Les fondations sont souvent perçues comme des entités innovantes. S’appuyant sur les résultats d’une enquête de l’OCDE, ce chapitre examine ce que recouvre l’innovation dans le secteur philanthropique, en se focalisant sur l’innovation d’organisation et sur l’innovation de procédé, mais aussi sur les raisons qui incitent les fondations à innover et sur les modalités qu’elles retiennent. Il met en évidence une conjonction de facteurs – essor et professionnalisation du secteur philanthropique, goût naturel des fondations pour l’innovation et basculement générationnel – qui ont conduit les fondations à innover dans leur mode de fonctionnement. Il constate que grâce à l’innovation d’organisation, les fondations ont progressé vers une philanthropie plus « stratégique » et, s’agissant de l’innovation de procédé, la disponibilité de nouvelles technologies et l’accès aux données leur permettent d’employer de nouveaux instruments financiers et de modifier leurs processus internes. Il ressort de l’enquête menée par l’OCDE que, si les fondations modifient de plus en plus leurs pratiques et leurs modalités d’acheminement, ces innovations sont encore loin d’être la norme dans le secteur de la philanthropie.
La philanthropie privée pour le développement
Chapitre 3. Les fondations comme acteurs de l’innovation
Abstract
De par leur nature, les fondations sont souvent considérées comme des incubateurs potentiels d’innovation. Elles étaient toutefois, auparavant relativement traditionnelles, et certaines le sont encore. Aux fins de la présente étude, on définira la « philanthropie traditionnelle » comme l’ensemble des pratiques suivantes (OECD netFWD, 2014[23]) :
Engagement de courte durée (par exemple un ou deux ans).
Dons non ciblés : les fondations pratiquant la philanthropie traditionnelle allouent des dons nombreux, dans des secteurs et des zones géographiques multiples, sans focalisation particulière.
Des interventions fondées sur des projets : les fondations pratiquant la philanthropie traditionnelle accordent des financements projet par projet, au lieu de cibler un programme dans son intégralité, et n’ont pas pour objectif d’entraîner un changement systémique.
Attitude de réaction : elles laissent les bénéficiaires potentiels venir à elles (en remplissant un formulaire en ligne, par exemple) et n’essaient pas de les repérer au préalable.
Action déterminée par l’utilisation des ressources : la réussite se mesure par le fait que la totalité du budget disponible est dépensée.
Dans ce contexte, ce chapitre examinera ce que recouvre l’innovation, les raisons pour lesquelles les fondations innovent, et de quelle manière.
Le Manuel d’Oslo, élaboré par l’OCDE et la Commission européenne (OECD et Eurostat, 2005[24]), expose les principes directeurs internationaux pour le recueil et l’interprétation des données sur l’innovation. Il distingue quatre types d’innovation : les innovations d’organisation, de procédé, de produit et de commercialisation. Le présent chapitre se concentrera sur les deux premières car ce sont les plus pertinentes pour les fondations.
L’innovation d’organisation désigne la mise en œuvre d’une nouvelle méthode organisationnelle dans les pratiques d’une firme. Pour les fondations, l’innovation d’organisation implique généralement de s’écarter de la philanthropie traditionnelle et de réfléchir davantage en termes de stratégie afin de produire un impact plus fort. La Fondation Shell, par exemple, a accompli cette transition au début des années 2000. In fine, elle a élaboré une nouvelle approche fondée sur la promotion des pratiques d’entreprise.
L’innovation de procédé fait référence à la mise en œuvre d’une méthode de production nouvelle. Cette notion implique des changements significatifs dans les techniques, le matériel et/ou le logiciel. Appliquée aux fondations, l’innovation de procédé suppose d’élaborer et/ou d’employer de nouveaux outils en vue d’atteindre les objectifs visés, par exemple utiliser des technologies ou mécanismes financiers innovants. La Fondation Shell, par exemple, a opté pour des solutions fondées sur un modèle inspiré de celui des entreprises pour résoudre des problématiques sociales, et collabore essentiellement avec des entrepreneurs sociaux pour la mise en œuvre sa nouvelle stratégie, alors qu’auparavant, elle soutenait exclusivement des organisations non gouvernementales (ONG) dans le cadre de projets à court terme (OECD et Eurostat, 2005[24]) (Shell Foundation, 2018[25]).
Une conjonction de facteurs a conduit les fondations à innover dans leur mode de fonctionnement. Les trois principaux facteurs, décrits en détail ci-dessous, sont l’essor et la professionnalisation du secteur philanthropique, son goût naturel pour l’innovation, ainsi que le basculement générationnel.
Professionnalisation : Comme indiqué au chapitre 1, la philanthropie connaît un essor depuis 15 ans, à la fois sur le plan des ressources financières disponibles et du nombre de fondations en place. Ainsi, au Kenya, plus des deux tiers des fondations existantes ont vu le jour depuis l’an 2000 (OECD netFWD, 2017[26]). Parallèlement à cette croissance, les fondations, et leur écosystème, se sont professionnalisés. Elles disposent d’une plus grande expertise au sein de leurs effectifs du fait qu’elles embauchent des professionnels issus d’organismes de développement, d’administrations publiques, du secteur associatif ou encore du secteur privé. L’infrastructure de la philanthropie s’est étoffée grâce à la création de réseaux thématiques ou régionaux de fondations et de groupes d’affinité. Citons par exemple l’Arab Foundations Forum, l’Asian Venture Philanthropy Network, le Centre européen des fondations (EFC), l’East Africa PhilanthropyNetwork, l’Elevate Children Funders Group, l’International Human Rights Funders Group, l’International Education Funders Group et le Réseau mondial des fondations œuvrant dans le domaine du développement (réseau netFWD). Ces groupes et réseaux visent à améliorer les connaissances et les pratiques de financement de leurs membres grâce à l’apprentissage au contact des pairs, au dialogue et à la recherche. Cette professionnalisation se traduit par des efforts pour adopter une approche plus stratégique et être davantage axé sur les résultats, qui ont conduit à de l’innovation d’organisation (section 3.1).
