Ce chapitre d’introduction fournit une vue d’ensemble du rapport, en s’appuyant sur les analyses développées dans les cinq chapitres suivants. Il établit qu’une proportion croissante de personnes sont confrontées à l’assombrissement des perspectives de mobilité sociale dans la société. Le rapport propose un examen approfondi de la mobilité sociale entre les générations au regard des dimensions clés que sont le revenu, l’emploi, l’éducation et la santé. Il étudie également les caractéristiques, déterminants et tendances de la mobilité sur l’échelle des revenus au cours de l’existence. Il ressort du rapport que la mobilité est limitée tant au bas qu’au sommet de l’échelle de la distribution des revenus – signe de l’existence de planchers et de plafonds « collants ». Enfin, le rapport analyse les implications d’une mobilité sociale restreinte, ainsi que la manière dont les politiques publiques peuvent favoriser l’égalité des chances pour tous et assurer aux individus et aux ménages des trajectoires viables en termes de revenus.
L’ascenseur social en panne ? Comment promouvoir la mobilité sociale
Chapitre 1. Synthèse
Abstract
Introduction
Les inégalités économiques et sociales actuelles, parce qu’elles déterminent les chances de chacun en matière d’éducation, de santé et d’emploi, retentissent sur les possibilités d’ascension sociale. C’est là l’un des enseignements tirés du rapport de l’OCDE (2015a) « Tous concernés : Pourquoi moins d’inégalité profite à tous ». Si les pays ne sont pas unanimes quant au niveau souhaitable d’inégalité des résultats, par exemple en redistribuant le revenu ou le patrimoine, ils s’accordent généralement à reconnaître la nécessité de favoriser l’égalité des chances : tout le monde doit bénéficier des mêmes chances, indépendamment de la situation socio-économique de chacun.
Le présent rapport analyse le mécanisme principal reliant les inégalités de résultats à l’accès aux chances : la mobilité sociale intra- et intergénérationnelle. Il fait ressortir que les niveaux élevés ou croissants d’inégalités de résultats, observés dans bon nombre de pays de l’OCDE et d’économies émergentes, font souvent obstacle à la mobilité sur l’échelle des revenus et à la mobilité sociale. Dans ce contexte, on ne s’étonnera pas que les sondages d’opinion révèlent une impression de plus en plus répandue de perte de mobilité des sociétés et des économies ; impression qui nourrit un mécontentement croissant à l’égard du système économique, s’oppose à la cohésion sociale et cède la place au désenchantement politique.
Le rapport dresse un bilan détaillé de la mobilité sociale intra- et intergénérationnelle dans les pays de l’OCDE et les économies émergentes. Il fait également le point sur les actions publiques en faveur d’une plus grande mobilité sociale. Cerner et promouvoir ces actions publiques est un aspect fondamental de l’initiative de l’OCDE pour la croissance inclusive, une stratégie globale visant une croissance créatrice d’opportunités pour tous et équitable dans la distribution des dividendes de la prospérité. La mission la plus ardue consiste à garantir des chances de promotion sociale aux individus talentueux en bas de l’échelle, tout en empêchant ceux au sommet de monopoliser ces opportunités. Bon nombre d’actions sont également possibles pour favoriser la mobilité tout au long de la vie, notamment en protégeant contre les effets d’événements imprévus de la vie ou de chocs temporaires tout en aidant les groupes défavorisés de manière ciblée.
1.1. Mobilité sociale : quelle importance pour l’action publique ?
1.1.1. La mobilité sociale dans l’esprit public
Dans un certain nombre de pays, les citoyens ont le sentiment grandissant que la mobilité sociale s’amenuise. Les sentiments et les attentes quant à la mobilité sont influencés par de multiples facteurs propres aux pays et aux individus, mais ils importent aussi en tant que tels compte tenu de leurs répercussions non seulement économiques et sociales, mais aussi politiques.
Au sujet du statut ou du prestige de leur emploi par rapport à celui de leur père quand elles avaient 16 ans, la proportion de personnes qui pensent que leur père avait un meilleur emploi est passée de 16 % à 21 % au cours des vingt dernières années, en moyenne dans les pays de l’OCDE. Dans l’esprit public, le déclassement (la mobilité descendante) est un risque de plus en plus réel dans presque tous les pays de l’OCDE. En même temps, l’ascension professionnelle (la mobilité ascendante) n’est pas vue de la même manière dans tous les pays : elle est en progression dans certains (ex. les pays nordiques) mais en régression dans d’autres (ex. l’Australie et les États-Unis).
Le sentiment d’amenuisement de la mobilité va de pair avec une impression de recul de la méritocratie : de plus en plus de personnes pensent que la réussite des parents joue un rôle prépondérant dans le devenir de leurs enfants. S’il est vrai que la majorité considère qu’il est essentiel ou très important d’« avoir soi-même une bonne éducation » et de « bien travailler », 36 % sont d’avis qu’il est essentiel ou très important d’avoir des parents instruits pour réussir, par rapport à 31 % en 1992 (Graphique 1.1). Au Chili, en Allemagne, en Pologne et en Espagne, plus de la moitié des personnes interrogées pensent qu’il est essentiel d’avoir des parents instruits pour réussir, contre 20 % seulement ou moins dans les pays nordiques et au Japon.
On observe en outre un pessimisme de plus en plus prononcé quant aux perspectives individuelles d’augmentation du revenu et d’amélioration de la situation financière, à court terme et tout au long de la vie. Il importe de noter que cette tendance se manifeste bien avant la crise financière mondiale (Graphique 1.2). Au début des années 2000, les perspectives d’amélioration financière s’assombrissent dans une grande majorité des pays européens de l’OCDE disposant de données, et plus particulièrement en Europe du Sud et du Nord. La crise récente ne fait qu’alourdir les choses. Il faut attendre 2015 pour déceler un léger optimisme à l’égard de la situation financière individuelle, même si la proportion des personnes misant sur une amélioration reste encore loin des niveaux atteints dans les années 1990.
Ces obstacles subjectifs à la mobilité sociale sont relativement concordants avec les mesures réelles de la mobilité, notamment si l’on se penche sur les revenus d’activité ou les niveaux de formation des différentes générations (Graphique 1.3). Par exemple, les pays où la population voit les perspectives de mobilité d’un œil plus pessimiste sont souvent ceux où le niveau d’études et le revenu des parents sont plus déterminants dans le devenir des enfants des deux sexes : par exemple, la France et l’Allemagne parmi les pays européens, le Chili et l’Afrique du Sud hors de l’Europe. Inversement, dans les pays nordiques et dans une moindre mesure au Japon, l’impression d’une société plus fluide concorde avec une plus grande mobilité des revenus d’activité réels entre père et fils.
1.1.2. Le manque de mobilité sociale peut être lourd de conséquences
En premier lieu, le manque de mobilité sociale peut saper les bases de la croissance économique. En l’absence de mobilité ascendante au bas de l’échelle de distribution des revenus, de nombreux talents potentiels sont laissés de côté ou insuffisamment développés. Qui plus est, une multitude d’investissements et d’entreprises possibles ne verront jamais le jour. Les personnes de condition modeste passent à côté d’investissements par manque de crédit ou de liquidité, par manque d’informations sur les possibilités d’investissement ou de ressources familiales pour s’assurer contre les risques de détérioration. Cette situation met à mal la productivité et la croissance économique potentielle au niveau national1. À l’extrémité opposée, l’absence de mobilité en haut de l’échelle de distribution des revenus peut se traduire par des rentes persistantes pour quelques privilégiés au détriment du plus grand nombre, en raison des inégalités d’accès à la vie économique et à l’éducation. La réussite des personnes situées en haut de l’échelle et de leurs enfants ne doit pas se faire aux dépens des autres : la monopolisation des opportunités est néfaste pour la société et entraîne des coûts d’efficience élevés.
Deuxièmement, certains éléments donnent à penser que les perspectives de promotion sociale influent de manière positive sur la satisfaction à l’égard de la vie et sur le bien-être. Au Royaume-Uni, par exemple, on sait que les individus qui se hissent plus haut que leurs parents, à longue échéance, sont généralement mieux lotis que ceux qui restent bloqués dans la classe ouvrière dans un large éventail de dimensions (participation aux associations civiques, contact avec les parents, relations personnelles étroites, soutien social, bien-être subjectif). À l’inverse, des risques élevés de déclassement et de perte du statut social réduisent souvent la satisfaction à l’égard de la vie et compromettent la cohésion sociale2. En réalité, les conséquences de la mobilité sociale sur le bonheur sont en grande partie dues à l’évolution du concept de sécurité financière, qui influe sur le bien-être subjectif à travers le stress (et les comportements dangereux pour la santé qui l’accompagnent), les considérations de prospérité (ce que les personnes attendent de l’avenir influence leurs comportements actuels) et l’identité (par la comparaison avec un groupe de référence). De surcroît, au moins à courte échéance, les incidences de la mobilité ascendante et descendante ne sont pas nécessairement symétriques : « un dollar perdu compte plus qu’un dollar gagné », c’est-à-dire que la mobilité descendante a tendance à nuire au bien-être et à la santé mentale de manière plus durable que la mobilité ascendante3.
Troisièmement, en plus de nuire au bien-être, un « ascenseur social en panne » peut avoir de graves répercussions sociétales et politiques. D’une part, l’impression d’égalité des chances peut réduire la probabilité de conflits sociaux. Des taux supérieurs d’ascension sociale sont supposés apaiser le mécontentement économique et la lutte des classes, même chez ceux qui ne sont pas eux-mêmes mobiles. En revanche, les sociétés stagnantes n’offrent pas grand espoir de changement et éveillent généralement des sentiments d’exclusion parmi les catégories de population défavorisées. C’est ainsi que se développent de fortes identités de groupes et des clivages sociaux4. Dans le contexte des économies émergentes, c’est là l’une des raisons pour lesquelles le cadre de l’OCDE pour la croissance inclusive (OCDE, 2015b) fait de la mobilité sociale l’un de ses piliers fondamentaux : une société cohésive offre des chances de promotion sociale à tous et ne divise pas la population en fonction de facteurs socio-économiques ou autres.
Qui plus est, des risques élevés de déclassement et de perte du statut social incitent souvent les individus à penser que leur voix ne compte pas, surtout s’ils se situent au milieu ou au bas de l’échelle des revenus. Il apparaît que la mobilité sociale a une influence directe sur le sentiment d’avoir voix au chapitre au niveau national (Graphique 1.4) : ceux qui ont l’impression que leur situation financière ou professionnelle s’est détériorée ont aussi généralement moins le sentiment que leur voix compte au niveau national, toutes choses égales par ailleurs (y compris les ressources économiques, l’âge, la participation générale à la vie politique et le revenu). Une corrélation positive est observée entre le sentiment d’avoir voix au chapitre et la confiance dans l’État, laissant entendre que la mobilité sociale peut retentir, pour le moins indirectement, sur la confiance et la cohésion sociale.
Par ailleurs, le manque de chances de promotion sociale risque de réduire la participation démocratique. La population en ascension sociale vote plus que sa catégorie d’origine et moins que sa catégorie de destination. L’inverse est vrai pour la population en régression sociale. Un lien direct peut être établi entre ce constat et le fait que la mobilité influence le sentiment d’avoir voix au chapitre. Une faible mobilité ascendante risque en outre de renforcer les extrémismes politiques ou le populisme. En effet, les faibles perspectives de mobilité ternissent l’image d’un système politique équitable et méritocratique5 dans l’esprit des citoyens, dont le vote est en partie déterminé par ce qu’ils estiment être leurs perspectives de mobilité sociale par rapport au reste de la société6. Par conséquent, la mobilité descendante – ou plus précisément l’impression de mobilité descendante – et la perte de statut social vont de pair avec une plus forte attirance vers les comportements électoraux extrêmes ou radicaux, en particulier lorsque la confiance dans les institutions politiques est faible.
1.2. Comment fonctionne la mobilité sociale ? Concepts et mesure
1.2.1. Mobilité au cours de l’existence des individus et mobilité des enfants par rapport à leurs parents
La mobilité sociale recouvre plusieurs dimensions. D’un côté, on peut l’interpréter comme la mobilité entre les parents et les enfants ou petits-enfants, ce que l’on désigne comme la mobilité intergénérationnelle. De l’autre, le concept de mobilité sociale peut se limiter à la trajectoire individuelle, c’est-à-dire à la mobilité intra-générationnelle. La mobilité intergénérationnelle concerne la situation individuelle – les revenus d’activité et le revenu, mais aussi l’activité professionnelle, la santé ou l’éducation – par rapport à celle des parents. On parle de mobilité intra-générationnelle quand le revenu et la position de l’individu sur l’échelle des revenus évoluent au cours de sa vie.
