, la démonstration en annexe suppose que les avantages et les coûts du projet sont certains : il n’y a pas de risque associé au projet. Par conséquent, la règle de Ramsey présentée dans l’équation [8.2] n’est généralement pertinente que pour des projets sans risque : le TSPT et r sont des taux sans risque.
La règle de Ramsey peut être comprise du point de vue de la théorie de l’évaluation des actifs. Le terme de droite se rapporte au prix de l’actif d’une créance sur un avantage exprimé en consommation sans risque avec une échéance t dans le futur. L’annexe présente l’équation fondamentale des prix des actifs et la façon d’obtenir le terme de droite de la règle de Ramsey dans cette situation.
La règle de Ramsey est une condition d’optimalité, qui reste valable dans une économie en situation de concurrence parfaite, à prévision parfaite et décentralisée. Le terme de droite renvoie à l’approche par le bien-être et le terme de gauche, à celle par le coût d’opportunité. Lorsque l’économie ne se situe pas sur la trajectoire optimale, ou n’est pas en situation de concurrence parfaite, c’est-à-dire lorsqu’il existe des distorsions en raison de la fiscalité se pose la question de savoir quel côté de la règle de Ramsey devrait servir à choisir le TAS. La réponse à cette question est une source de désaccord entre ceux qui soutiennent l’approche normative/prescriptive et ceux qui défendent l’approche positive/descriptive pour déterminer le TAS. La première consiste à calibrer la fonction de bien-être social et les paramètres du membre de droite de [8.2]. La seconde suppose de chercher un taux de rendement adéquat, un taux sans risque dans ce cas sur le marché.
Deux problèmes d’évaluation des actifs sont liés à ce débat : l’énigme du taux sans risque et celle de la prime de risque. L’énigme du taux sans risque est l’observation du fait que si un modèle d’évaluation des actifs basé sur la consommation, comme le membre de droite de la règle de Ramsey dans [8.2] est calibré en utilisant des paramètres habituels, elle surestime les taux sans risques observés. L’énigme de la prime de risque2 renvoie à un problème semblable dans le cas d’actifs risqués : le modèle classique sous-estime la prime de risque et donc les taux de rendement des actifs risqués. Ces énigmes sont examinées plus en détail plus loin dans ce chapitre, mais elles illustrent les différences qui peuvent apparaître entre des modèles normatifs simples comme le modèle de bien-être utilitariste actualisé et les taux de rendement observés sur lesquels repose l’approche positive.
Les approches normative et positive en l’absence de risque sont étudiées en détail ci‐après et les problèmes généraux évoqués ici sont examinés ensuite.
8.2.2. Une approche normative du TAS : calibrer le taux social de préférence temporelle (TSPT)
L’approche normative du TAS est directement axée sur le côté bien-être et consommation de l’équation de Ramsey [8.2] plutôt que sur le côté production. L’approche normative répond à la question : comment devrions-nous actualiser les coûts et les avantages futurs ? Le terme de droite de [8.2], d + hg, correspond au taux social de préférence temporelle (TSPT) et reflète les raisons d’actualiser côté consommation. Il s’agit du taux auquel la consommation devrait croître demain pour que le bien-être social reste constant sachant que la consommation a été réduite d’une unité aujourd’hui et que le taux de croissance de l’économie est égal à g. Deux approches permettent d’estimer le TSPT. L’approche normative calibre les paramètres du membre de droite de [8.2]. L’approche positive utilise le rendement de l’épargne après taxes et impôts pour tenir compte des arbitrages des individus entre consommation et épargne dans le temps.
Les paramètres de la règle de Ramsey définissent pour l’essentiel la forme de la fonction de bien-être dans [8.1]. Les sections qui suivent expliquent plus en détail la signification conceptuelle des paramètres du TSPT puis donnent des éléments de réflexion quant à leur évaluation numérique.
8.2.3. Le taux d’actualisation de l’utilité d
Ce paramètre représente généralement deux concepts distincts :
La préférence pure pour le présent. Elle correspond au fait de préférer des unités de bien-être social aujourd’hui plutôt que demain. Dans le cadre de l’analyse des coûts et avantages sociaux (ACAS), cet élément doit traduire la préférence pure de la société pour le présent, plutôt que celle des individus. Néanmoins, dans l’étude de projets à long terme, ce paramètre fait l’objet d’une interprétation éthique importante et il reflète un jugement sur l’équité intergénérationnelle (Beckerman et Hepburn, 2007).
La probabilité de survie. Il est souvent avancé qu’une autre raison d’actualiser un bien-être futur ou une utilité future est liée à l’incertitude. Au niveau individuel, cela correspondrait au risque de décès. Cependant, pour la société, le risque à prendre en compte est le risque d’une catastrophe qui lui serait fatale. Selon Dasgupta et Heal (1979), un taux d’actualisation positif pour l’utilité peut se justifier compte tenu d’une probabilité non nulle que la société cesse d’exister dans le futur. Des interprétations différentes ont engendré des façons différentes de mesurer cet élément.
8.2.4. L’élasticité de l’utilité marginale η
Ce terme aussi fait l’objet de nombreuses interprétations selon le contexte. En général, il décrit la nature de la relation entre la consommation ct et le bien-être ou l’utilité dans la fonction U(ct). En fait, il s’agit d’une mesure de la courbure de la fonction d’utilité. On suppose généralement que l’utilité marginale est décroissante, ce qui signifie que η > 0. Dans la pratique, η est traité comme un paramètre fixe, bien qu’en principe l’élasticité puisse varier avec le niveau de consommation3. Les différentes possibilités d’interprétation de l’élasticité de l’utilité marginale sont les suivantes :
Lissage de la consommation. Le paramètre η correspond à la mesure dans laquelle un individu souhaite lisser sa consommation dans le temps, c’est-à-dire éviter d’importantes fluctuations de sa consommation. De grandes valeurs de η indiquent une forte préférence pour une consommation stable.
Aversion pour l’inégalité intergénérationnelle et intragénérationnelle. Le paramètre η est souvent considéré comme une mesure de l’aversion à l’inégalité intergénérationnelle et intragénérationnelle, c’est-à-dire comme l’intensité des préférences pour une distribution plus uniforme du revenu. Ainsi, si η = 1, cela signifie que l’utilité marginale d’une unité supplémentaire de consommation est deux fois plus importante pour un individu dont le revenu est deux fois moins élevé. Avec η = 2, l’utilité marginale est 4 fois plus élevée, et pour h = X, 2X fois plus élevée, toujours pour un individu dont le revenu est deux fois moins élevé. Des valeurs plus grandes de η signifient donc une plus grande aversion à l’inégalité de revenu et une importance plus grande accordée au revenu perçu par les pauvres.
L’aversion au risque relative. Lorsqu’il existe des risques liés à la consommation ou à un projet, η mesure aussi l’aversion au risque. Une valeur élevée de η indique une forte aversion au risque.
Globalement, le TSPT intègre deux raisons pour lesquelles on peut souhaiter actualiser des projets sans risque, à savoir :
l’actualisation de l’utilité δ : si les utilités futures ont moins de valeur à cause de l’impatience ou d’un aléa : δ > 0 ;
l’effet de richesse hg : l’importance accordée au futur dépend de l’état dans lequel un individu (ou les générations futures) se trouvera dans le futur. Si la société est plus riche dans le futur, g > 0, et si elle a une préférence pour le lissage de la consommation ou une aversion pour l’inégalité de revenu induite par la croissance, η > 0, alors l’augmentation de la consommation dans le futur est considérée comme moins importante, d’où l’actualisation des coûts et des bénéfices futurs. La société accorde moins de valeur aux projets qui présentent des gains futurs lorsqu’elle est plus riche dans le futur et lorsque l’utilité marginale diminue.
8.2.5. Le coût social d’opportunité du capital r
Le terme de gauche de l’équation de Ramsey exprime de façon générale les possibilités de production au sein de l’économie, plutôt que les possibilités de consommation que traduit le TSPT. Le terme r dans [8.2] est la productivité marginale sociale du capital à l’équilibre dans l’économie. Il peut aussi servir de TAS dans la mesure où il reflète le coût social d’opportunité du capital (CSOC), c’est-à-dire le taux de rendement que les pouvoirs publics pourraient obtenir en investissant des fonds publics ailleurs dans l’économie, ou le coût du financement d’un projet public sur les marchés de capitaux. Le CSOC est un point de référence évident auquel l’utilisation des fonds publics doit être comparée. De nombreux pays utilisent le CSOC pour l’actualisation sociale (voir Tableau 8.4). L’une des difficultés tient au fait que le CSOC dépend de la source même du financement du projet.
Dans le cadre déterministe qui a été présenté ici, le terme de gauche de la règle de Ramsey dans l’équation [8.2] fait référence au taux sans risque de rendement du capital, ci‐après rf. En théorie, dans une économie concurrentielle, le taux de rendement sans risque du capital est égal au taux d’intérêt sans risque pratiqué sur le marché. Pour cette raison, on considère que les taux observés de rendement des actifs sans risque (en termes relatifs) sont une source adéquate d’information pour déterminer le taux d’actualisation social. Comme expliqué dans les sections suivantes, les obligations d’État sont habituellement utilisées comme actif pour éclairer le choix du TAS. Elles sont considérées comme un actif relativement sans risque présentant une maturité suffisante pour servir à actualiser les projets publics. Les obligations d’État reflètent aussi le coût de l’emprunt public4. La France, la Norvège et les Pays-Bas, par exemple, utilisent le rendement des actifs relativement sans risque comme les obligations pour définir leur TAS, mais ils ajoutent une prime de risque pour tenir compte des risques liés au projet (voir Tableau 8.4).
Le CSOC est parfois estimé à partir de certains taux de rendement de l’investissement des entreprises avant taxes et impôts, ou du taux de rendement après taxes et impôts de l’épargne des consommateurs ou d’un financement extérieur, ou bien d’une moyenne pondérée de ces taux, selon la source présumée des fonds (Spackman 2017, p. 12). L’argument en faveur du premier est que le financement de projets publics évince le secteur privé, et par conséquent le coût d’opportunité pour l’économie devrait être un rendement agrégé dans le secteur privé. Cette option soulève plusieurs problèmes concernant le niveau de risque de ces rendements, examinés plus loin. Enfin, le CSOC est parfois estimé à partir des taux de rendement des capitaux publics (Harberger et Jenkins 2015).
8.2.6. L’actualisation dans un monde (sans risque) de second rang
Ce n’est que lorsque les marchés sont parfaitement concurrentiels et fonctionnent parfaitement tout au long de chaque période et entre chaque période, pour tous les moyens de production et tous les produits, qu’une économie décentralisée dans laquelle les agents maximisent leur utilité et les entreprises maximisent leurs profits vérifie l’égalité entre le taux de rendement du capital r et le TSPT, comme dans la règle de Ramsey (2). Dans de telles circonstances, tous les taux coïncident, la source du financement est sans conséquence et en théorie, r et le TSPT constituent l’un et l’autre un TAS valable. Quand cette hypothèse n’est pas valide, ce qui est le cas la plupart du temps, par exemple en raison d’externalités ou de taxes génératrices de distorsions, alors il faut décider lequel de ces taux d’actualisation doit être utilisé pour l’ACA et l’ACE des projets publics. L’Encadré 8.2 présente un exemple tiré de Lind (1982b). Dans ces conditions, plusieurs solutions ont été proposées.