Un goût naturel pour l’innovation : De par nombre de leurs caractéristiques, les fondations sont propices à l’innovation. Elles sont plus petites et plus flexibles que les administrations publiques ou les organismes multilatéraux, ce qui leur permet de tester des approches, outils et initiatives nouveaux. Ainsi, l’Institut Ayrton Senna teste et déploie progressivement un programme d’enseignement des compétences sociales et émotionnelles dans le système d’éducation publique dans tout le Brésil. Contrairement aux administrations et aux entreprises privées, les fondations ne sont pas contraintes par des échéances électorales et n’ont pas à produire des résultats immédiats pour les contribuables ou des actionnaires. Elles s’attachent à examiner l’environnement dans lequel elles opèrent et à y repérer des lacunes (par exemple des défaillances du marché ou des failles dans la politique publique), avant d’apporter de nouvelles solutions. Certaines, comme la Fondation Rockefeller, investissent massivement dans la prospective afin de détecter l’émergence de problématiques et d’évolutions sociales majeures, dans l’objectif de mieux cibler leurs activités. Enfin, les effectifs des fondations proviennent d’un vaste éventail de secteurs, y compris de start-ups et de petites organisations agiles, où l’innovation est plus cruciale à la réussite qu’elle ne l’est dans les grandes entreprises et institutions.
Un basculement générationnel : Une nouvelle génération de philanthropes bouleverse le secteur. Il s’agit généralement d’entrepreneurs couronnés de succès qui décident de consacrer une partie de leur patrimoine à des causes philanthropiques, après avoir fait fortune dans les affaires, essentiellement dans le secteur des nouvelles technologies (Bishop et Green, 2008[27]). Lorsqu’ils se lancent dans leur entreprise philanthropique, ils sont plus jeunes que les grands philanthropes qui les ont précédés (tels qu’Andrew Carnegie, John D. Rockefeller ou Henry Ford), et ils veulent laisser leur empreinte de leur vivant. Ils recherchent souvent des moyens de créer de la valeur. Au lieu de financer des organisations anciennes et d’octroyer des dons, ils proposent de nouvelles approches. Ainsi, Jeff Skoll, cofondateur d’eBay, repère les entrepreneurs sociaux à fort potentiel. Autre exemple : Azim Premji s’attache à réformer le système éducatif en Inde en recrutant des enseignants, des directeurs d’école, des formateurs et des responsables éducatifs. Cette nouvelle génération de philanthropes tend également à mettre davantage la main à la pâte : ils s’impliquent eux-mêmes et essaient d’inciter leurs pairs à faire des dons. Cependant, certaines de ces nouvelles approches visant à remédier à des problèmes sociaux n’ont pas encore fait l’objet d’une évaluation complète. Par conséquent, on ne sait pas avec certitude si elles peuvent avoir un impact et, surtout, être reproduites à grande échelle. De plus, la question du partage des données constitue toujours un obstacle. Certaines organisations d’une taille plus restreinte, créées par des personnes fortunées, sont souvent réticentes à communiquer des renseignements sur leurs concours financiers et les résultats obtenus.
3.1. Innovation d’organisation
Ces 15 dernières années, la philanthropie a connu un changement de paradigme, qui plonge ses racines dans l’orientation vers une philanthropie répondant davantage à une « stratégie ». L’action philanthropique traditionnelle mettait généralement en avant l’importance de la cause et le facteur don/générosité (l’intention) plutôt que son impact. Depuis peu, les fondateurs ou les directeurs généraux de fondations eux-mêmes veulent produire un impact social ou financier mesurable. En outre, ces nouveaux investisseurs en « philanthropie-risque » s’efforcent de prendre des décisions stratégiques étayées par des données probantes. La présente section examine trois axes autour desquels s’articulent ces tendances – la philanthropie-risque, le changement systémique et la philanthropie « qui parie sur une seule mise massive » (big bet philanthropy) – ainsi qu’une tendance transversale, la mesure d’impact.
3.1.1. La philanthropie-risque : un modèle qui gagne du terrain mais n’est pas encore généralisé
La notion de « philanthropie-risque » (on parle aussi parfois de « capital-risque philanthropique », en anglais venture philanthropy) recouvre une vaste palette de pratiques. Toutefois, elle peut être définie comme une démarche de long terme appuyée par un engagement fort qui vise à produire un impact social au moyen d’un financement sur mesure, d’un soutien organisationnel ainsi que d’une mesure et d’une gestion de l’impact (EVPA, 2017[28]). Les investisseurs en philanthropie-risque considèrent leurs récipiendaires comme des partenaires, à qui ils fournissent un soutien à la fois financier et non financier, sous la forme, par exemple, de connaissances techniques ou d’un renforcement des capacités. Au lieu de saupoudrer leurs financements sur un grand nombre de projets, ils effectuent des choix d’« investissements » stratégiques et ciblés, dans l’objectif de produire l’impact le plus fort possible. Souvent, ces philanthropes ne limitent pas leur collaboration à un type d’organisation en particulier : ils financent diverses entités à visée sociale, que ce soient des entreprises à but lucratif, des entreprises sociales ou des ONG (OECD netFWD, 2014[23]).