Le présent rapport traite de ces deux dimensions, même si, pour bon nombre de personnes, la vue d’ensemble couvrant plusieurs générations compte peut-être davantage que l’évolution constatée sur des périodes plus courtes. En effet, lorsqu’ils évaluent leurs chances de grimper dans l’échelle sociale, les individus comparent souvent leur vie actuelle à celle qui était la leur pendant leur enfance et à celle de leurs parents.
1.2.2. Mobilité absolue et mobilité relative
De surcroît, par « mobilité » on entend majoritairement la mobilité ascendante, bien plus que la mobilité descendante. Or dans la pratique, des taux de mobilité élevés peuvent refléter autant des possibilités de promotion sociale que des risques de déclassement. En fait, on observe une forte mobilité ascendante dans la plupart des pays de l'OCDE et des économies émergentes – en valeur absolue. Cela veut dire que, dans bon nombre de pays, nous vivons mieux que nos parents : nous jouissons de niveaux de revenu supérieurs, nous avons généralement fait plus d’études qu’eux, nos habitations sont de meilleure qualité et nous possédons de meilleurs appareils ménagers, nous jouissons de services de meilleure qualité, etc. À mesure que les résultats économiques et sociaux progressent, l’amélioration des conditions de vie profite au plus grand nombre, quoiqu’à des degrés divers, et la mobilité augmente, en valeur absolue. Si l’on ne tient compte que du revenu, cette mobilité ascendante peut s’inscrire sur le long terme grâce à la croissance continue de la productivité, même si elle a nettement ralenti dans la zone OCDE depuis dix ans. Toutefois, si l’on tient compte d’autres dimensions importantes de la mobilité, les possibilités d’amélioration majeure sont moindres dans les pays avancés : le monde ne peut pas ou ne veut pas décrocher un doctorat et il y a des limites à l’amélioration de l’état de santé. À cet égard, la marge de progression des économies émergentes en matière de mobilité absolue est certainement plus importante.
Prenons l’exemple de la mobilité ascendante dans l’éducation. Aujourd’hui, 42 % des 55 à 64 ans ont fait plus d’études que leurs parents. Cette proportion est contractée à 34 % en moyenne pour les 25 à 3-4 ans. Un effet d’éviction se produit : étant donné qu’un plus grand nombre de personnes sont aujourd’hui plus instruites, leurs enfants ont de plus grandes chances de le rester, réduisant ainsi la mobilité ascendante absolue dans l’éducation.
Plus les pays se développent, plus les progrès ralentissent au regard de certaines dimensions clés de la mobilité absolue. C’est pourquoi la problématique de la mobilité relative gagne en importance dans le débat public, notamment dans les économies plus avancées : dans quelle mesure puis-je atteindre un échelon plus élevé – ou moins élevé – que mes pairs dans l’échelle de distribution des revenus, mais aussi dans les domaines de l’éducation, de l’emploi ou de la santé ? Reprenons l’exemple de l’éducation : la mobilité relative indique si les adultes en haut ou en bas de l’échelle de l’éducation avaient aussi des parents en haut ou en bas de cette échelle.
En bref, la mobilité absolue indique à quel degré les niveaux de vie ont augmenté/diminué, ou dans quelle mesure les individus vivent mieux/moins bien que leurs parents, en termes de revenu, d’activité professionnelle, d’éducation, de santé, etc. La mobilité relative est la mesure dans laquelle les chances de progression d’un individu dépendent de sa position ou de celle de ses parents sur l’échelle sociale. Dans ce sens, une forte mobilité relative englobe l’idée que, indépendamment du milieu, tout le monde bénéficie des mêmes possibilités et chances de progression dans la vie, professionnelle et personnelle.
Le présent rapport examine donc la mobilité absolue et relative, en mettant plus particulièrement l’accent sur cette dernière. On peut avoir recours à l’image des escalators pour expliquer le fonctionnement de la mobilité : tout le monde monte, mais certains groupes montent plus vite que d’autres et, par conséquent, leur position relative augmente ou diminue au fil du temps. Qui plus est, la vitesse des escalators, et donc les probabilités de mobilité ascendante ou descendante, ne sont pas distribuées équitablement dans la population.
1.3. Qu’avons-nous constaté ? Nouvelles observations dans les pays de l’OCDE et les économies émergentes
1.3.1. Mobilité entre les générations
La mobilité sociale varie considérablement d’un pays à l’autre. Le présent rapport traite de la mesure de la persistance intergénérationnelle dans les résultats socio-économiques de plusieurs générations, qui explique le lien étroit entre la situation économique d’un enfant et celle de ses parents. Si cette mesure (également appelée « élasticité ») est égale à zéro, les résultats d’un enfant à l’âge adulte sont sans rapport avec la situation des parents et la mobilité relative est au plus haut niveau. En revanche, si l’élasticité est de 100 %, tous les résultats sont entièrement déterminés par la situation des parents et la mobilité est au plus bas niveau.
En ce qui concerne les revenus d’activité d’une génération à l’autre, la persistance intergénérationnelle est de 40 % environ en moyenne dans la zone OCDE ; elle varie de moins de 20 % dans les pays nordiques à 70 % ou plus dans certaines économies émergentes. Ces chiffres laissent entendre que si les revenus d’activité d’un père sont le double de ceux d’un autre, les revenus d’activité de l’enfant du père plus aisé seraient alors supérieurs de 40 % environ à ceux de l’enfant du père au revenu plus modeste dans un pays moyen de l’OCDE, de 20 % en Finlande et de 70 % au Brésil.
Autrement dit, 20 à 70 % de la variation des revenus entre les pères se transmettent à la génération suivante. Dans le temps, les revenus d’activité relatifs des familles aisées diminueront, tandis que ceux des familles modestes augmenteront pour se rapprocher de la moyenne – un phénomène appelé « régression vers la moyenne » – mais ce processus peut être beaucoup plus lent que ces chiffres ne le laissent entendre de prime abord. Si l’on considère un « pays de l’OCDE type » et si l’on prend la persistance des revenus d’activité moyenne (« élasticité ») de 38 % et le rapport moyen entre le décile inférieur des revenus et le revenu moyen (environ 1 :3.5), il faudrait quatre à cinq générations pour que les enfants situés dans le décile inférieur se hissent au niveau du revenu moyen.
Des variations très importantes sont toutefois observées dans la mobilité sur l’échelle des revenus d’un pays de l’OCDE à l’autre (Graphique 1.5). Dans les pays à faibles inégalités et forte mobilité, comme les pays nordiques, il faudrait quatre générations au moins, soit plus de 100 ans, pour que ceux nés dans des familles modestes s’approchent du revenu moyen dans leur société. Cependant, dans les pays à fortes inégalités et faible mobilité, comme certains pays émergents (Brésil, Colombie et Afrique du Sud), il faudrait neuf générations ou plus, si ces probabilités de mobilité des revenus d’activité restent fixes. En Colombie, qui enregistre la plus forte persistance, il faudrait 300 ans au moins pour que les enfants de familles modestes gravissent les échelons jusqu’au niveau moyen.
La mobilité sociale est inégalement répartie entre les groupes. Le présent rapport constate que certaines catégories ont tendance à progresser encore plus lentement sur le plan économique et social. Les individus nés dans des familles au bas de l’échelle ont peu de chances d’ascension : les planchers adhérents empêchent le mouvement d’une génération à l’autre. En même temps, ceux qui naissent dans des familles plus aisées risquent beaucoup moins de descendre l’échelle : les plafonds adhérents protègent les enfants de familles fortunées.
1.3.1.1. Des planchers adhérents au bas de l’échelle
Les enfants issus de milieux défavorisés peinent à gravir les échelons, et ce dans de nombreux domaines clés autres que le revenu. Dans la plupart des pays de l’OCDE, les inégalités d’état de santé persistent d’une génération à l’autre, en partie parce que les caractéristiques et comportements de santé sont transmises des parents aux enfants. Grandir dans une famille modeste, voire pauvre, et avoir des parents en mauvaise santé sont les deux principaux facteurs prédictifs d’une mauvaise santé à l’âge adulte. Qui plus est, les groupes à faible revenu ont moins accès à des services de soins de santé de qualité, comme le souligne le Cadre d’action de l’OCDE en faveur de la croissance inclusive (OCDE, 2018a). Le manque de mobilité sanitaire pèse sur la transmission intergénérationnelle des inégalités dans d’autres dimensions également.
Quatre personnes sur dix dont les parents ont un faible niveau d’instruction ne poursuivent pas leurs études après le premier cycle du secondaire, douze sur cent seulement obtiennent un diplôme de l’enseignement supérieur, et deux sur cent seulement vont jusqu’au master ou plus (Graphique 1.6). Dans les pays d’Europe du Sud et dans la plupart des économies émergentes, les planchers sont encore plus adhérents en ce qui concerne la mobilité dans l’éducation. De fortes inégalités empêchent les individus de milieux modestes d’investir dans le capital humain de leurs enfants, en termes tant de niveau que de qualité de la formation.
Le rapport observe que les chances de mobilité ascendante relative des enfants de parents peu instruits se sont améliorées pour ceux nés entre 1955 et 1975, pour stagner ensuite pour ceux nés après 1975, signe de la persistance des planchers adhérents.
Quelles sont les perspectives d’échapper au bas de l’échelle en termes d’activité professionnelle et de revenus d’activité ? Environ deux tiers des enfants d’ouvriers sont des ouvriers et environ 70 % des personnes dont les parents ont des revenus modestes parviennent à accéder à des revenus supérieurs (Graphique 1.6). Cela étant, la mobilité ascendante en termes de revenu se limite, pour près de la moitié d’entre eux, à la tranche immédiatement supérieure. Par ailleurs, la mobilité absolue a diminué dans la moitié des pays considérés et n'a pas évolué dans l'autre moitié, notamment parce que les jeunes générations ont aujourd’hui moins de chances que leurs parents d’accéder à des emplois plus qualifiés.
1.3.1.2. Des plafonds adhérents au sommet de l’échelle
Ceux qui se situent au sommet de l’échelle de distribution parviennent à transmettre les avantages dont ils bénéficient à leurs enfants. La monopolisation des opportunités commence avec l’éducation. Le risque de déclassement est faible pour ceux dont les parents ont un niveau d’instruction élevé : ils semblent en effet protégés contre l’abandon scolaire à la fin du premier cycle du secondaire ou avant, puisqu’ils ne sont que 7 % seulement à abandonner l'école, contre 43 % des enfants dont les parents sont peu instruits.
Les personnes dont les parents ont fait des études obtiennent généralement de meilleurs scores (compétence à l’écrit, en calcul ; OCDE, Évaluation des compétences des adultes) que celles dont les parents ont un faible niveau de formation. Par exemple, les élèves issus de milieux socioéconomiques plus favorisés ont des scores en mathématiques supérieurs de près de 20 %, ce qui équivaut à plus de trois années de scolarité supplémentaires. Parallèlement, on constate que les personnes issues de milieux avantagés ont plus de chances d’avoir un niveau d’instruction élevé que ne le prédiraient les évaluations des compétences cognitives.
À l’âge adulte, les enfants de familles aisées occupent également des emplois comparables à ceux de leurs parents. Par exemple, la moitié des enfants dont les parents occupent des postes de direction deviennent eux-mêmes dirigeants, alors que moins d’un quart des enfants d’ouvriers ont une chance de devenir cadres. On constate aussi une fixité au sommet de la distribution des revenus, puisque quatre fils sur dix nés d’un père aux revenus élevés se maintiennent dans le quartile supérieur des revenus dans les pays de l’OCDE. La mobilité descendante dans le quartile supérieur des revenus est particulièrement faible dans certains pays, comme les États-Unis et l’Allemagne (Graphique 1.7).
1.3.2. La mobilité sur le cycle de vie
Le présent rapport observe plus ou moins les mêmes tendances de mobilité sur de plus courtes périodes : les phénomènes de planchers et de plafonds « adhérents » concernent aussi les perspectives de revenu des individus tout au long de leur vie.
