Ce chapitre examine dans quelle mesure l'environnement général d’action publique facilite ou entrave l'innovation, les changements structurels et l'utilisation durable des ressources dans le secteur agricole et alimentaire. Il couvre les politiques susceptibles de faciliter les investissements, telles que les réglementations, le commerce, les finances et les politiques fiscales, ainsi que les politiques visant à renforcer les capacités en infrastructure, les compétences et l’éducation, facilitant ainsi l'innovation, l'ajustement structurel et l'utilisation plus efficace des ressources dans le secteur agricole et alimentaire. Enfin, le chapitre identifie les principaux déficits de connaissances et regroupe les recommandations visant à renforcer l’environnement général des politiques dans les principaux domaines abordés dans les examens de pays.
Innovation, productivité et durabilité dans le secteur agricole et alimentaire
Chapitre 6. Cadre général d’action pour le secteur agricole et alimentaire
Abstract
Une solide gouvernance publique et la confiance dans les institutions facilitent certes l’innovation, mais celle-ci se produit même dans des conditions imparfaites dès lors qu’elle est rentable.
La transparence et l’obligation de rendre des comptes, ainsi que la consultation des parties prenantes, facilitent les réformes et renforcent la confiance dans la réglementation.
Le poids de la réglementation continue de poser problème dans la plupart des pays, mais plusieurs d’entre eux ont commencé à moderniser la réglementation pour la rendre plus transparente et efficace, ainsi que pour gommer les différences entre les différents territoires et pays. Les nouveaux problèmes liés à la réglementation restent difficiles à résoudre rapidement.
L’encadrement de l’environnement et des ressources par un socle réglementaire fondamental est incontournable pour la durabilité et la productivité agricoles. Tous les pays ne sont pas aussi avancés en matière de gouvernance des ressources naturelles et certains pâtissent de sévères lacunes qui limitent l’efficacité des systèmes réglementaires. La sévérité de la réglementation environnementale est difficile à mesurer, en particulier dans le domaine agricole.
Dans la plupart des pays membres de l’OCDE examinés, la politique commerciale ne restreint généralement pas l’accès aux technologies modernes et aux intrants agricoles, mais il est des cas où certaines catégories de produits sont hautement protégées de la concurrence étrangère. Les droits de douane prélevés sur les biens d’équipement et les biens intermédiaires sont généralement plus élevés dans les économies émergentes que dans les pays membres de l’OCDE. La facilitation des échanges a largement progressé depuis 2012. Il existe peu de restrictions à l’investissement étranger direct dans les pays examinés, sauf en ce qui concerne les terres agricoles dans quelques-uns d’entre eux.
Dans la plupart des pays de l’OCDE, le secteur bancaire et les marchés financiers sont bien développés et les entreprises agricoles et alimentaires qui souhaitent innover parviennent à trouver des crédits, même s’il a été plus difficile d’en obtenir dans les années qui ont suivi la crise financière de 2007.
En plus de soutenir l’investissement dans des entreprises privées, la plupart des pays examinés mettent en œuvre des programmes spécifiques destinés à soutenir l’investissement dans l’agriculture et parfois dans l’industrie alimentaire et dans le développement de chaînes de valeur.
Le total des prélèvements fiscaux sur les bénéfices s’inscrit dans une fourchette allant de 20 % à 70 % dans les pays examinés, les variations s’expliquant par des différences en matière d’imposition de la main-d’œuvre et de contributions. Les revenus agricoles peuvent être soumis à l’impôt sur le revenu ou à l’impôt sur les sociétés selon la forme juridique de l’exploitation. Dans quelques pays, les revenus agricoles bénéficient d’un statut particulier et peuvent par exemple faire l’objet d’un lissage dans le temps aux fins de l’impôt ou être imposés sur la base du chiffre d’affaires ou de manière forfaitaire. Les carburants à usage agricole sont moins taxés que les autres dans certains pays.
Les pouvoirs publics recourent de plus en plus aux instruments fiscaux plutôt qu’aux mesures de soutien direct pour stimuler la R‑D dans les entreprises.
Les infrastructures et services ruraux sont essentiels à la compétitivité du secteur agroalimentaire, mais il est difficile d’assurer leur existence dans les régions isolées à faible densité de population, en particulier dans les pays au territoire très étendu, même s’ils ne sont pas les seuls concernés.
Satisfaire la demande de main-d’œuvre et de compétences dans le secteur de l’agriculture et de l’alimentation devient de plus en plus problématique dans de nombreux pays. En l’espèce, les politiques en matière d’emploi, d’immigration et d’éducation peuvent contribuer à apporter des réponses.
L’enseignement agricole peut y concourir à condition de présenter plus d’attrait pour les jeunes, de mieux anticiper l’évolution de la demande de compétences, en s’adaptant en conséquence, et d’offrir à tous les travailleurs du secteur la possibilité de se former tout au long de leur existence.
Faciliter l’investissement
Les examens par pays cherchent à déterminer la mesure dans laquelle le cadre général d’action facilite ou entrave l’innovation, le changement structurel et l’utilisation durable des ressources, tout en anticipant l’avenir.
Une gouvernance publique solide et la confiance dans les institutions sont importantes pour faciliter l’évolution de l’action publique, l’adhésion à la réglementation et à l’innovation, le développement des contrats de commercialisation, la protection des droits de propriété privée et le respect des règles qui régissent l’accès aux ressources naturelles, ainsi que la qualité et la sécurité des intrants agricoles et produits alimentaires.
Un certain nombre de pays examinés affichent une gouvernance publique solide et un degré de confiance élevé dans les institutions, mais même les pays dans lesquels les conditions sont imparfaites, l’innovation se produit lorsqu’elle est rentable. La transparence et l’obligation de rendre des comptes, ainsi que la consultation des parties prenantes, facilitent les réformes, comme l’illustre le cas de l’Australie.
L’environnement général dans lequel évoluent les entreprises — facteurs macroéconomiques de base solides, réglementation claire, concurrence sur les marchés intérieurs, politique commerciale ouverte, accès aux financements et système fiscal propice à l’investissement, etc. — a des répercussions sur la compétitivité des sociétés agroalimentaires aussi bien que des exploitations agricoles. Dans la plupart des pays de l’OCDE, le cadre général d’action est le plus souvent propice à l’innovation, mais les examens par pays relèvent des possibilités d’amélioration dans plusieurs aspects.
