L’OCDE a été au premier plan pour documenter la hausse des inégalités depuis plusieurs décennies. Les chiffres sont frappants : au sein de l'OCDE, le revenu disponible moyen des 10% les plus riches de la population s'élève aujourd’hui en moyenne à environ neuf fois et demi celui des 10% les plus pauvres. Il y a 25 ans le facteur était de 7 à 1. Les inégalités de patrimoine sont encore plus prononcées, puisque les 10% les plus riches détiennent la moitié du patrimoine, alors que les 40% les plus pauvres n'en détiennent que 3%. La crise financière a renforcé ces tendances qui préexistaient: les bénéfices de la croissance profitaient déjà majoritairement aux revenus les plus élevés avant 2008, et ce y compris durant les périodes de fort développement économique. Dans de nombreux pays émergents ou en voie de développement, malgré la réduction considérable de la pauvreté les inégalités sont toujours élevées.
Nous avons depuis longtemps insisté sur la nature multidimensionnelle des inégalités. Le statut socio-économique influence fortement les perspectives d’emploi, la qualité du travail, l'état de santé, l’éducation et d’autres dimensions (y compris l'accès à des réseaux) importantes pour le bien-être. Les enfants dont les parents n’ont pas fait d'études au-delà du secondaire n’ont que 15% de chances d’aller à l’université, comparé à 60% pour ceux dont au moins un parent est diplômé du supérieur. Un retard acquis dès le plus jeune âge peut avoir des conséquences tout au long de sa vie. Un déficit d’éducation n’entraine pas seulement des salaires plus bas mais aussi, et de manière plus inquiétante, une espérance de vie plus courte. Au sein de l'OCDE, un homme de 25 ans ayant fait des études supérieures peut espérer vivre presque 8 ans de plus en moyenne que son homologue moins diplômé ; la différence est de 4,6 ans pour les femmes.
L'accumulation d'un manque d'opportunités en termes d’éducation, de compétences et d’emploi peut conduire les personnes à des situations où elles sont très vulnérables, notamment lorsqu’elles sont exposées à des catastrophes environnementales ou à des situations de violence. En raison de ces inégalités multidimensionnelles, alors que certains individus, villes et régions prospèrent, d’autres décrochent complétement.
Cela n’est pas seulement inacceptable et insoutenable éthiquement et socialement; les inégalités ont aussi un impact sur la productivité et les perspectives de croissance. Le rapport de l’OCDE sur l'articulation Productivité-Inclusivité alerte sur le fait que les familles modestes et les régions en retard n’ont ni les moyens pour investir pour leur propre futur, ni le capital nécessaire pour réussir à l'avenir. Dans ce rapport et d’autres, nous avons étudié comment créer un cadre propice qui peut soutenir les personnes, régions et entreprises et les aider à réaliser leur plein potentiel. Ce n’est pas qu’une question de politiques de redistribution, mais aussi de tout le cadre économique qui doit incorporer des considérations d’équité dès le début.
Intitulé « L’ascenseur social est-il en panne ? Comment promouvoir la mobilité sociale », le présent rapport met la lumière sur un autre aspect de la question des inégalités, celui de la mobilité sociale. Les résultats confirment les tendances inquiétantes observées dans toutes les autres dimensions des inégalités. Dans de nombreux pays, des familles et des communautés sont bloqués en bas de l’échelle sociale, surtout depuis le début des années 1980. Ceci signifie que les enfants nés en bas de la distribution des revenus ont peu de chances de s’élever et d’améliorer leur statut professionnel par rapport à leurs parents et aux générations qui précèdent. C’est ce qui génère un « plancher adhérent » en bas de l'échelle sociale. À l'autre extrémité, il existe aussi un "plafond adhérent", parce que l'inégalité implique aussi que ceux qui sont en haut de l'échelle y restent pour longtemps. Dans un « pays-type » de l'OCDE, il faudrait en moyenne cinq générations pour que les enfants de familles pauvres puissent atteindre le niveau du revenu moyen dans leur pays.
Ce rapport est un élément important de la réponse de l’OCDE à ces défis et à l'effort de l'Organisation pour développer un modèle de croissance « centré sur les personnes » dans lequel le succès se mesure selon le bien-être ; où chacun a les mêmes chances de prospérer ; et où la prise en compte de l’équité compte pour définir des politiques économiques efficaces. Le rapport s’intéresse à la mobilité sociale entre les générations, en termes de revenus, d’éducation, de santé et d’emploi, et comment ces facteurs sont reliés aux inégalités. Il analyse également les déterminants de la mobilité sociale tout au long de la vie, et montre comment une bonne compréhension des mécanismes, des dimensions et des tendances de la mobilité sociale est cruciale pour la mise en place de politiques qui permettront une croissance plus inclusive. Le rapport interroge sur les conséquences d’une faible mobilité sociale et discute de la façon dont l’éducation, la santé et les politiques familiales, les impôts, les prestations sociales, et les politiques urbaines et locales peuvent au mieux promouvoir l'égalité des chances.
Ce rapport est le quatrième d'une série de publications phares de l'OCDE sur l’évolution, les origines et les conséquences de la hausse des inégalités, et les solutions pour y remédier. Les rapports « Croissance et inégalités » (2008) et « Toujours plus d’inégalité » (2011) présentaient et analysaient les principales caractéristiques et causes de la hausse tendancielle des inégalités de revenu dans les économies avancées et dans les grandes économies émergentes. Le rapport « Tous concernés » (2015) examinait quant à lui les conséquences des inégalités, et plus précisément l’influence de la montée des inégalités sur la croissance économique, ainsi que l’impact des mesures d’assainissement budgétaire, des politiques de redistribution, des changements structurels enregistrés sur le marché du travail et des inégalités persistantes entre hommes et femmes sur les inégalités de revenu des ménages. Il fait aussi partie intégrante de l'Initiative de l'OCDE pour une Croissance Inclusive, qui vient juste de lancer un Plan d'Action, avec un tableau de bord d'indicateurs, et une revue des politiques publiques qui ont fait leurs preuves pour diminuer les inégalités. Nous espérons que ce rapport, conjointement avec le Plan d'Action pour une Croissance Inclusive et la Stratégie pour l'Emploi, va aider les pays à développer et implémenter des politiques qui amélioreront la mobilité sociale et créeront des économies qui profitent à tous.
Gabriela Ramos
Directrice de Cabinet et Sherpa Responsable de l’Initiative sur la Croissance Inclusive,
et de l’Initiative des Nouvelles Approches Face aux Défis Économiques (NAEC)