Les méthodes des préférences révélées renvoient à un éventail de techniques d’évaluation qui s’appuient toutes sur le fait que beaucoup de biens et services environnementaux (non marchands) font implicitement l’objet de transactions sur les marchés, ce qui leur permet d’en déterminer la valeur de diverses manières, selon le bien considéré et le marché où s’opèrent les échanges correspondants. Par exemple, la demande de loisirs naturels peut être estimée sur la base des coûts de déplacement liés à cette activité, les évolutions récentes consistant à associer cette procédure aux systèmes d’information géographique afin d’en accroître la précision, en inventoriant les caractéristiques naturelles des sites récréatifs ou leur éloignement. Une autre application notable est celle des techniques des prix hédonistes, qui évaluent les biens et services environnementaux en les considérant comme des attributs ou des caractéristiques des achats correspondants, de propriétés résidentielles en particulier, ou sont employées pour analyser le lien entre les salaires et les risques de décès ou de dommages corporels sur le lieu de travail. Enfin, on peut étudier les comportements de prévention et dépenses de protection, qui correspondent aux cas où les individus prennent des mesures coûteuses pour éviter d’être exposés à unenuisance non marchande. Une importante évolution dans le domaine des préférences révélées tient à la complexité croissante des méthodes économétriques mises en œuvre, qui traduit le plus grand intérêt accordé par une large part de l’économie appliquée à des questions cruciales comme celle de l’inférence causale.
Analyse coûts-avantages et environnement
Chapitre 3. Méthodes des préférences révélées
Abstract
3.1. Introduction
Le principe selon lequel il est souhaitable, lors de l’évaluation préalable des politiques publiques, de procéder (dans toute la mesure du possible et si cela présente un intérêt) à une quantification monétaire de leurs impacts immatériels sur le bien-être de la population est désormais bien établi. Il est ainsi de plus en plus largement admis que ces impacts immatériels constituent vraisemblablement une importante composante des avantages globaux des mesures prises dans le domaine de l’environnement ou de la santé. Beaucoup d’entre eux prennent cependant la forme de biens (ou de nuisances) de nature non marchande. En d’autres termes, la valeur attachée par la population à ces impacts ne peut être simplement déterminée grâce aux informations fournies par les marchés, concernant par exemple le niveau des prix ou celui de la demande. De multiples méthodes se sont dès lors efforcées de mettre au jour par divers moyens la valeur des biens non marchands. Certaines d’entre elles, parmi les plus connues, existent déjà depuis de nombreuses années. Il n’en reste pas moins que leur utilisation croissante – tout particulièrement dans le domaine de l’environnement – a favorisé leur perfectionnement non seulement grâce à leur application à des situations toujours plus complexes, mais aussi à l’examen approfondi de leur validité et de leur fiabilité. Ce chapitre offre une vue d’ensemble de l’une des approches les plus couramment utilisées pour évaluer les biens non marchands : celle fondéesur les préférences révélées.
Les méthodes des préférences révélées ont toutes en commun de s’appuyer sur les comportements effectivement observés sur les marchés réels, et en particulier sur les achats qui y sont réalisés, pour estimer la valeur des impacts non marchands. Elles sont exclusivement axées sur les valeurs d’usage. Pour reprendre la terminologie de Russell (2001), ces méthodes s’efforcent de quantifier la « trace » laissée sur les marchés par les biens (ou les nuisances) de nature non marchande. Un certain nombre d’approches différentes ont été proposées pour atteindre cet objectif. Boyle (2003) a récemment examiné les trois principales méthodes, dont le Tableau 3.1 offre une vue d’ensemble : i) prix hédonistes ; ii) coûts de déplacement ; et iii) comportements de prévention ou de protection.
Le Tableau 3.1 (colonne 2) indique quels sont les aspects spécifiques des comportements économiques observés que chaque méthode s’efforce d’examiner. Il peut s’agir de l’achat de biens durables tels que des biens immobiliers dans le cas des prix hédonistes ou des fenêtres à double vitrage dans celui des dépenses de protection. Le comportement des individus ou des ménages constitue le plus souvent le principal centre d’intérêt. Les comportements observés sur chacun de ces marchés sont supposés fournir certaines indications sur le prix implicite d’un bien (ou d’une nuisance) connexe de nature non marchande. Chacune de ces méthodes repose toutefois sur un cadre théorique différent (tableau 1, colonne 3). L’achat d’un bien immobilier peut ainsi être considéré comme celui d’un bien différencié dont le prix dépend de ses diverses caractéristiques, parmi lesquelles le nombre et la qualité des aménités environnementales situées à proximité. Dans le cas des dépenses de protection, il peut s’agir de l’achat d’un bien de substitution marchand, comme celui de fenêtres à double vitrage, pour compenser l’existence d’une nuisance non marchande telle que le bruit de la circulation automobile.
Tableau 3.1. Vue d'ensemble des méthodes des préférences révélées
Méthode |
Comportements observés |
Cadre théorique |
Types d’applications |
---|---|---|---|
Méthode des prix hédonistes |
Achat d’un bien immobilier ; choix d’un emploi |
Demande de produits différenciés |
Qualité de l’environnement ; risques de morbidité et de mortalité |
Méthode des coûts de déplacement/modèles de demande d’activités récréatives |
Participation à une activité récréative en un lieu donné |
Production des ménages ; biens complémentaires |
Demande d’activités récréatives |
Modèles de comportements de prévention/dépenses de protection |
Coûts en temps ; achats pour éviter des dommages |
Production des ménages ; biens de substitution |
Santé : mortalité et morbidité |
Source : D’après Boyle (2003).
Les méthodes des préférences révélées ont été appliquées dans divers contextes (Tableau 3.1, colonne 4). Leur intérêt tient au fait qu’elles sont fondées sur les décisions effectives des individus ou des ménages, contrairement aux méthodes des préférences déclarées (Chapitre 4 Chapitre 5), dans lesquelles il leur est demandé quelle serait la valeur hypothétique attachée par eux à certaines variations de l’offre de biens non marchands. Certains commentateurs en déduisent que les résultats obtenus au moyen de ces méthodes fondées sur le marché constituent en principe le meilleur indicateur des préférences individuelles. Elles fournissent en effet des informations concrètes sur le montant du consentement à payer des individus pour se procurer une plus grande quantité d’un bien non marchand ou pour se prémunir contre le préjudice occasionné par une nuisance non marchande. La réalité est bien entendu un peu plus complexe. Il n’est par exemple pas toujours aisé de déterminer quel serait ce montant dans la pratique. Il pourrait être préférable dans les faits de juger au cas par cas de l’éventuelle supériorité de cette approche – par rapport aux autres méthodes d’évaluation.
Ce chapitre offre une vue d’ensemble des fondements théoriques de différentes méthodes d’évaluation des impacts économiques non marchands fondées sur les préférences révélées. Il examine les principales hypothèses théoriques sur lesquelles repose chacune d’entre elles et quelles en sont les conséquences pour leur application pratique. Dans chaque cas, nous donnons un ou plusieurs exemples d’étude de cas pour illustrer la manière dont l’approche correspondante a été utilisée, et comment certains des problèmes théoriques ou empiriques ont été traités. Nous passons également en revue les plus récents progrès méthodologiques pour chacune des techniques. L’objectif est de suggérer dans quelle mesure les différentes approches pourraient être appliquées à l’évaluation des impacts économiques non marchands dans d’autres secteurs que ceux dans lesquels elles ont été déjà employées.
3.2. Méthode des prix hédonistes
La méthode des prix hédonistes (MPH) (Rosen, 1974) estime la valeur d’un bien non marchand en observant les comportements sur le marché d’un bien connexe. Elle s’appuie plus particulièrement sur un bien marchand par le biais duquel le bien non marchand fait l’objet de transactions implicites. Elle part de la constatation que le prix d’un grand nombre de biens marchands est fonction d’une multiplicité de caractéristiques. Il est ainsi probable que le prix d’une voiture soit lié à sa consommation de carburant, à sa sécurité et à sa fiabilité, ou encore que celui d’une machine à laver dépende par exemple de sa consommation d’énergie, de sa fiabilité et de la diversité des programmes de lavage. La méthode des prix hédonistes se sert de techniques statistiques pour isoler le « prix » implicite de chacune de ces caractéristiques. Cette méthode a beaucoup d’applications potentielles (par exemple pour le marché du vin, Gustafson et al., 2011), mais deux types de marchés présentent un intérêt tout particulier du point de vue de l’évaluation des biens non marchands : a) les marchés immobiliers et b) les marchés de l’emploi.
Sur le marché du logement, la méthode des prix hédonistes s’appuie sur les transactions marchandes qui y sont opérées pour déduire la valeur implicite des caractéristiques fondamentales du logement considéré. Nous pouvons décrire n’importe quel logement donné par ses caractéristiques structurelles (dont le nombre et la taille des pièces, l’existence d’un jardin et sa superficie), sa localisation et son accessibilité (tels que sa proximité par rapport aux écoles, aux commerces, aux axes routiers), les caractéristiques du quartier (taux de criminalité, par exemple), l’environnement local et les aménités disponibles à proximité (qualité de l’air, proximité des espaces verts, etc.). Le prix d’un logement est déterminé par l’ensemble particulier de caractéristiques qu’il offre, de sorte que les biens immobiliers qui possèdent des caractéristiques souhaitables en plus grand nombre et de meilleure qualité atteignent des prix plus élevés que ceux qui présentent davantage de défauts, toutes choses égales par ailleurs. La méthode des prix hédonistes s’attache à isoler la part respective des divers grands facteurs qui influent sur le prix des logements afin de déterminer le montant marginal du consentement à payer pour chacune de leurs caractéristiques. Les études consacrées au marché immobilier ont largement fait appel à cette méthode (Herath et Maier, 2010).
Rosen (1974) présente les fondements théoriques de cette analyse, et il montre que le gain d’utilité lié à des variations marginales d’un élément de l’ensemble d’attributs d’un bien composite tel que le logement peut être évalué en termes monétaires en mesurant la dépense supplémentaire requise pour établir un équilibre. Nous pourrions ainsi supposer que la plupart des gens préfèrent habiter dans un quartier calme plutôt que dans un environnement bruyant. L’aménité que constituent « le calme et la quiétude » ne s’échange cependant sur aucun marché susceptible de nous fournir des éléments d’information directs sur la valeur qui lui est attachée à l’endroit considéré. Le calme et la quiétude peuvent toutefois faire l’objet de transactions implicites sur les marchés immobiliers. Les individus peuvent exprimer leur préférence pour un environnement paisible en achetant un logement dans un quartier calme. La différence de prix entre un logement plus tranquille et un autre plus bruyant, mais par ailleurs identique constitue donc une mesure de la valeur du calme et de la quiétude. Cette solide assise, qui repose sur la théorie économique et sur les comportements observables sur les marchés, plutôt que sur des enquêtes sur les préférences déclarées, confère à cette méthode un intérêt tout particulier du point de vue de la politique environnementale.
La méthode des prix hédonistes implique la collecte d’un grand nombre d’informations sur les prix et les caractéristiques des biens immobiliers d’un quartier et l’application de techniques statistiques pour estimer une « fonction de prix hédonistes ». Cette fonction indique les prix d’équilibre pour l’échantillon de logements considéré. Ces prix résultent de l’interaction entre les acquéreurs et les vendeurs sur le marché immobilier en question. Si l’éventail des caractéristiques présentées par les logements disponibles sur le marché forme un quasi-continuum, il est probable que les acheteurs feront en sorte que chacune d’elles atteigne un niveau tel que leur prix implicite marginal soit tout juste égal à la valeur qu’ils leur accordent. La pente de la fonction de prix hédonistes pour chacune de ces caractéristiques indique donc quel en est le prix implicite. La forme de la fonction appropriée compte tenu de cette spécification de la régression peut donner matière à discussion, mais beaucoup d’études empiriques ont estimé des modèles de régression semi-logarithmique se présentant sous la forme suivante :
[3.1]
où la variable dépendante ( ) est le logarithme naturel du prix de vente correspondant à chaque transaction immobilière i sur le marché du travail j au cours de la période t. Les variables indépendantes pourraient inclure les caractéristiques structurelles du logement sit, les caractéristiques du quartier nit, les caractéristiques environnementales xit, les caractéristiques non observées du marché du travail fj, et les autres éléments non observés eit. Ces dernières années, l’utilisation des systèmes d’information géographique (SIG) et la disponibilité de données fournies par ceux-ci sur les caractéristiques environnementales et sur celles du quartier ont permis d’établir avec plus de précision, de souplesse et d’exactitude une relation entre ces caractéristiques et la localisation des logements (Kong et al., 2007 ; Noor et al., 2015).
