Eleanor Carey
Direction de la coopération pour le développement, OCDE
Ida Mc Donnell
Direction de la coopération pour le développement, OCDE
Eleanor Carey
Direction de la coopération pour le développement, OCDE
Ida Mc Donnell
Direction de la coopération pour le développement, OCDE
La transformation numérique est à l’œuvre dans le monde à des rythmes divers, dans des pays présentant des niveaux de ressources, de réglementation et d’engagement citoyen sensiblement différents. Cette synthèse, étayée par des données factuelles et des éclairages tirés des chapitres du rapport, montre que les réalités numériques dans les pays en développement exigent des solutions sur mesure. À partir de données sur des pays à différents stades de la transformation numérique, elle expose les facteurs à même de favoriser la mise en place d’écosystèmes numériques inclusifs. Elle appelle à intensifier la coopération mondiale pour affronter les risques universels et présente un cadre de coopération pour le développement porteur d’un avenir numérique inclusif.
La transformation numérique est un levier de bien-être et de progrès. Les technologies numériques rapprochent les pouvoirs publics et les citoyens ; ouvrent la voie à de nouveaux débouchés économiques ; améliorent l’accès à l’éducation, aux soins de santé et à d’autres services ; favorisent la transparence et offrent des plateformes aux échanges de vues et au débat contradictoire. L’accès à l’internet est devenu une nécessité et un objectif de développement. Pour autant, les avancées technologiques dans toutes les sphères de l’activité humaine impriment souvent leur marque sur les sociétés avant qu’elles aient pu déterminer comment en gérer les avantages et les risques. Toute révolution technologique – agriculture, mécanisation, électricité et, aujourd’hui, informatique – apporte son lot de nouveaux outils et, à chaque fois, les hommes doivent décider à quelles fins les utiliser, à qui les destiner et comment gérer les changements qu’elles induisent.
À bien des égards, la transformation numérique est à une étape charnière, avec des différences marquées entre les pays riches et ceux en développement. Les cybertechnologies peuvent certes aider à atteindre les objectifs de développement, mais des fractures numériques persistantes freinent la progression de beaucoup et accentuent le retard de populations déjà marginalisées. Le passage au numérique se fait à des rythmes variables, avec des ressources et des réglementations inégales. Tout comme pour l’autre grande transition – l’impératif de « penser vert » – que tous les pays sont au défi de mener à bien, les choix opérés aujourd’hui auront pour effet soit de perpétuer les fractures numériques dans les décennies à venir, soit de jeter les bases d’un avenir de prospérité et de bien-être partagés.
Une convergence de facteurs fait que cette période est propice à l’entrée en jeu des acteurs du développement. La crise du COVID-19 a accéléré l’adoption des solutions numériques à l’échelle mondiale, en particulier dans les pays en développement, provoquant une hausse de la demande de soutien international, de partage de connaissances et de collaboration. Les technologies numériques sont à l’aube d’une nouvelle phase, portée par les avancées dans les domaines de la 5G, de l’intelligence artificielle (IA), de la robotique et de l’internet des objets. L’élaboration des normes et la mise en place de mesures de protection numérique s’accélèrent à l’échelle internationale, même si elles se font essentiellement sans la participation des pays les moins avancés. Ce n’est qu’en décloisonnant leur réflexion et leur action, en concevant des stratégies numériques globales pour assurer un impact durable et en adoptant une approche de l’élaboration des politiques et de l’investissement centrée sur l’humain que les acteurs internationaux du développement parviendront à jeter les bases d’un avenir numérique inclusif et juste.
C’est pourquoi le rapport Coopération pour le développement 2021 se penche sur la question fondamentale suivante : comment les acteurs de la coopération pour le développement peuvent-ils œuvrer en faveur d’une transformation numérique équitable au service d’un développement plus vert, plus sûr et plus durable ? Nombreux sont ceux qui qualifient la transformation numérique de « quatrième révolution industrielle ». Comme les précédentes, celle-ci oblige la communauté internationale à prendre des décisions. Les acteurs de la coopération pour le développement doivent profiter de cette occasion pour se projeter et envisager la meilleure façon de contribuer à bâtir un avenir numérique inclusif.
La transformation numérique met l’ensemble des pays face à des défis communs et complexes. Le Cadre d’action intégré de l’OCDE reconnaît que des influences mutuelles s’exercent entre la transformation numérique et différents domaines d’action interdépendants, et que des arbitrages doivent être opérés avec soin (voir le Chapitre 9). Les pays membres et non membres de l’OCDE évalués à la lumière de ce Cadre affichent des résultats médiocres en termes d’innovation, de dépenses publiques consacrées aux politiques actives du marché du travail, et d’échanges de biens et de services dans le domaine des technologies de l’information et des communications (TIC) (OCDE, 2021[1]). Par ailleurs, selon l’édition 2019 de l’Indice de l’administration numérique de l’OCDE, la majorité des pays membres ne disposaient toujours pas de politiques axées sur les usagers ni de mécanismes inclusifs pour la conception et la prestation des services aux citoyens (voir le Chapitre 11).
Si la plupart des défis complexes sont communs à tous les pays, on observe une fracture numérique profonde entre les économies avancées et les pays à faible revenu et à revenu intermédiaire. Nanjira Sambuli (voir le « Point de vue » dans la Partie I) souligne la complexité des fossés à combler : « Les fractures numériques ne se limitent pas au clivage entre les personnes connectées et celles qui ne le sont pas ; elles existent également parmi les personnes connectées, dans les pays développés comme dans les nations en développement. Elles touchent diverses dimensions, qu’il s’agisse de l’accès, des compétences, de la langue ou du sexe, pour ne citer que quelques exemples. Les programmes en faveur de la transformation numérique doivent tenir compte de cette diversité afin de faire en sorte que les progrès du numérique n’aggravent pas les inégalités existantes et n’en créent pas de nouvelles. »
« Les fractures numériques ne se limitent pas au clivage entre les personnes connectées et celles qui ne le sont pas ; elles existent également parmi les personnes connectées, dans les pays développés comme dans les nations en développement. Elles touchent diverses dimensions, qu’il s’agisse de l’accès, des compétences, de la langue ou du sexe, pour ne citer que quelques exemples. Les programmes en faveur de la transformation numérique doivent tenir compte de cette diversité afin de faire en sorte que les progrès du numérique n’aggravent pas les inégalités existantes et n’en créent pas de nouvelles. » Nanjira Sambuli, Chargée de recherche, Carnegie Endowment for International Peace
Le Graphique 1 expose la situation des pays à faible revenu et à revenu intermédiaire au regard des diverses dimensions du Cadre d’action intégré sur la transformation numérique. Les données montrent que les pays en développement se heurtent dès le départ à des obstacles plus importants en termes d’environnements de réglementation et d’action publique, ce qui rend leur transformation numérique plus difficile à gérer. L’accès aux technologies numériques y est moindre et d’importantes entraves en freinent l’utilisation par les populations. Les pays en développement sont moins à même de mettre à profit les technologies numériques pour offrir des services publics en ligne, de tirer parti de l’IA, de prendre des mesures fortes en termes de cybersécurité, de créer de nouveaux débouchés économiques grâce au commerce électronique, ou de réformer leurs régimes fiscaux de manière à couvrir les recettes générées par les échanges numériques. Ils sont également aux prises avec les incidences de la transformation numérique sur les marchés du travail officiel comme non officiel, et sur les modèles économiques dépendants des ressources naturelles.
