Giorgio Gualberti
Direction de la coopération pour le développement, OCDE
Jonas Wilcks
Direction de la coopération pour le développement, OCDE
Giorgio Gualberti
Direction de la coopération pour le développement, OCDE
Jonas Wilcks
Direction de la coopération pour le développement, OCDE
Compte tenu de la nature intersectorielle du passage au numérique et de la transformation numérique, le financement du développement soutient tout un ensemble d’activités et d’investissements dans les infrastructures numériques. Toutefois, l’absence d’orientations explicites pour la notification ou de marqueur spécifique dans le Système de notification des pays créanciers de l’OCDE complexifie la mesure et le suivi du financement public du développement à l’appui du passage au numérique. Ce chapitre présente les premières estimations du financement multilatéral, bilatéral et philanthropique entre 2015 et 2019, sur la base d’une méthodologie qui allie codes sectoriels, recherches par mots-clés et marquage des Objectifs de développement durable. D’après la base de données, ce type de financement a augmenté de façon spectaculaire ces dernières années, même si l’essentiel émane d’une poignée de fournisseurs. Ce chapitre examine les solutions qui permettraient d’accroître la transparence de ce financement grâce à l’amélioration des orientations pour la notification et des mesures statistiques.
Même si certains membres du CAD élaborent des marqueurs pour permettre de suivre l’évolution du financement à l’appui du développement consacré au numérique, une méthode statistique commune permettrait de mieux mesurer, coordonner et quantifier ces investissements.
Entre 2015 et 2019, le financement à l’appui du développement consacré aux activités numériques a plus que triplé. Selon les premières estimations établies à partir du Système de notification des pays créanciers, les fournisseurs ont investi 18.6 milliards USD et mobilisé 4.2 milliards USD supplémentaires de financements auprès du secteur privé.
Le financement axé sur le passage au numérique progresse en volume : en 2018‑19, il représentait 1 % du financement bilatéral à l’appui du développement, 2.7 % du financement multilatéral et 4.6 % du financement philanthropique.
La mesure du financement à l’appui du développement consacré au passage au numérique est importante, car elle permet de suivre le niveau global des investissements financiers dans la transformation numérique1, de répertorier et de comprendre les différents rôles des acteurs du financement, et d’évaluer si le financement est aligné sur les objectifs de développement déclarés. Forts de ces informations et de cette compréhension, les fournisseurs de coopération pour le développement seront mieux à même de cibler stratégiquement le financement sur les besoins et lacunes numériques qui ont des conséquences sur les résultats en matière de développement, et adapter leurs financements à l’état de préparation des pays partenaires vis-à-vis du numérique.
Les lacunes en matière de financement à l’appui du passage au numérique dans les pays à revenu faible ou intermédiaire touchent tous les aspects de la transformation numérique : investissements en capital et en infrastructures qui permettent l’accès ; passage au numérique de l’administration, des services, de l’économie et de l’industrie ; acquisition par la population et les utilisateurs des compétences et de la culture numériques appropriées, ainsi que de nombreux autres domaines que recensent les chapitres de ce présent rapport. Il est possible d’améliorer sensiblement la transparence du financement de la transformation numérique par tous les acteurs concernés, qu’ils soient publics ou privés, nationaux ou internationaux. Il faut également régler des aspects définitionnels et techniques, notamment quant à la manière de mesurer le financement d’un phénomène aussi intersectoriel. Ce chapitre apporte un début de réponses et des pistes de réflexion sur les prochaines étapes. La première section décrit la méthodologie utilisée par les auteurs pour compiler un ensemble de données extraites du Système de notification des pays créanciers (SNPC) de l’OCDE, qui permet d’estimer les tendances en matière de financement à l’appui du développement axé sur le passage au numérique et d’aborder les difficultés de mesure générales. Ces estimations, présentées dans la deuxième section, couvrent la période 2015‑19 pour plusieurs fournisseurs de coopération bilatéraux, multilatéraux et philanthropiques, et examinent les tendances géographiques et sectorielles. La dernière section se penche sur les possibilités permettant d’améliorer la mesure et le suivi du financement à l’appui du développement dans cet espace.