Une solution consiste à utiliser une moyenne pondérée du TSPT et du CSOC (r), dont les coefficients reflètent les proportions relatives de l’origine des fonds à investir à savoir consommation et capital privé (voir l’Encadré 8.2 pour un exemple). Des arguments de ce type ont été utilisés dans les lignes directrices américaines (OMB 1992) et sont examinés dans Harberger et Jenkins (2015). D’après ce type de recommandation, le TSPT peut correspondre au rendement après taxes et impôts de l’épargne des consommateurs et le CSOC par le rendement avant taxes et impôts dans le secteur privé.
Une approche comparable consiste à utiliser le prix fictif du capital (PFC) en se fondant par exemple sur Bradford (1975) ou sur Cline (1992). L’approche par le PFC tient compte des coûts d’opportunité associés à l’investissement public en calculant le prix (facteur de conversion) de l’investissement ou du capital publics en termes de consommation puis en convertissant tous les coûts d’investissement (par exemple en euros) en unités (euros) de consommation à l’aide de ce prix. La VAN du projet est ensuite calculée en utilisant le TSPT pour actualiser les coûts et les avantages du projet corrigés (pour un exemple, voir l’Encadré 8.2). Le PFC est la valeur actuelle de la consommation évincée par d’une unité (par exemple 1 euro) d’investissement public. Une estimation grossière du PFC est obtenue en calculant r/TSPT. Le principe (comme le montre l’Encadré 8.2) est que chaque unité d’investissement public suppose de renoncer à r euros de consommation chaque année pendant la durée de vie du projet. La valeur actuelle de ce flux de consommation est à peu près égale à r/TSPT pour sur le long terme5. Cela signifie qu’en règle générale, le PFC augmentera le coût de l’investissement public exprimé enunités de consommation quand r > TSPT et le réduira dans le cas inverse.
En utilisant la méthodologie présentée dans l’Encadré 8.2, les estimations du PFC sont comprises entre 1.2 (Bradford, 1979) et 2 (Cline, 1992), ce qui signifie qu’une unité de capital vaut entre 1.2 et 2 unités de consommation. Comme l’observe Harrison (2010, pp. 99-100), la méthode de la moyenne pondérée et la méthode du PFC sont identiques pour un horizon temporel de deux périodes, mais elles divergent généralement pour des horizons plus longs. Les conditions précises auxquelles les deux approches coïncident sont étudiées en détail par Sjaastad et Wisecarver (1977, p. 523).
En gardant à l’esprit un principe similaire, c’est-à-dire évaluer correctement le coût de l’investissement public, une autre approche consiste à s’intéresser au coût marginal de l’imposition et à calculer les pertes sèches de bien-être liées au surplus du consommateur et du producteur. Avec cette approche, on obtient généralement des estimations situées dans la fourchette 1.3-1.1. Là encore, ces facteurs seraient utilisés pour multiplier les coûts de l’investissement public, lesquels seraient alors actualisés en utilisant le TSPT. Cette correction est également possible quand on utilise le CSOC lorsque les projets sont financés par l’impôt plutôt que par les marchés de capitaux (voir par exemple Spackman, 2017, pp. 5‐6). L’intégration du PFC dans l’évaluation des politiques publiques et des investissements publics fera augmenter le rendement nécessaire pour que la VAN soit positive lorsque le CSOC est supérieur au TSPT, et inversement. L’ajout du coût marginal de l’imposition aurait des conséquences similaires.
Enfin, la méthode du CSOC n’est pas pertinente dans certains cas de figure. Le premier porte sur l’ACE. Dans une ACE ou un « choix de la technique employée », il est nécessaire de comparer les conséquences sur la consommation de différentes solutions à un problème donné. Le coût d’opportunité des fonds ne détermine généralement pas la technique choisie (Feldstein, 1970 ; Spackman, 2017).
Spackman (2017) fait la synthèse de nombre de ces arguments. Dans la pratique, actualiser les coûts et les avantages en utilisant le CSOC ou bien commencer par convertir les coûts en unités de consommation à l’aide du PFC puis actualiser avec le TSPT, aboutit généralement à un avis similaire en matière d’investissement public. Cependant, la plupart des pays n’utilisent pas la méthode du PFC et ne pratiquent aucun autre ajustement des coûts des investissements publics pour rendre compte de problèmes d’investissement comme le coût d’un accroissement de la fiscalité. Cette absence tient essentiellement à deux raisons, i) la complexité ou l’arbitraire : le calcul du PFC introduit une série d’hypothèses discutables et implique que le PFC variera d’un projet à un autre (horizon temporel des capitaux privés évincés, proportion des bénéfices du projet qui seront consommés par rapport à ceux qui seront réinvestis, par exemple) et ii) impact : dans la plupart des situations, l’incidence de ces ajustements est mineure. Il demeure important, cependant, de comprendre les implications financières de l’ACA et ses implications pour l’actualisation et l’évaluation des coûts et des avantages sociaux.
8.2.7. Résumé
Comme le montre la dernière section, certains pays utilisent comme TAS un taux de rendement du capital observé et d’autres recourent à la méthode du TSPT soit selon une approche normative en calibrant la règle de Ramsey soit selon une approche positive en utilisant comme taux de rendement sans risque le taux de rendement de l’épargne après taxes et impôts en tant que substitut au TSPT (voir Tableau 8.4). Il existe des arguments théoriques en faveur de l’utilisation du PFC, mais les recommandations des pays en matière d’ACAS n’en tiennent généralement pas compte. L’application de cette préconisation théorique se heurte à son besoin en informations et aux difficultés pratiques de la mise en œuvre des politiques. Souvent des différences institutionnelles concernant les finances publiques déterminent l’approche adoptée (voir notamment Groom et Hepburn 2017 ; Spackman 2017). Cependant, l’utilisation de taux de rendement dans le secteur privé soulève le problème du risque et de son intégration dans le taux d’actualisation.
8.3. Actualisation et risque
L’actualisation sociale a jusqu’ici été examinée en l’absence de risque, en supposant que les bénéfices des projets étaient assurés et qu’il n’y avait aucun risque contextuel lié à la croissance ou au taux d’intérêt et aucune corrélation entre un risque macroéconomique systématique et les avantages tirés du projet. Or, chacun de ces aspects est important pour l’évaluation d’un projet.
8.3.1. Le risque lié à la croissance et le taux sans risque : arguments théoriques
Le TSPT dans [8.2] comprend un effet de richesse, et c’est une des raisons pour lesquelles la société peut vouloir actualiser le futur. Cela reflète l’idée selon laquelle le taux d’actualisation dépend de la prédiction du bien-être futur de la société. Mais qu’en est-il si le taux de croissance de la consommation est incertain ? Quel est l’effet de richesse dans ce cas et quelle modification devrait-on apporter au taux d’actualisation pour en tenir compte ?
Quand les avantages du projet sont sans risque/assurés et quand la seule source d’incertitude est la croissance de la consommation, l’approche habituelle consiste à utiliser l’utilité attendue comme mesure du bien-être W. Dans ce cas, [8.1] devient :
[8.3]
Gollier (2012) montre que l’effet sur le TSPT dépend du processus de diffusion de la croissance dans le temps. Ce résultat de base a été initialement présenté par Mankiw (1980) dans le cas où la croissance suit un mouvement brownien : la croissance de la consommation est alors indépendante et identiquement distribuée (i.i.d.) selon une loi normale de moyenne μ et de variance , et l’utilité est isoélastique6. En d’autres termes, cela signifie que la croissance demain est totalement indépendante de la croissance aujourd’hui. Dans ce cas le TSPT devient :
[8.4]
Encadré 8.2. Taux de rendement privé (r) et TSPT en tenant compte de la fiscalité
Lind (1982) propose l’exemple suivant de l’effet de la fiscalité des entreprises et du revenu sur la relation entre r et le taux de rendement du capital après impôt, lequel est utilisé comme approximation du TSPT dans la règle de Ramsey. Supposons un impôt sur les sociétés (ou sur les bénéfices) de 50 % et un impôt sur les dividendes de 25 %. Supposons aussi que le TSPT après impôts soit de 6 % : il s’agit du taux de rentabilité après impôts que demandent les actionnaires pour investir. Compte tenu de ce régime fiscal, quel est le taux de rendement privé du capital nécessaire pour assurer aux actionnaires ce taux de rentabilité minimum ?
Pour recevoir 6 % après un impôt sur le revenu de 25 %, il faut un taux initial de 8 %. Pour obtenir un rendement de 8 % après impôt sur les sociétés de 50 %, il faut un taux de rendement privé brut de 16 %. Par conséquent, ce régime fiscal entraîne une divergence entre le taux de rendement de l’investissement privé et le TSPT : 16 % contre 6 %. Quel est le TAS dans ce cas de figure ?
Méthode de la moyenne pondérée : lorsqu’un projet public évince à la fois la consommation et l’investissement privés, certains économistes préconisent d’utiliser une moyenne pondérée de r et du TSPT. Par exemple, si r = 16 % et TSPT = 6 %, et si 80 % des fonds proviennent de la consommation et 20 % de l’investissement privé, alors le TAS approprié devrait être :
8 % = 0.8*6 % +0.2*16 %
Il s’agit d’une approche assez particulière qui suppose que tous les profits sont consommés et non investis. Il est possible d’utiliser d’autres formules qui assouplissent cette hypothèse. Harberger et Jenkins (2015) offrent une analyse détaillée de cette méthode.
Prix fictif du capital : Cline (1992) propose de calculer le PFC en suivant le raisonnement suivant. Supposons qu’un investissement de 1 euro sur les marchés de capitaux procure une rente B mesurée chaque année en unités de consommation pendant N années et que cette rente est seulement consommée1. Le PFC se calcule comme suit :
[a]
Le PFC est égal à la valeur actuelle du flux de consommation généré par une unité d’investissement chaque année. Supposons que le taux de rendement interne de cet investissement est égal à r, le taux de rendement privé du capital, c’est-à-dire :
[b]
En modifiant (b) de manière à isoler B et en intégrant B à (a) on obtient la formule suivante :
[c]
En utilisant les valeurs qui précèdent, r = 16 %, TSPT = 6 % et en retenant un horizon temporel à 15 ans, on obtient : PFC = 1.742. Le PFC dépend de l’horizon temporel du projet et de l’écart entre r et le TSPT. Quand l’horizon temporel considéré augmente, l’estimation du PFC se rapproche de r/TSPT, qui dans cet exemple est égal à 2.67. Cline trouve des valeurs du PFC comprises entre 1.5 et 2, contre une fourchette allant de 0.98 à 1.12 chez Bradford (1975). Dans ses estimations, Cline suppose qu’une unité de capital vaut 2 unités de consommation.
L’approche de Cline présente des avantages par rapport à celle de Lind (1982b, p. 40), dans laquelle on ne contraindre le PFC à avoir une valeur non négative ou finie pour des valeurs de paramètres raisonnables. Cline (1992, annexe 6) estime que Lind et Bradford font l’erreur de compter deux fois les retours sur réinvestissement.