Cette démarche suppose généralement plusieurs phases, qui permettent aux fondations de tester un modèle ou un projet puis de le porter à plus grande échelle s’il s’avère fructueux. Pour certaines fondations, la première phase est souvent consacrée à la recherche et à l’analyse détaillée. Les fondations doivent évaluer les besoins et inventorier les organisations qui travaillent déjà sur une problématique sociale dans une zone géographique donnée. La deuxième phase consiste à élaborer une initiative pilote. Il s’agit souvent d’associer plusieurs instruments financiers (dons, prêts, garanties, etc.) et de constituer des partenariats avec des organisations à même de produire un impact. On pourrait trouver, parmi ces groupes, des ONG et des entreprises sociales, mais aussi le secteur public et le secteur privé. Enfin, si le projet pilote donne des résultats satisfaisants, les fondations s’emploieront à le reproduire à plus grande échelle. Elles approfondiront à cette fin leurs partenariats naissants ou élargiront le périmètre des réalisations, qui pourraient associer davantage les administrations publiques.
Les fondations sont de plus en plus nombreuses à adopter ce type de pratiques. L’enquête de l’OCDE montre que près de la moitié des fondations opèrent une sélection active de leurs récipiendaires, et que beaucoup leur fournissent un appui non financier. Ainsi, 71 % des fondations partagent leur réseau avec leurs récipiendaires, 57 % proposent du conseil en stratégie et 35 % du mentorat auprès des directeurs généraux (Graphique 3.1). Toutefois, cette approche est loin de constituer la norme. Plus de 20 % des fondations ayant répondu à l’enquête font porter leurs efforts sur au moins dix domaines thématiques, ce qui dilue leur capacité à véritablement accompagner leurs partenaires. Seulement 26 % concentrent leur action sur un à cinq domaines thématiques. En outre, les engagements à long terme ne constituent pas encore la pratique la plus courante : 86 % des concours financiers des fondations ont, au plus, un horizon de cinq ans (Graphique 3.2). Dans ces conditions, il est plus difficile de s’engager dans des projets risqués ou de soutenir des entreprises sociales qui ne sont pas encore viables. Il est en outre moins probable qu’un engagement de courte durée influe sur le cadre d’action pour le rendre plus porteur ou entraîne un changement systémique (voir infra).
3.1.2. L’ambition de la philanthropie visant le changement systémique : produire un impact de grande ampleur dès le départ
Le changement systémique, axe d’une approche récente privilégiée par certaines fondations, peut être défini comme un changement dans les politiques, processus, relations, connaissances, structures de pouvoir, valeurs ou normes, mis en œuvre par les acteurs d’un système, et à même d’influer sur une problématique sociale (Kramer, 2017[29]). Les systèmes s’entendent comme étant constitués d’éléments – tangibles et intangibles – interconnectés. Ils englobent les individus, les institutions et les ressources, ainsi que les relations, valeurs et perceptions (Abercrombie, Harris et Wharton, 2015[30]).
Si l’objectif est le même que dans le cas de la philanthropie-risque, à savoir produire un impact à grande échelle et s’attaquer à des problématiques sociales importantes, les procédés engagés ne sont pas les mêmes. Contrairement à la philanthropie-risque, qui teste des approches au moyen d’un projet pilote avant de les porter à plus grande échelle en cas de réussite, les fondations qui adoptent l’approche visant un changement systémique s’emploient à produire un changement immédiat du système. Pour ce faire, elles doivent appréhender de manière approfondie l’économie politique d’un contexte afin de pouvoir l’influencer sans se limiter à l’échelon des individus ou des organisations. À cette fin, elles examinent souvent le contexte selon une perspective interdisciplinaire et holistique, en prenant en considération dès le départ tous les aspects d’une problématique sociale. Elles cherchent à mettre à profit l’expertise et les organisations existantes, et à bâtir entre elles des coalitions transsectorielles, au lieu de créer de nouvelles institutions (Walker, 2017[31]). Il est donc nécessaire d’y consacrer beaucoup de temps afin de cartographier l’ensemble de l’écosystème et de coordonner les très nombreux acteurs impliqués. Des financements substantiels (le plus souvent dans le cadre d’une coalition) sont également requis.
Influencer tout un écosystème peut constituer un défi de taille pour les fondations, dont la dimension et le budget demeurent relativement modestes par comparaison aux États ou aux organisations multilatérales. En outre, le secteur philanthropique est extrêmement fragmenté. Les bailleurs de fonds suivent des priorités définies en interne, et ne cherchent pas à s’aligner les uns sur les autres. Ce n’est donc pas une mince affaire que d’obtenir des autres qu’ils convergent, s’alignent et soutiennent une approche visant un changement systémique. L’Encadré 3.1 examine ces questions et propose des éclairages sur les possibilités d’optimiser davantage les solutions collaboratives.
