Ce chapitre décrit les principaux défis et opportunités pour le secteur agricole et alimentaire dans les pays examinés, donne un aperçu des tendances de la performance du secteur en matière de productivité et de durabilité, et identifie les principaux déficits de connaissances pour une compréhension complète de la situation.
Innovation, productivité et durabilité dans le secteur agricole et alimentaire
Chapitre 2. Les défis de la productivité et de la durabilité dans le secteur agricole et alimentaire
Abstract
En dépit de leurs différences, les secteurs agricole et alimentaire des pays examinés doivent relever des défis et saisir des opportunités comparables : les pays peuvent donc apprendre des expériences de chacun dans de nombreux domaines.
La croissance et la diversification de la demande mondiale offrent de nouvelles possibilités aux exportateurs traditionnels de produits agroalimentaires, mais favorisent également l’émergence de marchés de produits dotés de caractéristiques spécifiques, sur lesquels le principal facteur concurrentiel est la qualité. La plupart des examens encouragent les pays à se diversifier vers ces produits à plus grande valeur.
Les exportateurs agroalimentaires compétitifs de la zone de l’OCDE ont pour grand défi de devoir répondre à la fois à la concurrence accrue sur les marchés mondiaux des produits de base – en particulier celle des économies émergentes à plus forte croissance – et aux exigences environnementales plus strictes en provenance des marchés ou imposées par les réglementations nationales ainsi qu’aux incertitudes croissantes qui entourent l’accès au marché.
Dans le même temps, dans de nombreux pays, le manque de compétitivité et de capacité de la filière agroalimentaire pose problème à certains pans au moins du secteur et limite le développement de l’agriculture, de l’innovation et de la capacité exportatrice du système alimentaire.
Tous les pays doivent aussi favoriser une hausse de la productivité et de la durabilité pour que le secteur agricole et agroalimentaire, en restant compétitif et viable, puisse répondre de façon pérenne à l’évolution de la demande, assurer un revenu adéquat aux familles agricoles et contribuer à l’économie rurale, en particulier dans les pays et les régions où l’activité agricole et agroalimentaire est importante.
L’innovation permanente dans les technologies, les pratiques et l’organisation contribue à faire accéder le secteur agricole et agroalimentaire à davantage de productivité et de durabilité environnementale. Il est donc crucial que l’innovation soit mieux acceptée des consommateurs et de la société en général.
Accélérer la productivité reste en outre une mission délicate aussi bien dans les pays très performants, où des ajustements simples ont déjà été opérés, que dans d’autres, moins performants, où les mécanismes d’incitation et de dissuasion doivent être revus. Il peut être utile dans ce contexte de compter sur des changements structurels, notamment le regroupement des exploitations et la diversification des activités. De tels changements structurels sont déjà en cours dans tous les pays, mais à des degrés différents selon qu’ils ont été introduits il y a plus ou moins longtemps, et qu’ils sont effectués plus ou moins vite. Cela n’empêche pas par ailleurs qu’il existe encore presque partout de petites exploitations agricoles peu rémunératrices et, souvent, moins productives.
Malgré la grande diversité des situations, les pressions environnementales sont de plus en plus découplées de l’évolution de la productivité agricole. Le problème de la durabilité touche presque tous les pays, mais il est de nature et d’ampleur variables, tant d’une économie à l’autre qu’au sein d’une même économie. Pour certains pays, le principal problème est la rareté des ressources en eau. Pour d’autres, c’est la pollution par les éléments nutritifs. On observe toutefois des progrès sur au moins certains aspects de la durabilité du secteur agricole dans tous les pays examinés, même si les pressions qui s’exercent sur l’environnement restent sévères. Dans la plupart des pays, la variation en pourcentage des dommages causés par l’agriculture à l’environnement est restée inférieure ou égale à la variation en pourcentage des gains de productivité (signe d’un découplage relatif avec l’environnement), certaines des économies ayant réduit ces dommages tout en accroissant la productivité (découplage absolu avec l’environnement).