Des études font de longue date appel à la méthode des prix hédonistes pour estimer l’effet des aménités et des nuisances environnementales sur le prix des biens immobiliers, puisque la plus ancienne, qui en offrait une application à la pollution atmosphérique, date de 1967 (Ridker et Henning, 1967). Depuis, un très grand nombre de travaux ont analysé les impacts sur les prix d’un large éventail d’aménités environnementales, telles que la qualité de l’eau (Walsh et al., 2011 ; Leggett et Bockstael, 2000 ; Boyle et al., 1999), la qualité de l’air (Smith et Huang, 1995 ; Bayer et al., 2009), les espaces naturels préservés (Correll et al., 1978 ; Lee et Linneman, 1998), les zones humides (Doss et Taff, 1996 ; Mahan et al., 2000), les forêts (Garrod et Willis, 1992 ; Tyrvainen et Miettinen, 2000 ; Thorsnes, 2002), les plages (Landry et Hindsley, 2011), les activités agricoles (Le Goffe, 2000), les paysages naturels (Benson et al., 1998 ; Paterson et Boyle, 2002 ; Luttik, 2000 ; Morancho 2003), les arbres urbains (Anderson et Cordell, 1985 ; Morales, 1980 ; Morales et al., 1983) et les espaces verts (Cheshire et Sheppard, 1995, 1998 ; Bolitzer et Netusil, 2000 ; Netusil, 2005 ; McConnell et Walls, 2005). Ces études environnementales fondées sur la méthode des prix hédonistes se concentrent en règle générale sur une seule caractéristique environnementale ou sur un très petit nombre d’entre elles, aussi ne parviennent-elles sans doute pas à rendre compte de l’interactionentre de multiples caractéristiques environnementales et les préférences en matière de logements. Une étude récente réalisée par Gibbons, Mourato et Resende (2014) fait figure d’exception, puisqu’elle examine un grand nombre d’aménités naturelles simultanément (Encadré 3.1).
Encadré 3.1. Valeurs d’agrément de la nature anglaise
Gibbons, Mourato et Resende (2014) ont recours à la méthode des prix hédonistes pour estimer la valeur d’agrément liée à la proximité de divers habitats, espaces protégés, jardins résidentiels et autres aménités naturelles en Angleterre. Contrairement aux études antérieures, qui ont pour une large part eu tendance à se concentrer sur un unique bien environnemental, cette analyse s’est efforcée de mesurer la valeur attachée à un grand nombre d’aménités naturelles à l’échelle nationale en Angleterre. Il importe de savoir si le lien habituellement constaté entre les caractéristiques environnementales et le prix des logements demeure perceptible lorsque l’analyse porte sur une zone géographique bien plus vaste et d’une plus grande diversité environnementale. Par ailleurs, une analyse portant sur une zone géographique plus vaste donne la possibilité d’étudier la valeur de variables environnementales de plus grandes dimensions, telles que différents habitats ou écosystèmes et divers types d’espaces protégés.
Les auteurs analysent un échantillon de 1 million de transactions sur le marché du logement de 1996 à 2008, les informations sur l’emplacement étant données par le code postal sous son format intégral. L’ensemble de données comprend les prix de vente ainsi que diverses caractéristiques propres des logements ou relatives à leur environnement local. Les caractéristiques propres des logements incluent le type de bien immobilier, la surface au sol, la surface au sol au carré, le type de système de chauffage central (inexistant, complet, partiel, selon le type de combustible), le garage (superficie, simple, double, inexistant), le bail, s’il s’agit d’une nouvelle construction, l’ancienneté, l’ancienneté au carré, le nombre de salles de bains (variable muette), le nombre de chambres à coucher (variable muette), ainsi que des variables muettes correspondant au mois et à l’année. Les auteurs ont recours à des effets fixes sur les bassins d’emploi pour neutraliser les variables non observées relatives au marché du travail (telles que les rémunérations et les taux de chômage), entre autres facteurs d’ordre géographique. L’intégration dans la régression de la fonction hédoniste de variables muettes correspondant au bassin d’emploi implique que le modèle s’appuie exclusivement sur les variations des aménités environnementales et des prix des logements survenant au sein de chaque bassin d’emploi (c’est-à-dire au sein de chaque marché du travail), et qu’elle tient compte ce faisant des différences plusgénérales entre les différents bassins d’emploi du point de vue des caractéristiques de leurs marchés du travail et du logement. Parmi les autres variables de contrôle figurent les distances jusqu’à diverses infrastructures de transport, la distance par rapport aux établissements scolaires, la distance jusqu’au centre du marché du travail local (bassin d’emploi), la superficie du district, la densité démographique et la qualité des établissements scolaires locaux.
Pour ce qui est des caractéristiques environnementales locales, Gibbons et al. (2014) distinguent neuf grandes catégories d’habitat permettant de décrire la couverture physique des sols en fonction de leur part en pourcentage dans le secteur de 1 km x 1 km où est situé le bien immobilier considéré : (1) franges marines et côtières ; (2) eaux douces, zones humides et plaines inondables ; (3) montagnes, landes et bruyères ; (4) prairies semi-naturelles ; (5) terres agricoles clôturées ; (6) forêt de conifères ; (7) forêt de feuillus ou forêt mixte ; (8) zone urbaine ; et (9) sols nus de l’arrière-pays. Six autres variables permettent par ailleurs de décrire la part des différents types d’occupation des sols ci-après au sein du district de recensement où est situé le logement en question : (1) jardins résidentiels ; (2) espaces verts ; (3) eau ; (4) bâtiments résidentiels ; (5) bâtiments non résidentiels et (6) « autres » (dont les infrastructures de transport, les chemins et les autres utilisations des terres). Enfin, cinq variables de « distance » mesurant le degré d’éloignement par rapport à diverses aménités naturelles et environnementales (en centaines de kilomètres) sont également prises en compte : (1) la distance par rapport au littoral, (2) la distance par rapport aux cours d’eau, (3) la distance par rapport aux parcsnationaux (Angleterre et Pays de Galles), (4) la distance par rapport aux Réserves naturelles nationales (Angleterre et Écosse), et (5) la distance par rapport aux terres appartenant au National Trust (principale organisation indépendante de protection de la nature assurant la gestion de vastes portions de la campagne, des côtes et du patrimoine foncier du Royaume-Uni). Les auteurs ont en outre utilisé deux variables relatives aux espaces classés, à savoir la proportion des terres faisant respectivement partie d’une ceinture verte ou d’un parc national au sein du district de recensement où est situé le logement considéré. Il s’agit de vérifier si le fait de savoir que certains habitats sont protégés contre les projets d’aménagement a une valeur aux yeux des acheteurs sur le marché du logement.
Gibbons et al. utilisent une fonction des prix hédonistes de type semi-logarithmique et les estimations sont assez peu sensibles aux modifications de la spécification et de l’échantillon. Cela donne une certaine assurance quant au fait que les résultats fournis par la méthode des prix hédonistes offrent une utile indication des valeurs attachées à la proximité des aménités environnementales en Angleterre.
Le Tableau 3.2 présente un récapitulatif des principales constatations pour l’Angleterre. Les résultats mettent en évidence que les effets de nombreuses caractéristiques environnementales sur le prix des logements sont très significatifs sur le plan statistique et que leur ordre de grandeur est assez important d’un point de vue économique. Les jardins, espaces verts et masses d’eau situés dans le district de recensement sont autant d’éléments qui donnent lieu à une considérable augmentation des prix. Les étendues d’eau douce, les forêts de feuillus, les forêts de conifères et les terres agricoles clôturées ont également un fort effet positif sur les prix (par rapport à celui des terrains dont la couverture est de nature urbaine). Un allongement de la distance par rapport aux aménités naturelles telles que les cours d’eau, les parcs nationaux ou les sites appartenant au National Trust est clairement associé à une baisse du prix des logements. Chaque kilomètre supplémentaire de distance par rapport au parc national le plus proche entraîne une baisse de prix de 0.24 %, soit 465 GBP. Il s’ensuit qu’une localisation au sein d’un parc national (c’est-à-dire à une distance nulle de celui-ci), assorti du fait que l’intégralité (100 %) du district de recensement soit incluse dans un parc national, implique une formidable majoration du prix s’élevant à 33 686 GBP,par rapport à un logement anglais moyen (distant de 46.7 km d’un parc national). Pareillement, la localisation dans une ceinture verte est un critère important dans le cas des grandes agglomérations. Les résultats mettent en évidence un CAP d’environ 7 000 GBP pour les logements situés dans une ceinture verte, qui donnent la possibilité d’avoir accès aux villes, tout en bénéficiant des sévères restrictions auxquelles est soumise l’offre de logements.
Les auteurs parviennent à la conclusion globale que le marché du logement en Angleterre montre l’importante valeur d’agrément attachée à un certain nombre d’habitats, de zones classées, de jardins résidentiels et d’aménités environnementales locales.
Tableau 3.2. Prix implicites des principales aménités environnementales en Angleterre
GBP, valeurs capitalisées
Aménité environnementale |
% de variation de la valeur du logement |
Prix implicite par rapport au prix moyen des logements en 2008 |
|
---|---|---|---|
En cas d’augmentation de 1 point de pourcentage de la part dans la couverture des sols : |
|||
Eaux douces, zones humides, plaines inondables |
0.36 % d’augmentation du prix des logements |
694 GBP |
*** |
Terres agricoles clôturées |
0.06 % d’augmentation du prix des logements |
115 GBP |
*** |
Forêt de feuillus |
0.19 % d’augmentation du prix des logements |
376 GBP |
*** |
Forêt de conifères |
0.12 % d’augmentation du prix des logements |
232 GBP |
* |
En cas d’augmentation de 1 point de pourcentage de la part dans l’utilisation des sols : |
|||
Jardins résidentiels |
1.02 % d’augmentation du prix des logements |
1 982 GBP |
*** |
Espaces verts |
1.04 % d’augmentation du prix des logements |
2 031 GBP |
*** |
Eau |
0.97 % d’augmentation du prix des logements |
1 897 GBP |
*** |
En cas de localisation dans une zone classée : |
|||
Localisation dans une ceinture verte (grandes agglomérations) |
3.25 % d’augmentation du prix des logements |
6 967 GBP |
* |
Localisation dans un parc national, par rapport à la moyenne |
17.36 % d’augmentation du prix des logements |
33 686 GBP |
*** |
En cas d’allongement de 1 km de la distance : |
|||
Distance par rapport à un cours d’eau |
0.93 % de baisse du prix des logements |
1 811 GBP |
* |
Distance par rapport à un parc national |
0.24 % de baisse du prix des logements |
465 GBP |
*** |
Distance par rapport aux terres du National Trust |
0.70 % de baisse du prix des logements |
1 344 GBP |
*** |
Notes : Les astérisques indiquent les niveaux de signification statistique : ***p < 0.01, **p < 0.05, *p < 0.10. La localisation dans un parc national correspond à une distance nulle par rapport au parc national et au fait que celui-ci couvre 100 % du district considéré. Les prix implicites indiqués dans le tableau correspondent à des valeurs capitalisées, c’est-à-dire aux valeurs actuelles, et non à un consentement à payer annuel. Des chiffres annualisés à long terme peuvent être obtenus en multipliant les valeurs actuelles par un taux d’actualisation approprié (par exemple 3.5 %).
L’effet des nuisances et des désagréments a également été étudié au moyen de la méthode des prix hédonistes, notamment pour ce qui est des nuisances sonores routières, ferroviaires et aéroportuaires (Andersson et al., 2009 ; Day et al., 2006 ; Wilhelmsson, 2000 ; Pope, 2008a), des éoliennes (Gibbons, 2015 ; Hoen et al., 2011), des centrales électriques (Davis, 2011), de la recherche de gaz de schiste (Muehlenbachs et al., 2015 ; Gibbons et al., 2016) et des inondations (Beltrán-Hernández, 2016). Pour finir, cette méthode a également été utilisée pour évaluer les effets des politiques environnementales telles que le Clean Air Act (loi américaine de protection de la qualité de l’air) (Chay et Greenstone, 2005), ou encore le programme Superfund de dépollution des décharges de déchets dangereux aux États-Unis (McCluskey et Rausser, 2003).
L’approche méthodologique la plus couramment utilisée dans ces études a consisté à tenir compte de la distance séparant le bien immobilier de l’aménité ou de la nuisance environnementale en tant que variable explicative dans le cadre du modèle. Plus récemment, le recours aux SIG a amélioré la capacité des régressions hédonistes à expliquer la variation des prix des logements en ne tenant pas uniquement compte du degré de proximité, mais aussi du degré d’abondance et des caractéristiques topographiques des aménités environnementales, par exemple en prenant pour variable explicative la proportion d’une aménité donnée comprise dans un certain rayon de distance par rapport au logement considéré.
Le plus souvent, ce très grand nombre d’études a systématiquement mis en évidence que les facteurs environnementaux exercent un effet observable sur le prix des biens immobiliers, confortant l’hypothèse que le choix d’un logement est la conséquence d’un choix implicite en faveur des aménités environnementales situées à proximité, de sorte que la valeur des variations marginales du degré de proximité de ces agréments se trouve intégrée dans le prix des logements.