Le système statistique du Comité d’aide au développement (CAD) de l’OCDE ne dispose pas d’orientations ou de marqueurs spécifiques pour la notification et de suivi du financement axé sur le passage au numérique et la transformation numérique. Afin d’estimer ces financements, ce rapport a donc procédé comme pour les autres thèmes et questions pour lesquels il n’existe pas d’orientations. Si les résultats sont solides, le processus d’analyse de la base de données du SNPC pour calculer le niveau de financement à l’appui de la transformation numérique soulève néanmoins des questions méthodologiques et analytiques. Dans le souci d’obtenir un suivi plus précis et d’accroître la transparence, les membres du CAD et les autres acteurs du financement du développement devraient envisager de s’interroger sur les méthodes les plus appropriées et de s’accorder sur ce point.
Il est difficile d’effectuer un suivi précis du financement à l’appui du passage au numérique. Premièrement, il n’existe pas de définition générale et normalisée. La transformation numérique désigne l’adoption de nouvelles technologies numériques, et ses conséquences économiques et sociales (voir le Guide du lecteur). Ce financement peut revêtir de nombreuses formes et soutenir diverses activités : la mise en place d’infrastructures numériques comme les réseaux, les outils informatiques et de communication ; le développement (par la formation, l’éducation, etc.) du large éventail de compétences et de capacités techniques nécessaires pour tirer parti des technologies numériques ; et la mise en œuvre de changements organisationnels qui tirent parti des nouvelles technologies et ouvrent la voie à de nouvelles activités fondées sur les technologies numériques.
Deuxièmement, en dehors des investissements ciblant spécifiquement l’infrastructure numérique matérielle, qui semblent être notifiés avec le code sectoriel des technologies de l’information et des communications (TIC)2, la plupart des aides au passage au numérique et à la transformation numérique sont intersectorielles. Les activités y afférentes peuvent se situer dans n’importe quel secteur : l’éducation (avec l’élaboration de programmes scolaires, par exemple), la santé (avec la télémédecine et les outils de diagnostic), la banque (avec les services de banque mobile), l’administration (avec le passage au numérique des institutions publiques et l’administration électronique) et l’énergie (avec les réseaux intelligents et les énergies renouvelables distribuées), etc. En outre, il est difficile d’identifier les dépenses consacrées au renforcement des capacités et compétences numériques, ainsi qu’au soutien à la réforme de la politique numérique, à la reddition de comptes et au partage des connaissances, car il ne s’agit pas nécessairement de dépenses budgétaires importantes et elles sont souvent intégrées dans des programmes plus vastes.
Enfin, la collecte de données dans le cadre du SNPC ne comporte pas d’outil spécifique permettant le suivi du financement à l’appui du passage au numérique. Alors que certaines activités ont pu être isolées grâce à certains codes sectoriels (notamment dans le secteur des communications), les activités qui appuient le passage au numérique dans d’autres secteurs ne peuvent être repérées qu’au moyen d’une série de techniques adaptées. Celles-ci comprennent l’examen des cibles des Objectifs de développement durable (ODD) liées au passage au numérique et de la description des activités par l’extraction de mots-clés, que viendra compléter un tri manuel.
En 2020, l’Union européenne (UE) a mis au point un marqueur destiné à opérer un suivi des investissements dans le passage au numérique (Encadré 40.1). Elle a ainsi calculé qu’en moyenne annuelle, les engagements des institutions de l’UE liés au passage au numérique s’élevaient à 340 millions USD pour 2020‑21. D’après la méthode utilisée dans ce rapport, les institutions de l’UE auraient apporté 205 millions USD en appui au passage au numérique en 2018‑19. Bien qu’elles couvrent des périodes différentes et ne soient pas directement comparables, ces deux méthodes produisent des résultats assez similaires. En conséquence, la méthode élaborée pour étudier l’appui des membres du CAD au passage au numérique ne surestime pas le financement lié au passage au numérique, et les estimations présentées dans ce chapitre sont robustes.
Par les auteurs avec la contribution de collègues de l’UE
La Commission européenne a mis au point un marqueur pour suivre les activités relatives au passage au numérique et a commencé à le mettre en œuvre avec les données de 2020. Il a été présenté lors d’une réunion du Groupe de travail sur les statistiques du financement du développement (GT-STAT) en 2020 (OCDE, 2020[1]). Le marqueur de l’UE est conçu pour suivre les mesures qui favorisent les objectifs de transformation numérique suivants :
cadres de gouvernance, de politique et de réglementation relatifs au passage au numérique et à l’économie numérique
accès à une connectivité à large bande fiable et d’un coût abordable, ainsi qu’aux infrastructures numériques
culture et compétences numériques
entrepreneuriat numérique et création d’emplois
utilisation des technologies numériques en tant que vecteurs de développement durable (par exemple, les services numériques et électroniques, y compris en matière de gouvernance).