1.3.2.1. La persistance au bas et au sommet de l’échelle
Sur une période de quatre ans, presque 60 % des personnes restent bloquées dans les 20 % les plus bas de l’échelle de distribution des revenus. Au sommet, la persistance des avantages est encore plus marquée : 70 % s’y maintiennent pendant quatre ans (Graphique 1.8). Après neuf ans, encore près de 40 % des personnes restent dans les 20 % les plus bas et deux tiers dans la partie supérieure. Les plafonds adhérents empêchent ceux qui ont un revenu élevé de s’abaisser dans la distribution des revenus, tandis que les planchers adhérents empêchent ceux qui sont dans la situation inverse de s’élever. Lorsque l’on observe une mobilité ascendante au bas de l’échelle, cela tient essentiellement à des changements imprévus sur le plan des revenus et non à l’évolution naturelle de la carrière professionnelle. Dans quelques pays, la récurrence des périodes de faible revenu malgré une mobilité ascendante à court terme est particulièrement problématique, car l’instabilité de l’augmentation des revenus dans le temps peut faire retomber les individus dans la pauvreté.
La forte persistance des faibles revenus s’explique avant tout par les longues périodes de chômage, mais aussi, dans certains pays, par une persistance non négligeable des bas salaires des actifs. La persistance des faibles revenus peut mettre en danger la cohésion sociale, en particulier dans les pays à fortes inégalités.
Parmi les facteurs corrélés avec une plus forte mobilité ascendante sur l’échelle des revenus, outre la sortie du chômage, il convient de citer le passage des contrats à durée déterminée aux contrats à durée indéterminée. Au Danemark, par exemple, le niveau supérieur de mobilité ascendante au bas de l’échelle va de pair avec un taux élevé de passage des contrats temporaires aux contrats permanents, tandis que l’inverse se produit aux Pays-Bas et en Espagne.
Les tendances de la mobilité ascendante et descendante sur l’échelle des revenus au début des années 2010 sont influencées par l’évolution de la situation pendant la période d’après-crise et de reprise dans chaque pays. Cela étant dit, indépendamment de la période ou du pays, on constate invariablement une plus forte persistance dans les groupes au sommet de l’échelle des revenus que dans ceux situés en bas. Figurent parmi les pays qui enregistrent la plus forte persistance des plus hauts revenus du quintile supérieur sur quatre ans l’Irlande, la Norvège et les Pays-Bas (plus de 75 %).
Il n’y a pas de combinaison « automatique » de persistance en bas et en haut de la distribution des revenus sur l’ensemble des pays. En réalité, plusieurs tendances nationales se dégagent et tendent à indiquer différentes difficultés d’action publique (Graphique 1.9). Concernant leurs propres perspectives de revenus, les habitants de certains pays se heurtent à une plus forte persistance en bas qu’en haut de la distribution (ex. Luxembourg, Suède), tandis que ceux d’autres pays doivent surtout faire face à la persistance au sommet de l’échelle (ex. Irlande, Norvège). Au Danemark, au Japon et au Royaume-Uni, les plafonds adhérents l’emportent sur les planchers, tandis que les Pays-Bas, la Finlande, la Slovénie et l’Espagne combinent planchers et plafonds adhérents.
1.3.2.2. Évolution
Depuis les années 1990, on observe une tendance générale vers une plus grande persistance au sommet et au bas de l’échelle de distribution des revenus. Cela signifie que les personnes en bas de l’échelle ont moins de chances d’ascension, et que les personnes au sommet risquent encore moins de régresser. Les inégalités de revenu se sont creusées depuis, mais cela n’a pas été compensé par un accroissement de la mobilité sur l’échelle des revenus.
À la fin des années 1990, 53 % des individus du quintile de revenus inférieur y restaient pendant quatre ans, par rapport à 58 % au début des années 2010 ; 65 % des individus du quintile de revenus supérieur y restaient de manière persistante, par rapport à 70 % dans les données les plus récentes. Les individus peu qualifiés risquent plus que par le passé de rester de manière persistante dans le quintile de revenus inférieur, et ceux qui sont très qualifiés ont moins de chances de rejoindre le quintile de revenus supérieur. Les planchers et les plafonds deviennent plus épais et de plus en plus difficiles à franchir en une vie.
Globalement, on constate une plus grande mobilité sur l’échelle des revenus dans la majorité des économies émergentes que dans les pays de l’OCDE sur des périodes courtes, au sommet et plus particulièrement au bas de l’échelle. En particulier, l’Indonésie, l’Afrique du Sud, la Chine et, dans une certaine mesure le Brésil, semblent faire partie des pays émergents plus mobiles. Aussi, ceux de leurs habitants qui se situent dans le premier quintile de revenu ont plus de chances de se hisser jusqu’au milieu de la distribution. Cependant, dans le temps, la mobilité sur l’échelle des revenus a aussi légèrement diminué dans les économies émergentes.
Dans la zone OCDE, la persistance du revenu a augmenté à la fois en haut et en bas de la distribution en Corée, en Autriche, en Espagne, aux Pays-Bas et aux États-Unis. Elle a davantage augmenté en haut au Danemark, en Belgique, en Irlande et en Allemagne, et en bas au Canada, en Finlande, en Italie et au Portugal.
1.3.2.3. Au milieu de l’échelle se côtoient risques et opportunités
La mobilité sur l’échelle des revenus est plus élevée pour les personnes appartenant à la classe moyenne. Cela se traduit non seulement par de plus nombreuses opportunités pour elles par rapport à d’autres catégories de population, mais aussi par des risques plus importants de régression après des événements de vie imprévus, comme le chômage ou le divorce. Bon nombre de ménages de la classe moyenne sont vulnérables dans la mesure où il leur manque les actifs financiers nécessaires au maintien d’un niveau de vie minimum pendant au moins trois mois. Les ménages à revenu intermédiaire sont exposés à un risque considérable de tomber au bas de l’échelle des revenus et dans la pauvreté au cours de leur vie : sur quatre ans, un ménage de classe moyenne sur sept (ceux des deuxième, troisième et quatrième quintiles de revenu), et un ménage sur cinq dans les catégories plus proches des bas revenus (ceux du deuxième quintile), glissent vers la tranche des 20 % de revenus les plus modestes (Graphique 1.10).
Certains éléments donnent en outre à penser que ces risques se sont accrus ces vingt dernières années. Le risque que des individus d’âge actif de la catégorie de revenu inférieur à intermédiaire (du deuxième quintile et qui entrent dans les « 40 % les plus pauvres ») glissent encore plus bas au cours de leur vie a légèrement augmenté, en moyenne, et la probabilité d’atteindre le quintile supérieur a diminué. En revanche, ceux de la classe moyenne et de la classe moyenne supérieure sont légèrement moins exposés qu’à la fin des années 1990 au risque de régression (Graphique 1.11).
On observe donc des signes de fracture entre la classe moyenne inférieure et la classe moyenne supérieure depuis les années 1990. Cette tendance est particulièrement prononcée en Autriche, en Espagne, au Portugal et au Royaume-Uni, où la probabilité de tomber dans le quintile inférieur a augmenté de trois points ou plus pour la classe moyenne inférieure. En ce qui concerne la mobilité ascendante, les individus ont aujourd’hui moins de chances de grimper du quintile de revenu intermédiaire au quintile supérieur. Cela est particulièrement le cas en Irlande, en Autriche, au Danemark, en Espagne et au Portugal.
1.3.3. Différences entre les pays et groupements de pays
1.3.3.1. Les inégalités de revenu favorisent-elles la mobilité ?
Les inégalités de revenu seraient plus socialement acceptables si elles allaient de pair avec une plus forte mobilité intra- et intergénérationnelle. Rien n’indique cependant que le creusement des inégalités s’accompagnerait d’une plus grande mobilité des individus sur l’échelle des revenus au cours de leur vie. En fait, lorsqu’on la mesure sur plusieurs années, la mobilité est associée à un moindre niveau d’inégalités dans les pays – ce que l’on qualifie d’inégalités « permanentes ».
Si les revenus des individus sont regroupés sur une période de quatre ans, le niveau d’inégalités (mesuré par le coefficient de Gini) n’est que légèrement inférieur, soit de 2.3 points (Graphique 1.12). En allongeant la période à neuf ans, le niveau d’inégalités est inférieur de trois à sept points dans huit pays pour lesquels des données sont disponibles. À titre de comparaison, le coefficient de Gini moyen de l’OCDE a augmenté d’environ trois points au cours des trente dernières années. Plus la période prise en compte est longue, plus les chances sont grandes d’observer des évolutions du revenu, et donc de déceler des effets plus prononcés de ces évolutions sur les inégalités. Les estimations sur les longues durées (plus de dix ans) indiquent que les inégalités se résorbent de moins en moins après plus de dix ans, puis convergent à environ 30 % de moins que le niveau d’inégalités mesuré annuellement.
À cause des planchers et des plafonds adhérents, ce lissage des inégalités dans le temps ne modifie pas les grandes différences de niveaux d’inégalités observées entre les pays. La réduction des inégalités résultant de la mobilité est un peu plus importante dans les pays plus inégalitaires, mais pas au point de modifier le classement des pays en fonction des inégalités transversales. Par rapport aux années 1990, la mobilité réduit moins aujourd’hui les niveaux d’inégalités de revenu : la différence entre les inégalités à long terme et les inégalités transversales mesurées selon le coefficient de Gini était supérieure d’environ un demi-point dans les années 1990.
D’une génération à l’autre, les perspectives de mobilité sur l’échelle des revenus sont généralement moins favorables dans les pays caractérisés par de fortes inégalités, et plus favorables dans les pays où les inégalités sont peu marquées. L’élasticité des revenus d’activité est en corrélation négative avec les niveaux globaux d’inégalités de revenu une génération auparavant, représentée par la courbe dite « de Gatsby » (Corak, 2006 ; OCDE, 2008). À une extrémité, les pays nordiques sont caractérisés par une grande élasticité des revenus d’activité et un faible niveau d’inégalités ; à l’autre, le Chili et quelques autres pays d’Amérique latine, ainsi que l’Afrique du Sud et les économies émergentes, enregistrent une faible élasticité et des niveaux d’inégalités très élevés (Graphique 1.13). Le tableau est toutefois plus nuancé pour quelques pays européens : la Hongrie, la France, l’Allemagne et l’Autriche combinent à la fois un plus faible niveau d’inégalités et une moindre élasticité des revenus d’activité. En même temps, aucun pays ne combine un niveau élevé d’inégalités et une forte élasticité.
Comme le suggère l’OCDE (2015a), une telle corrélation négative globale peut, dans une grande mesure, s’expliquer par les canaux du capital humain : le revenu familial a une incidence sur l’éducation des enfants, par manque d’accès au marché des capitaux ou parce que les parents riches peuvent choisir de vivre dans les quartiers où se situent les meilleures écoles. Par conséquent, seuls sont en mesure de profiter du rendement supérieur de l’éducation les enfants des ménages plus aisés. Comme l’explique le rapport de l’OCDE « L’articulation productivité-inclusivité » (OCDE, 2016a), ces effets intergénérationnels entretiennent une boucle de rétroaction négative : non seulement les enfants de familles modestes sont scolarisés moins longtemps dans les pays où les inégalités sont plus prononcées, mais aussi, à niveau d’instruction égal, leurs compétences sont inférieures. Les différences de qualité de l’éducation sont donc encore plus marquées que les différences de revenu.
1.3.3.2. Caractéristiques de la mobilité
On observe d’importantes variations entre les pays en matière de mobilité selon la dimension de la mobilité considérée (revenu, revenus d’activité, santé, éducation ou activité professionnelle), mais aussi selon que l’on met l’accent sur la mobilité au sommet ou au bas de l’échelle. Les indicateurs de mobilité sont ici présentés sous forme de tableau de bord (Tableau 1.1), dans lequel pays sont classés dans l’ordre croissant des niveaux d’inégalités de revenu sous-jacentes. Lorsque l’on examine la mobilité intergénérationnelle, certaines caractéristiques générales se dégagent des groupes de pays.
La mobilité sociale, notamment en termes de revenu, d’emploi et d’éducation, est très élevée dans la plupart des pays nordiques, et relativement faible dans de nombreux pays d’Europe continentale, surtout en termes de revenu, y compris en France et en Allemagne, mais aussi dans les économies émergentes.
La plupart des pays d’Europe du Sud affichent aussi une mobilité limitée en termes d’éducation ou d’emploi, tandis que leurs résultats sont meilleurs au regard de la mobilité en termes de revenu.
Certains pays anglophones parviennent à tirer leur épingle du jeu en ce qui concerne l’élasticité des revenus d’activité (Canada, Nouvelle-Zélande) ou l’activité professionnelle (États-Unis, Royaume-Uni), tandis que leurs performances varient sensiblement au regard des autres dimensions.