Le poids de la réglementation pose problème au secteur agroalimentaire dans la plupart des pays, en particulier au regard de la complexité et des délais des procédures réglementaires d’autorisation des intrants agricoles, et des prescriptions en matière de sécurité des aliments. La réglementation applicable aux entreprises est dans l’ensemble devenue plus favorable à l’innovation au fil du temps. La création d’entreprises, en particulier, a été simplifiée dans beaucoup de pays (Graphique 6.1).
La cohérence entre la réglementation nationale et les réglementations régionales pose problème dans les pays à structure fédérale. Par exemple, de nombreux règlements relatifs à l’environnement et aux ressources naturelles relèvent de la responsabilité d’autorités infranationales en Australie, au Canada et aux États-Unis, où coexistent souvent des approches très différentes au sein du même pays. L’incohérence entre les systèmes de gouvernance nationaux, régionaux et locaux peut être particulièrement problématique dans le domaine de l’eau, comme on a pu l’observer en République populaire de Chine (« Chine »). Les conflits entre États fédérés ou provinces autour de ressources communes peuvent être longs à résoudre.
La réglementation relative à l’environnement et aux ressources peut avoir une incidence sur la productivité et la durabilité agricoles, mais il n’existe pas de travaux suivis permettant d’établir une typologie des mécanismes en jeu. L’OCDE a mis au point un indicateur de sévérité de la politique environnementale, mais celui-ci ne rend pas compte des mesures susceptibles d’avoir des répercussions sur le secteur agricole.
Un socle réglementaire de base est toutefois essentiel dans le domaine des ressources naturelles afin de veiller à ce que l’agriculture soit productive et durable. Il est particulièrement indispensable que l’allocation des ressources en eau soit régie par des règles solides encadrées par un système de règlements définissant les droits de propriété sur l’eau, si l’on veut que cette ressource soit gérée de manière durable par le secteur agricole dans les régions et pays où celui-ci a recours à l’irrigation (OCDE, 2010 ; 2015a). Ces régimes d’allocation contribuent à préserver la productivité agricole lorsque surviennent des phénomènes climatiques tels que des sécheresses ou inondations (OCDE, 2016 ; 2017a). Des mesures prometteuses ont été prises récemment dans les pays examinés en vue d’améliorer la gestion de l’eau, y compris dans l’agriculture (Encadré 6.1).
La réglementation est mise en œuvre de façon plus ou moins exhaustive selon la qualité des systèmes de gouvernance des ressources. Plus précisément, s’il existe dans certains pays des systèmes de gouvernance de l’eau particulièrement évolués (Australie), d’autres présentent des lacunes et des incohérences dans les zones rurales (Chine), ce qui limite l’impact des mesures applicables au secteur agricole (même lorsqu’elles sont bien conçues).
Les règlements fonciers sont eux aussi nécessaires à la productivité et à la durabilité du secteur agricole. En fonction des contraintes générales qui pèsent sur les terres, les pays examinés ont adopté des règlements pour restreindre l’expansion des superficies agricoles au détriment des forêts (comme le Brésil et la Colombie), pour prévenir le morcellement des terres agricoles (Turquie) ou pour empêcher l’affectation de terres agricoles à des usages urbains (Corée et Japon). Bien que leurs visées soient différentes, ces diverses mesures peuvent toutes servir des objectifs de durabilité : les forêts fournissent divers services écosystémiques essentiels plus importants que ceux fournis par l’agriculture, mais la production agricole fournit des services écosystémiques supérieurs à ceux associés au développement urbain.
Encadré 6.1. Exemples d’initiatives prometteuses destinées à améliorer la gestion de l’eau en agriculture
Les appels lancés par les plus hautes instances publiques ont mis en avant la nécessité pour l’agriculture d’améliorer sa gestion des ressources en eau. En 2017, les ministres de l’Agriculture du G20 ont adopté une déclaration ainsi qu’un plan d’action intitulé « Towards food and water security: Fostering sustainability, advancing innovation » (vers la sécurité alimentaire et la sécurité de l’eau : favoriser la durabilité, faire avancer l’innovation), qui contient un certain nombre d’engagements importants destinés à améliorer l’utilisation de l’eau dans l’agriculture et à réduire son exposition aux risques liés à l’eau.
Plusieurs pays examinés ont mis en place récemment des programmes ou règlements prometteurs pour améliorer la gestion des ressources en eau qui accordent une attention particulière à l’agriculture. Ces initiatives allient des décisions avisées et des efforts pour mettre en place des processus d’action efficaces.
Dans le cadre d’une refonte plus générale du système fédéral de gouvernance de l’eau, et après la sécheresse sévère qui a touché le sud du pays en 2014, le Brésil a pris des mesures pour stimuler la perception de redevances d’eau auprès des centrales hydroélectriques et des usagers agricoles. Ces redevances visent à améliorer l’allocation de l’eau et à aider parallèlement l’autorité de régulation à récupérer les coûts. Après de très nombreuses concertations avec les parties prenantes, à l’échelon des gouvernments régionaux et avec les bassins hydrographiques chevauchant plusieurs États, le Brésil a lancé un plan destiné à relever progressivement les redevances d’utilisation de l’eau, différenciées selon les bassins, et qui s’accompagne de dispositions transparentes, sans oublier le volet financier, avec pour cible principale les grands utilisateurs d’eau.
En 2014, alors que sévissait la plus grave sécheresse jamais enregistrée, l’État de Californie, aux États-Unis, a réglementé pour la toute première fois l’utilisation des eaux souterraines en instaurant la loi sur la gestion durable des eaux souterraines (Sustainable Groundwater Management Act). Cette réforme a pour but de trouver une solution d’ici 2042 à la baisse du niveau des eaux souterraines, due en grande partie à l’irrigation, tout en réduisant d’autres dommages environnementaux liés aux pratiques de pompage. Le texte prévoit la mise sur pied d’un organisme de gestion durable des eaux souterraines (GSA) pour chaque masse d’eau souterraine. Ces organismes sont chargés d’élaborer des plans de gestion des masses d’eau souterraines qui relèvent de leur compétence. Les GSA responsables de masses d’eaux souterraines jugées hautement ou moyennement prioritaires qui n’élaborent et n’appliquent pas de plan de gestion en conformité avec la législation peuvent être mis à l’essai par l’autorité d’État, laquelle peut se charger temporairement de la gestion de la masse d’eau concernée (élaboration des plans, etc.).
En 2018, le gouvernement du Canada et le gouvernement de la province de l’Ontario ont lancé le plan d’action Canada-Ontario pour lutter contre la pollution phosphorée responsable des proliférations d’algues et des zones mortes dans le lac Érié. Le programme, qui vise à réduire les concentrations de phosphore de 40 % au Canada, prévoit plusieurs angles d’intervention et s’appuie sur des études poussées de données pour parvenir à un résultat. Il repose sur un système multipartite qui implique un grand nombre d’acteurs différents du bassin, prévoit des évaluations régulières des avancées, un dialogue continu avec les parties prenantes et la possibilité d’ajuster les plans si les circonstances le dictent.