La méthode des prix hédonistes a également été utilisée pour estimer la valeur attachée à l’évitement des risques de mort ou de blessure. On s’intéresse pour ce faire aux écarts de salaire entre des emplois caractérisés par différents degrés d’exposition à ces risques. Certains emplois comportent en effet plus de risques que d’autres (un pompier court ainsi en règle générale bien plus de risques de blessure, voire de décès, qu’un employé de bureau). Les employeurs doivent donc verser une prime aux travailleurs pour les inciter à réaliser les travaux les plus dangereux. Cette prime fournit une estimation de la valeur marchande de faibles variations des risques de mort ou de blessure (Kolstad, 2010). La méthode des prix hédonistes a par conséquent été appliquée aux marchés de l’emploi afin de distinguer ces primes de risque des autres déterminants des salaires (tels que le degré d’instruction, etc.). L’Encadré 3.2 offre un exemple d’application de cette approche.
Encadré 3.2. Méthode des prix hédonistes et compensation salariale au titre des risques encourus sur le lieu de travail
Marin et Psacharopoulos (1982) ont entrepris l’une des premières études de la relation entre les salaires et les risques professionnels au Royaume-Uni. Leur étude répondait à deux objectifs. Premièrement, elle visait à vérifier l’hypothèse selon laquelle les revenus devraient être plus élevés pour les emplois impliquant les plus grands risques, une fois pris en considération les facteurs non concurrentiels tels que la syndicalisation. En second lieu, il s’agissait de fournir une estimation de la valeur des variations du risque de mortalité qui puisse être utilisée pour l’évaluation des projets et des politiques.
Marin et Psacharopoulos ont également intégré dans leur fonction de revenus une variable permettant de tenir compte de toute éventuelle interaction entre le risque professionnel et le taux de syndicalisation, sans idée préconçue sur le point de savoir si le coefficient estimé devrait être positif ou négatif. L’effet pourrait être positif si les syndicats ont une meilleure connaissance des risques que les travailleurs considérés individuellement, et s’ils en tirent parti dans les négociations collectives sur les salaires. L’effet pourrait être négatif pour diverses raisons. La négociation collective pourrait avoir lieu à un niveau plus large que celui des métiers pris en compte par les auteurs, réduisant de ce fait la sensibilité de la négociation aux mesures des risques professionnels. Par ailleurs, les syndicats pourraient négocier directement la mise en œuvre de mesures visant à renforcer la sécurité au travail, réduisant ainsi l’importance du risque en tant qu’enjeu des négociations salariales.
Les résultats de l’analyse ont confirmé qu’il existe un lien au Royaume-Uni entre des risques de décès plus élevés et une meilleure rémunération. Comme on pouvait s’y attendre, ce lien était plus fort avec la mortalité découlant des accidents de travail qu’avec le taux global de mortalité des membres de la profession. Le terme décrivant les interactions entre le risque et le fait d’être ou non syndiqué s’est avéré négatif, ce qui donne à penser (non sans la plus grande prudence) que la syndicalisation avait tendance à réduire l’écart de rémunération entre les emplois impliquant davantage de risques et les autres.
La valeur implicite du risque de mortalité peut être convertie en une mesure à l’échelle de l’ensemble de la population communément dénommée « valeur d’une vie statistique », en calculant la différentielle de la fonction des revenus eu égard au risque. Pour l’ensemble des travailleurs de l’échantillon (n = 5 509), la valeur de la vie statistique était de 603 000 GBP ou 681 000 GBP aux prix de 1975 (3.14 millions GBP ou 3.54 millions GBP aux prix de 2001), selon que l’interaction entre la syndicalisation et le risque était ou non prise en considération. Du fait de la nature de la fonction des prix hédonistes, en tant que lieu où s’établissent les prix d’équilibre par l’interaction entre les acheteurs et les vendeurs, ces chiffres fournissent également des évaluations des coûts que devraient supporter les entreprises pour assurer une réduction des risques sur le lieu de travail.
Marin et Psacharopoulos ont également réalisé des évaluations sur des sous-échantillons de l’ensemble de l’échantillon de travailleurs, pour vérifier si les écarts de rémunération variaient selon les catégories de salariés : membres du personnel d’encadrement et travailleurs non manuels ou manuels, respectivement. Les estimations relatives au personnel d’encadrement étaient peu satisfaisantes, compte tenu du très bas niveau de risques (et donc de décès) observé dans les catégories professionnelles correspondantes. Les auteurs ont suggéré que c’est là un reflet de la valeur élevée attachée à la sécurité par ces salariés, et du bas coût qu’impose aux entreprises la réduction des risques encourus par le personnel sédentaire. Les estimations relatives aux travailleurs non manuels ou manuels étaient plus satisfaisantes, et ont abouti à des valeurs de la vie statistique d’environ 2.25 millions GBP pour la première de ces catégories (du fait du revenu moyen plus élevé dont bénéficient les travailleurs non manuels, ainsi que de leur plus fort coefficient de risque estimé), alors que les chiffres correspondant à la seconde de ces catégories sont très proches de ceux estimés pour l’échantillon tout entier (619 000 GBP-686 000 GBP). La valeur d’une vie statistique pour les travailleurs non manuels s’élève à environ 11.7 millions GBP aux prix de 2001.
3.2.1. Limites
Comme il fallait s’y attendre, l’application pratique de la méthode des prix hédonistes soulève un certain nombre de problèmes. Premièrement, cette méthode ne mesure que les valeurs d’usage, telles qu’elles sont reflétées par les prix des biens immobiliers. Elle repose en outre sur un certain nombre d’hypothèses, dont celle que les marchés immobiliers sont concurrentiels et à l’équilibre, ce qui suppose que les individus optimisent leurs choix en matière de logements compte tenu de leurs prix selon leur localisation. Elle implique par ailleurs une totale liberté de mouvement. Autrement dit, les individus peuvent ajuster les différents niveaux de chacune des caractéristiques des logements en déménageant, sans avoir à supporter le moindre coût de transaction.
Qui plus est, la méthode des prix hédonistes suppose une information parfaite. En réalité, les individus pourraient ne pas être parfaitement informés. Dans le cas des primes de risque comprises dans le salaire, les travailleurs ne sont donc sans doute pas pleinement conscients des risques d’accident auxquels ils sont exposés sur leur lieu de travail, de sorte que leurs exigences salariales ne donnent pas une bonne indication de la vraie valeur qu’ils leur attribuent. Les estimations de cette dernière établies à partir de l’observation des décisions qu’ils prennent en la matière seront dès lors faussées. Dans le cas des variables environnementales, les acheteurs de maisons pourraient ne pas être conscients de questions telles que la contamination des sols ou la probabilité d’inondation, auquel cas ces éléments ne seront pas fidèlement pris en compte dans le prix des logements. Pope (2008 b) étudie les asymétries de l’information concernant le risque d’inondation, dont les vendeurs sont en général mieux informés que les acheteurs, ce qui fait qu’il est tentant pour un vendeur d’attendre qu’un acheteur non informé lui fasse une offre pour sa maison. À la suite de l’adoption en Caroline du Nord d’une loi imposant la divulgation de certains éléments d’information par le vendeur, qui exigeait que celui-ci révèle les risques d’inondation, de sorte que les acheteurs en aient pleine connaissance, l’auteur a estimé à 4 % la baisse des prix des logements dans les zones inondables. Chose remarquable, avantque cette loi ne soit entrée en vigueur, le classement en zone inondable ne paraît avoir eu aucune incidence sur le prix des logements. Les résultats de Pope portent à croire que l’information asymétrique entre les acheteurs et les vendeurs était à l’origine d’une sous-estimation des valeurs marginales estimées pour les zones inondables avant l’entrée en vigueur de la loi en question.
La procédure d’évaluation par la méthode des prix hédonistes se heurte également à certains problèmes économétriques bien connus tels que le choix arbitraire d’une forme fonctionnelle pour la fonction hédoniste des prix, la multicolinéarité, l’hétéroscédasticité, la définition de l’étendue spatiale et temporelle des marchés immobiliers et le biais lié aux variables omises. Par ailleurs, l’approche couramment adoptée dans les études passées impliquait l’utilisation de données transversales qui posaient de nombreux problèmes d’identification, d’où la nécessité d’avoir recours à des variables de contrôle pour tenir compte du grand nombre de facteurs ayant une incidence sur le prix des logements, dont beaucoup sont inobservables.
En cas de multicolinéarité, les caractéristiques non marchandes tendent à être associées : les biens immobiliers proches des routes sont ainsi exposés à de plus grandes nuisances sonores et à de plus fortes concentrations de polluants atmosphériques. Il est dès lors souvent difficile de distinguer l’impact de chacune de ces deux formes de pollution sur le prix des biens considérés. Les chercheurs ont eu tendance à négliger cette question dans un grand nombre de cas, omettant ainsi de tenir compte d’une caractéristique potentiellement importante dans leurs analyses, ce qui a eu pour résultat de fausser les estimations. Voir l’Encadré 3.3 pour un exemple.
Encadré 3.3. Méthode des prix hédonistes et impact de la qualité de l’eau sur la valeur des maisons d’habitation
Leggett et Bockstael (2000) se penchent directement sur le problème de la multicolinéarité dans leur étude de l’impact qu’exercent les variations de la qualité de l’eau sur la valeur des maisons d’habitation situées sur le rivage dans la baie de Chesapeake aux États-Unis. La pollution de l’eau dans la baie de Chesapeake pourrait être due aux stations d’épuration des eaux usées ainsi qu’à d’autres installations susceptibles d’avoir également une incidence négative sur l’agrément esthétique. Les estimations risquent donc d’être faussées du fait que les maisons les plus proches de ces installations pâtiront sans doute d’une eau de moins bonne qualité, mais aussi d’un moindre agrément esthétique, d’où la difficulté de déterminer l’effet sur les prix imputable à chacun de ces deux facteurs.
Les auteurs ont cependant su tirer parti d’une caractéristique naturelle de la baie de Chesapeake pour surmonter ce problème potentiel. Cette baie possède un littoral échancré, doté de nombreuses petites criques ayant un régime variable de dispersion de la pollution par les marées. Ils ont donc pu trouver une maison située sur une crique dont l’eau est de qualité médiocre, mais depuis laquelle la source de pollution correspondante n’était pas directement visible, d’où l’absence de nuisance esthétique. À l’inverse, une maison située à proximité d’une station d’épuration ne pâtissait pas nécessairement d’une eau de qualité médiocre si le régime des marées dans cette crique particulière s’avère favorable. Les caractéristiques naturelles de la baie de Chesapeake ont ainsi permis de rompre la colinéarité potentielle entre l’agrément esthétique et la qualité de l’eau, offrant de ce fait la possibilité d’inclure ces deux caractéristiques dans l’équation d’estimation sans qu’il en résulte pour autant des problèmes statistiques.
Dans les applications de la méthode des prix hédonistes aux biens immobiliers comme dans la plupart des études de la valeur des ressources environnementales, il faut veiller à bien choisir le moyen de mesurer la variable environnementale à laquelle on s’intéresse. Les profanes sont ainsi très souvent particulièrement sensibles à l’aspect visuel de l’eau, à laquelle ils tendent à accorder d’autant plus de valeur qu’elle est transparente. Sa qualité biologique – qui reflète le potentiel écologique d’une masse d’eau – n’est toutefois pas nécessairement liée à sa transparence. Sa qualité chimique constitue en outre une variable plus importante quand il s’agit de déterminer si une masse d’eau présente les conditions requises pour que l’on puisse y nager ou y pratiquer d’autres sports susceptibles d’impliquer un contact avec l’élément liquide. La qualité chimique de l’eau risque cependant de ne pas être un indicateur aisément compréhensible pour la population.
Pour mesurer la qualité de l’eau, Leggett et Bockstael se sont servis des informations officielles concernant les concentrations de coliformes fécaux. Leur étude visait principalement à estimer la valeur récréative d’une maison située à proximité de la baie de Chesapeake. Ces concentrations étaient rendues publiques par les journaux locaux et aux points d’information, qui indiquaient par ailleurs clairement le seuil au-delà duquel les plages seraient fermées pour des raisons sanitaires. Les auteurs ont en outre recueilli des indices qui donnent de bonnes raisons de penser que les résidents de la baie de Chesapeake tout comme les personnes qui souhaitent s’y installer montrent un intérêt réel pour la qualité locale de l’eau, ce qui conforte l’hypothèse d’une relation positive entre cette dernière et la valeur des biens immobiliers.
Les auteurs ont constaté que les variables de situation habituelles présentaient un signe conforme aux attentes dans leur équation des prix hédonistes estimée. Une plus grande superficie, des trajets quotidiens moins longs, ainsi que la proximité du rivage constituent des facteurs ayant un impact positif sur le prix des biens immobiliers, dont la valeur moyenne est estimée à 350 000 USD par acre. Le prix d’un bien immobilier est en règle générale d’autant plus bas qu’il se situe à proximité d’une source de pollution. Il est par ailleurs inversement proportionnel aux concentrations locales de coliformes fécaux. Toute augmentation d’une unité de la concentration annuelle moyenne enregistrée par la station de mesure la plus proche se traduisait ainsi par une baisse de la valeur du bien immobilier égale à 5 000 USD (la concentration moyenne au sein de l’échantillon était d’une unité par ml, alors que la fourchette de variation était de 0.4-2-3 unités/ml). Ces chiffres pourraient être utilisés pour estimer la valeur marginale de légères variations de la qualité de l’eau dans la région de Chesapeake comme ailleurs.
