Ce chapitre présente de façon succincte les preuves empiriques récentes tirées des examens de pays et des travaux connexes sur les facteurs de performance agricole et les impacts des politiques sur l’agriculture, qui mettent en évidence le rôle de l’innovation, du changement structurel et de l’utilisation des ressources naturelles et du changement climatique dans l’amélioration de la productivité et de la durabilité. Cet examen des preuves disponibles met également en lumière un certain nombre de lacunes importantes dans les connaissances.
Innovation, productivité et durabilité dans le secteur agricole et alimentaire
Chapitre 3. Déterminants de la performance de l’agriculture en matière de productivité et de durabilité
Abstract
Les relations établies par hypothèse entre l’innovation et la productivité voient leur existence confirmée par les éléments objectifs issus d’estimations réalisées aussi bien à l’échelle du secteur qu’à celle des exploitations.
L’adoption d’innovations est le principal déterminant de la croissance de la productivité et peut améliorer la durabilité s’il existe des incitations à cet effet.
Des éléments de plus en plus nombreux confirment le rôle des économies d’échelle dans l’amélioration de la productivité au niveau des exploitations, comme en témoigne la productivité généralement plus élevée des grandes exploitations.
L’impact de l’ajustement structurel sur d’autres dimensions de la performance telles que la production, la durabilité, le bien‑être des animaux et le développement rural est moins manifeste.
L’utilisation durable des ressources naturelles contribue à améliorer aussi bien la productivité que la durabilité.
L’amélioration de la durabilité de l’agriculture obéit en partie au développement agricole et économique et aux attentes de la société.
Le changement climatique devrait devenir un déterminant important de la performance en matière de productivité et de durabilité ; il engendre des risques agricoles et de l’incertitude, et impose au secteur d’atténuer des externalités environnementales non prises en compte auparavant.
Les déterminants interagissent mutuellement et sont influencés par d’autres facteurs naturels ou liés aux marchés et à l’action publique.
Les examens nationaux et des travaux récents de l’OCDE sur les déterminants des performances des exploitations et les impacts de l’action publique sur l’agriculture fournissent des éléments objectifs qui confirment que l’innovation, le changement structurel et l’utilisation des ressources naturelles et le changement climatique ont une incidence sur l’amélioration de la productivité et de la durabilité du secteur, et donc la pertinence du cadre d’analyse (encadré 1.1). Cette étude des données disponibles a aussi mis en lumière un certain nombre de lacunes importantes dans les connaissances.
Outre l’action publique, les conditions naturelles, les incitations provenant du marché et d’autres considérations rejaillissent elles aussi sur ces déterminants, et donc sur les performances en matière de productivité et de durabilité (OCDE, 2015a). L’innovation et l’ajustement, en particulier, découlent en premier lieu des efforts qui, sous l’impulsion du marché, visent à améliorer la compétitivité, à condition que les politiques menées n’y fassent pas obstacle. Cependant, en ce qui concerne l’utilisation des ressources naturelles, les marchés émettent rarement des signaux reflétant les attentes de la société, bien qu’il existe certains mécanismes (étiquetage environnemental, systèmes d’échange de permis d’émission, par exemple).
Innovation
Les éléments réunis dans les examens nationaux confirment que l’innovation est un déterminant majeur de la croissance de la productivité et de la durabilité dans de nombreux cas. Voici des exemples d’innovations favorables à la productivité : amélioration génétique et adoption de semences et de races animales de qualité supérieure (la plupart des pays) ; adoption de technologies et de pratiques qui économisent les intrants — comme le non‑labour (Argentine, Australie, Canada, États‑Unis), les robots de traite (encadré 2.3 dans l’étude sur l’Estonie, OCDE, 2018), les bâtiments modernes qui permettent de faire des économies d’énergie et d’améliorer le bien‑être des animaux, les serres respectueuses du climat (encadré 2.2 de l’étude sur les Pays‑Bas, OCDE, 2015b) ; les technologies et pratiques mises en œuvre dans l’agriculture de précision et l’amélioration de la gestion des risques (systèmes d’irrigation, tracteurs guidés par GPS, images transmises par satellite et drones) ; et la modification des pratiques de gestion de la production et de commercialisation, notamment le développement de nouveaux produits1. L’influence des innovations de commercialisation, de produit et d’organisation est soulignée en particulier dans l’examen sur les Pays‑Bas (OCDE, 2015b).