Source : G20 (2017), « G20 Agricultural Ministerial Action Plan 2017- Towards food and water security: Fostering sustainability, advancing innovation » (Plan d’action des ministres de l’Agriculture du G20 – Vers la sécurité alimentaire et la sécurité de l’eau : favoriser la durabilité, faire avancer l’innovation), www.bmel.de/SharedDocs/Downloads/EN/Agriculture/GlobalFoodSituation/G20_Action_Plan2017_EN.pdf?__blob=publicationFile ; Gruère et al. (2018), « Reforming water policies in agriculture: Lessons from past reforms », https://doi.org/10.1787/1826beee-en; OCDE (2017b), Water Charges in Brazil: The Ways Forward, https://doi.org/10.1787/9789264285712-en. ; Gruère, G. et H. Le Boëdec (2019), « Navigating pathways to reform water policies in agriculture », Documents de l’OCDE sur l’alimentation, l’agriculture et les pêcheries, No 128, https://doi.org/10.1787/906cea2b-en.
L’examen des États membres de l’Union européenne montre qu’une réglementation environnementale commune peut trouver une expression différente à l’échelle infracommunautaire et donner lieu à des approches variées. L’adhésion à l’Union européenne a ainsi contribué à fragmenter les règlements environnementaux en Estonie. Les Pays-Bas ont mis en place des mécanismes d’incitation en complément de leur réglementation environnementale afin d’améliorer leur performance en matière de durabilité, mais le pays a également dû mettre un terme à une mesure innovante visant à réduire l’utilisation d’engrais, en raison de son incompatibilité avec les règles de concurrence de l’Union europénne. En Suède, la réglementation est plus vaste et complexe qu’ailleurs dans l’Union européenne. Les normes environnementales et en matière de bien-être animal imposées dans les règlements nationaux sont généralement bien plus strictes que celles imposées au secteur de l’agriculture et de l’alimentation par la législation de l’Union européenne. C’est particulièrement vrai en ce qui concerne les différents types d’engrais et leurs usages autorisés, l’utilisation d’antibiotiques dans l’élevage et les dispositions relatives au bien-être animal, comme les normes en matière de bâtiments d’élevage, d’espace et de pratiques d’élevage. Le processus d’adhésion à l’Union européenne a également encouragé l’élaboration d’une réglementation environnementale en Turquie, même si des améliorations restent nécessaires sur les plans de la mise en œuvre, du suivi et de l’évaluation.
Les règlements relatifs aux produits et procédés qui visent à protéger la santé humaine, animale et végétale peuvent aussi avoir des répercussions sur l’utilisation des ressources naturelles. D’autres règlements relatifs à des procédés, comme ceux qui régissent l’agriculture biologique, garantissent aux consommateurs le respect de certaines pratiques de production et influencent les décisions d’investissement.
Dans de nombreux pays, les organismes publics chargés de mettre en œuvre les règlements sur les produits vétérinaires et les substances chimiques agricoles ne sont pas ceux en charge des règlements sur les procédés et produits alimentaires. Au sein des pays à structure fédérale, des différences subsistent d’un État à l’autre et entre les dispositions en vigueur au niveau fédéral et à l’échelon des États, bien que des mesures soient prises afin de les réduire. Selon les observations tirées de l’examen du Canada, le processus d’harmonisation inter-pays (comme la coopération Canada — États-Unis en matière de réglementation décrite dans l’encadré 4.1 de la publication OCDE, 2015b) fournit l’occasion de réexaminer les différences qui existent au sein du pays même. Au moment où a été réalisé l’examen, un projet de loi était en discussion au Canada pour élargir l’utilisation de l’« incorporation par renvoi », un outil de réglementation qui permet d’intégrer plus facilement les normes et prescriptions prévues par un organisme d’élaboration de normes d’envergure internationale ou adoptées par les autorités d’autres sphères de compétence. Une telle disposition aiderait à éviter les doublons et à promouvoir l’harmonisation entre les niveaux fédéral, provincial et territorial.
Les États membres de l’Union européenne appliquent des règlements qui sont pour l’essentiel arrêtés au niveau de l’Union européenne. L’examen des Pays-Bas préconise d’agir de manière innovante pour réduire le coût de la réglementation pour les pouvoirs publics, notamment en nouant des partenariats avec le secteur privé pour gérer la réglementation sanitaire et phytosanitaire afin de créer une interface entre les normes appliquées volontairement par le secteur privé et les prescriptions réglementaires. Le délai d’autorisation de mise sur le marché des nouveaux produits varie considérablement d’un pays examiné à l’autre. Il est par exemple de 6 mois aux États-Unis, contre 4 à 5 ans dans l’Union européenne (OCDE, 2015c).
Le principe selon lequel la réglementation doit s’appuyer sur la recherche fait consensus, mais certains pays tiennent aussi compte des impacts sociaux et économiques et consultent les parties prenantes. La plupart des pays ont mis sur pied des règlements spécifiques aux produits génétiquement modifiés, en s’appuyant souvent sur le processus d’évaluation des risques de l’OCDE, mais les procédures d’autorisation varient fortement d’un pays à l’autre. En Australie, l’autorité de réglementation des technologies génomiques (Gene Technology Regulator) prend des dispositions pour réglementer la mise au point et l’utilisation d’organismes génétiquement modifiés sur la base de considérations sanitaires, de sécurité et environnementales, mais ce sont les États qui régissent les modalités de commercialisation des cultures génétiquement modifiées. Depuis 2015, une directive donne aux États membres de l’Union européenne la possibilité d’autoriser ou non les cultures génétiquement modifiées sur tout ou partie de leur territoire, moyennant le respect de certaines conditions et sous réserve que la variété génétiquement modifiée soit en cours d’autorisation ou ait été autorisée au niveau de l’Union européenne. Aux États-Unis, le cadre coordonné de réglementation des biotechnologies (Coordinated Framework for Regulation of Biotechnology) s’efforce de s’appuyer sur les pouvoirs conférés par la législation en vigueur et l’expertise des organismes publics afin d’adopter une approche réglementaire de nature à garantir la sécurité des produits de biotechnologie. L’un des grands principes en matière de réglementation veut que les produits biotechnologiques soient réglementés en fonction de leurs caractéristiques et de ce qui fait leur originalité, et non selon la manière dont ils sont produits — autrement dit sans se soucier de savoir s’ils résultent de l’utilisation de techniques d’ingénierie génétique. Ce principe s’applique également aux produits issus de technologies d’édition génomique1, dans le cadre desquelles des modifications très précises sont apportées. Au sein de l’Union européenne, ces produits sont assimilés aux produits génétiquement modifiés aux fins de la réglementation. Lors d’une conférence organisée par l’OCDE sur les applications de l’édition génomique à l’agriculture, l’Argentine a elle aussi présenté un cadre adopté récemment afin d’évaluer ces produits2.