Chaque pays doit façonner sa propre transformation numérique afin qu’elle réponde à ses besoins et soit adaptée à sa situation et à son état de préparation vis-à-vis du numérique. La crise du COVID-19 a contribué à accélérer la transformation numérique dans les pays à faible revenu et à revenu intermédiaire, bien qu’à des degrés variables (voir les Chapitres 1, 6 et 22). Différents facteurs se dégagent pour la définition des priorités d’action, la gestion des processus numériques nationaux et la mise en place de l’administration numérique.
Le fait de placer le processus sous la direction d’un organe central, tel que le Cabinet du Président ou du Premier ministre, facilite l’identification des besoins et des atouts, la mise en place du soutien et la gestion des arbitrages. En Afrique du Sud, grâce à ce modèle de pilotage à haut niveau, le programme du Président en faveur de l’accélération du développement économique intègre ainsi des recommandations relatives à l’économie numérique (voir le Chapitre 7).
Le soutien politique aide à donner corps aux stratégies, en favorisant la mobilisation des moyens financiers, des compétences et de l’approche intégrée à long terme nécessaires à la mise en place des systèmes numériques. Dans le cadre de son processus stratégique, l’Éthiopie met actuellement en place un fonds de capital-risque pour les startups spécialisées dans les technologies (voir le Chapitre 7).
Une vision claire du rôle que peuvent jouer les outils numériques dans la réalisation des ambitions plus larges des pays peut guider les décisions stratégiques. Le Bangladesh utilise les technologies numériques comme un outil en faveur des pauvres et un levier pour obtenir plus tôt que prévu le statut de pays à revenu intermédiaire (voir le Chapitre 7).
Écouter en priorité la voix de ceux qui risquent d’être les plus désavantagés par la transformation numérique renforce le processus stratégique. Le gouvernement de la Dominique s’est ainsi engagé à ce que son plan numérique reflète le point de vue de tous les Dominiquais (voir le Chapitre 6).
Les gains rapides pertinents au regard du contexte local peuvent mettre en lumière les opportunités. Une stratégie nationale de transformation numérique dans l’État plurinational de Bolivie, où seuls 5 % des emplois sont fortement menacés par l’automatisation, différerait de celle de l’Uruguay, où ce taux s’élève à 29 % (voir le Chapitre 1). Pour de nombreux pays en développement, les gains rapides ont généralement trait à la façon dont les technologies numériques pourraient améliorer l’efficience au sein des chaînes de valeur agricoles ou profiter aux travailleurs informels.
Une approche à l’échelle de l’ensemble de l’administration peut faciliter la gestion des interdépendances entre les secteurs, dans des domaines d’action tels que les échanges, la fiscalité, la protection sociale, l’énergie et l’environnement, ainsi que le soutien en faveur des nouveaux modèles économiques. Le gouvernement de la République de Moldova, par exemple, avait dans un premier temps centré sa stratégie numérique sur le secteur des TIC, avant de faire de la transformation numérique une priorité nationale transsectorielle (voir le Chapitre 6).
La mise en place de partenariats avec le secteur privé facilite la gestion de la qualité des réseaux ; de la tarification de l’infrastructure numérique, des données et des appareils numériques ; ainsi que des modalités et des zones de déploiement des technologies numériques. En République-Unie de Tanzanie, la licence pour micro-opérateur de réseau mobile encourage l’offre de services cellulaires à des populations de taille réduite résidant dans les zones rurales (voir le Chapitre 22).
Développer les capacités en vue de réglementer les domaines techniques spécialisés. L’arrivée de la 5G pose des difficultés en termes d’attribution du spectre auxquelles les pouvoirs publics doivent s’atteler. Au Mexique, la Loi fédérale de 2014 sur les télécommunications et la radiodiffusion a introduit la notion de concessions destinées à un usage social dans le cadre des attributions de spectre1 ; ces concessions sont réservées aux services à visée communautaire, éducative, culturelle ou scientifique (voir le Chapitre 22).
Harmoniser les processus gouvernementaux, tels que la passation des marchés publics, afin de lever les obstacles à la mise en place de solutions numériques. Au Sri Lanka, le ministère de la Santé a déployé une solution numérique de surveillance de l’épidémie de COVID-19, fondée sur un système d’information open source gratuit dédié à la gestion sanitaire, dénommé DHIS2, choisi parce qu’il était compatible avec les procédures gouvernementales, en particulier celles en matière de passation de marchés publics (voir le Chapitre 26).
Développer l’administration électronique afin d’étendre l’accès aux services tels que le versement des prestations sociales. Les processus de régularisation électronique peuvent aider à garantir aux travailleurs une protection accrue et de meilleures conditions (voir le Chapitre 18). La transformation numérique des processus fiscaux et commerciaux peut contribuer à accroître les recettes (voir les Chapitres 14 et 15). Pour autant, le seul fait de proposer un service au format numérique ne se traduit pas nécessairement par un élargissement de la base d’usagers ni une amélioration des résultats. En Colombie, la refonte du portail numérique destiné aux citoyens montre à quel point l’adoption d’une approche axée sur les utilisateurs pour la conception des services numériques peut contribuer à améliorer leur expérience et leur participation (voir le Chapitre 13).
Suivre de près l’évolution du paysage technologique en recourant à des approches de l’élaboration agile des politiques qui soient adaptées au contexte (Jeník et Duff, 2020[2]). S’attacher à définir des principes communs peut guider l’élaboration des réglementations et des normes techniques.