Au Japon et en Corée, la mobilité en termes de niveau d’études est élevée alors qu’elle est relativement moyenne sur l’échelle des revenus.
C’est en Allemagne et aux États-Unis que les phénomènes de planchers et de plafonds « adhérents » sont les plus prononcés au regard de la mobilité intergénérationnelle sur l’échelle des revenus.
L’ampleur de ces phénomènes de plafonds et de planchers adhérents au regard de la mobilité sur l’échelle des revenus – au cours de la vie – n’est pas forcément corrélée avec le degré d’élasticité intergénérationnelle des revenus d’activité. Dans les pays nordiques, par exemple, la mobilité d’une même génération au sommet et au bas de l’échelle des revenus est assez faible, tandis que la mobilité sociale entre les générations est très forte. La première s’explique en partie par le niveau élevé de protection sociale dans ces pays (une mobilité descendante limitée en bas de l’échelle). En revanche, la mobilité du revenu individuel sur le cycle de vie, au sommet et au bas de l’échelle, est relativement faible dans les pays d’Europe du Sud (à l’exception de la Grèce), tandis que l’élasticité des revenus d’activité entre les générations est moyenne ou élevée. L’incidence plus marquée de la crise financière mondiale sur le revenu des ménages dans certains de ces pays explique partiellement ce schéma.
Les perspectives de mobilité sociale ne sont pas non plus les mêmes pour les hommes et les femmes, selon le pays. Par exemple, au regard des niveaux d’instruction, la mobilité entre mère et fille est généralement inférieure à la mobilité entre père et fils, en particulier en Europe du Sud et dans les économies émergentes. En valeur absolue, la mobilité professionnelle des femmes est également inférieure à celle des hommes, un constat dont on peut déduire que les parents influencent plus les positions sociales de leurs filles que celles de leurs fils. En même temps, en valeur relative, l’élasticité intergénérationnelle des revenus d’activité des filles a tendance à s’approcher de celle des fils.
1.4. Que faire pour favoriser la mobilité sociale ?
Il n’y a rien d’inéluctable dans la transmission des avantages ou des handicaps socioéconomiques d’une génération à l’autre, ni dans l’impossibilité de s’élever dans l’échelle sociale ou au contraire d’y régresser. Les écarts importants observés entre les pays dans les résultats en matière de mobilité donnent à penser que les pouvoirs publics peuvent agir pour améliorer la mobilité dans nos sociétés et pour protéger les ménages des effets négatifs provoqués par les chocs enregistrés au niveau des revenus. Ainsi, les pays qui ont déjà beaucoup investi dans l’éducation publique affichent généralement une plus grande mobilité dans ce domaine (Graphique 1.14). De la même manière, les pays qui ont consacré plus de ressources à la santé tendent à bénéficier d’une mobilité plus élevée au regard de cette dimension (Graphique 1.15). Bien entendu, ces corrélations n’attestent pas de relations causales ; ce qui compte, ce n’est pas seulement le montant des ressources publiques allouées à l’éducation et à la santé, mais aussi l’utilisation qui en est faite et la manière dont sont ciblées les catégories de population défavorisées. Les données sur les retombées de programmes et de mesures d’action publique bien ciblés dans ces domaines sont concluantes. Dans ces conditions, l’action des pouvoirs publics ne doit pas se limiter à augmenter les dépenses, mais plutôt à mieux cibler les dépenses sur les programmes qui fonctionnent. Cette section traite de plusieurs exemples de programmes et initiatives qui ont donné de bons résultats dans les pays concernés.
Pour favoriser l’égalité des chances pour tous et garantir des trajectoires de revenu, les politiques publiques doivent renforcer les aspects fondamentaux de la protection sociale, notamment la sécurité, l’équité, la redistribution et l’inclusion. Cela est toutefois insuffisant pour relever les défis présents et futurs. L’autonomisation, le renforcement des capacités et l’élargissement des options de chacun sont nécessaires pour faire face à la multiplication des changements dans les parcours individuels et alléger le poids de conditions de vie initiales défavorables. Cette section présente un éventail de politiques publiques qui facilitent la promotion sociale et la création de chances égales pour tous. Elles constituent des éléments de base importants de la Stratégie de l'OCDE pour une croissance inclusive (OCDE, 2015b, 2018a).
1.4.1. Élaborer des politiques publiques propres à assurer l’égalité des chances pour tous les enfants
Garantir l’égalité des chances, y compris et surtout pour ceux qui se situent au bas de l’échelle, tout en empêchant ceux qui se trouvent au sommet d’accaparer toutes les possibilités d’ascension, demande des actions publiques dans plusieurs domaines fondamentaux tout au long de la vie, de la petite enfance à l’héritage.
1.4.1.1. Fournir des services d’éducation et d’accueil des jeunes enfants de qualité pour compenser les inégalités sociales
L’accès à des programmes d’accueil et d’enseignement préscolaire de bonne qualité pour les enfants de milieux défavorisés doit être impérativement amélioré. Une garde d’enfants de bonne qualité et abordable peut contribuer à donner aux enfants le meilleur départ possible dans la vie et résorber les premiers écarts en matière d’expression orale et autres compétences cognitives. La fréquentation de structures préscolaires peut avoir des retombées considérables sur les résultats ultérieurs de l’enseignement et de l’apprentissage. L’élargissement des structures d’éducation et d’accueil de la petite enfance dans plusieurs pays (ex. Norvège, France) a amélioré les résultats d’apprentissage, en particulier chez les enfants de parents à revenus modestes7. En moyenne dans les pays de l’OCDE, à peine un peu plus d’un tiers des enfants de moins de 3 ans fréquentent des structures d’EAJE, même si ce chiffre varie considérablement d’un pays à l’autre, d’environ 6 % en République tchèque et en République slovaque à 65 % au Danemark (Graphique 1.16). Dans bon nombre de pays de l’OCDE, tous les enfants ont officiellement droit à l’enseignement préprimaire, souvent subventionné ou gratuit, à partir de 3 ans. Aussi, dans la plupart des pays de l’OCDE, plus de 80 % des enfants de 3 à 5 ans sont inscrits dans un établissement d’enseignement préprimaire ou primaire, sans grandes variations entre les pays.
Les programmes d’éducation de la petite enfance à domicile sont eux aussi importants pour améliorer les compétences parentales et les compétences socioémotionnelles des enfants. L’encadrement de la santé maternelle durant la période périnatale, les programmes d’aide parentale et les programmes spéciaux d’aide aux parents pour les groupes à haut risque sont autant d’interventions efficaces. Aux États-Unis, par exemple, le Perry Preschool Program, caractérisé par un petit nombre d’enfants par enseignant et destiné aux familles défavorisées, a évalué les retombées de l’EAJE sur les parcours individuels sur plusieurs décennies. Il a mis en évidence que les traits de caractère d’un enfant peuvent être développés de manière à favoriser des résultats bénéfiques pour toute sa vie. Le Perry Preschool Program avait pour avantage de modifier durablement l’environnement familial au moyen de visites régulières aux parents8. Ce projet pilote a inspiré le programme national Head Start dont bénéficient plus d’un million d’enfants défavorisés et leurs familles chaque année. De la même manière, le programme pilote pour les enfants de deux ans mené en Écosse a révélé une amélioration des compétences parentales par rapport au groupe de comparaison9.
1.4.1.2. Égalité des chances d’éducation pour les enfants d’âge scolaire
Les enfants de milieux modestes obtiennent de moins bons résultats scolaires ; par exemple, leurs scores au PISA en mathématiques sont inférieurs d’environ un cinquième à ceux dont les parents ont un niveau de formation élevé, ce qui est l’équivalent de plus de trois années de scolarisation supplémentaires. Or cette moyenne masque des différences importantes entre les pays : des pays qui obtiennent des scores similaires peuvent en fait afficher des disparités de résultats très différentes entre les enfants de milieux modestes et ceux de milieux aisés, faisant ressortir que les politiques éducatives pourraient accentuer ou amoindrir les différences en matière d’éducation. À titre d’exemples, la France – par comparaison avec la Suède et le Royaume-Uni – ou l’Allemagne – par comparaison avec la Slovénie et les Pays-Bas – obtiennent des scores moyens similaires à ceux de leur groupe de pays, mais affichent des disparités bien plus prononcées entre les scores des élèves selon leur milieu socio-économique (Graphique 1.17).
Les autorités publiques doivent développer des environnements d’apprentissage porteurs, par le biais d’efforts concertés d’investissement dans les établissements peu performants et ceux des quartiers marginalisés. Les établissements défavorisés ont tendance à avoir plus d’élèves par classe ; leurs supports pédagogiques sont souvent insuffisants ou inadéquats par rapport aux écoles des quartiers plus aisés, tout comme leur infrastructure physique. Le financement par formules, qui équilibre le montant de fonds locaux et nationaux, à l’instar de la Subvención Escolar Preferencial (subvention scolaire préférentielle) au Chili ou du plan national d’amélioration des établissements scolaires Better Schools en Australie, peut donner de bons résultats en combinant l’équité horizontale et l’équité verticale : des établissements comparables reçoivent des financements comparables, mais ceux qui ont plus de besoins reçoivent plus de ressources.
Un environnement d’apprentissage plus porteur demande par ailleurs de recruter et de former des enseignants, de favoriser des stratégies d’apprentissage efficaces. Pour la majorité des pays, les enseignants plus expérimentés ont davantage tendance à travailler dans les établissements moins difficiles. Pour les attirer dans des établissements défavorisés, des mesures d’encouragement plus intéressantes doivent être mises en place, notamment des incitations salariales et des programmes de développement professionnel. En Corée, les élèves de milieux modestes ont en réalité plus de chances d’avoir de meilleurs enseignants en mathématiques que leurs camarades de milieux aisés grâce aux multiples avantages proposés à leurs professeurs : un salaire plus élevé, des classes plus petites, un nombre d’heures de cours réduit, des possibilités de promotion ou de choix de leur prochaine affectation (OCDE, 2012). Les résultats d’apprentissage peuvent être améliorés en accordant une plus grande autonomie aux établissements scolaires. Par exemple, en Finlande, les enseignants ont droit à une grande marge d’autonomie pour adapter le rythme de l’enseignement à celui des élèves. Aux États-Unis, les charter schools reçoivent des subventions publiques mais jouissent d’une plus grande liberté dans la gestion du personnel, l’établissement des programmes d’enseignement et l’organisation du temps d’enseignement. Un grand nombre de ces établissements sont situés dans des quartiers défavorisés et ont des retombées durables sur le niveau d’instruction, puis sur l’emploi des jeunes issus de ces milieux modestes (OCDE, 2016b).
Ce que les élèves font de leur temps en dehors des heures d’instruction est important pour leur devenir et pour la mobilité sociale. Les inégalités de participation aux activités périscolaires renforcent les différences de compétences non cognitives. Les pouvoirs publics doivent fournir des ressources supplémentaires pour le suivi gratuit dans les établissements défavorisés, mais aussi pour les programmes visant le développement des compétences socioémotionnelles. L’offre d’activités périscolaires en Lettonie, où « l’éducation par centres d’intérêt » offre aux jeunes des possibilités intéressantes d’activité sportive, de pratique musicale, de travaux manuels, etc. est un exemple de politique publique dans ce sens. Institutionnalisé, ce système peut contribuer au développement des compétences sociales et professionnelles (OCDE, 2015e).
1.4.1.3. Favoriser l’égalité des chances dans l’éducation
Un rapport antérieur de l’OCDE (OCDE, 2012) formule plusieurs recommandations pour aider les élèves défavorisés : notamment supprimer le redoublement, éviter l’orientation précoce et reporter la sélection des élèves au deuxième cycle de l’enseignement secondaire, entre autres. La création d’un système scolaire équitable et inclusif appelle à la limitation de l’orientation précoce fondée sur les aptitudes, qui semble amenuiser considérablement la mobilité. Dans les établissements d’enseignement du deuxième cycle du secondaire en Finlande, un système de modules est employé à la place de la progression par années d’études. Les élèves peuvent composer eux-mêmes leur programme à partir d’un menu de cours proposés dans leur établissement et ne peuvent redoubler que les cours pour lesquels ils obtiennent des résultats insatisfaisants. De la même manière, au Canada, en Nouvelle-Zélande et aux États-Unis, le redoublement est généralement limité aux cours que les élèves ne réussissent pas. La Suède et l’Espagne, entre autres pays, n’orientent pas les élèves pendant les années d’enseignement obligatoire.