Leggett et Bockstael soulignent que les résultats obtenus par eux ne permettent en revanche pas d’estimer la valeur de variations importantes de la qualité de l’eau (comme celles que pourrait par exemple entraîner l’adoption de nouvelles normes d’environnement). De telles variations seraient en effet à l’origine d’une évolution du degré de qualité de l’environnement offerte sur le marché immobilier de la baie de Chesapeake et induiraient donc un déplacement le long de la courbe des prix hédonistes, puisque les acquéreurs et les vendeurs s’engageraient alors dans une série de tractations jusqu’à ce qu’ils parviennent à établir de nouveaux prix d’équilibre. C’est là un important inconvénient qui limite l’utilisation par les pouvoirs publics des estimations de la valeur non marchande obtenues grâce à la méthode des prix hédonistes.
Le risque que certaines variables ne soient pas prises en considération dans la modélisation hédoniste a longtemps préoccupé les chercheurs (Kuminoff et al., 2010). Le biais lié aux variables omises résulte du fait que certaines caractéristiques inobservables du logement importantes aux yeux des ménages peuvent être corrélées avec l’aménité environnementale étudiée. Cette mauvaise spécification potentielle de la fonction des prix hédonistes a pu fausser des estimations de la valeur. Dans une étude marquante, Cropper et al. (1988) ont montré qu’en présence de variables omises, des formes fonctionnelles plus simples, linéaires, log-linéaires ou log-log, donnent les meilleurs résultats. Aussi la plupart des études publiées depuis lors ont-elles eu recours à ces modèles plus simples pour réduire au minimum le risque d’un biais lié aux variables omises.
Il faut également prendre soin de préciser quelles sont exactement les limites géographiques du marché immobilier considéré. Celles-ci sont définies pour chacun des acquéreurs par les recherches effectuées par lui. Les estimations fondées sur les prix hédonistes seront faussées si des biens immobiliers situés à l’extérieur des limites du marché correspondant à l’individu en question sont pris en considération dans l’analyse. Si des biens immobiliers relevant de fait de ce marché en sont à l’inverse exclus, les estimations ainsi obtenues ne seront certes pas faussées, mais s’avéreront inefficientes. Malheureusement, vu que de nombreux individus recherchent un logement dans une localité donnée, les informations relatives aux achats de biens immobiliers seront sans doute tirées d’un grand nombre de marchés se recoupant partiellement. Certains ont dès lors fait valoir qu’il est probablement préférable dans ces conditions de sous-estimer que de surestimer l’ampleur du marché étudié (Palmquist, 1992).
Pour finir, la très grande majorité des études faisant appel à la méthode des prix hédonistes n’estime que les prix implicites marginaux liés aux caractéristiques sur lesquelles elles portent, puisque la question typique présentant un intérêt sur le plan de l’action est de savoir si le stock existant d’un bien non marchand se trouve capitalisé sur le marché immobilier. Mais ce n’est là que la première étape de l’évaluation par les prix hédonistes. La plupart des études ne vont pas jusqu’à estimer des fonctions de demande pour les caractéristiques étudiées, et ne passent donc pas à la seconde étape de l’évaluation, qui permettrait d’estimer la valeur des variations non marginales et non localisées. En effet, l’estimation des relations de demande à partir des données relatives aux prix hédonistes pose de grandes difficultés théoriques et analytiques et exige de grandes quantités d’information. Day et al. (2006) en fournissent l’un des rares exemples.
3.2.2. Évolutions récentes
Ces dernières années, les recherches sur le biais lié aux variables omises et les problèmes d’endogénéité qui s’ensuivent dans les modèles des prix hédonistes ont entraîné beaucoup d’évolutions économétriques. Dans un examen des effets de ce biais dans les études fondées sur la méthode des prix hédonistes, Kuminoff et al. (2010), constatent que les études qui s’appuient sur de vastes ensembles de données transversales ont commencé à tenir compte des effets fixes spatiaux dans la fonction des prix hédonistes (effets fixes pour les bassins d’emploi, comme dans Gibbons et al., 2014, ou pour les districts scolaires, par exemple) afin de tenir compte des variables omises spatialement corrélées. De plus, à mesure que la disponibilité des séries de données de panels et de celles de données transversales répétées s’est accrue, les chercheurs ont pu adopter des méthodes quasi expérimentales telles que celles des effets fixes, des différences premières et de la différence des différences pour faire face au problème des variables omises et pour déterminer avec précision les valeurs non marchandes (par exemple Horsch et Lewis, 2009 ; Gibbons, 2015 ; Gibbons et al., 2016). Certains auteurs ont également utilisé des données répétées sur les ventes pour remédier à ce problème (par exemple Beltrán-Hernández, 2016). Kuminoff et al. (2010) avancent que, lorsque des effets fixes spatiaux sont utiliséspour tenir compte des variables omises, le résultat fondateur auquel sont parvenus Cropper et al. (1988) concernant la supériorité des formes plus simples de la fonction des prix hédonistes ne tient plus. Ils démontrent au contraire que l’estimation gagne beaucoup en précision si on leur préfère des spécifications de la fonction des prix hédonistes offrant une plus grande souplesse (telles que le modèle quadratique de Box-Cox) et que l’on a recours à des méthodes d’identification quasi expérimentale, des effets fixes spatiaux, et/ou des variables de contrôle temporelles pour tenir compte des ajustements du marché du logement.
Horsch et Lewis (2009) proposent une expérience quasi aléatoire pour identifier les effets du myriophylle, une espèce aquatique envahissante, sur la valeur des biens immobiliers. La propagation du myriophylle est une conséquence de la circulation des bateaux et, vu que les plaisanciers ont une plus grande probabilité de visiter les beaux lacs offrant des aménités attractives (et souvent inobservables), la probabilité qu’un lac soit envahi par le myriophylle est corrélée avec le terme d’erreur dans une fonction des prix hédonistes (endogénéité). Aussi l’estimation des données transversales relatives aux prix hédonistes au moyen de la méthode classique des moindres carrés ordinaires (MCO) affectera-t-elle vraisemblablement d’un biais positif les coefficients estimés pour les variables liées à la présence du myriophylle. S’appuyant sur une série de données chronologique fournissant des informations sur les lacs avant et après les invasions de myriophylles, les auteurs proposent une analyse de la différence des différences (DDD) assortie d’effets fixes sur les lacs. Cette stratégie d’estimation permet de déterminer quelle est l’incidence du myriophylle sur la valeur des biens immobiliers, étant donné que les effets fixes tiennent compte de toutes les aménités observables et inobservables des lacs qui ont un impact sur la valeur des biens immobiliers, tandis que la spécification fondée sur la DDD tire parti des caractéristiques d’expérience naturelle propres à la série de données, qui fournit des informationsantérieures et postérieures aux invasions de myriophylles. Les résultats indiquent que les invasions de myriophylles réduisent d’environ 8 % la valeur moyenne des biens immobiliers.
Dans un autre exemple récent, Beltrán-Hernández (2016) s’appuie sur la méthode de la différence des différences pour mesurer les avantages économiques ex post des ouvrages structurels de protection contre les inondations construits en Angleterre entre 1995 et 2004. L’étude est fondée sur un vaste ensemble de données de panel, couvrant plus de 12 millions de transactions immobilières, et portant notamment sur les prix de vente de maisons qui ont été vendues à plusieurs reprises. Ces données ont ensuite été fusionnées avec celles fournies par les SIG, qui donnaient notamment des indications sur la localisation géographique et les principales caractéristiques d’un nombre total de 1 666 ouvrages de protection contre les inondations construits en Angleterre au cours de la période examinée. L’auteur utilise un modèle de ventes répétées pour observer la capitalisation des ouvrages de protection contre les inondations entre deux ventes de la même propriété. Le modèle des ventes répétées est similaire à une spécification du modèle DDD fondée sur les différences premières. Cette spécification permet d’évaluer l’effet sur les prix de la construction d’ouvrages de protection contre les inondations, qui n’est pas uniforme pour l’ensemble des biens immobiliers, tout en tenant compte des facteurs invariables dans le temps. Les résultats donnent à penser que ces ouvrages entraînent des augmentations des prix des biens immobiliersallant de 1 % à 13 %, selon le niveau de risque et le type de propriété (soit de 2 000 GBP à 30 000 GBP pour une maison de valeur moyenne en 2014). Cependant, dans le cas des appartements (non touchés par les inondations) et des propriétés rurales (où ce type d’infrastructures risque d’entraîner une perte de valeur d’agrément), la construction d’un ouvrage de protection contre les inondations est associée à d’importants effets négatifs sous la forme d’une baisse de prix allant de -1 % à -9 % (de -3 000 GBP à -10 000 GBP).
Afin de remédier à l’endogénéité, des études récentes ont également eu recours à une approche à variable instrumentale. L’étude des prix hédonistes de la qualité de l’air effectuée par Bayer et al. (2009) en est un exemple. Comme il est vraisemblable que la pollution atmosphérique soit corrélée avec des caractéristiques locales non observées, telles que l’activité économique, qui ont également une incidence sur le prix des propriétés, les estimations classiques du consentement à payer risquent d’être biaisées à la baisse. Pour surmonter ce problème, les auteurs instrumentent la pollution atmosphérique locale en utilisant la contribution des sources distantes à la pollution atmosphérique locale en guise d’instrument. Cette stratégie porte ses fruits du fait que beaucoup de polluants atmosphériques sont émis par des sources distantes et qu’il est improbable que ces sources éloignées présentent une corrélation avec l’activité économique locale. L’instrumentation de la pollution atmosphérique accroît considérablement l’ordre de grandeur du coefficient appliqué à la concentration de pollution atmosphérique (par les particules PM10 en l’occurrence) dans la régression des prix hédonistes.
3.3. Méthode des coûts de déplacement
La méthode des coûts de déplacement (MCD) est une technique mise au point pour estimer la valeur d’usage récréatif de biens non marchands généralement constitués d’espaces naturels extérieurs, mais qui peut s’appliquer à tout site utilisé à des fins récréatives (Clawson et Knetsch, 1969 ; Bockstael et McConnell, 2007 ; Parsons 2017). Les espaces naturels (tels que les parcs, les bois, les plages, les cours d’eau, les lacs, etc.) constituent souvent la destination des voyages d’agrément. Pour des raisons diverses, ces espaces naturels n’ont en règle générale de prix sur aucun marché, aussi faut-il trouver un autre moyen d’estimer leur valeur.
La méthode des coûts de déplacement part du principe que les individus ont recours à divers éléments pour vivre des expériences récréatives. Parmi ces éléments figurent la zone récréative elle-même, le déplacement pour s’y rendre et en revenir, et dans certains cas le séjour d’une ou plusieurs nuitées sur place, etc. La zone récréative proprement dite constitue en règle générale un bien non marchand, alors que bon nombre des autres éléments nécessaires pour jouir de l’expérience récréative ont un prix sur le marché, comme c’est le cas des coûts de déplacement. Ces derniers pourraient donc être utilisés en tant qu’indicateur de la valeur de l’accès au site considéré.
La plupart des premières recherches à avoir fait appel à la méthode des coûts de déplacement visaient en effet à estimer la valeur des visites de sites récréatifs. Au fil du temps, certaines adaptations ont été apportées à cette méthode afin de pouvoir également estimer la valeur de leurs variations qualitatives. En effet, les 50 dernières années ont connu une considérable évolution des techniques mises en œuvre dans le cadre de la méthode des coûts de déplacement, les modèles simples de la demande globale des premiers temps ayant cédé la place à une analyse extrêmement pointue des choix individuels.
Parsons (2003) a établi une utile distinction entre les modèles des coûts de déplacement selon qu’ils estiment la demande pour un seul site récréatif ou pour des sites multiples. Nous examinerons à présent tour à tour ces deux catégories de modèles.
3.3.1. Modèles pour un seul site
La méthode des coûts de déplacement appliquée à un seul site découle de la constatation que la zone récréative et le déplacement pour s’y rendre se caractérisent par leur (faible) complémentarité, de sorte que la valeur de la première peut être mesurée par le prix atteint sur le marché par le second. Pour pouvoir appliquer la méthode des coûts de déplacement, il faut donc connaître deux éléments : a) le nombre de déplacements effectués au cours d’une certaine période de temps (une année, par exemple) par un individu ou un ménage pour se rendre dans une zone récréative donnée, et b) ce que coûtent à cet individu ou à ce ménage les déplacements jusqu’à la zone récréative, ce coût constituant un indicateur du prix de visite du site.