L’essor des technologies numériques est tributaire du niveau d’interdépendance mondiale ; ses avantages et les risques qu’il comporte transcendent les frontières nationales. L'infrastructure matérielle sur laquelle repose la transformation numérique (câbles, stockage des données, par exemple) s'étend souvent sur plusieurs pays. Les flux transfrontières de données et des problématiques de plus en plus complexes telles que la fiscalité, la cybersécurité et la protection de la vie privée et des données à caractère personnel nécessitent l'harmonisation des cadres de gouvernance. Si chaque pays doit tracer sa propre trajectoire numérique, tous ont besoin de normes et de règles communes afin de régir les technologies numériques. Celles-ci doivent venir à bout des facteurs qui nuisent à un investissement tiré par le marché, tout en étant suffisamment flexibles pour permettre de remédier aux défaillances de ce dernier qui sont source de désavantages. Elles doivent également fixer des niveaux élevés de sécurité des données et des personnes et groupes que celles-ci représentent. À défaut d’être dûment représentés et de pouvoir faire entendre leur voix, de nombreux pays à faible revenu et à revenu intermédiaire doivent se contenter d’accepter les normes et sont contraints d'adopter des cadres qui ne sont pas adaptés à leurs contextes et leurs capacités spécifiques de mise en œuvre. Dans de nombreuses enceintes mondiales intervenant dans la gouvernance numérique, les pays en développement manquent des capacités nécessaires pour participer ou ne considèrent pas les travaux comme pertinents au regard de leur situation.
Les flux transfrontières de données et des problématiques de plus en plus complexes telles que la fiscalité, la cybersécurité et la protection de la vie privée et des données à caractère personnel nécessitent l'harmonisation des cadres de gouvernance. Si chaque pays doit tracer sa propre trajectoire numérique, tous ont besoin de normes et de règles communes afin de régir les technologies numériques.
Parce qu’elle doit concilier des exigences divergentes et des parties prenantes opposées, la transformation numérique pourrait être à l’avant-garde de l’adoption d'approches inclusives en matière de gouvernance mondiale. La gouvernance technologique mondiale pourrait favoriser l’émergence de modèles à plusieurs parties prenantes qui associent le secteur privé et la société civile, et proposer ainsi une voie différente de celle d'un multilatéralisme traditionnel et généralement intergouvernemental (voir le « Point de vue » de Nanjira Sambuli dans la Partie I). La demande de souveraineté numérique – à savoir, les prérogatives et la compétence des autorités nationales en vertu desquelles celles-ci prennent des décisions discrétionnaires ayant une incidence sur les citoyens et les entreprises dans le domaine numérique - ne cesse de croître. Les processus mondiaux devront trouver un équilibre entre cette demande et les interprétations abusives du concept de souveraineté, telles que le localisme appliqué au stockage des données, qui pourraient nuire au développement d'une économie numérique mondiale (Cory, 2017[3]).
De nouvelles approches juridiques et réglementaires sont nécessaires pour préserver les droits humains et limiter l'autoritarisme numérique. Les mêmes technologies qui offrent la promesse de sociétés mieux connectées et plus prospères peuvent également porter préjudice aux droits individuels et aux libertés collectives. Le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies a fait part de sa vive préoccupation quant aux menaces et aux actes de harcèlement auxquels sont soumis les groupes qui défendent les droits humains dans de nombreux pays, et a attiré l’attention sur l’utilisation d’outils technologiques conçus par le secteur de la surveillance privée pour pirater des appareils ou enfreindre le droit des individus au respect de leur vie privée (ONU, 2021[4]).
Les outils numériques sont utilisés à des fins de répression via la surveillance de masse, le profilage des citoyens et la désinformation ciblée. De plus en plus de données d’observation montrent en outre que les plateformes des médias sociaux favorisent l’exposition de leurs utilisateurs à des contenus extrémistes et exacerbent la polarisation sur les plans politique et social. Les technologies numériques peuvent fournir un espace civique, en particulier en cas de fermeture des supports classiques d’engagement civique et d’expression. Ces espaces peuvent être fragiles. Une étude menée récemment dans 10 pays d’Afrique a mis au jour 115 exemples de fermeture d’espaces civiques en ligne par les gouvernements, mais seulement 65 exemples d’ouverture d’espaces démocratiques en ligne par des citoyens au cours de la même période (voir le Chapitre 8). Pendant les cinq premiers mois de 2021, au moins 50 fermetures de l'internet ont été recensées dans 21 pays (voir le Chapitre 10). Ces fermetures ne limitent pas uniquement la liberté d’expression, mais peuvent également perturber l'activité économique, la fourniture des services publics et l'accès aux outils numériques dont les sociétés dépendent de plus en plus.
Les technologies numériques, qu’elles soient entre les mains d’acteurs privés ou déployées par les gouvernements, représentent des enjeux considérables et aux ramifications multiples en termes de sécurité. Les modèles économiques des plateformes des médias sociaux reposent sur le recueil et la mise à profit de données personnelles dans le but de prévoir et d'influencer les comportements en ligne. Les plateformes de travail en ligne permettent aux entreprises de tirer une valeur marchande des données des travailleurs. De nombreux gouvernements ont de plus en plus recours à des systèmes d’identification numériques qui recueillent des données personnelles sensibles pour assurer leur fourniture de services. Les fuites de données et les révélations relatives à la vente non autorisée de données, ainsi que l'utilisation de données pour surveiller et manipuler des groupes de la société alimentent la pression du public en faveur de systèmes plus élaborés de sécurité, de protection des données et de respect de la vie privée.
Les pays à revenu élevé mènent une course effrénée pour adapter leurs régimes de protection des données établis de longue date à l’évolution des risques. Disposant de plus faibles ressources, de nombreux pays à faible revenu et à revenu intermédiaire peinent quant à eux à trouver un modèle réglementaire approprié et à mettre en place un régime qui fonctionne. Moins de la moitié des pays les moins avancés (PMA) sont dotés d'une législation de protection des données ou des consommateurs qui couvre les activités en ligne (voir le Chapitre 3). Ce retard explique en partie les faibles niveaux de confiance du public dans les technologies numériques et freine le partage de données, qui sont pourtant nécessaires pour promouvoir le développement durable. Par ailleurs, dans de nombreux pays à faible revenu et à revenu intermédiaire, le renforcement de la cybersécurité n’est devenu un domaine prioritaire que récemment. Leur niveau d’adoption de normes et de réglementations est plus faible dans ce domaine que dans celui de la protection des données, et les ressources allouées sont minimes.
Les technologies numériques peuvent ouvrir de nouvelles voies à la désinformation, à savoir la création, la diffusion ou l’amplification d'informations erronées ou manipulées à des fins politiques, idéologiques ou commerciales (voir le « Point de vue » de Khan à la Partie II). En 2020, 130 pays et observateurs officiels auprès des Nations Unies ont réclamé des mesures destinées à lutter contre la désinformation, et les organisations internationales ont été appelées à renforcer leur assistance technique à l’élaboration de cadres réglementaires et de politiques propres à soutenir une riposte appropriée face à ce phénomène (Commission « Le large bande au service du développement durable », 2020[5]). Les effets néfastes de la mésinformation et la désinformation en ligne, en particulier sur les questions de santé, sont apparus clairement lors de la pandémie de COVID-19 (Linden et al., 2021[6] ; OMS, 2021[7]).