D’autres politiques publiques améliorent l’équité : la gestion du choix d’établissement en vue d’éviter la ségrégation et de creuser les inégalités ; l’adaptation des stratégies de financement aux besoins des élèves et des établissements ; la création de filières d’enseignement équivalentes au deuxième cycle de l’enseignement secondaire, comme la formation professionnelle ou l’apprentissage, pour veiller à ce que les élèves plus intéressés par les activités pratiques, qui ne peuvent ou ne veulent pas rester dans le système commun, terminent leurs études.
1.4.1.4. Prévenir la sortie prématurée du système scolaire
La lutte contre la sortie prématurée du système scolaire est indispensable pour faire tomber les obstacles à la mobilité. L’amélioration des résultats des élèves défavorisés demande une approche cohérente à l’école : développer et soutenir la direction d’établissements scolaires spécialisés ; favoriser un environnement scolaire positif et porteur ; former, recruter et retenir les enseignants compétents ; suivre des stratégies d’apprentissage efficaces et enfin, établir des liens entre les parents, la population locale et les écoles pour pérenniser les améliorations.
Il faut s’attaquer tôt aux problèmes de performance, en repérant les élèves faibles en début d’année et en leur apportant un soutien ciblé jusqu’à la fin. Si les mauvais résultats et l’absentéisme sont causés ou aggravés par des facteurs extérieurs à l’enseignement, c’est-à-dire par des problèmes de famille, de revenu ou de logement, ceux-ci doivent être pris en main. Un personnel d’encadrement spécialisé (psychologues ou assistants sociaux scolaires) peut aider à déceler les problèmes et à y faire face rapidement.
Les autorités scolaires ou les services sociaux doivent en outre tenter d’aller au-devant des élèves qui décrochent pour leur offrir le soutien dont ils ont besoin et les empêcher de sombrer dans l’inactivité. Cette stratégie exige une coordination solide et des échanges d’information fluides entre les écoles et les services sociaux/de l’emploi. En Norvège, les « services de suivi » au niveau national localisent et contactent tous les jeunes jusqu’à l’âge de 21 ans qui quittent le système scolaire sans place dans le deuxième cycle du secondaire ou sans emploi, pour veiller à ce qu’ils aient une possibilité de poursuivre leurs études ou de suivre une formation, ou encore pour les mettre en contact avec les services d’aide sociale (OCDE, 2018b). Dans certaines municipalités, les services sont intégrés dans les établissements scolaires. Dans le même ordre d’idée, en Belgique, les autorités flamandes ont adopté l’interne leerlingenbegeleiding (structure d’accueil interne), qui fonctionne au sein des établissements scolaires et apporte un soutien complémentaire aux élèves dans le besoin et affectés par des facteurs extérieurs à l’enseignement.
1.4.1.5. Renforcer le lien entre l’école et la maison pour aider les parents défavorisés
Les programmes qui conjuguent les activités périscolaires pour les jeunes de milieux défavorisés avec un élément de mentorat peuvent aider à retenir ces jeunes dans le système scolaire et leur apporter les compétences qu’ils n’acquièrent pas à la maison. Les programmes d’apprentissage socio-émotionnel en milieu scolaire améliorent eux aussi les résultats comportementaux et scolaires. Le mentorat peut aider à combler les lacunes pour les jeunes qui manqueraient de direction et de modèles positifs à la maison. Aux États-Unis, le réseau Big Brothers Big Sisters (grands frères et grandes sœurs), rapproche des bénévoles adultes (« Bigs ») et des enfants (« Littles ») depuis plus de 100 ans. À Toronto, le programme Pathways to Education, qui propose des cours de suivi après les heures de classe, un système de mentorat et de l’aide financière, a contribué à réduire les taux de décrochage (OCDE, 2016b).
Une plus grande implication parentale peut aussi améliorer l’apprentissage à condition de veiller à une bonne coordination entre les enseignants, les établissements et les pouvoirs publics. Les initiatives efficaces sont, entre autres, les programmes de formation visant à favoriser la santé psychosociale nécessaire à une bonne parentalité, pleinement intégrés dans le plan de développement des établissements. Le projet ERPA (Engaging Parents to Raise Achievement) au Royaume-Uni et le réseau national de partenariats aux États-Unis en sont deux exemples, qui faisaient également intervenir les enseignants et la population locale.
1.4.1.6. Accorder à tous les jeunes un bon démarrage dans la vie active
Il faut aussi multiplier les actions pour aider les jeunes de milieux défavorisés à mieux démarrer dans la vie active, afin d’éviter les carrières médiocres caractérisées par des périodes intermittentes de travail mal rémunéré et de chômage. Le Plan d’action de l’OCDE pour les jeunes recommande une série de mesures pour lutter contre le chômage de cette catégorie de population, dont des programmes de la deuxième chance. Il s’agit d’encourager les employeurs à élargir les programmes d’apprentissage ou de stages de bonne qualité, et de développer les stratégies actives du marché du travail afin d’améliorer l’employabilité et les débouchés, mais aussi d’écarter les obstacles à un travail stable et satisfaisant.
La formation en apprentissage, qui conjugue travail et études de manière très structurée dès le départ, est particulièrement efficace pour faciliter le passage de l’école à la vie active (OCDE, 2016b), un facteur essentiel pour favoriser la mobilité intergénérationnelle. Pour améliorer la mobilité sociale, les apprentissages doivent porter une plus grande attention aux moyens d’attirer et de retenir les jeunes « à risque » qui pourraient avoir plus de difficultés à intégrer un programme de stages. Ils doivent être conçus de manière à encourager la participation de différents groupes d’âge, de jeunes de milieux défavorisés et de femmes, et couvrir plusieurs filières et professions. Une forte composante de formation sur poste est essentielle, tout comme une bonne intégration dans le système scolaire formel.
Les programmes de préapprentissage peuvent eux aussi être très utiles pour les jeunes qui ont quitté l’enseignement secondaire, qui sont sans projet professionnel et doivent se rattraper dans certaines compétences de base. Ils familiarisent les jeunes avec la routine du travail et leur apportent même de courtes périodes d’expérience professionnelle. En Allemagne, ceux qui ne parviennent pas à décrocher un apprentissage peuvent faire une demande de formation préprofessionnelle pouvant durer un an. Les préapprentissages ont aussi une place importante dans le système d’EFP australien.
Pour ceux qui ont quitté l’enseignement secondaire, des programmes de la deuxième chance comme le Job Corps aux États-Unis ou les Folk Schools en Suède sont particulièrement utiles. Ils offrent généralement un environnement d’apprentissage flexible pour les jeunes sortis du système scolaire, en dehors des établissements ordinaires, avec à la clé un élément solide de formation non cognitive visant à renforcer la motivation, à développer la diligence et à munir les jeunes de compétences interpersonnelles. Le développement à grande échelle de ces programmes de la deuxième chance se heurte au problème de leur coût très élevé. Pour donner de bons résultats, ils ont besoin d’être bien ciblés et d’être animés par un personnel qualifié et très motivé, capable d’assurer un encadrement et un soutien intensifs. Malgré leur coût immédiat élevé, ils se sont révélés rentables pour des groupes particuliers au moyen et au long terme10.
1.4.1.7. Améliorer l’égalité d’accès à l’enseignement supérieur
La sous-représentation des élèves issus de milieux socio-économiques défavorisés dans l’enseignement supérieur, en particulier dans les universités plus sélectives ou prestigieuses, appelle diverses actions publiques pour balayer les obstacles. Les mesures d’ouverture dans le deuxième cycle de l’enseignement secondaire sont utiles étant donné que, dans de nombreux cas, les différences de candidatures sont dues à un manque de préparation et de confiance de la part même des élèves des milieux défavorisés. Manquant d’information et de ressources, certains jeunes préfèrent suivre des cours de plus courte durée après le secondaire ou fréquenter des établissements moins exigeants, offrant un parcours plus direct vers des emplois de base, mais avec de moins bonnes perspectives sur le marché du travail. Le programme français « Pourquoi pas moi », lancé par l’École supérieure des sciences économiques et commerciales (ESSEC) et désormais disponible dans 130 grandes universités, représentant 34 % des grandes écoles (Cordées de la Réussite, ONPV, 2016), propose aux collégiens et lycéens un programme de mentorat et d’ateliers. Une initiative du même type aux États-Unis, le College Coach Program, est en œuvre dans douze établissements publics d’enseignement secondaire à Chicago.
Les politiques publiques axées sur les inégalités socioéconomiques doivent aussi prévoir des mesures pour encourager le recrutement, comme l’admission différentielle. La discrimination positive fondée sur la classe, dite également admission contextuelle, fait partie des mesures possibles pour limiter le handicap économique intergénérationnel. Outre l’admission contextuelle, la mobilité sociale peut aussi être favorisée par la diversification des voies d’entrée des plus défavorisés dans les meilleures écoles. En France, de nouvelles méthodes de lutte contre les inégalités auxquelles se heurtent les jeunes issus de milieux défavorisés dans l’accès aux universités les plus sélectives sont à l’étude. Par exemple, Sciences Po a lancé le dispositif des Conventions Éducation Prioritaire pour les élèves d’écoles défavorisées et surveille ses résultats dans ce domaine sur une base quantitative.
La mobilité sociale dans l’enseignement supérieur appelle des interventions publiques bien au-delà du premier jour d’université, qui encouragent les étudiants à poursuivre leurs études jusqu’au bout. Les services aux étudiants, l’aide psychopédagogique et le tutorat, en particulier sur certains sujets, pourraient être ciblés de manière à prévenir le décrochage, en particulier pendant ou vers la fin de la première année. Le First Generation Programme de l’université Colorado Boulder, par exemple, aide les étudiants de première année à réussir leur passage du lycée à l’université et à obtenir de l’aide pour accéder à diverses ressources scolaires et sociales. La diversité dans l’enseignement supérieur est également liée à des problèmes de financement ; les étudiants de milieux défavorisés ont besoin d’être certains des aides financières auxquelles ils auront droit avant de déposer leur demande.
1.4.1.8. Autres obstacles professionnels à supprimer pour les jeunes de milieux défavorisés
Même les élèves de milieux défavorisés qui réussissent dans leurs études peuvent avoir du mal à trouver un emploi de qualité par manque de réseau, de codes de comportement informels, d’expérience professionnelle appropriée ou d’information. L’amélioration du passage de l’école à la vie active pour les jeunes de milieux défavorisés est un moyen de lutter contre les inégalités de revenus. De meilleurs conseils d’orientation professionnelle et des liens plus solides entre établissements et employeurs devraient aider à mieux informer les élèves de milieux défavorisés sur les étapes de la construction d’une carrière, en particulier dans les professions les plus sélectives. Le mentorat et les conseils d’orientation professionnelle par l’intermédiaire de divers organismes peuvent être utiles dans les démarches de candidature et de recherche d’emploi, et compenser également le manque d’aide parentale. Au Royaume-Uni, l’État a récemment mis en place la Careers and Enterprise Company, un organisme d’employeurs dont la mission est de préparer les élèves et les étudiants à la vie active. Il espère apporter aux jeunes le soutien direct des entreprises et améliorer ainsi la mobilité sociale.
Les autres obstacles comprennent le manque d’accès aux réseaux professionnels par l’intermédiaire des parents, l’incapacité à obtenir des compétences par le biais de stages non rémunérés ou l’impossibilité d’accéder aux professions libérales par manque de crédit. Les initiatives d’organisations au service de la mobilité sociale, comme le Sutton Trust et la Social Mobility Foundation au Royaume-Uni, administrent plusieurs programmes étudiés pour encourager les jeunes de milieux défavorisés à décrocher des stages dans les meilleures entreprises. Aux États-Unis, le programme Year Up aide les lycéens de milieux défavorisés qui ont du mal à trouver du travail en proposant une combinaison de cours à caractère professionnel, de stages, de mentorat, de formation à la recherche d’emploi, avec placement à la clé. Les interventions visant à faciliter l’accès aux professions libérales contribuent à leur plus grande équité, par exemple en offrant des aides financières à la création d’entreprise ou en mettant en place des programmes pour aider les nouveaux libéraux à se constituer une clientèle. Les suggestions récentes à l’étude dans ce domaine aux États-Unis comprenaient l’analyse coût-avantage de nouvelles propositions de permis d’exercer et la reclassification de certaines professions réglementées – aux États-Unis, pour environ 30 % des professions, l’État établit les qualifications requises pour exercer un métier ou une profession – ou un système de certification ou de non-réglementation.
1.4.1.9. Investir tôt dans la santé pour mettre tout le monde sur un pied d’égalité
La santé est un autre aspect important qui peut être transmis d’une génération à l’autre, avec à la clé des conséquences sur le parcours scolaire et professionnel. En s’attaquant aux inégalités de santé qui concernent les adultes et leurs enfants, les pouvoirs publics peuvent contribuer à la promotion sociale.