Les coûts de déplacement jusqu’à la zone récréative se composent à leur tour de deux éléments : i) le coût monétaire des billets aller-retour ou de la consommation de carburant, de l’usure et de la dépréciation du véhicule, etc., et ii) le coût du temps nécessaire au déplacement. Le temps constitue une ressource rare pour le ménage. Le temps nécessaire au déplacement pourrait être affecté à une autre activité (telle que le travail) susceptible de générer du bien-être. Autrement dit, l’individu ou le ménage supportent un coût d’opportunité lorsqu’ils consacrent du temps à se déplacer. Pour le dire plus simplement, la demande de déplacements sera d’autant plus grande qu’il faudra moins de temps pour se rendre jusqu’à la zone récréative, quel que soit par ailleurs le coût monétaire du trajet.
Bien entendu, pour appliquer cette méthode, il faut disposer d’une valeur permettant d’estimer le prix (fictif) du temps. Le taux de salaire d’un individu peut être un moyen de mesurer la valeur qu’il attache au temps (Cesario, 1976). Si les individus ont la possibilité de décider du nombre d’heures qu’ils consacrent au travail, ils préféreront travailler jusqu’à ce qu’une heure supplémentaire affectée à cette activité ait pour eux la même valeur qu’une heure de loisir. La valeur du temps de loisir sera donc à la limite égale au taux de salaire. En réalité, les individus ne peuvent qu’imparfaitement choisir le nombre d’heures qu’ils consacrent au travail et il est peu probable que la valeur du temps de loisir soit effectivement égale au taux de salaire. Les travaux empiriques effectués ont révélé que la valeur attribuée au temps nécessaire aux déplacements se situe quelque part entre le tiers et la moitié du taux de salaire et les chercheurs qui ont recours à cette méthode retiennent fréquemment l’une ou l’autre de ces valeurs en tant qu’estimation du prix du temps (Czajkowski et al., 2015).
Les informations utilisées dans la méthode des coûts de déplacement sont généralement obtenues au moyen d’enquêtes réalisées sur le site récréatif. Ces données permettent d’estimer une courbe de demande pour l’accès au site récréatif, laquelle établit un lien entre le nombre de visites (la quantité) et les coûts de déplacement (le prix) et d’autres variables explicatives appropriées. Cette courbe de demande se caractérise en règle générale par une pente descendante, puisque le nombre de déplacements est d’ordinaire d’autant plus faible que les coûts de déplacement sont élevés. Les coûts les plus élevés sont normalement supportés par les personnes qui vivent le plus loin du site. Les points situés le long de la courbe de demande indiquent le consentement à payer des consommateurs pour visiter le site. La valeur non marchande associée aux avantages récréatifs procurés par le site correspond à la rente du consommateur, c’est-à-dire à l’aire située sous la courbe de demande entre le CAP d’un individu et ses dépenses de déplacement.
Les premières applications de la méthode des coûts de déplacement s’appuyaient sur ce que l’on appelle la méthode des coûts de déplacement par zone (Parsons, 2003). Celle-ci calculait des taux de visite globaux (c’est-à-dire le nombre de visites en provenance d’une certaine zone divisé par la population de cette même zone) et le coût moyen des trajets depuis différentes zones géographiques prédéfinies situées aux alentours du site récréatif considéré. Cela permettait d’estimer le nombre de visites par habitant pour chacune des zones considérées. Cette approche s’intéressait donc au comportement moyen des groupes de visiteurs et non aux choix des individus. Le recours au modèle des coûts de déplacement par zone est devenu de plus en plus rare au fil du temps, car jugé peu compatible avec la théorie économique.
Aujourd’hui, la variante de la méthode des coûts de déplacement pour un seul site à laquelle il est le plus souvent fait appel s’intéresse aux coûts individuels. Cette approche s’appuie sur des données individuelles et non sur des données globales, à savoir, le nombre de visites individuelles d’un site récréatif au cours d’une période donnée (une année, par exemple) et leurs coûts respectifs. Elle a été appliquée pour évaluer un large éventail d’activités de loisirs de plein air telles que les activités récréatives en milieu forestier (Christie et al., 2006), les visites de lacs (Corrigan et al., 2007), la pêche de loisir (Shrestha et al., 2002), les déplacements dans les stations de ski (Steriani et Soutsas, 2005), la pratique du vélo tout-terrain (Chakraborty et Keith, 2000), la visite de parcs nationaux (Heberling et Templeton, 2009) ou la chasse au cerf (Creel et Loomis, 1990), parmi bien d’autres.
Dans les premiers modèles utilisés dans le cadre de la méthode des coûts de déplacement individuels, le nombre de visites était traité comme une variable continue et il était généralement fait appel à des techniques de régression par les MCO, aboutissant à des estimations biaisées. Vers la fin des années 80, les chercheurs ont commencé à leur préférer des modèles de données de comptage plus appropriés tels que les modèles de régression de Poisson ou binomiale négative prenant en considération la nature des données relatives aux visites : la quantité de visites ne peut être représentée que par des nombres entiers non négatifs ; les données sont souvent tronquées à zéro du fait de la sélection de l’échantillon sur le site même, qui implique que les personnes interrogées ont effectué au moins une visite ; et la distribution des visites tend généralement à être biaisée en faveur d’un petit nombre de déplacements (Parsons, 2017).
L’une des limites auxquelles se heurte la méthode des coûts de déplacement individuels tient au fait qu’elle ne s’accommode pas aisément de l’existence de sites récréatifs de substitution. Dans beaucoup de situations réelles, les individus sont confrontés à un large éventail de sites récréatifs de substitution : ils peuvent par exemple choisir sur quelle plage se rendre, dans quelle rivière aller pêcher, quelle station de sports d’hiver visiter, ou même choisir entre différents types de sites, entre une forêt et un parc national, par exemple. En pareil cas, il faut avoir recours à une méthode permettant de modéliser de manière satisfaisante le choix discret entre les différents sites auquel procèdent les consommateurs, et non à une approche focalisée sur le choix « continu » du nombre de déplacements réalisés pour se rendre à un seul et unique site. La prochaine section présente le modèle généralement utilisé dans ces circonstances : le modèle d’utilité aléatoire.
3.3.2. Modèles pour des sites multiples
Le modèle d’utilité aléatoire (MUA) constitue la méthode couramment appliquée en cas de sites multiples (Bockstael et al., 1987). Il s’agit d’une technique de modélisation des choix discrets où, en présence de plusieurs sites récréatifs, les individus sont supposés choisir celui qu’ils iront visiter non seulement en fonction de ses caractéristiques, mais aussi en tenant compte des coûts de déplacement jusqu’aux différents sites de substitution. Bien que cette méthode soit souvent décrite comme une extension de la méthode des coûts de déplacement, elle s’apparente de fait davantage à une théorie des choix qu’à une technique d’évaluation, et elle peut être appliquée dans n’importe quelle situation dans laquelle les ménages sont amenés à faire des choix discrets entre plusieurs combinaisons de biens marchands et de biens et services environnementaux (Maddison et Day, 2015).
Ces dernières années, pour ce qui est des choix récréatifs, le modèle d’utilité aléatoire a connu un succès éclatant, contrairement aux modèles plus classiques des coûts de déplacement, en perte de vitesse. Il représente désormais la principale méthode des préférences révélées utilisée pour estimer la demande récréative (Phaneuf et Smith, 2005), et a été appliqué à une gamme très étendue d’activités récréatives, dont la pêche, la natation, l’escalade, la navigation de plaisance et la pratique du canoë ou du kayak, la chasse, la randonnée, le ski et la visite de parcs/forêts/rivières, notamment. Pour les besoins de l’action publique et de la gestion, l’approche du modèle d’utilité aléatoire s’avère extrêmement utile, car elle permet d’estimer la valeur des variations de la qualité des sites, aussi bien que des fermetures de sites, dans l’hypothèse de sites multiples. Phaneuf et Smith (2005) et Parsons (2017) ont décrit de manière détaillée l’évolution du modèle d’utilité aléatoire et de ses applications à la demande récréative. L’Encadré 3.4 en présente une application au choix des parcs cynégétiques en Afrique du Sud (Day, 2002).
Encadré 3.4. Valeurs récréatives des réserves cynégétiques en Afrique du Sud
Day (2002) présente une application relativement complexe de la méthode des coûts de déplacement pour des sites multiples à quatre réserves cynégétiques d’Afrique du Sud. Ces réserves de chasse de renommée internationale – Hluhluwe, Umfolozi, Mkuzi et Itala –, dont chacune couvre de vastes superficies (plusieurs centaines de kilomètres carrés), sont gérées par le KwaZulu-Natal Parks Board (KNPB).
L’approche adoptée par Day part du principe qu’une visite dans l’une quelconque de ces réserves cynégétiques résulte d’un choix en fonction de quatre grandes composantes des coûts : i) le coût économique du déplacement jusqu’au site, ii) le coût du temps nécessaire au déplacement, iii) le coût de l’hébergement sur place, et iv) le coût du temps passé sur place. La plupart des analyses fondées sur les coûts de déplacement se sont exclusivement intéressées aux composantes i) et ii). Cela peut suffire pour de nombreux sites récréatifs. Day fait cependant valoir que les visites aux réserves examinées dans son étude présentent une importante caractéristique, à savoir qu’elles donnent lieu à une excursion de plusieurs jours. Pour tenir compte de cette spécificité, Day étend le cadre d’analyse fondé sur les modèles d’utilité aléatoire souvent appliqué aux activités récréatives pour prédire qu’un individu choisira de visiter un site plutôt que les autres s’il en tire une plus grande utilité (ou un plus grand bien-être). Ces modèles permettent donc parfaitement d’expliquer le choix d’un visiteur par les qualités des différents sites (telles que l’abondance et la diversité de la faune et de la flore) ainsi que par les coûts qui doivent être supportés pour s’y rendre. Day étend égalementce cadre d’analyse de façon à pouvoir tenir compte des choix du visiteur concernant son hébergement et la durée de son séjour sur place.
Les données utilisées dans cette étude sont basées sur un échantillon (aléatoire) de 1 000 personnes ayant visité l’une au moins de ces quatre réserves. Pour chacun de ces visiteurs, elles fournissent par exemple des informations sur la durée du séjour, sur le nombre de personnes participant au voyage et sur le coût total de la visite pour chaque ménage. Il convient de noter que cette étude n’avait pas besoin de s’appuyer sur des enquêtes sur place portant par exemple sur les coûts totaux de déplacement supportés par les visiteurs ou sur leurs caractéristiques démographiques et socioéconomiques. La distance « de porte à porte » parcourue par les différents visiteurs était en effet calculée par l’auteur sur la base des renseignements recueillis au sujet de leur adresse en ayant recours à des systèmes d’information géographique (SIG) pour en déterminer l’éloignement. Seuls les visiteurs habitant en Afrique du Sud étaient retenus dans l’échantillon, afin de réduire au minimum le problème des déplacements à des fins multiples.
L’étude de Day présente une particularité intéressante : elle détermine la valeur monétaire d’une heure de déplacement par rapport à celle d’une heure passée sur place. Day démontre de façon assez convaincante que la valeur attachée à une heure de déplacement est probablement inférieure à celle d’une heure passée sur place dans la réserve. Il fait en outre valoir que la valeur attribuée à une heure de déplacement est certainement supérieure à celle conférée au temps en général du fait qu’une importante désutilité pourrait être associée à la durée des trajets. Autrement dit, les individus apprécient beaucoup moins le temps nécessaire aux trajets que celui qu’ils consacrent à la plupart des autres activités, si bien que les déplacements ont un coût d’opportunité élevé. En revanche, la valeur attachée à une heure passée sur place dans la réserve sera probablement moindre que celle accordée au temps en général puisqu’une importante utilité pourrait être associée à la durée du séjour sur place. Day parvient à la conclusion que la valeur du temps exprimée en pourcentage du taux de salaire du ménage s’élève à 150 % dans le cas des heures nécessaires aux déplacements et à 34 % pour ce qui est de celles passées sur place. Ce dernier chiffre paraît certescadrer avec les constatations des travaux précédemment publiés (voir ci-dessus), mais le premier est un peu plus élevé que ne le supposaient habituellement les analystes ayant recours à la méthode des coûts de déplacement.
Day s’appuie sur les données recueillies au sujet des coûts, de la durée du déplacement et du choix de l’hébergement, ainsi que des autres caractéristiques du voyage pour procéder à une analyse statistique complexe des facteurs qui déterminent la décision de se rendre dans une réserve plutôt que dans une autre (à l’aide d’un modèle logit imbriqué). En définitive, les résultats de cette analyse détaillée pourraient permettre de tirer des informations utiles aux pouvoirs publics concernant les avantages offerts par les réserves. Day calcule ainsi la somme d’argent qui devrait être versée aux ménages sud-africains qui subiraient les conséquences de la fermeture (hypothétique) de l’une de ces réserves pour les dédommager pleinement de la perte de cette aménité récréative. Étant donné que seuls les visiteurs sud-africains étaient pris en considération dans l’analyse, ces estimations ne tiennent pas compte des pertes de bien-être entraînées par la diminution du nombre de visiteurs venus de l’étranger. Le Tableau 3.3 offre une vue d’ensemble des résultats.
