Le passage au numérique a été un véritable ballon d’oxygène durant la pandémie de COVID‑19 pour ceux qui ont la chance d’avoir accès à l’internet. Il a permis d’améliorer l’accès aux prestations sociales, aux soins de santé, à l’emploi et à l’éducation. En même temps, la crise du COVID‑19 a mis en évidence notre dépendance à l’égard du monde numérique. Elle a révélé la vulnérabilité des pays en retard au niveau des infrastructures numériques, de leur accessibilité financière et de leur utilisation, des compétences et de l’innovation. Pas moins de 2.9 milliards de personnes dans le monde – et notamment les femmes et les filles – se voient privées des bienfaits de la transformation numérique.
Il est apparu que les technologies numériques sont une aide, qui ne vaut pas seulement en temps de crise. Elles ont le pouvoir d’accélérer les progrès du développement et d’apporter des solutions qui permettent de brûler les étapes. Les services bancaires mobiles, pour ceux qui n’ont jamais eu accès à un compte bancaire, en sont une parfaite illustration. Faute de politiques et d’investissements visant à promouvoir l’accès aux technologies numériques et à les rendre plus abordables, nous réduisons le pouvoir de la transformation numérique et rendons encore plus difficile la concrétisation des Objectifs de développement durable (ODD).
La fracture numérique exacerbe les inégalités. La grande majorité des personnes qui ne sont pas connectées dans le monde vivent dans des pays à revenu faible ou intermédiaire. En Europe, 87 % de la population utilisent l’internet. En Afrique, le pourcentage n’est que de 33 %. Dans les pays en développement, les femmes ont 15 % de chances de moins que les hommes d’utiliser l’internet mobile. Et l’accès n’est pas le seul problème. Nous savons tous que le pouvoir de transformation des technologies numériques est parfois mal utilisé, trop souvent selon des modalités qui renforcent les inégalités et l’exclusion. Il n’est guère surprenant que les femmes et les enfants soient les premières victimes du harcèlement et des comportements abusifs en ligne. Et si la transformation numérique bouleverse les marchés du travail, les médias et la politique, en permettant à de nouvelles voix de se faire entendre et d’opérer des choix, elle peut aussi être utilisée pour mettre en péril la démocratie, la liberté d’expression et les droits humains. Le numérique est une arme à double tranchant, qui peut servir le bien ou le mal.
La transformation numérique est aussi un facteur déterminant de progrès vers la concrétisation des ODD. Si ce sont des initiatives privées et les multinationales d’une poignée de pays qui en modèlent l’évolution, l’intérêt d’une connectivité universelle et des biens publics numériques est néanmoins largement reconnu. Nous sommes tous parties prenantes de la transformation numérique que la connectivité rend possible. Nous devons tous redoubler d’efforts pour donner corps à toutes les potentialités qu’offrent les technologies numériques et relever les défis qu’elles font naître. Dans le cas des pays à revenu faible ou intermédiaire, optimiser les bienfaits du numérique à l’appui du développement et réduire au maximum les risques qu’il engendre exige une action à l’échelle de l’ensemble de l’administration, sur le plan intérieur, de même qu’une coopération et une collaboration à l’échelle mondiale. Tous les gouvernements doivent s’efforcer de mieux harmoniser les normes et réglementations nationales, régionales et mondiales pour une utilisation sûre et durable de technologies mondialisées. Qu’elles soient publiques ou privées, les parties prenantes doivent œuvrer de concert pour faire en sorte que l’investissement, les infrastructures et les technologies servent ensemble la concrétisation des ODD, en mettant en place des mécanismes de sauvegarde et de contre-pouvoirs.
Le Plan d’action de coopération numérique du Secrétaire général des Nations Unies donne un cadre général à la communauté internationale pour agir plus efficacement. L’initiative « Vers le numérique » de l’OCDE favorise la convergence entre pays avancés et en développement en termes de transformation numérique, en élargissant l’accès aux données et aux technologies et leur utilisation. Cette initiative aide à comprendre et à gérer la complexité de la transformation numérique en proposant des cadres, des principes et des normes. Elle met l’accent sur le partage des connaissances et l’apprentissage à l’échelle internationale, dans l’esprit de l’ODD 17 relatif au Partenariat mondial pour le développement durable.
La demande de coopération est de plus en plus forte. L’action s’intensifie. En travaillant aux côtés des partenaires en développement, le Comité d’aide au développement (CAD) joue un rôle unique pour résorber la fracture numérique grâce à l’aide publique au développement et à d’autres formes de soutien. Comme le montre le présent rapport, les membres du CAD doivent collaborer s’ils veulent contribuer à mettre à profit le rôle positif de la transformation numérique.
Les principes d’efficacité du développement – appropriation par les pays, partenariats, orientation vers les résultats, transparence et redevabilité mutuelle – doivent nous guider face à cette complexité dans le contexte de notre action en faveur de la transformation numérique. Il s’agit d’aligner les efforts déployés sur les stratégies numériques nationales, d’éviter les projets isolés de transfert de technologie, d’encourager les partenariats innovants avec le secteur privé et de soutenir des dispositifs réglementaires efficaces. Sur le plan intérieur, les membres du CAD peuvent élaborer des politiques numériques qui aident les pays à revenu faible ou intermédiaire, en promouvant des politiques inclusives et des standards et normes solides. Les membres du CAD peuvent aussi aider les pays en développement à participer à l’établissement de normes à l’échelle mondiale de sorte que leurs besoins et les difficultés auxquelles ils sont confrontés soient entendus et pris en compte.
Nous ne réduirons les écarts de développement qu’en réduisant la fracture numérique. Nous avons les outils nécessaires pour ancrer l’inclusivité dans la transformation numérique de notre monde. Nous devons passer à la vitesse supérieure et nous mettre au travail.
Susanna Moorehead Présidente, Comité d’aide au développement
Jorge Moreira da Silva Directeur, Direction de la coopération pour le développement