Encadré 3.1. Collaboration visant à produire un changement systémique
Que le but poursuivi soit d’améliorer le niveau d’instruction des filles ou l’accès à une eau salubre dans les établissements urbains informels, de multiples facteurs sont à l’œuvre dans ces défis complexes. S’atteler à un seul de ces facteurs, de manière isolée, ne permettra pas de résoudre le problème global. Si l’on veut créer un changement durable en ne se cantonnant pas aux symptômes, il faut adopter une approche systémique, à savoir :
Définir les frontières du système et appréhender le problème dans son contexte. Par exemple : la mortalité infantile relève-t-elle d’un problème interne au système de santé, ou faut-il l’examiner dans le contexte de l’aménagement urbain et de l’insalubrité des conditions de vie ?
Travailler avec de nombreux acteurs qui font partie de l’écosystème, qu’ils appartiennent au secteur privé, au secteur public ou à la société civile.
Mettre en évidence les leviers qui permettraient de faire évoluer le système, tels qu’une réorientation de l’action publique, les changements dans la perception de la population, les évolutions comportementales, les données et connaissances nouvelles ou les technologies transformatrices.
Recourir à un suivi itératif et à des méthodes d’apprentissage afin d’établir des boucles de rétroaction rapides, au lieu d’opérer de façon linéaire.
De nombreuses fondations mènent leurs activités dans l’optique d’un changement systémique. Des efforts bien plus considérables pourraient toutefois être déployés pour mettre en œuvre cette approche collectivement, en premier lieu en changeant les modalités de collaboration et le volume que celle-ci représente. En tant que bailleurs de fonds, nous nous rassemblons, mais souvent de manière décentralisée (en fonction d’un thème, d’une approche ou d’une zone géographique) et dans le cadre d’alliances qui s’attachent à centraliser le soutien financier.
Afin de concrétiser le changement systémique, les fondations pourraient être rassemblées plus efficacement en fonction de leur aptitude à exploiter tel ou tel levier du changement, tel que défini par Donella Meadows (Meadows, 2008[32]).
Prenons comme exemple la prévention des pandémies. Les bailleurs de fonds traditionnels, tels que le Wellcome Trust, soutiennent la création et la diffusion de nouvelles perspectives et données sur les vaccins. À l’inverse, des fondations se consacrant à la justice sociale, comme la Fondation Ford et les fondations Open Society, concourent au remodelage des règles du système. Ce remodelage pourrait impliquer de donner aux communautés locales et aux administrations locales les moyens de définir elles-mêmes comment atteindre les plus pauvres parmi les pauvres dans des endroits reculés. Les fondations expérimentées dans la mise en place de nouvelles institutions, telles que la Fondation Rockefeller, s’attachent à financer des centres pour la lutte contre la maladie et des réseaux de surveillance des maladies. Des organisations de philanthropie-risque, comme le Réseau Omidyar ou la Draper Richards Kaplan Foundation contribuent à créer et à porter à grande échelle des entreprises sociales afin de favoriser de nouveaux modèles d’activité et de mettre des services et produits de prévention à la disposition de davantage de personnes. Des fondations technologiques, telles que Google.org ou la Cloudera Foundation, peuvent être un partenaire à même d’identifier et de mettre en œuvre des technologies transformatrices, par exemple en permettant de combiner des fils d’information en direct de services de veille épidémique mondiale provenant de système de surveillance des maladies infectieuses partout dans le monde.
Si toutes ces activités semblent familières, c’est parce qu’elles coexistent déjà. Toutefois, elles ne sont souvent, à l’instar de beaucoup d’autres propices à un changement systémique, pas mises en relation et ne fonctionnent par conséquent pas comme une chaîne de valeur philanthropique performante. Afin d’optimiser l’écosystème du changement, les fondations doivent mieux comprendre leur rôle dans le système. Elles doivent savoir où leurs ressources et leur expertise coïncident le mieux avec les besoins locaux. Et elles ne doivent pas escompter que leur approche suffira, à elle seule, à induire un changement systémique.
En abordant le changement systémique avec une volonté encore plus forte de collaborer, nous pourrions faire en sorte que chaque dollar compte, à l’heure où il nous manque 2 500 milliards USD par an pour atteindre les Objectifs de développement durable. Il serait par ailleurs possible d’exploiter plus efficacement d’autres actifs que les grandes et petites fondations ont à leur disposition – savoir-faire, contributions en nature et capacité à rassembler dans différents secteurs.
Contribution de Claudia Juech, Cloudera Foundation.
3.1.3. La philanthropie qui parie sur une seule mise massive (big bets) : Risque élevé et gains substantiels – mais pas pour tout le monde
La notion de « big bets » est un autre concept qui se fait jour dans le secteur philanthropique, particulièrement populaire parmi les grandes fondations des États-Unis. Dans cette approche reposant, un investissement philanthropique substantiel (10 millions USD ou plus) est consacré à la résolution d’un problème social sur une période limitée, le soutien étant généralement accordé à une seule organisation. Tout comme dans le cas du changement systémique, ce type de philanthropie vise à produire un changement systémique en ciblant des leviers clés de l’écosystème. Cependant, l’approche est radicalement différente : au lieu de prendre en considération tous les principaux aspects d’un problème social, les bailleurs de fonds « misent » sur ce qu’ils considèrent être le principal levier afin de débloquer le problème. La Fondation Bill & Melinda Gates procède souvent selon cette approche : elle a effectué 19 des 58 « big bets » recensés par le Bridgespan Group en 2015 (Dolan, 2016[33]). Ainsi, cette année-là, la Fondation Bill & Melinda Gates a engagé 1.55 milliard USD au bénéfice de Gavi, l’Alliance du Vaccin. L’objectif était de vacciner d’ici 2020 300 millions d’enfants contre des maladies telles que la pneumonie, la rougeole ou la diarrhée sévère, et de sauver ainsi jusqu’à 6 millions de vies (Bill & Melinda Gates Foundation, 2015[34]).
