Les violences frontalières s’intensifient en Afrique du Nord et de l’Ouest, avec 60 % des victimes et des incidents violents recensés à moins de 100 kilomètres d’une frontière entre janvier et juin 2021. La moitié implique des civils. Cette tendance, déjà perçue dans le rapport du Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest (CSAO/OCDE) paru en 2021, est plus particulièrement visible en Afrique de l’Ouest, la situation en Afrique du Nord se stabilisant avec la signature du récent cessez-le-feu (Libye, octobre 2020). Face au développement des conflits et des groupes terroristes transnationaux, trois questions se posent : les zones frontalières sont-elles plus violentes que les autres ? L’intensité des violences y a-t-elle augmenté ? Certaines régions frontalières sont-elles plus violentes que d’autres ?
Bien qu’étant géographiquement et politiquement périphériques, les espaces frontaliers influencent la diffusion spatiale de la violence et l’instabilité politique. Les conflits frontaliers ne sont pas uniquement liés à leur position périphérique par rapport à l’État central et reflètent des problèmes politiques plus larges, tels que la marginalisation perçue de certains groupes.
Les leviers poussant les acteurs étatiques et non étatiques à adopter une stratégie transnationale dépendent fortement des contextes étatiques et locaux, ce qui explique notamment pourquoi certaines zones frontalières sont beaucoup plus violentes que d’autres. À l’heure actuelle, les deux principaux foyers de violences frontalières sont la région Burkina Faso-Mali-Niger et le bassin du lac Tchad ; les conflits y sont plus intenses et les événements violents plus concentrés qu’ailleurs. Se développe également une coalescence de violences le long de plusieurs frontières du Nigéria, où des foyers de tension animés par des problématiques différentes se rejoignent géographiquement. Complexifiant ces dynamiques, la localisation de ces violences évolue au fil du temps.
Outre une cartographie et analyse des faits de violences transfrontalières depuis la fin des années 1990 aux niveaux régional et local (Sahel central et oriental), ce rapport bénéficie des points de vue de collègues et personnalités éminentes impliqués à plusieurs niveaux dans les problématiques sécuritaires et de développement. Les points suivants qu’ils soulèvent me semblent particulièrement clés :
La dégradation de la sécurité au Sahel constatée ces 15 dernières années éclaire la fragilité des États et des sociétés sahéliennes. Cette dégradation ne se résume pas à la seule problématique terroriste et djihadiste, mais révèle également l’émergence ou la réémergence de conflits communautaires et d’insurrections, ainsi que la multiplication de milices à motivations variables.
Cette absence de sécurité et de stabilité durables complexifie le développement d’un environnement propice à la création de valeur, notamment dans le secteur agricole, ou d’infrastructures permettant d’accroître les débouchés commerciaux d’espaces frontaliers, nœuds indispensables de la structuration territoriale et de l’intégration régionale. Outre le fait que cette situation érode la confiance entre les populations frontalières et l’État, les organisations humanitaires peinent à tenir leurs promesses sur le terrain faute de pouvoir se déplacer.
Dans un tel contexte et face aux tendances plutôt pessimistes qui se dégagent des conclusions de ce rapport, je souhaite reprendre les trois priorités mises en avant par l’Ambassadeur Maman Sidikou : protéger la dignité des populations, repenser la continuité territoriale et informationnelle, et promouvoir une intégration régionale de proximité.
Si les réflexions tirées de ce travail ne prétendent pas apporter des solutions formatées aux stratégies déjà en place, les options proposées rappellent l’importance de disposer de nouveaux outils d’aide aux politiques qui permettent une lecture spatiale, relationnelle et temporelle des violences et des tendances. La représentante spéciale de l’Union européenne (RSUE), Mme Emanuela Del Re, souligne l’importance d’un « sursaut civil et politique », comme y exhorte le nouveau pacte de l’Union européenne visant à accompagner la stabilisation de la région en travaillant en étroite coopération avec ses partenaires sahéliens. Le rapport rappelle aussi le besoin de disposer de lectures qualitative et quantitative grâce à la combinaison de statistiques régulières homogènes et d’indicateurs innovants. Ces analyses représentent autant de mécanismes d’appui à la décision pour mieux anticiper les dynamiques futures, s’adapter aux fragilités de la région et à leurs interactions et volatilités, et penser un développement et des politiques plus inclusifs, contextualisés et territorialisés. Le CSAO/OCDE espère, à l’aide de ces outils, accompagner un changement durable et transformateur des espaces frontaliers au cœur des territoires africains de demain.
Dr Ibrahim Assane Mayaki
Secrétaire exécutif, Agence de développement de l’Union africaine (AUDA-NEPAD), et Président honoraire, Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest (CSAO)