Le changement climatique modifiera les conditions naturelles dans lesquelles s’exerceront les activités agricoles et accentuera les incertitudes aux quatre coins du monde. La panoplie des produits adaptés s’en trouvera bousculée, de même par conséquent que la productivité, et la nature et l’ampleur des contraintes, qui vont du stress hydrique au stress thermique en passant par les parasites et les maladies. L’adaptation sera donc cruciale.
Défis et opportunités du secteur agricole et alimentaire
L’ensemble des pays examinés révèle une multiplicité de tailles, de situations géographiques, de conditions naturelles, de climats économiques et de cadres d’action (Annexe B). Les performances structurelles, économiques et environnementales de leurs secteurs agricole et alimentaire respectifs reflètent cette diversité, laquelle est une illustration des différents chemins possibles pour améliorer la productivité et la durabilité.
La demande croissante des consommateurs plus aisés demandeurs d’une alimentation diversifiée offre la possibilité d’une concurrence fondée sur la qualité plutôt que sur les prix, à la fois sur les grands marchés traditionnels et sur des marchés de niche plus petits. Les signaux de marché incitent les entreprises à répondre à une demande en cours d’évolution et de diversification, tandis que le rôle des pouvoirs publics est de s’assurer du bon fonctionnement des marchés en déployant des politiques de la réglementation et de la concurrence adaptées. Dans le même temps, les préférences sociétales imposent de nouveaux défis. Ces deux tendances exigent une meilleure traçabilité tout au long de la chaîne alimentaire.
Les principaux défis – liés aux aspects structurels, à la productivité, à la durabilité et au changement climatique – que devront relever les secteurs agricole et alimentaire des pays examinés sont résumés dans le tableau 2.1. Il s’agit notamment de problèmes comme les handicaps naturels qui peuvent entraver l’agriculture, l’isolement de certaines régions, la pénurie de main-d’œuvre et de compétences ou la faible productivité du travail selon le pays, l’échelle parfois insuffisante des activités, la persistance d’écarts de productivité entre exploitations et entre entreprises, la rareté des ressources en eau et des ressources foncières, la gestion des ressources naturelles, la pollution de l’eau par les éléments nutritifs, la vulnérabilité aux catastrophes naturelles et la nécessité de limiter les émissions de gaz à effet de serre. Le changement climatique devrait très souvent accroître les incertitudes, les variabilités et les contraintes, mais offrira aussi de nouvelles opportunités à quelques pays.
Le secteur agricole et alimentaire doit impérativement renforcer sa productivité et sa durabilité pour pouvoir relever ces défis et saisir ces opportunités. Dans la plupart des pays examinés, il a déjà amélioré ses performances sur ces deux plans, même si des différences importantes subsistent d’un pays à l’autre et à l’intérieur d’un même pays. L’Annexe A répertorie les définitions des concepts et indicateurs utilisés dans ce rapport.
Tableau 2.1. Résumé des principaux défis qui se posent dans l’agriculture et l’alimentation
Aspects structurels |
Productivité |
Durabilité |
Changement climatique (défis et opportunités) |
|
Argentine |
Investissements dans les infrastructures de transport et rurales. |
Croissance de la productivité variable selon les régions et produits. |
Déforestation, dégradation de la qualité de l’air et de l’eau par une utilisation croissante d’intrants. |
Fréquence croissante des phénomènes météorologiques extrêmes, fonte des glaciers. |
Australie |
Creusement des écarts entre les petites et les grandes exploitations. Situation géographique isolée de certaines exploitations. |
Disponibilité des nouvelles technologies. Croissance de la productivité entravée par les sécheresses et pénuries d’eau. |
Contraintes liées à l’eau et à la qualité des terres, rejets de gaz à effet de serre (GES). |
Aggravation des contraintes liées à l’eau. |
Brésil |
Dualisme structurel. |
Écart de productivité important entre les exploitations de subsistance et commerciales. |
Gestion des terres, émissions de GES. |
Hors périmètre de l’examen. |
Canada |
Quotas de production, mauvaise posture du secteur alimentaire et taille modeste du marché intérieur. |