Tableau 3.3. Valeurs par voyage des réserves cynégétiques du KwaZulu-Natal
1994/95
Réserve cynégétique |
Perte moyenne de bien-être par déplacement (USD) |
Perte annuelle totale de bien-être (USD) |
---|---|---|
Hluhluwe |
49.7 |
473 884 |
Umfolozi |
30.5 |
290 448 |
Itala |
20.4 |
194 169 |
Mkuzi |
18.7 |
178 026 |
Hluhluwe et Umfolozi |
105.6 |
1 006 208 |
Source : Day (2002).
En quoi ces données sont-elles importantes ? Day affirme qu’une des réponses à cette question tient au fait que des pressions croissantes s’exercent sur le KNPB afin qu’il justifie les considérables crédits publics dont il bénéficie. Démontrer la valeur monétaire des avantages récréatifs qu’il procure pourrait être pour cet organisme un moyen essentiel de plaider sa cause en vue d’obtenir des crédits publics. Les chiffres indiqués au Tableau 3.3 (colonne 2) correspondent donc à la valeur des avantages par voyage attribuables à l’actuel régime de gestion de chacune des réserves. On peut tout aussi bien considérer qu’ils représentent la valeur monétaire de la perte de bien-être ou de satisfaction par voyage qui surviendrait si la réserve devait fermer « demain ».
La colonne 3 du Tableau 3.3indique la perte annuelle totale de bien-être pour chacune des réserves, c’est-à-dire la valeur des avantages par voyage multipliée par le nombre de voyages par année qui n’auraient plus lieu si la réserve venait à fermer. Cette colonne fournit de fait aux décideurs un moyen d’estimer la valeur approximative en dollars des avantages récréatifs (non marchands) générés par les dépenses publiques dans chacune des réserves. Enfin, il est intéressant de noter que la dernière ligne du Tableau 3.3montre que si les réserves de Hluhluwe et Umfolozi (qui sont les plus appréciées) devaient fermer toutes deux, la perte globale de bien-être serait plus élevée (que la somme des valeurs correspondant à chacune de ces réserves, respectivement indiquées à la colonne 3, aux lignes 2 et 3). Le fait que ces deux réserves soient très proches l’une de l’autre en est une explication intuitive. La fermeture de l’une ou l’autre se traduirait probablement par un transfert des visites de bien des ménages au profit de celle qui demeurerait ouverte. Cependant, si ni l’un ni l’autre de ces sites ne devaient plus être accessibles aux visiteurs, la perte subie par les ménages serait alors incomparablement plus grande puisqu’ils ne pourraient se reporter sur aucun substitut.
L’application du modèle d’utilité aléatoire exige de grandes quantités de données, notamment sur le choix des sites par les individus, leur lieu de résidence, leurs caractéristiques socioéconomiques et démographiques, la fréquence de leurs visites du site considéré et d’autres sites similaires, ainsi que des informations sur les coûts de déplacement. Ces données peuvent être recueillies au moyen d’enquêtes réalisées au sein même du site ou à l’extérieur de celui-ci. Il faut également disposer de données sur les caractéristiques des différents sites récréatifs considérés, ainsi que sur leur qualité. Elles peuvent être tirées de séries de données objectives (telles que des mesures de la qualité de l’eau) ou être fondées sur le jugement subjectif sur leur qualité porté par les visiteurs.
Le MUA s’attache à modéliser la probabilité de visiter un site donné en fonction des caractéristiques de l’ensemble des sites susceptibles d’être visités. Le modèle estimé tient compte des caractéristiques socioéconomiques des visiteurs, des coûts de déplacement et de la durée du trajet, ainsi que des caractéristiques qualitatives des sites, pour évaluer les avantages tirés d’une visite à des fins récréatives. La valeur d’une variation de la qualité environnementale est alors estimée en établissant un lien entre le coefficient de qualité environnementale du modèle estimé et le coût d’une visite, calculé d’après la méthode des coûts de déplacement.
3.3.3. Limites
L’application de la méthode des coûts de déplacement se limite à l’estimation des valeurs d’usage récréatif, et elle exige par ailleurs la disponibilité de grandes quantités de données sur les activités récréatives, et notamment une analyse approfondie à l’aide des SIG des données relatives aux coûts de déplacement et des caractéristiques des différents sites (dans le cas des études ayant recours au modèle d’utilité aléatoire).
Certaines des limites de la méthode des coûts de déplacement appliquée à un seul site, telles que l’absence de prise en compte des sites de substitution, peuvent être surmontées grâce au modèle d’utilité aléatoire, qui en est une variante. Il n’en subsiste pas moins un problème, celui des déplacements à des fins multiples (Parsons, 2017). De nombreux voyages d’agrément répondent en effet à plus d’une motivation. La méthode standard des coûts de déplacement ne peut ainsi être aisément appliquée aux déplacements des touristes internationaux, car ceux-ci visitent généralement plus d’une destination. Une solution à ce problème a consisté à demander aux visiteurs (dans le cadre d’une enquête réalisée sur place) d’estimer quelle est la part de la satisfaction globale tirée de leur voyage qui leur paraît imputable à la visite du site récréatif considéré. Les coûts totaux de déplacement imposés par l’ensemble du voyage sont alors multipliés par ce taux en vue d’évaluer les coûts de déplacement jusqu’au site récréatif en question.
D’autres problèmes tiennent notamment à l’estimation de la valeur du temps de déplacement, car souvent les résultats sont très sensibles aux hypothèses formulées. Comme précédemment indiqué, les analystes ayant recours à la méthode des coûts de déplacement doivent formuler des hypothèses quant à la manière dont les visiteurs auraient consacré leur temps à d’autres activités accroissant leur bien-être s’ils n’avaient pas effectué ce déplacement à des fins récréatives. Il s’agit pour une large part d’hypothèses au cas par cas généralement basées sur une fraction du salaire horaire qu’il est difficile de valider par des études empiriques. Les détracteurs de l’approche de la valeur du temps fondée sur le salaire font par ailleurs remarquer qu’il n’y aurait guère de sens à supposer que, dans le cas des personnes qui ne perçoivent aucun salaire (comme les étudiants ou les personnes au foyer), l’utilité marginale du temps puisse être égale à zéro (Czajkowski et al., 2015).
3.3.4. Évolutions récentes
Comme dans le cas de la méthode des prix hédonistes examinée ci-dessus, bon nombre des innovations intervenues dans la modélisation de la demande récréative ont concerné les méthodes d’analyse économétrique utilisées. Les modèles de choix discrets ont en particulier connu une véritable révolution au cours des dernières années, du fait de la complexité toujours croissante des techniques d’estimation. Parmi les exemples de telles évolutions figurent les nouvelles approches adoptées pour tenir compte de l’hétérogénéité non observée (par exemple à l’aide de modèles logit mixtes et de modèles à structure latente), les variables instrumentales, les modèles permettant de gérer l’échantillonnage sur place et le traitement des solutions contraintes (Phaneuf et Smith, 2005 ; Parsons, 2017). Par ailleurs, les modèles d’estimation des valeurs récréatives pourraient également tirer profit des plans d’expérience quasi aléatoires modernes aux fins d’évaluation des réorientations des politiques et des pratiques de gestion mises en œuvre au sein des sites récréatifs (Phaneuf et Smith, 2017).
Dans le même temps, certains ont tenté d’intégrer les modèles des coûts de déplacement avec les données obtenues par la méthode des préférences déclarées (Adamowicz et al., 1994 ; Englin et Cameron, 1996 ; Whitehead et al., 2000 ; Landry et Liu, 2011). L’avantage de cette approche combinée tient à sa capacité de mesurer des variations de la qualité des sites récréatifs qui ne se sont pas encore produites. La plupart des efforts se sont concentrés sur les modèles des coûts de déplacement pour un seul site, associés à l’évaluation contingente ou à des questions sur les comportements contingents. Par exemple, Corrigan et al. (2007) ont associé un modèle des coûts de déplacement pour un seul site à une question sur le comportement contingent en vue d’estimer la valeur d’une amélioration de la qualité de l’eau à Clear Lake dans l’Iowa (États-Unis). Les ménages participant à l’enquête étaient non seulement interrogés sur le nombre de visites qu’ils avaient effectuées au cours de l’année écoulée, mais aussi sur celui des déplacements qu’ils auraient effectués si la qualité de l’eau du lac avait été meilleure, selon un scénario contingent décrit dans l’enquête. L’adjonction d’une question relative à un comportement contingent a permis d’estimer les valeurs du consentement à payer pour divers degrésd’amélioration de la qualité de l’eau du lac. La valeur moyenne des améliorations de la qualité de l’eau à Clear Lake était estimée à environ 140 USD par ménage et par an pour une petite amélioration et à 350 USD par ménage et par an pour une forte amélioration. L’analyse de l’ensemble combiné de données implique de manière générale un empilement des données issues de deux sources différentes et l’estimation d’un modèle simple utilisant les deux types d’observations.
Pour finir, le traitement du coût d’opportunité des temps de trajet dans les modèles des coûts de déplacement est un domaine où sont désormais menées des recherches actives pour tenter de surmonter les limites imposées par l’hypothèse couramment formulée que la valeur du temps est fonction des taux de salaire (Czajkowski et al., 2015). Plusieurs auteurs ont eu recours aux méthodes des préférences déclarées pour déterminer la valeur attribuée au temps (Álvarez-Farizo, Hanley et Barberán, 2001 ; Ovaskainen, Neuvonen et Pouta, 2012 ; Czajkowski et al., 2015). Álvarez-Farizo et al. (2001) ont constaté une importante variation des valeurs attachées au temps de loisir. D’autres ont concentré leurs efforts sur l’estimation de la valeur du temps consacré aux déplacements par la méthode des préférences révélées. Par exemple, pour déterminer la valeur du temps, Fezzi, Bateman et Ferrini (2014) se sont appuyés sur une expérience naturelle dans le cadre de laquelle les personnes avaient à choisir entre emprunter une route à péage, plus rapide, ou ne pas avoir à payer de péage et mettre plus de temps à arriver jusqu’au site récréatif. En dernier lieu, Larson et Lew (2014) ont proposé un système d’équations conjointes travail-loisirs pour rendre compte du fait que la demande de temps est variable, selon que les individus peuvent librement substituer leurs heures de travail par des moments de loisir ou qu’ils sont tenus de respecter des horaires de travailfixes.
3.4. Méthodes fondées sur les comportements de prévention et sur les dépenses de protection
Les méthodes fondées sur les comportements de prévention partent principalement du principe que les individus et les ménages peuvent se prémunir contre une nuisance non marchande en adoptant des types de comportements plus coûteux (Dickie, 2017). Ces comportements pourraient ainsi être plus coûteux en temps ou du fait qu’ils imposent des restrictions aux activités auxquelles l’individu aurait sinon souhaité se consacrer. Il est par ailleurs possible que les individus puissent se soustraire à des nuisances non marchandes grâce à l’achat d’un bien marchand. Ces dépenses monétaires sont appelées « dépenses de protection ». La valeur de chacun de ces achats constitue le prix implicite du bien ou de la nuisance de nature non marchande en question.
Ces méthodes d’évaluation des biens et nuisances de nature non marchande peuvent être illustrées par de nombreux exemples. Garrod et Willis (1999) citent celui des ménages qui installent des fenêtres à double vitrage pour réduire leur exposition au bruit de la circulation automobile. Les fenêtres à double vitrage constituent pour l’essentiel un bien marchand qui représente en l’occurrence un substitut d’un bien non marchand (le calme et la quiétude définis par l’absence de bruit de la circulation automobile). Si l’intensité des nuisances sonores diminue pour d’autres raisons – par exemple à la suite de la mise en œuvre par les autorités locales de mesures visant à modérer la circulation –, les ménages effectueront moins de dépenses de protection de ce type. Les variations des dépenses consacrées à l’achat de ce bien de substitution fournissent une bonne indication de la valeur accordée par les ménages aux politiques de modération de la circulation ayant pour effet de diminuer la pollution acoustique (qui représente une nuisance) et d’accroître d’autant le calme et la quiétude (qui constituent un bien). On pourrait citer bien d’autres exemples, comme en témoigne le tour d’horizon réalisé par Dickie (2017), et la majeure partie d’entre eux correspondent à des applications visant à estimer la valeur d’une réduction de la mortalité et de la morbidité. Provins (2011) passe en revue des applications empiriques récentes de la méthodedes dépenses de protection pour évaluer les impacts sur la santé des services d’eau, en mettant plus particulièrement l’accent sur la qualité de l’eau potable. L’Encadré 3.5 décrit brièvement une application bien connue aux casques de vélo et à la sécurité des enfants (Jenkins, Owens et Wiggins, 2001).