Cette philanthropie à mise unique massive offre des opportunités intéressantes, surtout pour les bénéficiaires. Un financement important peut en effet assurer leur stabilité financière sur plusieurs années et les libérer de la charge liée à la nécessité constante de recueillir des fonds. En outre, ces montants élevés sont généralement fournis sous la forme d’une contribution au budget central d’une organisation (qui n’est donc pas préaffectée). Du point de vue des bailleurs de fonds, ces mises uniques massives peuvent sembler particulièrement séduisantes en raison de la visibilité qu’elles procurent et de leur capacité escomptée à résoudre un problème identifié et quantifiable. En effet, l’annonce d’un investissement massif attire l’attention des pairs et des médias sur leurs engagements philanthropiques.
Toutefois, cette approche inquiète certains acteurs de terrain. Ce type de philanthropie peut parfois donner l’impression de privilégier une approche en silo et de déboucher sur une simplification à l’excès des problématiques de développement, alors que celles-ci sont complexes et multiformes (Kramer, 2017[35]). Qui plus est, les donataires peuvent décider de changer leur ligne de conduite afin qu’elle corresponde mieux à la stratégie du bailleur de fonds. Cette approche peut aussi influer de manière non négligeable sur le programme de l’action publique et, in fine, entraîner un transfert des responsabilités qui sont normalement du ressort des pouvoirs publics (Jordan, 2017[36]). De fait, les annonces de contributions massives par des donneurs privés à des organisations multilatérales qui définissent les grandes orientations mondiales soulèvent une question importante : est-il légitime que des organisations non élues, qui pour l’essentiel ne rendent pas de comptes et sont dirigées par le centile le plus riche de la population, prennent des décisions qui ont un impact sur des biens publics mondiaux tels que la santé ? Enfin, comme le montre l’enquête de l’OCDE, les montants octroyés au titre de cette forme de philanthropie bénéficient souvent au premier chef à des ONG internationales et à des organisations multilatérales. Ces groupes, notamment l’UNICEF, l’OMS ou Save the Children, ont tous reçus de multiples apports financiers de ce type entre 2000 et 2012 (The Bridgespan Group et al., 2016[37]). En règle générale, les financements massifs (par exemple 10 millions USD) ne sont pas adressés à des organisations locales parce que celles-ci n’ont pas la capacité à gérer de telles sommes ni à les dépenser avec efficacité.
3.1.4. Mesure d’impact : une tendance transversale et commune aux différents types d’innovation en matière de philanthropie
Le suivi et l’évaluation (S&E) font désormais partie intégrante de l’évolution du secteur, comme l’illustrent différentes nouvelles approches présentées dans des sections précédentes de ce chapitre. Les philanthropes veulent de plus en plus que leurs décisions soient étayées par des données factuelles. Ils développent des théories du changement pour inscrire leur action dans un cadre et opérer un suivi des résultats mesurables. Ils demandent que leurs récipiendaires, mais aussi les bénéficiaires finals, leur rendent régulièrement compte sur la base d’indicateurs clés de performance. Enfin, ils investissent dans des évaluations d’impact approfondies, par exemple dans des essais randomisés contrôlés, dans lesquels le recours à un groupe témoin permet d’évaluer rigoureusement l’efficacité d’une intervention spécifique.
Encadré 3.2. Méthodologie d’examen par les pairs mise en place par le réseau netFWD de l’OCDE pour analyser les partenariats multipartites
Face à cette évolution en direction de mesures plus nombreuses et de meilleure qualité, des pratiques d’évaluation innovantes se font jour. Ainsi, le réseau netFWD de l’OCDE a mis au point une méthodologie permettant d’évaluer l’impact des partenariats multipartites. Cette méthodologie porte sur trois dimensions : i) la conception et le fonctionnement du partenariat ; ii) les résultats produits par le partenariat ; et iii) la valeur ajoutée du partenariat. Elle est appliquée dans le cadre d’examens par les pairs de la façon suivante : un partenariat multipartite d’une fondation opérant dans un secteur ou un domaine d’action publique donné est évalué par d’autres fondations travaillant dans le même domaine. Le premier examen par les pairs sur la qualité de l’éducation, qui a commencé en septembre 2017 au Brésil, a porté sur le partenariat entre Fundação Itaú Social et le ministère brésilien de l’Éducation. Le programme conjoint de ces deux entités, intitulé « Escrevendo o Futuro » (écrire l’avenir) vise à améliorer les compétences en lecture et en écriture des élèves brésiliens en offrant des formations aux enseignants des écoles publiques.