Pour compléter les examens par pays et renforcer le schéma d’analyse, plusieurs rapports de l’OCDE ont été consacrés à l’évolution de la productivité au niveau des exploitations et ont confirmé que l’innovation procurait des gains en la matière. A l’issue d’une analyse au niveau des exploitations spécialisées dans la production laitière et les grandes cultures aux Pays‑Bas, Sauer (2017) indique ainsi que les innovations liées à l’amélioration des procédés, à l’organisation des exploitations et à la commercialisation se traduisent pas des gains notables de productivité. Les estimations mettent en évidence un certain nombre de caractéristiques des exploitations qui ont une incidence sur l’ampleur et le succès des innovations. Il s’agit des activités individuelles de développement liées aux procédés et aux produits, de la taille de l’exploitation, de l’âge de l’exploitant et de la confiance dans l’évolution de l’affaire et du secteur. De plus, les réglementations et les normes peuvent engendrer une demande d’innovations et le niveau de coopération avec les institutions productrices de connaissances améliorent les chances de réussite.
Après analyse de l’évolution de la productivité totale des facteurs (PTF) des exploitations laitières en Estonie, aux Pays‑Bas et au Royaume-Uni, Kimura et Sauer (2015) ont mis en lumière plusieurs pistes d’amélioration de la productivité, dont l’adoption de technologies et la vulgarisation, la gestion efficiente des intrants et le changement structurel (Encadré 3.1). Les premiers résultats d’une analyse des facteurs de la performance des exploitations dans des États membres de l’Union européenne apportent également des éléments confirmant une corrélation positive entre innovation et productivité au niveau de l’exploitation dans les productions végétales en Hongrie, dans la production laitière en République tchèque et au Danemark, dans l’élevage porcin au Danemark et dans la production de fruits au Chili (OCDE, 2019a).
Changement structurel
Des analyses récentes au niveau de l’exploitation, menées à l’OCDE ou dans les pays examinés, confirment que les grandes exploitations sont plus productives que les petites. En effet, elles sont mieux armées pour gérer la main‑d’œuvre et recourent à des technologies utilisables à partir d’une certaine échelle. Ces dernières comprennent les grandes moissonneuses-batteuses qui permettent de cultiver des surfaces plus vastes avec la même quantité de main‑d’œuvre, mais aussi les équipements de l’agriculture de précision guidés par GPS qui limitent la consommation d’intrants2. Par ailleurs, les grands exploitants ont un meilleur accès aux connaissances, du fait de capacités financières et humaines supérieures. De même, les grandes entreprises agroalimentaires ont en général davantage de moyens pour mener des activités d’innovation, acquérir des technologies, appliquer les réglementations et accéder aux marchés d’exportation.
Les économies d’échelle dépendent cependant du contexte : leur ampleur est fonction du prix relatif des facteurs et, dans l’agriculture, de la topographie et des infrastructures (par exemple, de la qualité des routes nécessaires pour transporter des intrants et des produits en grande quantité). Elles ont aussi leurs limites : il existe peu d’oligopoles naturels dans l’agriculture et la plupart des grandes exploitations restent d’assez petites entreprises.
L’analyse de la dynamique de la productivité des exploitations laitières dans quatre États membres de l’Union européenne illustre le lien entre croissance de la productivité et changement structurel (Encadré 3.1). Une autre, consacrée à l’évolution de la PTF sur les exploitations de culture de certains États membres de l’Union européenne, montre elle aussi que les grandes exploitations sont généralement plus productives que les petites (Bokusheva et Čechura, 2017). Elles se révèlent en meilleure position pour tirer parti d’économies d’échelle, même s’il n’est pas exclu que le changement technique joue un rôle également. Il ressort en outre de cette analyse que des économies d’échelle supplémentaires sont encore possibles, et donc une amélioration de la productivité, sur les exploitations étudiées. Des travaux récents sur les moteurs de la productivité agricole montrent par ailleurs que les catégories composées de grandes exploitations ont tendance à obtenir de meilleurs résultats en la matière (OCDE, 2019a), mais davantage de données sont nécessaires pour mieux expliquer la relation, qui n’est probablement pas linéaire.
L’évolution de la filière porcine aux États‑Unis illustre la relation positive entre la taille des exploitations et leur performance sur le terrain de la productivité, ainsi que la contribution des économies d’échelle à l’amélioration de cette dernière (OCDE, 2016a). Néanmoins, une analyse que l’ABARES a consacrée aux exploitations extensives en Australie sur la période allant de 1977/78 à 2006/07 montre que, si les grandes exploitations enregistrent une productivité supérieure à celle des petites, cela s’explique probablement davantage par les différences dans les technologies de production que par les rendements d’échelle (Sheng et al., 2014). Dans une comparaison des estimations de la productivité dans les pays développés et les pays en développement, Rada et Fuglie (2018) indiquent que la relation entre taille et productivité peut dépendre du contexte et en particulier du niveau de développement3.