La politique commerciale ne restreint généralement pas l’accès aux technologies modernes et aux intrants agricoles (en particulier dans les pays membres de l’OCDE), mais certaines filières agricoles sont protégées de la concurrence étrangère dans les pays examinés. Dans les économies émergentes comme le Brésil et la Chine, les droits de douane prélevés sur les biens d’équipement et intermédiaires sont plus élevés que dans la plupart des pays de l’OCDE. Cela accroît le coût du capital, des intrants et des machines nécessaires à l’innovation et se répercute donc sur la compétitivité du secteur agroalimentaire.
Sur le front de la facilitation des échanges, des progrès sont observables dans la plupart des pays depuis 2012 (Graphique 6.2). Les scores de disponibilité des renseignements et d’implication des négociants se sont toutefois dégradés et ont entraîné un fléchissement de l’indicateur général du Brésil entre 2015 et 2017.
Selon l’indicateur de l’OCDE, les restrictions imposées par la réglementation aux investissements directs étrangers (IDE) dans le secteur de L’agriculture et de l’alimentation sont généralement faibles dans la plupart des pays examinés (Graphique 6.3). Elles sont néanmoins relativement élevées dans le domaine agricole en Corée et au Brésil. Dans ce dernier pays, elles portent sur l’acquisition de terres rurales par des personnes physiques ou morales étrangères. Plus particulièrement, la proportion des terres rurales d’une même municipalité pouvant être louée ou exploitée par des étrangers ne peut excéder 25 %. Bien qu’ils soient exportateurs nets d’IDE et de connaissances intégrées dans les domaines de l’agriculture et de l’alimentation, les Pays-Bas sont aussi très ouverts aux IDE.
Bien que le secteur bancaire et le marché financier soient généralement bien développés dans les pays de l’OCDE, l’accès au financement est devenu problématique après la crise. Dans certains pays, les exploitations bénéficient de conditions préférentielles ou de subventions à l’investissement (ce n’était pas le cas il y a peu encore aux États-Unis), parfois sans que l’on ait clairement identifié de défaillance dans le marché du crédit (dans le cas du Brésil, une telle défaillance ne fait aucun doute). Une partie de l’aide à l’investissement dispensée aux exploitations est versée en contrepartie de l’adoption de technologies ou bâtiments modernes (en Europe pour se mettre en conformité avec la réglementation de l’Union européenne ; au Canada). Les enquêtes peuvent rendre compte de difficultés à obtenir des prêts, souvent en raison de la faiblesse des revenus et de la rentabilité et d’un taux d’endettement élevé, sans nécessairement révéler de défaillances des marchés. Certains pays fournissent une aide à l’investissement aux agriculteurs, ainsi que, parfois, aux entreprises agroalimentaires. Les crédits sont délivrés essentiellement par les acteurs classiques comme les banques3. Certains pays font état de mesures destinées à donner de l’élan au capital-risque pour le financement des entreprises innovantes, mais on ignore à quel point exactement il bénéficie aux entreprises agroalimentaires.
Le système fiscal agit sur les entreprises agroalimentaires et les exploitations agricoles de bien des façons. Le total des prélèvements fiscaux sur les bénéfices s’inscrit dans une fourchette allant de 20 % à 70 % dans les pays examinés (Graphique 6.4). Certains pays prévoient des taux minorés pour les petites entreprises (comme le Canada), qui s’appliquent à de nombreux fabricants de produits alimentaires et exploitants. Bon nombre de pays ont adopté des dispositions particulières pour les agriculteurs, généralement en vue de réduire l’impôt sur le revenu, permettre un lissage des revenus et faciliter la transmission des exploitations. Il est également courant que les taxes sur les carburants à usage agricole soient moins élevées. Au Brésil, les exportations de produits agroalimentaires bénéficient d’un traitement fiscal préférentiel, comme toutes les exportations de matières premières et tous les produits semi-transformés destinés à l’exportation.
Plusieurs pays ont modifié leurs systèmes d’imposition ces dernières années. Le système fiscal australien est en cours de refonte depuis 2010 et certaines des nouvelles dispositions pourraient avoir des répercussions sur l’investissement dans le secteur agricole. En Estonie, les taxes et redevances environnementales sont de plus en plus courantes depuis 2005. Comme nous l’avons vu au Chapitre 5, de nombreux pays ont accentué les incitations fiscales en faveur de la R‑D au cours des dix dernières années, et l’Estonie est l’un des rares pays de l’OCDE à ne pas avoir recours à ce type de mécanisme incitatif.
Développer les capacités et les services
L’existence d’infrastructures adéquates est essentielle à la compétitivité du secteur agroalimentaire, car elle réduit les coûts et facilite la commercialisation. Assurer leur présence est une gageure pour les pays au territoire étendu. C’est au Brésil que les difficultés sont les plus importantes, mais aussi en Turquie et dans certaines régions d’Australie et de l’ouest du Canada, où de vastes zones de production sont très à l’écart des lieux de consommation et d’exportation. Les infrastructures de gestion de l’eau (irrigation ou drainage) sont les principaux ouvrages spécifiques à l’agriculture. L’examen préconise d’évaluer la demande d’infrastructures à laquelle il faudra répondre dans l’avenir en tenant compte du changement climatique et des contraintes liées à l’eau.
Dans la plupart des pays, il demeure difficile d’assurer la présence d’infrastructures et de services adéquats dans les zones rurales reculées, en raison du coût élevé par habitant qu’ils représentent dans ces régions à faible densité de population. Les innovations technologiques et organisationnelles peuvent aider, comme les liaisons ferroviaires à plus grande vitesse, qui contribuent à relier les zones rurales aux marchés d’emplois, le travail en ligne, les nouvelles sources d’énergie exploitables sans recourir au réseau électrique, les services électroniques et les services groupés. Les technologies de l’information et des communications (TIC), notamment les technologies numériques, offrent des solutions prometteuses pour faciliter l’accès aux services dans les zones rurales, établir un pont entre la population et les marchés et faciliter la traçabilité tout au long de la chaîne alimentaire. Si les TIC sont très utilisées dans certains pays de l’OCDE, elles sont moins courantes dans les économies émergentes (Graphique 6.5).