Les inégalités numériques reflètent et amplifient les inégalités classiques, en particulier pour les femmes et les filles. De plus en plus de données montrent ainsi que les biais de la prise de décision algorithmique peuvent exacerber les inégalités raciales et entre les sexes ( (Buolamwini et Gebru, 2018[8] ; Turner Lee, Resnick et Barton, 2019[9] ; UNESCO, 2020[10]). La nécessité de disposer de données d’entrainement localement pertinentes et d'approches analytiques qui reflètent les conditions de vie de l’ensemble des groupes de la société commence à peine à être prise en considération (Open for Good, s.d.[11]). Une meilleure compréhension de la fracture numérique entre hommes et femmes dans toute sa complexité peut apporter un éclairage sur la façon dont la transformation numérique risque d'aggraver d'autres inégalités, et étayer les stratégies destinées à veiller à ce que les technologies numériques profitent à tous.
Sur l’ensemble de la planète, les femmes se heurtent aux mêmes obstacles à l'inclusion, que ce soit dans le monde physique ou virtuel. Les recommandations à l’intention des pays de l’OCDE pourraient tout aussi bien s'appliquer aux pays en développement, qu'il s'agisse de mettre à profit les technologies numériques, de reconnaître les problèmes accrus de sûreté et de sécurité en ligne que rencontrent les femmes, ou d'adopter des politiques propres à favoriser la confiance dans les systèmes numériques, de manière à accroître le taux d'activité des femmes et l’entrepreneuriat féminin (OCDE, 2018[12]).Toutefois, si les obstacles rencontrés sont similaires, l’ampleur de la fracture numérique entre hommes et femmes est beaucoup plus large dans les pays en développement.
Depuis le début de la pandémie de COVID-19, les technologies numériques ont permis à des millions de femmes d'ouvrir leur premier compte bancaire en ligne et d'améliorer ainsi leur inclusion financière (voir le Chapitre 28). Toutefois, dans de nombreux pays, les femmes et les filles n'ont pas accès au monde numérique ou estiment que les produits et services numériques ne répondent pas à leurs besoins. Le coût de l’écart entre femmes et hommes est effarant. Au cours de la dernière décennie, on estime à 1 000 milliards USD la perte de produit intérieur brut due à l’écart d’utilisation de l’internet entre les femmes et les hommes dans 32 pays en développement (Alliance for Affordable Internet, 2021[13]). Combler cet écart permettrait d’augmenter de près de 300 milliards USD la valeur du marché du commerce en ligne en Afrique et en Asie du Sud-Est d'ici 2030 (voir le Chapitre 5). Les acteurs du développement s’en remettent de plus en plus à des mécanismes pour repérer les écarts entre les sexes et garantir que les transformations numériques soient délibérément conçues de manière à inclure les femmes (Encadré 1).
Resserrer l'écart numérique entre hommes et femmes peut ouvrir des perspectives aux femmes et aux filles dans tout un éventail de dimensions du développement. Il est par conséquent urgent d'appeler à une action ciblée. La Feuille de route du Secrétaire général des Nations Unies pour la coopération numérique comporte des engagements et des appels à l’action destinés à garantir que les femmes et les filles participent pleinement à la transformation numérique et en tirent parti (ONU, 2020[14]). Les nouveaux Principes des Nations-Unies pour des paiements numériques responsables réclament spécifiquement que la priorité soit accordée aux femmes dans ce domaine.
Afin de s'attaquer aux écarts entre les sexes, des recherches doivent impérativement être menées sur les dysfonctionnements du marché et les autres obstacles à l’inclusion des femmes dans l’économie numérique.
Un diagnostic orienté sur la problématique femmes-hommes peut aider à concevoir des politiques favorisant l’obtention de résultats concrets pour les femmes et les filles. Mesurer l’inclusion des femmes dans l’économie numérique peut faire ressortir les écarts entre les sexes au niveau de l'accès aux financements, de la propriété d’entreprise, des compétences et de la culture financière. Le Tableau de bord de l’économie numérique inclusive (Inclusive Digital Economy Scorecard), ainsi qu’un outil distinct du Fonds d'équipement des Nations Unies sont ciblés sur l'inclusion des femmes dans diverses dimensions. Parmi les 23 pays en développement qui utilisaient jusqu’à présent ces deux mesures, les pays obtenant des scores globaux élevés en innovation affichaient en général de faibles performances pour ce qui est de l'inclusion des femmes dans l’innovation. En Papouasie-Nouvelle-Guinée, l’utilisation de cet outil a étayé l’élaboration d'interventions ciblées destinées à augmenter le nombre d’entreprises dirigées par des femmes et à améliorer l'accès des femmes aux financements et aux produits financiers qui répondent à leurs besoins (voir le Chapitre 27).
De même, en se penchant sur la mesure plus fine de la « connectivité significative », l’Alliance pour un internet abordable (Alliance for Affordable Internet) a mis en évidence des écarts plus importants que ceux que révèlent les mesures traditionnelles de l'internet. En Colombie, par exemple, l'écart entre les sexes est de 0.9 % selon la mesure traditionnelle, mais de 16.9 % selon la mesure de la connectivité significative ; cette dernière mesure, plus ciblée, établit l'écart entre les sexes à 14.9 % au Ghana, au lieu de 5.8 %, et à 2.6 % en Indonésie au lieu de -0.1 % (voir le Chapitre 23).
Les données doivent refléter la vie des femmes et des filles. Les diagnostics et outils manquent tous de données qui rendent fidèlement compte de la réalité telle que la vivent les femmes et les filles. Une plus grande disponibilité de données ventilées selon le sexe améliorerait la qualité des informations à l’appui de la prise de décision (voir les Chapitres 4, 23 et 27).
Il ne reste que neuf ans pour regagner le terrain perdu du fait de la crise du COVID-19 et atteindre les Objectifs de développement durable (ODD). Les acteurs du développement ont un rôle essentiel à jouer pour faire en sorte que la transformation numérique serve ces objectifs. Outre la nécessité de promouvoir l’accès universel à l’internet, les infrastructures et biens publics numériques, et d’investir dans ces domaines, la demande se fait plus forte pour que les organismes spécialisés se livrent à un échange mutuel de connaissances et de savoir-faire dans le domaine de la transformation numérique (voir les Chapitres 7, 12 et 13). Les acteurs du développement doivent également admettre que le passage au numérique risque d’accroître les vulnérabilités plutôt que de changer la donne en matière de développement, à moins de s’attaquer au déséquilibre des rapports de force et aux autres facteurs systémiques d’exclusion, d’inégalité et de pauvreté.