Selon les travaux de l’ABARES décrits dans l’encadré 1.1 de OCDE (2015c), la réallocation des ressources entre exploitations affichant des niveaux de productivité différents est un puissant moteur de la croissance de la PTF dans l’agriculture extensive, y compris lorsque la croissance de la productivité sur l’exploitation est plus lente. De même, dans une récente analyse consacrée à la contribution du changement structurel à la croissance de la productivité des exploitations de la grande région céréalière des États‑Unis, Key (2018) estime que la redistribution de la production à des exploitations plus grandes et plus productives explique un sixième de l’amélioration globale de la productivité entre 1982 et 2012, le reste étant attribué à la croissance moyenne de la PTF dans chacune des catégories d’exploitations, classées en fonction de leur taille. Le lien entre changement structurel et croissance de la productivité est également illustré par les évolutions dans la filière porcine aux États‑Unis, où la proportion de la production imputable aux exploitations plus grandes et plus productives a augmenté rapidement dans les années 1990 (OCDE, 2016a).
Les données concernant les performances en matière de durabilité en fonction de la taille des exploitations sont plus difficiles à obtenir et peuvent varier selon les contextes. Les résultats initiaux de l’analyse des moteurs de la productivité des exploitations mentionnée plus haut sont mitigés en ce qui concerne les caractéristiques structurelles des exploitations plus durables (OECD, 2919a). Les pays où prédominent les petites exploitations affichent souvent des excédents d’éléments nutritifs et des émissions par hectare élevés (les Pays‑Bas et la Corée, par exemple) en raison des pratiques intensives. En République populaire de Chine (« Chine »), la taille extrêmement réduite de beaucoup d’exploitations a pour effet que bon nombre d’exploitants consacrent la majeure partie de leur temps à des activités en dehors de l’exploitation. Par conséquent, ils utilisent des quantités importantes d’intrants agricoles (souvent subventionnés), de manière à compenser le manque de temps. A l’inverse, les agriculteurs exploitant de vastes superficies dans des pays comme l’Australie, le Brésil, le Canada ou les États‑Unis, préfèrent souvent rationaliser l’utilisation des intrants et la limiter à ce qu’ils considèrent comme le minimum nécessaire, de façon à maîtriser leurs coûts variables totaux.
Quoi qu’il en soit, la taille des exploitations n’est peut‑être pas aussi importante pour la durabilité que pour la productivité. Ainsi, dans leur méta‑analyse internationale, Balmford et al. (2018) indiquent que les systèmes de production occupant moins de superficie par unité produite (rendements plus élevés) ont tendance à engendrer moins d’externalités environnementales négatives par unité produite (gaz à effet de serre [GES], consommation d’eau, azote, phosphore et pertes de sols) que les autres, bien que les données restent limitées. Blandford et Hassapoyannes (2018) constatent par ailleurs que les émissions de GES par hectare sont beaucoup plus élevées dans les pays où l’élevage est extensif que dans ceux où il est plus intensif.
Encadré 3.1. Dynamique de la croissance de la productivité des exploitations laitières en Allemagne, en Estonie, aux Pays-Bas et au Royaume-Uni
Selon une récente analyse de l’OCDE au niveau des exploitations, c’est l’amélioration de la productivité du travail qui contribue le plus à la croissance de la productivité du secteur laitier dans son ensemble dans les différents pays. Le changement structurel, caractérisé par une diminution du nombre d’exploitations laitières et une augmentation du nombre moyen d’animaux par exploitation, s’est traduit par une baisse du recours au travail, conjuguée à une hausse des apports de capital, notamment sous la forme de machines et d’équipements.
La croissance de la productivité totale des facteurs (PTF) préalablement à la suppression progressive des quotas laitiers est presque entièrement due à une diminution de l’utilisation d’intrants. Cependant, le principal moteur de l’augmentation de la PTF dans le secteur laitier néerlandais est devenu l’accroissement de la production de lait une fois lancée l’élimination graduelle des quotas.
La productivité au niveau des exploitations continue d’afficher des écarts notables à l’intérieur des pays. En Allemagne, les différences de productivité moyenne entre régions persistent au niveau des exploitations. En Estonie, l’évolution de la productivité du secteur est en grande partie imputable à l’amélioration enregistrée dans un petit nombre de grandes exploitations, et l’écart de productivité entre petites et grandes exploitations s’est accentué au fil du temps.
