La transformation numérique place les responsables de l'action publique du monde entier face à des défis qui transcendent les frontières nationales. Si cette transformation s'était amorcée avant la crise du COVID‑19, la pandémie en a considérablement accéléré le rythme à l’échelon planétaire. Afin de tirer parti des perspectives offertes par cette accélération, tout en gérant plus efficacement les risques, les défis et les bouleversements croissants qui lui sont associés, nous devons pouvoir nous appuyer sur une solide assise factuelle, une impulsion résolue des administrations publiques, une coopération internationale de grande ampleur et un engagement à l’échelle mondiale. Les pays se tournent de plus en plus vers les institutions internationales pour obtenir des conseils et bénéficier d’une enceinte d’examen et d’élaboration des cadres stratégiques pour l’ère numérique. Ces cadres doivent être établis sur la base des pratiques optimales des pays les plus avancés sur le plan de la transformation numérique, et tenir compte des réalités divergentes des pays moins bien préparés à mettre à profit les nouvelles technologies.
Depuis plusieurs décennies, l’OCDE adresse à ses membres des conseils stratégiques reposant sur des données factuelles, afin de les aider à faire face aux répercussions changeantes des technologies numériques sur les économies et les sociétés, et s’emploie – notamment dans le cadre de sa collaboration avec le Groupe des Vingt (G20) – à étendre le rayonnement et la pertinence de ses conseils au-delà de ses membres. Des premières Lignes directrices régissant la protection de la vie privée approuvées en 1980 à la Recommandation du Conseil de l’OCDE sur l’intelligence artificielle (IA) de 2019, qui a constitué la base des Principes du G20 sur l’IA, à l’essor du haut débit, la sécurité numérique, aux enfants dans l’économie numérique, et au renforcement de l’accès aux données et de leur partage, l’OCDE joue un rôle pionnier dans ce domaine. Son rôle de chef de file que lui confère son projet intitulé « Vers le numérique » lui permet d’aider ses membres et les pays non membres à rester en phase avec l'évolution des technologies et à collaborer avec le secteur privé, les syndicats et la communauté des acteurs techniques afin de récolter les fruits de la transformation numérique. L’OCDE a grandement contribué à concevoir et à mener à bien l’accord historique sur la fiscalité reposant sur le Cadre inclusif OCDE/G20 sur l’érosion de la base d'imposition et le transfert de bénéfices (BEPS), qui rassemble 136 pays et juridictions et vise à relever les défis fiscaux soulevés par la transformation numérique de l’économie. Plus de 60 pays en développement ont pris une part très active aux négociations ayant abouti à l’accord final.
Afin de continuer à répondre aux demandes en constante évolution de l’ère numérique, nous devons mettre à profit les résultats positifs obtenus récemment pour collaborer avec l’ensemble des pays, le secteur privé et les organisations syndicales partenaires, ainsi que les organisations techniques et de la société civile, de manière à combler les profonds fossés numériques. En 2021, 90 % des habitants des pays développés utilisaient l’internet, alors que ce pourcentage n’atteignait que 57 % dans les pays en développement (Base de données statistiques de l’UIT). Les pays de l'OCDE affichent en moyenne 118.3 abonnements au haut débit mobile pour 100 habitants, contre 56 pour les pays non membres (Portail de l'OCDE sur le haut débit et Base de données statistiques de l’UIT). Ces chiffres soulignent l'importance de combler les pénuries d'investissement dans les infrastructures et de faire de la gouvernance des infrastructures une priorité. Si les infrastructures de connectivité jouent un rôle essentiel, leur manque n’est pas le seul facteur responsable de la tenue à l’écart de groupes de population de la prospérité numérique, et de la perte de gains de productivité et de recettes qui en résulte. En 2019, seules 15 % des femmes dans les pays les moins avancés utilisaient l’internet, contre 86 % dans les pays développés (Réduire les inégalités hommes-femmes, UIT, 2019). Depuis dix ans, les écarts en matière d'utilisation de l’internet en fonction du sexe, de l’âge et du niveau d'instruction menacent la capacité de la transformation numérique d’améliorer la croissance, le bien-être et le développement en profondeur et de façon durable.
L’OCDE est bien placée pour aider les pays à venir à bout de ces fractures numériques, et ce, de deux façons. Premièrement, nous compilons et mettons en commun les enseignements tirés par nos pays membres et produisons des recherches et des données factuelles nouvelles afin d'étayer l’élaboration de conseils pour l'action publique reposant sur des pratiques optimales, destinés à accompagner les pays du monde entier dans l’accélération de leur transformation numérique. Deuxièmement, l’OCDE est une enceinte de dialogue ouvert et d'élaboration de politiques et de cadres de gouvernance et de coopération nouveaux qui tiennent compte de la situation de chaque pays au regard du numérique. Nos travaux sur des thématiques telles que le renforcement de la sécurité numérique, la protection des données, le partage des données à l'échelle transfrontières, la sécurité en ligne, la lutte contre la mésinformation et la désinformation et la montée de l’autocratie, la définition et l’adoption de solutions propices au progrès dans l’ensemble des pays, y compris les plus en retard, contribuent à renforcer la résilience et la prospérité de tous dans notre monde interconnecté.
Le vaste champ couvert par les données contenues dans le présent rapport montre que la transformation numérique ne se résume pas à un processus technologique. Afin de résoudre les enjeux complexes qui en sont le corollaire, nous aurons besoin de prendre des décisions fondées sur les valeurs, afin de définir l’avenir numérique tel que nous le souhaitons. Les valeurs communes de l’OCDE – démocratie, état de droit, égalité femmes-hommes, droits humains – et notre engagement en faveur des principes d’une économie de marché ouverte et transparente et de normes exigeantes dans le domaine de l’économie numérique, peuvent aider les différents acteurs à négocier cette transition rapide, en ne perdant pas de vue les objectifs mondiaux de développement durable et en ne s’en éloignant pas.
Mathias Cormann,
Secrétaire général de l'OCDE