Si les effets de la crise financière mondiale sur la qualité des emplois et l’inclusivité continuent de se faire sentir, les taux d’emploi se sont hissés à un niveau historiquement élevé dans la plupart des pays de l'OCDE et le taux de chômage moyen a rejoint son niveau d’avant la crise. Pour autant, la croissance des salaires nominaux demeure sensiblement inférieure à ce qu’elle était avant la crise pour des niveaux de chômage comparables, et la courbe de Phillips – qui illustre la relation entre le chômage et la croissance des salaires – a continué à se déplacer vers le bas pendant la reprise. Les anticipations de faible inflation et le ralentissement de la productivité, qui ont marqué la récession et ne se sont pas encore totalement inversés, ont contribué à ce phénomène. Les emplois faiblement rémunérés jouent aussi un rôle déterminant : les travailleurs à temps partiel, en particulier, ont vu leurs revenus diminuer sensiblement par rapport à ceux des travailleurs à temps plein, parallèlement à une montée du travail à temps partiel subi dans un certain nombre de pays. Par ailleurs, le salaire comparativement faible des travailleurs ayant traversé récemment une période de chômage, conjugué à des taux de chômage toujours élevés dans certains pays, ont conduit à une hausse du nombre de travailleurs à bas salaire, avec à la clé un ralentissement de la croissance moyenne des salaires.
Perspectives de l'emploi de l'OCDE 2018
Résumé
La croissance des salaires reste morose en dépit du recul du chômage
La contraction de la part du travail tient en partie à l’émergence d’entreprises « superstars »
Dans la plupart des pays de l'OCDE, la croissance des salaires médians réels a été inférieure à celle de la productivité du travail ces vingt dernières années, en partie sous l’effet de la contraction de la part du travail dans la valeur ajoutée. Avec les progrès technologiques enregistrés dans les secteurs qui produisent des biens d’équipement et l’expansion des chaînes de valeur mondiales, la part du travail a diminué au sein des entreprises, tandis que la part de la valeur ajoutée créée par les entreprises à moindre intensité de travail s’est accrue. Par ailleurs, la contraction de la part du travail causée par les progrès technologiques est souvent particulièrement marquée dans les pays et les secteurs qui comptent une forte proportion d’emplois peu qualifiés aux tâches répétitives. Dans les pays où la part du travail diminue, on constate à la fois un recul de la part du travail au niveau de la frontière technologique et une redistribution des parts de marché vers les entreprises situées à cette frontière (« entreprises superstars »), dont l’intensité de travail est moindre. La contraction de la part du travail au niveau de la frontière technologique tient davantage à l’intensification de la « destruction créatrice » induite par le dynamisme technologique des nouveaux arrivants à moindre intensité de travail qu’au jeu des forces anticoncurrentielles. À la lumière de ces résultats, il semble que le meilleur moyen d’aider les travailleurs à tirer pleinement parti des progrès technologiques actuels consiste à améliorer leurs compétences. C’est pourquoi il est capital de bâtir des systèmes d’enseignement et de formation de qualité et de donner à tous des possibilités d’apprendre, ainsi que de concevoir des mécanismes permettant d’anticiper l’évolution de la demande de compétences.
Les mécanismes de négociation collective sont déterminants pour les performances du marché du travail
Dans la zone OCDE, la rémunération et les conditions de travail d’un travailleur sur trois sont régies par une convention collective. Généralement, les systèmes de négociation qui assurent la coordination des salaires entre secteurs sont associés à des écarts de salaires moindres et à de meilleurs résultats en matière d’emploi, y compris pour les populations vulnérables. La coordination des salaires accroît la solidarité entre les travailleurs de différents secteurs et contribue à veiller à ce que la négociation collective améliore l’emploi en tenant pleinement compte de la situation macroéconomique. Néanmoins, dans les systèmes centralisés, la résorption des inégalités et la hausse de l’emploi peuvent être obtenus au prix d’un ralentissement des gains de productivité. Au vu de ce qui s’est produit dans plusieurs pays, il peut être important de laisser aux employeurs et aux représentants du personnel de l’entreprise une marge de manœuvre suffisante pour affiner ou ajuster les accords de branche en fonction de la situation de l’entreprise (« décentralisation organisée »). Dans l’ensemble, la coordination et la décentralisation organisée avec des partenaires sociaux représentatifs permettent d’améliorer les performances du marché du travail, sans sacrifier l’inclusivité et la flexibilité. Le dialogue social dans l’entreprise est aussi associé à un environnement de travail de meilleure qualité.