Aux Pays‑Bas et au Royaume-Uni, le cheptel s’est notablement accru dans toutes les catégories d’exploitations laitières classées selon leur taille, et les grandes exploitations continuent, en moyenne, d’afficher des niveaux de productivité plus élevés. Toutefois, les différences entre exploitations se sont réduites d’année en année, en raison de la diffusion des technologies et de la sortie des exploitations moins productives.
L’analyse montre aussi que les exploitations productives font en général une utilisation plus intensive de certains intrants (le chargement en bétail y est plus élevé, par exemple) et qu’elles achètent une plus grande proportion des aliments par vache. La direction de l’impact des paiements de soutien sur la productivité au niveau des exploitations est globalement difficile à établir, mais les exploitations sur lesquelles le niveau des revenus hors agriculture est plus élevé ont tendance à avoir une productivité moindre aux Pays‑Bas et au Royaume‑Uni. Il est possible que ces exploitations à temps partiel fassent une utilisation moins intensive des intrants et qu’elles sous‑investissent dans les technologies améliorant la productivité.
Source : Kimura et Sauer (2015), “Dynamics of dairy farm productivity growth: Cross-country comparison”, https://dx.doi.org/10.1787/5jrw8ffbzf7l-en.
La relation entre taille de l’exploitation et performance en matière de durabilité peut aussi changer au‑delà d’un certain seuil. Dans l’élevage aux États‑Unis, le changement structurel et les innovations intimement liées qui l’accompagnent se traduisent par des améliorations sensibles de l’efficacité alimentaire dans les filières porcines, laitières et de la volaille, d’où une baisse de la quantité d’aliments requise par unité de viande ou de lait produite, et du volume des effluents d’élevage par unité produite. L’empreinte de l’élevage sur l’environnement s’en trouve réduite à son tour (il faut moins de superficie et de produits chimiques pour produire les aliments). Cependant, au‑delà d’une certaine taille, le changement structurel conduit aussi à un regroupement géographique de l’élevage et de la production d’effluents, de telle sorte que dans certains endroits, les concentrations d’effluents sont désormais excessives (OCDE, 2016a).
Utilisation des ressources naturelles et changement climatique
L’utilisation des ressources naturelles et le changement climatique influencent indéniablement la gamme des produits envisageables et le choix des pratiques de production, et donc la performance. Dans les pays de l’OCDE, sur la période allant de 1998 à 2012, l’accroissement de la production a généralement été obtenu parallèlement à une réduction de la pression exercée sur les ressources naturelles (terres et eau), mais les impacts sur l’environnement n’ont pas toujours diminué à l’avenant (Tableau 2.2).
Dans de nombreux cas, de fortes contraintes de ressources naturelles constituant un frein à l’amélioration de la productivité sont le déclencheur de réponses technologiques ou institutionnelles et/ou d’une réaction des pouvoirs publics qui améliorent la situation (Gruère et al., 2018). Par exemple, en Australie, des sécheresses intenses ont été le principal moteur d’une série de modifications de l’action publique qui ont conduit à l’élaboration d’un système complexe d’allocation de l’eau dans le bassin Murray-Darling, qui aidera les agriculteurs et d’autres acteurs de la région à faire face à la variabilité des précipitations à l’avenir (Ibid.). Aux États‑Unis, la sécheresse de 2014, qui a contraint les agriculteurs à puiser massivement dans les eaux souterraines, a été à l’origine d’une réponse réglementaire novatrice en Californie, dans le but de sécuriser les réserves du sous‑sol (Cooley et al., 2016). De même, le risque d’inondation a encouragé les Pays‑Bas à prendre une série d’initiatives majeures dans le cadre du programme Delta, qui comprenait un volet agricole (OCDE, 2016b).
Inversement, des contraintes endogènes, comme une information asymétrique, imparfaite ou insuffisante, les contraintes de revenus et les coûts, ou bien des incitations désalignées découlant de l’action publique, peuvent dissuader les agriculteurs de faire des efforts supplémentaires pour adopter des pratiques respectueuses du climat. Wreford et al. (2017) ont montré qu’il existait un large éventail d’obstacles à l’adoption de pratiques agricoles contribuant à l’atténuation des émissions de GES ou à l’adaptation aux dérèglements climatiques. Ils ont constaté, en particulier, que les obstacles en rapport avec les effets réels ou perçus de ces pratiques sur les performances, et avec les informations et les connaissances nécessaires à la gestion des risques et à la prise de décisions relatives au changement climatique, jouaient un rôle fondamental dans les décisions concernant l’adoption de mesures respectueuses du climat. Ils ont aussi établi que plusieurs des obstacles mis en évidence étaient créés par les mesures de politique agricole existantes (chapitre 4).