Encadré 3.5. Achats de casques de vélo et valeur de la sécurité des enfants
Les mesures permettant de réduire les risques pour la santé des enfants et la manière dont les avantages correspondants devraient être traités dans le cadre d’une analyse coûts-avantages suscitent un intérêt croissant de la part des responsables de l’action publique (voir Chapitre 15). Une étude de Jenkins, Owens et Wiggins (2001) fournit un exemple simple, mais intéressant d’application à cette question d’une approche reposant sur les préférences révélées – la méthode des dépenses de protection, en l’occurrence. Les auteurs font valoir que rien ne permet de supposer que des valeurs tirées d’un contexte correspondant aux risques de mortalité pour des adultes puissent donner une idée approximative de la valeur d’une réduction des risques de mortalité pour des enfants. D’une part, il reste (en moyenne) davantage d’années à vivre aux enfants qu’à l’adulte « standard » pris en considération dans ces études. Il est en outre vraisemblable que la société accorde une plus grande importance à la sécurité des enfants, et plus particulièrement à celle des plus jeunes d’entre eux. D’autre part, les enfants ne sont pas encore économiquement productifs ni ne le seront dans un avenir proche. Autrement dit, Jenkins, Owens et Wiggins avancent qu’il y a, pour diverses raisons, tout lieu de penser que la valeur que la société attacherait à un certain risque de mortalité auquelserait exposé un enfant différera (peut-être en termes de compensation) de celle qu’un adulte accorderait à son propre risque de décès.
Jenkins, Owens et Wiggins (2001) examinent le cas de l’achat de produits de sécurité spécifiquement destinés aux enfants. Les auteurs se penchent plus particulièrement sur le marché des casques de vélo aux États-Unis. Cet équipement réduit en effet de manière significative le risque de décès à la suite d’une blessure à la tête de ceux qui en sont porteurs. Il présente, avancent-ils, un certain nombre de caractéristiques qui en font un bon indicateur du prix implicite de la sécurité d’un individu. Par exemple, seul en tire avantage celui qui le porte (contrairement à d’autres dépenses de protection telles que l’achat de détecteurs de fumée, qui profitent à tous les habitants d’un logement). Cette spécificité s’avère utile s’il s’agit de déterminer la valeur d’une réduction des risques individuels (et non de ceux auxquels sont exposés tous les membres d’un même ménage). Les auteurs font en outre valoir que les casques de vélo ne sont pas à l’origine d’un aussi grand nombre de coproduits que les autres dispositifs de protection (tels que les systèmes de climatisation ou les fenêtres à double vitrage). Il ne faut pas pour autant conclure à l’absence de toute difficulté. Par exemple, un casque de vélo ne protège pas seulement son porteur contre le risque de blessures à la tête mortelles : il réduit également, à l’évidence, les risques de blessures non fatales.
L’utilisation dans cette étude du coût des casques de vélo comme indicateur de la valeur d’une réduction du risque de blessure mortelle repose sur l’hypothèse qu’un consommateur achète un casque lorsqu’il attache à la réduction du risque une valeur supérieure au coût (net) du produit. Naturellement, dans le cas de l’achat du casque d’un enfant, c’est en règle générale le parent qui est l’acheteur et donc le décideur. En d’autres termes, Jenkins et ses collègues se sont efforcés d’évaluer les préférences révélées des parents concernant la sécurité de leurs enfants. Pour reformuler la justification logique de cette approche dans ce contexte, un parent achète un casque quand il considère que la valeur d’une réduction des risques courus par son enfant est plus élevée que le coût (net) du produit. Les auteurs s’appuient sur ce raisonnement pour estimer la valeur (implicite) d’une vie statistique pour un enfant « standard » circulant à vélo équipé d’un casque. Celle-ci est définie comme le coût (annualisé) du casque divisé par la variation du risque de décès liée à l’achat du casque.
L’étude de Jenkins et al. a estimé que la valeur d’une vie statistique pour les enfants âgés de 5 à 9 ans était aux États-Unis d’environ 2.9 millions USD en 1997. Le calcul sous-jacent est le suivant. Premièrement, il est admis que le coût annualisé d’un casque est d’environ 6.50 USD. Deuxièmement, les auteurs calculent que, pour cette catégorie d’âge, le port d’un casque de vélo la plupart du temps (mais pas en permanence) entraîne (à l’échelle nationale) une diminution d’environ 32 unités du nombre de décès. Étant donné que la population de 5 à 9 ans faisant du vélo était constituée d’environ 14.3 millions d’enfants en 1997, il s’ensuit une réduction du risque annuel de décès égale à 0.0000024, soit 32/14.3 millions (ou encore 1 sur 446 875). La valeur d’une vie statistique pour un enfant « standard » de 5 à 9 ans auquel les parents ont acheté un casque de vélo est calculée selon la formule 6.50 USD/0.0000024, ce qui donne 2.9 millions USD. Il convient de noter que ce calcul part du principe que ce bien n’offre qu’un seul avantage : la réduction du nombre de blessures à la tête mortelles. En réalité, le port d’un casque réduira également le nombre de blessures à la têtenon fatales. Les auteurs surmontent ce problème en supposant arbitrairement que le désir de réduire le risque pour un enfant d’être victime d’une blessure mortelle contribue pour moitié à la décision d’achat d’un casque. Il faut donc multiplier 2.9 millions USD par 0.5 pour obtenir une estimation plus prudente de la valeur de la vie statistique, soit 1.5 million USD (933 000 GBP aux prix de 2001).
Bien que la logique d’ensemble de cette approche soit bien fondée, elle suppose que les parents qui achètent des casques à leurs enfants sont extrêmement bien informés des risques auxquels ceux-ci sont exposés lorsqu’ils font du vélo, et qu’ils sont incités à acheter des biens marchands qui n’assurent que des réductions des risques en apparence mineures. On pourrait faire valoir qu’en réalité les parents considèrent la somme de 6.50 USD par an comme un bien petit prix à payer pour assurer une diminution, si minime soit-elle, du risque auquel sont exposés leurs enfants. D’autre part, on ne peut considérer que la somme de 933 000 GBP constitue un chiffre élevé pour la valeur d’une vie statistique si on la compare aux estimations obtenues par d’autres méthodes d’évaluation marchande ou non marchande. C’est là l’occasion de rappeler que, par leurs achats, les parents indiquent une valeur d’une vie statistique (pour leur enfant) au moins égale à cette somme, mais que dans la pratique leur évaluation maximale pourrait être bien plus élevée. Autrement dit, la méthode des dépenses de protection permet d’obtenir des estimations basses de la valeur du bien non marchand en question.
Les exemples de dépenses de protection concernent principalement l’achat de biens marchands en guise de substituts de ceux de nature non marchande. Les individus pourraient cependant modifier leurs comportements d’une façon moins évidente, mais ayant un coût, en vue d’éviter un impact négatif sur leur bien-être. Freeman et al. (2014) donnent l’exemple d’un individu qui resterait plus longtemps à l’intérieur pour éviter de s’exposer à la pollution de l’air extérieur. Dans ce cas, le temps passé à se protéger d’une nuisance non marchande (c’est-à-dire d’éventuelles retombées négatives sur la santé telles que des crises d’asthme ou des accès de toux et d’éternuement) ne peut généralement être observé, outre que le bien de substitution (à savoir les heures qui auraient pu être consacrées à d’autres activités plus productives) est lui-même de nature non marchande. Néanmoins, le coût des comportements de protection consistant à rester à l’intérieur pourrait être évalué en interrogeant directement les individus sur leur emploi du temps. Le temps possède de surcroît un équivalent marchand sous la forme des salaires qui auraient été versés à l’individu s’il avait consacré au travail les heures passées à l’intérieur (voir plus haut l’examen de la valeur du temps dans la section consacrée à la méthode des coûtsde déplacement). L’Encadré 3.6 présente un exemple d’application de cette méthode au cas des comportements de prévention visant à réduire les risques sanitaires liés à la pollution atmosphérique (Bresnahan, Dickie et Gerking, 1997).
Encadré 3.6. Comportements de prévention et qualité de l’air à Los Angeles
Bresnahan, Dickie et Gerking (1997) examinent les comportements adoptés et les variations des risques pour la santé. Ces derniers résultent en particulier de l’exposition aux concentrations d’ozone troposphérique, qui résulte de la transformation de certains polluants émis par la production d’énergie et les véhicules à moteur sous l’effet du rayonnement solaire. Un certain nombre d’études épidémiologiques et médicales font notamment état de problèmes de santé aigus à la suite de pics de concentration d’ozone. Les auteurs notent en outre que le fait de passer moins de temps à l’extérieur les jours de mauvaise qualité de l’air – par exemple ceux où les concentrations d’ozone dépassent les seuils recommandés – peut effectivement diminuer l’exposition de certains groupes à risque à cette forme de pollution. Leur étude vise à évaluer dans quelle mesure les membres de ces groupes à risque qui résident dans la région de Los Angeles adoptent réellement des comportements de prévention ou procèdent de fait à des dépenses de protection.
Les données utilisées provenaient d’enquêtes réitérées auprès d’un échantillon d’habitants (non-fumeurs) de Los Angeles demeurant dans des zones caractérisées par des concentrations relativement élevées de polluants atmosphériques locaux. L’échantillon comprenait en outre une forte proportion d’individus souffrant d’une altération de leurs fonctions respiratoires. Les personnes interrogées devaient répondre à une série de questions concernant par exemple leur état de santé, leurs achats de biens durables susceptibles de réduire leur exposition à l’ozone à l’intérieur de leur logement, leur comportement à l’extérieur en général et en particulier les jours de mauvaise qualité de l’air.
L’étude de Bresnahan, Dickie et Gerking parvenait à la conclusion que les deux tiers de leur échantillon déclaraient modifier sensiblement leur comportement les jours de mauvaise qualité de l’air. Par exemple, 40 % des personnes interrogées déclaraient adapter leurs activités de loisir ou rester à l’intérieur ces jours-là, et 20 % d’entre elles affirmaient utiliser davantage les appareils de climatisation de leur logement. Les personnes interrogées qui souffraient de symptômes (aigus) liés à la pollution atmosphérique avaient en outre tendance à passer moins de temps à l’extérieur les jours de mauvaise qualité de l’air. Enfin, les auteurs ont relevé un certain nombre d’éléments paraissant indiquer que les comportements de prévention augmentent proportionnellement aux coûts médicaux qui auraient été supportés si la personne interrogée était tombée malade.
Pour résumer, cette étude fait apparaître que les jours de mauvaise qualité de l’air induisent une modification sensible des comportements (bien que cette constatation ne tienne pas compte des décisions à titre définitif de passer son temps libre à l’intérieur quelle que soit la qualité de l’air certains jours). On peut raisonnablement supposer que ces changements de comportement imposent des coûts économiques non négligeables aux personnes interrogées. Ces coûts peuvent par exemple résulter de l’achat et de l’utilisation d’appareils de climatisation équipés d’un purificateur d’air ou découler de la gêne entraînée par la nécessité de rester chez soi. Bresnahan et al. ne tentent toutefois pas d’en estimer la valeur monétaire. Comme le font remarquer Dickie et Gerking (2002), ce ne serait pas nécessairement là une tâche aisée. Par exemple, comme cela a déjà été indiqué, le temps passé à l’intérieur pour éviter de s’exposer à la pollution atmosphérique n’est pas obligatoirement gaspillé. Autant dire qu’aucune méthode simple ne permet d’en estimer la valeur pour un individu qui déciderait de consacrer à des loisirs d’intérieur le temps qu’il aurait autrement voué à des activités récréatives de plein air.
Sur le plan de l’action, le fait que les individus puissent prendre des mesures concrètes pour réduire au minimum leur exposition aux risques environnementaux et/ou procéder à des dépenses de protection aura une incidence sur le degré d’exactitude des mesures des effets physiques de ces risques environnementaux. La prise en considération de ces réponses comportementales est donc essentielle pour mesurer avec précision l’effet des variations des risques environnementaux et fournir des informations exactes sur les avantages économiques de la lutte contre la pollution. Ne pas en tenir compte pourrait entraîner d’importants biais d’évaluation, c’est-à-dire une sous-estimation des dommages physiques provoqués par une augmentation des facteurs de risques environnementaux (Neidell, 2009 ; Dickie, 2017).
3.4.1. Limites
L’application concrète des méthodes d’évaluation des biens non marchands fondées sur les comportements de prévention et les dépenses de protection suscite un certain nombre de difficultés. Dickie (2017) avance que les difficultés auxquelles doit faire face cette méthode expliquent pourquoi elle a un impact plus limité sur l’analyse des mesures concrètes prises par les pouvoirs publics que les autres méthodes des préférences révélées examinées dans le présent chapitre.
Quatre problèmes méritent plus particulièrement d’être mentionnés ici. Premièrement, les dépenses de protection ne représentent d’ordinaire qu’une estimation partielle ou minimale de la valeur de l’impact que la nuisance non marchande exerce sur le bien-être. Les fenêtres à double vitrage peuvent certes assurer une plus grande tranquillité à l’intérieur des logements, mais l’intensité du bruit de la circulation automobile restera inchangée dans les jardins, si bien que les propriétaires ne pourront malgré tout éviter la totalité des coûts imposés par ces nuisances sonores. Par ailleurs, le consentement à payer des ménages pour bénéficier d’une plus grande tranquillité pourrait être supérieur aux seuls coûts du double vitrage.