Les programmes du marché du travail peuvent aider les travailleurs victimes de licenciements économiques
Le processus de « destruction créatrice » qui est à la base de la croissance économique et de l’amélioration du niveau de vie se traduit par un nombre considérable de licenciés économiques chaque année, nombre d’entre eux subissant d’importantes pertes de revenu entre autres difficultés. Pour offrir aux travailleurs qui perdent leur emploi de meilleures chances de retrouver du travail et une plus grande sécurité sur le plan des revenus, il faut tout d’abord avancer dans l’élaboration des efficaces stratégies nationales d’activation qui tiennent compte non seulement des obstacles auxquels se heurtent cette catégorie de travailleurs lorsqu’ils recherchent un nouvel emploi mais aussi des atouts qui sont les leurs. Les travailleurs qui perdent leur emploi pour des motifs économiques se distinguent principalement des autres demandeurs d’emploi de deux manières : des mesures proactives peuvent être mises en place plus facilement dès la période de préavis préalable au licenciement, et les employeurs peuvent largement contribuer à ce que les travailleurs dont ils se séparent puissent retrouver un emploi, idéalement en étroite coopération avec les syndicats et les institutions du marché du travail. Autre enjeu de taille s’agissant de l’aide au revenu : il convient de déterminer s’il est possible d’indemniser les travailleurs qui retrouvent un emploi beaucoup moins rémunéré pour leur perte de pouvoir d’achat et, si oui, comment. Les conditions d’accès à l’indemnisation chômage pendant toute la période où ils restent sans emploi sont aussi déterminantes.
La plupart des chômeurs ne sont pas couverts par l’assurance chômage
Les analyses des effets des indemnités de chômage sur le marché du travail sont généralement fondées sur le principe selon lequel les demandeurs d’emploi ont facilement accès à ces transferts. Or l’accès à l’indemnisation chômage est un ingrédient crucial de toute politique du marché du travail inclusive qui protège les travailleurs plutôt que les emplois. Toutefois, dans la zone OCDE, moins d’un chômeur sur trois bénéficie d’une indemnité de chômage en moyenne, et la contraction à long terme de la couverture de l’assurance chômage observée dans de nombreux pays s’est poursuivie après la crise financière et économique. Les déterminants de la contraction des taux de couverture fournissent une indication de l’importance de ce phénomène pour l’action publique et des mesures qui pourraient être prises pour veiller à préserver l’accès à l’indemnisation. Depuis le début de la crise, l’évolution des caractéristiques des demandeurs d’emploi, comme les flux migratoires ou la variation notable de la proportion de chômeurs de longue durée, ont fortement influencé la couverture de l’assurance chômage. Toutefois, une partie du creusement récent de ce que l’on pourrait appeler « l’écart de couverture » est clairement imputable aux réformes de l’action publique qui visaient à réduire la générosité des dispositifs d’assurance chômage soit dans un souci d’assainissement de la situation budgétaire soit pour atténuer les contre-incitations à la recherche d’emploi pour les chômeurs.
Pourquoi l’écart entre hommes et femmes en matière de revenus du travail se creuse au cours de la vie active ?
L’écart hommes-femmes en termes de revenu du travail moyen annuel s’est certes considérablement réduit, mais celui des femmes était encore inférieur de 39 % en moyenne à celui des hommes en 2015. Les estimations comparables des inégalités entre les deux sexes en termes de revenu du travail tout au long de la vie montrent qu’elles sont en grande partie générées au cours de la première moitié de la vie professionnelle. En début de carrière, les femmes changent moins souvent d’emploi que les hommes, tandis que la naissance de leurs enfants influe sur leur taux d’activité ; or ces deux phénomènes ont des répercussions durables sur leur carrière et déterminent donc l’évolution des disparités entre hommes et femmes tout au long de la vie active. L’impact du travail à temps partiel est moins évident, étant donné qu’il peut empêcher un retrait total du marché du travail mais aussi la progression de carrière. Le poids relatif de chacune des dimensions de l’écart entre hommes et femmes dans le revenu du travail – taux d’emploi, heures travaillées et rémunération horaire – fournit une statistique importante pour orienter l’action des pouvoirs publics. Les politiques familiales, les mesures qui visent à encourager les hommes et les femmes à changer leurs comportements, et les mesures qui visent à promouvoir des changements dans l’environnement professionnel, notamment le recours accru aux emplois à temps partiel et à des dispositifs d’aménagement du temps de travail pour les mères comme pour les pères, peuvent être déterminantes pour aider les femmes à traverser sans encombre sur le plan professionnel la période pendant laquelle elles ont des enfants, à ne pas couper les liens avec le marché du travail et à saisir les mêmes opportunités de progression de carrière que les hommes.