Pour rompre le cercle vicieux de la transmission des handicaps et favoriser la mobilité sociale, une intervention précoce est essentielle : les programmes publics doivent aider avant la naissance, dès la grossesse. Ceux qui dispensent des soins prénatals et postnatals aux familles modestes et qui fournissent des services liés à la santé à domicile pour qu’ils soient plus facilement accessibles aux mères sont corrélés avec une amélioration du bien-être des enfants et de meilleurs résultats à long terme (ex. l’Early Start Program en Nouvelle-Zélande et le Family Nurse Partnership (FNP) aux États-Unis). Globalement, une stratégie fondée sur des investissements plus importants ciblés sur les enfants de milieux socio-économiques défavorisés pourrait contribuer à rompre le cercle vicieux de la transmission intergénérationnelle des handicaps.
Il importe, pour réduire les inégalités de santé qui font obstacle à la mobilité sociale, d’agir contre les comportements préjudiciables, notamment la mauvaise alimentation et le manque d’activité physique, l’obésité et le tabagisme, souvent transmis d’une génération à l’autre et plus répandus parmi les catégories socio-économiques inférieures. Les conseils de médecins et de diététiciens semblent avoir le plus d’effet, suivis par la réglementation de la publicité alimentaire, l’étiquetage des produits et les mesures fiscales, tandis que les campagnes médiatiques et les interventions sur les lieux de travail sont les moyens les moins efficaces de réduire les inégalités de santé (OCDE, 2010a). Les restrictions sur la publicité de produits potentiellement dangereux pour la santé destinée aux enfants sont elles aussi plébiscitées dans bon nombre de pays. Le Chili, l’Islande, l’Irlande et le Mexique, entre autres, interdisent la publicité de produits alimentaires et de boissons à la télévision aux heures d’écoute des enfants.
Les problèmes de santé des jeunes peuvent aussi entrer en jeu dans la rupture scolaire. Les jeunes en mauvaise santé ont cinq fois plus de chances d’être au chômage ou inactifs qu’employés ou en formation (OCDE, 2016b). Les adolescents trouvent parfois difficile de demander des conseils au sujet de leurs problèmes de santé physique ou mentale s’ils ne peuvent s’adresser qu’à leurs parents ou leurs enseignants. En Australie, un réseau de centres de santé externes a été lancé, en particulier dans les zones isolées ou défavorisées (la Fondation nationale australienne pour la santé mentale des jeunes). Les centres sont faciles d’accès et pratiquent une politique de porte ouverte qui permet aux jeunes et à leurs familles de s’y présenter (OCDE, 2016b).
1.4.1.10. Améliorer la situation des familles défavorisées pour compenser le handicap initial
Les politiques familiales sont un autre outil essentiel pour favoriser la mobilité sociale et rendre les planchers moins adhérents. Les enfants qui grandissent dans des familles modestes ont moins de chances de faire des études supérieures, d’avoir un statut professionnel élevé ou un emploi bien rémunéré.
Le manque d’investissement dans les enfants peut avoir des conséquences défavorables (et potentiellement irréversibles) à long terme. Bon nombre de travaux publiés s’intéressent à l’effet de causalité entre le revenu des parents – et les chocs sur le revenu – et la santé, la scolarité et autres aspects du devenir des enfants. On observe que l’argent en soi aurait effectivement une influence sur les résultats des enfants, sur leur développement cognitif et leur niveau d’études, mais aussi sur leur développement social, émotionnel et comportemental. L’effet des sommes additionnelles dépensées serait cependant beaucoup plus significatif pour les ménages modestes, constat qui plaide en faveur de cibler les allocations pour enfant à charge sur les familles plus démunies. Les crédits d’impôt sur le revenu, les primes de travail et autres moyens de compléter les revenus des parents pourraient donc contribuer à estomper considérablement les différences de résultats entre les enfants de familles modestes et les autres, même s’ils ne parviendront peut-être pas à combler entièrement ces écarts.
Dans les économies émergentes, les programmes de transferts monétaires conditionnels, qui s’adressent aux ménages pauvres et subordonnent les versements à la santé et à la scolarisation des enfants, ont abouti à l’amélioration de l’éducation, du logement et du bien-être. Ils peuvent accroître le recours aux services sociaux et aux services de l’emploi (ex. Prospera au Mexique, Bolsa Familia au Brésil ou Chile Solidario au Chili). Les plus efficaces s’adressent habituellement aux mères, qui ont tendance à consacrer plus de ressources à leurs enfants que les pères. C’est cette logique qui est à l’origine de Progresa (désormais Prospera) au Mexique, qui cible les allocations sur les mères. Cependant, la conditionnalité n’est fructueuse qu’à condition que les services soient de bonne qualité. Qui plus est, les changements de comportement parental dépendent de la manière dont les mesures incitatives sont conçues, et les programmes peuvent avoir des effets négatifs sur le taux d’activité des femmes si les mères doivent libérer trop de temps pour les visites médicales.
1.4.1.11. Équilibre entre vie professionnelle et vie de famille
Dans la mesure où la pauvreté est plus fréquente parmi les familles à revenu unique avec enfants, la situation des mères sur le marché du travail peut avoir des conséquences durables sur les générations futures. Les femmes sont souvent privées de possibilités professionnelles cruciales en début de carrière, période qui coïncide avec l’arrivée d’enfants dans la famille, et rattrapent rarement les hommes par la suite (OCDE, à paraître).
Les politiques publiques qui favorisent l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée, ainsi que les politiques et services d’éducation et d’accueil des jeunes enfants peuvent contribuer à offrir des chances égales à tous en compensant le manque de ressources familiales, en permettant aux femmes de progresser professionnellement et en évitant la transmission des handicaps socio-économiques aux enfants. Elles peuvent aussi aider les parents à travailler et atténuer les conséquences néfastes de leurs difficultés financières sur le devenir des enfants. La France et les pays nordiques, par exemple, offrent un éventail d’aides publiques aux parents dans ce sens pendant les premières années de la vie d’un enfant. Ils ont ainsi pu concilier des taux élevés d’emploi féminin et de fécondité porteurs de dividendes démographiques. La Norvège et le Royaume-Uni ont ajouté ou introduit des heures de garde d’enfants gratuites.
L’incapacité de concilier travail et enfants commence souvent quand ceux-ci sont encore en bas âge. Bien que les données sur la relation entre les congés rémunérés et les résultats des enfants soient variables, de nombreuses études constatent un lien entre les congés indemnisés et des taux inférieurs de mortalité infantile, ainsi qu’une moindre probabilité d’insuffisance pondérale à la naissance11. On observe dans plusieurs pays de l’OCDE que le congé paternel pourrait avoir une incidence considérable sur le comportement des pères et qu’il a tendance à améliorer les résultats cognitifs et sociaux des enfants (OCDE 2012). Les familles modestes ont peut-être plus de difficulté à concilier travail et vie de famille parce que le travail est irrégulier ou atypique, alors que les politiques publiques en matière de congé demandent un emploi et des revenus réguliers. Elles ne jouissent généralement pas non plus de la même flexibilité que les travailleurs spécialisés en matière d’horaires et de lieu de travail.
1.4.1.12. Réduire la ségrégation spatiale
La concentration de familles pauvres dans les quartiers défavorisés présente un autre défi pour l’action publique, car elle a tendance à renforcer les mécanismes de transmission des handicaps d’une génération à l’autre. Les autorités doivent encourager des politiques d’aménagement urbain en faveur d’infrastructures sociales et humaines qui garantissent un accès égal aux services publics, à une éducation de qualité et aux possibilités d’emploi.
Diverses interventions peuvent réduire la ségrégation spatiale en matière d’éducation et améliorer l’équité sociale dans les systèmes de choix d’établissement scolaire. Les mécanismes de choix d’établissement scolaire maîtrisé et les programmes de chèque-éducation, par exemple, peuvent aider les enfants de familles modestes à obtenir une éducation de qualité et multiplier les chances pour tous dans les grandes villes. Le choix d’établissement scolaire maîtrisé garantit une plus grande équité dans la répartition des élèves entre les établissements scolaires, en termes de situation socio-économique parentale, d’origine ethnique, etc. En cas de demande supérieure à l’offre pour certains établissements, il empêche les élèves de milieux défavorisés d’être évincés (ex. système de double liste d’attente à Rotterdam, pour enrichir la composition ethnique et socio-économique des écoles). Les autorités publiques pourraient envisager diverses mesures d’incitation financière pour encourager toutes les écoles à accueillir des élèves de milieux défavorisés. Certains pays, comme les Pays-Bas, l’Australie, le Canada et le Chili augmentent la subvention accordée aux établissements qui acceptent des élèves faibles, parce que leur éducation est plus coûteuse, par le biais de systèmes de chèques-éducation progressifs ou de financement pondéré (« chèques virtuels »).
Les projets locaux destinés aux travailleurs pauvres sont également importants pour améliorer la mobilité (ex. les programmes locaux mis en place pour lutter contre la pauvreté à Calgary, Edmonton, Toronto et Saint-Jean au Canada). Sont également prometteuses les mesures en faveur de pratiques commerciales inclusives, notamment l’aide ciblée aux travailleurs vulnérables sous forme de garde d’enfants, de transport et de logement, les pratiques d’embauche en faveur de la diversité, les offres d’emploi destinées aux travailleurs handicapés, et la transparence des rapports de performance (ex. Social Business Centre and Community Investment Fund of the City government of Calgary, CPRI, 2013).
Parce que l’accès à des soins de santé de qualité est particulièrement important, les politiques publiques doivent le garantir indépendamment du lieu de résidence de la personne. Plusieurs leviers peuvent influencer le choix de lieu d’exercice des médecins, dont : 1) des incitations financières pour attirer les médecins dans les zones mal servies ; 2) l’augmentation des inscriptions aux programmes d’études de médecine pour les étudiants de milieux sociaux ou de régions spécifiques, ou la décentralisation des écoles de médecine ; 3) la réglementation du choix de lieu d’exercice des médecins (pour les médecins nouvellement diplômés ou ceux formés à l’étranger) ; et 4) la réorganisation de la prestation de services de santé pour améliorer les conditions de travail des médecins dans les zones mal servies et trouver de nouveaux moyens d’améliorer l’accès de la population aux soins.
1.4.1.13. Améliorer le logement et les transports
L’accès à un logement de qualité à un prix abordable est important pour réaliser certains objectifs de politique sociale, notamment la réduction de la pauvreté, l’égalité des chances et l’inclusion sociale. Des aides au logement mieux ciblées peuvent encourager la formation de quartiers urbains à revenu mixte. Comparé au logement social (abordé plus loin), ce type d’aides risque moins de nuire à la mobilité résidentielle et à la mobilité de la main-d’œuvre.
Quelques initiatives cherchent effectivement à aider des ménages modestes à s’installer dans des quartiers plus aisés. Aux États-Unis, par exemple, l’expérience « Moving to opportunity » utilisait des chèques-logement pour encourager les quartiers mixtes : les enfants de familles de cinq villes américaines (Baltimore, Boston, Chicago, Los Angeles et New York) qui quittaient un quartier très pauvre pour s’installer dans un quartier à faible taux de pauvreté ont augmenté les revenus d’activité et la fréquentation des établissements d’enseignement post-secondaire12. Ces chèques-logement étaient efficaces parce qu’ils s’adressaient à des familles avec de jeunes enfants et leur demandaient de s’installer dans des quartiers à faible taux de pauvreté. Les aides au logement ne sont pas sans limitations dans la mesure où elles ne peuvent pas garantir un logement de qualité et risquent d’avoir un effet pervers sur les loyers. Les programmes de chèques-logement se sont heurtés à un problème d’une autre nature : alors que l’objectif était d’aider les ménages de quartiers pauvres à s’installer dans des quartiers prospères, la plupart des familles choisissaient de ne pas s’éloigner de leur quartier ou de s’installer dans un quartier possédant plus ou moins les mêmes caractéristiques.