1. La méthode de la moyenne pondérée et la méthode du PFC peuvent fonctionner dans des situations dans lesquelles les bénéfices sont consommés ou réinvestis. Voir Cline (1992, annexe 6A).
Source : Cline (1992, annexe 6A), Pearce et Ulph (1999).
Dans le cas d’une croissance risquée, la règle de Ramsey est étendue et le terme disparaît. Cela traduit le fait que même si la croissance en situation d’incertitude pourrait être supérieure ou inférieure dans le futur, ce sont les scénarios de faible croissance qui ont la plus forte incidence. En présence d’une croissance incertaine, un spécialiste de la planification prudent économisera davantage en prévision du futur afin de se protéger contre les possibles scénarios de faible croissance. Cette décision a pour effet d’augmenter la valeur de la consommation sans risque supplémentaire dans le futur et donc de diminuer le taux d’actualisation sans risque. L’extension de la règle de Ramsey exprime la prudence face à l’incertitude. Plus la croissance, et η sont volatils, plus le TAS se réduit7.
L’impact théorique de cet effet de précaution est très faible lorsqu’il est calibré à l’aide de données sur des pays développés, car la volatilité de la croissance est très faible. Dans les pays en développement, où la volatilité de la croissance est beaucoup plus élevée, le terme de précaution pourrait bien s’avérer important. Gollier (2012, Chapitre 4) examine cette question. On peut toutefois se demander si des chocs de croissance indépendants et momentanés sont réalistes et ce qui se passe si les chocs de croissance ont une composante persistante. Quand les chocs de croissance sont persistants, le TSPT varie avec l’horizon temporel. Les taux d’actualisation qui varient dans le temps sont présentés de façon détaillée plus loin.
L’énigme du taux sans risque. Il existe une énigme sur le plan empirique, appelée énigme du taux sans risque, liée à l’effet de précaution et à la règle de Ramsey en général. Cette énigme trouve son origine dans le fait que les calibrations habituelles de la règle de Ramsey théorique dans [8.4] prédisent un taux sans risque beaucoup plus élevé que celui observé dans la réalité pour des actifs relativement sans risque. Cette énigme met en évidence deux problèmes. Premièrement, il est possible que l’approche normative diffère de l’approche positive. Ensuite, si l’approche classique par la consommation doit être considérée comme un modèle positif qui prédit les résultats du marché, le taux auquel elle aboutit doit être augmenté.
L’une des façons de résoudre en partie cette énigme est de tenir compte des risques de catastrophe ou de « risques de saut », comme la perspective de récession majeure, dans l’incertitude relative à la croissance. Barro (2006) montre que ces risques font augmenter significativement le terme de précaution et qu’ils pourraient expliquer de façon cohérente des taux sans risque faibles. Mais un aspect plus immédiat du risque dans l’ACA est peut-être la présence de risques spécifiques liés au projet. Gollier (2012, p. 75-76) en donne un exemple simple. Supposons que le pourcentage de baisse du PIB est donné par le paramètre l et que ce choc (une récession causée par un krach financier par exemple) se produit avec une probabilité p. En respectant toutes les autres hypothèses faites dans cette section, le TAS sans risque devient alors :
[8.5]
qui est plus petit que [8.4]. La possibilité d’une récession, bien que peu probable, accroît l’épargne de précaution et réduit le TAS sans risque. Il s’agit de l’une des solutions les plus intuitives de l’énigme du taux sans risque. Cette solution a des conséquences en matière d’actualisation sociale8.
8.3.2. Risques liés au projet
Dans un certain nombre de pays, comme la France, la Norvège et les Pays-Bas, le taux d’actualisation est corrigé pour tenir compte des risques liés au projet. Il existe deux grands types de risques liés à un projet, l’un est important pour déterminer le TAS, l’autre non.
Le concept de risque spécifique désigne tout risque associé à la sous-estimation ou à la surestimation des coûts et des avantages du projet envisagé. Dans tout projet, certains éléments s’avèrent plus ou moins coûteux que prévu, pour des raisons fortuites d’ordre technique entre autres. Ces risques sont diversifiables sur l’ensemble du portefeuille de projets publics et la théorie de l’évaluation des actifs montre que ce type de risque ne devrait pas avoir d’incidence sur le prix d’un actif, pas plus donc que sur le taux d’actualisation adéquat9. Le second type de risque est le risque systématique, qui renvoie au cas où des coûts et des bénéfices risqués sont corrélés aux rendements disponibles dans l’économie. Les risques systématiques ne peuvent pas être diversifiés entre différents projets en raison de la nature macroéconomique de ces risques. Lorsque les avantages nets du projet sont corrélés à l’incertitude à l’échelle macroéconomique, la théorie de l’évaluation des actifs montre qu’il conviendrait d’ajouter au taux d’actualisation une prime de risque correspondant au profil de risque spécifique au projet du risque systématique, mais pas le risque diversifiable (voir Annexe 8.A2).
Les conséquences du risque systématique associé aux projets sur l’actualisation sociale sont exposées ici. La formule d’évaluation des actifs présentée à l’Annexe 8.A2 montre que le membre de droite du taux sans risque de l’équation Ramsey peut être étendu pour prendre en compte les risques systématiques. De fait, il s’agit d’un exemple d’application de l’approche par le modèle d’évaluation des actifs financiers basé sur la consommation (MEDAF basé sur la consommation) à l’évaluation des actifs. Le MEDAF basé sur la consommation examine le degré de risque des projets et la corrélation de ceux-ci avec le rendement de la richesse de la société, mesuré par la consommation. Dans ce cas, si un projet est procyclique, c’est-à-dire si ses avantages sont positivement corrélés avec la consommation globale, alors ce projet dégage des profits élevés quand la conjoncture macroéconomique est favorable (forte consommation). Dans cette conjoncture, ces profits ont moins de valeur en termes de bien-être, car l’utilité marginale est plus faible. De même, des profits faibles se matérialisent quand la conjoncture est défavorable (faible consommation) lorsque l’utilité marginale est élevée. La société voudra obtenir de ces projets un taux de rendement plus important afin de supporter les risques supplémentaires associés à ces projets.
À l’inverse, certains projets peuvent être anticycliques, c’est-à-dire dégager des profits élevés quand la conjoncture est défavorable et faibles quand la conjoncture est favorable. Ce type de projets jouent le rôle d’une police d’assurance et font baisser le risque dans l’ensemble de l’économie. Du point de vue du bien-être, la société pourrait être disposée à payer une assurance en acceptant un rendement plus faible de ces projets. Dans un cas comme dans l’autre, une prime de risque systématique est associée au projet.
Comme le montre l’Annexe 8.A2, en respectant les hypothèses sur l’utilité et la croissance faites dans cette section en supposant que les avantages nets du projet et la croissance de la consommation suivent une distribution normale bivariée, intégrer les risques liés aux projets à l’évaluation des projets conduit simplement à ajouter un terme au membre de droite de la règle de Ramsey pour un projet risqué i :
[8.6]
où les trois premiers termes représentent le taux sans risque dans l’équation [8.4], et le quatrième terme est la prime de risque systématique 10. Le paramètre bi est le « bêta » de la consommation qui mesure la corrélation entre les avantages nets du projet i et le risque systématique associé à la croissance de la consommation. Ainsi, si b = 1, alors une augmentation de la croissance de la consommation de 1 % devrait se traduire par une croissance des avantages nets du projet de 1 %. Si b > 1 alors les avantages du projet devraient croître de plus de 1 % quand la consommation augmente de 1 %, ce qui crée proportionnellement plus de risque systématique qu’il n’en existe dans l’économie. Si b < 0, le projet réduit le risque et représente une forme d’assurance comme mentionné précédemment.
L’approche de l’actualisation sociale par le MEDAF basé sur la consommation peut être considérée comme une approche normative puisqu’elle s’intéresse principalement aux conséquences des risques liés à un projet du point de vue du bien-être d’un agent représentatif pleinement intégré dans la macroéconomie. Le MEDAF basé sur la consommation suppose l’estimation de paramètres normatifs à cet effet.
Toutefois, de nombreux modèles utilisés en finance utilisent des variables de substitution fondées sur le marché pour l’utilité marginale et dans le contexte de l’actualisation sociale, ces modèles peuvent être interprétés comme des approches positives du TAS. Un exemple classique qui a un rôle important dans l’actualisation sociale est le modèle d’évaluation des actifs financiers (MEDAF). La formule d’évaluation du MEDAF attribue un prix au risque associé à un actif en ajoutant une prime de risque au taux de rendement sans risque d’une manière semblable à celle du MEDAF basé sur la consommation. La formule pour calculer le rendement d’un actif par le MEDAF est :
[8.7]
où rf est le taux de rendement sans risque, rm le taux de rendement sur le marché/du portefeuille et bi,W le bêta du projet qui reflète la corrélation entre l’actif i et le portefeuille de marché. La prime de risque de ce projet est donnée par la prime de marché multipliée par le bêta du projet bi,W. La prime de risque sera positive si bi,W est positif. La logique de cette formule d’évaluation est semblable au MEDAF basé sur la consommation à ceci près que la covariance se fait avec un portefeuille d’actifs du marché plutôt qu’avec la consommation. Cette formule de détermination du TAS est propre à chaque projet, mais elle peut être calculée à partir des rendements du marché adéquats et en calculant les bêtas des projets correspondants.
L’énigme de la prime de risque. De même que l’énigme du taux sans risque, le MEDAF basé sur la consommation calibré à partir des valeurs de paramètres habituelles, reposant sur des perspectives normatives ou sur un comportement, aboutit à une prime de risque beaucoup plus faible (prime de risque systématique) que celle observée dans la réalité sur les actifs risqués. Avec b = 1, sc = 3.6% (volatilité du PIB par habitant aux États-Unis) et η = 2, la prime de risque systématique qui pourrait être ajoutée au taux sans risque est égale à 0.26 %. La prime de risque observée calculée comme la différence entre le rendement des actions et des obligations a en moyenne été bien plus importante aux États-Unis entre 1970 et 2006, atteignant environ 5 % (Gollier 2012, p. 188). De nouveau, l’approche normative conduit à des recommandations très différentes pour des projets risqués et sans risque par rapport à l’approche positive.
Les recommandations françaises en matière d’ACA préconisent d’utiliser un TAS propre à chaque projet déterminé à partir de l’approche par le MEDAF basé sur la consommation. Quant aux Pays-Bas, ils conseillent d’appliquer une prime de risque fixe de 3 % à tout projet en s’appuyant davantage sur l’approche par le MEDAF. La Norvège suit une approche par le MEDAF avec une prime de risque fixe. Le Royaume-Uni ne tient compte des risques liés au projet dans le taux d’actualisation qu’ajoutant 1 % à la préférence pure pour le présent représentant en quelque sorte un risque de catastrophe généralisé, plutôt qu’un risque spécifique au projet. La principale difficulté posée par l’intégration du risque dans le taux d’actualisation est de calculer le bêta propre à chaque projet. Cela s’explique en partie pourquoi tous les pays n’intègrent pas le risque et pourquoi ceux qui l’intègrent le font sous la forme d’un ajustement classique des risques, comme les Pays-Bas. Le Tableau 8.5 donne plus d’exemples.