Une mise en regard des contraintes de ressources et environnementales, d’une part, et des réponses qui y sont apportées dans les pays examinés, d’autre part, met en lumière l’évolution des priorités des pouvoirs publics vis‑à‑vis de trois grands enjeux de durabilité.
Le premier enjeu fondamental consiste à utiliser les ressources avec efficience tout en continuant à développer l’agriculture. Dans la mesure où les ressources deviennent de plus en plus rares en termes relatifs, leur utilisation ne peut pas suivre la croissance de la production agricole et, par conséquent, le secteur est dans l’obligation d’innover pour favoriser l’augmentation de sa productivité (produire davantage avec moins d’intrants).
Le deuxième enjeu fondamental concerne les externalités environnementales négatives observées dans la production agricole, qui pâtissent principalement aux autres utilisateurs de ressources naturelles, et les réponses à apporter aux attentes de la société au sujet des pratiques agricoles respectueuses de l’environnement. Il est question en particulier de la pollution diffuse de l’eau, qui reste problématique dans la plupart des pays étudiés. Ce phénomène a encouragé les pouvoirs publics à prendre des mesures pour remédier aux externalités et préserver la fourniture de biens publics agro-environnementaux.
Plus récent, le troisième enjeu est lié au changement climatique. Les pouvoirs publics comprenant de mieux en mieux les répercussions de ce dernier, l’accent est davantage mis sur la résilience dans l’agriculture et une action est menée pour encourager les efforts d’atténuation des émissions de GES du secteur, externalité environnementale invisible dans le passé et donc non prise en compte. Réduire les émissions de GES est un enjeu mondial, qui peut donner lieu à des « fuites de carbone » (augmentation des émissions à l’étranger lorsqu’elles sont combattues à l’échelle nationale) et nuire à la compétitivité. Les émissions de GES imputables à l’agriculture sont prises en compte dans la stratégie d’atténuation globale de la majorité des pays de l’OCDE. Cependant, seuls quelques‑uns d’entre eux mettent en œuvre des objectifs obligatoires et des mesures qui incitent fortement à réduire les émissions dans le secteur.
Tous les pays ont commencé à s’attaquer à ces trois enjeux, mais l’intensité de leur action et leurs priorités varient en fonction de plusieurs facteurs, dont leurs contraintes de ressources et le niveau de leur développement économique et agricole. Par exemple, si le gouvernement chinois a commencé à s’intéresser aux problèmes liés à l’eau dans l’agriculture pendant la première décennie du siècle, il attendu 2016 pour envisager d’assortir de mesures agro-environnementales les réglementations destinées à lutter contre les externalités environnementales. En partie encouragé par les accords internationaux sur le changement climatique, le Brésil fait des efforts pour limiter l’impact du développement agricole sur les forêts ; néanmoins, il n’agit pas avec la même vigueur contre la pollution de l’air et de l’eau due à l’agriculture. La Turquie se concentre actuellement sur les moyens permettant d’accroître la productivité de l’eau, car elle continue de développer l’irrigation. En Australie, l’action vise principalement à assurer la résilience de l’agriculture face au risque hydrique, mais la société souhaite de plus en plus que le développement durable, plus généralement, soit mis en avant. Les Pays‑Bas, où la croissance se heurte à des contraintes d’espace et environnementales, mettent l’accent sur l’amélioration de la productivité et la diminution des impacts environnementaux. La Corée et le Japon multiplient quant à eux les efforts visant à réduire les répercussions négatives de l’agriculture, tout en recherchant des moyens d’adaptation au changement climatique. En Estonie et en Suisse, où les contraintes de ressources et climatiques sont moindres, la qualité de l’environnement, notamment l’atténuation des émissions de GES, est une priorité de la politique agricole.