Outre la nécessité de promouvoir l’accès universel à l’internet, les infrastructures et biens publics numériques, et d’investir dans ces domaines, la demande se fait plus forte pour que les organismes spécialisés se livrent à un échange mutuel de connaissances et de savoir-faire dans le domaine de la transformation numérique.
Les décideurs dans le domaine du développement doivent reconnaître que toutes les interventions numériques ne se traduisent pas nécessairement par des résultats positifs. Les stratégies, les mesures de sauvegarde et les évaluations des risques devraient anticiper les conséquences négatives involontaires, et les gérer. Par exemple, face aux préoccupations relatives au fait que le système d’identification biométrique en Afghanistan puisse être utilisé pour localiser et cibler des citoyens, d’aucuns ont appelé les acteurs du développement international à être beaucoup plus attentifs à la pérennité des solutions numériques qu’ils soutiennent (Chandran, 2021[15]). Les propres pratiques des organismes de développement en matière de partage de données ont suscité la critique pour les risques qu’elles font courir aux groupes persécutés (Human Rights Watch, 2021[16]). Étant donné le caractère sensible des données contenues dans les systèmes numériques et les vulnérabilités des populations dont ils servent les intérêts, les organismes de coopération pour le développement devront intégrer la protection des données et d’autres mesures de sauvegarde dans l’ensemble de leurs décisions futures.
Les processus internes des acteurs de la coopération pour le développement doivent eux aussi évoluer pour s’adapter à l’ère numérique. Les études de faisabilité, les méthodes de mesure de l’impact et les modes d’exécution des projets et des programmes qui fonctionnaient à l’ère analogique risquent de ne plus offrir la souplesse nécessaire dans un contexte numérique. Les financements, les systèmes de passation des marchés et les normes juridiques fondés sur la propriété, par exemple, peuvent être inadaptés pour soutenir les biens publics numériques, dont la propriété est commune. Les acteurs de la coopération pour le développement doivent également trouver de nouveaux moyens de travailler ensemble. Le manque d’interopérabilité est un des principaux écueils d’une coopération pour le développement non coordonnée et se traduit par des occasions manquées d’assurer un plus fort impact, par exemple en n’étant pas en mesure d’exploiter des données de santé compartimentées dans des silos de données alors que cela permettrait d’améliorer les résultats dans ce secteur (voir les Chapitres 25, 31 et 34) – un phénomène qui entraîne également un gaspillage de ressources en raison des doublons créés, et qui produit potentiellement des actifs numériques « échoués ».
Les recommandations des auteurs des contributions figurant en Parties 1 à 4 du rapport sur les pistes à suivre en matière de coopération pour le développement mettent l’accent sur trois priorités interdépendantes, à savoir, pour les acteurs de la coopération pour le développement : 1) veiller à ce que les politiques et les partenariats soient porteurs d’un avenir numérique inclusif ; 2) se concentrer sur les éléments à la base d’écosystèmes numériques durables au plan national et régional ; et 3) adapter les financements dans le domaine du numérique de sorte qu’ils gagnent en ampleur et en souplesse et soient ouverts à l’innovation.
Les responsables des organismes internationaux de développement reconnaissent qu’il convient d’élaborer une nouvelle génération de stratégies à l’appui de la transformation numérique et d’aider les pays partenaires à gérer cette transition de manière responsable et durable. Douze membres du Comité d’aide au développement (CAD) ont adopté des stratégies numériques à l’appui du développement et six autres ont érigé en priorité le passage au numérique dans leur politique globale de coopération pour le développement (voir le Chapitre 33). Les stratégies récentes se démarquent par leur réorientation vers l’inclusion, les droits, la problématique femmes-hommes et les fractures territorialisées, l’espace civique en ligne, le renforcement des capacités en matière d’action publique et de réglementation, et l’amélioration de l’accès et de l’accessibilité financière.
Certains organismes de développement adoptent une approche du « numérique par défaut »2 dans leurs portefeuilles, privilégiant les infrastructures numériques et intégrant le passage au numérique dans l’ensemble des secteurs. Quelques organismes de développement et institutions financières de grande envergure investissent dans des infrastructures numériques matérielles, souvent dans le cadre de partenariats public-privé (c’est le cas, par exemple, de la Banque interaméricaine de développement (BID), du Groupe de la Banque mondiale et d’institutions bilatérales de financement du développement) (voir le Chapitre 40). Parallèlement, il importe de continuer à favoriser le transfert et l’adoption de technologies (ex. technologies financières (FinTech) ou éducatives), mais en ayant davantage conscience des bonnes pratiques en matière d’interopérabilité, de l’échelle et de la valeur ajoutée qu’apporte l’harmonisation des outils – même si la fragmentation et les solutions numériques en silos demeurent problématiques.
L’impact est plus important lorsque l’aide publique au développement est coordonnée, harmonisée (mais en mettant l’accent sur l’avantage comparatif), compatible avec les stratégies des pays partenaires et adaptée au contexte et aux besoins du pays (voir le Chapitre 7). La pérennité et l’efficacité des projets de développement sont compromises, entre autres entraves, par le fait que ces projets ont tendance à s’inscrire sur le court terme, à être fragmentés et à faire double emploi, alors que les pays partenaires ont besoin d’un engagement prévisible, inscrit sur le long terme, pour bâtir des systèmes numériques solides, durables et interopérables (voir également le Chapitre 25). De nombreux fournisseurs de coopération pour le développement adhèrent aux Principes pour le développement numérique, qui fournissent un cadre applicable à la programmation en faveur du développement. Les principes internationaux pour une coopération efficace au service du développement (OCDE, 2008[17]) sont particulièrement pertinents, mais doivent encore être expressément intégrés dans les stratégies numériques. Les alliances, plateformes et partenariats internationaux dans le domaine du numérique semblent toutefois gagner du terrain, ce qui témoigne d’un engagement accru à unir les forces pour accroître l’impact et l’efficacité.3 Ces alliances encouragent également les échanges entre pairs et le partage des connaissances, ce qui peut renforcer la culture numérique des fournisseurs moins expérimentés et améliorer la qualité des programmes.