Les mesures prises par les pouvoirs publics pour insuffler une nouvelle dynamique aux zones rurales en Corée sont résumées dans l’Encadré 6.2. En Estonie et en Lettonie, les fonds structurels de l’Union européenne ont servi à financer une part importante des investissements destinés à améliorer les infrastructures rurales. D’autres pays, comme le Brésil, misent sur les partenariats public-privé (PPP) pour les aider à financer les investissements dans des infrastructures indispensables. Le Canada a créé PPP Canada, une société d’État qui accompagne tous les partenariats pour promouvoir le recours aux PPP comme moyen de mettre en place des infrastructures publiques. Dans ce pays, un grand nombre d’organismes publics et de ministères fédéraux et provinciaux sont impliqués dans le développement rural, si bien qu’il existe à l’échelon fédéral un certain nombre de mécanismes pour veiller à la cohérence de l’action publique dans les divers domaines qui ont un impact sur l’innovation dans le secteur agricole et alimentaire. On peut citer notamment les comités FPT, les examens interministériels et les conseils fédéraux régionaux.
Encadré 6.2. Une politique de développement rural et des statistiques sur les revenus des ménages très complètes en Corée
L’un des grands défis de l’action publique en Corée est d’assurer un développement régional harmonieux, tant la croissance économique se concentre dans les zones urbaines et dans le secteur manufacturier, ce qui creuse l’écart de revenu entre les ménages ruraux et urbains.
La politique de développement rural menée en Corée est passée d’un programme participatif à caractère local dans les années 1950 (ce que l’on appelle le Mouvement Saemaul) à un programme national très complet dont le champ s’est étendu aux industries non agricoles.
Le Mouvement Saemaul (mouvement du nouveau village) se voulait être un projet de développement complet à l’échelle nationale destiné notamment à améliorer les infrastructures rurales et l’environnement résidentiel, ainsi qu’à développer les activités génératrices de revenus en instaurant la production de cultures de rapport et en construisant des usines, par exemple. La caractéristique phare du Mouvement Saemaul était la coopération entre les autorités publiques et les habitants des zones rurales, avec des financements aussi bien publics que privés.
Dans les années 1980, la politique de développement rural a évolué vers un cadre de développement rural plus complet piloté par l’État. La hausse de l’enveloppe budgétaire consacrée à ces actions dans les années 1980 et 1990 a permis aux autorités centrales de développer le réseau routier, les installations de communication et les sources d’approvisionnement en eau dans les zones rurales, ainsi que d’améliorer les systèmes éducatif, médical et de protection sociale. Les principaux objectifs de la politique de développement rural de l’époque étaient d’améliorer les conditions de vie dans les zones rurales et d’accroître le revenu de leurs habitants en créant des activités non agricoles.
Dans les années 2000, le paradigme de la politique de développement rural a évolué pour s’étendre non plus seulement à la production agricole mais aussi au peuplement et aux loisirs. Les pouvoirs publics se sont efforcés avant tout d’accentuer les fonctions d’aménité des zones rurales, de renforcer la protection de l’environnement et de mettre en avant le rôle de l’agriculture dans la préservation des terres nationales. Ils ont favorisé une stratégie de développement autonome qui renforce les compétences locales et utilise les ressources locales dans le cadre de projets. Le pays a promulgué la loi spéciale de 2004 visant à améliorer les conditions de vie et à promouvoir le développement dans les zones rurales, afin d’attirer la main-d’œuvre et l’activité économique dans ces régions.
Selon le plan d’action en vigueur en 2016, les investissements et financements visaient essentiellement des projets tels que la revitalisation des centres d’activité ruraux, l’entretien des villages, l’entretien des logements, l’amélioration de l’utilisation des ressources en eau et la gestion de la sécurité dans les zones rurales. Les normes nationales relatives aux services dans les zones rurales fixent de vastes objectifs concrets dans bien des domaines (santé et protection sociale, éducation, conditions de peuplement, activité économique et emploi, culture et loisirs, ainsi que sécurité) afin de veiller à offrir à leurs habitants une qualité de vie élevée. L’évaluation des résultats de l’action publique réalisée en 2016 a montré que la plupart des zones ne respectaient pas encore les normes, hormis celles relatives aux services d’urgence et au réseau de convergence à haut débit.
Il est un autre aspect important de l’action publique qui permet d’évaluer les résultats de la politique de développement rural, à savoir la création de statistiques sur les ménages agricoles, et notamment sur les revenus agricoles et non agricoles. L’enquête économique sur les ménages agricoles, lancée pour la première fois en 1953, dresse un tableau complet de la structure des revenus sur les exploitations et fournit des renseignements fondamentaux aux décideurs pour évaluer la situation sur le front des revenus des ménages agricoles.
Source : OCDE (2018a), Innovation, Agricultural Productivity and Sustainability in Korea, https://doi.org/10.1787/9789264307773-en.
Assurer l’adéquation entre l’offre et la demande de main-d’œuvre et de compétences dans le secteur agricole et alimentaire pose fréquemment problème. Dans bon nombre des pays examinés, la population exerçant dans le secteur agricole primaire est en recul et vieillissante. À compétences équivalentes, les salaires sont généralement inférieurs à ceux des autres secteurs et les zones rurales n’attirent souvent pas les jeunes. Dans le même temps, les difficultés auxquelles le secteur fait face peuvent décourager les nouveaux entrants, comme l’incertitude à l’égard des politiques et de l’évolution du marché à l’avenir, le renforcement des contraintes imposées par la réglementation, la concurrence de plus en plus âpre ainsi que les craintes suscitées par les perspectives de rentabilité moroses. La faiblesse des salaires et les conditions de travail pénibles peuvent aussi amener la main-d’œuvre à manquer dans les entreprises de la chaîne alimentaire, comme les abattoirs. Enfin, certaines activités comme la cueillette et la transformation des fruits et légumes nécessitent une main-d’œuvre saisonnière. Le manque de main-d’œuvre renforce l’intérêt porté aux technologies, notamment numériques, qui permettent de l’économiser. Celles-ci connaissent un essor rapide dans les pays dotés d’un secteur agricole compétitif comme les Pays-Bas et les États-Unis, mais aussi en Chine et au Japon.