Le marqueur de l’UE utilise le même système de notation à trois valeurs que les marqueurs du CAD (OCDE, 2020[2]). Une activité sera ainsi notée « 2 » lorsque le passage au numérique est son objectif principal (ou primaire), « 1 » lorsque le passage au numérique est un objectif significatif (ou secondaire) parmi d’autres, et « 0 » lorsque l’activité n’est pas liée au passage au numérique.
La méthodologie mise au point décrit également trois étapes permettant de déterminer si une action doit être considérée comme en rapport avec le passage au numérique :
1. Analyser le contexte du passage au numérique pour faciliter l’identification et la définition de la composante numérique de l’intervention et guider les étapes futures.
2. Déterminer l’existence d’un contexte, d’un objectif ou d’un résultat spécifique lié au passage au numérique.
3. Désagréger les indicateurs et les données par sexe, âge, situation socio-économique et région, le cas échéant.
Les données sur lesquelles reposent les estimations présentées dans ce chapitre ont été sélectionnées à partir des engagements notifiés dans le SNPC par les fournisseurs bilatéraux et multilatéraux ainsi que par les institutions philanthropiques privées. Les données du SNPC au niveau des activités ont été complétées par des données agrégées sur les financements privés mobilisés grâce à des interventions du secteur public, afin d’obtenir une image plus large du financement à l’appui du passage au numérique.
Les critères suivants ont servi à recenser les données intéressantes :
codes sectoriels dans le domaine des communications (politique en matière de communications et gestion administrative, et télécommunications et TIC)
mots-clés dans le titre ou la description de l’activité notifiée (gouvernance électronique, santé électronique, télémédecine, chaîne de blocs, intelligence artificielle, apprentissage automatique, numérique, internet, électronique, TIC, en ligne, télécom, logiciel, commerce électronique)
cibles des ODD (2.a, 5.b, 8.2, 8.3, 9.b, 9.c, 17.6, 17.7, 17.8).
Les activités qui correspondaient à au moins un de ces critères ont été incluses dans le jeu de données sans que les activités correspondant à plusieurs critères ne soient comptabilisées deux fois. On a procédé à un filtrage manuel des activités sélectionnées les plus importantes (représentant 88 % du financement total à l’appui du développement) dans le but d’exclure les activités non liées au passage au numérique. Le Graphique 40.1 présente les étapes de la sélection des données. Le Graphique 40.2 indique la part des activités correspondant à chaque critère.
Les auteurs ont testé diverses combinaisons de mots-clés et d’ODD pour compléter les données sélectionnées par le biais d’un ensemble de codes-objet dans le secteur des communications. Cette approche empirique a également conduit à l’élimination de certains mots-clés dans la construction de l’échantillon final. Par exemple, des mots-clés tels que technologie et communications ont été testés dans la recherche manuelle, mais n’ont pas été inclus pour estimer le financement du développement à l’appui du passage au numérique, car les résultats ont fait apparaître un nombre élevé d’activités sans rapport avec ce sujet. Leur inclusion risquait donc de gonfler les résultats. Pour la même raison, seules les activités exclusivement marquées avec les cibles des ODD intéressantes ont été incluses comme sources de données3. Les activités marquées de plusieurs ODD correspondent à des activités portant de manière plus faible et/ou limitée sur le passage au numérique.
Enfin, on a procédé à des vérifications manuelles pour les activités les plus importantes en termes de budget afin de s’assurer qu’elles investissaient bien dans le passage au numérique. Un peu plus de 1 100 dossiers ont été vérifiés, soit environ 88 % (en valeur) des activités identifiées au moyen des secteurs, mots-clés et ODD. Les activités qui n’étaient pas étroitement liées au passage au numérique ont été exclues manuellement ; elles représentaient environ 8 % du financement considéré.
Les données sur les financements privés que les interventions du secteur public ont permis de mobiliser sont partiellement confidentielles et donc traitées séparément. L’examen manuel de cette dimension s’est limité aux activités notifiées par certains donneurs bilatéraux qui rendent publiques les données sur la mobilisation dans la base de données du SNPC. Certaines de ces données ont été obtenues sous forme agrégée par codes sectoriels uniquement.