Toutefois, en France, une série de bêtas spécifiques aux projets différents ont été calculés. Le rapport Gollier (Gollier 2011) qui a conduit à la préconisation d’un TAS risqué dans les recommandations françaises en matière d’ACA (Quinet 2013), comprend un tableau des estimations des valeurs de bêta sectorielles disponibles. Le Tableau 8.1 montre que la plupart des projets publics sont procycliques et requièrent un bêta du projet positif.
Tableau 8.1. Valeurs de bêta sectorielles
Secteur |
« Bêta » de la consommation estimé |
---|---|
Agriculture, sylviculture, pêche |
0.85 |
Industrie |
2.09 |
Industrie automobile |
4.98 |
Fabrication d’équipements mécaniques |
3.00 |
Industries intermédiaires |
2.76 |
Énergie |
0.85 |
Construction |
1.45 |
Transports |
1.60 |
Services administratifs |
-0.09 |
Éducation |
0.11 |
Santé |
-0.24 |
Services financiers |
0.15 |
Intermédiation financière |
0.49 |
Assurance |
-0.36 |
Source : Adapté de Gollier (2011, p. 226-227)
8.4. Taux d’actualisation décroissants
Lorsque l’on s’intéresse à des horizons longs, la théorie de l’actualisation sociale doit être plus précise, car l’ACA à long terme devient davantage sensible au choix du TAS. Deux questions s’avèrent alors importantes. Premièrement, l’incertitude persistante quant aux variables sur lesquelles repose le taux d’actualisation, comme la croissance ou le taux d’intérêt, doit être modélisée avec plus de soin. Deuxièmement, l’évaluation de projets intergénérationnels soulève des enjeux éthiques.
Cette section examine les taux d’actualisation décroissants comme un exemple de cas où un examen plus attentif de l’incertitude peut avoir une incidence sur le niveau du TAS adéquat. Ce concept de la littérature sur le sujet trouve son origine dans un examen plus approfondi de la structure par échéances des taux d’actualisation. Durant la dernière décennie, le nombre d’études sur la structure par échéance des taux d’actualisation social et sur la transposabilité des taux d’actualisation décroissants a explosé. Certains arguments reposent sur la consommation et sur des extensions de la règle de Ramsey. D’autres mettent l’accent sur l’incertitude quant à la rentabilité du capital et au taux d’intérêt.
8.4.1. Risques de croissance persistants et taux d’actualisation décroissants
L’équation [8.4] présente le résultat de Mankiw (1980) selon lequel lorsque la croissance est i.i.d.selon une loi normale (comme défini plus haut), le TSPT est réduit par un terme reflétant le principe de précaution : le caractère incertain de la croissance réduit le taux d’actualisation sans risque, sans risque signifiant ici que l’on envisage des projets dont les rendements sont sûrs. Cependant, que se passe-t-il dans le cas plus réaliste où les chocs de croissance durent et où la croissance d’aujourd’hui est fortement corrélée à celle de demain ? Il s’avère que ce type de persistance des phénomènes fait que le terme reflétant la prudence augmente avec l’horizon temporel considéré. S’agissant de la croissance, cette persistance peut prendre différentes formes, un exemple est étudié ici.
On suppose que la croissance est toujours i.i.d. selon une loi normale de moyenne μ et de variance, mais qu’il y a une incertitude sur la moyenne et la variance de la croissance. Dans la pratique, cela signifie que l’on n’a aucune garantie de la conjoncture future. On peut envisager aussi bien un scénario de forte croissance que de faible croissance, et la volatilité de la variable autour de cette moyenne peut également être incertaine. Gollier (2008) expose ce cas en détail. Considérons le cas où le seul paramètre incertain est la moyenne, laquelle dépend d’un paramètre q qui représente une incertitude liée à la technologie ou à un autre état du monde dont dépend le régime de croissance. L’extension de la règle de Ramsey devient alors :
[8.8]
Il est facile de montrer que le second terme du membre de droite augmente avec l’horizon temporel t11. Fondamentalement, l’incertitude sur les paramètres de la distribution de la croissance entraîne une incertitude qui s’accroît avec l’horizon temporel. Là encore, le responsable de la planification sociale, s’il est prudent, est incité à constituer une épargne de précaution, ce qui se traduit par un taux d’actualisation décroissant. Il est intéressant de constater que cette explication des taux d’actualisation décroissants a été un des arguments utilisés pour motiver la recommandation des pouvoirs publics français en faveur de l’utilisation des taux d’actualisation décroissants (Lebègue, 2005).
Plusieurs autres caractérisations de l’incertitude sur la croissance aboutissent au même résultat. En résumé, tant que les chocs de croissance sont persistants dans le temps, si bien qu’une croissance forte a plus de chances d’être suivie d’une croissance forte et inversement, et tant que l’agent représentatif est prudent, les taux d’actualisation sont décroissants. Les travaux de Gollier, synthétisés dans Gollier (2012a), constituent un ensemble d’arguments solides.
8.4.2. Des taux d’intérêt incertains
Un argument prisé en faveur des taux d’actualisation décroissants est tiré de deux contributions de Martin Weitzman axées sur l’incertitude relative aux taux d’intérêt. Par rapport aux fondements théoriques des arguments qui précèdent et qui concernent la consommation, les travaux de Weitzman (1998, 2001) sont beaucoup plus schématisés et pertinents. Leur force réside dans la simplicité des raisonnements algébriques qui les rend faciles à démontrer de façon numérique, voire intutive. Weitzman (1998) peut être interprété de la façon suivante. Supposons un projet dont le coût serait de 1 EUR aujourd’hui et qui rapporterait Bt EUR au temps t dans le futur. Supposons que le taux d’intérêt r utilisé pour calculer la valeur actuelle du projet soit incertain. Weitzman propose le critère de l’espérance de valeur actuelle nette (EVAN) pour évaluer la désirabilité du projet :
[8.9]
Le projet est censé être approuvé si EVAN est supérieur à zéro. Le critère de décision peut être reformulé en termes de taux d’actualisation en équivalent-certain, cette expression faisant référence au taux d’actualisation certain qui, appliqué sur un horizon temporel t, donnerait la même EVAN. Le taux d’actualisation en équivalent-certain, , peut être défini comme suit :
[8.10]
La fonction exponentielle étant convexe, et davantage quand t prend une valeur élevée, on peut montrer que l’équivalent-certain décroît dans le temps. En effet, Weitzman (1998) montre que et , autrement dit, le taux d’actualisation en équivalent-certain est censé diminuer et passer de son espérance au plus faible rendement du capital possible. Ici, l’idée essentielle est qu’avec l’approche par l’EVAN, on calcule le coefficient d’actualisation attendu plutôt que le taux d’actualisation attendu. Le taux d’actualisation en équivalent-certain est un taux d’actualisation décroissant. Le Tableau 8.2 présente un exemple numérique simple pour dix possibilités de taux d’intérêt ayant des probabilités égales.
Tableau 8.2. Taux d'actualisation en équivalent-certain décroissant deWeitzman : exemple numérique
Scénarios de taux d’intérêt |
Coefficients d’actualisation sur la période t |
||||
---|---|---|---|---|---|
10 |
50 |
100 |
200 |
500 |
|
1% |
0.91 |
0.61 |
0.37 |
0.14 |
0.01 |
2 % |
0.82 |
0.37 |
0.14 |
0.02 |
0.00 |
3 % |
0.74 |
0.23 |
0.05 |
0.00 |
0,00 |
4 % |
0.68 |
0.14 |
0.02 |
0.00 |
0.00 |
5% |
0.61 |
0.09 |
0.01 |
0.00 |
0.00 |
6% |
0.56 |
0.05 |
0.00 |
0.00 |
0.00 |
7% |
0.51 |
0.03 |
0.00 |
0.00 |
0.00 |
8 % |
0.46 |
0.02 |
0.00 |
0.00 |
0.00 |
9 % |
0.42 |
0.01 |
0.00 |
0.00 |
0.00 |
10 % |
0.39 |
0.01 |
0.00 |
0.00 |
0.00 |
Coefficient d’actualisation en équivalent-certain |
0.61 |
0.16 |
0.06 |
0.02 |
0.00 |
Taux d’actualisation en équivalent-certain |
4.73 % |
2.54 % |
1.61 % |
1.16 % |
1.01 % |
Source : Adapté de Pearce et al. (2003).
La question est de savoir quelle interprétation faire du critère de l’EVAN sur le plan du bien-être. Si ce critère semble intuitif, il n’est pas évident qu’un projet respectant ce critère contribue à une forme quelconque de bien-être social bien définie. Il s’avère qu’il existe des situations dans lesquelles le critère de l’EVAN, où r est le taux de rendement sans risque, repose sur ce type de fondement théorique. Cependant, les hypothèses et les exigences en termes d’informations sont assez strictes.
Des travaux récents de Freeman et Groom (2015, 2016) traitent en détail du critère de l’EVAN. Gollier (2016) décrit de façon détaillée les limites de la méthode de l’EVAN et montre que ceux qui l’utilisent ont probablement une orientation « court-termiste » dans le sens où les taux ne diminuent pas assez vite par rapport à un équivalent théoriquement acceptable. Compte tenu de toutes ses insuffisances, il est surprenant que cette méthode ait pris autant d’importance dans les politiques publiques. Les objections n’ont pas eu beaucoup d’écho, sans doute parce que les spécialistes se sont dit que sur la question des taux d’actualisation décroissants, mieux vaut avoir à peu près raison plutôt qu’absolument tort (Groom et Hepburn, 2017).
8.4.3. Enjeux éthiques
Le débat opposant les approches positive et normative de l’actualisation social devient particulièrement important lorsque l’on étudie des projets intergénérationnels. Dans ce type de situation, la décision de politique publique a des conséquences sur des générations qui ne sont pas encore nées et la génération actuelle est en position de gardien du bien-être futur. L’approche positive peut poser un problème : il n’existe pas d’actifs évidents ayant une maturité suffisante qui puisse servir à déterminer le prix des coûts et des avantages qui se matérialisent dans un futur éloigné, par exemple 200-300 ans (Gollier 2012, Chapitre 3). En outre, tout taux de marché observé aujourd’hui est l’expression des préférences et des comportements des individus aujourd’hui, individus qui très probablement ne pensent pas aux générations futures lorsqu’ils prennent leurs décisions (voir par exemple Beckerman et Hepburn 2007). S’il existe des travaux empiriques sur les prix des actifs à très long terme (voir Giglio et al. 2015), il n’est pas certain que ces actifs (logement) soient pertinents pour évaluer des projets dans les domaines de la santé, du transport et de l’atténuation du changement climatique en raison de leur profil de risque.