Problèmes rencontrés essentiellement dans la filière des produits laitiers. |
Biodiversité mise à mal par la gestion des terres, problème de qualité des eaux dans certaines régions en raison d’apports excessifs en éléments nutritifs. |
Biodiversité mise à mal par la gestion des terres, problème de qualité des eaux dans certaines régions en raison d’apports excessifs en éléments nutritifs. |
Chine |
Prépondérance des petites exploitations. Écart de revenu entre les ménages ruraux et urbains. |
Contraintes liées aux ressources en eau, exploitations de petite taille. |
Contraintes liées aux ressources en eau, pollution des sols et de l’eau, accroissement de l’élevage intensif. |
Hausse des températures, fréquence accrue des phénomènes météorologiques extrêmes, propagation des parasites et maladies. |
Colombie |
Petites exploitations de subsistance. |
Très variable selon le produit de base. Faible productivité des exploitations laitières en raison de leur petite taille, du prix élevé des intrants, du manque d’infrastructures de transport adéquates et de l’inefficience de la chaîne de valeur. |
Biodiversité mise à mal par la gestion des terres, émissions de GES, et utilisation intensive d’intrants. |
Dégradation des sols causée par l’augmentation des précipitations, de plus en plus erratiques. Déplacement de la production vers des altitudes plus élevées en raison de la hausse des températures (café). Fonte des glaciers et disparition des landes. |
Corée |
Prépondérance des petites exploitations. Écart de revenu entre les ménages ruraux et urbains. |
Écart de productivité avec le secteur manufacturier, petites exploitations. |
Important excédent d’éléments nutritifs. Accroissement de l’élevage intensif, d’où une aggravation de l’excédent d’éléments nutritifs et des émissions de GES. |
Multiplication des typhons, moussons de plus en plus erratiques, hausse des températures dans le sud. |
Estonie |
Dualisme structurel. |
Productivité tirée par un petit nombre de grandes exploitations, taux de croissance élevés en raison d’un phénomène de rattrapage. |
Pollution de l’eau par les éléments nutritifs à l’échelle locale. |
Conditions de culture plus favorables malgré le risque d’augmentation des parasites et maladies et la variabilité des précipitations. |
États-Unis |
Manque de main d’œuvre. |
Taux de croissance en baisse. |
Rareté des ressources en eau, pollution et érosion des sols, en particulier dans certaines régions. |
Fréquence accrue des phénomènes météorologiques extrêmes, aggravation des contraintes liées à l’eau dans certaines régions. |
Japon |
Creusement des écarts entre les petites et les grandes exploitations. |
Creusement des écarts entre les petites et les grandes exploitations. |
Important excédent d’éléments nutritifs en raison de l’utilisation intensive d’engrais, émissions de GES. |
Fréquence accrue des phénomènes météorologiques extrêmes (typhons). |
Lettonie |
Dualisme structurel. |
Productivité tirée par un petit nombre de grandes exploitations, taux de croissance élevés en raison d’un phénomène de rattrapage. |
Pollution de l’eau par les éléments nutritifs à l’échelle locale. |
Conditions de culture plus favorables, augmentation des parasites et maladies et variabilité des précipitations. |
Pays-Bas |
Prix élevé des terres. |
Maintien de la croissance malgré l’aggravation des contraintes. |
Pollution de l’eau par les éléments nutritifs, émissions de GES et biodiversité. |
Fréquence accrue des phénomènes météorologiques extrêmes, gestion de l’eau. |
Suède |
Zones défavorisées par des handicaps naturels (latitudes septentrionales). |
Taux de croissance faibles et en baisse dans certains secteurs. |
Eutrophisation, biodiversité et émissions de GES. |
Conditions de culture plus favorables, période de culture plus étendue, climat favorable à d’autres cultures. |
Suisse |
Zones défavorisées par des handicaps naturels (montagnes). |
Taux de croissance faibles et en baisse. |
Excédent d’azote supérieur aux objectifs du pays. |
-- |
Turquie |
Nombreuses petites exploitations. |
Écart de productivité entre les petites et les grandes exploitations. |
Rareté des ressources en eau, qualité de l’eau et érosion des sols. |
Agriculture mise à mal par l’aggravation du stress hydrique et la hausse des températures |
Source : Examens par pays.