Deuxièmement, beaucoup de comportements de prévention et de dépenses de protection engendrent des coproduits. Par exemple, le temps passé à l’intérieur pour se protéger de la pollution atmosphérique n’est pas nécessairement gaspillé. D’autres activités productives ayant une valeur peuvent en effet être menées à bien en parallèle : réalisation de tâches ménagères, loisirs d’intérieur, travail à domicile, etc. Des coproduits sont également générés dans le cas des fenêtres à double vitrage, par exemple sous la forme d’économies d’énergie. C’est le coût net de ces dépenses ou de ces comportements – après prise en compte de la valeur des activités auxquelles les individus pourraient simultanément s’adonner, ou encore de celle des économies d’énergie – qu’il convient de prendre pour indicateur de la valeur de la réduction de la nuisance non marchande ainsi rendue possible. Il pourrait néanmoins s’avérer malaisé dans la pratique de déterminer le facteur à l’origine du comportement considéré, tout comme le coût des divers éléments.
Troisièmement, il n’est pas facile d’attribuer une valeur monétaire aux changements comportementaux liés aux mesures de protection. Dickie (2017) cite l’exemple du maintien d’un enfant à l’intérieur pour éviter de l’exposer à la pollution de l’air extérieur. Le coût monétaire du maintien d’un enfant à l’intérieur plutôt qu’à l’extérieur n’est pas facile à estimer, surtout que la méthode d’estimation de la valeur du temps fondée sur le salaire ne peut être appliquée aux enfants.
Enfin, l’identification causale des effets de la nuisance et du comportement de prévention sur le résultat considéré peut s’avérer difficile, compte tenu de l’existence de facteurs non observés liés au comportement aussi bien qu’au résultat (Dickie, 2017). Reprenons l’exemple des risques pour la santé et du comportement de prévention dans le cadre duquel les enfants sont maintenus à l’intérieur pour éviter leur exposition à la pollution de l’air extérieur. Certains enfants seront de santé plus fragile et seront plus vulnérables à la pollution atmosphérique, et ils pourraient donc rester plus souvent à l’intérieur. En présence d’effets non observés (c’est-à-dire d’une variable omise, comme l’hétérogénéité de la résistance naturelle des enfants à la maladie) liés aux résultats sur le plan de la santé et au comportement de prévention, l’incidence sanitaire de la pollution et celle du comportement de prévention sont toutes deux mal mesurées du fait de l’endogénéité. Le problème de l’identification causale des effets de la nuisance et du comportement de prévention sur le résultat considéré constitue l’un des principaux défis auxquels est confrontée l’approche fondée sur les comportements de prévention.
3.4.2. Évolutions récentes
Comme pour les autres méthodes des préférences révélées examinées dans le présent chapitre, d’importantes avancées économétriques présentant un intérêt pour l’approche fondée sur les comportements de prévention se sont produites. Des progrès ont en particulier été enregistrés ces dernières années en ce qui concerne les stratégies d’identification causale. Conjuguées à la disponibilité croissante de séries de données complètes et détaillées, notamment en matière de santé et de pollution (voir par exemple Deschênes et Greenstone, 2011, ou encore Ziving et al., 2011), ces évolutions devraient permettre d’obtenir des estimations plus précises et d’accroître ce faisant le rôle joué par les méthodes fondées sur les comportements de prévention dans l’analyse des politiques mises en œuvre.
Il existe bon nombre d’exemples du recours aux méthodes économétriques pour remédier au problème de l’identification. Par exemple, Neidell (2009) étudie la réponse comportementale à la fourniture d’informations sur les risques d’asthme liés à l’exposition à l’ozone en Californie du Sud. Une approche par discontinuité de la régression est utilisée pour identifier l’effet des informations fournies par les alertes au smog en tirant parti de la règle de sélection déterministe utilisée pour émettre les alertes. L’auteur constate que les alertes au smog réduisent sensiblement le nombre quotidien de visiteurs de deux grands sites de plein air : le zoo de Los Angeles et l’observatoire du parc Griffith. Aussi Neidell s’appuie-t-il sur des modèles de régression des séries chronologiques quotidiennes, qui incluent des effets fixes spatiaux et temporels, pour étudier l’incidence de l’ozone sur les hospitalisations liées à l’asthme. Il constate que les estimations de l’incidence de l’ozone sur le nombre d’admissions à l’hôpital d’enfants et de personnes âgées qui prennent en considération les effets de l’information sont sensiblement plus élevées que celles qui n’en tiennent pas compte (d’environ 160 % pour les enfants et de 40 % pour les personnes âgées). L’auteur en conclut que cette absence de prise en compte des mesures non négligeables que peuvent prendre les individus pour réduire leurexposition à la pollution atmosphérique lorsqu’ils bénéficient d’une bonne information, dont par exemple une diminution du temps passé à l’extérieur, aura pour effet de fausser les estimations des dommages dus à la pollution atmosphérique.
Deschênes et Greenstone (2011) ont estimé l’incidence du changement climatique sur la mortalité, ainsi que les effets des dépenses de protection contre les impacts du changement climatique. La consommation d’énergie (liée à la climatisation, utilisée pour se protéger des températures élevées) leur sert d’indicateur de l’autoprotection. L’analyse tire parti d’une vaste série de données exhaustives sur la mortalité, la consommation d’énergie, la météorologie et les prévisions de changement climatique pour l’ensemble des États-Unis continentaux. La stratégie d’identification mise en œuvre pour remédier à l’éventuel biais imputable aux variables omises s’appuie sur la variation annuelle aléatoire des températures à l’échelle locale, et les modèles statistiques utilisés incluent des effets fixes par comté ou par État et par année pour tenir compte des différences non observées en matière de santé qui affectent les diverses régions du pays, par un effet de sélection. Les auteurs observent des relations statistiquement significatives entre la mortalité et les températures quotidiennes, les jours extrêmement froids ou chauds étant associés à des taux de mortalité élevés. L’effet est toutefois plus faible que l’on aurait pu le penser compte tenu des vagues de chaleur précédentes. Deschênes et Greenstone constatent également une hétérogénéité non négligeabledans les réponses comportementales aux températures extrêmes dans les différentes régions du pays. Ils parviennent à la conclusion que les relations plus faibles que prévu entre la mortalité et la température sont au moins en partie dues à l’autoprotection assurée par les comportements individuels de prévention (sous forme de climatisation), comme le met en évidence l’augmentation de la consommation d’énergie.
Pour finir, un certain nombre d’auteurs ont commencé à combiner les méthodes des dépenses de prévention ou des comportements de protection avec celles fondées sur les préférences déclarées (par exemple Rosado et al., 2006), et/ou avec des données relatives aux attitudes ou aux perceptions obtenues au moyen de questionnaires d’enquête. À titre d’exemple de ce dernier cas de figure, Lanz (2015) étudie les dépenses de prévention destinées à remédier à la dureté de l’eau du robinet et à préserver ses qualités gustatives et olfactives. Les dépenses de prévention correspondent à l’achat d’adoucisseurs d’eau, d’eau en bouteille, de dispositifs de filtration de l’eau, ou encore de boissons aux fruits ou de sirops aromatisés ajoutés à l’eau avant de la boire. Au moyen d’une enquête, il constate que 39 % des personnes interrogées font état d’au moins un comportement de ce type, la dépense annuelle moyenne s’élevant à environ 92 GBP (une somme non négligeable si on la compare à la facture annuelle moyenne de 186 GBP acquittée par les ménages pour les services d’eau). Lanz fait valoir que c’est l’incapacité ressentie (et pas nécessairement réelle) à assurer la qualité de l’eau souhaitée qui détermine ces dépenses de prévention. La non-prise en compte de l’effet duressenti des individus risque donc de biaiser les estimations. Pour éviter cet écueil, il fournit des informations sur la qualité de l’eau objective et subjective (cette dernière étant établie grâce à l’enquête). Des facteurs non observés pourraient exercer une influence sur le comportement de prévention et sur la perception de la qualité de l’eau, et biaiser ce faisant l’estimation du CAP marginal. Pour surmonter cette éventuelle endogénéité, Lanz modélise la relation entre la qualité objective et subjective de l’eau dans une première étape de la régression, puis il introduit la qualité subjective instrumentée dans la fonction d’évaluation. Les résultats confirment que la qualité subjective de l’eau est endogène, et que les estimations correspondantes du CAP marginal sont biaisées à la baisse ; instrumenter la qualité subjective par la qualité objective permet d’obtenir des estimations du CAP marginal environ deux fois supérieures pour la dureté de l’eau et trois fois plus élevées pour la qualité esthétique.
3.5. Conclusion
Les économistes ont mis au point une série de méthodes pour estimer la valeur économique des impacts immatériels ou non marchands. Celles examinées dans ce chapitre ont toutes en commun de s’appuyer sur les informations fournies par les marchés et sur les comportements observés sur ceux-ci pour estimer la valeur économique d’un impact connexe de nature non marchande.
Chacune de ces méthodes repose sur des bases théoriques qui lui sont propres. Celle des prix hédonistes tire parti du fait que certains biens marchands sont en réalité constitués d’une multiplicité de caractéristiques qui représentent pour une partie d’entre elles des biens (ou des nuisances) de nature immatérielle. Les transactions dont font l’objet ces biens marchands permettent par conséquent aux consommateurs d’exprimer la valeur qu’ils attachent aux biens immatériels, laquelle peut en outre être déterminée à l’aide de techniques statistiques. Ce processus risque toutefois d’être compromis du fait qu’un bien marchand peut posséder plusieurs caractéristiques immatérielles, qui peuvent s’avérer colinéaires par surcroît. Il peut également être difficile de mesurer les caractéristiques immatérielles de façon satisfaisante. Par ailleurs, le risque que certaines variables soient omises et que la spécification de la fonction des prix hédonistes soit par conséquent erronée constitue un sujet de préoccupation constant.
Les méthodes fondées sur les coûts de déplacement et sur l’utilité aléatoire tirent parti de la complémentarité qui peut exister entre les biens et services marchands et ceux de nature immatérielle, l’achat des premiers étant indispensable pour bénéficier des seconds. Il faut ainsi supporter des coûts en temps et en argent pour se rendre sur les sites récréatifs. Ces coûts donnent dès lors une indication de la valeur accordée à cette expérience récréative par ceux qui acceptent de les encourir. La situation est toutefois rendue d’autant plus complexe qu’il existe d’autres sites susceptibles de leur être substitués, que le déplacement peut avoir une valeur en soi, que certains des coûts peuvent être eux-mêmes de nature immatérielle (dont le coût d’opportunité du temps), et que bien des déplacements peuvent répondre à des motivations multiples.
La méthode des comportements de prévention et des dépenses de protection est similaire aux deux précédentes, à ceci près qu’elle renvoie aux comportements adoptés par les individus en vue d’éviter les impacts immatériels négatifs. L’achat de biens tels que des casques de sécurité pourrait ainsi permettre de réduire les risques d’accident, tout comme celui de fenêtres à double vitrage pourrait diminuer l’exposition au bruit de la circulation, révélant ce faisant la valeur que ceux qui y procèdent attachent à ces nuisances. La situation est cependant là encore d’autant plus complexe que ces biens marchands pourraient avoir d’autres avantages que la simple réduction d’une nuisance immatérielle. Les comportements de prévention impliquent que les individus concernés prennent des mesures ayant un coût pour éviter de s’exposer à une nuisance non marchande (ils pourraient par exemple devoir supporter des coûts de déplacement plus élevés pour ne pas avoir à se rendre par des moyens risqués du point A au point B). L’estimation de la valeur des mesures de ce type pourrait à nouveau ne pas être aisée, par exemple si l’individu considéré ne se contente pas d’éviter de s’exposer à l’impact non marchand en question, mais met en outre à profit le temps qu’il aurait normalement passé à faire autre chose pour se consacrer en parallèle à des activités ayant une valeur économique en elles-mêmes. L’identificationcausale des effets de la nuisance et du comportement de prévention sur les résultats auxquels on s’intéresse est par ailleurs souvent malaisée.
Le présent chapitre a montré que les méthodes des préférences révélées sont très utilisées dans toute une série d’applications liées à la politique environnementale. Au cours des dernières décennies, des évolutions non négligeables se sont produites, en particulier du point de vue de la complexité des méthodes économétriques mises en œuvre pour établir les relations de cause à effet, du degré de détail, de précision et d’exhaustivité des séries de données disponibles, ainsi que de l’utilisation conjointe de diverses méthodes. De manière générale, nous constatons que les méthodes dans lesquelles la valeur du bien ou du service environnemental est déduite à partir de l’observation d’actes d’achat réalisés sur un marché réel pourraient jouer un rôle central dans l’analyse des politiques mises en œuvre.
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