L’enquête menée par l’OCDE confirme l’idée que les fondations s’attachent de plus en plus à mesurer leur impact. Toutefois, elle met en lumière des écarts substantiels. Quasiment toutes les fondations interrogées évaluent leurs programmes – « parfois » pour la moitié d’entre elles, « systématiquement » pour l’autre moitié (voir Graphique 3.3), ce qui montre que les fondations prennent la mesure d’impact au sérieux. Néanmoins, la mesure des performances institutionnelles pourrait être améliorée : si un tiers des fondations interrogées évaluent « parfois » leur propre impact en tant qu’organisation et qu’un autre tiers l’évalue « systématiquement », le dernier tiers ne l’évalue « jamais ».
Deux grands facteurs expliquent pourquoi les fondations sont généralement mieux à même d’évaluer les performances de leurs programmes que leurs propres performances en tant qu’organisation. Premièrement, les performances institutionnelles sont difficiles à évaluer car cet exercice suppose de définir des indicateurs transversaux applicables aux différents programmes des fondations. Cela vient s’ajouter aux difficultés que rencontrent les fondations pour attribuer des résultats à leurs propres interventions ; tous les acteurs du développement sont confrontés à ce dilemme lorsqu’ils travaillent sur des problématiques complexes avec une pluralité d’acteurs. Deuxièmement, alors que l’évaluation des performances institutionnelles doit s’effectuer au niveau de la fondation, la charge de l’évaluation des programmes est souvent partagée avec les bénéficiaires, qui sont tenus de rendre compte aux bailleurs de fonds.
Bien que les mérites de la mesure d’impact soit salués par beaucoup et que celle-ci soit souvent perçue comme indispensable dans le domaine de la philanthropie, elle peut également avoir des répercussions négatives. En attachant trop d’importance aux données factuelles et aux résultats mesurables, les fondations risquent de devenir trop frileuses, et de renoncer à des projets qui ne produiront pas nécessairement de résultats sur le court terme. Cette approche centrée sur l’impact incite les fondations à soutenir des programmes plus conventionnels ou moins risqués, au lieu d’expérimenter des idées nouvelles (Kasper et Marcoux, 2014[38]). Elle les pousse également à concentrer leurs activités dans des secteurs où l’impact est plus facile à mesurer et devient visible plus rapidement, par exemple les domaines de la santé ou de l’entrepreneuriat. En conséquence, les domaines dans lesquels l’impact est difficile à quantifier, par exemple la lutte contre la corruption ou la défense des droits de l’homme, peuvent sembler moins attractifs pour les fondations. En outre, la mesure d’impact génère une lourde charge pour les bénéficiaires, qui doivent rendre des comptes, ce qui induit un surcroît de travail administratif et un alourdissement des frais généraux.
3.2. Innovation de procédé
3.2.1. De nouveaux outils financiers pour un soutien sur mesure
Les fondations utilisent, outre l’octroi de dons classique, des outils financiers nouveaux. Certaines de ces approches, comme l’investissement à impact social, leur permettent de proposer des financements adaptés aux besoins des différents bénéficiaires ou au niveau de risque auquel elles ont affaire. D’autres outils, comme les investissements liés sur la mission de la fondation ou les obligations à impact sur le développement, permettent aux fondations d’explorer et de tester de nouvelles modalités et de nouveaux mécanismes pour mener à bien la mission qui est la leur. Une fondation qui se consacre à la lutte contre le changement climatique, par exemple, apportera des concours financiers à des ONG qui déploient des initiatives de recyclage, et investira également dans des entreprises ou des fonds qui opèrent dans les énergies renouvelables.
Investissement à impact social : L’investissement à impact social peut être défini comme un financement octroyé à des organisations dans l’attente explicite d’un double rendement mesurable, social et financier (OCDE, 2015[39]). Les investisseurs qui recourent à ce type d’opération sont généralement ceux qui souhaitent apporter des fonds à des organisations qui ne sont pas à même de générer des rendements sur le marché, par exemple les fondations. Cependant, on trouve également parmi eux des investisseurs plus classiques désireux de produire un impact social.
Les fondations jouent un rôle crucial dans l’évolution du marché de l’investissement à impact social à travers des activités renforçant le marché (recherche et échange de connaissances), ainsi que des investissements axés sur une mission ou un programme spécifiques (investissement de leurs ressources dans des entreprises risquées en lien avec leur mission de base). Ces investissements peuvent être effectués parallèlement à l’octroi régulier de dons par la fondation, et prennent généralement la forme de prêts, de garanties et de prises de participation, leur remboursement ou leurs rendements financiers étant réinvestis dans de nouveaux projets (Rangan, Appleby et Moon, 2012[40]). Les dons, qu’ils soient publics ou privés, continuent de jouer un rôle important en fournissant une « garantie au premier risque » ou un financement « catalytique ». En d’autres termes, le donneur accepte de supporter le risque afin d’attirer des financements additionnels (GIIN, 2013[41]). Les dons et l’assistance technique sont souvent nécessaires avant que des investissements à impact social ne soient déployés, ou parallèlement à ceux-ci, afin d’aider le capital-risque social destiné à relever des défis sociaux à développer des solutions commercialement viables (Bridges Ventures, 2012[42]).