Les discussions opposant ces dernières années Stern (2007) et Nordhaus (2007) au sujet de la lutte contre le changement climatique et de l’utilitarisme actualisé ont illustré ce débat. Stern estimait que la fonction de bien-être utilitariste actualisée ne devrait pas comporter un taux d’actualisation de l’utilité positif (δ = 0) et que l’équité intergénérationnelle devrait guider l’évaluation du bien-être futur. Le taux d’actualisation de l’utilité ne devrait être positif qu’en raison du risque de catastrophe estimé à 0.1 %. Nordhaus a préféré calibrer les paramètres de la fonction de bien-être social utilitariste actualisé à l’aide de la règle de Ralsey à partir d’un taux de rendement des actions observable sur le marché. Le taux d’actualisation central du rapport Stern était de 1.4 % ( ), tandis que la calibration du bien-être social de Nordhaus arrimait le taux d’actualisation sur une valeur de 4-5 % récemment observée dans les marchés d’actions aux États-Unis. Sans surprise, le rapport Stern préconisait des mesures de lutte contre le changement climatique beaucoup plus strictes que celles recommandées par l’approche progressive de Nordhaus.
Nordhaus s’est appuyé sur l’approche classique de détermination du taux d’actualisation par le coût d’opportunité : utiliser un taux d’actualisation faible pour analyser l’investissement dans l’atténuation du changement climatique signifie que l’on désavantage les générations futures en investissant dans des projets ayant un faible rendement aujourd’hui. Il vaut mieux faire en sorte que l’investissement accroisse la richesse et améliore la situation dans le futur que réduire le taux d’actualisation test et accepter des projets ayant un faible rendement (Nordhaus, 2007)12. D’autres estiment qu’adopter une telle stratégie et reporter l’investissement dans l’atténuation du changement climatique peut exposer les générations futures à des risques de catastrophe, ce qui conduirait à des baisses considérables de leur bien-être. Il est peu probable de pouvoir prendre en compte ce type de risque à l’aide des taux de rendement actuels et des procédures d’actualisation positive classiques (Weitzman, 2009). Le Chapitre 13 présente de manière plus approfondie les enjeux spécifiques liés au changement climatique et au risque de catastrophe. Le débat opposant les tenants de l’approche normative à ceux de l’approche positive pour analyser le bien-être intertemporel et l’actualisation sociale reste ouvert (Drupp et al., 2017).
8.5. L’actualisation duale
Ces dernières années, la question de l’actualisation duale, consistant à appliquer des taux d’actualisation différents à des classes de produits différentes, a refait surface. L’analyse la plus claire concernant ce type d’actualisation est celle de Weikard et Zhu (2005), qui porte sur deux classes de biens : les biens de consommation et les biens « environnementaux ».
On suppose que l’utilité instantanée dépend de la consommation C et d’un stock de biens environnementaux E. Le bien-être social intertemporel W est alors :
[8.11]
où δ est le taux d’actualisation de l’utilité (qui est ici le même pour les biens environnementaux et les biens de consommation). Il existe maintenant un TSPT pour chacun de ces arguments de la fonction d’utilité à savoir13 :
[8.12]
[8.13]
où pour tout i et pour tout j et représente l’élasticité de l’utilité marginale dans chaque cas. Il convient de comparer ce qui précède au cadre standard de Ramsey dans lequel le taux d’actualisation social pour les biens de consommation est simplement . Il s’agit du cadre type pour l’analyse de l’actualisation duale (c’est-à-dire distincte) des avantages et coûts des biens environnementaux d’une part, des biens de consommation de l’autre. Ici, la pratique diffère nettement de la méthode standard. Cependant, comment convient-il de mettre cela en application ?
Baumgartner et al. (2014) s’inspirent des études théoriques existantes (Hoel et Sterner, 2007 par exemple) et supposent que l’élasticité de substitution de la fonction d’utilité est constante :
[8.14]
où s est l’élasticité de substitution entre E et C. Avec cette structure supplémentaire, la différence entre l’actualisation de la consommation et l’actualisation des ressources environnementales se réduit à :
[8.15]
où il s’agit d’estimer trois paramètres : le taux de croissance de la consommation gC, le taux de croissance des ressources environnementales gE, et l’élasticité de substitution s. Ainsi, en principe, une actualisation duale est possible, et Baumgartner et al. (2014) illustrent de quelle manière elle peut être appliquée.
Néanmoins, même dans les circonstances les plus favorables, l’ajustement du taux d’actualisation peut être un exercice délicat. Heureusement, Weikard et Zhu (2005) ont montré que la différence entre les taux d’actualisation de la consommation et du stock de biens environnementaux pouvait avoir une autre interprétation pratiquement identique : la différence entre ces deux taux d’actualisation reflète la variation des prix fictifs relatifs des biens environnementaux14. En pratique, cette méthode d’actualisation duale pourrait être utilisée en veillant à ce que les prix fictifs des biens environnementaux varient selon (8.15) par rapport aux biens de consommation. Prendre en compte les différences de prix relatifs est une recommandation habituelle dans l’analyse coûts-avantages, et en matière de choix de méthode, ce scénario semble donc le plus vraisemblable (voir par exemple HMT, 2003). Les Pays-Bas étudient d’ailleurs actuellement cette possibilité.
S’agissant de l’environnement, ce que l’actualisation duale met en évidence c’est l’importance de prendre en compte la rareté des biens environnementaux dans une ACA. Cette rareté dépend de la croissance de ces biens, mais avant tout, de l’élasticité de substitution avec les biens de consommation. Si les biens environnementaux sont parfaitement substituables aux biens de consommation, alors , et les prix relatifs sont sans importance. Si les ressources environnementales sont déterminantes pour l’utilité et qu’elles ne sont pas du tout substituables avec les biens de consommation, alors et la rareté relative des ressources environnementales est un élément déterminant pour l’ACA. Il s’agit de situations réalistes, encore que les cas intermédiaires soient aussi vraisemblables. Tout dépend de la ressource. Sterner et Persson (2008) mettent en évidence ces éléments à propos du changement climatique.
8.6. Détermination empirique du TAS
Cette section étudie l’estimation empirique du TAS et de ses composantes. La section suivante analyse les aspects empiriques du calibrage d’une grille de taux d’actualisation décroissants.
8.6.1. Estimer le taux social de préférence temporelle
Pour pouvoir estimer le TAS standard dans (1), il est nécessaire d’estimer trois paramètres : δ,η et g. Les méthodes utilisées pour cela dépendent naturellement de l’interprétation du paramètre.
Concernant le taux d’actualisation de l’utilité δ, plusieurs interprétations ont été proposées précédemment et chacune est susceptible de fournir une méthode d’estimation. Une façon d’aborder cette question consiste à distinguer deux composantes de δ : le taux de préférence pure pour le présent, appelé aussi pure impatience, à savoir f, et un élément L reflétant le risque, comme la probabilité de survie ou le risque de catastrophe.
Pure impatience f . La préférence pure pour l’obtention d’une utilité plus tôt dans le temps, parfois qualifiée de « myopie », peut être évaluée en examinant le comportement d’épargne global ou individuel et en estimant une équation fondée sur [8.2]. Par le passé (certaines de ces applications sont assez anciennes), cela a conduit à des estimations comprises entre 0.3 % et 0.5 % environ. Pour ce paramètre, les valeurs les plus élevées sont celles calculées par Nordhaus (1993). Chose intéressante, les données expérimentales suggèrent souvent des niveaux d’impatience très importants. Certaines études font état d’estimations comprises entre 10 % et 30 % (Warner et Pleeter, 2001 ; Harrison et al., 2002). De façon générale, ces observations ne sont pas considérées comme utiles pour la détermination des taux d’actualisation sociaux.
Probabilité de survie L. L’estimation du risque de ne plus être là pour profiter des avantages générés par l’investissement public se fonde généralement sur une probabilité de survie. Ulph et Pearce (1999), par exemple, ont estimé, dans le cas du Royaume-Uni, la probabilité de survie comme la probabilité moyenne de décès de l’individu moyen à l’aide de la formule suivante :
où « mm » désigne la mortalité par million. Il convient d’interpréter ce chiffre comme le risque de décès auquel un individu moyen est confronté chaque année. On obtient alors une estimation égale à 1.3 %, mais en général ce type de méthode donne des estimations comprises entre 1 % et 1.3 % (Kula 1987, Scott 1989).
Risque d’extinction ou de catastrophe, L. Il a souvent été affirmé que dans la recherche du taux d’actualisation approprié pour l’évaluation des projets sociaux, le TAS, il n’était pas pertinent d’utiliser la probabilité de survie d’un individu. Il est plus approprié, surtout pour les projets intergénérationnels, de se référer au risque d’extinction de la société dans son ensemble. Il existe plusieurs estimations de ce concept anxiogène, qui varient entre 0.1 % et 1.5 % selon la méthode utilisée (voir Encadré 8.3). Newbery (1992), par exemple, estime à 1 % le « risque subjectif de disparition du genre humain dans 100 ans ». C’est ce chiffre qu’utilise le Trésor britannique pour L.
Les méthodes 1) – 3) ci-dessus sont toutes des méthodes positives dans la mesure où elles utilisent généralement les préférences révélées ou des valeurs observées comme base empirique. Souvent, un point de vue plus normatif ou prescriptif est adopté pour le taux de préférence pure pour le présent, surtout quand les projets ont des conséquences intergénérationnelles. Les approches normatives cherchent à savoir ce que l’on devrait faire, tandis que les approches positives s’intéressent au comportement observé. Dans le cas des conséquences intergénérationnelles, certains font valoir qu’en matière d’actualisation sociale l’aspect normatif et éthique est plus important que le comportement observé sur le marché. Ces dernières années, des divergences sont apparues entre Stern et Nordhaus à la suite du rapport Stern. Pour des raisons éthiques, Stern a considéré que δ = 0 et que le bien-être de toutes les générations devait compter de la même manière dans l’évaluation du bien-être social. Selon Nordhaus, δ devrait être déterminé en fonction du comportement observé sur le marché afin que le taux d’actualisation reflète les rendements disponibles sur le marché, qui donnent une mesure approximative des arbitrages intertemporels réellement effectuéspar les individus. Selon cette dernière approche, δ = 3%, ce qui revient à accorder beaucoup moins de poids aux utilités futures. L’approche de Nordhaus donne lieu des recommandations en matière de lutte contre le changement climatique bien moins strictes pour le rapport Stern (Stern, 2007).
Ainsi, les avis diffèrent au sujet du taux de préférence pure pour le présent et des raisons générales d’actualiser les utilités des générations futures. Une enquête menée récemment auprès d’experts (considérés comme tels du fait de leurs publications sur ce sujet), réalisée par Drupp et al. (2017), apporte un nouvel éclairage sur la question. Le Tableau 8.3 montre que pour le taux de préférence pure pour le présent δ, la moyenne, la médiane, le mode d’après cette enquête étaient respectivement de 1 %, 0.5 % et 0 %. Ces résultats reflètent une variété de méthodes d’estimation de δ pour les projets à long terme (> 100 ans).
Encadré 8.3. Estimations du taux d’actualisation de l’utilité η
Source |
Estimation |
Fondement théorique |
---|---|---|
Scott (1977) |
1.5 % |
Myopie : 0.5 %, disparition de la société : 1 % |
Kula (1987) |
1.2 % |
Probabilité moyenne annuelle de survie au Royaume-Uni 1900-1975 |
Scott (1989) |
1.3 % |
Myopie : 0.3 %, risque de disparition totale de la société : 1 % |
Newbery (1992) |
1 % |
Risque d’extinction du genre humain dans les 100 ans à venir |
Nordhaus (1993) |
2-3 % |
Calibrage du modèle DICE sur les données réelles d’épargne, etc. |
Evans (2004) |
1-1.5% |
Risques de catastrophe : 1 % pour l’UE, 1.5 % pour les autres pays |
Rapport Stern (2006) |
0.1 % |
Probabilité annuelle d’extinction du genre humain, calculée à partir de la probabilité de catastrophe dans les 100 ans à venir |
Source : D’après ADB (2007).