En raison des besoins saisonniers en main-d’œuvre, tous les pays examinés sauf l’Argentine et le Brésil appliquent une réglementation moins protectrice à l’emploi temporaire qu’à l’emploi régulier. L’immigration, qui permet de répondre pour une part non négligeable à la demande en main-d’œuvre saisonnière, fait dans de nombreux pays l’objet de restrictions croissantes d’ordre général qui limitent l’accès à cette source de main-d’œuvre bon marché et menacent donc la compétitivité de certaines filières agricoles (horticulture). Les pays examinés ont mis en place des règles particulières pour régir l’immigration saisonnière. Celles-ci comportent notamment des dispositifs d’immigration temporaire qui permettent aux employeurs d’embaucher des ressortissants de pays étrangers lorsque des travailleurs qualifiés ne sont pas disponibles dans le pays (Canada et États-Unis), des programmes de parrainage de travailleurs étrangers par des employeurs, avec notamment des éléments de formation professionnelle (Australie), des programmes appliqués par des régions manquant de main-d’œuvre pour attirer de nouveaux travailleurs, ainsi que la suppression des dispositions qui, par leur effet sur les coûts de main-d’œuvre, font obstacle à l’emploi de travailleurs étrangers (Estonie).
Parallèlement, le système agricole et alimentaire requiert une évolution et une diversification des compétences, dans des domaines parfois moins spécifiques au secteur (compétences numériques et de gestion, par exemple). Cela implique de permettre le reclassement du personnel en place (ou des immigrants arrivés récemment comme en Suède) et de collaborer avec la communauté éducative pour adapter les programmes de formation à la demande du secteur. Un programme estonien encourage les personnes qualifiées qui étudient ou travaillent à l’étranger à revenir dans le pays. Les compétences recherchées évoluant rapidement, il est important d’assurer et de faciliter la formation continue.
De manière plus générale, le secteur de l’agriculture et de l’alimentation bénéficie de systèmes généraux ou propres au secteur qui améliorent les services de placement, proposent des programmes de formation et améliorent l’information sur les postes à pourvoir et les profils recherchés. En créant des incitations à s’installer dans des zones rurales à déficit de main-d’œuvre et de compétences ou en facilitant le transfert géographique, les programmes en faveur des entreprises dans les zones rurales devraient être bénéfiques à l’emploi dans les activités agricoles et alimentaires de ces régions. En Turquie, il existe un programme d’aide à l’entrepreneuriat et à la formation destiné aux femmes dans les zones rurales.
L’enseignement agricole ou dans le domaine de l’environnement est primordial pour que les compétences répondent à la demande à l’avenir. Dans les pays examinés, l’enseignement agricole fait souvent partie intégrante du système éducatif général, même lorsqu’il dépend du ministère en charge de l’agriculture ou lorsqu’il est réservé à des établissements agricoles spécifiques. Par conséquent, il affiche les mêmes forces et faiblesses que le système éducatif général, ce qui donne à penser que les données de l’OCDE sur l’éducation et les compétences en général sont utiles à la réflexion sur le secteur. Par ailleurs, l’importance des sciences dans l’éducation nationale est un bon indicateur de la propension à innover et de l’adhésion de la société à l’innovation, des critères eux aussi pertinents pour l’innovation agricole.
Même avec un système éducatif moderne et performant comme en Australie, au Canada, aux États-Unis, aux Pays-Bas, en Suède et en Estonie, il est difficile d’attirer des étudiants nationaux vers les filières liées à l’agriculture, bien que ces pays attirent des étudiants étrangers. Dans les économies émergentes, toutefois, l’enseignement agricole demeure attrayant, notamment dans les pays où l’agriculture occupe une place importante, comme l’Argentine et le Brésil.
En plus de veiller à améliorer la compétitivité du secteur, plusieurs mesures sont préconisées pour que cette branche de l’enseignement gagne en attrait, comme celle de promouvoir les carrières dans les industries agroalimentaires, en mettant l’accent sur les perspectives d’emploi à haut niveau de qualification et à forte intensité de connaissances, ainsi qu’il est précisé dans l’examen de l’Australie. Aux Pays-Bas, l’enseignement agricole a réussi à attirer des étudiants ne faisant pas partie de son public traditionnel en mettant en évidence les débouchés professionnels et en insistant sur le lien avec la sécurité alimentaire et la gestion de l’environnement naturel, sans se limiter aux activités agricoles primaires. Les besoins du secteur en matière de compétences s’étant étendus (pour englober désormais la gestion de la nature, la nutrition et la santé, les technologies numériques, la gestion et la comptabilité), l’enseignement agricole suscite l’intérêt d’un plus large éventail de jeunes qui ne sont pas issus du monde rural. L’examen des États-Unis préconise de promouvoir l’enseignement professionnel agricole auprès des jeunes issus de zones davantage urbaines, qui ne font pas partie du public traditionnel de cette branche de l’enseignement.
À tous les niveaux, le secteur a aussi du mal à retenir les étudiants (comme il ressort des examens de l’Estonie, de l’Australie et du Canada), car les compétences en matière d’agriculture peuvent être mises à profit dans d’autres secteurs plus rémunérateurs et d’une grande diversité, comme l’exploitation minière, la foresterie, la construction, la comptabilité ou les activités commerciales.
Enfin, l’enseignement agricole doit s’adapter aux besoins du secteur et aux préférences des jeunes. La concertation avec le secteur et d’autres branches de l’enseignement permet de mieux cerner et anticiper les besoins de demain, comme on peut l’observer aux Pays-Bas avec le programme consacré aux secteurs prioritaires (Top sector policy) et le Comité vert. Les différents examens par pays révèlent que l’innovation a tout à gagner d’un renforcement des cours de gestion et axés sur le commerce, qui viennent compléter les matières plus techniques.
Principaux déficits de connaissances
Plusieurs indicateurs composites évaluent et classent les politiques et règlements en vigueur dans les différents pays qui créent des conditions favorables pour les entreprises. On peut citer à cet égard les indicateurs de compétitivité globale du Forum économique mondial (WEF), l’indice de facilité de faire des affaires du Groupe de la Banque mondiale (GBM) et les indicateurs de réglementation des marchés de produits de l’OCDE. Plus récemment, la Banque mondiale a mis sur pied le projet EBA (améliorer le climat des affaires dans l’agriculture), qui rend compte essentiellement de la situation dans les pays en développement. De la même manière, l’OCDE et l’IFPRI ont mis au point pour un certain nombre de pays en développement un indice de l’environnement propice à la croissance agricole (AGEI) (Diaz-Bonilla et al., 2014), que l’OCDE a ensuite actualisé et affiné (OCDE, 2017e).