Les investissements liés à la mission : Avec les investissements liés à la mission, les fondations ne séparent plus les investissements destinés à préserver et à étoffer leur patrimoine de leurs stratégies d’octroi de dons. Ces investissements peuvent être considérés comme relevant de l’investissement à impact social. Ils renvoient aux investissements aux conditions du marché qui concourent à la mission d’une fondation en générant un impact social ou environnemental positif (Mission Investors Exchange,(s.d.)[43]). On escompte en général qu’ils généreront des rendements financiers compétitifs. À l’inverse, les investissements liés au programme mettent davantage l’accent sur l’obtention d’un impact social, et sont donc souvent en dessous des niveaux du marché.
Les fondations utilisent cette approche pour plusieurs raisons. Tout d’abord, elle leur permet de multiplier les ressources disponibles pour progresser dans leur mission. Ensuite, elle contribue à attirer des investisseurs classiques vers des fonds durables, c’est-à-dire des fonds qui ne soutiennent pas des activités économiques portant atteinte à la justice sociale ou à l’environnement, comme les forages pétroliers ou gaziers.
Aux États-Unis, les fondations ont l’obligation juridique d’accorder chaque année des aides financières équivalant à 5 % de leurs actifs – ce que l’on appelle pay-out requirement (obligation de versement) – pour pouvoir conserver leur exonération fiscale. Généralement, les dons ou les investissements liés au programme sont comptabilisés dans ces obligations de versement, mais les investissements liés à la mission proviennent directement du reste de leurs ressources. Les investissements liés à la mission peuvent par conséquent permettre de tirer parti des 95 % de capital inexploité des fondations. Ainsi, en 2017, la Fondation Ford a décidé de consacrer 1 milliard USD sur ses 12 milliards USD de patrimoine aux investissements liés à sa mission au cours des dix prochaines années. Il s’agit de l’engagement le plus important concernant ce type d’investissement jamais pris par une fondation. La Fondation Ford entend contribuer à la mise en place d’un marché pour les investissements liés à la mission en créant des fonds d’impact, et encourager d’autres fondations à lui emboîter le pas.
Obligations à impact sur le développement : Sur le modèle des obligations à impact social, les obligations à impact sur le développement sont des mécanismes financiers dans lesquels des investisseurs privés fournissent du capital en amont pour des services sociaux, et sont remboursés par un bailleur de fonds sous réserve de l’obtention des résultats convenus (OECD, 2015[44]). Il existe deux grandes différences entre ces types d’obligations. Premièrement, les obligations à impact sur le développement sont déployées dans les pays à revenu faible ou intermédiaire. Deuxièmement, dans le cas des obligations à impact sur le développement, les investisseurs et/ou les bailleurs sont souvent des donneurs bilatéraux ou des fondations. De fait, une récente étude fait apparaître que ce sont des fondations, de tailles variées, qui constituent les principaux investisseurs des obligations à impact sur le développement (Gustafsson-Wright, Boggild-Jones et Segell, 2017[45]). À titre d’exemple, en Inde, la Fondation UBS Optimus (l’investisseur) et la CIFF (le bailleur acheteur de résultats) unissent leurs forces pour améliorer les résultats en termes d’éducation pour 18 000 enfants (Instiglio, 2018[46]). La plupart des obligations à impact sur le développement visent l’obtention de résultats dans le domaine de la santé, par exemple l’amélioration des soins liés à la maternité ou aux enfants, la prévention du VIH ou le traitement de la cataracte. À l’inverse, les obligations à impact social sont prioritairement axées sur l’emploi. Les obligations à impact sur le développement se répandent lentement ; à ce jour, on en dénombre seulement 4, et 25 sont en cours de conception (Instiglio, 2018[47]) ; 90 obligations à impact social ont été lancées depuis que la première a vu le jour en 2010 au Royaume-Uni.
Encadré 3.3. Atouts et limites des obligations à impact sur le développement
Au regard du niveau d’ambition du Programme 2030, les obligations à impact sur le développement pourraient garantir une utilisation efficiente des fonds disponibles et la fourniture efficace de services sociaux. Étant donné leur capacité à cibler des populations difficiles à atteindre et à faire économiser des fonds publics, les obligations à impact sur le développement peuvent également contribuer à renforcer la redevabilité des bailleurs de fonds et des prestataires de services sociaux (qu’il s’agisse d’entreprises sociales ou d’ONG). En outre, les obligations à impact sur le développement pourraient favoriser l’apprentissage grâce à l’évaluation et renseigner les fondations sur les investissements qui fonctionnent. Les obligations à impact sur le développement peuvent permettre aux pouvoirs publics de tester des approches novatrices de la fourniture de services sociaux. Elles peuvent aussi leur permettre d’investir davantage dans la prévention, ce qui peut avoir des répercussions sur le bien-être des citoyens et générer des économies à long terme. Enfin, elles peuvent contribuer à décloisonner les méthodes de travail, en améliorant la collaboration entre les acteurs concernés.