Cependant, davantage d’efforts sont nécessaires pour parer aux risques futurs liés à l’eau et au climat dans les pays étudiés. L’ampleur des impacts varie en fonction des scénarios, mais les projections du changement climatique font état de répercussions négatives sur l’agriculture dans ces pays. Selon Ignaciuk et Mason-D’Croz (2014), dans les pays de l’OCDE, en l’absence de mesures d’adaptation, les rendements du maïs, du blé et du riz seraient plus bas de 10 %, 7 % et 6 % en moyenne, respectivement, que ceux qu’ils atteindraient si les conditions climatiques actuelles continuaient de prévaloir. Ils pourraient même être inférieurs de 25 % dans les cas du maïs en Amérique du Nord ou du blé en Australie. En outre, il ressort des projections existantes que, faute de réaction, les risques liés à l’eau continueront à l’avenir de toucher tous les pays étudiés, même si leur probabilité et leur nature varient sensiblement de l’un à l’autre (Graphique 3.1). Les régions agricoles du Nord‑Est de la Chine et du Sud‑Ouest des États‑Unis pourraient être confrontées à des risques particulièrement importants dans le domaine de l’eau, l’approvisionnement pouvant se trouver limité par les conditions climatiques et la demande des utilisateurs non agricoles de la ressource continuant d’augmenter (OCDE, 2017a). Les risques tant climatiques qu’hydriques ont été associés à l’augmentation des prix des produits de base anticipée alors, rejaillissant par ce biais sur les autres acteurs du marché et, potentiellement, sur la sécurité alimentaire (Ignaciuk et Mason-D’Croz, 2014 ; OCDE, 2017).
Moteurs communs de la productivité et de la durabilité de l’agriculture
La durabilité et la productivité font l’objet d’analyses quantitatives, fondées notamment sur des estimations économétriques au niveau des exploitations et sur des modèles. Par exemple, Lankoski et al. (2018) ont analysé la cohérence des politiques dans les domaines de l’adaptation au changement climatique, de l’atténuation et de la productivité, et ils ont appliqué leur modèle au cas de la Finlande. En s’appuyant sur des données au niveau des exploitations, ils ont simulé l’impact futur de certaines mesures sur la PTF, l’adaptation au changement climatique (représentées dans le modèle par la variabilité de la diminution des rendements), les émissions de GES et les bilans des éléments nutritifs, en tenant compte des risques et des comportements vis‑à‑vis d'eux. Cette analyse montre que l’effet de la palette des mesures retenues se répartit nécessairement entre la productivité, l’atténuation et l’adaptation (chapitre 7). L’analyse qualitative comparée d'ensembles flous est une autre méthode qui conjugue des données qualitatives et quantitatives. Elle est appliquée dans OCDE (2019b) pour étudier les impacts possibles de certaines mesures de politique agricole et structures agricoles sur la productivité et l’environnement.
Principaux déficits de connaissances
Malgré des efforts constants, il reste difficile de mesurer la PTF, les différentes méthodes et les données présentant des limites. Les difficultés sont encore plus grandes lorsque l’on tente de prendre en compte la performance environnementale dans la PTF, car la qualité et la disponibilité des informations sont encore insuffisantes.
Du fait de la diversité des situations, il est par ailleurs difficile de généraliser, à moins que les éléments provenant d’un grand nombre de sources différentes ne concordent, comme dans le cas du lien entre innovation et productivité. On peut en déduire que les institutions et les pays doivent accroître et conjuguer leurs efforts pour mieux comprendre les différents mécanismes, ainsi que les conditions à remplir, pour que les performances s’améliorent. L’optimisation de la conception de l’action publique en dépend.
Références
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Notes
← 1. On trouvera des exemples de technologies améliorant la productivité des cultures et de l’élevage laitier dans l’étude sur l’Estonie (encadrés 2.3 et 2.4 de OCDE, 2018), entre autres. Il ressort de l’examen des États‑Unis (OCDE, 2016a) que l’augmentation continue des rendements du maïs a résulté d’une série d’innovations biologiques, mécaniques et chimiques successives dues à la R‑D publique et privée, et non d’une seule et unique innovation, et que leur diffusion rapide sur les exploitations a elle aussi joué un rôle important dans l’accroissement des rendements.
← 2. Voir Key (2018) au sujet du rôle des technologies dans la réduction du coût de l’utilisation d’intrants.
← 3. Selon Rada et Fuglie (2018), les grandes exploitations ont une PTF supérieure en Australie, au Brésil et aux États‑Unis. Au Brésil, la relation entre le revenu et la PTF n’est pas linéaire, mais suit une courbe en U, et les petites exploitations sont plus productives que les moyennes (d’après le revenu). Les petites exploitations sont aussi plus productives que les moyennes dans les pays en développement étudiés dans cet article (Bangladesh, Malawi, Ouganda et Tanzanie).