Parallèlement, les fournisseurs de coopération pour le développement peuvent collaborer avec des parties prenantes nouvelles et diversifiées afin de promouvoir et de défendre des principes de « non-préjudice » ainsi qu’une transformation numérique centrée sur l’humain et axée sur l’objectif de produire des résultats en matière de développement. Alors que les entreprises technologiques du secteur privé pilotent le développement des technologies numériques, les acteurs du développement peuvent œuvrer de concert avec les pouvoirs publics, les organisations de la société civile et d’autres parties prenantes pour influer sur la conception de technologies numériques centrées sur l’utilisateur, ce qui leur permettra de décider de leur pertinence et de leur usage au-delà du seul bénéfice commercial (voir le Chapitre 32).
Au niveau international, les membres du CAD et les autres acteurs du développement sont bien placés pour plaider en faveur de l’inclusion des pays à faible revenu et des pays à revenu intermédiaire dans les négociations mondiales et les processus normatifs qui définissent les règles et les valeurs sur lesquelles repose l’avenir numérique. Les activités de renforcement des capacités qui préparent les pays à participer efficacement à ces processus font une réelle différence, comme le montre l’initiative « E‑Commerce pour tous » (voir le Chapitre 3). Les pays de l’OCDE sont à la croisée des réseaux et des forums spécialisés dans le domaine de la réglementation qui façonnent l’économie numérique mondiale. Ainsi, l’OCDE a joué un rôle déterminant dans l’élaboration et la mise en œuvre d’un accord entre 136 pays visant à relever les défis fiscaux posés par l’économie numérique (OCDE, s.d.[18]). Dans ces enceintes, les responsables des politiques de coopération pour le développement peuvent jouer un rôle actif pour promouvoir une forme de cohérence des politiques au service du développement qui tienne compte des répercussions négatives et positives des décisions sur les pays en développement et les personnes laissées de côté.
Le Graphique 2 présente une liste de mesures essentielles que les fournisseurs de coopération pour le développement peuvent prendre pour veiller à ce que leurs politiques et leurs partenariats soient porteurs d’un avenir numérique inclusif.
Chaque pays en est à un stade différent de sa trajectoire numérique, et le niveau ainsi que la nature de l'utilisation des technologies numériques est variable. Les systèmes numériques de tous les pays doivent toutefois réunir certains éléments de base. Les partenariats et le dialogue avec les gouvernements partenaires devraient soutenir les priorités nationales en matière de transformation numérique, utiliser des processus analytiques pilotés par les pays pour aligner les programmes et les financements au sein des pays, et aider à élaborer des cadres réglementaires adaptés au contexte.
La connectivité, l’accès à l’énergie et la capacité des pouvoirs publics et des citoyens à accéder, utiliser et gérer les outils numériques font partie des facteurs déterminants (voir le Chapitre 25). Certaines plateformes – systèmes de cartes d'identité, d'échange de données et de paiements – constituent l’infrastructure publique numérique (IPN) dont les pays ont besoin de se doter pour fonctionner dans le monde numérique. Ces systèmes peuvent être le fruit de solutions propriétaires ou de biens publics numériques (BPN). Les BPN permettent une grande interopérabilité et peuvent étayer la souveraineté numérique, mais ils exigent des capacités locales pour assurer la gestion et la maintenance, tandis que le financement et le soutien technique sur la durée constituent par ailleurs un défi (voir le Chapitre 26). Une fois les mécanismes de protection des données en place, ces éléments de base peuvent permettre le déploiement d'un écosystème numérique local. Au nombre des innovations qui pourraient se faire jour figurent des modèles économiques ne reposant pas sur la publicité ; des plateformes qui renforcent les droits collectifs des travailleurs plutôt que d'ouvrir la porte à la récupération de données que pratiquent nombre d'applications de travail à la demande ; ou encore des modèles économiques issus des technologies numériques visant à surmonter des contraintes telles que les difficultés d’accès à l’énergie.
La connectivité continue d’être un défi et c’est une question à inscrire parmi les priorités dans les pays en développement. Près de 3 milliards de personnes dans le monde n'ont jamais utilisé l'internet, et 96 % d’entre elles vivent dans des pays en développement. En 2020, une proportion de seulement 6 % de la population mondiale étaient encore exclus de la couverture en haut débit mobile. Or, pas moins de 19 % de la population d’Afrique subsaharienne n’ont toujours pas accès au haut débit mobile (voir le Chapitre 4). La connectivité du dernier kilomètre est atteignable lorsqu'il y a collaboration entre les acteurs publics et privés, par exemple en autorisant le recours à des licences spécifiques ou l’octroi de licences à un prix réduit dans les zones rurales, en procédant à une attribution du spectre de fréquences à des fins sociales, en recherchant des partenariats public-privé en vue d’étendre les infrastructures matérielles, ou en recourant à des incitations fiscales qui réduisent le risque pour les nouveaux fournisseurs de services désireux d’entrer sur le marché. Lorsque des solutions du type réseau sans fil, réseau câblé ou autres existent, elles doivent être évaluées au regard des critères d’accessibilité en termes de coût, d’utilisation, de viabilité financière, de structure et de durabilité, de façon à aplanir tous ces obstacles à l'inclusion numérique (voir le Chapitre 22).
Il ne s’agit pas seulement de combler l’écart en termes de connectivité, l’urgence est maintenant de combler l’écart en termes d'utilisation. En 2020, 43 % des personnes couvertes par le haut débit mobile ne l'utilisaient pas (voir le Chapitre 4). Si le coût des données a baissé dans de nombreuses régions, les PMA sont dans le monde les pays où l’utilisation de l’internet est la plus coûteuse ; l’accessibilité financière des données et des équipements demeure l’obstacle le plus important. Au sein des pays, les communautés rurales sont défavorisées à trois égards. Elles sont non seulement celles dont la connectivité est la plus faible mais, du fait du niveau élevé de pauvreté, elles sont également les populations le moins à même d’assumer le coût des services de données et des services numériques. Elles ont également moins de chances d'avoir accès à des vecteurs de progrès comme l’approvisionnement en énergie. Le manque d’informations pertinentes et les préoccupations que suscitent la sûreté et la sécurité constituent d'autres obstacles.
Investir dans des données et éléments factuels plus complets pour déterminer en quoi le passage au numérique influe sur le développement favoriserait un ciblage stratégique orienté là où il est possible d'obtenir le plus d’impact. On constate un déficit de données, par exemple, quant aux indicateurs de connectivité que sont notamment la couverture réseau ou les infrastructures permettant de localiser les populations insuffisamment desservies. Des données ne s’arrêtant pas aux moyennes nationales, mais renseignant plus précisément sur les groupes défavorisés (ex. : données sur les régions rurales/urbaines ou ventilées par sexe), ainsi que des informations relatives à l'accessibilité financière à l’échelon infranational seraient également utiles pour assurer la connectivité du dernier kilomètre et surmonter les obstacles en termes d'utilisation (voir le Chapitre 22).