Les logements sociaux et les politiques de zonage social peuvent aider les familles modestes, mais ils peuvent aussi aggraver la ségrégation. Bien que les cadres juridiques nationaux imposent parfois des cibles minimales de logement social aux autorités locales, celles-ci ne sont pas toujours respectées. En France, par exemple, pour échapper à leurs obligations, certaines zones riches paient une amende au lieu de respecter la cible de logement social. Dans la pratique, le logement social concentre souvent les ménages modestes dans des quartiers urbains défavorisés, où les services publics sont de mauvaise qualité et l’accès aux possibilités d’emploi limité, aggravant ainsi l’exclusion sociale urbaine. Les municipalités, en particulier celles qui comptent une proportion importante de ménages modestes et un taux de chômage élevé, ne disposent pas toujours des moyens financiers et organisationnels pour fournir et entretenir des logements sociaux. Le zonage social, pratiqué notamment dans plusieurs États américains, mais aussi en Allemagne et en Suède, exige que les promoteurs construisent une proportion précise d’unités de logement abordables dans des ensembles résidentiels autrement au prix du marché, en échange d’un assouplissement des règles applicables à la promotion immobilière ou d’autres mesures incitatives (OCDE, 2016a). Il a pour finalité d’augmenter l’offre de logements abordables aux ménages modestes tout en encourageant leur inclusion spatiale dans les zones plus prospères. Dans la pratique, les seuils de revenus sont fixés relativement haut et peuvent exclure les ménages les plus pauvres.
Le décloisonnement et le rapprochement de toutes les catégories de réseaux de transport efficaces doivent être au cœur de la planification des transports urbains. Les personnes qui vivent dans les quartiers défavorisés bénéficient souvent d’infrastructures moins bien entretenues, en particulier les routes, ont moins accès à des transports en commun fiables, et possèdent plus rarement un véhicule particulier. Des travaux récents du Forum international des transports indiquent que des subventions ciblées (contrairement à des subventions généralisées) permettent aux opérateurs de transports de pratiquer des tarifs proches du coût réel pour la majorité de la population et des tarifs réduits pour les catégories vulnérables (FIT, 2016).
Une stratégie intégrée d’investissement public peut améliorer l’accès des personnes à des infrastructures accessibles, équitables et durables, et multiplier les chances de mobilité socio-économique dans les villes. Par exemple, les initiatives de revitalisation urbaine et environnementale conçues de manière restrictive peuvent forcer les prix du logement à la hausse et faire pression sur le réseau de transport, chassant ainsi les ménages modestes des quartiers régénérés tout en attirant des résidents plus fortunés et des entreprises haut de gamme. Les systèmes de gestion des villes caractérisés par une plus forte fragmentation administrative sont corrélés avec une plus forte ségrégation des ménages en fonction de leurs revenus (OCDE, 2016a). Une gestion plus efficace, visant l’intégration à l’échelle métropolitaine de politiques combinant, en autres secteurs clés, la réglementation foncière, le logement et les transports, peut contribuer à la lutte contre la ségrégation par le revenu dans les villes.
1.4.1.14. Imposition du patrimoine, épargne et accès au crédit pour favoriser la mobilité intergénérationnelle
Les politiques relatives à l’accumulation de richesse et à l’épargne constituent un outil essentiel pour renforcer la mobilité sociale. La richesse influence la mobilité intergénérationnelle puisque les parents utilisent souvent leurs moyens financiers pour aider leurs enfants en investissant dans leur éducation ou en leur transmettant une partie de leur patrimoine, de leur vivant ou en héritage. Cependant, la richesse est beaucoup plus inégalement distribuée que le revenu, et la privation de richesse va souvent de pair avec la pauvreté de revenu (OCDE, 2015a ; Balestra et Tonkin, à paraître). La richesse est donc souvent un vecteur puissant de formation de planchers et de plafonds adhérents.
Compte tenu du rôle important des donations et des héritages dans l’accumulation de richesse, leur imposition retentit sur la mobilité sociale. Les impôts sur la succession et sur les donations prennent la forme de droits de succession sur le patrimoine du défunt, de taxe successorale sur le patrimoine reçu par le bénéficiaire, ou d’impôts sur les donations entre vivants. Du point de vue de la mobilité sociale, l’impôt sur la succession est préférable à l’impôt sur le patrimoine puisqu’il s’agit avant tout de taxer ce qu’une personne reçoit d’une autre et non pas ce qu’une personne laisse à une autre.
Cependant, les recettes des impôts sur les successions et les donations ont été très faibles et ont diminué dans le temps, ce qui s’explique par le fait que les assiettes fiscales sont réduites par les exonérations et les déductions, et que les taux d’imposition sont souvent faibles. Par ailleurs, les possibilités d’évasion fiscale ne manquent pas. En moyenne dans la zone OCDE, les recettes des impôts sur la succession ont baissé de 1.1 % de la fiscalité totale en 1965, à 0.4 % aujourd’hui (OCDE, 2018c). Pour rééquilibrer les chances, on pourrait envisager en premier lieu de limiter l’évasion fiscale, de concevoir des régimes fiscaux progressifs et adaptés, et de réduire les exonérations fiscales.
1.4.2. Atténuer les conséquences des chocs personnels défavorables
Les politiques publiques peuvent aussi influer fortement sur la mobilité tout au long de la vie. Elles peuvent, en particulier, protéger des effets d’événements personnels imprévus ou de chocs temporaires susceptibles de provoquer un déclassement, comme la perte d’un emploi, un divorce ou la naissance d’un enfant, et favoriser la résilience, notamment pour les familles de la classe moyenne qui sont exposées à des risques accrus de mobilité descendante. Comme l’OCDE le souligne dans sa Stratégie pour l’emploi, des régimes d’assurance et d’assistance bien conçus, à condition d’aller de pair avec des politiques actives du marché du travail et des stratégies pour stimuler la demande de main-d’œuvre, peuvent protéger efficacement contre ces chocs tout en favorisant de meilleurs résultats sur le marché du travail. Ainsi, les pays qui consacrent plus de ressources aux programmes actifs du marché du travail ont tendance à voir moins de ménages à revenu intermédiaire glisser vers le bas de l’échelle sur une période de quatre ans (Graphique 1.18).
1.4.2.1. Des transferts efficaces qui aident à surmonter rapidement les difficultés économiques
Les transferts peuvent considérablement atténuer les effets indésirables de la volatilité des revenus. Pour favoriser la mobilité sociale, il est essentiel de veiller à ce que les personnes en difficulté économique se remettent rapidement des chocs. La manière dont sont conçus les programmes de transfert, à savoir l’assurance chômage, les prestations liées à l’exercice d’un emploi ou les prestations familiales, peut dicter la persistance des chocs et nuire ainsi à la mobilité sur l’échelle des revenus. À cet égard, une combinaison efficace de programmes d’aide au revenu de dernier recours et de prestations liées à l’exercice d’un emploi bien conçues faciliterait probablement le retour à l’emploi et éviterait la dépendance des prestations sociales à long terme. L’assurance chômage diminue la volatilité des revenus d’activité principalement au bas de la distribution et favorise la mobilité à longue échéance en empêchant l’exclusion sociale de s’aggraver (OCDE, 2015c). L’effet de redistribution de l’assurance chômage peut être particulièrement prononcé quand il est mesuré en termes de revenus d’activité sur le cycle de vie. Cependant, des données récentes indiquent que la couverture de prestations de chômage a diminué tout au long de la récente crise économique, et que cette tendance s’est poursuivie pendant la période de reprise (OCDE, 2018e, à paraître). Ce constat est préoccupant sachant que la couverture d’assurance chômage est particulièrement importante pour les travailleurs atypiques et les chômeurs de longue durée.
Des prestations permanentes et bien conçues liées à l’exercice d’un emploi ou la réduction d’impôt sur le revenu d’activité peuvent valoriser le travail et inciter les bas salaires à se hisser sur l’échelle des revenus, tout en soutenant le niveau de vie des familles modestes. Or ces régimes peuvent aussi pousser les salaires vers le bas. Les planchers salariaux contraignants, qui fixent un salaire minimum, peuvent accroître leur efficacité. Aux États-Unis, la réduction d’impôt sur le revenu d’activités (Earned Income Tax Credit – EITC) a contribué à la réduction du taux de pauvreté dans l’emploi et à l’amélioration de la santé des enfants des familles bénéficiaires par trois voies : le revenu familial, l’emploi maternel, et la couverture d’assurance maladie (Cooper et Stewart, 2013). Aux Pays-Bas, les contribuables qui ont un revenu d’activité et des enfants de moins de 12 ans ont droit à un rabais de combinaison calculé en fonction du revenu.
1.4.2.2. Des impôts qui atténuent les chocs sur les revenus
Les politiques fiscales, en plus de redistribuer les revenus entre les individus et les ménages, atténuent leur volatilité au sein d’un même ménage. Les impôts et les transferts jouent un rôle important dans l’atténuation des effets d’une perte permanente de revenu sur la consommation et la réduction du coût de la variabilité des revenus (Blundell, 2014 ; Bibi et al., 2013).
Toutefois, les systèmes fiscaux - du moins tels qu’ils sont actuellement conçus - contribuent parfois à amplifier les disparités de revenu tout au long de la vie en raison du décalage entre les revenus et leur imposition. Par exemple, l'imposition du revenu annuel a tendance à peser de manière disproportionnée sur les familles modestes, plus susceptibles d'enregistrer de fortes variations de revenu d'une année sur l'autre et donc de payer des impôts plus élevés qu'ils ne l'auraient fait à revenu équivalent stable. Les mesures mises en place pour lisser les impôts ou les crédits d'impôt sur plusieurs années peuvent atténuer ces fluctuations de revenu. Rapprocher la date de paiement de l’impôt de celle du gain permettrait d’éviter les charges imprévues, mais aussi de stabiliser le revenu, en particulier parmi la classe moyenne.
Diverses formes d’aides fiscales aux contribuables à faible revenu peuvent avoir une incidence importante sur la mobilité intergénérationnelle : les déductions d’intérêts sur les prêts hypothécaires, les déductions d’impôts sur le revenu locaux, ainsi que d’autres formes de crédit d’impôt ont toutes une corrélation positive avec la mobilité intergénérationnelle (Chetty et al., 2015).
1.4.2.3. Réduire les chocs défavorables sur le marché du travail et faciliter le retour au travail
Prévenir les périodes de chômage est le moyen le plus sûr d’éviter qu’il n’ait des effets durables sur le parcours professionnel et les compétences. Certains instruments peuvent contribuer à éviter les périodes de chômage et les licenciements. Ils doivent être assortis d’interventions précoces empêchant la période de chômage de se prolonger (OCDE, 2018e, à paraître). Des mesures anticipatives, mises en place dès la période de préavis de licenciement, peuvent adoucir la transition en cas de perte d’emploi (OCDE, 2018e, à paraître). En Suède, par exemple, les conseils de sécurité de l’emploi, administrés par les partenaires sociaux, accompagnent et orientent les employés qui font face à un licenciement collectif en les informant sur les formations, les offres d’emploi, les aides à la création d’entreprise, etc.
Une étroite collaboration entre employeurs, syndicats et autorités du marché du travail peut aussi aboutir à une meilleure coordination des régimes de négociation collective et faciliter les ajustements de salaires et de temps de travail pour éviter les licenciements. Dans quelques pays, les réductions du temps de travail sont sans compensation et conduisent à des réductions proportionnelles des revenus d’activité (ex. Suède). Dans d’autres, elles peuvent être partiellement compensées par des régimes de chômage partiel (ex. Allemagne, Japon).
Les politiques actives du marché du travail, appliquées dans un cadre d’obligations réciproques, aident à intégrer les demandeurs d’emploi dans des postes de qualité et à empêcher les périodes de chômage de gêner la mobilité future. Les actions publiques en faveur de la recherche d’emploi sont importantes pour limiter les effets à long terme du chômage sur les trajectoires de revenu. Le cadre de l’OCDE pour des stratégies d’activation s’intéresse aux meilleurs moyens de mettre les personnes en contact avec les emplois (OCDE, 2015c) par la combinaison de mesures visant à motiver les demandeurs à rechercher activement et à accepter des emplois adéquats, de débouchés (ex. aide à la recherche d’emploi, orientation directe, emploi subventionné) et d’intervenions pour améliorer l’employabilité des moins employables (ex. formation et programmes de stages).
Il faut, pour pallier le manque de mobilité, empêcher les personnes employées de rester bloquées au bas de l’échelle de distribution des revenus. Pour les travailleurs difficiles à placer, ces services doivent aller de pair avec un accompagnement intensif et une gestion compétente des dossiers, sachant que plus le volume de travail des conseillers est contrôlé, plus les services seront efficaces. Afin de faire face au manque de ressources, de bons outils de profilage doivent être utilisés suffisamment tôt pendant les périodes de chômage pour que les demandeurs soient efficacement orientés vers des axes de services plus ou moins intensifs.