Évolution de la croissance de la productivité
L’indicateur de productivité le plus complet est la productivité totale des facteurs (PTF), qui rend compte de l’efficience avec laquelle les entreprises combinent des intrants pour produire des extrants (Annexe A). Selon des estimations du ministère de l’Agriculture des États-Unis (USDA), la PTF a été la première source de croissance de la production agricole au cours des dernières décennies. Depuis 2000, la croissance de la PTF du secteur agricole est soutenue – plus de 2% par an – en Estonie et en Lettonie (du fait d’un phénomène de rattrapage après une décennie de régression), tout comme en la République populaire de Chine (« Chine »), au Brésil et aux Pays-Bas et, dans une moindre mesure, au Japon et en Turquie (Graphique 2.1). Dans tous ces pays sauf la Chine, le taux annuel de croissance de la PTF est en hausse depuis 2000, par rapport à la moyenne annuelle des années 1990. Cependant, dans d’autres pays examinés, notamment de grands producteurs et exportateurs agricoles, le taux annuel de croissance de la PTF est aujourd’hui inférieur à ce qu’il était dans les années 1990. C’est notamment le cas au Canada, en Corée et aux États-Unis – même si la PTF continue d’y progresser à un taux annuel proche de 2 % – et aussi en Australie où, selon des estimations du ministère de l’Agriculture des États-Unis, la croissance annuelle de la PTF avoisine 1.2 %. En Suède1, en Argentine, en Suisse et en Colombie, le chiffre est de même ordre, à environ 1.1 %. Enfin, la croissance de la PTF est relativement forte en Corée et surtout au Japon, deux pays importateurs nets.
Au Canada et aux États-Unis, la croissance à long terme de la PTF du secteur agricole permet principalement d’augmenter la production d’extrants sans augmenter la consommation d’intrants ; au contraire, en Estonie, en Corée, aux Pays-Bas et dans les exploitations laitières d’Australie, la baisse de la consommation d’intrants, et en particulier de la main d’œuvre, contribue aussi à la croissance de la PTF. En Australie, les exploitations qui pratiquent l’agriculture extensive voient leur PTF augmenter sur le long terme sous l’effet d’une réduction de l’utilisation des intrants, plus que d’une hausse de la production ; les exploitations laitières, en revanche, doivent l’accroissement de leur productivité à la progression de la production, principalement, plutôt qu’à la moindre consommation d’intrants. On observe toutefois un changement structurel depuis 2000 et la déréglementation (l’utilisation des intrants chute plus vite que la production n’augmente).
La plupart des examens concluent que la productivité du travail, facilitée par le regroupement des exploitations et l’adoption de technologies nécessitant moins de main d’œuvre, a cru plus rapidement que la productivité totale des facteurs.
Comme le montrent certains examens par pays et de récentes analyses de l’OCDE à l’échelle des exploitations, la croissance de la productivité peut beaucoup varier selon le type, la taille ou la zone d’implantation des exploitations. Par exemple, au cours de la période 2002-14, la PTF du secteur agricole suédois a augmenté en moyenne de 2.1% par an pour les élevages porcins, 1.7 % par an pour les exploitations laitières et 1.3% par an pour les élevages bovins, mais baissé en moyenne de 0.9% par an pour les cultures de céréales, d’oléagineux et de protéagineux, la production ayant progressé moins vite que l’utilisation de la main d’œuvre, du capital et des intrants matériels (OCDE, 2018b). Il est également courant en Suède que les performances des exploitations varient d’une région à l’autre. Dans le cas du riz en Corée, les 25 % d’exploitations qui ont de loin les plus grandes parts de marché ont enregistré une croissance de leur productivité plus élevée, à quelque 4 % par an au cours de la période 2003-15, contre 2 % pour les 50 % d’exploitations intermédiaires, et 1.3 % pour les 25% d’exploitations les plus modestes (OCDE, 2018c). L’écart de productivité entre les 25 % d’exploitations les plus petites et les 25 % d’exploitations les plus grandes s’est creusé : d’un facteur 3.0 en 2003, il est passé à 3.9 en 2015. C’est donc, d’après cette analyse, la croissance de la productivité d’un petit nombre de grandes exploitations qui stimule la croissance de la PTF du secteur rizicole coréen. On peut aussi citer le cas des exploitations laitières de l’Estonie (Kimura et Sauer, 2015). Selon de récentes analyses de l’OCDE, il existe des différences substantielles de productivité à l’échelle des exploitations à l’intérieur même des pays, ces différences étant souvent liées à la dynamique des changements structurels (encadré 3.1).