Environ 15 000 activités de financement à l’appui du développement liées au passage au numérique sont incluses dans les estimations pour 2015‑19. Parmi celles-ci, environ 10 766 activités ont été notifiées par des fournisseurs bilatéraux (pour un total de 6.3 milliards USD), 2 457 activités par des fournisseurs multilatéraux (pour un total de 10.3 milliards USD) et 1 903 activités par des institutions philanthropiques (pour un total de 1.2 milliard USD). Ces chiffres ne tiennent pas compte des financements privés mobilisés. Même si les informations contenues dans la base de données du SNPC ne correspondent pas nécessairement à des projets, les données indiquent que les organisations multilatérales notifient des programmes plus importants que les fournisseurs bilatéraux, ce qui n’a rien de surprenant.
Parmi les trois critères utilisés pour réaliser les estimations, ce sont les mots-clés qui ont permis d’identifier la plus grande proportion (75 %) de financements liés au passage au numérique. D’après ces mots-clés, les trois secteurs qui ont attiré le plus de financements sont le numérique, les TIC et les télécommunications, tandis que d’autres technologies numériques plus récentes, qui sont présentées comme des accélérateurs potentiels pour les pays en développement, telles que la technologie des chaînes de blocs (Sirimanne et Freire, 2021[3] ; Deshmukh, 2020[4]), reçoivent des parts nettement plus faibles. Le secteur des communications et des TIC a attiré 42 % du financement bilatéral à l’appui du développement ciblant le passage au numérique.
Le financement à l’appui du développement ciblant le passage au numérique a connu une croissance significative sur la période 2015‑19. Selon la méthodologie décrite, les données indiquent que les fournisseurs de coopération pour le développement et les institutions philanthropiques ont investi des volumes croissants de financements dans des activités liées au passage au numérique et à la transformation numérique4.
Sur la période étudiée, les auteurs estiment que les financements publics à l’appui du développement liés au numérique provenant de donneurs bilatéraux et multilatéraux et de fondations philanthropiques ont totalisé 18.6 milliards USD. Les organisations bilatérales et multilatérales ont mobilisé plus de 4.2 milliards USD de financements privés supplémentaires.
Le financement bilatéral et multilatéral et le financement provenant d’institutions philanthropiques ont plus que triplé sur la période 2015‑19, passant de 2 milliards USD en 2015 à 6.8 milliards USD en 2019 (Graphique 40.3). Les deux dernières années prises en considération, 2018 et 20195, représentent 1.8 % du total des engagements bilatéraux, multilatéraux et philanthropiques. Pour mettre ces chiffres en perspective, en 2019, ces institutions ont accordé au passage au numérique un financement comparable à leurs engagements en faveur du secteur de l’industrie (7.0 milliards USD) et des énergies renouvelables (7.7 milliards USD).
Le financement émanant des seules institutions multilatérales a plus que quadruplé, passant de 1.0 milliard USD en 2015 à 4.2 milliards USD en 2019. En 2019, les institutions multilatérales ont représenté 62 % du total engagé par les fournisseurs multilatéraux et bilatéraux et les institutions philanthropiques.
Les engagements des fournisseurs bilatéraux en faveur de ces activités se sont également accrus au cours de la période analysée : ils ont plus que doublé, passant de 908 millions USD en 2015 à 2.1 milliards USD en 2019. Les membres du CAD sont à l’origine de 96.5 % des financements bilatéraux couverts par cette analyse.
L’appui apporté par les institutions philanthropiques privées a lui aussi progressé, atteignant 491 millions USD en 2019, soit le double de la valeur enregistrée en 2017. Les données collectées auprès des institutions philanthropiques ayant progressé ces dernières années, les valeurs antérieures à 2017 sont donc certainement sous-estimées.
En valeur relative, les institutions philanthropiques consacrent une part plus importante de leurs investissements à soutenir le passage au numérique que les fournisseurs bilatéraux et multilatéraux. En 2018‑196, les activités y afférentes représentaient 4.6 % du portefeuille des institutions philanthropiques, contre 2.7 % pour les institutions multilatérales et 1 % pour les fournisseurs bilatéraux (Graphique 40.4).