Les organisations régionales peuvent apporter une valeur ajoutée aux efforts déployés à l’échelon national et aider leurs membres à maîtriser la transformation numérique. Des efforts d’harmonisation à l’échelon régional peuvent faciliter le commerce numérique et le partage de données à l’échelle transfrontières, et contribuer à améliorer les rendements économiques induits par le passage au numérique. Associée à un accord commercial régional, une hausse de 10 % de la connectivité numérique entraîne une croissance de 2.3 % des exportations de marchandises (voir le Chapitre 15). L’Amérique latine et les Caraïbes et l’Afrique sont deux régions qui s’appliquent à créer des marchés uniques numériques, qui rendraient plus attractifs l’apport d'infrastructures, de produits, de services et d’investissements numériques à des pays qui, en tant que marchés isolés, seraient considérés comme trop petits ou trop risqués. Les normes régionales doivent toutefois être en adéquation avec les normes mondiales afin d’éviter que ne se dressent des obstacles au partage ou à l’échange de données à l’échelon régional.
On peut trouver une liste de mesures essentielles à prendre pour que la coopération internationale permette de consolider les éléments de base d’écosystèmes numériques durables au plan national et régional dans le Graphique 3.
Les pays sont maintenant mis au défi de mener leur transition numérique et leur transition verte, les deux étant tributaires de projets de grande envergure et à forte intensité de capital. Par exemple, l'accès à l’énergie pour tous est à la fois un ODD et un levier essentiel pour faciliter la transformation numérique. L’ODD 7.1 « Garantir l’accès de tous à des services énergétiques fiables, durables et modernes, à un coût abordable » accuse un déficit de financement à l'échelle mondiale de 350 milliards USD, près des deux tiers de cet investissement étant à prévoir pour l’Afrique subsaharienne (voir le Chapitre 19). Parallèlement, il a été calculé en 2020 qu'une enveloppe de 428 milliards USD serait nécessaire pour connecter d'ici 2030 tous ceux qui n’avaient pas encore accès à l’internet (UIT, 2020[19]), dont une part de 5 milliards USD pour connecter les établissements scolaires (voir le Chapitre 24). Le coût du déploiement des réseaux 5G sera nettement plus élevé (voir le Chapitre 41). Le financement total nécessaire à la mise en œuvre des systèmes IPN dans l’ensemble des pays à revenu faible ou intermédiaire est estimé aux alentours de 30 milliards USD (voir le Chapitre 25).
Les estimations présentées dans ce rapport indiquent que le financement public du développement alloué à des activités numériques a plus que triplé entre 2015 et 2019, les fournisseurs ayant investi au total 18.6 milliards USD et ayant permis de mobiliser encore 4.2 milliards USD de financements privés sur cette période. Même si cette tendance se poursuit, il faudra consacrer davantage de ressources pour aider les pays à répondre à des besoins de financement grandissants à un moment où la marge de manœuvre budgétaire se réduit et où la charge de la dette s’alourdit dans les pays à revenu faible ou intermédiaire, ce qui complique la mobilisation des ressources intérieures (Banque mondiale, 2021[20]).
Il est attendu du secteur privé qu'il prenne en charge l’essentiel du coût de l’accès à l’énergie et de l’amélioration de la connectivité, même si les investisseurs privés considèrent les pays en développement comme à risque (voir les Chapitres 2, 41 et 42). La transparence de l’investissement privé à l'appui des technologies numériques dans les pays en développement, investissement qui ne fait pas l’objet d'un suivi et est donc difficile à estimer, pourrait également être renforcée.
Le financement public intérieur, les dons internationaux et les prêts concessionnels jouent aussi un rôle dans la gestion des défaillances du marché. Avec des investissements initiaux à impact social, leur effet catalyseur peut être mis à profit afin de mobiliser des investissements commerciaux. Des approches innovantes du financement et de la passation des marchés peuvent aussi permettre de réduire les risques liés aux marchés de façon à inciter de nouveaux entrants à fournir des produits issus des technologies numériques et à accélérer ainsi la transformation numérique (voir le Chapitre 25). Une meilleure gestion des redevances versées par les opérateurs, de façon à accroître les ressources et à les dépenser plus efficacement, ainsi qu’une réglementation permettant d’abaisser les coûts, y compris grâce au partage de réseau, en sont quelques exemples (voir le Chapitre 22). En Algérie, au Ghana, au Kenya et au Nigéria, par exemple, le secteur public a établi un partenariat avec des compagnies de télécommunications mobiles et des fournisseurs d’équipements de télécommunications afin de doter les populations rurales du haut débit mobile (voir le Chapitre 1).
Des mécanismes de financement commun entre différents acteurs ont le potentiel de tirer le meilleur parti de budgets limités, chaque acteur faisant jouer ses points forts. En 2021, l’effet de levier des prêts consentis dans le cadre du Partenariat pour le développement numérique de la Banque mondiale a atteint 9 milliards USD, soit 950 USD de prêt pour 1 USD de financement de la part des donneurs (voir le Chapitre 41). La plateforme Digital for Development de l’UE a pour but, entre autres, de renforcer la coordination et l’efficacité, en mettant à profit différentes capacités de financement et sources de connaissances (voir le Chapitre 33).
Une méthode convenue d'un commun accord permettant de mesurer les financements alloués à la transformation numérique devra prendre en compte des approches différentes de la budgétisation et de l’affectation des activités numériques entre les secteurs. En tant que communauté, les fournisseurs de coopération pour le développement doivent également travailler de concert pour répondre à la demande croissante de la part des pays partenaires, et affecter efficacement les ressources là où elles font le plus cruellement défaut, en mettant à profit les points forts et les domaines d’expertise des uns et des autres.
Le Graphique 4 présente une liste de mesures essentielles que les fournisseurs de coopération pour le développement peuvent prendre pour faire en sorte que les financements et les partenariats dans le domaine du numérique soient adaptés aux objectifs poursuivis, gagnent en ampleur et en souplesse et soient ouverts à l’innovation.
Les contributions à ce rapport proposent des analyses et des données factuelles complémentaires qui sous-tendent et développent chacune des mesures énumérées dans la liste.
Depuis le début de la crise du COVID-19, le recours aux outils numériques a fait comprendre à marche forcée l’importance des capacités numériques pour les individus comme pour les pays. Les presque 40 % de la population mondiale qui ne sont pas connectés ne peuvent profiter de ces bienfaits. Jusqu'à ce que les écarts en matière de couverture et d'utilisation soient résorbés, les multiples fractures numériques qui se sont fait jour persisteront. Alors que la quatrième révolution industrielle suit son cours et que la technologie progresse, les pays en développement risquent d’être relégués à un rôle marginal aux extrêmes de la chaîne de valeur numérique, au rang de pourvoyeurs de matières premières ou de lieux de décharge des déchets numériques.