Si l’OCDE a élaboré un indicateur de sévérité de la politique environnementale, celui-ci ne tient pas compte de toutes les dimensions des questions environnementales en lien avec l’agriculture. Des discussions se sont ouvertes au sein de l’Organisation en vue de mettre au point des indicateurs de sévérité de la politique environnementale spécifiques au secteur agricole. À cette occasion, des questions méthodologiques sont soulevées concernant le champ des mesures à prendre en considération (faut-il tenir compte des politiques agroenvironnementales, par exemple ?) et les modalités d’agrégation des données, notamment le poids à accorder aux différents aspects environnementaux.
Les examens par pays reprennent plusieurs composantes de ces indicateurs, qui servent de fondement à l’évaluation de certains domaines particuliers du cadre d’action. Cependant, ces indicateurs ne rendent pas nécessairement compte de la mesure dans laquelle le cadre d’action ou réglementaire stimule ou entrave les déterminants de la performance du secteur agricole et alimentaire. Même à l’échelon national, les informations sur ce sujet sont insuffisantes.
Il est également difficile de déterminer quelles sont les principales contraintes. Certains pays ont mené des enquêtes sur les obstacles à l’investissement en demandant aux répondants de classer les principaux d’entre eux.
S’agissant des autres secteurs, on manque également d’informations sur l’impact de la concurrence sur l’innovation dans l’agriculture et l’alimentation, bien que l’examen des États-Unis se penche sur l’impact que peuvent avoir le mouvement de concentration que connaissent les filières des intrants et le fait que les dispositions relatives à la concurrence et aux prix prévues par les lois sur la concurrence ne s’appliquent pas aux coopératives. OCDE (2018b) étudie l’intensification de la concentration sur les marchés des semences et des technologies de modification génétique, ainsi que son impact sur les prix et l’innovation. Dans l’ensemble, aucun élément probant n’indique que ce mouvement de concentration nuit à l’innovation.
S’agissant de la réglementation des produits et procédés, il apparaît que certaines dispositions font explicitement obstacle à des axes d’innovation particuliers (notamment dans les méthodes de production), mais que d’autres (celles relatives à la sécurité alimentaire et à la traçabilité, ou encore les contraintes environnementales) incitent le système d’innovation à trouver des solutions.
Les éléments qui justifient le maintien du traitement préférentiel accordé à l’agriculture ne sont pas examinés régulièrement. Ces dernières années, les pouvoirs publics et le milieu universitaire ne se sont guère intéressés à l’impact de la fiscalité sur l’agriculture.
Le développement des zones rurales est un objectif de première importance dans de nombreux pays, mais le champ des examens par pays ne permettait pas d’effectuer une analyse approfondie de cette question complexe et pluridimensionnelle.
L’OCDE dispose de renseignements très fournis sur l’éducation et l’emploi, sans qu’ils rendent compte de la situation dans le secteur agricole en particulier. Les acteurs institutionnels ou nationaux disposent en revanche d’informations solides sur l’enseignement agricole. Celui-ci recouvre toutefois une réalité à géométrie variable selon le pays. L’un des enjeux est de mieux comprendre la performance des jeunes issus de l’enseignement agricole sur le marché de l’emploi.
Recommandations visant à améliorer le cadre général d’action
La présente section fait la synthèse des recommandations formulées dans les examens par pays et reprises dans les notes par pays à l’annexe C à l’égard de divers domaines d’action étrangers au secteur agricole. Ces instruments d’action visent à faciliter l’investissement et à renforcer les infrastructures et les moyens humains, et donc à créer un environnement propice à l’innovation, à l’ajustement et à l’utilisation durable des ressources dans le secteur de l’agriculture et de l’alimentation, de sorte de faire progresser la productivité et la durabilité.
Améliorer les renseignements disponibles sur le lien entre le cadre général d’action et l’agriculture afin d’éclairer les décisions
L’action publique ne saurait progresser sans que des moyens supplémentaires soient déployés pour mesurer et évaluer l’impact du cadre général d’action sur le secteur agricole et alimentaire. Ces efforts doivent porter sur la mise au point de socles de données et de méthodes appropriés. Il est par exemple nécessaire d’améliorer les méthodes permettant de mesurer les indicateurs de durabilité environnementale.
Améliorer les procédés qui sous-tendent l’action publique et la réglementation pour faciliter l’investissement
Continuer d’améliorer la gouvernance et la cohérence de l’action publique, ainsi que de renforcer la confiance dans les institutions. Cet objectif implique de définir des plans stratégiques qui garantissent une coordination entre les domaines d’action et précisent les prérogatives dévolues à chaque niveau d’administration et à chaque organisation, de se concerter avec les parties prenantes, de mettre au point des procédures d’évaluation systématique, ainsi que d’améliorer la communication sur l’action publique. En cas de nécessité, renforcer l’application effective des contrats et des droits de propriété intellectuelle.
Moderniser la réglementation afin de la rendre plus claire, transparente et facile d’accès et plus cohérente entre les différents pays et territoires. La réglementation devrait également être plus flexible et davantage centrée sur les besoins des entreprises et des consommateurs, et anticiper les avancées scientifiques et technologiques ainsi que l’évolution des attentes du public. Envisager de recourir à une réglementation davantage axée sur les résultats. Passer progressivement en revue les règlements en vigueur afin de réduire au minimum les coûts de mise en conformité et les délais. Pour cela, il s’agit de réduire les contraintes superflues, par exemple en raccourcissant et en simplifiant les procédures, en allégeant les contraintes réglementaires pour les nouvelles entreprises ou en abaissant les barrières à l’entrée.
Renforcer les services de réglementation à l’intention des entreprises : instaurer une plateforme, un guichet unique regroupant tous les renseignements utiles.
Renforcer la collaboration en matière de réglementation aux niveaux international et infranational pour réduire l’hétérogénéité des dispositifs réglementaires.
Veiller à ce que les mesures ne relevant pas spécifiquement du secteur agricole améliorent le fonctionnement des marchés et des échanges agroalimentaires
Abaisser la protection douanière sur les capitaux et les biens industriels pour faciliter l’investissement et l’innovation. Mettre en place une politique de la concurrence efficace, sans oublier la chaîne alimentaire. En particulier, veiller à ce que les coopératives et les autres fournisseurs d’intrants et de services rivalisent sur un pied d’égalité.
Étudier les débouchés à l’exportation et, dans les petits pays, promouvoir une approche régionale de la diversification des échanges.
Étudier les possibilités de nouvelles avancées en matière de facilitation des échanges, par exemple en faisant appel aux technologies numériques.
Promouvoir la gestion des risques et faire en sorte qu’il existe des outils dans ce domaine.
Le fait d’améliorer la transparence et l’efficience des marchés de produits donnerait de l’élan à la compétitivité et donc à l’investissement.