Selon les données, les institutions bilatérales et multilatérales ont également permis de mobiliser des financements privés supplémentaires à hauteur de 700 millions USD en 2019, répartis à peu près équitablement entre ces deux catégories de donneurs (Graphique 40.5). Étant donné qu’une grande partie de ces fonds bénéficie au secteur financier, ces activités peuvent favoriser des services bancaires innovants, notamment grâce au passage au numérique. Cependant, les contraintes liées à des questions de confidentialité des données des banques multilatérales de développement sur la mobilisation empêchent d’effectuer une analyse plus granulaire.
Les données analysées rendent compte des activités liées au passage au numérique déclarées par plus de 100 institutions bilatérales, multilatérales et philanthropiques sur la période 2015‑19. Cependant, dix fournisseurs seulement sont à l’origine de 68 % du montant total estimé de ces financements sur cette période. Les financements des organisations multilatérales étaient principalement (72 %) non concessionnels. Les fournisseurs bilatéraux, principalement des membres du CAD, ont apporté 92 % des financements concessionnels, ou aide publique au développement (APD), accordés entre 2015 et 2019. Le financement philanthropique repose exclusivement sur des dons. Le Graphique 40.6 décompose la concessionnalité du financement multilatéral et bilatéral du développement à l’appui du passage au numérique.
Selon les estimations, sur les 40 fournisseurs bilatéraux figurant dans le jeu de données (30 membres du CAD et dix autres pays déclarant au SNPC), cinq (l’Allemagne, la Corée, les États-Unis, la France et les institutions de l’UE) ont apporté ensemble plus de 60 % des financements bilatéraux à l’appui du développement axés sur le passage au numérique entre 2015 et 2019 (Graphique 40.7). Toujours selon les estimations, trois fournisseurs bilatéraux ont consacré au moins 10 % de leur portefeuille à des activités de soutien au passage au numérique : le Kazakhstan (17 %), l’Estonie (15 %) et la Corée (10 %).
On observe la même tendance chez les fournisseurs multilatéraux. Dans l’ensemble, selon les informations communiquées au SNPC, les estimations montrent que cinq institutions ont représenté 78 % (8.6 milliards USD) des 11.1 milliards USD d’engagements des organisations multilatérales au cours des cinq années étudiées. Il s’agit, par ordre décroissant, de la Banque interaméricaine de développement (BID), de l’Association internationale de développement, de la Banque internationale pour la reconstruction et le développement, de la Banque asiatique de développement et de la Société financière internationale (Graphique 40.8). Parmi les institutions multilatérales, la BID serait celle dont le portefeuille comporte le plus d’engagements liés au passage au numérique (10 %), suivie de la Société interaméricaine d’investissement (7 %), une filiale de la BID, et de l’Organisation mondiale du tourisme (7 %).
En ce qui concerne les institutions philanthropiques également, une poignée d’acteurs concentrent les financements à l’appui du développement axés sur le passage au numérique. En termes absolus, on estime que la Fondation Bill & Melinda Gates est le plus gros fournisseur philanthropique de ce type de financements, avec 4 % des investissements, soit 556 millions USD, sur 2015‑19. La MasterCard Foundation arrive en deuxième position, avec 19 % de son portefeuille, soit 161.7 millions USD, sur cette période, et le Wellcome Trust est troisième avec plus de 80 millions USD, soit 10 % de son portefeuille. En termes relatifs, certaines fondations consacrent une part très importante de leurs investissements à des activités liées au passage au numérique. D’après les estimations, ce serait le cas de la Caixa Banking Foundation (37 %), de la Fondation Botnar (27 %), de la MasterCard Foundation (19 %) et de la MetLife Foundation (17 %).
Entre 2015 et 2019, de toutes les régions, c’est l’Afrique qui a reçu le plus de financements bilatéraux à l’appui du développement axés sur le passage au numérique (37.9 %), avec 27.5 % du total (1.7 milliard USD) pour la seule Afrique subsaharienne. L’Asie en a reçu 25.0 % et les Amériques, l’Europe, le Moyen-Orient et l’Océanie environ 5 % chacun. La répartition est différente s’agissant des financements multilatéraux, dont l’essentiel (36.6 %) est allé aux Amériques, soit 4.1 milliards USD (Graphique 40.9). Cette tendance s’explique par les investissements de la BID, qui est apparue dans les estimations comme le plus grand fournisseur de financements à l’appui du développement axé sur le passage au numérique. Les fournisseurs bilatéraux semblent investir davantage dans des projets numériques en Afrique, et, dans une moindre mesure, en Asie.