De nombreuses contributions dans ce rapport soulignent la nature sans frontière des menaces et des risques associés à la transformation numérique. Pour les contenir, il est indispensable de coopérer à l’échelle mondiale de manière à créer de nouvelles normes qui mettent en place des mesures de protection et instaurent pour tous des règles du jeu équitables. Le processus d’établissement de normes s'accélère, mais les réalités numériques des pays en développement et leurs capacités à gérer l'impact du virage numérique sont rarement prises en compte. Il faut donner de l’écho à leurs voix pour faire en sorte que la transformation numérique soit synonyme de résultats concrets pour ceux qui ont le plus à en attendre.
Les bienfaits que les technologies numériques ont apportés aux économies et aux sociétés sont immenses. Œuvrer à l’édification d’un avenir numérique inclusif pourrait être le levier indispensable pour réduire les écarts de développement et bâtir un avenir meilleur pour tous.
[13] Alliance for Affordable Internet (2021), The Costs of Exclusion: Economic Consequences of the Digital Gender Gap, https://webfoundation.org/docs/2021/10/CoE-Report-English.pdf (consulté le 23 octobre 2021).
[20] Banque mondiale (2021), International Debt Statistics 2022, https://doi.org/10.1596/978-1-4648-1800-4.
[15] Chandran, R. (2021), « Afghan panic over digital footprints spurs call for data collection rethink », https://www.reuters.com/article/afghanistan-conflict-tech-idUSL5N2OI06Y (consulté le 26 novembre 2021).
[5] Commission « Le large bande au service du développement durable » (2020), Balancing Act: Countering Digital Disinformation While Respecting Freedom of Expression, https://www.broadbandcommission.org/wp-content/uploads/2021/02/WGFoEDisinfo_Report2020.pdf (consulté le 23 octobre 2021).
[3] Cory, N. (2017), Cross-Border Data Flows: Where Are the Barriers, and What Do They Cost?, Information Technology and Innovation Foundation, Washington, D.C., https://www2.itif.org/2017-cross-border-data-flows.pdf (consulté le 26 octobre 2021).
[8] Friedler, S. et C. Wilson (dir. pub.) (2018), « Gender shades: Intersectional accuracy disparities in commercial gender classification », Proceedings of Machine Learning Research, vol. 81, pp. 1-15, https://proceedings.mlr.press/v81/buolamwini18a/buolamwini18a.pdf.
[16] Human Rights Watch (2021), « UN shared Rohingya data without Informed consent », https://www.hrw.org/news/2021/06/15/un-shared-rohingya-data-without-informed-consent (consulté le 26 novembre 2021).
[2] Jeník, I. et S. Duff (2020), How to Build a Regulatory Sandbox: A Practical Guide for Policy Makers, Groupe consultatif d’assistance aux pauvres, Washington, D.C., https://www.cgap.org/sites/default/files/publications/2020_09_Technical_Guide_How_To_Build_Regulatory_Sandbox.pdf (consulté le 23 octobre 2021).
[6] Linden, S. et al. (2021), « Inoculating against COVID-19 vaccine misinformation », The Lancet, vol. 33, p. 100772, https://doi.org/10.1016/J.ECLINM.2021.100772.
[1] OCDE (2021), OECD Going Digital Toolkit, https://goingdigital.oecd.org/en/ (consulté le 1er mars 2021).
[12] OCDE (2018), Bridging the Digital Gender Divide: Include, Upskill, Innovate, Éditions OCDE, Paris, http://www.oecd.org/digital/bridging-the-digital-gender-divide.pdf (consulté le 1er mars 2021).
[17] OCDE (2008), Déclaration de Paris et le Programme d’action d’Accra, https://www.oecd.org/fr/cad/efficacite/declarationdeparissurlefficacitedelaide.htm (consulté le 8 décembre 2021).
[18] OCDE (s.d.), Érosion de la base d’imposition et transfert de bénéfices - OCDE/BEPS, https://www.oecd.org/tax/beps/ (consulté le 9 mars 2021).
[7] OMS (2021), « Fighting misinformation in the time of COVID-19, one click at a time », https://www.who.int/news-room/feature-stories/detail/fighting-misinformation-in-the-time-of-covid-19-one-click-at-a-time (consulté le 23 octobre 2021).
[4] ONU (2021), Droit à la vie privée à l’ère du numérique, A/HRC/RES/48/4, Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, New York, https://undocs.org/fr/A/HRC/RES/48/4 (consulté le 23 octobre 2021).
[14] ONU (2020), Plan d’action du Secrétaire général pour la coopération numérique , https://www.un.org/fr/content/digital-cooperation-roadmap/ (consulté le 30 mars 2021).
[11] Open for Good (s.d.), « What if artificial intelligence could be trained on localized data that is accessible by everyone? » (page web), https://www.openforgood.info/.
[9] Turner Lee, N., P. Resnick et G. Barton (2019), « Algorithmic bias detection and mitigation: Best practices and policies to reduce consumer harms », The Brookings Institution, Washington, D.C., https://www.brookings.edu/research/algorithmic-bias-detection-and-mitigation-best-practices-and-policies-to-reduce-consumer-harms.
[19] UIT (2020), Connecting Humanity: Assessing Investment Needs of Connecting Humanity to the Internet by 2030, Union internationale des télécommunications (UIT), Genève, https://www.itu.int/en/myitu/Publications/2020/08/31/08/38/Connecting-Humanity (consulté le 13 octobre 2021).
[10] UNESCO (2020), Artificial Intelligence and Gender Equality, Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO), Paris, https://en.unesco.org/system/files/artificial_intelligence_and_gender_equality.pdf.
← 1. L’attribution du spectre de fréquences désigne le processus consistant à décider de l’utilisation d’un ensemble donné de fréquences. Il s’agit de déterminer qui est autorisé à exploiter cette bande de fréquences.
← 2. L’étude de cas relative à l’Allemagne présente cette notion comme le fait de rechercher systématiquement des possibilités d’utiliser les technologies numériques, quels que soient les projets ou les partenaires.
← 3. Voir, par exemple, l’alliance DIAL (Digital Impact Alliance) (cf. Chapitre 25), l’initiative « E-Commerce pour tous » (« e-Trade for All ») de la CNUCED (cf. Chapitre 3), le « Digital for Development Hub » (« D4D Hub ») de l’Union européenne (cf. Chapitre 33) et le Partenariat pour le développement numérique de la Banque mondiale (cf. Chapitre 41).