Améliorer le fonctionnement des marchés d’intrants — et donc faciliter l’accès aux technologies innovantes —, en supprimant les distorsions et les obstacles, en faisant effectivement appliquer les règles de concurrence et en décelant les défaillances de marché (sur les marchés du crédit, foncier ou de l’eau, par exemple), ainsi qu’en collaborant avec des fournisseurs et utilisateurs d’intrants afin de cerner l’offre, la demande et les contraintes qui s’exercent, puis de trouver des solutions.
Lever les obstacles à la transmission des exploitations.
Faciliter l’accès aux capitaux en mettant à disposition les informations sur les programmes de soutien sur une plateforme unique, en simplifiant l’architecture des programmes et en étudiant les possibilités de mobiliser des sources de financement non traditionnelles, comme le capital-risque et les PPP.
Concentrer le soutien public à l’investissement dans les domaines non financés par les marchés de capitaux, ainsi que dans les domaines qui servent les objectifs économiques et d’innovation généraux (changement climatique, bioéconomie, etc.).
Simplifier la fiscalité, notamment l’imposition indirecte, afin d’améliorer la transparence et l’équité, ainsi que pour faciliter la mise en conformité. Faire en sorte que le poids de la fiscalité ne soit pas tel qu’il décourage l’investissement et la participation au marché du travail. Veiller à ce que les taux d’imposition moins élevés appliqués aux petites entreprises ne les empêchent pas de prendre de l’ampleur. Faire en sorte que la fiscalité ne fasse pas obstacle à la transmission des exploitations.
Aligner les politiques et les réglementations au service de l’amélioration de la durabilité
Évaluer la sévérité de la réglementation environnementale dans le domaine agricole afin de déterminer le rôle et l’efficacité des règlements.
Réaligner les incitations découlant des politiques publiques qui influent sur l’environnement et la durabilité des ressources, en supprimant les subventions préjudiciables à l’environnement comme les allégements de taxes énergétiques, et en mettant la fiscalité ou les mécanismes du marché au service des objectifs environnementaux.
Améliorer la gouvernance et la gestion des ressources naturelles en renforçant les dispositions de la législation et de la réglementation environnementales qui définissent les obligations et les droits et qui permettent d’identifier les conflits locaux et d’y apporter des réponses. Renforcer le respect de la réglementation, notamment en faisant appel à des technologies modernes, mais aussi en dotant les organismes chargés de surveiller ce respect des moyens financiers et des compétences pour le faire.
Faire en sorte que l’aide à l’investissement cible l’innovation et des résultats en phase avec les principes de durabilité.
Développer les infrastructures et les services en zones rurales afin de renforcer l’accessibilité
Rendre les stratégies et la planification plus efficaces et prospectives en vue de développer et d’entretenir les infrastructures rurales, en s’appuyant sur l’estimation des besoins (futurs) et l’évaluation des mesures précédentes. Dans ces plans, tenir compte en particulier des aspects (interactions) liés à l’environnement et au changement climatique, s’agissant par exemple de l’irrigation, des changements de production, des modes de transport et de la contribution de l’agriculture à l’atténuation du changement climatique.
Simplifier la gouvernance et améliorer la coordination entre les ministères et les niveaux d’administration.
Améliorer la connectivité dans les zones rurales, notamment en renforçant l’accès aux technologies numériques.
Développer les énergies vertes et faciliter le développement de bioproduits lorsque cela est possible.
Trouver des moyens innovants de fournir des services. Faciliter la coopération entre les habitants des zones rurales pour entretenir les infrastructures (systèmes d’irrigation et de drainage notamment) et préserver l’attrait de ces zones.
Apporter au secteur de l’agriculture et de l’alimentation la main-d’œuvre et les compétences dont il a besoin
Mettre en place une politique en matière d’emploi et d’immigration plus souple et qui réponde mieux aux besoins pour faciliter l’afflux de main-d’œuvre dans les domaines à forte demande.
Veiller à ce que les programmes de formation et de recyclage permettent d’acquérir les compétences voulues (y compris pour les immigrés et les femmes, ainsi que dans le domaine de l’innovation). En particulier, faciliter l’accès aux travailleurs saisonniers. Fournir des services de placement et de transfert géographique.
Fixer des objectifs à l’enseignement agricole qui correspondent aux besoins (compétences, tendances démographiques) aux niveaux national et international si nécessaire.
Mettre en place des mécanismes permettant de rendre l’enseignement agricole plus attrayant et à mieux l’adapter à l’évolution des besoins de compétences professionnelles, et à celle des préférences des jeunes. Ces mécanismes consistent notamment à réévaluer régulièrement les besoins en consultation avec l’ensemble des parties prenantes et dans l’ensemble des centres d’enseignement, à adapter les programmes et à en créer de nouveaux, à mieux intégrer les nouvelles matières comme la gestion et la comptabilité, les technologies numériques, le bien-être animal, la santé et le changement climatique, et à établir des ponts avec les filières d’enseignement non agricoles.
Si ce n’est déjà fait, exposer davantage les spécialistes des sciences agricoles aux sciences sociales puisqu’elles jouent un rôle de plus en plus important pour améliorer la pertinence de l’innovation agricole et alimentaire et s’assurer que la recherche mène à des innovations utiles sur le plan économique et acceptables sur le plan éthique.
Promouvoir l’enseignement agricole pour faire changer les mentalités et aller plus activement à la rencontre de jeunes qui ne font pas partie du public traditionnel de cette filière. Dans certains pays, ouvrir davantage l’accès à la filière. Moderniser la formation professionnelle. Faciliter le financement des formations et de l’enseignement par le secteur. Ajuster l’enveloppe budgétaire publique afin qu’elle soit adaptée aux objectifs fixés à la lumière des besoins escomptés.
Références
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Notes
← 1. L’édition génomique désigne diverses techniques consistant à modifier des enzymes spécialisées qui peuvent insérer, remplacer ou enlever un fragment d’ADN avec un haut degré de spécificité.
← 2. La « Conférence de l’OCDE sur l’édition du génome : applications dans l’agriculture - Implications pour la santé, l’environnement et la réglementation », a été organisée à Paris les 28 et 29 juin 2018 en vue d’étudier les questions de sécurité et de réglementation soulevées par les produits issus de l’édition génomique et dans l’optique de favoriser une stratégie cohérente de la part des pouvoirs publics pour faciliter l’innovation faisant appel à l’édition génomique (www.oecd.org/environment/genome-editing-agriculture).
← 3. Voir l’enquête sur les entreprises agroalimentaires dans l’examen du Canada (OCDE, 2015b).