1.4.2.4. Équilibrer l’adaptabilité du marché du travail et favoriser la mobilité professionnelle
La segmentation du marché du travail est un domaine d’action important au regard de la mobilité de revenu sur le cycle de vie. Les emplois temporaires peuvent certes servir à accéder à un emploi plus stable, mais ils peuvent aussi remplacer des emplois stables au lieu d’encourager le placement. Dans certains pays, la probabilité de décrocher un poste stable lorsque l’on occupe un emploi temporaire est faible. Parce que les emplois à durée déterminée concernent généralement les jeunes ou les travailleurs peu qualifiés, ils peuvent constituer un obstacle colossal à la mobilité. Les travailleurs temporaires bénéficient souvent de moins de formation et leur expérience professionnelle est moins reconnue par les employeurs (OCDE, 2015a ; Cahuc et al., 2017) en raison de la forte segmentation du marché du travail, constat qui souligne l’importance d’une législation homogène sur la protection de l’emploi, couvrant différents types de contrats.
1.4.2.5. La formation continue pour développer les capacités tout au long de la vie
L’amélioration des compétences des adultes, et pas seulement des chômeurs, est essentielle pour garantir l’employabilité continue des travailleurs et favoriser la progression professionnelle et la promotion sociale. Les incitations financières, les interventions bien ciblées pour aider les individus à sortir du piège des emplois peu qualifiés/peu rémunérés, des programmes de formation de base sont autant de mesures susceptibles de renforcer la mobilité sociale.
Dans un monde du travail en évolution rapide marqué par la mondialisation, par le passage au numérique et par l’évolution démographique, la formation permanente est encore plus indispensable, mais elle demande des approches nouvelles pour actualiser les compétences. Les travailleurs peu qualifiés ayant généralement beaucoup moins accès à la formation que les travailleurs spécialisés, la plupart des systèmes de formation permanente ne font que renforcer les différences de compétences observées à la sortie du système éducatif (Graphique 1.19). Au Royaume-Uni, l’Union Learning Fund, organisé par les syndicats, offre des programmes de formation qui s’adressent principalement aux travailleurs peu qualifiés et se concentrent sur les activités importantes pour leurs membres, déterminées en concertation avec les intéressés. Les représentants syndicaux chargés de la formation nouent directement le dialogue avec les travailleurs peu qualifiés pour les encourager à participer. Ce sont ces derniers qui obtiennent les résultats les plus significatifs : plus de deux tiers des apprenants sans qualifications préalables passent à un niveau de qualification supérieur (Stuart et al., 2016).
La validation et la reconnaissance de l’apprentissage non formel et informel encouragent également les individus peu qualifiés à investir davantage dans leur formation en leur permettant de tirer parti des compétences déjà acquises. Cette reconnaissance des acquis est particulièrement importante dans les pays qui affichent des niveaux élevés de sous-qualification, où les travailleurs possèdent les compétences requises, mais sans les qualifications pour le prouver.
Qui plus est, les parcours individuels sur le marché du travail sont de plus en plus divers, ponctués de changements d’emploi et de type d’emploi. Ils appellent donc des modèles de formation qui ne soient pas dépendants de l’employeur, par ex. les comptes formation individuels. La France a récemment introduit le compte personnel d’activité, qui subventionne la formation de tous les individus d’âge actif, indépendamment de leur situation sur le marché du travail, et fournit des fonds supplémentaires aux travailleurs peu qualifiés. Ces comptes ont pour avantage d’apporter aux individus une subvention de formation qui accroît leur degré de responsabilité et de contrôle, permettant ainsi de mieux assortir les besoins des individus et les formations (OCDE, 2016c).
Il importe également de prendre en main le problème de l’inadéquation des compétences. En effet, environ un tiers des travailleurs des pays de l’OCDE occupent un poste qui n’est pas à la hauteur de leurs compétences (OCDE, 2013), tandis que la majorité sont sous-qualifiés. Le fait de posséder les bonnes compétences pour un poste a des effets durables sur les salaires et l’emploi tout au long du parcours professionnel d’un travailleur, ce qui réduit les chances de mobilité. Les employeurs doivent travailler avec les institutions d’enseignement et de formation pour développer les compétences appropriées, ils doivent fournir des formations en cours d’emploi pour faciliter l’amélioration et l’adaptation des compétences, et adopter des formes d’organisation du travail qui tirent pleinement parti des compétences existantes.
1.4.2.6. Mieux adapter les politiques familiales à la structure des ménages
Le divorce et la séparation ont des retombées importantes sur les revenus, en particulier pour les femmes. Qui plus est, le divorce est souvent un événement déclencheur qui aboutit à une pauvreté pouvant persister plusieurs années. Le moyen le plus direct de se rétablir après le divorce reste la participation à la vie active. Or les prestations familiales et les impôts sont essentiels pour amortir le choc du divorce.
Dans la plupart des pays de l’OCDE, la loi oblige le parent qui n’a pas la garde des enfants à verser une pension alimentaire et les cas de non-paiement (ou de retard de paiement) de cette pension sont fréquents. Les solutions nationales au problème du non-paiement de la pension alimentaire par le parent qui n’a pas la garde des enfants varient, du paiement forcé au prélèvement sur salaire ou encore à la saisie de biens et de comptes bancaires. Dans certains pays, la pension alimentaire peut être garantie par l’État (ex. Autriche, Estonie, Allemagne, Hongrie, Italie et Suède) ; par les autorités locales (République tchèque, Danemark et Finlande) ; par des caisses spéciales (ex. Lettonie, Lituanie, Luxembourg, Pologne et Portugal) ou par une administration spéciale (ex. France, Pays-Bas et Royaume-Uni).
1.4.2.7. L’accès universel à la santé comme premier tampon contre les situations défavorables
Les maladies peuvent avoir des conséquences graves sur les revenus des ménages, soit parce qu’elles peuvent compliquer l’accès au marché du travail ou forcer un retrait prématuré, soit parce qu’elles supposent des dépenses accrues si les frais à la charge du patient sont importants. L’accès à l’assurance maladie et invalidité pour tous les ménages est essentiel pour éviter les impacts négatifs à long terme sur les trajectoires de revenu des chocs sanitaires, tandis que des efforts sont nécessaires pour favoriser la réintégration de ceux qui le peuvent dans le marché du travail. Les systèmes d’assurance maladie doivent veiller à la couverture des segments les plus pauvres de la population pour empêcher tout risque de déclassement intergénérationnel. Par ailleurs, pour maintenir le lien avec le marché du travail, les pensions d’invalidité doivent être conçues de manière à favoriser l’activité plutôt que l’inactivité au long terme. En France, tous les résidents légaux sont couverts par le régime d’assurance maladie (99,9 % de la population), à la suite de l’entrée en vigueur de la loi de 2000 sur la couverture maladie universelle (CMU), qui remplaçait le critère d’activité professionnelle par un critère de résidence pour avoir droit à l’assurance maladie. Cela a permis à une proportion petite mais croissante de la population qui n’était pas couverte de bénéficier des mêmes droits que le reste. Aux Pays-Bas, la révision inclusive des méthodes de travail (IHW) aide les employeurs à créer des possibilités d’emploi pour les jeunes en situation de handicap, surtout s’ils sont peu qualifiés. Il s’agit, par exemple, de redistribuer des tâches simples confiées à des travailleurs qualifiés pour créer un poste pouvant être rempli par un travail peu qualifié13.
1.4.2.8. Préparer le terrain pour la mobilité sociale de demain : les défis posés par les nouvelles formes d’emploi
La transformation des économies due au progrès technologique, à l’évolution démographique et à la mondialisation exige que les travailleurs restent protégés contre les risques du marché du travail dans un monde où les formes de travail atypiques pourraient se multiplier. Il s’agit notamment de veiller à ce que tout le monde ait accès à la protection sociale et soit couvert par les réglementations de base applicables au marché du travail. Les travailleurs atypiques n’ont souvent qu’un accès limité ou aucun accès à certaines formes de protection sociale, comme l’assurance accident de travail et l’assurance chômage.
Des solutions sont en place dans tous les pays de l’OCDE – les travailleurs atypiques peuvent être incorporés dans les systèmes « type » de protection sociale, ou bien les systèmes de protection sociale peuvent être réformés de manière à être plus individualisés ou plus universels (OCDE, 2018d). Plusieurs lignes de conduite sont possibles pour élargir la couverture de protection sociale : créer de nouveaux régimes de prestations conçus spécialement pour le chômage, la retraite, les accidents, etc. ou élargir le rôle des régimes non contributifs. Le rattachement des droits à la protection sociale à l’individu plutôt qu’à l’emploi qu’il occupe pourrait contribuer à favoriser la mobilité entre les emplois et les secteurs d’activité. Quelques pays de l’OCDE prévoient actuellement d’introduire des « comptes personnels d’activité » qui accumulent les droits au niveau de l’individu, et visent à élargir l’éventail de choix d’utilisation des fonds accumulés, y compris dans le temps.
En séparant la protection sociale de la relation employeur-employé – c’est-à-dire en définissant les droits individuels aux prestations financées par l’impôt – les déficits de couverture seraient supprimés, tout comme la nécessité de garder la trace des droits d’un salarié tout au long de sa vie. Une solution plus radicale actuellement à l’étude dans quelques pays de l’OCDE consisterait à introduire un revenu de base universel. Les simulations indiquent cependant qu’il est peu probable qu’un tel régime assurerait une protection efficace de tous les individus sans augmenter la pression budgétaire ou appauvrir certaines personnes. Une solution possible serait éventuellement de développer des formes intermédiaires de soutien qui adoptent certains aspects clés d’un revenu de base global et évitent certains de ses inconvénients. L’une des options serait un revenu de base inférieur au revenu minimum garanti, tout en conservant certains éléments des prestations existantes – cela pourrait être souhaitable, par exemple, si la finalité d’une telle réforme est de partager plus équitablement les avantages de la mondialisation ou du progrès technologique plutôt que de combler les écarts existants dans les systèmes de protection sociale. Une transition progressive à une plus grande universalité pourrait aussi être désirable dans les pays où les catégories de population pauvres reçoivent des parts relativement faibles des dépenses globales en prestations. Une autre possibilité serait de maintenir des conditions d’admissibilité élastiques ou de plafonner la durée du paiement du revenu de base. On pourrait également envisager de l’introduire progressivement pour différentes catégories de population, par exemple les cohortes futures de jeunes adultes (OCDE, 2017b ; Brown et Immervoll, 2017).
L’un dans l’autre, les pouvoirs publics disposent de plusieurs instruments qui, selon le pays, peuvent les aider à relever l’un des défis marquants de notre époque : favoriser la mobilité sociale, tout au long de la vie d’un individu et d’une génération à l’autre, et donner à chacun une chance d’exprimer pleinement son talent et son potentiel. Cela est essentiel pour favoriser une économie et une société plus dynamiques et, surtout, inclusives et plus équitables.
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Notes
← 1. Ces mécanismes sont abordés dans Cingano (2014), OCDE (2015), Becker et Tomes (1986), Hassler et al. (2002), Sullivan (2008), Bradbury et Triest (2015).
← 2. Voir Nikolaev et Burns (2013) ; Chan (2017).
← 3. Voir Tversky et Kahneman (1991) ; Dolan et Lordan (2013) ; Nikolaev et Burns (2014).
← 4. Voir Clark et Lipset (1991) ; Ravazzini et Chavez-Juarez (2015).
← 5. L’exemple de certains pays d’Amérique latine fait ressortir que les personnes qui pensent que leur situation s’est améliorée par rapport à celle de leurs parents ont beaucoup plus tendance à soutenir la démocratie (Daude et Meguizo, 2010). Voir également Lahtinen et al. (2017), Mayer et al. (2015), Day et Fiske (2017).
← 6. On a constaté, par exemple, que le meilleur facteur prédictif du vote aux élections européennes de 2014 était l’idée que se faisaient les personnes interrogées de leur position sociale et de leur trajectoire ascendante ou descendante (Mayer et al., 2015). Voir aussi Benabou et Ok (2001) ; Clark et D’Angelo (2013) ; Gest et al. (2017) ; Dostal (2015).
← 7. Voir Havnes et Mogstad (2015), Caille (2001), Goux et Maurin (2010), Shuey (à paraître).
← 8. Voir Heckman et al. (2010).
← 9. Voir Woolfson et King (2008).
← 10. Voir Schochet, Burghart et McConnell (2008).
← 11. Voir Adema et al. (2015).
← 12. Voir Chetty et al. (2016).
← 13. Voir Scharle et Csillag (2015).