L’élasticité de l’utilité marginale de la consommation η peut aussi s’interpréter de différentes manières. Comme cela a été exposé précédemment, ce paramètre peut refléter plusieurs aspects des préférences de la société : i) un lissage de la consommation, ii) une aversion pour l’inégalité intertemporelle ou intratemporelle, iii) une aversion de la société pour le risque. Dans la mesure où ce paramètre reflète plusieurs aspects du comportement, différentes méthodes empiriques peuvent être utilisées pour l’estimer. L’Encadré 8.4 donne un aperçu des estimations tirées de la littérature. La justification sous-jacente est importante, mais la source de données pour l’estimation l’est également. Les exemples suivants comprennent des estimations effectuées à l’aide des méthodes des préférences révélées et des préférences déclarées.
Lissage de la consommation. Les estimations de ce paramètre font souvent appel à des techniques économétriques appliquées à des données individuelles ou globales (révélées) sur le comportement en matière d’épargne et de consommation au cours du temps. Les estimations fluctuent entre 1 et 10 et dépendent des hypothèses de comportement qui sous-tendent les modèles économétriques, mais aussi du pays en question. Stern (1977) et Pearce et Ulph (1999) ont examiné ces estimations. Pour le Royaume-Uni, Groom et Maddison (2017) estiment l’élasticité de substitution intertemporelle, qui est l’inverse de η, et trouvent η = 1.5.
Aversion pour l’inégalité intergénérationnelle et intragénérationnelle. L’aversion pour l’inégalité a été estimée en utilisant des méthodes reposant sur les préférences révélées et déclarées. Chez les étudiants, les estimations de l’aversion pour les inégalités varient entre 0.2 et 0.8. Les valeurs sociales révélées peuvent être estimées, sous certaines hypothèses, en fonction de l’importance de la redistribution dans les systèmes de taxation progressive. Evans (2005) fait état de valeurs comprises entre 1 et 2 pour les pays de l’UE, tandis qu’Atkinson et Brandolini (2007) indiquent des valeurs plus faibles. Selon Groom et Maddison (2017), que l’analyse soit effectuée au fil du temps ou de façon transversale, η = 1.5. Tol (2008) étudie les valeurs de l’aversion pour l’inégalité au niveau international découlant des transferts entre pays développés et pays en développement et observe des niveaux d’aversion pour l’inégalité très faibles.
Aversion pour le risque. Les estimations de η qui reflète l’aversion au risque sont généralement plus dispersées. Elles sont obtenues sur la base du comportement révélé sur les marchés de l’assurance, ou sont tirées d’études de préférences déclarées dans lesquelles on demande aux individus d’exprimer leurs préférences par rapport à une série de paris. Gollier (2006) examine certaines données existantes et indique que les valeurs sont comprises entre 2 et 4. Ces valeurs reflètent les risques individuels, et l’on peut se demander si elles sont directement exploitables pour prendre des décisions sur le plan social.
8.6.2. Coût social d’opportunité du capital : quels taux utiliser ?
Il existe également un débat quant au taux de rendement à utiliser si l’on considère que le coût social d’opportunité du capital (r) est le TAS approprié ? La source de données classique pour déterminer le taux sans risque serait les obligations d’État. En réalité, ces actifs ne sont pas complètement sans risque, car, comparés aux bons du Trésor à court terme sans risque, les obligations présentent un risque d’inflation. Il n’est toutefois pas recommandé de s’appuyer sur les bons du Trésor en raison de leur courte échéance. La plupart des pays utilisent le rendement des obligations d’État comme TAS (relativement) sans risque.
Dimson et al. (2017) ont collecté des données sur les taux d’intérêt observés par le passé et ils ont montré que sur la période 1900-2016, le taux d’intérêt réel moyen au niveau mondial pour des actifs relativement sans risque était d’environ 0.8 % et -0.5 % pour les effets et les bons depuis 2000. Pour les obligations, les taux étaient respectivement de 1.8 % et 4.8 % Chaque pays a son propre taux de rendement adéquat.
Il est depuis longtemps avancé que les pouvoirs publics peuvent regrouper les risques de nombreux projets différents et que, par conséquent, le TAS approprié est un taux sans risque (Lind, 1982). La justification théorique habituelle de cette idée est le théorème d’Arrow-Lind (Arrow et Lind, 1972), qui pour certains signifie que l’investissement public serait par nature moins risqué que l’investissement privé. Or, comme le montrent Baumstark et Gollier (2015), ce n’est pas nécessairement le sens du théorème d’Arrow-Lind, et ignorer les risques associés à l’investissement public peut amener les pouvoirs publics à entreprendre trop de projets risqués. Selon Baumstark et Gollier (2015), quand les risques liés au projet constituent un facteur significatif, le taux d’actualisation approprié doit refléter le rendement d’un projet présentant un profil de risque similaire, comme cela est analysé dans le contexte du MEDAF basé sur la consommation ci-dessus.
Les États-Unis, par exemple, proposent un TAS de 7 % basé sur les taux de rendement observés des actions pour des projets qui devraient mobiliser le capital d’entreprises privées qui aurait pu être destiné à un autre projet ou évincer ce capital. La justification de ce taux d’actualisation découle de la source de financement plutôt que de la question du risque. Toutefois, ces taux reflètent une prime pour la prise de risque. Ceci amène à se poser la question de savoir si des TAS basés sur des rendements risqués sont appropriés pour l’évaluation des projets publics, illustration de l’interrogation plus générale quant à la façon de gérer les risques propres à un projet dans l’actualisation sociale examinée plus haut.
Encadré 8.4. Estimations de η
Source |
Estimation |
Fondement théorique |
---|---|---|
Préférences déclarées |
||
Barsky et al. (1995) |
4.0 |
Aversion au risque des personnes d’âge mûr aux États-Unis |
Amiel et al. (1999) |
0.2-0.8 |
Aversion à l’inégalité des étudiants américains |
Gollier (2006) |
2 – 4 |
Aversion au risque dans les jeux de hasard |
Préférences individuelles révélées |
||
Kula (1989) |
1.89 |
Données sur les États-Unis, élasticité de la demande constante |
Blundell (1993) |
1.06-1.37 |
Données sur le Royaume-Uni, modèles (QUAIDS) global et micro |
Gollier (2006) |
2 – 4 |
Préférences révélées pour le risque sur les marchés de l’assurance |
Préférences sociales révélées |
||
Atkinson et Brandolini (2007) |
< 1 |
Prise de décision publique sur la redistribution et la fiscalité |
Evans (2005) |
1.25-1.45 |
Régimes fiscaux de 20 pays de l’OCDE |
Tol (2008) |
-0.1 – 0.9 |
Redistribution des pays de l’OCDE vers les pays en développement |
Source : ADB (2007), Dietz et al. (2008), Pearce et Ulph (1999).
Tableau 8.3. Estimations de l'élasticité de l'utilité marginale
Méthodologie |
η |
Erreur type |
---|---|---|
Aversion à l’inégalité (sacrifice égal, pondéré) |
1.515 |
0.047 |
Aversion à l’inégalité (sacrifice égal, historique) |
1.573 |
0.481 |
Substitution intertemporelle (équation d’Euler) |
1.584 |
0.205 |
Élasticité de l’utilité marginale (préférences additives, modèle de Rotterdam) |
3.566 |
2.188 |
Élasticité de l’utilité marginale (préférences additives, modèle à élasticité constante) |
2.011 |
1.337 |
Aversion au risque (demande d’assurance) |
2.187 |
0.242 |
Bien-être subjectif (données sur le bonheur) |
1.320 |
0.168 |
Estimations groupées (effets fixes) |
1.528 |
|
Estimations groupées (effets aléatoires) |
1.591 |
|
Homogénéité des paramètres |
Khi-deux (6) = 10.10 (p = 0.121) |
Source : Groom et Maddison (2017).
Tableau 8.4. Résultats d'enquêtes sur l'actualisation intergénérationnelle
Variable |
Moyenne |
Écart type |
Médiane |
Mode |
Min. |
Max. |
N |
---|---|---|---|---|---|---|---|
Taux de croissance réelle par habitant (g) |
1.70 |
0.91 |
1.60 |
2.00 |
-2.00 |
5.00 |
181 |
Taux social de préférence pure pour le présent (d) |
1.10 |
1.47 |
0.50 |
0.00 |
0.00 |
8.00 |
180 |
Élasticité de l’utilité marginale de la consommation (h) |
1.35 |
0.85 |
1.00 |
1.00 |
0.00 |
5,00 |
173 |
Taux d’intérêt réel sans risque (r) |
2.38 |
1.32 |
2.00 |
2.00 |
0.00 |
6.00 |
176 |
Taux d’actualisation social (TAS) |
2.27 |
1.62 |
2.00 |
2.00 |
0.00 |
10.00 |
181 |
TAS, limite inférieure |
1.12 |
1.37 |
1.00 |
0.00 |
-3.00 |
8.00 |
182 |
TAS, limite supérieure |
4.14 |
2.80 |
3.50 |
3.00 |
0.00 |
20.00 |
183 |
Taux social de préférence temporelle (TSPT) |
3.48 |
3.52 |
3.00 |
4.00 |
-2.00 |
26.00 |
172 |
Note : Le TSPT est estimé à partir de facteurs déterminants distincts : le taux social de préférence pure pour le présent, et un terme d’interaction du taux de croissance réel de la consommation par habitant et de l’élasticité de l’utilité marginale de la consommation. Pour plus de détails, voir Drupp et al. (2017). Ceci équivaut au terme de droite de l’équation [8.2].
8.7. Détermination empirique des taux d’actualisation décroissants
8.7.1. Approche par la consommation
En principe, quand on recourt à l’approche des taux d’actualisation décroissants par la consommation, comme chez Gollier (2012a), deux étapes empiriques s’imposent :
l’estimation empirique du processus de croissance à long terme
l’estimation des paramètres de la structure théorique par échéances
En pratique, une seule de ces étapes est entreprise. La méthode consiste généralement à opter pour un modèle de diffusion particulier (par exemple le modèle de croissance i.i.d. selon une loi normale évoqué précédemment ou le modèle avec incertitude relative aux paramètres de la section 8.3.) puis à obtenir des estimations de ces paramètres sous-jacents : par exemple, la croissance moyenne et la volatilité μ. Dans certains cas, des modèles empiriques de diffusion sont estimés et le TAS est calibré de cette manière. Groom et Maddison (2017) estiment un modèle de diffusion avec persistance pour l’économie britannique et élaborent ainsi une structure par échéances pour le Royaume-Uni. Cependant, à ce jour, aucune comparaison sérieuse des modèles de croissance à l’aide de mesures de la qualité de l’ajustement n’a été menée dans ce domaine, si bien que l’application de la théorie n’est pas aussi rigoureuse que la théorie elle-même.