Les activités de financement à l’appui du développement enregistrées dans la base de données du SNPC sont classées dans divers secteurs sociaux et économiques. Le financement axé sur le passage au numérique se concentre dans le secteur des communications, qui, dans la taxonomie du SNPC, comprend les activités liées aux technologies de l’information et de la communication, aux télécommunications et aux interventions connexes. Ce secteur a représenté 42 % des activités bilatérales de financement à l’appui du développement liées au passage au numérique et 65 % des activités multilatérales. Les fournisseurs bilatéraux font également porter leurs efforts sur les secteurs de l’administration publique, de la société civile et de l’éducation, tandis que le secteur des services bancaires et financiers semble représenter un domaine important pour les fournisseurs multilatéraux (Graphique 40.10).
La méthodologie utilisée pour estimer le soutien à la transformation numérique présente plusieurs limites et difficultés, et il est possible de définir une méthode plus claire7. L’identification ex ante est plus fiable que le système d’identification ex post utilisé ici, qui s’appuie sur les données communiquées au SNPC. Dans la mesure où les fournisseurs de données ont une connaissance approfondie de leurs opérations, ils pourraient produire des informations sur un projet depuis la phase de conception jusqu’à la phase d’approbation, lorsque la communication des données est requise.
Si le développement international fait de plus en plus porter ses efforts sur le passage au numérique, le besoin de transparence et de redevabilité progressera lui aussi. Il faudrait convenir de la méthode statistique de suivi de ce financement. Étant donné que moins de la moitié des membres du CAD mettent explicitement l’accent sur la transformation numérique dans leurs stratégies (voir chapitre 33), une approche pragmatique, complète et réalisable du suivi du financement public à l’appui du développement axé sur le passage au numérique pourrait prendre la forme d’une déclaration volontaire des mots-clés convenus en matière de passage au numérique, complétée par une analyse des activités déclarées au moyen de l’apprentissage automatique.
Les marqueurs de l’orientation de la politique de coopération sont des outils précis permettant de déterminer si les activités notifiées privilégient un objectif et, si oui, dans quelle mesure. Ces marqueurs sont adoptés par consensus au sein du Groupe de travail du CAD sur les statistiques du financement du développement (GT-STAT). Ils sont généralement longs à négocier et à mettre en œuvre, et nécessitent l’ajout d’un nouveau champ de données et des changements dans les processus de collecte des données et de notification des fournisseurs de données et de l’OCDE. Le formulaire de notification statistique du CAD de l’OCDE contient déjà de nombreux champs, et les membres risquent de ne pas vouloir le complexifier davantage. Certains membres ont fait part de leurs inquiétudes quant à leur capacité à ajouter de nouvelles dimensions aux informations fournies dans le SNPC (OCDE, 2020[5]) ; les champs les plus récemment ajoutés (les ODD et les marqueurs concernant la nutrition et le handicap) sont optionnels. Un examen récent du système de marqueurs de l’OCDE a révélé que, généralement, ceux-ci fonctionnent mieux lorsque l’objectif de la politique de coopération est réellement intersectoriel et lorsque le sujet présente un grand intérêt pour l’action à mener, et qu’il est lié à un accord international ou à une forte communauté de parties prenantes (OCDE, 2020[5]).
En 2020, les membres du CAD ont décidé de suivre le soutien aux interventions menées face à la pandémie de COVID-19 et au rétablissement y faisant suite par le biais d’un nouveau mot-clé. Un champ de mot-clé a été créé dans le SNPC pour permettre aux membres de signaler au moyen du mot-dièse #COVID‑19 toutes les activités qui ont contribué à ces objectifs en utilisant une définition commune. Certains membres ont manifesté leur volonté d’étendre l’utilisation du champ de mots-clés à d’autres sujets.
Le GT-STAT discute des modalités d’introduction de cette approche par mots-clés dans les notifications relatives à d’autres thèmes transversaux. Le passage au numérique pourrait constituer un candidat de choix à cet égard.
L’introduction d’un mot-clé relatif au passage au numérique ne nécessiterait pas de créer un nouveau champ ni de modifier les structures de traitement des données, en attendant un accord sur la gouvernance des mots-clés. La communication des mots-clés se fait également sur une base volontaire ; les entités déclarantes pourraient également utiliser différents mots-clés pour mettre en évidence différents aspects du passage au numérique ou d’autres innovations dans la coopération au développement.