Les écarts de productivité restent donc importants entre exploitations et entre systèmes de production : améliorer la productivité des exploitations les plus en retard reste un défi dans tous les pays, y compris les plus performants. Pour combler les écarts existants, il faut davantage miser sur l’innovation et sur les économies d’échelle, même si plusieurs études suggèrent que des mesures axées sur les groupes d’exploitations agricoles les plus performants seraient plus efficaces pour améliorer la productivité globale (par exemple, Kimura et Sauer, 2015). L’impératif de pousser la croissance de la productivité de façon plus durable, tout en tenant compte des nouvelles contraintes et incertitudes liées au changement climatique, rend d’autant plus complexe le défi à relever.
Évolution de l’amélioration de la durabilité
Les pays examinés sont confrontés à des questions agroenvironnementales de portée et de gravité variables, ce qui explique que les performances du secteur agricole en matière de durabilité varient selon les pays et les indicateurs. À titre d’exemple, le Graphique 2.2 renseigne sur l’évolution de la gestion des ressources et de certains impacts environnementaux dans les pays examinés.
À la réduction de la superficie agricole utilisée, il faut opposer l’augmentation de la consommation d’eau et surtout d’énergie dans certains des pays examinés (Tableau A B.3). Même dans les pays dotés de ressources naturelles globalement abondantes, comme l’Argentine, le Brésil ou le Canada, il est possible d’optimiser l’utilisation de ces ressources à des fins agricoles et alimentaires ; il reste souvent des défis à relever au niveau local. En Turquie, les problèmes demeurent la variabilité des ressources en eau et l’érosion des sols. Par ailleurs, on observe que les écarts à l’intérieur d’un même pays sont souvent plus marqués que d’un pays à l’autre. Par exemple, on observe des niveaux de disponibilité et d’utilisation de l’eau plus variables au Brésil, en Chine et aux États-Unis qu’entre un pays et la plupart des autres pays examinés, ce qui veut dire que les contraintes de ressources qui pèsent sur l’agriculture sont elles aussi très différentes. Même dans les petits pays comme les Pays-Bas, l’abondance globale des ressources en eau n’exclut pas l’existence de zones sèches.
Les performances environnementales des secteurs agricoles des pays examinés sont diverses (Tableau A B.3 ; Graphique 2.2). Certains indicateurs ont évolué positivement dans certains pays, mais tous les indicateurs n’ont pas autant progressé, et certains pays exercent une pression plus élevée sur l’environnement. Ceux qui, comme la Corée ou les Pays-Bas, possèdent peu de terres arables sont dotés de systèmes d’agriculture plus intensive à l’origine de bilans nutritifs et de niveaux de pollution de l’eau et de l’air relativement plus élevés, avec davantage de pressions exercées sur l’eau, les sols ou la biodiversité (OCDE, 2018d). Les risques sanitaires et environnementaux liés aux pesticides ont reculé en Suède. Dans certaines parties du Brésil et de l’Argentine, l’utilisation d’engrais et de pesticides a beaucoup augmenté. En Chine, l’agriculture s’est développée rapidement sans prêter attention à ses impacts environnementaux : sa consommation d’intrants a contribué à dégrader rapidement les agroécosystèmes, en particulier dans certaines régions du pays. Enfin, si les émissions totales de gaz à effet de serre (GES) du secteur de l’agriculture ont stagné ou baissé dans la plupart des pays examinés, le défi reste de taille, notamment dans les économies où la production animale est importante, comme l’Australie, le Brésil, la Corée et les Pays-Bas où la part de l’agriculture dans le total des émissions de GES est relativement plus élevée que la part moyenne calculée à l’échelle de la zone de l’OCDE.