8.7.2. Approche par la production
S’agissant de l’incertitude relative aux taux d’intérêt, un bien plus grand nombre d’études empiriques ont été menées en vue de calibrer la grille de taux d’actualisation décroissants découlant de la structure théorique de Weitzman (1998). Deux sources de données ont notamment été utilisées à cet effet, les avis des experts (Weitzman, 2001) et les taux d’intérêt observés par le passé (Newell et Pizer, 2003 ; Groom et al., 2007 ; Hepburn et al., 2008 ; Freeman et al., 2015).
Pour déterminer quelle est la meilleure approche empirique (celle par la production ou celle par la consommation), il convient de comparer la rigueur empirique des méthodes s’appuyant sur les taux d’intérêt observés par le passé et la rigueur théorique des approches par la consommation, qui jusqu’à présent restent décevantes du point de vue empirique.
8.8. L’actualisation sociale dans la pratique
Comme l’ont clairement montré les réflexions théoriques et empiriques qui précèdent, il y a beaucoup de décisions à prendre lorsqu’il s’agit de choisir le TAS. Une possibilité est de raisonner en termes de coût d’opportunité, approche qui soulève des discussions sur les taux de rendement appropriés à utiliser pour étayer le choix du TAS. L’autre est de recourir à une approche par la consommation. Cette dernière donne lieu à des débats quant à la nature de la fonction du bien-être social, l’estimation de ses paramètres et la détermination empirique de la croissance de la consommation. Dans le monde, les États ont pris des décisions différentes dans ce domaine et cette section fait la synthèse des diverses méthodes employées.
Le Tableau 8.5 présente de façon synthétique certaines des méthodes d’actualisation sociale récemment utilisées dans les pays de l’OCDE. Depuis 2003, de nombreuses modifications et adaptations ont eu lieu au Royaume-Uni, aux États-Unis, en France, en Norvège et aux Pays-Bas. D’autres pays ont parfois fait de même, notamment le Danemark et l’Allemagne. Ces changements se sont produits parallèlement à la publication d’études de plus en plus nombreuses sur l’actualisation sociale et dans le même temps, la politique publique s’est concentrée sur des projets à très long terme dans des domaines comme l’énergie nucléaire, la préservation de la biodiversité, la santé publique, les transports, et en particulier la lutte contre le changement climatique et le coût social du carbone (voir le Chapitre 13). Par ailleurs, au moment de la rédaction du présent document, la Banque mondiale révise ses lignes directrices sur l’actualisation sociale dans le cadre de ses programmes d’aide.
Tableau 8.5. Recommandations en matière d'actualisation dans plusieurs pays de l'OCDE
Pays |
Taux d’actualisation sans risque (%) |
Justification économique |
Prime de risque (%) |
Taux global d’actualisation (%) (à court et moyen terme) |
Taux d’actualisation à long terme |
---|---|---|---|---|---|
Royaume-Uni |
3.5 % |
Règle de Ramsey simple, TSPT. Risques liés à la croissance non intégrés, risques liés au projet faibles |
0 %, mais le « risque de catastrophe » représente 1 point de pourcentage du taux d’actualisation sans risque (3.5 %) |
Pour tous les projets et tous les changements réglementaires : 3.5 % |
Le taux futur (%) pour des horizons temporels H (années) est respectivement : H = (0-30, 31-75, 76-125, 126-200, 200-300, 300+), TAS = (3.5 %, 3 %, 2.5 %, 2 %, 1.5 %, 1 %) |
États-Unis |
Pour l’ACA : 3 %, avec une sensibilité pouvant atteindre 7 % |
3 % = taux d’intérêt de la consommation, sans risque (CSOC/TSPT) 7 % = rendement moyen des entreprises (CSOC) |
7 % est un taux de rendement avec risque, mais sans primes de risque spécifiques au projet |
Selon la source de financement, le projet et tous les changements réglementaires : 3 % 7 % |
OMB (2003) préconise un taux moins élevé pour les projets « intergénérationnels », USEPA (2010) recommande un taux de 2.5 %. |
États-Unis |
Pour l’ACE : 2 % |
TSPT |
Aucune |
2 % |
Pas de recommandations relatives pour l’ACE à long terme |
France |
2.5 % |
Quinet (2013), taux de rendement sans risque (note, Lebègue (2005), règle de Ramsey) |
b*2 % 2 % provient de l’estimation du risque de « profonde récession », voir Barro (2006). |
Pour les projets risqués : 2.5 %+ b*2 % |
Taux sans risque : baisse à 1.5 % pour un horizon de 75 ans. Prime de risque : 2 % pour b = 1 atteignant 3.5 % au bout de 75 ans. |
Norvège |
2 % |
Méthode du MEDAF, rendement sans risque des emprunts d’État. |
1 % : prime de risque systématique de 1 %, agrégat b=1, fixe pour tous les projets |
Projets risqués et tous les changements réglementaires : 3 % |
Taux sans risque baissant à 1 % au bout de 100 ans. |
Pays-Bas |
0 % |
MEDAF, méthode du coût d’opportunité. |
Prime de risque systématique de 3 %, fixe quel que soit le projet. |
Pour tous les projets et tous les changements réglementaires : 3 % |
taux d’actualisation décroissants admis, mais avec des taux d’intérêt réels < 0 % adoptés pour un taux sans risque fixe de 0 % et une prime de risque systématique fixe. |
8.9. Conclusions
Le taux d’actualisation sociale est un élément essentiel de l’évaluation des politiques publiques et des investissements publics à l’aide de l’ACA et de l’ACE. Au cours des années 1960 et 1970, quand l’ACA et l’ACE ont été introduites pour la première fois dans les évaluations des pouvoirs publics, il a beaucoup été discuté du bien-fondé de l’utilisation du coût social d’opportunité du capital (CSOC) et du taux social de préférence temporelle (TSPT) comme références pour déterminer le taux d’actualisation social (TAS). La variété des méthodes d’actualisation pratiquées aujourd’hui reflète en partie celle des conclusions tirées par différents pays quant à la méthode la plus appropriée (voir Tableau 8.5). Chaque méthode présente des difficultés.
S’agissant du CSOC, trouver le taux approprié reflétant le coût des finances publiques n’est pas toujours tâche facile. Compte tenu des externalités et du fonctionnement imparfait des marchés de capitaux, il n’est pas certain qu’un taux observable sur le marché soit l’expression des arbitrages en termes de bien-être que fait la société lorsqu’elle prend des décisions intertemporelles. Le taux avant taxes et impôts des entreprises, tel qu’il est utilisé dans certains cas aux États-Unis, ne correspond pas nécessairement au coût d’opportunité adéquat pour l’ACAS, surtout dans la mesure où il intègre des risques auxquels est confronté le secteur privé et qui ne sont parfois pas pertinents pour le secteur public. Selon d’autres auteurs, le coût de l’emprunt, et plus précisément le taux de rendement des obligations d’État, serait le taux de rendement à utiliser pour éclairer le choix du TAS. Or, quand tous ces taux diffèrent et quand les sources de financement d’un investissement dans un changement réglementaire sont variées, il convient de déterminer avec soin le TAS approprié.
En ce qui concerne le TSPT, l’approche normative intègre le TAS directement dans la fonction de bien-être social et reflète les aspects relatifs au bien-être des arbitrages intertemporels. L’avantage de cette approche est que la VAN permet de savoir tout de suite si une politique publique ou un investissement public augmente le bien-être social, ce qui est l’objectif d’une évaluation publique. L’inconvénient du TSPT est qu’il faut choisir une façon de le calibrer (on utilise généralement pour cela la règle de Ramsey) et que ce paramétrage est considéré comme quelque peu arbitraire dans certains milieux. Par ailleurs, l’utilisation du TSPT ne tient pas compte du coût d’opportunité des fonds publics ni du coût de la levée de ces fonds.
L’approche par le TSPT est centrée sur le volet consommation et ignore le volet production, tandis que l’approche par le CSOC fait l’inverse. Il est judicieux de recourir à la méthode du prix fictif du capital (PFC) quand on utilise le TSPT, afin que le coût d’opportunité des capitaux publics puisse être pris en compte dans le calcul de la VAN. Ce n’est généralement pas le cas dans la pratique, sachant que les besoins en informations sont onéreux et qu’il n’y a pas d’approximation généralement admise, bien que Cline (1992, annexe 6A) montre la voie à suivre.
Les récentes avancées dans le domaine de l’actualisation ont mis l’accent sur l’évaluation de projets dont l’horizon est extrêmement long, notamment dans les domaines de la lutte contre le changement climatique et de l’énergie nucléaire. Ce regain d’intérêt s’explique par le besoin d’analyser des projets intergénérationnels et par la sensibilité de ces analyses au choix du taux d’actualisation. Le fait est que les coûts importants supportés par les générations futures peuvent sembler insignifiants dans une ACA. De même, l’ACA risque de dissuader de prendre aujourd’hui des initiatives susceptibles de bénéficier aux générations futures pendant longtemps. Il y a certes de bonnes raisons d’actualiser le futur, mais les résultats de l’actualisation sont souvent perçus comme injustes pour les générations futures.
Le coût social du carbone, par exemple, un des paramètres les plus importants de l’évaluation publique des projets de réduction des émissions de carbone, est très sensible au taux d’actualisation avec lequel il est évalué. Les estimations du coût social du carbone apparaissent dans les évaluations des réglementations relatives à l’efficacité énergétique aux États-Unis et sont intégrées dans l’ACA des projets de transports dans un certain nombre de pays de l’OCDE (OCDE, 2015).
L’utilisation de taux d’actualisation décroissants pour évaluer les projets publics est devenue courante dans un certain nombre de pays de l’OCDE comme le Royaume-Uni, la France, la Norvège et le Danemark, et elle s’appuie sur de solides arguments théoriques et empiriques en matière de taux d’actualisation sans risque.
Pour les projets dotés d’une importante composante environnementale, l’utilisation de taux d’actualisation décroissants constitue dans certains cas une avancée pour la préservation de l’environnement et dans d’autres non. Elle signifie à l’évidence que le long terme revêt une plus grande valeur dans l’ACA et l’ACE classiques. De ce point de vue, plus important encore est le concept d’actualisation duale qui met davantage l’accent sur les coûts et les avantages environnementaux quand la qualité de l’environnement s’affaiblit. Cette théorie n’est pas nouvelle, mais ses applications sont de plus en plus fréquentes. En France et aux Pays-Bas il existe des recommandations spécifiques en matière d’actualisation de la modification de la qualité de l’environnement. Cependant, ces orientations visent généralement surtout à faire en sorte que l’évolution des prix relatifs soit correctement prise en compte plutôt qu’à ajuster le taux d’actualisation en matière de qualité de l’environnement. De telles orientations figurent également de façon plus générale dans le Livre vert du Trésor britannique.
Enfin, restent la question des risques associés au projet et celle de leur prise en compte dans le TAS. Ce vieux débat n’est globalement pas encore résolu. En France, les recommandations en la matière préconisent d’intégrer dans le taux d’actualisation une prime de risque systématique spécifique au projet. Le Green Book du Trésor britannique considère les risques liés au projet comme un problème relativement peu important. Ce sont des questions que les États doivent eux-mêmes trancher, en gardant en tête qu’ils sont susceptibles de prendre des risques trop importants s’ils ne parviennent pas à évaluer le risque à une des étapes de l’évaluation d’un projet.