Les outils d’apprentissage automatique peuvent extraire des informations à partir de vastes corpus de textes et sont de plus en plus utilisés pour l’analyse des données et le contrôle de leur qualité. Ils sont toutefois complexes à mettre en place et à régler avec précision, et ils dépendent de la qualité des informations et des détails fournis dans les descriptions des programmes et des projets. La mise au point d’outils d’apprentissage automatique appropriés est une autre possibilité qui permettrait de suivre le financement à l’appui du développement ciblant le passage au numérique. Le Secrétariat de l’OCDE travaille sur des exercices d’apprentissage automatique pour les codes-objet et les ODD. Ces outils sont capables d’analyser de grandes quantités d’informations, mais nécessitent que des ressources appropriées soient mises en place et formées.
[4] Deshmukh, S. (2020), « 3 ways blockchain can accelerate sustainable development », Forum économique mondial - blog Agenda, https://www.weforum.org/agenda/2020/09/3-ways-blockchain-can-contribute-to-sustainable-development/ (consulté le 19 octobre 2021).
[5] OCDE (2020), « Assessing the policy objectives of development co-operation activities: Review of the reporting status, use and relevance of Rio and policy marker », Groupe de travail du CAD sur les statistiques du financement du développement, https://one.oecd.org/document/DCD/DAC/STAT(2020)27/en/pdf (consulté le 22 novembre 2021).
[2] OCDE (2020), Converged Statistical Reporting Directives for the Creditor Reporting System (CRS) and the Annual DAC Questionnaire: Annexes - Modules D & E, Groupe de travail du CAD sur les statistiques du financement du développement, https://one.oecd.org/document/DCD/DAC/STAT(2020)44/ADD2/FINAL/en/pdf (consulté le 10 novembre 2021).
[1] OCDE (2020), « Guidelines on the European Commission International Digitalisation Marker », Groupe de travail du CAD sur les statistiques du financement du développement, https://one.oecd.org/document/DCD/DAC/STAT/RD(2020)2/en/pdf (consulté le 10 novembre 2021).
[3] Sirimanne, S. et C. Freire (2021), How Blockchain Can Power Sustainable Development, Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement, Genève, https://unctad.org/news/how-blockchain-can-power-sustainable-development (consulté le 19 octobre 2021).
← 1. Le « passage au numérique » désigne l’utilisation des technologies numériques et des données qui se traduit par l’apparition de nouvelles activités ou la modification d’activités existantes. La « numérisation » est la conversion de données et de processus analogiques dans un format lisible par machine. La « transformation numérique » désigne les conséquences économiques et sociales de la numérisation et du passage au numérique.
← 2. Le code de la base de données pour le secteur des communications comprend les activités de financement des infrastructures numériques telles que les grands réseaux, ainsi que les outils TIC et les activités connexes.
← 3. Pour éviter de gonfler les résultats, les activités qui ont été notifiées en rapport avec plusieurs ODD, mais qui ne correspondaient que partiellement à la liste des ODD liés au passage au numérique, n’ont pas été incluses comme sources de données, sauf si l’activité était également identifiée par d’autres critères, comme des mots-clés ou des codes sectoriels.
← 4. Les financements bilatéraux, multilatéraux et philanthropiques sont exprimés en dollars constants de 2019. Les données sur les financements privés mobilisés grâce à des interventions du secteur public ne sont disponibles qu’en prix courants et présentent quelques limitations supplémentaires.
← 5. On s’est limité aux données 2018‑19 pour cette part afin d’assurer la cohérence des déclarations des institutions philanthropiques, qui sont plus restreintes pour les années précédentes, et de lisser toute fluctuation d’une année à l’autre.
← 6. Voir la note 5.
← 7. Par exemple, la robustesse des recherches par mots-clés peut bien sûr être vérifiée, mais les mots-clés peuvent être arbitraires. Si les fournisseurs ne tiennent pas compte de ces mots-clés lorsqu’ils communiquent les descriptions de projets à la base de données, une recherche par mots-clés risque de ne pas trouver les projets. Un autre exemple concerne le code du secteur des communications, lequel peut inclure des activités qui ne favorisent pas à proprement parler le passage au numérique. Il en va de même pour le champ orientation vers les ODD. En outre, la vérification manuelle des activités sur la base de leurs descriptions est difficile et chronophage.