Dans le même temps, on observe dans de nombreux pays examinés un découplage croissant entre la productivité du secteur agricole et ses performances en termes de durabilité, et ce pour plusieurs aspects liés à l’environnement. Autrement dit, les pays arrivent de mieux en mieux, dans l’ensemble, à maintenir voire améliorer la croissance de leur productivité agricole sans accroître d’autant en proportion l’impact de l’agriculture sur l’environnement (Tableau 2.2). Cependant, ce découplage varie énormément selon les pays et les types de pressions – sur les ressources ou sur l’environnement – prises en compte : dans quelques cas, l’environnement s’est dégradé plus vite que la productivité agricole n’a augmenté.
Le secteur doit également se préparer aux évolutions liées au changement climatique, c’est-à-dire à de plus grandes incertitudes climatiques dans la plupart des cas, mais aussi à des contraintes accrues sur la disponibilité des ressources naturelles dans certains pays. Il est prévu que les hausses de température réduisent la croissance des rendements des cultures dans les agroclimats déjà chauds, par exemple sur une bonne partie du territoire des États-Unis (Schlenker et Roberts, 2009 ; Schauberger et al., 2017). La variabilité des précipitations et la fréquence accrue des phénomènes météorologiques devraient avoir des effets sur la plupart des régions agricoles, et fortement contraindre les ressources en eaux dans les régions qui subissent déjà des sécheresses, comme la Turquie, le Brésil ou les États-Unis. Les pays du nord comme l’Estonie, la Suède et le Canada pourraient voir s’allonger leur saison des cultures et bénéficier de meilleures conditions agroclimatiques en moyenne, ce qui leur donnerait la possibilité d’opter pour de nouveaux types de cultures. Cependant, certaines parties de leurs territoires pourraient être confrontées à des inondations plus fortes et plus fréquentes, et aux impacts de la propagation des parasites et maladies.
Tableau 2.2. Découplage entre la productivité agricole et les pressions qui s’exercent sur les ressources et l’environnement : tendances observées
D’après la variation annuelle moyenne entre 1998-2000 et 2010-121
Ressources |
Environnement |
|
---|---|---|
Découplage absolu2 |
Utilisation des ressources en eau : Australie, Corée, Estonie, Pays-Bas Utilisation des terres : Corée, Pays-Bas |
Bilans de l’azote et du phosphore : Estonie, États-Unis, Suède, Turquie Ammoniac : États-Unis, Pays-Bas, Suède Émissions de gaz à effet de serre (GES) : Pays-Bas, Turquie Ventes de pesticides : Corée, États-Unis, Pays-Bas ; Risques liés aux pesticides : Suède |
Découplage relatif3 |
Utilisation des ressources en eau : Chine, États-Unis, Turquie Utilisation d’énergie : Estonie, États-Unis |
Émissions de GES : Estonie, États-Unis |
Dégradation |
Utilisation d’énergie : Turquie |
Ventes de pesticides : Turquie Émissions de GES : Corée |
1. Les périodes considérées ne sont pas les mêmes pour chaque pays, des données plus récentes sur les indicateurs agroenvironnementaux pourraient modifier ce classement.
2. Le découplage absolu désigne une situation dans laquelle les impacts sur les ressources diminuent en termes absolus.
3. Le découplage relatif traduit un recul de l’intensité environnementale par unité de production économique.
Source : D’après les examens par pays.
Principaux déficits de connaissances
En dépit des efforts déployés pour améliorer la mesure de la productivité et de la durabilité et la comparabilité des chiffres nationaux2, les informations relatives à la productivité totale des facteurs et aux performances de durabilité sont souvent limitées, autant au niveau du secteur qu’à celui des exploitations, ce qui rend difficile les comparaisons entre pays. De plus, il reste des incertitudes quant à l’impact du changement climatique : il faudrait en savoir plus sur ses effets à plus petit échelle ainsi que sur les options d’adaptation.
Comparer les PTF des différents pays est rendu difficile par certaines limitations liées aux données. La seule source à même de fournir des estimations de la croissance de la PTF dans l’agriculture qui soient comparables à l’échelle internationale est la base de données du ministère de l’Agriculture des États-Unis, chargé de produire ce type de chiffres pour tous les pays sur une base comparable (USDA, 2018). Mais cette source ne tient compte qu’approximativement de certains intrants importants, et l’on s’efforce encore d’améliorer les estimations. À chaque fois que possible, les examens par pays ont complété les estimations internationales avec des estimations à l’échelle nationale et à l’échelle des exploitations. Dans la plupart des cas, les intrants et les extrants pris en compte dans les calculs de la PTF sont ceux qui ont une valeur marchande, mais des travaux sont en cours à l’OCDE pour élaborer des indicateurs de la PTF ajustés en fonction des critères environnementaux, qui permettraient de prendre en compte les effets environnementaux des activités agricoles3.