Ces dernières années ont été marquées par de nombreuses évolutions dans le domaine de l’actualisation sociale. Groom et Hepburn (2017) retracent ces évolutions dans quatre pays de l’OCDE au cours des 20 dernières années et mettent en évidence le rôle non seulement des avancées techniques en matière d’économie, mais aussi de l’économie politique à cette période.
En résumé, ce chapitre montre que les éléments suivants sont pertinents pour déterminer le TAS.
Pour les projets non intergénérationnels sur des horizons à moyen terme inférieurs à 50 ans environ, il s’agit des points suivants :
De quel type d’évaluation s’agit-il ? i) ACA de l’investissement public, ii) ACA des changements réglementaires, ou iii) ACE du choix de la technique employée ?
La façon dont le projet est financé est importante : i) marchés de capitaux, ii) recettes fiscales générales, iii) emprunts extérieurs, iv) redevances d’utilisation, ou v) une combinaison de ces sources de financement.
Le TAS peut être établi sur la base du coût social d’opportunité du capital (CSOC), d’un taux de rendement sans risque ou du taux social de préférence temporelle (TSPT). Il existe de bonnes raisons d’utiliser le TSPT pour l’ACE, le CSOC lorsque des capitaux privés sont évincés et les taux sans risque quand le projet est financé par des emprunts publics.
En théorie, devrait-on prendre en compte le coût des financements publics à l’aide d’une estimation : i) de la moyenne pondérée CSOC/TSPT sans risque, ii) du prix fictif du capital (PFC), ou iii) de la perte sèche de la levée de fonds par le biais de la fiscalité.
Le TAS peut refléter les risques liés au projet et l’incertitude relative à la croissance. Avec une approche par le MEDAF basé sur la consommation, une prime de risque serait ajoutée au TAS pour refléter les risques associés au projet ou bien les avantages nets en équivalent-certain pourraient être estimés et actualisés en utilisant un TAS sans risque (taux d’intérêt sans risque ou TSPT).
Actualisation duale/effets des prix relatifs concernant la rareté des ressources environnementales : les Pays-Bas étudient actuellement cette possibilité.
Pour l’actualisation de projets intergénérationnels à long terme, il convient de s’intéresser aux points suivants :
Le TAS pour les projets sans risque devrait diminuer avec l’horizon temporel, en raison d’incertitudes sur le taux d’actualisation lui-même ou sur la croissance séculaire de la consommation.
Le TAS pour les projets risqués : quelle est la structure par échéances probable de la prime de risque systématique pour les projets à long terme ? Des travaux théoriques existent (Gollier, 2012; 2016). Ils montrent que les mêmes facteurs qui soutiennent l’idée d’un taux d’actualisation décroissant comme taux sans risque plaident en faveur de primes de risque s’accroissant avec l’horizon temporel pour les projets procycliques. Ce type d’arguments apparaît dans les recommandations françaises relatives à l’ACA.
Dans quelle mesure le TAS devrait-il être basé sur des considérations éthiques et le TAS est-il un instrument suffisant pour évaluer des projets à très long terme ? Le Green Book du Trésor britannique le plus récent proposera de restreindre le calcul de la VAN à 120 ans et appliquera un processus de décision distinct pour évaluer les projets à long terme, comprenant par exemple un examen de la répartition des coûts et des avantages sur le long terme.
Ce sont là les principales questions à examiner quand on envisage une actualisation sociale pour l’évaluation de politiques publiques.
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Annexe 8.A1. Une VAN positive en utilisant le TAS accroît le bien-etre social
Supposons que le bien-être social est donné par l’équation [8.1] pour deux périodes :
Supposons qu’un projet coûte 1 unité de consommation aujourd’hui de façon sûre et apporte des avantages en termes de consommation assurés e au temps t dans le futur. Autrement dit, il n’y a pas de risque lié à ce projet. Étant donné que les changements sont faibles, la variation globale du bien-être générée par ce projet est :
Le taux de rendement interne de ce projet est rp, tel que . Si ce rendement compense exactement le coût en termes de bien-être du projet (1 unité de consommation) alors :
Si l’élasticité de l’utilité marginale est constante, à savoir alors :
Par conséquent, un projet doit avoir un taux de rendement pour compenser exactement l’investissement marginal au temps zéro, avec g le taux de croissance (continûment composé) de la consommation. Tout projet présentant un taux de rendement supérieur accroîtra le bien-être social W. Par conséquent, est le taux d’actualisation social. Si la condition d’optimalité définie par [8.2] est remplie, ce taux sera égal au rendement du capital r.
Annexe 8.A2. Équation fondamentale d’évaluation des actifs et règle de Ramsey15
Dans le modèle d’évaluation des prix basé sur la consommation en situation d’incertitude de base, l’utilité du consommateur est définie par son utilité actuelle et future : . En règle générale, l’utilité intertemporelle prend la forme d’une fonction additivement séparable dans le temps : , avec et δ le taux d’actualisation de l’utilité. Lorsque le futur est incertain, le modèle de l’utilité espérée donne :
Un investisseur décide la part qu’il consomme et celle qu’il épargne pour l’avenir d’un actif i ayant une maturité t et un profit incertain xit, dont le prix aujourd’hui (t = 0) est . La condition de premier ordre relative à ce problème de consommation et d’épargne est :
En reformulant les rendements et le prix de l’actif, on obtient :
[8.A2.1]
avec le coefficient d’actualisation stochastique qui exprime la valeur de l’utilité marginale espérée au temps t par rapport à aujourd’hui (t = 0) :
Sachant que , on peut réécrire [8.A2.1] comme suit :
[8.A2.2]
où est le taux de rendement sans risque défini par : tel que :
[8.A2.3]
L’équation [8.A2.2] comporte deux termes : 1) le prix de l’actif pour un actif sans risque ; 2) un ajustement pour un actif risqué. L’équation [8.A2.3] définit le taux de rendement sans risque. La correspondance entre [8.3] est l’expression de la règle de Ramsey dans l’Annexe 8.A1 est claire. Le consommateur est perçu comme un agent représentatif dans ce cas.
L’ajustement des risques dans [8.A2] reflète la covariance des rendements des actifs avec le coefficient d’actualisation stochastique. On peut réécrire [8.A2] en termes de taux de rendement en normalisant le prix de l’actif à 1 et en interprétant l’espérance du profit comme l’espérance du rendement annualisé de l’actif i, ri. On peut alors obtenir l’expression suivante pour le taux de rendement annualisé :
[8.A2.4]
Comme le montre Gollier (2012, p. 190-193), si l’utilité est isoélastique : , la croissance suit un mouvement brownien (comme dans la section 8.3.1) et ri et ln Ct ont distribution normale jointe avec un coefficient de corrélation r, alors [8.A2.4] devient :
[8.A2.5]
avec la prime de risque lié à la consommation et le « bêta » du projet est donné par :
[8.A2.6]
Le numérateur du bêta du projet donne une bonne représentation de la corrélation de la croissance des profits créés par l’actif xt avec le taux de croissance de la consommation. C’est cette covariance qui détermine la correction du risque. Si la covariance est positive alors l’actif génère des profits lorsque la consommation est forte et l’utilité marginale, faible. Il est nécessaire d’appliquer une prime de risque positive à ce type d’actifs pour tenir compte de cette corrélation. L’inverse est vrai pour les actifs jouant un rôle d’assurance pour lesquels la corrélation est négative et dont les profits se matérialisent lorsque la consommation est faible.
Notes
← 1. est une fonction de production néoclassique qui suppose que le rapport production/revenus
par habitant, y, est une fonction d’une stock de capital par habitant : , avec
et où le rendement du capital est décroissant :
← 2. Le TSPT est parfois appelé taux d’actualisation de la consommation.
← 3. Il convient de noter que l’élasticité de l’utilité marginale est définie ainsi : , constant lorsque (appelé utilité isoélastique).
← 4. Selon certains, ce taux serait un bon indicateur du TSPT car il reflète le taux de rémunération de l’épargne dont peuvent disposer les individus. Pour d’autres, le taux sans risque peut être utilisé comme TAS car il reflète le coût des emprunts publics (Spackman, 2017 ; CEA, 2017).
← 5. On suppose ici que : i) le taux de rendement interne du flux de consommation du projet est nul : , ce qui signifie, pour des horizons éloignés que ; et donc, ii) on peut donc utiliser r euros plutôt que B eurospour l’approximation du PFC.
← 6. Intuitivement, le fait que les variables soient indépendantes et identiquement distribuées selon une loi normale signifie que le taux de croissance au cours d’une année donnée est un nombre aléatoire, et qu’il se produit chaque année un niveau de croissance aléatoire. Si ces nombres aléatoires sont indépendants et identiquement distribués selon une loi normale, alors chaque taux de croissance annuel est issu de la même distribution de probabilité (normale) et il n’est pas corrélé avec la croissance aléatoire de l’année précédente. En termes mathématique, si : , avec la croissance annuelle et : . Si en outre : et , qui correspond à la croissance attendue actualisée, alors on obtient [8.4].
← 7. Cerésultat n’est possible que si les préférences de la société reflètent la prudence au sens strict. C’est ce que permet l’utilité isoélastique (une utilité telle que l’élasticité de l’utilité marginale par rapport à la consommation est constante : ), mais tout ensemble de préférences vérifiant possède cette propriété.
← 8. Pour en savoir plus sur les énigmes d’évaluation d’actifs, voir Mehra et Prescott (1985) et Weil (1989).
← 9. Le Chapitre 9 consacré à l’incertitude donne davantage de détails.
← 10. Ici, l’hypothèse simplificatrice est que le rendement du projet et la consommation suivent une loi normale bivariée avec un coefficient de corrélation ri. Dans cette situation , qui définit la covariance du rendement du projet et de la consommation, divisée par la volatilité de la consommation.
← 11. En définissant l’équivalent-certain Mt de tel que
on peut constater que Mt diminue en t sachant que la fonction exponentielle devient
plus concave en t. Par conséquent, le TAS diminue avec l’horizon temporel car il peut être exprimé ainsi : Voir Gollier (2008).
← 12. Pour des arguments similaires, voir également Harrison (2010).
← 13. Dans chacune des équations, le coefficient d’actualisation sociale au moyen duquel est attribué un prix à la variation des quantités de chacun de ces arguments, la consommation et le stock de biens environnementaux, à la date d’aujourd’hui (t = 0) est donné par la formule :
Dans chaque cas, le taux d’actualisation social est simplement le taux de variation de ce prix fictif qui donne (9) et (10). Voir Traeger (2010).
← 14. Le prix fictif des biens environnementaux est le taux marginal de substitution : . Il est facile de montrer que le taux de variation de p dans le temps entraîne (12) lorsque l’élasticité de substitution est constante, et plus généralement à la différence entre (10) et (11) (Weikard et Zhu, 2005).
← 15. Cette annexe suit les analyses de Gollier (2012, p. 190) et Cochrane (2005, pp. 3-17).