Dans le même temps, les obligations à impact sur le développement présentent plusieurs limites. Premièrement, puisque ces obligations sont déployées dans des pays à revenu faible et intermédiaire, elles nécessitent une bonne gestion des risques. En raison de l’instabilité politique et financière plus répandue, les parties prenantes sont confrontées à une plus grande incertitude en termes d’engagement politique et de rendements financiers, lesquels sont calculés sur la base des économies que réalisera ultérieurement le gouvernement. Deuxièmement, bien que les parties prenantes puissent avoir déjà eu affaire à des financements axés sur les résultats, les obligations à impact sur le développement demeurent coûteuses et complexes. Elles reposent sur des accords sur mesure, difficiles à répliquer dans leur intégralité, et qui doivent être ciselés, une opération qui demande du temps et de la patience. Troisièmement, l’absence de cadre de réglementation clair peut entraver le développement des obligations à impact sur le développement. Quatrièmement, ces obligations peuvent créer des incitations inadéquates à la mesure des résultats des prestataires de services sociaux. Ainsi, elles pourraient les amener à privilégier les résultats les plus faciles à obtenir, et les conduire à laisser de côté les populations les plus difficiles à atteindre, ce qui pourrait donner une représentation disproportionnée de leur niveau de réussite. Enfin, certains bailleurs de fonds, et en particulier les fondations habituées à agir davantage sur le terrain parallèlement à l’octroi de leurs financements, peuvent juger qu’ils maîtrisent moins leurs financements, puisque les obligations à impact sur le développement donnent aux prestataires de services sociaux les moyens d’être davantage autonomes.
Source : Antonella Noya et Stellina Galitopoulou, Centre pour l’entrepreneuriat, les PME, les régions et les villes de l’OCDE.
Si ces innovations suscitent intérêt et enthousiasme dans le secteur philanthropique, elles sont loin de constituer la norme. À ce jour, les fondations les plus en pointe montrent la voie avec les obligations à impact sur le développement. Celles-ci sont essentiellement utilisées aux États-Unis, mais on trouve ailleurs des exceptions notables. La grande majorité des fondations à travers le monde sont bien plus traditionnelles. Les résultats de l’enquête de l’OCDE sur le soutien financier en donnent un exemple éloquent. Comme le montre le Graphique 3.4, 91 % des fondations préfèrent que leur appui financier prenne la forme de dons. La prédominance des dons est encore plus impressionnante lorsque l’on examine les volumes, puisqu’ils représentent, si l’on y ajoute les prix et les récompenses, environ 99 % du total. Un tiers des fondations proposent des prêts, et seulement 15 % recourent à des prises de participation. En volume, ces deux instruments représentent moins de 1 %.
Les fondations affichent un niveau relativement faible d’aversion pour le risque et n’hésitent pas à investir dans des concepts d’activité et modèles de financement innovants. Par conséquent, elles deviennent aussi des acteurs de plus en plus importants sur le marché du financement mixte. Que les ressources utilisées par un apporteur de financements à l’appui du développement soient concessionnelles ou non, elles peuvent contribuer à mobiliser des financements commerciaux en vue de soutenir les réalisations en matière de développement (OCDE, 2018[48]).
3.2.2. La technologie et l’accès aux données peuvent améliorer la transparence et la redevabilité, et accroître les apports directs
La technologie et l’accès aux données modifient les processus internes des fondations. Premièrement, ils changent la manière dont les fondations allouent leurs dotations. Celles-ci procèdent de plus en plus à une gestion numérique de leurs flux de travail, ce qui leur permet de gagner du temps. Deuxièmement, davantage de données sur les apports philanthropiques étant disponibles en ligne, les fondations peuvent tirer des enseignements de leurs propres expériences – positives ou négatives – et de celles des autres (Ricci, 2017[49]). Ainsi, l’Asociación colombiana de Fundaciones Empresariales (AFE) a mis en place une plateforme en ligne qui fournit des informations détaillées pertinentes sur les projets de ses membres. Un partage de connaissances plus poussé pourrait aboutir à l’élaboration d’un système de registre mondial qui faciliterait l’établissement des cartographies, la diligence raisonnable et les évaluations d’impact, et donc améliorerait la transparence et la redevabilité.
Grâce à la technologie, les différents donneurs ont en outre plus facilement accès à l’information sur les intérêts et les résultats des organisations. Qui plus est, ils peuvent financer ces organisations directement au lieu de passer par des intermédiaires comme des fondations. Les plateformes de financement participatif offrent à quiconque souhaite apporter un concours financier le choix entre un grand nombre de projets, d’entreprises sociales, de start-ups, etc. De surcroît, les bailleurs de fonds (que ce soient des particuliers ou des institutions) peuvent désormais sélectionner leurs propres bénéficiaires grâce à des plateformes en ligne telles que GiveDirectly. Cette dernière permet à tout un chacun d’effectuer des transferts directs d’espèces à des personnes pauvres sur la base d’une évaluation approfondie des besoins et de la diligence raisonnable.
Cela étant, la transparence et la redevabilité supposent de la part des fondations un partage de données, pratique qui n’est pas encore largement répandue. De tout temps, les fondations se sont montrées réticentes à rendre publiques des informations internes. Elles soutiennent qu’elles doivent protéger leurs récipiendaires du contrôle des pouvoirs publics. Dans certains cas, par exemple, elles financent des ONG et d’autres organisations qui font partie de l’opposition dans un régime autocratique. Bien que les fondations partagent plus volontiers certains types d’informations, l’enquête de l’OCDE montre qu’elles choisissent soigneusement ce qu’elles communiquent. Comme l’indique le Graphique 3.5, elles rendent plus facilement accessibles des informations concernant leurs ressources, par exemple le budget (74 %), la stratégie (65 %), la procédure (65 %) et les bénéficiaires (56 %) que sur leurs résultats, par exemple les évaluations de programmes (33 %) ou les performances institutionnelles (26 %).
Références
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