La base de données des indicateurs agroenvironnementaux de l’OCDE contient des informations très pertinentes, mais pour le seul niveau national, et seulement pour certains des pays examinés non membres de l’OCDE. Il serait utile de construire des indicateurs à un niveau plus régional afin d’identifier les points névralgiques, en particulier dans les grands pays. Les technologies numériques pourraient faciliter une collecte à moindre coût de données désagrégées.
Il existe bien des informations sur la productivité et l’innovation des entreprises agroalimentaires dans les bases de données internationales4, mais la plupart des examens par pays ne les ont pas utilisées exhaustivement. De plus, il reste difficile d’évaluer les performances économiques et environnementales de la chaîne alimentaire dans son ensemble.
Références
Kimura, S. et J. Sauer (2015), « Dynamics of dairy farm productivity growth: Cross-country comparison », Documents de l'OCDE sur l'alimentation, l'agriculture et les pêcheries, n° 87, Éditions OCDE, Paris, https://dx.doi.org/10.1787/5jrw8ffbzf7l-en.
OCDE (2018a), Indicateurs agro-environmentaux (base de données), www.oecd.org/fr/agriculture/sujets/agriculture-et-environnement/ (consulté en avril 2018).
OCDE (2018b), Innovation, Agricultural Productivity and Sustainability in Sweden, Revues de l’OCDE sur l’alimentation et l’agriculture, Éditions OCDE, Paris, https://dx.doi.org/9789264085268-en.
OCDE (2018c), Innovation, Agricultural Productivity and Sustainability in Korea, Revues de l’OCDE sur l’alimentation et l’agriculture, Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/9789264307773-en.
OCDE (2018d), « Agri-environmental indicators: Nutrient balances », Éditions OCDE, Paris, https://one.oecd.org/document/COM/TAD/CA/ENV/EPOC(2018)5/FINAL/en/pdf.
Schauberger, B. et al. (2017), « Consistent negative response of US crops to high temperatures in observations and crop models », Nature Communications, vol. 8, n° 13931, https://doi.org/10.1038/ncomms13931.
Schlenker, W. et M.J. Roberts (2009), « Nonlinear temperature effects indicate severe damages to U.S. crop yields under climate change », Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America (PNAS), vol. 106, n° 37, pp. 15594-15598, https://doi.org/10.1073/pnas.0906865106.
USDA (2018), Economic Research Service, International Agricultural Productivity, www.ers.usda.gov/data-products/international-agricultural-productivity.aspx (consulté en octobre 2018).
Notes
← 1. Les estimations de l’Union européenne dressent un tableau légèrement plus optimiste de la croissance de la PTF suédoise, puisqu’elles la situent autour de 1.4 % par an entre 2005 et 2016.
← 2. Par exemple, indicateurs agroenvironnementaux, productivité totale des facteurs dans l’agriculture, productivité et activités à l’échelle des exploitations du Réseau de l’OCDE pour l’analyse au niveau de l’exploitation et du Réseau sur la productivité totale des facteurs dans l’agriculture et l’environnement.
← 3. Cf. réunion du Réseau de l’OCDE sur la productivité totale des facteurs dans le secteur agricole et l’environnement www.oecd.org/fr/agriculture/sujets/reseau-productivite-agricole-et-environnement/.
← 4. Voir par exemple Day-Rubenstein et Fuglie (2011) (chapitre 9 in Fuglie et al., 2011) pour de plus amples informations sur l’intensité de la recherche dans le secteur agroalimentaire, d’après des données de l’OCDE sur les dépenses intérieures de R-D des entreprises (DIRDE) et une comparaison de la croissance de la productivité du secteur agroalimentaire aux États-Unis, dans la zone Euro, au Japon et au Royaume-Uni, à l’aide également de la base de données KLEMS de l’Union européenne (www.euklems.net/index.html).